CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 26 mars 1996 ( *1 )

1. 

Par ordonnance du 23 août 1994, l'Arron-dissementsrechtbank te Amsterdam a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes, concernant l'interprétation de la décision no 3/80 adoptée le 19 septembre 1980 par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ( 1 ).

« 1)

La décision no 3/80 du conseil d'association de l'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, relative à l'application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, est-elle applicable dans la Communauté en l'absence d'un acte de transposition, au sens de l'article 2, paragraphe 1, de l'accord relatif aux mesures à prendre et aux procédures à suivre pour l'application de l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie?

2 a)

Si la décision no 3/80 n'est pas (encore) applicable dans la Communauté, des effets juridiques peuvent-ils néanmoins, dans certaines circonstances, être attribués à cette décision, pour autant que les dispositions de ladite décision se prêtent à une application directe?

2 b)

En cas de réponse affirmative à la première question, les dispositions des articles 12 et 13 de la décision no 3/80 sont-elles suffisamment concrètes et déterminables pour se prêter à une application directe sans que des mesures d'exécution complémentaires, au sens de l'article 32 de la décision no 3/80, soient nécessaires?

3 a)

Dès lors que l'article 13 de la décision no 3/80 peut s'appliquer à des situations telles que celle qui se présente en l'espèce, convient-il en l'occurrence d'appliquer les articles du règlement (CEE) no 1408/71 qui sont mentionnés dans cet article dans leur version en vigueur le jour où le conseil d'association a adopté la décision, soit le 19 septembre 1980, ou convient-il également de tenir compte des modifications des articles concernés du règlement (CEE) no 1408/71 intervenues ultérieurement?

3 b)

La question de savoir si les modifications postérieures au 19 septembre 1980 ont eu pour conséquence que des parties des dispositions concernées ont, ultérieurement, fait l'objet de modalités définies dans d'autres articles ou dans des annexes au règlement (CEE) no 1408/71 présente-t-elle encore un intérêt à cet égard? ».

2. 

L'affaire qui est à l'origine des questions posées à la Cour est décrite brièvement ci-après.

Le juge de renvoi est saisi de quatre litiges. Les trois premiers opposent Mmes Taflan-Met, Altun-Baser et Andai Bugdayci, ressortissantes turques, au Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank; le quatrième, M. Akol, lui aussi ressortissant turc, au Bestuur van de Nieuwe Algemene Bedrijfsvereniging. Les demanderesses dans les trois premières affaires se trouvent dans la même situation de fait: il s'agit de veuves de ressortissants turcs qui avaient exercé une activité salariée dans différents États membres de la Communauté, parmi lesquels les Pays-Bas. A la suite du décès de leur conjoint respectif, elles avaient introduit une demande visant à obtenir une pension de veuve. Ces demandes avaient toutefois été rejetées par les autorités néerlandaises compétentes, au motif que le régime de sécurité sociale de ce pays est fondé sur le risque: indépendamment de la durée de la période d'assurance, l'assuré, ou ses ayants droit, n'a droit à une prestation que si le risque se réalise au moment où l'intéressé est couvert par la législation néerlandaise. Or, tel n'a pas été le cas en l'espèce, selon le juge de renvoi, puisque les intéressés sont décédés en Turquie et n'étaient par conséquent pas couverts par le régime de sécurité sociale néerlandais à la date de leur décès.

Par certains aspects, le cas de M. Akol est analogue aux précédents. Ressortissant turc, il a travaillé dans différents États membres de la Communauté, au nombre desquels les Pays-Bas, et les institutions compétentes de ce pays ont refusé de faire droit à sa demande de pension d'invalidité. Là aussi, le refus est motivé par le fait que l'incapacité de travail était survenue à un moment où l'intéressé ne travaillait plus aux Pays-Bas et n'était par conséquent pas couvert par la législation néerlandaise.

3. 

Compte tenu du fait que les prestations litigieuses ne peuvent être accordées sur la base de la législation néerlandaise, une autre réponse serait éventuellement envisageable, selon le juge a quo, si la décision no 3/80 du conseil d'association CEE/Turquie, et notamment, ses articles 12 ( 2 ) et 13 ( 3 ), était considérée comme applicable en l'espèce. L'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam a par conséquent saisi la Cour des questions préjudicielles susmentionnées.

La première question

4.

La première question vise à savoir si la décision no 3/80 est applicable telle quelle dans la Communauté ou s'il est nécessaire qu'elle ait fait l'objet d'un acte de transposition adéquat de la part du Conseil. L'article 2, paragraphe 1, de l'accord 64/737/CEE, du 12 septembre 1963, relatif aux mesures à prendre et aux procédures à suivre pour l'application de l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ( 4 ), prévoit, en effet, que « Les décisions et recommandations adoptées par le conseil d'association dans les domaines qui ... relèvent de la compétence de [la Communauté], font, en vue de leur application, l'objet d'actes pris par le Conseil statuant à l'unanimité, après consultation de la Commission ». D'autre part, la Commission avait précisément présenté au Conseil, le 8 février 1983, une proposition de règlement (CEE) visant à appliquer, dans la Communauté économique européenne, la décision no 3/80 et à en préciser les modalités d'application complémentaires ( 5 ). Cette proposition n'a cependant pas encore été approuvée par le Conseil. La question qui se pose dans la présente affaire est par conséquent celle de savoir si la décision no 3/80 peut être directement applicable, même en l'absence de la disposition de transposition qui semble requise par l'article 2, précité, de l'accord.

5.

La Cour s'est déjà penchée sur la question de savoir si les décisions du conseil d'association exigent nécessairement qu'un acte communautaire de transposition soit pris et a répondu négativement à cette question dans l'affaire Grèce/Commission ( 6 ). Dans une affaire précédente ( 7 ), l'avocat général M. Mancini avait lui aussi fait valoir que « l'article 2, paragraphe 1, de l'accord 64/737 oblige de transposer uniquement les décisions qui ne pourraient pas autrement être appliquées ». Un point de vue analogue a été adopté ensuite par l'avocat général M. Darmon dans l'affaire Sevince ( 8 ). On peut dire, comme l'a relevé notre collègue M. Tesauro dans l'affaire Grèce/Commission ( 9 ), que la position de la Cour et de ses avocats généraux est que la disposition en cause ici n'exige pas « une transposition formelle de n'importe quel acte adopté par les organes de l'association ». Un acte approprié du Conseil n'est au contraire nécessaire pour l'application des décisions en cause que lorsque la teneur de la décision ne permet pas qu'elle soit immédiatement appliquée par le juge ( 10 ). « Les décisions du conseil d'association font, au même titre que l'accord lui-même, partie intégrante, à partir de leur entrée en vigueur, de l'ordre juridique communautaire ». C'est ainsi que la Cour s'est prononcée dans l'affaire Sevince ( 11 ). Nous nous trouvons en présence d'une jurisprudence désormais consolidée. Il n'y a pas lieu, selon nous, de la remettre en cause.

La question qui se pose en l'espèce impose, cependant, une délicate analyse préliminaire. Les décisions en cause ici ne font, en effet, partie intégrante de l'ordre juridique communautaire, comme la Cour l'a déjà précisé, qu'à partir de la date de leur entrée en vigueur. On ne voit pas, du reste, comment il pourrait en aller autrement. La décision doit pouvoir déployer ses effets avant d'être appliquée et, comme on le dit généralement, intégrée à l'ordre juridique communautaire. Ce n'est pas par hasard que, dans les arrêts précités, la Cour a statué sur des décisions qui étaient précisément déjà en vigueur. En l'espèce, cependant, la décision no 3/80 ne prévoit pas de date d'entrée en vigueur.

6.

Nous précisons d'emblée que l'analyse qui vise à déterminer la date d'entrée en vigueur de la décision no 3/80 constitue le point central de la présente affaire. La Commission avance la thèse selon laquelle la décision aurait été en vigueur à partir du jour où le Conseil l'a adoptée, c'est-à-dire le 19 septembre 1980. L'argument que la Commission fait valoir est que l'acte en cause est en substance un « accord international en forme simplifiée »; la date de son entrée en vigueur devrait par conséquent, à défaut de dispositions expresses, être déterminée en faisant recours à une interprétation fondée sur le droit général des traités. Cet ensemble de règles, notamment l'article 24 de la convention de Vienne de 1986, qui ont été arrêtées pour codifier ce domaine de manière exhaustive, prévoient, quant à elles, que, lorsqu'il n'en a pas été disposé autrement, un traité entre en vigueur dès que les parties ayant participé à la négociation manifestent la volonté d'être liées par ce traité. Selon la Commission, en l'espèce, le moment où les contractants ont manifesté cette volonté est celui de l'adoption de la décision, laquelle exigeait, comme toute autre, leur consentement unanime. Par conséquent, c'est au moment de son adoption que la décision serait entrée en vigueur, précisément parce qu'elle est considérée comme un accord régi par le droit des traités.

Les institutions défenderesses dans l'affaire au principal, ainsi que les États membres qui sont intervenus dans la présente procédure, sont toutefois d'un avis contraire. Les raisons qu'ils avancent sont les suivantes. La décision no 3/80 ne prévoit pas de date d'entrée en vigueur, à la différence des autres décisions, les décisions no 1 et no 2, adoptées le même jour. Cela montre que les auteurs de la décision n'ont pas voulu la considérer comme étant en vigueur à la date à laquelle ils l'ont adoptée. Selon cette thèse, la décision no 3/80 a en effet un contenu normatif qui n'est pas complet et qui nécessite par conséquent, avant d'entrer en vigueur, l'adoption de dispositions d'application adéquates. L'entrée en vigueur de la décision serait, en d'autres termes, subordonnée à l'adoption de ces dernières mesures. Les parties en cause ajoutent que cela est d'autant plus vrai que la décision ne fixe pas de date d'entrée en vigueur mais prévoit, dans une de ses dispositions finales, que les parties, et par conséquent également la Communauté, prennent, chacune en ce qui la concerne, les mesures d'exécution nécessaires. Elles font valoir, enfin, que la Commission elle-même a considéré qu'elle devait proposer l'adoption d'un règlement communautaire précisément aux fins de la mise en œuvre de la décision no 3/80, mais que cette proposition n'a pas encore été approuvée par le Conseil.

7.

Nous pensons, quant à nous, qu'il n'y a pas lieu de suivre la thèse soutenue par la Commission. On ne saurait affirmer, comme le fait la Commission, que la décision no 3/80 est déjà entrée en vigueur, sans s'être assuré auparavant qu'il existe une règle selon laquelle la décision en cause, puisqu'il n'en a pas été disposé autrement, doit être considérée comme étant en vigueur à partir du jour où le conseil d'association l'a adoptée. Mais une telle règle n'existe ni dans l'accord d'association ni dans aucune autre règle du droit international qui pourrait réglementer l'activité du conseil d'association prévue dans ledit accord. Aucune règle analogue ne s'est formée non plus par la coutume ou la simple pratique dans le domaine dans lequel le Conseil est appelé à fonctionner.

8.

Ceci étant posé, il faut encore voir si, en ce qui concerne l'analyse à laquelle doit procéder la Cour, le recours au droit des traités permet de trouver une solution. La Commission est d'avis qu'elle peut invoquer le droit des traités ( 12 ) pour en conclure que la décision est entrée en vigueur à partir de son adoption. Ceci est un point de vue qui nous laisse perplexe. Nous doutons, tout d'abord, que la convention de Vienne puisse être appliquée en l'espèce. Il n'est pas du tout démontré qu'il faut considérer les décisions du conseil d'association comme des traités internationaux: ( 13 ) ces décisions sont des actes dont la formation et les effets sont réglementés par l'ordre juridique instauré sur la base du traité d'association, selon lequel les parties contractantes transfèrent au Conseil, qu'elles composent de manière collégiale, la fonction de décision qui est en fait la fonction consistant à prendre des dispositions contraignantes. La décision est par conséquent l'acte qui concrétise l'exercice de la fonction qui a été transférée par les parties contractantes, en leur qualité de sujets de droit international, à l'organe prévu par l'ordre juridique que le traité d'association instaure ( 14 ). L'organe en question arrête ses propres décisions conformément à l'habilitation qui lui attribue la compétence décisionnelle en vue de poursuivre les finalités essentielles de l'association instaurée par la Communauté avec un État tiers. Les décisions adoptées par le conseil d'association tirent, certes, leur fondement du traité qui a institué le Conseil et en a défini la fonction. Cela ne signifie toutefois pas que ces décisions se transforment en autant d'accords internationaux — il importe peu de savoir s'il s'agit d'accords en forme simplifiée ou non — qui seraient des accords conclus directement entre les États membres sans qu'il y ait intervention de l'organe dans lequel, en l'espèce, ces États sont représentés de manière collégiale. Le régime d'association est mis en oeuvre, par conséquent, par l'intermédiaire du pouvoir de décision de l'organe qui, quelle que soit la qualification que l'on donne aux décisions qu'il prend, est différent de la production des normes juridiques par le biais du traité selon le droit international. Il s'ajoute à cela que la fonction de décision du conseil d'association a été expressément prévue comme étant contraignante par l'article 22 de l'accord d'association ( 15 ). Cela est un fait incontestable. Si les décisions étaient des accords, elles auraient un effet contraignant par nature et la disposition de l'article 22 serait superflue, parce que, si elle était lue comme l'entend la Commission, il s'agirait d'une simple répétition du principe pacta sunt servanda.

Or, si la décision n'équivaut pas à un traité international, la prémisse permettant de résoudre le problème, tel qu'il se pose en l'espèce, en recourant au droit des traités et notamment à la convention de Vienne, disparaît ( 16 ). La conclusion qui s'impose est différente. Aucune règle ne permet de par sa teneur de résoudre le problème posé et la seule réponse possible est de considérer que le Conseil, étant investi de la fonction décisionnelle, peut donc décider du contenu normatif ainsi que des effets dans le temps et de la date de l'entrée en vigueur des actes qu'il prend. La volonté de donner un effet immédiat à la décision doit cependant résulter de manière non équivoque des dispositions qu'elle contient, faute de quoi l'exigence intangible de sécurité juridique serait affectée. Ce point est important. On a abouti, dans la jurisprudence, à mettre en place un système de transposition — ou comme on le dit également d'intégration — directe des actes dérivés du traité d'association. Un tel système, même lorsqu'il est prévu dans des ordres juridiques différents de l'ordre juridique communautaire, et, par conséquent, principalement, dans les ordres juridiques nationaux, comporte précisément, pour garantir le principe de la sécurité des effets juridiques, l'adoption d'une série de précautions indispensables, la première d'entre elles consistant à exiger que la règle internationale, dont on a prévu la transformation automatique en droit interne, ait été adoptée conformément aux règles et aux principes qui gouvernent son entrée en vigueur. L'automatisme de la transformation garantit l'économie des procédures, mais elle n'est pas et elle ne pourra jamais être un mécanisme qui ne tienne pas compte des principes de sécurité juridique.

9.

Le résultat auquel nous sommes parvenu resterait le même, nous devons le souligner, même si par hasard on partageait la thèse de la Commission, et que l'on considérait la décision en cause comme un accord international. La Commission, en invoquant la convention de Vienne, opère, pour ce qui nous importe ici, un double passage logique: l'article 24 de la convention précitée prévoit, comme elle le rappelle, que, en l'absence de dispositions expresses en sens contraire, « un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité a été établi pour tous les États ayant participé à la négociation »; du moment que le Conseil doit statuer à l'unanimité, la décision se forme par le consentement de toutes les parties et, pour ce motif, entre en vigueur à partir de la date à laquelle elle est adoptée. En raisonnant de la sorte, la Commission confond, toutefois, l'adoption et l'entrée en vigueur de la décision en cause. U y a une différence entre adopter une décision à l'unanimité et manifester la volonté que la disposition contenue dans la décision — ce qui signifie, pour la thèse qui nous occupe ici, le contenu normatif de l'accord — lie immédiatement les parties. Dans la même convention de Vienne, à l'article 12, il a été en effet prévu que la signature du traité — à laquelle devrait, selon la Commission, équivaloir, dans la présente affaire, l'adoption pure et simple de l'acte — concrétise la volonté de se lier uniquement dans les trois hypothèses suivantes:

« a)

lorsque le traité prévoit que la signature aura cet effet;

b)

lorsqu'il est par ailleurs établi que les États ayant participé à la négociation étaient convenus que la signature aurait cet effet; ou

c)

lorsque l'intention de l'État de donner cet effet à la signature ressort des pleins pouvoirs de son représentant ou a été exprimée au cours de la négociation ».

Or, aucune de ces hypothèses ne s'applique dans la présente affaire. En premier lieu, ni la décision no 3/80 ni le traité d'association ne prévoient que le silence qui entoure la date d'entrée en vigueur de la décision en cause équivaut au consentement des parties à se lier avec effet immédiat ( 17 ). La deuxième hypothèse n'entre pas en ligne de compte du moment qu'il ne ressort nulle part l'intention des parties de considérer que l'acte est en vigueur à partir de son adoption. Au contraire, compte tenu du contenu de la décision, de ses importantes répercussions financières, ainsi que de la nécessité de prévoir des mesures d'exécution adéquates, on ne saurait envisager une telle conclusion. Enfin, on ne peut même pas dire que les critères prévus à l'article 12, précité, sous c), sont remplis. En effet, à supposer que les représentants des parties soient des plénipotentiaires au sens de la convention de Vienne, il faudrait qu'ils aient manifesté la volonté d'engager l'État contractant qu'ils représentent avec effet immédiat ( 18 ). Le fait de conférer les pleins pouvoirs à un plénipotentiaire n'est que sa désignation en tant qu'organe habilité à exprimer l'accord de l'État, sans qu'il soit nécessaire ultérieurement de ratifier, accepter ou approuver le traité. Il ne suffit pas cependant que le plénipotentiaire soit habilité à exprimer le consentement de l'État qu'il représente pour que cet État soit engagé d'emblée par le traité. Il faut également qu'il ait entendu faire usage d'une telle faculté. La question de savoir si cette intention existait concrètement en l'espèce ou non relève de l'interprétation. Il nous semble que, dans la présente affaire, il convient de répondre à cette question par la négative. Si l'on considère, ici aussi, le contenu de la décision, sa teneur et les conséquences qui résulteraient de son application immédiate, on ne peut assurément présumer que les parties ont consenti à être liées par cette décision à partir du jour où elle a été adoptée.

10.

En conclusion, que l'on considère la décision no 3/80 comme résultant de l'exercice, par le conseil d'association, du pouvoir qui lui a été attribué, ou comme un accord international, elle ne peut être considérée comme étant entrée immédiatement en vigueur que si une telle entrée en vigueur a été voulue par ses auteurs. C'est précisément sur ce point que la Commission ne réussit pas à démontrer le bien-fondé de sa thèse. Nous avons déjà dit que l'intention de donner à la décision un effet immédiat doit apparaître de manière non équivoque. Le silence qui entoure la date d'entrée en vigueur ne signifie certainement pas une manifestation tacite de la volonté qu'elle soit immédiatement en vigueur. C'est plutôt le contraire qui est vrai. Étant donné la valeur essentiellement négative de son contenu, le silence ne peut être considéré comme valant acceptation. En l'espèce, l'acceptation de l'effet immédiat de la décision ne peut être présumée, mais doit être déduite de la décision et des éléments qui permettent à l'interprète de définir et de retrouver quelle était réellement la volonté de son auteur. Ajoutons, toujours en ce qui concerne la thèse avancée par la Commission, qu'en droit international la volonté des parties est souveraine et que, en cas de doute, la règle d'interprétation générale in dubio mitius impose à l'interprète de choisir, entre les différentes possibilités de lecture du texte, celle qui comporte le moins de contraintes pour les parties. En l'espèce, l'entrée en vigueur immédiate de la décision aurait des conséquences importantes d'ordre financier et l'on ne saurait considérer que les parties ont voulu accepter d'assumer les engagements à partir du jour de l'adoption de la décision alors qu'elles n'ont pas prévu expressément un tel effet.

11.

Selon nous, il y a par conséquent lieu de préférer la thèse proposée par les institutions défenderesses au principal ainsi que par les États membres qui sont intervenus à la présente procédure. Celle-ci se fonde sur la constatation que la réglementation prévue dans la décision no 3/80 est incomplète et nécessite obligatoirement qu'en soient précisées les modalités d'application. Cette constatation est correcte. Dans l'intention des parties, l'entrée en vigueur de la décision n'était pas immédiate, mais elle dépendait de l'adoption de mesures de mise en œuvre. Ces mesures ont été, comme nous l'avons dit, élaborées par la Commission, mais n'ont pas encore été adoptées par le Conseil ( 19 ). La décision no 3/80 n'est par conséquent pas entrée en vigueur et elle ne pouvait l'être pour les motifs que nous venons d'indiquer.

12.

On ne saurait, en outre, se rallier à l'argumentation de la Commission selon laquelle ces mesures de mise en œuvre seraient superflues, en l'espèce, puisque la décision no 3/80 est suffisamment claire et précise pour qu'elle puisse trouver une application immédiate. D'abord, si l'auteur de l'acte a considéré que des modalités d'application complémentaires étaient indispensables et a subordonné l'entrée en vigueur de la décision précisément à l'adoption de telles dispositions, nous ne voyons pas comment le juge peut procéder à une appréciation différente. Mais, même si l'on veut faire abstraction de cette remarque exhaustive, il est un fait que l'adoption de dispositions d'application était effectivement nécessaire. Il ne servirait à rien d'objecter comme semble le faire la Commission — que le contenu de la décision était self-executing et que la proposition de règlement faite par la Commission ne se justifie que par le fait que, au moment où la Commission a présenté cette proposition au Conseil, en 1983, la pratique consistant à transposer toutes les décisions du conseil d'association était encore en vigueur. Si ce que dit la Commission était vrai, il aurait été suffisant que sa proposition de règlement se limite à son article 1er, en application duquel « la décision no 3/80 du Conseil d'association CEE/Turquie, du 19 septembre 1980, relative à l'application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, telle qu'annexée au présent règlement, est applicable dans la Communauté » ( 20 ). On ne pourrait pas justifier par contre les 79 autres articles de la proposition de règlement et ses 7 annexes qui comportent les dispositions précises et détaillées nécessaires pour l'application de la décision no 3/80 dans la Communauté ( 21 ). En d'autres termes, la proposition faite par la Commission en 1983 ne constituait pas une simple réception de la décision en cause ici; elle visait à prévoir un règlement spécifique pour son application, comme cela résulte par ailleurs du préambule même de ladite proposition où il est indiqué qu'il « y a lieu de mettre cette décision en application dans la Communauté et d'en fixer les modalités d'application complémentaires» ( 22 ).

Par conséquent, il était justifié de considérer que l'application, dans la Communauté, de la décision no 3/80 nécessitait obligatoirement que soit adopté auparavant un règlement d'exécution. Il nous semble, en effet, que l'on ne peut pas concevoir le fonctionnement d'un régime de sécurité sociale en l'absence d'un cadre concret de dispositions d'application. Sont notamment nécessaires des dispositions détaillées relatives à l'interdiction de cumul, à la totalisation des périodes, à la proratisation des prestations, aux contrôles, administratifs et médicaux, auxquels doivent se soumettre les travailleurs intéressés, à la répartition et au calcul des coûts à prendre en charge entre les institutions des États membres, à la présentation et à l'instruction des demandes de prestations, à la survenance éventuelle de litiges entre les institutions des États membres. Il faut en somme prévoir tout un ensemble de règles visant à réglementer la matière complexe qui nous occupe en l'espèce ( 23 ). Ce sont précisément ces règles que la Commission avait entendu prévoir lorsqu'elle a fait en 1983 la proposition de règlement ci-dessus évoquée. Nous rappelons, par ailleurs, que le règlement (CEE) no 1408/71 ( 24 ) a nécessité en son temps l'adoption d'un règlement d'application détaillé ( 25 ) et que, comme l'admet la Commission elle-même, les dispositions d'application qu'elle propose en ce qui concerne la décision no 3/80 s'inspirent, dans une large mesure, précisément de celles contenues dans le dernier règlement cité.

On ne saurait dire, par ailleurs, que les dispositions de la décision no 3/80 pourraient être complétées en faisant appel aux dispositions correspondantes ou analogues tirées du règlement no 1408/71 et des règlements adoptés pour son application. Une telle intégration serait, selon nous, totalement injustifiée. La décision en cause ne visait pas à prévoir, en faveur des travailleurs turcs, le même régime que celui qui est prévu par les règlements susmentionnés pour les travailleurs communautaires. Il suffit de lire la décision pour s'apercevoir que certaines dispositions des règlements précités sont applicables. D'autres ne le sont pas. Dans certains cas, en outre, il est spécifiquement prévu une réglementation de substitution ou dérogatoire aux textes précités. Dans la décision en cause ici, on trouve des renvois spécifiques qui intègrent certaines dispositions du règlement no 1408/71 et non un renvoi formel à l'ensemble de la réglementation prévue par ce règlement. Puisqu'il s'agit uniquement d'un renvoi ponctuel et matériel, il doit être entendu comme étant limité à la disposition citée et ne peut être, par conséquent, étendu aux dispositions d'application prises par la suite. Pour ces raisons, l'application de la décision no 3/80 nécessite l'adoption de dispositions d'exécution spécifiques, sans que ces dernières puissent être déduites, par interprétation, d'autres dispositions communautaires qui concernent la sécurité sociale.

13.

En conclusion: la question de l'entrée en vigueur, et par conséquent de l'intégration de la décision du Conseil dans l'ordre juridique communautaire, ne peut et ne doit pas être résolue en se fondant sur l'automatisme des effets que la Commission entend rattacher à son adoption, mais en se référant à l'intention manifestée par le Conseil lors de son adoption. Pour les raisons déjà exposées, l'entrée en vigueur de la décision doit être considérée comme subordonnée aux dispositions de mise en œuvre ( 26 ) destinées à la compléter, que son auteur a estimées indispensables ( 27 ). Le juge ne peut pas s'écarter de cette appréciation.

La conclusion à laquelle nous parvenons, loin de contredire la jurisprudence de la Cour sur la transposition des dispositions prises par le conseil d'association, en tire les conséquences logiques. La Cour a jugé qu'un acte formel et spécifique de transposition n'est pas nécessaire pour une décision telle que celle en cause en l'espèce. La décision en cause est immédiatement intégrée dans l'ordre juridique communautaire à partir de son entrée en vigueur. Si tel est le cas, l'entrée en vigueur signifie, non seulement l'établissement définitif de la règle dans l'ordre juridique dans lequel elle a été adoptée, mais bien évidemment également qu'elle est intégrée dans l'ordre juridique communautaire. Le fait que cette règle soit mise en vigueur immédiatement signifie par conséquent — si l'on suit, comme nous pensons qu'il convient de le faire, la jurisprudence qui entre en ligne de compte ici — vouloir l'intégrer immédiatement dans l'ordre juridique de la Communauté avec toutes les conséquences qui en résultent: c'est cette volonté concrète et non équivoque d'obtenir l'effet précité que l'interprète doit dégager, comme nous l'avons déjà expliqué. Dans la présente affaire, des dispositions complémentaires d'exécution sont indispensables, tant pour que la règle en cause puisse entrer en vigueur, rendant ainsi opérant le mécanisme de transposition automatique tel qu'il a été esquissé par la Cour, que pour permettre au juge d'appliquer ces dispositions aux intéressés.

Puisque la décision no 3/80 n'est pas encore entrée en vigueur, la jurisprudence déjà citée de la Cour impose de considérer que la décision en cause ici ne fait pas partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

14.

Ajoutons une dernière considération. La circonstance qu'un acte qui a été adopté il y a plus de 16 ans n'est pas encore entré en vigueur ne doit pas nous étonner ni être considérée comme une anomalie. Il existe de nombreux exemples d'actes et de traités qui ont été adoptés, mais ne sont jamais entrés en vigueur ou qui ne sont entrés en vigueur qu'après de très nombreuses années. On peut certes se demander si le comportement des parties qui auraient dû prévoir les mesures d'exécution nécessaires à l'entrée en vigueur de la décision no 3/80 est correct ou conforme à la bonne foi. Ce problème ne se pose cependant pas ici: la Cour n'est pas appelée en l'espèce à se prononcer sur l'éventuelle responsabilité internationale d'un quelconque sujet de droit qui aurait fait obstacle à l'entrée en vigueur de l'acte en cause ici. Elle doit simplement vérifier si l'auteur de la décision a manifesté la volonté qu'elle entre immédiatement en vigueur. Et la réponse à cette question est, comme nous l'avons observé, négative.

Sur la deuxième question

15.

La deuxième question vise, en substance, à déterminer si la décision no 3/80 peut produire des effets juridiques bien qu'« elle ne soit pas encore applicable dans la Communauté ». En cas de réponse affirmative, le juge de renvoi demande si les articles 12 et 13 de la décision sont suffisamment clairs et précis pour que l'on puisse leur reconnaître un effet direct.

Selon nous, la première partie de la question doit recevoir une réponse négative. La notion d'applicabilité doit en effet être entendue ici comme le fait d'intégrer la décision à l'ordre juridique communautaire. Si la décision en cause n'est pas encore applicable pour les raisons déjà exposées — et ne fait, par conséquent, pas partie de l'ordre juridique communautaire —, on ne voit pas quels effets juridiques elle peut produire. Il ne peut résulter aucun effet et, par conséquent, pas non plus l'effet direct sur lequel le juge de renvoi interroge la Cour, d'une disposition qui ne fait pas encore partie de l'ordre juridique communautaire.

La seconde partie de la question n'est posée que dans le cas d'une réponse affirmative à la première et il n'est par conséquent pas besoin de l'aborder.

Sur la troisième question

16.

La troisième question vise à déterminer si la référence, dans la décision no 3/80, à des dispositions du règlement no 1408/71 doit être entendue dans un sens statique ou dynamique. Ici aussi, la question présuppose que la décision est déjà entrée en vigueur et qu'elle est par conséquent applicable dans la Communauté. Par conséquent, la réponse doit être considérée comme couverte par la solution négative qui s'impose, selon nous, aux première et deuxième questions.

Conclusions

17.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam:

« 1.

Puisque la décision no 3/80 du conseil d'association CEE-Turquie du 19 septembre 1980, relative à l'application des régimes de sécurité sociale des États membres des Communautés européennes aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille, n'est pas encore entrée en vigueur, elle ne fait pas partie intégrante de l'ordre juridique communautaire et elle n'est par conséquent pas directement applicable dans cet ordre juridique.

2.

Aucun effet juridique ne peut par conséquent résulter, dans l'ordre juridique communautaire, de la décision précitée. »


( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) Accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé à Ankara le 12 septembre 1963, et conclu au nom de la Communauté par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685).

( 2 )

( 3 )

( 4 ) JO 1964, 217, p. 3703.

( 5 ) JO C 110 du 25 avril 1983, p. 1.

( 6 ) Arrêt du 14 novembre 1989 (30/88, Rec. p. 3711).

( 7 ) Arrêt du 27 septembre 1988, Grèce/Conseil, (204/86, Rec. p. 5323). Voir p. 5351 des conclusions.

( 8 ) Arrêt du 20 septembre 1990 (C-192/89, Ree. p. I-3461). Voir p. I-3483 des conclusions.

( 9 ) Voir note 6. Voir p. 3725 des conclusions précitées.

( 10 ) Nous tenons à préciser que, si les termes de la décision ne sont pas suffisamment clairs et précis pour en permettre une application immédiate et, par conséquent, qu'il y a lieu d adopter une disposition spécifique fixant des modalités d'application complémentaires, une telle disposition n'est pas, à notre avis, à considérer comme une transposition au sens technique.

( 11 ) Affaire précitée à la note 8, point 9. Voir également l'arrêt du 16 décembre 1992, Kus (C-237/91, Rec. p. I-6781, point 9), qui confirme la précédente jurisprudence.

( 12 ) L'argumentation de la Commission ne fait pas apparaître clairement si la convention de Vienne de 1986 s'applique directement, au motif que les décisions en cause sont en réalité des traités, ou, par analogie, au motif qu'il s'agit d'actes juridiques internationaux qui ne peuvent être considérés comme des traités que par voie d'analogie. Ce point n'est de toute façon pas pertinent, puisque — comme nous le dirons plus loin — l'application éventuelle de la convention à l'affaire en cause n'aboutit pas au résultat voulu par la Commission. Partant, que la convention s'applique d'une manière directe, ou par analogie, ne modifie pas le résultat pratique: ses dispositions ne présentent aucune règle qui justifie, s'il n'en a pas été disposé autrement, l'entrée en vigueur immédiate des décisions du Conseil d'association. Nous faisons toutefois valoir, par simple scrupule théorique, qu'une doctrine autorisée met en doute le fait que les dispositions instituant une organisation — telle que l'association CEE/Turquie — puissent être, en cas de lacune, complétées par analogie (voir Monaco: Scritti di diritto delle organizzazioni internazionali, Milan, 1981, p. 237, ainsi que les auteurs cités à la page 238, note 17).

( 13 ) Toutefois, au sens où il s'agit d'accords en forme simplifiée, voir: Gilsdorf, « Les organes institués par des accords communautaires: effets juridiques de leurs décisions », dans Revue du marché commun, 1992, p. 328 et suiv., ainsi que Martines: « Sugli atti degli organi istituiti dagli accordi di associazione della CEE », in Foro italiano, 1993, IV, p. 429 et suiv. Ces mêmes auteurs admettent cependant que le Conseil d'association est investi d'une compétence normative propre, ce qui en toute logique devrait conduire à exclure que les décisions qu'il arrête soient des accords internationaux.

( 14 ) Dans l'affaire Kus, précitée à la note 11, p. 6798 et 6799, l'avocat général M. Darmon, qui proposait pourtant de qualifier ces décisions d'accords en forme simplifiée, a noté que, « par l'accord d'association, les parties contractantes, ont la Communauté, ont habilité le Conseil d'association à prendre des décisions contraignantes ». M. Darmon en tirait la conclusion que « les parties contractantes ont, en quelque sorte, délégué au Conseil d'association la mise en oeuvre des articles 12 de l'accord et 36 du protocole ». Ces affirmations nous semblent décrire l'hypothèse dans laquelle un organe est investi d'une compétence décisionnelle plutôt que celle dans laquelle les parties négocient et concluent l'accord international directement entre elles. Par ailleurs, le Conseil d'association CEE/Turquie est généralement cité au nombre des organes créés par un traité et habilités par ce traité à l'exercice d'une compétence normative (voir Schermers: International institutional Latv, La Haye, 1995, p. 814, note 536).

( 15 ) M. Darmon, dans l'affaire Kus, précitée, p. 6798, considérait que « la Communauté a anticipé l'effet contraignant de ses décisions dans l'accord lui-même ». C'est précisément pour ce motif que nous partageons pleinement que les décisions en cause ne constituent pas des accords internationaux. En effet, si elles étaient des accords internationaux, il n'y aurait pas besoin d'anticiper leur effet contraignant dans un traité.

( 16 ) Au sens où sont exclues du champ d'application du droit des traités « toutes les procédures spécifiques pour l'adoption de règles juridiques internationales dont le fondement est constitué par un traité antérieur », voir Mosconi: La formazione dei trattati, Milan, 1968, p. 23 (la traduction est la nôtre).

( 17 ) Il est inutile de rappeler l'article 22 de l'accord d'association, en application duquel les décisions sont contraignantes. La discussion ne porte pas en l'espèce sur la question de savoir si les décisions en cause sont ou non contraignantes; il s'agit, au contraire, de définir à partir de quel moment elles le sont. A cet égard, la règle précitée ne fournit aucune indication.

( 18 ) Voir Morelli: Nozioni di diritto intemazionale, Padoue, 1967, p. 308.

( 19 ) Il serait vain d'objecter, comme l'a fait la Commission lors de la procédure orale, qu'une disposition analogue à l'article 32 figurait également dans les décisions qui ont faįt l'objet de l'arrêt Sevinee et avait été considérée par la Cour, dans cet arrêt, comme une simple répétition du principe d'exécution des traités selon la bonne foi. En effet, il faut rappeler que toute disposition doit être interprétée selon son contexte. Le contexte de la présente affaire diffère radicalement de celui de l'affaire Scvincc. Il s'agissait, dans l'affaire précitée, de décisions dont le contenu était complet, alors qu'ici le contenu normatif est incomplet et nécessite, pour sa mise en œuvre, l'adoption de mesures d'exécution. Par ailleurs, alors que dans le cas précité, les décisions prévoyaient l'entrée en vigueur, tel n'est pas le cas ici; le fait qu'il est prévu que les modalités d'exécution nécessaires seront adoptées par la suite doit précisément être lu en rapport avec le fait que la date d'entrée en vigueur n'a pas été prévue.

( 20 ) C'est nous qui soulignons.

( 21 ) Il faut observer que la proposition en cause n'a jamais été retirée par la Commission et qu'elle est encore devant le Conseil; un tel comportement semble encore une fois confirmer que la Commission elle-même continue de considérer, à l'heure actuelle, que l'adoption de dispositions d'application destinées à mettre en œuvre la décision no 3/80 est indispensable.

( 22 ) C'est nous qui soulignons.

( 23 ) Il faut rappeler que l'exigence de dispositions d'exécution se pose aussi en ce qui concerne notamment les articles 12 et 13 de la décision, qui font l'objet de la présente affaire. A cet égard, il suffit de rappeler l'article 6 de la proposition de règlement d'exécution de la Commission qui instaure « des règles générales concernant l'application des dispositions de non-cumul », en ce qui concerne l'ensemble « des prestations d'invalidité, de vieillesse et de décès (pensions) », l'article 13 de la même proposition qui prévoit « les règles générales relatives à la totalisation des périodes » et a pour objectif la mise en œuvre des articles 12 et 13 de la décision et, enfin, le chapitre 3 du titre IV, intitulé « Invalidité, vieillesse, décès (pensions) ».

( 24 ) Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2).

( 25 ) Règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 74, p. 1)

( 26 ) Il est intéressant de noter que le règlement no 1408/71 s'inspire précisément de la même technique législative. L'article 99 de ce règlement dispose en effet qu'il « entre en vigueur le premier jour du septième mois suivant la publication ... du règlement d'application ...». Ce qui montre que, même dans le cadre communautaire, l'entrée en vigueur, et par conséquent l'applicabilité des dispositions en matière de sécurité sociale, peuvent être, et ont été en fait, subordonnées à l'adoption de dispositions d'application spécifiques.

( 27 ) Il y a lieu cependant d'ajouter une précision. En l'espèce, la nécessité de mesures d'exécution conditionne, non l'application d'une règle déjà en vigueur, mais précisément l'entrée en vigueur de la règle. Ce cas diffère par conséquent de ceux qui ont déjà été examinés par la Cour dans lesquels il a été jugé qu'il n'y a pas lieu d'adopter de dispositions de mise en œuvre d'une décision du Conseil d'association dont les termes sont suffisamment clairs et précis pour pouvoir être immédiatement applicables. Dans les cas cités, il s'agissait en effet de décisions déjà entrées en vigueur. Il est clair que, si la règle est déjà en vigueur et ne nécessite pas de précisions ultérieures, elle peut déployer immédiatement ses effets.