61994J0205

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 juin 1996. - Binder GmbH & Co. International contre Hauptzollamt Stuttgart-West. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Baden-Württemberg - Allemagne. - Fraises congelées - Mesures de sauvegarde. - Affaire C-205/94.

Recueil de jurisprudence 1996 page I-02871


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Actes des institutions ° Motivation ° Obligation ° Portée ° Règlements instituant des mesures de sauvegarde applicables aux importations de produits relevant de l' organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes

(Traité CEE, art. 190; règlements de la Commission n s 2198/90 et 3797/90)

2. Agriculture ° Organisation commune des marchés ° Produits transformés à base de fruits et légumes ° Mesures de sauvegarde à l' importation de fraises congelées telles qu' aménagées par les règlements n s 2198/90 et 3797/90 ° Principe de proportionnalité ° Violation ° Absence

(Règlements de la Commission n s 2198/90 et 3797/90)

Sommaire


1. La motivation exigée par l' article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l' acte en cause. Elle doit faire apparaître d' une façon claire et non équivoque le raisonnement de l' institution, auteur de l' acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure et à la Cour d' exercer son contrôle.

A cet égard, les règlements n s 2198/90 et 3797/90, relatifs aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées, ne sont pas entachés d' une insuffisance de motivation, car leurs considérants font apparaître clairement que la Commission a adopté et maintenu le système de prix minimaux à l' importation en raison des risques de perturbation du marché qu' entraînaient l' absence de respect des prix convenus avec les pays fournisseurs, l' augmentation sensible des quantités importées et le niveau sensiblement inférieur des prix des produits importés par rapport à celui des produits communautaires.

2. Dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes, les mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées originaires de la Pologne, instituées et maintenues par les règlements n s 2198/90 et 3797/90, dans une situation où existaient des risques de perturbations graves du marché communautaire, de nature à compromettre les objectifs fixés par l' article 39 du traité, n' ont pas constitué une violation du principe de proportionnalité.

En effet, en premier lieu, la Commission n' a pas méconnu ce principe en imposant, dans le cadre dudit règlement n 2198/90, un prix minimal à l' importation qui ne tenait pas compte de la qualité des fraises importées mais seulement de leur mode de transformation, étant donné, d' une part, que, avant l' entrée en vigueur de ce même règlement, les autorités polonaises s' étaient engagées à ce que leurs exportateurs respectent un prix moyen d' exportation, convenu pour chaque campagne de commercialisation, et déterminé pour les fraises congelées dans leur ensemble, sans distinction de qualité et, d' autre part, que, jusqu' à la date de l' entrée en vigueur dudit règlement n 3797/90, les autorités polonaises n' ont pas été en mesure d' assurer, notamment par la délivrance de certificats d' exportation, un contrôle de la qualité des fraises exportées, si bien que les autorités douanières de la Communauté n' ont pas été en mesure, jusqu' à cette date, d' assurer un contrôle efficace et uniforme des prix minimaux par qualité de fraises importées.

En deuxième lieu, elle ne l' a pas davantage méconnu en prévoyant la conversion du prix minimal, fixé en écus, en monnaie nationale sur la base des taux de conversion agricoles définis par l' article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement n 1676/85, car, d' une part, ladite disposition impose précisément le recours à ces taux en ce qui concerne les actes de la politique agrigole commune, et, d' autre part, le prix à l' importation auquel conduisait la conversion opérée suivant cette modalité n' excédait pas le niveau nécessaire à l' efficacité des mesures de sauvegarde.

Enfin, la durée d' application dudit règlement n 3797/90 ne peut pas être considérée comme excessive, car, durant toute cette période, les conditions du marché communautaire et, notamment, les conditions d' importation des fraises congelées en provenance des pays tiers n' ont pas été substantiellement modifiées.

Parties


Dans l' affaire C-205/94,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CE, par le Finanzgericht Baden-Wuerttemberg (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Binder GmbH & Co. International

et

Hauptzollamt Stuttgart-West,

une décision à titre préjudiciel sur la validité du règlement (CEE) n 2198/90 de la Commission, du 27 juillet 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées, de framboises congelées, de fraises conservées provisoirement et de framboises conservées provisoirement, originaires de la Pologne (JO L 198, p. 53), et du règlement (CEE) n 3797/90 de la Commission, du 21 décembre 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de certains fruits rouges semi-transformés originaires de Pologne et de Yougoslavie (JO L 365, p. 22),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J.-P. Puissochet (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida, L. Sevón et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

° pour le gouvernement espagnol, par M. Alberto José Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Gloria Calvo Díaz, abogado del Estado, du service du contentieux communautaire, en qualité d' agents,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Claudia Schmidt, membre du service juridique, en qualité d' agent,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de la demanderesse au principal, représentée par Me Felix Kuebler, avocat à Stuttgart, du gouvernement espagnol, représenté par Mme Gloria Calvo Díaz, et de la Commission, représentée par Mme Claudia Schmidt, à l' audience du 14 mars 1996,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 30 avril 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 6 juillet 1994, parvenue à la Cour le 14 juillet suivant, le Finanzgericht Baden-Wuerttemberg a posé à la Cour, en application de l' article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles portant, l' une, sur la validité du règlement (CEE) n 2198/90 de la Commission, du 27 juillet 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées, de framboises congelées, de fraises conservées provisoirement et de framboises conservées provisoirement, originaires de la Pologne (JO L 198, p. 53), l' autre, sur la validité du règlement (CEE) n 3797/90 de la Commission, du 21 décembre 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de certains fruits rouges semi-transformés originaires de Pologne et de Yougoslavie (JO L 365, p. 22).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d' un litige opposant Binder GmbH & Co. International (ci-après "Binder") au Hauptzollamt Stuttgart-West au sujet de taxes compensatoires réclamées à cette entreprise pour l' importation en Allemagne de fraises congelées provenant de Pologne.

3 Le règlement (CEE) n 426/86 du Conseil, du 24 février 1986, portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (JO L 49, p. 1), a instauré un régime d' aides à la production et de régulation des échanges avec les pays tiers, en vue d' améliorer la compétitivité des produits communautaires transformés à base de fruits et légumes. Selon son article 1er, ce règlement s' applique, notamment, aux fruits à l' état congelé sans addition de sucre.

4 L' article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement dispose:

"Si, dans la Communauté, le marché d' un ou de plusieurs produits visés à l' article 1er subit ou est menacé de subir, du fait des importations ou des exportations, des perturbations graves susceptibles de mettre en péril les objectifs de l' article 39 du traité, des mesures appropriées peuvent être appliquées dans les échanges avec les pays tiers jusqu' à ce que la perturbation ou la menace de perturbation ait disparu."

5 L' article 1er du règlement (CEE) n 521/77 du Conseil, du 14 mars 1977, définissant les modalités d' application des mesures de sauvegarde dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (JO L 73, p. 28), qui a été maintenu en vigueur pour l' application du règlement n 426/86, prévoit que, pour apprécier si une telle situation se présente, il est tenu compte en particulier:

"a) du volume des importations ou des exportations réalisées ou prévisibles;

b) des disponibilités de produits sur le marché de la Communauté;

c) des prix pratiqués sur le marché de la Communauté pour les produits indigènes ou de l' évolution prévisible de ces prix, et notamment de leur tendance à une baisse ou à une hausse excessive par rapport aux prix des dernières années;

d) des prix pratiqués sur le marché de la Communauté, ramenés à un stade comparable, pour les produits en provenance des pays tiers, et notamment de leur tendance à une baisse excessive, si la situation visée in limine se présente du fait des importations".

6 Au nombre des mesures de sauvegarde qui peuvent être prises figure l' instauration d' un système de prix minimaux à l' importation avec taxe compensatoire [article 2, paragraphe 1, sous c), premier tiret du règlement n 521/77]. Ces mesures "ne peuvent être prises que dans la mesure et pour la durée strictement nécessaires. [...] Elles peuvent être limitées à certaines provenances, origines, destinations, qualités ou présentations. [...]" (article 2, paragraphe 2, du même règlement).

7 C' est sur la base de ces dispositions que la Commission a adopté les règlements litigieux.

8 Le règlement n 2198/90 a fixé un prix minimal pour l' importation, notamment, des fraises congelées sans addition de sucre, originaires de Pologne, et a prévu que toute importation de ces produits à un prix inférieur au minimum ferait l' objet d' une taxe compensatoire. Le règlement était applicable jusqu' au 31 décembre 1990.

9 Le règlement n 3797/90 a maintenu en vigueur le système des prix minimaux avec taxe compensatoire jusqu' au 31 mars 1991. Il a cependant fixé des prix minimaux différents selon que les fruits étaient entiers ou non.

10 L' application de ce règlement a été prorogée jusqu' au 31 juillet 1991 puis jusqu' au 25 septembre 1991 respectivement par le règlement (CEE) n 810/91 de la Commission, du 27 mars 1991 (JO L 82, p. 49), et par le règlement (CEE) n 2152/91 de la Commission, du 22 juillet 1991 (JO L 200, p. 16).

11 Binder a importé de Pologne des fraises congelées sans addition de sucre du mois de novembre 1990 au mois de septembre 1991. A la suite d' une enquête, le Hauptzollamt Stuttgart-West a acquis la conviction que Binder ne respectait pas les prix minimaux prescrits par la réglementation communautaire. Il lui a donc imposé le paiement de taxes compensatoires.

12 Binder a demandé au Finanzgericht Baden-Wuerttemberg de suspendre ou, le cas échéant, d' annuler la décision de recouvrement de ces taxes. L' entreprise requérante a fait valoir que les règlements nos 2198/90 et 3797/90 n' étaient pas valides pour les raisons suivantes: en premier lieu, il n' y aurait pas eu de perturbation ni de menace de perturbation du marché ainsi que cela ressortait des pièces qu' elle produisait au dossier; en deuxième lieu, les règlements litigieux n' étaient pas suffisamment motivés; en troisième lieu, les mesures de sauvegarde adoptées ne respectaient pas le principe de proportionnalité. Sur ce dernier point, la demanderesse au principal a fait valoir que le règlement n 2198/90 ne distinguait pas entre les différentes catégories de fraises, qu' il comportait une augmentation dissimulée du prix minimal à l' importation à travers un rattachement à l' écu "vert", et que la durée d' application des mesures litigieuses était excessive.

13 Afin de répondre à cette argumentation, le Finanzgericht Baden-Wuerttemberg a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Le règlement (CEE) n 2198/90 de la Commission, du 27 juillet 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées, de framboises congelées, de fraises conservées provisoirement et de framboises conservées provisoirement, originaires de Pologne (JO L 198 du 28 juillet 1990, p. 53), est-il invalide dans l' intégralité de son champ d' application jusqu' au 31 décembre 1990?

2) Le règlement (CEE) n 3797/90 de la Commission, du 21 décembre 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de certains fruits rouges semi-transformés originaires de Pologne et de Yougoslavie (JO L 365 du 28 décembre 1990, p. 22), est-il invalide dans son champ d' application initial jusqu' au 31 mars 1991 ainsi que dans son champ d' application prorogé jusqu' au 31 juillet 1991, puis jusqu' au 25 septembre 1991 [règlements (CEE) nos 810/91 et 2152/91 de la Commission du 27 mars 1991 et du 22 juillet 1991, modifiant respectivement le règlement (CEE) n 3797/90 (JO L 82 du 28 mars 1991, p. 49; L 200 du 23 juillet 1991, p. 16)]?"

14 Par ces deux questions, qui peuvent être examinées ensemble, la juridiction de renvoi s' interroge sur la validité des règlements n 2198/90 et n 3797/90 au regard des différents arguments soulevés par Binder devant elle. Il convient donc d' aborder successivement ces arguments.

Sur l' existence d' une perturbation grave du marché

15 Binder soutient que, au regard des critères fixés par l' article 1er du règlement n 521/77, le marché communautaire des fraises congelées n' a pas connu de perturbation grave ou de risque de perturbation grave durant la période en cause. S' appuyant sur un rapport de la Zentrale Markt- und Preisberichtstelle fuer Erzeugnisse der Land-, Forst- und Ernaehrungswirtschaft GmbH (observatoire central des prix et des marchés pour les produits de l' agriculture, de la sylviculture et du secteur de l' alimentation), la requérante au principal fait valoir que l' augmentation des importations de fraises congelées survenue en 1990 est due au fait que la production communautaire ne permettait pas de satisfaire les besoins de l' industrie communautaire de la transformation en fraises de la variété "Senga Sengana", qui n' était quasiment pas produite dans la Communauté. Elle ajoute que les quantités de fraises produites dans la Communauté et destinées à la transformation étaient faibles à l' époque, le marché des fruits frais n' étant plus excédentaire comme il l' avait été durant les trois années précédentes. Elle fait également valoir que le prix de ces produits est resté globalement stable entre 1989 et 1993 et que le prix moyen des fraises congelées importées de Pologne a été plus élevé en 1990 et 1991 qu' en 1989.

16 La Commission et le gouvernement espagnol soutiennent, au contraire, qu' il y avait des risques sérieux de perturbation du marché à l' époque à laquelle les règlements litigieux ont été adoptés. Ils font valoir que, à partir de 1989, les autorités polonaises n' ont plus été en mesure de contrôler les exportations de fraises congelées et, par voie de conséquence, d' assurer le respect des accords d' autolimitation conclus entre la Pologne et la Communauté à ce sujet. Les importations de fraises congelées en provenance de Pologne ont, de ce fait, fortement augmenté au cours du premier semestre de l' année 1990, ce qui a entraîné une forte chute des prix sur le marché communautaire. Selon la Commission, les pièces produites par Binder, qui ne concernent qu' une seule variété de fraises, ne sont pas de nature à contredire cette analyse qui portait sur l' ensemble du marché des fraises congelées et non, arbitrairement, sur telle ou telle variété.

17 Conformément à une jurisprudence constante (voir arrêts du 12 avril 1984, Wuensche, 345/82, Rec. p. 1995, point 21, et du 29 février 1996, France et Irlande/Commission, C-296/93 et C-307/93, non encore publié au Recueil, point 32), il convient de vérifier si la Commission n' a pas commis une erreur manifeste dans l' évaluation de la situation du marché en cause.

18 Il y a lieu de relever, tout d' abord, que Binder ne conteste pas que l' accord d' autolimitation des exportations de fraises congelées conclu entre la Pologne et la Communauté pour la campagne 1989/1990 n' a pas été respecté et qu' aucun accord du même type n' a pu être conclu pour la campagne 1990/1991.

19 Il ressort, ensuite, des statistiques officielles produites par la Commission que les importations de fraises congelées dans la Communauté ont atteint, dès la fin du premier semestre de l' année 1990, un volume comparable à celui des importations de chacune des deux années précédentes. Cette augmentation des quantités importées, due presque exclusivement aux importations en provenance de Pologne, s' est accompagnée d' une baisse sensible, de l' ordre de 30 %, du prix des importations durant la même période.

20 Les éléments versés au dossier par Binder ne permettent pas de tenir pour établi que l' augmentation des importations en provenance de Pologne était imputable essentiellement sinon exclusivement au fait que la production communautaire ne pouvait pas satisfaire les besoins de l' industrie communautaire de la transformation. D' une part, il n' apparaît pas que les fraises produites dans la Communauté et celles importées de Pologne n' aient pas été substituables du point de vue des transformateurs. D' autre part, comme le relève M. l' avocat général au point 36 de ses conclusions, si l' insuffisance de la production communautaire peut expliquer la hausse du volume des importations, elle ne permet pas d' expliquer la baisse du prix des importations qui a été enregistrée au cours du premier semestre 1990. Il est plus vraisemblable de s' attendre, au contraire, à ce que le faible niveau des prix à l' importation incite les transformateurs à se tourner davantage vers les produits importés.

21 En outre, Binder ne peut pas utilement invoquer les évolutions de prix constatées après l' entrée en vigueur des mesures de sauvegarde pour soutenir que les conditions de leur adoption n' étaient par réunies. Il convient de relever d' ailleurs, comme le fait M. l' avocat général au point 40 de ses conclusions, que le prix moyen des fraises importées de Pologne sous forme congelée était moins élevé en 1990 et 1991 qu' en 1989, contrairement à ce que prétend Binder.

22 Dans ces conditions, la Commission n' a pas commis d' erreur manifeste d' appréciation en retenant qu' il existait des risques de perturbations graves du marché communautaire, de nature à compromettre les objectifs fixés par l' article 39 du traité CE.

Sur la motivation des règlements litigieux

23 Binder fait valoir que les motifs des règlements ne font pas ressortir les raisons pour lesquelles les prix minimaux ont été instaurés et ne permettent pas de vérifier si la Commission a pris en compte les critères mentionnés à l' article 1er du règlement n 521/77.

24 La Commission et le gouvernement espagnol font valoir que les considérants des règlements litigieux indiquent les raisons pour lesquelles les mesures litigieuses ont été instaurées puis maintenues.

25 Selon la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêt France et Irlande/Commission, précité, point 72), la motivation exigée par l' article 190 du traité CEE doit être adaptée à la nature de l' acte en cause. Elle doit faire apparaître d' une façon claire et non équivoque le raisonnement de l' institution, auteur de l' acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d' exercer son contrôle.

26 A cet égard, les considérants des règlements litigieux font apparaître clairement que la Commission a adopté et maintenu le système de prix minimaux à l' importation en raison des risques de perturbation du marché qu' entraînaient l' absence de respect des prix convenus avec les pays fournisseurs, l' augmentation sensible des quantités importées et le niveau sensiblement inférieur des prix des produits importés par rapport à celui des produits communautaires.

27 Les règlements litigieux ne sont donc pas entachés d' une insuffisance de motivation.

Sur la proportionnalité des mesures adoptées

28 Binder fait valoir, en premier lieu, que la Commission n' a pas respecté le principe de proportionnalité en adoptant le règlement n 2198/90, faute, pour elle, d' avoir prévu des prix minimaux d' importation différents selon les catégories de fraises congelées, contrairement à ce qu' elle a fait dans le règlement n 3797/90.

29 La Commission et le gouvernement espagnol rétorquent que les autorités communautaires devaient prendre des mesures de sauvegarde pour l' ensemble du marché et non pour telle ou telle qualité de fraises déterminée arbitrairement. La Commission ajoute que, les autorités polonaises n' étant pas, à l' époque, en mesure de délivrer des certificats d' exportation permettant de contrôler la qualité des fraises congelées importées, il était impossible d' opérer une différenciation. Celle-ci avait d' ailleurs été faite dès que les autorités polonaises avaient mis en place un système de contrôle permettant cette différenciation.

30 Il ressort des pièces versées au dossier que, avant l' entrée en vigueur des mesures de sauvegarde litigieuses, les autorités polonaises s' étaient engagées à ce que leurs exportateurs respectent un prix moyen d' exportation, convenu pour chaque campagne de commercialisation, et déterminé pour les fraises congelées dans leur ensemble, sans distinction de qualité. Il apparaît également que, jusqu' au 1er janvier 1991, les autorités polonaises n' ont pas été en mesure d' assurer, notamment par la délivrance de certificats d' exportation, un contrôle de la qualité des fraises exportées si bien que les autorités douanières de la Communauté n' ont pas été en mesure, jusqu' à cette date, d' assurer un contrôle efficace et uniforme des prix minimaux par qualité de fraises importées. Dans ces conditions, la Commission a pu, sans méconnaître le principe de proportionnalité, décider d' imposer un prix minimal à l' importation qui ne tenait pas compte de la qualité des fraises importées mais seulement de leur mode de transformation.

31 Binder fait valoir, en deuxième lieu, que les prix minimaux étaient libellés en écus et convertis en monnaie nationale sur la base des taux de conversion agricoles définis par l' article 2 du règlement (CEE) n 1676/85 du Conseil, du 11 juin 1985, relatif à la valeur de l' unité de compte et aux taux de conversion à appliquer dans le cadre de la politique agricole commune (JO L 164, p. 1). La requérante au principal soutient que l' utilisation de ces taux de conversion a eu pour effet de majorer, de manière arbitraire, le montant, exprimé en monnaie nationale, des prix minimaux à l' importation par rapport à ce qu' il aurait été si la conversion s' était faite sur la base du taux pivot fixé pour la monnaie nationale par rapport à l' écu.

32 La Commission fait valoir, tout d' abord, que l' utilisation des taux de conversion agricoles est imposée par les dispositions combinées des articles 1er et 2 du règlement n 1676/85. Elle fait valoir, ensuite, que ce mode de calcul, qui a eu effectivement pour effet d' induire une augmentation de l' ordre de 13 à 14 % des prix à l' importation, était justifié par la nécessité de réajuster les prix à l' importation qui n' avaient pas été modifiés depuis deux ans dans le cadre des accords d' autolimitation passés entre la Commission et la Pologne.

33 Il convient à cet égard de relever que, en vertu de l' article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement n 1676/85, la conversion en monnaie d' un État membre des montants exprimés en écus se fait à l' aide des taux de conversion agricoles en ce qui concerne les actes de la politique agricole commune, au nombre desquels figurent les actes fondés directement ou indirectement sur l' article 43 du traité CEE [voir article 1er, paragraphe 2, sous a), du même règlement]. Dès lors, les prix minimaux à l' importation fixés par les règlements litigieux devaient être exprimés dans la monnaie de l' État membre d' importation à l' aide des taux de conversion agricoles.

34 En outre, compte tenu des prix moyens retenus par les accords d' autolimitation pour les campagnes précédentes (845 écus/tonne pour la campagne 1986/1987; 860 écus/tonne pour la campagne 1987/1988 et 880 écus/tonne pour les campagnes 1988/1989 et 1989/1990) et du caractère protecteur des mesures litigieuses, il n' est pas établi que le montant de 88 écus/100 kg fixé pour les fraises congelées sans addition de sucre par le règlement n 2198/90 ni, d' ailleurs, celui de 92 écus/100 kg fixé par le règlement n 3797/90 aient excédé le niveau nécessaire à l' efficacité des mesures de sauvegarde, ainsi que l' exige la jurisprudence de la Cour (voir arrêt du 11 février 1988, National Dried Fruit Trade Association, 77/86, Rec. p. 757, point 22).

35 Binder considère, en troisième lieu, que la durée des mesures de sauvegarde a été excessive. Selon elle, les prix à l' importation avaient dépassé les prix du marché communautaire dès la fin de l' année 1990 si bien que les mesures de sauvegarde auraient dû être supprimées à compter du 1er janvier 1991.

36 La Commission et le gouvernement espagnol font valoir que, s' il est exact que les prix à l' importation ont dépassé les prix du marché communautaire, les risques de perturbations du marché ont subsisté jusqu' à la fin de l' année 1991, car les conditions de production et d' exportation des pays tiers n' avaient pas changé. La Commission relève, en particulier, qu' aucun accord n' avait été conclu avec les autorités des pays exportateurs durant cette période.

37 La requérante au principal ne conteste le maintien des mesures litigieuses que pour la période postérieure à la fin de l' année 1990. Son argumentation ne met donc pas en cause le règlement n 2198/90, qui n' était plus applicable après cette date. D' autre part, durant toute la durée d' application du règlement n 3797/90, qui a été prolongée à deux reprises, les conditions du marché communautaire et, notamment, les conditions d' importation des fraises congelées en provenance des pays tiers n' ont pas été substantiellement modifiées. En particulier, les autorités communautaires n' étaient toujours pas parvenues à conclure des accords avec les pays tiers en ce qui concerne les conditions d' importation de ces produits dans la Communauté. Les pièces versées au dossier révèlent, d' ailleurs, que l' augmentation des importations en provenance de Pologne s' est poursuivie tout au long de la période litigieuse et que le prix de ces produits est demeuré assez nettement inférieur à celui des produits de la Communauté. Dans ces conditions, la durée des mesures de sauvegarde ne peut pas être considérée comme excessive.

38 Il y a donc lieu de constater que l' examen des questions préjudicielles n' a pas révélé d' éléments affectant la validité du règlement n 2198/90 ni celle du règlement n 3797/90.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

39 Les frais exposés par le gouvernement espagnol ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht Baden-Wuerttemberg, par ordonnance du 6 juillet 1994, dit pour droit:

L' examen des questions préjudicielles n' a pas révélé d' éléments affectant la validité du règlement (CEE) n 2198/90 de la Commission, du 27 juillet 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de fraises congelées, de framboises congelées, de fraises conservées provisoirement et de framboises conservées provisoirement, originaires de la Pologne, ni celle du règlement (CEE) n 3797/90 de la Commission, du 21 décembre 1990, relatif aux mesures de sauvegarde applicables aux importations de certains fruits rouges semi-transformés originaires de Pologne et de Yougoslavie.