61994J0021

Arrêt de la Cour du 5 juillet 1995. - Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne. - Directive 93/89/CEE relative à l'application par les Etats membres des taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route, ainsi que des péages et droits d'usage perçus pour l'utilisation de certaines infrastructures - Nouvelle consultation du Parlement européen. - Affaire C-21/94.

Recueil de jurisprudence 1995 page I-01827


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Actes des institutions ° Procédure d' élaboration ° Consultation régulière du Parlement ° Formalité substantielle ° Reconsultation en cas de modification substantielle apportée à la proposition initiale ° Notoriété de l' opinion du Parlement ° Défaut de pertinence

2. Transports ° Transports par route ° Dispositions fiscales ° Harmonisation des législations ° Taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route et charges routières pour l' utilisation de certaines infrastructures ° Directive 93/89 ° Différences substantielles par rapport à la proposition initiale de la Commission ° Absence de reconsultation du Parlement ° Violation des formes substantielles ° Illégalité

(Traité CEE, art. 75 et 99; directive du Conseil 93/89)

3. Recours en annulation ° Arrêt d' annulation ° Effets ° Limitation par la Cour ° Cas d' une directive ° Devoir du Conseil de remédier dans un délai raisonnable à l' irrégularité substantielle à l' origine de l' annulation

(Traité CE, art. 173 et 174, alinéa 2)

Sommaire


1. La consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l' acte concerné. La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l' équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l' expression d' un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l' exercice du pouvoir par l' intermédiaire d' une assemblée représentative.

L' exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l' exigence d' une nouvelle consultation du Parlement européen chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s' écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l' exception des cas où les amendements correspondent, pour l' essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même.

Il n' est pas possible à l' institution qui adopte le texte final de se soustraire à cette exigence au motif qu' elle serait suffisamment informée de l' opinion du Parlement sur les points essentiels en cause, car cela aboutirait à compromettre gravement la participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, qui est essentielle au maintien de l' équilibre institutionnel voulu par le traité, et reviendrait à méconnaître l' influence que peut avoir sur l' adoption de l' acte en cause la consultation régulière du Parlement.

2. Il résulte du rapprochement de la proposition de la Commission à l' origine de la directive 93/89 et du contenu de celle-ci, telle qu' adoptée par le Conseil, que, s' agissant de l' objectif de mise en place d' un système harmonisé de taxation routière comprenant les taxes sur les véhicules, les droits d' accises sur le carburant et les charges routières pour l' utilisation de certaines infrastructures et prenant en considération les coûts d' infrastructure et les coûts externes, à un texte imposant à la Commission de soumettre un rapport assorti de propositions en vue de la réalisation dudit objectif aux fins de l' adoption par le Conseil d' un système harmonisé au plus tard le 31 décembre 1998 en a été substitué un autre, selon lequel non seulement le Conseil n' est plus tenu d' adopter, dans le délai indiqué, le système harmonisé en cause, mais encore la Commission n' est plus tenue de présenter, dans son rapport, des propositions en vue de l' établissement d' un régime d' imputation fondé sur le principe de territorialité.

De telles modifications sont de nature substantielle. Ne correspondant à aucun souhait du Parlement et affectant le système du projet dans son ensemble, elles supposaient, s' agissant d' une procédure législative régie par les articles 75 et 99 du traité, une nouvelle consultation du Parlement. Le fait qu' il n' y ait pas été procédé constitue une violation des formes substantielles, qui doit entraîner l' annulation de la directive 93/89.

3. La nécessité d' éviter que l' annulation, pour violation de l' obligation de procéder à une consultation régulière du Parlement, de la directive 93/89 relative aux taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route et aux charges routières pour l' utilisation de certaines infrastructures ne crée une discontinuité dans le programme d' harmonisation de la fiscalité des transports ainsi que d' importants motifs de sécurité juridique, comparables à ceux qui interviennent en cas d' annulation de certains règlements, justifient que la Cour exerce le pouvoir que lui confère expressément l' article 174, deuxième alinéa, du traité en cas d' annulation d' un règlement et décide le maintien provisoire de l' ensemble des effets de la directive annulée jusqu' à l' adoption par le Conseil d' une nouvelle directive.

A cet égard, si la Cour n' est pas compétente, dans le cadre d' un contrôle de légalité fondé sur l' article 173 du traité, pour prononcer une injonction imposant au Conseil un délai dans lequel celui-ci devrait adopter une nouvelle réglementation en la matière, le Conseil a néanmoins le devoir de remédier, dans un délai raisonnable, à l' irrégularité commise.

Parties


Dans l' affaire C-21/94,

Parlement européen, représenté par MM. Johann Schoo, chef de division au service juridique, et Jannis Pantalis, membre du même service, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès du secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Conseil de l' Union européenne, représenté par MM. Antonio Sacchettini, directeur au service juridique, et Amadeu Lopes Sabino, conseiller juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Eynard, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d' investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenue par

République fédérale d' Allemagne, représentée par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, et Bernd Kloke, Regierungsrat au même ministère, en qualité d' agents,

et par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, représenté initialement par Mme Lucinda Hudson, puis par Mme Lindsey Nicoll, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

parties intervenantes,

ayant pour objet un recours tendant à l' annulation de la directive 93/89/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993, relative à l' application par les États membres des taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route, ainsi que des péages et droits d' usage perçus pour l' utilisation de certaines infrastructures (JO L 279, p. 32),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, F. A. Schockweiler, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann et P. Jann, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. N. Kakouris, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), J. L. Murray, D. A. O. Edward, G. Hirsch, H. Ragnemalm et L. Sevón, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 28 mars 1995,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 janvier 1994, le Parlement européen a, en vertu de l' article 173 du traité CE, demandé l' annulation de la directive 93/89/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993, relative à l' application par les États membres des taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route, ainsi que des péages et droits d' usage perçus pour l' utilisation de certaines infrastructures (JO L 279, p. 32).

2 Il ressort du dossier que l' acte attaqué trouve son origine dans la proposition de directive COM (87) 716 final, relative à l' imputation des coûts d' infrastructure de transport à certains véhicules utilitaires (JO 1988, C 79, p. 8), laquelle a été modifiée à deux reprises. La seconde modification COM (92) 405 final de la proposition (JO C 311, p. 63, ci-après la "proposition") a été présentée par la Commission au Conseil le 26 octobre 1992 et approuvée par le Parlement européen le 18 décembre 1992, sous réserve de deux modifications mineures (JO 1993, C 21, p. 522).

3 Cette proposition, fondée sur les articles 75 et 99 du traité CEE, prévoyait, à son article 9, que le Conseil adopterait aussitôt que possible les mesures appropriées en vue de la mise en place d' un système harmonisé de taxation routière fondé sur le principe de territorialité (paragraphe 1). A cette fin, la Commission devait soumettre, avant le 1er janvier 1998, un rapport au Conseil, assorti de propositions en vue de la réalisation de l' objectif mentionné au paragraphe 1. Le Conseil, statuant sur ces propositions, devait alors adopter, au plus tard le 31 décembre 1998, un système harmonisé de taxation routière qui entrerait en vigueur au plus tard le 30 juin 1999 (paragraphe 3).

4 La proposition prévoyait en outre l' institution d' un système transitoire d' harmonisation des prélèvements actuels, caractérisé notamment par l' application de taux minimaux, révisables tous les deux ans, pour les taxes sur les véhicules utilitaires, sauf pour deux États ° le Portugal et la Grèce ° autorisés à appliquer provisoirement des taux réduits (article 8), par la possibilité de percevoir des droits d' usage et des péages sur le réseau autoroutier (article 5) et, enfin, par la faculté de rembourser une partie des taxes sur les véhicules en raison de la perception de péages et de droits d' usage (article 10).

5 La directive attaquée, qui prévoit des taux minimaux pour les taxes sur les véhicules utilitaires identiques à ceux contenus dans la proposition de la Commission, instaure différentes possibilités d' exonération ou de réduction de ces taux qui ne sont pas révisables avant 1998 (article 6). Elle permet aux États de percevoir des droits d' usage et des péages pour l' utilisation d' autoroutes et d' autres catégories de routes [article 7, sous d)] et de soumettre tous les véhicules immatriculés sur leur territoire aux droits d' usage pour l' utilisation de l' ensemble de leur réseau routier [article 7, sous e)]. En outre, elle soumet les droits d' usage à un plafond de 1 250 écus par an [article 7, sous f)]. Enfin, elle ne prévoit aucune faculté de rembourser des taxes sur les véhicules en raison de la perception des péages et droits d' usage.

6 Par ailleurs, en application de l' article 12, paragraphe 1, la Commission doit faire rapport au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive, au plus tard le 31 décembre 1997. Le cas échéant, ce rapport est assorti de propositions en vue de l' établissement d' un régime d' imputation des coûts, fondé sur le principe de territorialité dans le cadre duquel les frontières nationales ne jouent pas un rôle prépondérant.

7 L' acte litigieux a été adopté le 25 octobre 1993, sans que le Conseil ait reconsulté au préalable le Parlement européen.

Sur l' annulation de la directive

8 A l' appui de son recours, le Parlement européen invoque une atteinte à son droit de participer au processus législatif communautaire, résultant de l' omission du Conseil de le consulter une seconde fois avant d' adopter la directive en question. Cette reconsultation serait nécessaire, dans le cadre de la procédure prévue aux articles 75 et 99 du traité, dès lors que, comme en l' espèce, le texte adopté par le Conseil comporte des modifications substantielles par rapport à la proposition de la Commission.

9 A cet égard, le Parlement fait valoir que la directive modifie radicalement le caractère exceptionnel des dérogations prévues par la proposition en étendant à trois autres États membres ° l' Espagne, la France et l' Italie ° l' autorisation concernant l' application de taux minimaux réduits de moitié. Cette extension a pour conséquence que les transporteurs des cinq États membres en question jouissent d' un avantage concurrentiel par rapport à leurs concurrents des autres États membres qui ne peuvent appliquer un taux inférieur au plancher de taxation, et ne contribue donc pas à l' élimination des distorsions de la concurrence, objectif prioritaire de la directive. Ce même effet négatif résulte également de la suppression totale par le Conseil de la possibilité de rembourser les taxes sur les véhicules en raison de l' acquittement de droits d' usage ou péages sur les autoroutes.

10 En outre, l' extension, à des catégories de routes autres que les autoroutes, de la possibilité pour les États de percevoir des droits d' usage et la faculté de soumettre tous les véhicules immatriculés sur leur territoire aux droits d' usage pour l' utilisation de l' ensemble de leur réseau routier [article 7, sous e)] constituent également des modifications considérables par rapport à la proposition de la Commission. Par ailleurs, la possibilité, pour les États, d' appliquer des taux réduits ou des exonérations pour certaines catégories de véhicules (article 6, paragraphe 3) et celle pour le Conseil d' autoriser des exonérations et réductions supplémentaires pour des motifs socio-économiques ou liés à la politique d' infrastructure (article 6, paragraphe 5), qui n' étaient pas prévues dans la proposition de la Commission, constituent elles aussi des déviations par rapport à l' objectif d' imputation équitable des coûts routiers, tel que l' envisageait la Commission.

11 Malgré ces nombreuses dérogations, les droits d' usage sont soumis à un plafond de 1 250 écus [article 7, sous f)], limitation qui n' était pas prévue dans la proposition de la Commission, ni demandée par le Parlement européen.

12 Le Parlement fait valoir enfin qu' à côté de ces modifications ponctuelles la directive litigieuse s' écarte sensiblement de l' objectif contraignant de la proposition de la Commission, à savoir l' adoption par le Conseil, au plus tard le 31 décembre 1998, d' un système harmonisé de taxation routière, fondé sur le principe de territorialité, devant entrer en vigueur le 30 juin 1999. En effet, la directive se borne à obliger la Commission à faire rapport au Conseil sur la mise en oeuvre de la directive et à prévoir qu' elle formule "le cas échéant" des propositions d' introduction d' un système d' imputation des coûts routiers fondé sur le principe de territorialité (article 12). Le Conseil transforme ainsi ce que la Commission envisageait comme une solution transitoire en un dispositif plus ou moins définitif. Il ne reste donc aucune obligation pour le Conseil d' adopter un régime commun dans un délai déterminé.

13 Au contraire, le Conseil, soutenu par le gouvernement allemand, affirme que l' examen des textes en présence dans leur ensemble montre, d' une part, que la directive ne s' écarte pas des objectifs de la proposition et, d' autre part, qu' elle donne aux questions posées une réponse dont la logique interne est la même que celle de la proposition de la Commission.

14 En effet, l' objectif de cette proposition n' était ni l' harmonisation complète et totale des prélèvements nationaux, ni l' instauration immédiate d' un système fondé sur le principe de territorialité. Selon le Conseil, les éléments essentiels de la proposition résidaient dans l' aménagement progressif des systèmes nationaux (deuxième considérant), la conception qu' une première phase transitoire préparant la phase définitive était nécessaire (cinquième considérant) et que des distorsions pourraient être simplement "atténuées" (onzième considérant), la constatation qu' un système d' imputation idéal des coûts n' était pas possible à ce moment, ce qui rendrait inévitable un système provisoire, et la définition d' un système futur de taxation comme objectif ultérieur.

15 Le Conseil réfute aussi l' affirmation du Parlement européen, selon laquelle la directive s' écarterait sensiblement de l' objectif contraignant du projet de la Commission. En effet, la comparaison entre l' article 9 de la proposition et l' article 12 de la directive montre que l' objectif à l' horizon 1998 est le même, à savoir l' établissement, à partir de cette année, d' un régime d' imputation des coûts fondé sur le principe de territorialité dans le cadre duquel les frontières nationales ne jouent pas un rôle prépondérant.

16 A cet égard, le Conseil observe que l' expression "le cas échéant", sur laquelle le Parlement appuie son argumentation, n' enlève pas à la Commission son droit d' initiative en la matière, n' ajoute ni ne retire rien à l' objectif poursuivi par le Conseil, lequel consiste, tant dans la rédaction de l' article 9 de la proposition que dans celle de l' article 12 de la directive attaquée, en un programme à suivre.

17 Il y a lieu de rappeler d' abord que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l' acte concerné (voir, par exemple, arrêt du 10 mai 1995, Parlement/Conseil, C-417/93, non encore publié au Recueil, point 9). La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l' équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l' expression d' un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l' exercice du pouvoir par l' intermédiaire d' une assemblée représentative (voir, par exemple, arrêt du 30 mars 1995, Parlement/Conseil, C-65/93, non encore publié au Recueil, point 21).

18 Or, l' exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l' exigence d' une nouvelle consultation du Parlement européen à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s' écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l' exception des cas où les amendements correspondent, pour l' essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même (voir, par exemple, arrêts du 1er juin 1994, Parlement/Conseil, C-388/92, Rec. p. I-2067, point 10, et du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, point 38).

19 Il y a lieu dès lors d' examiner si les modifications dont fait état le Parlement concernent ou non la substance même du texte considéré dans son ensemble.

20 Il convient de rappeler à cet égard que la proposition de la Commission, sur laquelle le Parlement a donné son avis, prévoyait, en son article 9, que le Conseil "adopte aussitôt que possible les mesures appropriées en vue de la mise en place d' un système harmonisé de taxation routière, comprenant les taxes sur les véhicules, les droits d' accises sur le carburant et les charges routières (droits d' usage et péages) pour l' utilisation de certaines infrastructures routières, et en prenant en considération les coûts d' infrastructure et les coûts externes, y inclus ceux relatifs à l' environnement" (paragraphe 1). La Commission devait soumettre "avant le 1er janvier 1998, au Conseil un rapport assorti de propositions en vue de la réalisation de l' objectif mentionné au paragraphe 1. Statuant sur ces propositions, le Conseil adopte, au plus tard le 31 décembre 1998, un système harmonisé de taxation routière devant entrer en vigueur au plus tard le 30 juin 1999" (paragraphe 3).

21 En revanche, la directive, en son article 12, dispose que la Commission assortit le rapport sur la mise en oeuvre de la directive, qu' elle doit présenter au Conseil au plus tard le 31 décembre 1997, "le cas échéant ... de propositions en vue de l' établissement d' un régime d' imputation des coûts fondés sur le principe de la territorialité dans le cadre duquel les frontières nationales ne jouent pas un rôle déterminant".

22 Ainsi que l' avocat général l' a observé au point 49 de ses conclusions, il résulte du rapprochement de la proposition de la Commission et de la directive non seulement que le Conseil n' est plus tenu d' adopter, au plus tard le 31 décembre 1998, un système harmonisé de taxation routière, mais encore que la Commission n' est plus tenue de présenter, dans son rapport, des propositions en vue de l' établissement d' un régime d' imputation fondé sur le principe de territorialité. Ces modifications touchent au coeur même du dispositif mis en place et doivent donc être qualifiées de substantielles.

23 Il est par ailleurs constant que ces modifications ne correspondent à aucun souhait du Parlement.

24 Le Conseil considère néanmoins que, même dans l' hypothèse où le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s' écarterait dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement avait été consulté, il serait dispensé de reconsulter cette institution, dès lors que, comme en l' espèce, le Conseil serait suffisamment informé de l' opinion du Parlement sur les points essentiels en cause.

25 Cette argumentation doit être rejetée.

26 En effet, la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue l' un des moyens lui permettant de participer effectivement au processus législatif de la Communauté (voir notamment arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil, C-316/91, Rec. p. I-625, point 17); or, admettre la thèse du Conseil aboutirait à compromettre gravement cette participation essentielle au maintien de l' équilibre institutionnel voulu par le traité et reviendrait à méconnaître l' influence que peut avoir sur l' adoption de l' acte en cause la consultation régulière du Parlement.

27 Étant donné que les modifications précitées, qui affectent le système du projet dans son ensemble, suffisent en elles-mêmes pour exiger une nouvelle consultation du Parlement, il n' est pas nécessaire d' examiner les autres arguments avancés par le Parlement.

28 Dès lors, le fait que le Parlement n' a pas été consulté une seconde fois dans la procédure législative prévue aux articles 75 et 99 du traité CEE constitue une violation des formes substantielles, qui doit entraîner l' annulation de l' acte litigieux.

Sur le maintien des effets de la directive

29 Dans son mémoire en défense, le Conseil, soutenu par le gouvernement allemand, a demandé à la Cour, en cas d' annulation de la directive, de maintenir les effets de celle-ci jusqu' à ce que le Conseil arrête une nouvelle réglementation.

30 Dans sa réplique, le Parlement a indiqué qu' il n' avait pas d' objection à formuler à l' encontre d' une telle demande, qui lui semble effectivement justifiée par des motifs importants de sécurité juridique. Dans ses observations sur les mémoires en intervention des gouvernements allemand et du Royaume-Uni, le Parlement a toutefois suggéré à la Cour d' enjoindre dans ce cas au Conseil d' adopter une nouvelle réglementation dans un délai qu' elle déterminerait, afin d' inciter cette institution à reprendre le plus rapidement possible la procédure destinée au remplacement régulier de ladite directive.

31 Comme l' avocat général l' a relevé aux points 64 et 65 des conclusions, la nécessité d' éviter une discontinuité dans le programme d' harmonisation de la fiscalité des transports et d' importants motifs de sécurité juridique, comparables à ceux qui interviennent en cas d' annulation de certains règlements, justifient que la Cour exerce le pouvoir que lui confère expressément l' article 174, deuxième alinéa, du traité CE en cas d' annulation d' un règlement et qu' elle indique les effets de la directive litigieuse qui doivent être maintenus (voir arrêt du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil, C-295/90, Rec. p. I-4193, point 26).

32 Dans les circonstances particulières de l' espèce, il y a lieu de maintenir provisoirement l' ensemble des effets de la directive annulée jusqu' à ce que le Conseil ait adopté une nouvelle directive.

33 Quant à la demande du Parlement tendant à ce que la Cour impose au Conseil un délai dans lequel celui-ci devrait adopter une nouvelle réglementation en la matière, elle ne saurait être accueillie. En effet, la Cour n' est pas compétente pour prononcer une telle injonction dans le cadre d' un contrôle de légalité fondé sur l' article 173 du traité. Il n' en reste pas moins que le Conseil a le devoir de remédier, dans un délai raisonnable, à l' irrégularité commise.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

34 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, la République fédérale d' Allemagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) La directive 93/89/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993, relative à l' application par les États membres des taxes sur certains véhicules utilisés pour le transport de marchandises par route, ainsi que des péages et droits d' usage perçus pour l' utilisation de certaines infrastructures, est annulée.

2) Les effets de la directive annulée sont maintenus jusqu' à ce que le Conseil ait adopté une nouvelle réglementation en la matière.

3) Le Conseil est condamné aux dépens.

4) La République fédérale d' Allemagne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.