61993A0450

Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 6 décembre 1994. - Lisrestal - Organização Gestão de Restaurantes Colectivos Ldª et autres contre Commission des Communautés européennes. - Fonds social européen - Recours en annulation contre une décision de réduction du concours financier initialement accordé - Violation des droits de la défense - Motivation. - Affaire T-450/93.

Recueil de jurisprudence 1994 page II-01177


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Commission ° Exercice des compétences ° Délégation de signature

(Règlement intérieur de la Commission, art. 27)

2. Politique sociale ° Fonds social européen ° Concours au financement d' actions de formation professionnelle ° Décision de réduction d' un concours initialement octroyé ° Droits de la défense des entreprises concernées ° Portée

3. Actes des institutions ° Motivation ° Obligation ° Portée ° Décision de la Commission réduisant le concours du Fonds social européen à une action de formation professionnelle

(Traité CEE, art. 190)

Sommaire


1. La délégation de signature à l' intérieur d' une institution constitue une mesure relative à l' organisation interne des services de l' administration communautaire. S' agissant de la Commission, elle est conforme à l' article 27 de son règlement intérieur et constitue le moyen normal par lequel cette institution exerce ses compétences. Des fonctionnaires peuvent, dès lors, être habilités à prendre, au nom et sous le contrôle de la Commission, des mesures de gestion ou d' administration clairement définies.

2. Le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l' encontre d' une personne et susceptible d' aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l' absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que toute personne à l' encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder la décision litigieuse.

Tel est le cas des bénéficiaires d' un concours octroyé par le Fonds social européen pour une action de formation professionnelle menée dans un État membre, lorsque la Commission envisage de réduire le concours initialement octroyé, en raison du fait qu' il n' est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d' agrément. Le fait que l' État membre concerné soit l' interlocuteur unique du Fonds et qu' il soit le destinataire d' une éventuelle décision de réduction n' exclut pas, en effet, que s' établisse un lien direct entre la Commission et le bénéficiaire, qui subit directement les conséquences économiques de la réduction, en ce qu' il est responsable à titre principal du remboursement des sommes indûment versées.

Est en conséquence intervenue en violation des droits de la défense du bénéficiaire une décision de réduction arrêtée alors que celui-ci n' avait reçu communication ni des rapports d' enquête de la Commission sur les conditions de réalisation des actions de formation bénéficiant du concours, ni des griefs formulés par la Commission à son encontre, et n' avait pas été entendu par la Commission avant l' adoption de la décision, et que l' autorité nationale chargée du suivi des données en la matière, après avoir été invitée par la Commission à présenter ses observations sur la réduction envisagée, avait fait connaître à la Commission, sans avoir préalablement entendu le bénéficiaire, qu' elle accepterait ladite décision.

3. Une décision de la Commission portant réduction d' un concours financier du Fonds social européen à une action de formation professionnelle initialement octroyé, qui comporte des conséquences graves pour l' organisme bénéficiaire, doit faire clairement apparaître les motifs qui justifient la réduction du concours par rapport au montant initialement agréé. Il n' est pas satisfait à cette exigence de motivation posée par l' article 190 du traité lorsque, s' agissant d' une décision de réduction relative à diverses actions menées par différents organismes, ne sont pas identifiés, pour chacun d' entre eux, les postes concernés par la réduction et que n' apparaissent pas clairement, pour chacun d' entre eux, les raisons qui ont amené la Commission à réduire le concours octroyé.

Parties


Dans l' affaire T-450/93,

Lisrestal ° Organização Gestão de Restaurantes Colectivos, Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada (Portugal),

GTI ° Gabinete Técnico de Informática, Ld.a, société de droit portugais, établie à Lisbonne,

Lisnico ° Serviço Marítimo Internacional, Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada,

Rebocalis ° Rebocagem e Assistência Marítima, Ld.a, société de droit portugais, établie à Almada,

Gaslimpo ° Sociedade de Desgasificação de Navios, SA, société de droit portugais, établie à Almada,

représentées par Me Manuel Rodrigues, avocat au barreau de Lisbonne, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Ângelo Alves Azevedo, 61, rue de Gasperich,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme Ana Maria Alves Vieira et M. Nicholas Khan, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg, auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l' annulation de la décision de la Commission par laquelle celle-ci demande le remboursement, par les requérantes, de 138 271 804 ESC et refuse le paiement du solde d' un concours financier octroyé au titre du projet n 870844 P1 par le Fonds social européen,

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. R. Schintgen, président, R. García-Valdecasas, B. Vesterdorf, K. Lenaerts et C. W. Bellamy, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 13 juillet 1994,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Cadre juridique

1 L' article 1er, paragraphe 2, de la décision 83/516/CEE du Conseil, du 17 octobre 1983, concernant les missions du Fonds social européen (JO L 289, p. 38, "ci-après décision 83/516"), dispose notamment que le Fonds social européen (ci-après "FSE") participe au financement d' actions de formation et d' orientation professionnelles.

2 Selon l' article 3 de la décision 83/516, le concours du FSE peut être octroyé en faveur d' actions réalisées dans le cadre de la politique du marché du travail des États membres. Ces actions comprennent en particulier celles destinées à améliorer les possibilités d' emploi pour les jeunes, notamment par des mesures de formation professionnelle après la fin de leur scolarité obligatoire à temps plein.

3 Le règlement (CEE) n 2950/83 du Conseil, du 17 octobre 1983, portant application de la décision 83/516 (JO L 289, p. 1, ci-après "règlement n 2950/83") prévoit dans son article 5 que l' agrément d' une demande introduite au titre de l' article 3, paragraphe 1, de la décision entraîne le versement d' une avance de 50 % du concours octroyé à la date prévue pour le début des actions.

4 L' article 5, paragraphe 4, du règlement n 2950/83 précise que les demandes de paiement du solde contiennent un rapport détaillé sur le contenu, les résultats et les aspects financiers de l' action concernée et que l' État membre certifie l' exactitude factuelle et comptable des indications contenues dans les demandes de paiement.

5 Selon l' article 6 du règlement n 2950/83, la Commission peut suspendre, réduire ou supprimer le concours, après avoir donné à l' État membre concerné l' occasion de présenter ses observations, lorsque le concours du FSE n' est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d' agrément. Les sommes versées qui n' ont pas été utilisées dans les conditions fixées par la décision d' agrément donnent lieu à répétition.

6 L' article 5 de la décision 83/673/CEE de la Commission, du 22 décembre 1983, concernant la gestion du FSE (JO L 377, p. 1), prévoit ce qui suit: "Lorsqu' une action pour laquelle une demande de concours a été introduite ou un concours a été accordé ne peut être réalisée ou ne peut l' être que partiellement, l' État membre en avertit la Commission sans délai."

Faits à l' origine du recours

7 En 1986, les requérantes, Lisrestal Ld.a, GTI Ld.a, Rebocalis Ld.a, Lisnico Ld.a, Gaslimpo SA, ainsi que deux autres entreprises, Proex Ld.a et Gelfiche, toutes établies au Portugal, ont introduit auprès du FSE, par l' intermédiaire du Departamento para os assuntos do fundo social europeu (ci-après "DAFSE"), une demande de concours pour un projet d' actions de formation professionnelle, au sens de l' article 3, paragraphe 1, de la décision 83/516, dans le district de Setúbal (Portugal).

8 Le concours du FSE a été sollicité en vue de permettre la réalisation d' "actions de formation professionnelle en faveur de 1687 jeunes âgés de moins de 25 ans, ayant des qualifications qui, après expérience professionnelle antérieure et scolarité obligatoire, se révèlent insuffisantes et/ou inadaptées à l' accomplissement d' activités qui offrent des perspectives d' emploi réelles et à des emplois qualifiés qui nécessitent l' utilisation de technologies nouvelles".

9 Le projet d' actions, regroupé en un seul dossier portant la référence 870844 P1, a été agréé par décision C (87) 670 de la Commission, du 31 mars 1987, pour un montant global de 630 642 227 ESC, dont 346 853 225 ESC à financer par le FSE et 283 789 002 ESC par l' Orçamento da Segurança Social/Instituto de Gestão Financeira da Segurança Social (budget de la sécurité sociale/institut de gestion financière de la sécurité sociale, ci-après "OSS/IGFSS"). Cette décision subordonnait l' agrément à la condition que les actions prévues soient réalisées par chacune des sociétés entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 1987.

10 Conformément à l' article 5, paragraphe 1, du règlement n 2950/83, le FSE a versé une avance de 50 % du concours octroyé aux requérantes, soit 173 426 612 ESC.

11 Le 31 octobre 1988, les requérantes ont introduit, par l' intermédiaire du DAFSE, une demande de versement du solde, soit 127 483 930 ESC. Cette demande était accompagnée de pièces justificatives et d' un rapport sur les actions réalisées.

12 Le 25 novembre 1988, le secteur "contrôle" du FSE a suggéré de procéder à un réexamen du dossier en raison du manque de clarté des coûts et des actions présentés dans la facturation.

13 Entre le 29 janvier et le 2 février 1990, les contrôleurs du FSE ont effectué une visite auprès des requérantes Lisrestal et GTI. Dans leur rapport du 5 mars 1990, ils ont constaté que, parmi les actions regroupées dans le dossier 870844 P1, cinq des sept entreprises chargées de leur mise en oeuvre, à savoir les requérantes, les avaient intégralement données en sous-traitance à l' Associação para a Reinserção Socio-Profissional (Association pour la réinsertion socioprofessionnelle, ci-après "RSP"), association sans but lucratif, créée spécialement aux fins de réaliser des actions de formation professionnelle, mais ne disposant pas, à l' époque des faits, de moyens, d' une infrastructure ou d' une expérience justifiant une telle sous-traitance de la part de cinq entreprises ayant des activités différentes; que RSP, quant à elle, avait délégué, pour un montant de 138 091 100 ESC, la réalisation des actions précitées à l' Associação para o Desenvolvimento e Promoção Técnica e Profissional (Association pour le développement et la promotion technique et professionnelle), qui ne disposait pas non plus ni de l' infrastructure ni du personnel nécessaire à la date de la visite des contrôleurs du FSE; que les cinq entreprises en cause et RSP faisaient partie du même groupe Lisnave et que, après vérification comptable auprès de Lisrestal, il était apparu que les cours de formation professionnelle qui avaient été donnés ne coïncidaient pas avec ceux qui avaient été prévus; qu' aucun stagiaire n' avait été engagé par une des entreprises à la fin des cours et que certaines factures indiquaient des dates postérieures à la réalisation des actions. Les contrôleurs en ont conclu que le système auquel avaient recouru les cinq requérantes soulevait des problèmes sérieux. En conséquence, ils ont proposé de vérifier auprès de Gelfiche et Proex si le système suivi avait été différent et de demander au DAFSE, pour les cinq cas concernés, une enquête judiciaire, compte tenu des présomptions de simulation de contrats et de fausses factures qu' ils avaient relevées. Enfin, ils ont suggéré de demander le remboursement de l' avance communautaire versée aux cinq entreprises en cause.

14 Le 19 octobre 1990, le DAFSE a émis des "certificats" à l' attention des requérantes dans lesquels il exposait, en ce qui concernait les actions qui s' étaient déroulées dans le cadre du projet 870844 P1, qu' une mission de contrôle communautaire avait été effectuée en vue de vérifier la régularité et la légalité de ces actions, mais qu' il ne pouvait fournir d' autres éclaircissements, la Commission n' ayant pas encore pris une décision définitive au sujet desdites actions.

15 Suite à une visite effectuée le 29 avril 1991 auprès de Proex, les contrôleurs du FSE ont conclu à l' éligibilité d' un montant de 35 154 808 ESC en faveur de Proex et Gelfiche. Au vu du montant de 173 426 612 ESC avancé par le FSE, ils ont estimé que le montant à rembourser par les requérantes devait être fixé à 138 271 804 ESC.

16 C' est ainsi que par lettre du 14 juin 1991, le chef d' unité compétent à la direction générale Emploi, relations industrielles et affaires sociales (DG V) a transmis au DAFSE les conclusions des contrôleurs en indiquant qu' un montant de 536 879 559 ESC était considéré par le FSE comme ayant été consacré à des dépenses non éligibles, "parce que les actions approuvées ne coïncidaient pas avec celles indiquées dans la demande de paiement du solde et que certaines factures n' étaient pas justifiées ou indiquaient des dates postérieures à l' année au cours de laquelle l' action s' est déroulée". A cette lettre, la Commission a joint les rapports de mission.

17 Par la même lettre, le DAFSE a été informé que le montant du concours du FSE était plafonné à 35 154 808 ESC et que 138 271 804 ESC devraient être remboursés, compte tenu du montant de 173 426 612 ESC qui avait été versé à titre de première avance. La Commission a imparti au DAFSE un délai de 30 jours pour présenter ses observations.

18 Par lettre du 8 juillet 1991, le DAFSE a informé le FSE qu' il n' avait pas d' observations à formuler à l' égard des rapports des contrôleurs de mission du FSE ni de sa lettre du 14 juin 1991 et qu' il acceptait la décision prise.

19 Le 10 février 1992, le Tribunal Administrativo do Círculo de Lisboa a rejeté comme irrecevable le recours introduit par les requérantes contre les "certificats" du DAFSE du 19 octobre 1990, au motif que ces "certificats" ne constituaient pas des actes administratifs produisant des effets juridiques à l' égard des requérantes.

20 Le 3 mars 1992, la Commission a fait parvenir au DAFSE un ordre de remboursement.

21 Par lettres des 24 avril 1992 et 7 mai 1992, le DAFSE a informé les requérantes de la décision de la Commission, portant réduction du concours qui avait été octroyé en leur communiquant les montants à restituer au FSE et à l' OSS/IGFSS. Les lettres, auxquelles étaient annexées les instructions concernant les remboursements, étaient formulées dans les mêmes termes à l' égard de chacune des requérantes. La lettre adressée à Lisrestal a la teneur suivante:

"Je dois vous informer par la présente que les services du Fonds social européen ont maintenant pris une décision concernant le dossier cité en objet, après avoir constaté, à la suite de la mission de contrôle communautaire, que des dépenses d' un montant de 88 674 884 ESC, exposées dans le cadre de l' action menée par votre société, n' étaient pas éligibles, parce que les actions approuvées ne coïncident pas avec celles indiquées dans la demande de paiement du solde et que certaines factures ne sont pas justifiées ou indiquent des dates postérieures à l' année au cours de laquelle l' action s' est déroulée.

Dans ces conditions, la société précitée devra, dans un délai de 15 jours à compter de la date de réception de la présente, rembourser les montants reçus à titre de première avance."

22 Le 25 juin 1992, le DAFSE a pris les décisions n s 55/92 à 59/92, dans lesquelles sont repris les griefs soulevés dans les rapports de mission des contrôleurs du FSE à l' encontre de Lisrestal et des sociétés ayant bénéficié du concours du FSE. Le dispositif de la décision adoptée à l' égard de Lisrestal se lit comme suit:

"1) Le dossier de récupération de la dette, d' un montant de 52 549 052 ESC, provenant de sommes indûment versées par le FSE et par l' État portugais à Lisrestal ° Organização de Restaurantes Colectivos, Ld.a, personne morale n 501389954, ayant son siège social Rua Eugénio de Castro n 8, à Almada, dans le cadre du dossier 870844 P1, sera instruit conformément aux dispositions du décret-loi n 158/90, du 17 mai 1990, modifié par le décret-loi n 246/91, du 6 juillet 1991;

2) Le contenu et la teneur de la présente décision seront communiqués à l' entreprise concernée."

Procédure et conclusions des parties

23 C' est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe de la Cour le 19 juin 1992, les requérantes ont introduit le présent recours. La procédure écrite a suivi un cours régulier. Elle s' est entièrement déroulée devant la Cour. Par ordonnance du 27 septembre 1993, la Cour a renvoyé la présente affaire devant le Tribunal, en application de l' article 4 de la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21).

24 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d' ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d' instruction préalables. Toutefois, le Tribunal a invité les parties à produire certains documents et à répondre, par écrit et avant l' audience, à une question.

25 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal le 13 juillet 1994.

26 Les requérantes concluent à ce qu' il plaise au Tribunal:

1) annuler la décision du FSE ordonnant le remboursement des fonds perçus;

2) condamner la Commission à verser l' intégralité des sommes réclamées;

3) condamner la Commission aux dépens.

27 La défenderesse conclut à ce qu' il plaise au Tribunal:

1) déclarer le recours non fondé;

2) condamner les requérantes aux dépens de l' instance.

Sur les conclusions tendant à l' annulation de la décision de la Commission portant réduction du concours du FSE

28 Les requérantes invoquent en substance quatre moyens à l' appui de leurs conclusions. Le premier moyen est tiré de l' inexistence des services du FSE ou, à tout le moins, de leur incompétence pour prendre la décision litigieuse, le deuxième d' une violation des droits de la défense, le troisième d' une insuffisance de motivation et le quatrième d' une erreur manifeste d' appréciation.

Sur le moyen tiré de l' inexistence ou, à tout le moins, de l' incompétence des services du FSE

Exposé sommaire de l' argumentation des parties

29 Les requérantes affirment que la décision a été prise par une entité inexistante ou, à tout le moins, incompétente. A cet égard, elles soutiennent, d' une part, que les auteurs de l' acte, à savoir les "services du FSE", constituent une entité inexistante, du fait qu' il est impossible de déduire de la décision de quels services il s' agit, et, d' autre part, que ces services sont, en tout état de cause, incompétents, puisque, en vertu de l' article 5 de la décision 83/516 et de l' article 6 du règlement n 2950/83, seule la Commission est compétente pour adopter des décisions en matière de concours financier du FSE.

30 La défenderesse rappelle que, si, conformément à l' article 6 du règlement n 2950/83, la Commission doit adopter la décision initiale concernant la contribution du FSE, les mesures subséquentes de gestion et d' administration relèvent de la compétence de ses services, en l' occurrence de la DG V. Or, en l' espèce, la décision de réduire le concours financier initialement accordé constituerait un acte de gestion courante du fait que cette décision se borne à constater le non-respect d' une condition suspensive. A l' appui de son argumentation, la défenderesse se base tant sur l' arrêt de la Cour du 11 octobre 1990, FUNOC/Commission (C-200/89, Rec. p. I-3669), dans lequel la Cour a jugé que la DG V est chargée de gérer les dépenses du FSE, en coopération avec le contrôleur financier, que sur la jurisprudence selon laquelle la délégation de signature est un moyen normal et légitime par lequel la Commission peut exercer ses compétences (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, et du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec. p. 977).

Appréciation du Tribunal

31 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que l' article 123 du traité CEE, en vigueur au moment de l' adoption de la décision litigieuse, devenu l' article 123 du traité CE, dispose: "Afin d' améliorer les possibilités d' emploi des travailleurs dans le marché commun et de contribuer ainsi au relèvement du niveau de vie, il est institué, dans le cadre des dispositions ci-après, un Fonds social européen, qui aura pour mission de promouvoir à l' intérieur de la Communauté les facilités d' emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs." En vertu de l' article 124 du traité CE, l' administration du FSE incombe à la Commission qui le gère conformément aux dispositions d' application.

32 Il convient de relever, en outre, que l' organigramme de la Commission révèle l' existence d' une direction du FSE au sein de la direction générale Emploi, relations industrielles et affaires sociales.

33 Le présent moyen, pour autant qu' il est tiré de l' inexistence de ce service, doit, dès lors, être écarté.

34 Pour autant que le moyen est tiré de l' incompétence des services du FSE pour prendre la décision litigieuse, il convient de rappeler qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour que la délégation de signature à l' intérieur d' une institution constitue une mesure relative à l' organisation interne des services de l' administration communautaire, conforme à l' article 27 du règlement intérieur 63/41/CEE de la Commission, du 9 janvier 1963 (JO 1963, 17, p. 181), maintenu provisoirement en vigueur par l' article 1er de la décision 67/426/CEE de la Commission, du 6 juillet 1967 (JO 1967, 147, p. 1), en vigueur à l' époque de l' adoption de la décision, et qu' elle est le moyen normal par lequel la Commission exerce ses compétences (arrêts ICI/Commission et Cementhandelaren/Commission, précités). Des fonctionnaires peuvent, dès lors, être habilités à prendre, au nom et sous le contrôle de la Commission, des mesures de gestion ou d' administration clairement définies.

35 S' agissant en particulier des décisions de la Commission en matière de concours du FSE, il découle des dispositions applicables au FSE que la DG V est chargée de gérer les dépenses du FSE, en coopération avec le contrôleur financier (arrêt FUNOC/Commission, précité).

36 En l' espèce, les requérantes n' ont fourni aucune indication susceptible d' établir que l' administration communautaire, en prenant la décision de réduire son concours financier à la suite de vérifications techniques ayant révélé que les conditions fixées dans la décision d' agrément initiale n' avaient pas été respectées, se serait départie des règles d' organisation interne applicables en la matière.

37 Il s' ensuit que le présent moyen, pour autant qu' il est tiré de l' incompétence des services du FSE, doit également être rejeté.

Sur les moyens tirés d' une violation des droits de la défense et d' une insuffisance de motivation

Exposé sommaire de l' argumentation des parties

38 Les requérantes relèvent, tout d' abord, que le DAFSE, qui mentionne, dans ses lettres des 24 avril et 7 mai 1992, la décision des services du FSE de réduire le concours financier initialement octroyé, a omis de la joindre, même en photocopie, et en concluent que cette décision est inexistante. Elles ajoutent que le DAFSE ne les a pas informées qu' il avait été invité par la Commission à présenter ses observations, malgré le fait qu' elles étaient concernées directement et individuellement.

39 Les requérantes font grief, ensuite, à la Commission d' avoir violé des formes substantielles en adoptant la décision attaquée, sans les en informer et sans leur faire connaître les raisons qui l' ont motivée. A cet égard, elles soutiennent, d' abord, qu' elles n' ont pas eu connaissance du réexamen du dossier et qu' elles n' ont pas disposé des informations et des résultats de la prétendue "mission de contrôle communautaire", mentionnée dans les lettres des 24 avril et 7 mai 1992. Ces missions de contrôle ne seraient pas identifiables, ni quant aux conditions de leur déroulement effectif, ni quant à leurs résultats en raison du fait que la Commission n' a pas communiqué les éventuels rapports.

40 La Commission soutient que la décision est conforme aux dispositions de l' article 6, paragraphe 1, du règlement n 2950/83. A cet égard, la défenderesse, se référant à l' arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Oliveira/Commission (C-304/89, Rec. p. I-2283), rappelle que l' État membre est l' unique interlocuteur du FSE, qu' il engage sa responsabilité dans la mesure où il certifie l' exactitude factuelle et comptable des indications contenues dans les demandes de paiement du solde et où il peut même être tenu de garantir la bonne fin des actions de formation. Elle ajoute que, s' il est vrai que, eu égard à son rôle central et à l' importance des responsabilités qu' il assume dans la présentation et le contrôle du financement des actions de formation, la possibilité pour l' État membre concerné de présenter ses observations préalablement à l' adoption d' une décision définitive de réduction constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité des décisions attaquées, la procédure, en l' espèce, s' est déroulée de manière régulière, le FSE ayant respecté la formalité essentielle consistant à accorder aux autorités portugaises la possibilité de présenter leurs observations. La Commission ne saurait être tenue pour responsable des manquements d' un État membre qui aurait omis d' informer de façon adéquate les personnes concernées.

41 La Commission ajoute qu' en tout état de cause les requérantes avaient parfaitement connaissance du fait que le refus de versement du solde était directement lié aux missions de contrôle effectuées par ses services et que tant l' État portugais que la Commission éprouvaient des doutes sérieux sur la licéité et la réalisation effective des actions de formation en cause. Cet état des choses résulterait à suffisance des documents produits en annexe à la requête et de l' exposé exhaustif des motifs des décisions n s 55/92 à 59/92 du DAFSE, du 25 juin 1992.

Appréciation du Tribunal

42 Le Tribunal rappelle qu' il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l' encontre d' une personne et susceptible d' aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l' absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (voir notamment les arrêts de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 44, et du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C-135/92, Rec. p. I-0000). Ce principe exige que toute personne à l' encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder la décision litigieuse.

43 En vue d' examiner si les droits de la défense des requérantes ont été violés en l' espèce, il convient d' analyser si, eu égard au rôle joué par l' État membre, dans la procédure en cause, en tant qu' interlocuteur unique du FSE, la décision attaquée est susceptible de concerner directement les requérantes et de leur faire grief.

44 A cet égard, force est de constater que la décision attaquée prive les entreprises bénéficiaires d' une partie du concours initialement octroyé, sans que le règlement n 2950/83 n' octroie à l' État membre concerné un quelconque pouvoir d' appréciation propre (voir, en dernier lieu, l' ordonnance du Tribunal du 20 juin 1994, Frinil e.a./Commission, T-446/93, non publiée au Recueil, point 29).

45 Il convient de relever, en outre, que c' est par l' ordre de recouvrement du 3 mars 1992 que la Commission a entendu définitivement réduire le concours accordé, ainsi qu' elle l' avait annoncé dans sa lettre de la DG V au DAFSE du 14 juin 1991. Il est certes exact que la décision de la Commission, incorporée dans la lettre précitée, a été adressée aux seules autorités portugaises. Elle a cependant nommément désigné et explicitement visé les requérantes en tant que bénéficiaires directes du concours octroyé. Le Tribunal estime, dès lors, que les requérantes sont directement et individuellement concernées par la décision de réduction attaquée.

46 Le bien-fondé de cette analyse est corroboré, d' une part, par le fait qu' il est de jurisprudence constante que les recours introduits par les entreprises bénéficiaires de concours financiers octroyés par le FSE sont recevables à agir contre les décisions les privant d' un tel concours (voir les arrêts de la Cour du 7 mai 1991, Interhotel/Commission, C-291/89, Rec. p. I-2257, point 13, et du 4 juin 1992, Infortec/Commission, C-157/90, Rec. p. I-3525, point 17), ce qui suppose non seulement qu' elles sont individuellement concernées par de telles décisions, mais également qu' elles sont concernées directement par elles.

47 Le bien-fondé de cette analyse est corroboré, d' autre part, par les dispositions du règlement n 2950/83, dont il résulte que, en dépit du fait que l' État membre est le seul interlocuteur du FSE, un lien direct s' établit entre la Commission et le bénéficiaire du concours. En effet, l' article 6 du règlement précité, dispose, d' une part, qu' il appartient à la Commission de suspendre, réduire ou supprimer le concours du FSE, lorsque ce concours n' est pas utilisé dans les conditions fixées par la décision d' agrément, l' État membre concerné étant seulement invité à présenter ses observations, et, d' autre part, que les sommes versées qui n' ont pas été utilisées dans les conditions fixées par la décision d' agrément donnent lieu à répétition et que l' État membre intéressé n' est que subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées pour des actions auxquelles s' applique la garantie visée à l' article 2, paragraphe 2, de la décision 83/516.

48 Les requérantes subissent ainsi directement les conséquences économiques de la décision de réduction qui leur fait grief en ce qu' elles sont responsables à titre principal du remboursement des sommes indûment versées (arrêt Pays-Bas e.a./Commission, précité, point 50). A cet égard, la Commission a d' ailleurs reconnu à l' audience qu' elle pouvait, le cas échéant, intenter devant le juge national une action en recouvrement des sommes litigieuses dirigée contre les requérantes.

49 Il résulte de ce qui précède que la Commission, qui assume seule, à l' égard des requérantes, la responsabilité juridique de l' acte attaqué, ne pouvait adopter la décision litigieuse sans avoir préalablement mis celles-ci en mesure, ou s' être assurée qu' elles avaient été mises en mesure, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réduction du concours envisagée.

50 Or, il est constant entre les parties que, d' une part, les requérantes n' ont reçu communication ni des rapports d' enquête de la Commission ni des griefs que celle-ci formulait à leur encontre, pas plus qu' elles n' ont été entendues par la Commission avant que celle-ci n' adopte la décision litigieuse, et que, d' autre part, le DAFSE, après avoir été invité par la Commission, par lettre du 14 juin 1991, à présenter ses observations, a signifié à la Commission, par lettre du 8 juillet 1991, sans avoir entendu préalablement les requérantes, sa volonté d' accepter la décision que la Commission s' apprêtait à adopter à l' égard de celles-ci.

51 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la décision litigieuse est intervenue en violation des droits de la défense des requérantes.

52 De surcroît, il y a lieu de relever que ni la décision litigieuse ni les rapports de mission ne répondent aux exigences de motivation de l' article 190 du traité. En effet, une décision portant réduction d' un concours initialement octroyé, qui comporte des conséquences graves pour les demandeurs, doit faire clairement apparaître les motifs qui justifient la réduction du concours par rapport au montant initialement agréé (arrêts de la Cour du 4 juin 1992, Consorgan/Commission, C-181/90, Rec. p. I-3557, points 15 à 18, et Cipeke/Commission, C-189/90, Rec. p. I-3573, points 15 à 18). En l' espèce, ni la lettre du 14 juin 1991 ni les rapports de mission n' identifient, pour chacune des requérantes, les postes concernés par la réduction et ne font apparaître clairement les raisons qui ont amené la Commission, à l' égard de chacune des requérantes, à réduire le concours octroyé.

53 Il découle de ce qui précède que la décision de réduction litigieuse doit être annulée sans qu' il y ait lieu d' examiner le dernier moyen invoqué par les requérantes au soutien de leurs conclusions en annulation.

Sur les conclusions tendant à la condamnation de la Commission à verser le solde du concours du FSE

54 Il convient de rappeler que, dans le cadre d' un recours en annulation au titre de l' article 173 du traité, le juge communautaire se limite à un contrôle de légalité de l' acte attaqué. Lorsque l' acte attaqué est annulé, il appartient à l' institution dont émane l' acte, en vertu de l' article 176 du traité ° et non au juge communautaire ° de prendre les mesures que comporte l' exécution de l' arrêt.

55 Il s' ensuit que les conclusions tendant à ce que le Tribunal condamne la Commission à verser aux requérantes le solde du concours du FSE sont irrecevables en ce qu' elles excèdent les limites de la compétence conférée par le traité au juge communautaire dans le cadre d' un recours en annulation. Elles doivent, dès lors, être rejetées.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

56 Aux termes de l' article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. En l' espèce, la Commission ayant succombé en ses moyens et les requérantes ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de la condamner à supporter l' ensemble des dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable pour autant qu' il vise à la condamnation de la Commission au versement du solde du concours financier du Fonds social européen.

2) La décision de la Commission portant réduction du concours financier octroyé par le Fonds social européen au titre du projet n 870844 P1 est annulée.

3) La partie défenderesse supportera l' ensemble des dépens.