61994J0111

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 19 octobre 1995. - Job Centre Coop. ARL. - Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Milano - Italie. - Législation nationale qui exclut les entreprises privées de l'exercice des activités de placement des travailleurs - Incompétence de la Cour. - Affaire C-111/94.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-03361


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


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Questions préjudicielles ° Saisine de la Cour ° Juridiction nationale au sens de l' article 177 du traité ° Notion ° Juge statuant dans le cadre d' une procédure de juridiction gracieuse ° Exclusion

(Traité CE, art. 177)

Sommaire


Si l' article 177 du traité ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule une question préjudicielle, il résulte néanmoins de cette disposition que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d' une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.

Ne peut donc saisir la Cour un juge qui fait acte d' autorité administrative en statuant, dans le cadre d' une procédure dite de juridiction gracieuse, sur une demande d' homologation des statuts d' une société aux fins de son inscription au registre du commerce. En effet, il intervient en dehors de tout litige, un litige, et donc un contentieux, en l' occurrence un recours en annulation, ne pouvant se développer qu' à partir d' un refus d' homologation.

Parties


Dans l' affaire C-111/94,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CE, par le Tribunale civile e penale di Milano (Italie) et tendant à obtenir, dans la procédure gracieuse (giurisdizione volontaria) engagée devant cette juridiction par

Job Centre Coop. arl,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 48, 55, 59, 60, 66, 86 et 90 du traité CE,

LA COUR (sixième chambre),

composée de MM. G. F. Mancini, faisant fonction de président de chambre, F. A. Schockweiler, P. J. G. Kapteyn (rapporteur), J. L. Murray et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. M. B. Elmer,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

° pour Job Centre Coop. arl, par Mes Pietro Ichino, Guglielmo Burragato et Caterina Rucci, avocats au barreau de Milan,

° pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, et Bernd Kloke, Regierungsrat au même ministère, en qualité d' agents,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Marie-José Jonczy, conseiller juridique, et M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de Job Centre Coop. arl, du gouvernement italien, représenté par M. Danilo Del Gaizo, avvocato dello Stato, et de la Commission, représentée par Mme Marie-José Jonczy et M. Enrico Traversa, membre du service juridique, à l' audience du 23 mars 1995,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 8 juin 1995,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 31 mars 1994, parvenue à la Cour le 11 avril suivant, le Tribunale civile e penale di Milano a posé, en vertu de l' article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles sur l' interprétation des articles 48, 55, 59, 60, 66, 86 et 90 du traité CE.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' une demande d' homologation de l' acte constitutif de la société Job Centre (ci-après "JCC") déposée par les représentants de cette dernière devant le Tribunale civile e penale di Milano, conformément à l' article 2330, paragraphe 3, du code civil italien.

3 JCC est une société coopérative à responsabilité limitée en cours de constitution dont le siège est à Milan. Selon ses statuts son activité consistera notamment dans l' exercice d' activités d' intermédiaire entre demandes et offres d' emplois et de fourniture temporaire de prestations de travail à des tiers. Son but est de permettre aux travailleurs et aux entreprises, membres et non membres, de bénéficier de tels services sur le marché italien et communautaire de l' emploi.

4 En Italie, le marché du travail est soumis au régime du placement obligatoire géré par des bureaux de placement publics. Ce régime est réglementé par la loi n 264 du 29 avril 1949. L' article 11, paragraphe 1, de cette loi interdit l' exercice de toute médiation entre l' offre et la demande de travail rémunéré, même si cette activité est effectuée à titre gratuit. L' article 1er, premier alinéa, de la loi n 1369 du 23 octobre 1960 interdit la médiation et l' interposition dans les relations de travail dont l' inobservation entraîne notamment l' application de sanctions pénales.

5 Devant le Tribunale civile e penale di Milano, JCC a fait valoir que les interdictions de l' activité de placement privée et de la mise à disposition de travailleurs intérimaires sont contraires au droit communautaire. C' est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a soumis à la Cour les questions suivantes:

"1) Les dispositions nationales en matière de placement et de travail intérimaire peuvent-elles, compte tenu de leur caractère d' intérêt général dans la mesure où elles visent à protéger les travailleurs et l' économie nationale, être considérées comme relevant de l' exercice de l' autorité publique, au sens des dispositions combinées des articles 66 et 55 du traité instituant la Communauté économique européenne?

2) Les dispositions communautaires invoquées par les demandeurs, en l' absence de mesures précises d' application dans le domaine en question, peuvent-elles être considérées comme étant d' application directe (avec cette conséquence que les finalités d' intérêt général poursuivies par les lois italiennes en vigueur en matière de placement et de travail intérimaire se trouvent compromises) et permettent-elles à toute personne, publique ou privée, d' exercer, sans aucun contrôle ni autorisation spécifiques, toute activité d' intermédiaire entre demandes et offres d' emplois et/ou de fourniture temporaire de main-d' oeuvre à des tiers lorsque l' État membre n' est pas en mesure de satisfaire pleinement avec son propre appareil administratif la demande de services que présente le marché de l' emploi?"

6 La Commission et le gouvernement italien ont soulevé des objections quant à la recevabilité des questions posées. Ils ont notamment fait valoir que celles-ci ont été posées dans le cadre d' une procédure dite de "juridiction gracieuse" qui n' est pas destinée à aboutir à une décision pour résoudre un litige à la suite d' une procédure contradictoire préalable, en sorte que cette décision serait de caractère administratif.

7 Il apparaît de l' examen du dossier que la demande d' homologation des statuts d' une société est examinée, en Italie, dans le cadre d' une procédure de "giurisdizione volontaria". En l' espèce, la demande a été introduite devant le Tribunale civile e penale di Milano. Conformément à l' article 2330, paragraphe 3, du code civil italien, le Tribunale, s' il constate que les statuts de la société satisfont aux conditions prévues par la loi, ordonne, après avoir entendu le ministère public, l' inscription de la société au registre. L' article 2331, paragraphe 1, dispose que, avec l' inscription au registre, la société acquiert la personnalité juridique. La personne habilitée par la loi à demander l' homologation ou l' inscription au registre peut introduire, à l' encontre d' une décision de refus, le recours prévu respectivement aux articles 2330, paragraphe 4, ou 2189, paragraphe 3, du code civil italien.

8 Aux termes de l' article 177 du traité, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l' interprétation du traité et des actes pris par les institutions de la Communauté. Le deuxième alinéa de cet article ajoute que "Lorsqu' une telle question est soulevée devant une juridiction d' un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu' une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question."

9 Si cette disposition ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule une question préjudicielle (voir, en dernier lieu, arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18/93, Rec. p. I-1783, point 12), il résulte néanmoins de l' article 177 que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d' une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (ordonnances du 18 juin 1980, Borker, 138/80, Rec. p. 1975, point 4, et du 5 mars 1986, Greis Unterweger, 318/85, Rec. p. 955, point 4).

10 Tel n' est pas le cas en l' occurrence.

11 Le juge de renvoi, lorsqu' il statue selon les dispositions nationales applicables et dans le cadre d' une procédure de "giurisdizione volontaria" sur une demande d' homologation des statuts d' une société aux fins de l' inscription de celle-ci au registre, exerce une fonction non juridictionnelle qui, par ailleurs, dans d' autres États membres est confiée à des autorités administratives. En effet, il fait acte d' autorité administrative sans qu' il soit en même temps appelé à trancher un litige. Ce n' est qu' au cas où la personne habilitée par la loi nationale à demander l' homologation introduit un recours à l' encontre d' un refus d' homologation et, par conséquent, d' enregistrement, que la juridiction saisie peut être considérée comme exerçant, au sens de l' article 177, une fonction de nature juridictionnelle ayant pour objet l' annulation d' un acte lésant un droit du demandeur (voir arrêt du 12 novembre 1974, Haaga, 32/74, Rec. p. 1201).

12 Il s' ensuit que la Cour n' a pas compétence pour statuer sur les questions posées par le Tribunale civile e penale di Milano.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

13 Les frais exposés par le gouvernement italien, par le gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

déclare et arrête:

La Cour de justice des Communautés européennes est incompétente pour répondre aux questions posées par le Tribunale civile e penale di Milano par son ordonnance de renvoi du 31 mars 1994.