61994J0284

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 19 novembre 1998. - Royaume d'Espagne contre Conseil de l'Union européenne. - Recours en annulation - Politique commerciale commune - Règlements (CE) nº 519/94 et nº 1921/94 - Contingents d'importation sur certains jouets en provenance de la république populaire de Chine. - Affaire C-284/94.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-07309


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Règlements

(Traité CE, art. 190)

2 Recours en annulation - Moyens - Violation de la confiance légitime des opérateurs économiques invoquée par un État membre - Recevabilité

3 Politique commerciale commune - Réglementation par les institutions communautaires - Pouvoir d'appréciation - Confiance légitime des opérateurs économiques dans le maintien d'une situation existante - Absence

(Traité CE, art. 113; règlement du Conseil n_ 519/94)

Sommaire


1 La portée de l'obligation de motivation dépend de la nature de l'acte en cause et, s'agissant d'actes destinés à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre. Si l'acte contesté fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés.

En particulier, eu égard à la marge d'appréciation dont disposent les institutions communautaires lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de la politique commerciale commune, le Conseil, ayant exposé les objectifs poursuivis par la modification de contingents d'importations fixés par un règlement antérieur, n'a pas à justifier les choix techniques effectués, et notamment l'importance de l'augmentation dudit contingent.

2 Rien ne s'oppose à ce qu'un État membre fasse valoir, dans le cadre d'un recours en annulation, qu'un acte des institutions porte atteinte à la confiance légitime de certains particuliers.

3 Les institutions communautaires disposant d'une marge d'appréciation lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de la politique commerciale commune, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante, qui peut être modifiée par des décisions prises par ces institutions dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation.

Parties


Dans l'affaire C-284/94,

Royaume d'Espagne, représenté par M. Alberto Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Gloria Calvo Díaz, abogado del Estado, du service juridique de l'État, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Espagne, 4-6, boulevard Emmanuel Servais,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Bjarne Hoff-Nielsen, conseiller juridique, Guus Houttuin et Diego Canga Fano, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Miguel Díaz-Llanos, conseiller juridique, Patrick Hetsch et Carlos Gómez de la Cruz, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de ce dernier, Centre Wagner, Kirchberg,

partie intervenante,

ayant pour objet l'annulation du règlement (CE) n_ 1921/94 du Conseil, du 25 juillet 1994, modifiant le règlement (CE) n_ 519/94 relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers (JO L 198, p. 1),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. P. J. G. Kapteyn, président de chambre, G. F. Mancini (rapporteur) et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 20 juin 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 septembre 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 octobre 1994, le royaume d'Espagne a demandé, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE, l'annulation du règlement (CE) n_ 1921/94 du Conseil, du 25 juillet 1994, modifiant le règlement (CE) n_ 519/94 relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers (JO L 198, p. 1, ci-après le «règlement attaqué»).

Le cadre réglementaire et les faits

2 Avant l'entrée en vigueur du règlement (CE) n_ 519/94 du Conseil, du 7 mars 1994, relatif au régime commun applicable aux importations de certains pays tiers et abrogeant les règlements (CEE) n_ 1765/82, (CEE) n_ 1766/82 et (CEE) n_ 3420/83 (JO L 67, p. 89), auquel le règlement attaqué a apporté des modifications, les importations des produits originaires des pays à commerce d'État, parmi lesquels figurait la république populaire de Chine (ci-après la «Chine»), étaient régies par plusieurs règlements du Conseil.

3 En particulier, le règlement (CEE) n_ 1766/82 du Conseil, du 30 juin 1982, relatif au régime commun applicable aux importations de la république populaire de Chine (JO L 195, p. 21), visait les importations qui n'étaient en principe soumises à aucune restriction quantitative, tandis que le règlement (CEE) n_ 3420/83 du Conseil, du 14 novembre 1983, relatif aux régimes d'importation des produits originaires des pays à commerce d'État non libérés au niveau de la Communauté (JO L 346, p. 6), s'appliquait notamment aux importations en provenance de Chine qui ne relevaient pas du règlement n_ 1766/82.

4 En vertu de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n_ 3420/83, la mise en libre pratique des produits figurant à l'annexe III du même règlement, dont certains jouets en provenance de Chine, était soumise à des restrictions quantitatives dans un ou plusieurs États membres, indiqués dans cette annexe. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, du même règlement, avant le 1er décembre de chaque année, le Conseil arrêtait, conformément à l'article 113 du traité CEE, les contingents d'importation à ouvrir par les États membres pour l'année suivante à l'égard des divers pays à commerce d'État pour ces produits. Le paragraphe 2 du même article prévoyait que, en l'absence d'une telle décision, les contingents d'importation existants étaient reconduits, à titre provisoire, pour l'année suivante.

5 Les articles 7 à 10 du règlement n_ 3420/83 établissaient différentes procédures permettant d'apporter des modifications au régime d'importation à la demande d'un État membre, par décision de la Commission prise conformément à l'article 9, paragraphes 1, 3 ou 4, ou, selon le cas, par décision du Conseil.

6 Le règlement n_ 3420/83 a été modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n_ 2456/92 du Conseil, du 13 juillet 1992, fixant les contingents d'importation à ouvrir par les États membres à l'égard des pays à commerce d'État en 1992 (JO L 252, p. 1). En ce qui concerne les jouets en provenance de Chine, ce dernier règlement fixait en son article 1er et en son annexe VIII des contingents pour l'année 1992 pour l'Allemagne et pour l'Espagne.

7 L'article 5 du règlement n_ 2456/92 énonçait que les dispositions de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n_ 3420/83, prévoyant la reconduction automatique éventuelle des contingents existant l'année précédente, ne seraient pas applicables pour 1993. Cette dérogation était justifiée, au cinquième considérant, par la nécessité de remplacer le régime existant, fondé sur le maintien des régimes nationaux, qui serait incompatible avec le fonctionnement du marché unique, par un mécanisme communautaire couvrant toutes les restrictions résiduelles au 31 décembre 1992.

8 Le mécanisme communautaire ainsi annoncé n'a cependant pas été institué pour 1993 et aucun nouveau règlement fixant des contingents d'importation n'a été adopté. Cependant, entre le 1er mars 1993 et le 19 janvier 1994, la Commission, sur la base de l'article 9, paragraphes 1 et 3, du règlement n_ 3420/83, a adopté six décisions autorisant le royaume d'Espagne à ouvrir des contingents sur les jouets originaires de Chine relevant du code SH/NC 9503. Aucun autre État membre n'a sollicité la fixation de contingents pour ces produits.

9 Le règlement n_ 519/94, applicable à compter du 15 mars 1994, a abrogé les règlements n_ 1766/82 et n_ 3420/83. Dans son premier considérant, il est indiqué que «la politique commerciale commune doit être fondée sur des principes uniformes», alors que les règlements n_ 1766/82 et n_ 3420/83 laissaient subsister des exceptions et des dérogations qui permettaient aux États membres de continuer à appliquer des mesures nationales à l'importation de produits originaires de pays à commerce d'État. Selon le quatrième considérant, «pour parvenir à une uniformité accrue du régime à l'importation, il y a lieu de mettre fin aux exceptions et dérogations résultant des mesures nationales restantes en matière de politique commerciale, et notamment aux restrictions quantitatives maintenues par les États membres en vertu du règlement (CEE) n_ 3420/83». Les cinquième et sixième considérants précisent que le principe de la libéralisation des importations doit constituer le point de départ de cette uniformisation, sauf pour «un nombre limité de produits originaires de la république populaire de Chine». Comme l'explique le sixième considérant, «en raison de la sensibilité de certains secteurs de l'industrie communautaire», ces produits doivent être soumis à des contingents quantitatifs et à des mesures de surveillance applicables au niveau communautaire.

10 Le règlement n_ 519/94 prévoit en son article 1er, paragraphe 2, que l'importation dans la Communauté des produits qu'il vise est libre et n'est donc soumise à aucune restriction quantitative, sans préjudice d'éventuelles mesures de sauvegarde et des contingents communautaires visés à l'annexe II. L'article 1er, paragraphe 3, prévoit que l'importation des produits visés à l'annexe III est soumise à une surveillance communautaire. Les annexes II et III visent exclusivement des produits originaires de Chine.

11 L'annexe II prévoit des contingents pour certaines catégories de jouets en provenance de Chine. Plus précisément, avant les modifications introduites par le règlement attaqué, des quotas annuels de 200 798 000 écus, de 83 851 000 écus et de 508 016 000 écus ont été fixés, respectivement, pour les jouets relevant des codes SH/NC 9503 41 (jouets rembourrés représentant des animaux ou des créatures non humaines), 9503 49 (autres jouets représentant des animaux ou des créatures non humaines) et 9503 90 (certains jouets divers). Pour la période du 15 mars au 31 décembre 1994, ces contingents s'élevaient donc, respectivement, à 158 965 083 écus, à 66 382 042 écus et à 402 179 333 écus.

12 Relèvent de l'annexe III dudit règlement et sont donc soumis à une surveillance communautaire d'autres produits qui auparavant faisaient l'objet de restrictions nationales, dont notamment les assortiments et jouets de construction, puzzles et cartes à jouer relevant des codes SH/NC 9503 30, 9503 60 et 9504 40 respectivement.

13 Le règlement attaqué a modifié le règlement n_ 519/94 en prévoyant, dans son article 1er, que le contingent relatif aux jouets relevant du code SH/NC 9503 41 est augmenté de 158 965 083 écus à 204 500 000 écus pour la période du 15 mars au 31 décembre 1994.

14 Les premier et deuxième considérants du règlement attaqué indiquent que, lors de l'adoption du règlement n_ 519/94 et pour déterminer le niveau des contingents applicables à certains produits originaires de Chine, le Conseil s'est efforcé de trouver un certain équilibre entre une protection appropriée des secteurs de l'industrie communautaire concernée et le maintien, compte tenu des divers intérêts en cause, d'un niveau de commerce acceptable avec la Chine. A propos de la gestion du contingent relatif aux jouets relevant du code NC 9503 41, le troisième considérant fait état de perturbations qui se seraient toutefois manifestées dans les échanges commerciaux avec la Chine, affectant l'activité des secteurs économiques communautaires liés à l'importation, à la commercialisation et à la transformation desdits jouets. Dans ces conditions et sans préjudice d'un réexamen de la situation, il est apparu opportun, ainsi que l'indique le quatrième considérant, d'augmenter le contingent en question afin de faciliter la transition entre le régime d'importation préexistant et le régime établi par le règlement n_ 519/94.

15 A l'appui de son recours, le gouvernement espagnol invoque deux moyens tirés, pour l'un, de l'insuffisance de motivation du règlement attaqué et, pour l'autre, de la violation du principe de la protection de la confiance légitime.

Sur le moyen tiré d'une insuffisance de motivation

16 En premier lieu, le règlement attaqué violerait l'article 190 du traité CE en ce qu'il comporterait une motivation insuffisante.

17 A cet égard, le gouvernement espagnol rappelle que la motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle (voir, notamment, arrêt du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil, C-353/92, Rec. p. I-3411).

18 Par ailleurs, il ressortirait de l'arrêt du 7 avril 1992, Compagnia italiana alcool/Commission (C-358/90, Rec. p. I-2457), que, lorsque l'institution dispose d'un large pouvoir d'appréciation de situations économiques complexes et qu'elle exerce son pouvoir, elle doit tenir compte des facteurs qui sont susceptibles d'entraîner des perturbations du marché et elle se doit non seulement d'identifier les facteurs qui ont influencé sa décision, mais aussi d'en préciser l'impact.

19 Dans l'arrêt du 4 juin 1992, Consorgan/Commission (C-181/90, Rec. p. I-3557), la Cour aurait en outre indiqué que, alors qu'une motivation sommaire était suffisante pour une décision de rejet d'une demande de concours du Fonds social européen, une décision ultérieure portant réduction du montant initialement octroyé, entraînant des conséquences plus graves pour le demandeur, devait faire clairement apparaître les motifs qui la justifiaient.

20 Le gouvernement espagnol estime que, bien que ces arrêts concernent des décisions de la Commission, ils sont d'application générale, puisque les principes qu'ils énoncent n'ont pas été circonscrits par la Cour à certaines normes communautaires concrètes et puisque la finalité de l'obligation de motivation ne dépend pas de la nature de l'acte.

21 En ce qui concerne le contexte juridique dans lequel le règlement attaqué s'inscrit, le gouvernement espagnol souligne que le contingent litigieux a été introduit par le règlement n_ 519/94 dans le cadre d'une vaste opération d'uniformisation du régime commercial applicable aux échanges avec les pays à commerce d'État, en raison de la «sensibilité de certains secteurs de l'industrie communautaire» (sixième considérant dudit règlement). Le niveau de ce contingent aurait été déterminé en tenant compte de la tendance à une augmentation exponentielle des importations de jouets chinois et de la situation du marché communautaire.

22 Le règlement attaqué aurait augmenté le contingent en question de 28,64 % quatre mois seulement après l'entrée en vigueur du règlement n_ 519/94, sans que le Conseil ait suffisamment motivé cette augmentation. En particulier, il n'apparaîtrait pas que les modifications apportées soient justifiées par une évolution des circonstances ayant donné lieu à la fixation du premier contingent.

23 Le règlement attaqué aurait ainsi introduit une modification substantielle sans pour autant fournir une motivation qui non seulement identifierait les facteurs qui ont conduit à l'adoption de la mesure, mais aussi préciserait l'impact de cette mesure de façon à permettre aux intéressés de défendre leurs droits et à la Cour d'exercer son contrôle. L'allusion à «des perturbations dans les échanges commerciaux avec la république populaire de Chine», contenue dans le troisième considérant, constituerait une simple observation de fait qui ne suffirait pas à justifier la manière dont l'institution exerce le large pouvoir d'appréciation dont elle dispose (arrêt Compagnia italiana alcool/Commission, précité).

24 Le Conseil fait valoir que le gouvernement espagnol essaie d'appliquer la jurisprudence de la Cour portant sur la motivation des décisions de la Commission à la présente affaire, relative à un règlement du Conseil, alors que ce type d'acte n'est pas nécessairement soumis aux mêmes exigences que les décisions. Les considérants du règlement attaqué auraient un caractère élaboré et exhaustif, et ne se borneraient pas à une simple allusion aux perturbations dans les échanges. Au contraire, ils feraient apparaître clairement ce qui a conduit le Conseil à l'adopter et assureraient ainsi le respect de l'obligation de motivation résultant de l'article 190 du traité.

25 Par ailleurs, le règlement attaqué, dès lors qu'il se borne à modifier le niveau d'un contingent fixé par le règlement n_ 519/94, n'aurait pas introduit une modification substantielle de la situation existante. En tout état de cause, il appartiendrait aux institutions communautaires d'évaluer les éventuelles perturbations affectant la situation économique dans laquelle le règlement intervient et de décider des mesures à adopter en conséquence.

26 La Commission soutient également que la motivation fournie dans les considérants du règlement attaqué est suffisamment claire et précise. L'adaptation quantitative du contingent pour 1994 aurait été imposée par les perturbations constatées dans les échanges commerciaux avec la Chine. Le Conseil aurait, en particulier, essayé de maintenir un juste équilibre entre tous les intérêts en présence, c'est-à-dire, d'une part, l'exigence de protéger les secteurs de l'industrie communautaire concernée et, d'autre part, la nécessité de maintenir un niveau de commerce acceptable avec la Chine. L'arbitrage entre ces intérêts impliquerait nécessairement l'exercice d'un large pouvoir discrétionnaire par le Conseil.

27 La Commission ajoute que, s'il est vrai que le choix effectué pour les produits contingentés n'a pas fait l'objet d'une motivation spécifique et détaillée, les principaux éléments de fait et de droit sur lesquels le règlement se fonde et les raisons qui ont incité le Conseil à l'adopter ont été indiqués de manière claire et non équivoque dans le préambule du règlement attaqué.

28 A cet égard, il convient de rappeler que, comme le Conseil l'a fait observer à juste titre, selon une jurisprudence constante depuis l'arrêt du 13 mars 1968, Beus (5/67, Rec. p. 125, p. 143), la portée de l'obligation de motivation dépend de la nature de l'acte en cause et que, s'agissant d'actes destinés à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d'une part, la situation d'ensemble qui a conduit à son adoption et, d'autre part, les objectifs généraux qu'il se propose d'atteindre.

29 Il s'ensuit que la jurisprudence invoquée par le gouvernement espagnol, qui porte sur des décisions de la Commission concernant individuellement les requérants, n'est pas pertinente dans le cas d'actes à portée générale tels que le règlement attaqué.

30 Par ailleurs, la Cour a itérativement jugé que, si l'acte contesté fait ressortir l'essentiel de l'objectif poursuivi par l'institution, il serait excessif d'exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés (voir, notamment, arrêt du 22 janvier 1986, Eridania e.a., 250/84, Rec. p. 117, point 38).

31 En l'espèce, le Conseil a d'abord rappelé, dans le préambule du règlement attaqué, le contexte dans lequel il avait déterminé le niveau initial du contingent litigieux et les finalités qu'il avait ainsi poursuivies. Il a ensuite expliqué que l'application de ce contingent avait provoqué des perturbations affectant les secteurs économiques intéressés. Il en a conclu qu'une augmentation de ce contingent était opportune afin de faciliter la transition entre l'ancien régime d'importation et le nouveau.

32 Il y a donc lieu de considérer que cette motivation contient une description claire de la situation de fait et des objectifs suivis qui, au vu des circonstances de l'espèce, apparaît comme étant suffisante.

33 En effet, d'une part, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si la modification apportée par le règlement litigieux revêt un caractère substantiel, il convient de rappeler que les institutions communautaires disposent d'une marge d'appréciation lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de la politique commerciale commune (voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 1982, Edeka, 245/81, Rec. p. 2745, point 27; du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52/81, Rec. p. 3745, point 27; du 7 mai 1987, Koyo Seiko/Conseil, 256/84, Rec. p. 1899, point 20, Nippon Seiko/Conseil, 258/84, Rec. p. 1923, point 34, et Minebea/Conseil, 260/84, Rec. p. 1975, point 28).

34 En particulier, il appartient au Conseil d'apprécier si, en fonction des résultats produits par l'application de la réglementation qu'il édicte, il y a lieu d'en modifier certains éléments. Dès lors, contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol, le Conseil n'était pas tenu de faire état dans la motivation d'une évolution des circonstances ayant conduit à la fixation du premier contingent.

35 D'autre part, le Conseil ayant exposé les objectifs poursuivis, il n'avait pas à justifier les choix techniques effectués, et notamment l'importance de l'augmentation du contingent litigieux.

36 Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du principe de la protection de la confiance légitime

37 En second lieu, le gouvernement espagnol fait valoir que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil a violé le principe de la protection de la confiance légitime, en ce qu'il a omis de tenir compte de la situation des États membres et des opérateurs économiques concernés. Ceux-ci, en l'absence d'une modification des circonstances de fait, se seraient vu imposer dans un laps de temps très bref une modification du statu quo instauré par le règlement précédent, sans que ce changement ait été justifié par un intérêt public supérieur. Il en serait résulté un grave préjudice pour tous les opérateurs qui, au vu du règlement initial, avaient résilié ou différé leurs contrats.

38 Le gouvernement espagnol souligne qu'il s'estime habilité à invoquer la violation de la confiance légitime des opérateurs concernés, et notamment des opérateurs espagnols, dans le cadre d'un recours en annulation, surtout si l'on considère que les intéressés ne pourraient former un tel recours dans le cas d'espèce.

39 Le gouvernement espagnol ajoute que l'on ne saurait exiger d'un opérateur prudent et avisé qu'il prévoie un changement qui vide de tout contenu pratique le contingent antérieur, et cela à peine quatre mois après l'instauration de ce dernier. Les opérateurs concernés ne pourraient donc se voir reprocher un défaut de diligence ni se voir imposer une obligation d'assumer des risques dépassant les risques normaux, inhérents à l'exercice de leur activité.

40 Le Conseil doute d'abord que le règlement attaqué ait pu violer la confiance légitime du royaume d'Espagne. Ensuite, à supposer qu'un État membre soit en droit d'invoquer la violation du principe de la protection de la confiance légitime dans le chef des opérateurs économiques concernés, il y aurait lieu de constater que le Conseil a entièrement respecté ce principe. En effet, toute instauration ou modification des contingents communautaires aurait des effets sur les échanges et l'éventualité que ces derniers soient affectés sensiblement ferait partie des risques économiques inhérents aux secteurs concernés et connus de chaque opérateur économique prudent et avisé. Enfin, le Conseil doute que l'on puisse invoquer une confiance légitime lorsque la seule conséquence éventuelle de l'augmentation du contingent pour les opérateurs concernés consiste en un niveau de concurrence différent sur le marché communautaire des jouets. En tout état de cause, il incomberait au gouvernement requérant de fournir la preuve de l'existence d'une confiance légitime dans le chef des opérateurs économiques concernés par le règlement n_ 519/94.

41 La Commission fait valoir, pour sa part, que, lorsqu'un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l'adoption d'une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer une violation du principe de la protection de la confiance légitime lorsque cette mesure est adoptée. Dans le cas d'espèce, les affirmations du gouvernement espagnol quant à la violation de la confiance légitime ne se fonderaient sur aucune preuve ou commencement de preuve. En tout cas, rien n'aurait permis à un opérateur prudent et avisé de croire que le Conseil ne modifierait pas le contingent. En outre, tant les autorités espagnoles que les opérateurs économiques du secteur seraient intervenus très activement dans le processus d'élaboration à la fois du règlement n_ 519/94 et du règlement attaqué, ce qui leur aurait permis de connaître, bien à l'avance, le contenu de ces règlements. Enfin, le règlement n_ 519/94 prévoirait expressément tant l'instauration de contingents quantitatifs que leur modification afin de les adapter régulièrement à l'évolution de la situation économique. Par conséquent, la possibilité d'une adaptation, voire d'une suppression, des contingents établis aurait été connue et de telles interventions auraient été prévisibles.

42 Il convient de constater, à titre liminaire, que, même si le gouvernement espagnol prétend que le règlement attaqué porte atteinte également à la confiance légitime des États membres, ses arguments se réfèrent pour l'essentiel à la violation de la confiance légitime des opérateurs concernés. Cependant, nonobstant les doutes émis par le Conseil, rien ne s'oppose à ce qu'un État membre fasse valoir, dans le cadre d'un recours en annulation, qu'un acte des institutions porte atteinte à la confiance légitime de certains particuliers (voir, à cet égard, arrêts du 14 janvier 1987, Allemagne/Commission, 278/84, Rec. p. 1, points 34 à 36; du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, points 17 à 20, et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169/95, Rec. p. I-135, points 49 à 54).

43 Quant au bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler, d'une part, que, selon une jurisprudence constante, les institutions communautaires disposant d'une marge d'appréciation lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de la politique commerciale commune, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante, qui peut être modifiée par des décisions prises par ces institutions dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation (arrêts précités Edeka, point 27; Faust/Commission, point 27; Koyo Seiko/Conseil, point 20; Nippon Seiko/Conseil, point 34, et Minebea/Conseil, point 28).

44 D'autre part, dans le cas d'espèce, il résultait expressément du règlement n_ 519/94, et notamment de son sixième considérant et de ses articles 1er, paragraphe 4, et 4, paragraphe 3, que les contingents figurant à l'annexe II pouvaient faire l'objet d'adaptations. Dans ces conditions, des mesures telles que celles prévues par le règlement attaqué étaient largement prévisibles par les opérateurs concernés.

45 Il en découle que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil n'a pas violé le principe de la protection de la confiance légitime et que ce moyen ne peut donc être accueilli.

46 Les moyens invoqués par le gouvernement requérant n'étant pas fondés, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

47 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le royaume d'Espagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu, ainsi que le demande le Conseil, de le condamner aux dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) Le royaume d'Espagne est condamné aux dépens.

3) La Commission des Communautés européennes supportera ses propres dépens.