61991V0001

Avis de la Cour du 14 décembre 1991. - Avis rendu en vertu de l'article 228, paragraphe 1, deuxième alinéa du traité. - Projet d'accord entre la Communauté, d'une part, et les pays de l'Association européenne de libre échange, d'autre part, portant sur la création de l'Espace économique européen. - Avis 1/91.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-06079
édition spéciale suédoise page I-00533
édition spéciale finnoise page I-00565


Sommaire
Objet du litige
Motifs de l'arrêt
Dispositif

Mots clés


1. Accords internationaux - Accord créant l'Espace économique européen - Finalité et contexte différents de ceux du droit communautaire - Portée limitée de l'obligation d'interpréter les règles de l'accord conformément à la jurisprudence de la Cour relative aux règles correspondantes du droit communautaire - Homogénéité des règles du droit dans l'ensemble de l'Espace économique européen non garantie

2. Accords internationaux - Accord créant l'Espace économique européen - Système juridictionnel - Compétence de la Cour de l'Espace économique européen pour se prononcer sur les compétences respectives de la Communauté et de ses États membres - Atteinte inadmissible à l'autonomie du système juridique communautaire

( Traité CECA, art. 87; traité CEE, art. 164 et 219 )

3. Accords internationaux - Accords de la Communauté - Accord créant une instance juridictionnelle rendant des décisions obligatoires pour la Communauté - Compatibilité avec le droit communautaire - Exception - Système juridictionnel de l'accord créant l'Espace économique européen - Système de nature à conditionner l'interprétation future des règles communautaires en matière de libre circulation et de concurrence - Atteinte aux fondements de la Communauté

( Traité CEE, art. 164 )

4. Accords internationaux - Accord créant l'Espace économique européen - Possibilité offerte aux juridictions des États de l'Association européenne de libre-échange de demander à la Cour d'interpréter l'accord - Admissibilité - Absence d'effet obligatoire des réponses de la Cour - Inadmissibilité

5. Procédure - Intervention - Droit d'intervenir - Extension aux États de l'Association européenne de libre-échange dans le cadre de l'Espace économique européen - Recours à une modification du Protocole sur le statut de la Cour

( Traité CEE, art. 188, alinéa 2, et 236; statut de la Cour de justice CEE, art. 20 et 37 )

6. Accords internationaux - Accord créant l'Espace économique européen - Système juridictionnel - Incompatibilité avec le droit communautaire - Recours à une modification de l'article 238 du traité pour remédier à l'incompatibilité - Inadmissibilité

( Traité CEE, art. 164 et 238)

Sommaire


1. L'identité des termes des dispositions de l'accord portant sur la création de l'Espace économique européen et des dispositions communautaires correspondantes ne signifie pas que les unes et les autres doivent nécessairement être interprétées de façon identique. En effet, un traité international doit être interprété non pas uniquement en fonction des termes dans lesquels il est rédigé, mais également à la lumière de ses objectifs.

S'agissant des objectifs de l'accord et de ceux du droit communautaire, il convient de constater que l'accord vise à l'application d'un régime de libre-échange et de concurrence dans les relations économiques et commerciales entre les parties contractantes. Pour la Communauté, en revanche, un tel régime s'est développé et s'insère dans l'ordre juridique communautaire dont les objectifs vont au-delà de ceux poursuivis par l'accord. En effet, le traité CEE vise à atteindre une intégration économique débouchant sur l'établissement d'un marché intérieur et d'une union économique et monétaire, l'ensemble des traités communautaires ayant pour objectif de faire progresser concrètement l'Union européenne.

S'agissant du contexte dans lequel s'inscrit l'objectif de l'accord, il diffère également de celui dans lequel se poursuivent les objectifs communautaires. L'Espace économique européen doit être réalisé sur la base d'un traité international qui ne crée que des droits et obligations entre les parties contractantes et ne prévoit aucun transfert de droits souverains au bénéfice des organes intergouvernementaux qu'il institue. En revanche, le traité CEE, bien que conclu sous la forme d'un accord international, n'en constitue pas moins la charte constitutionnelle d'une communauté de droit. Les traités communautaires ont en effet instauré un nouvel ordre juridique au profit duquel les États membres ont limité leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États mais également leurs ressortissants. Les caractéristiques essentielles de l'ordre juridique communautaire ainsi constitué sont, en particulier, sa primauté par rapport aux droits des États membres et l'effet direct de toute une série de dispositions.

Il en résulte que l'homogénéité des règles de droit dans l'ensemble de l'Espace économique européen n'est pas garantie par l'identité de contenu ou de rédaction des dispositions du droit communautaire et des dispositions correspondantes de l'accord.

Elle ne l'est pas davantage par le mécanisme d'interprétation des règles de l'accord que prévoit ce dernier et qui veut que lesdites règles soient interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour, relative aux règles correspondantes de droit communautaire. En effet, d'une part, ce mécanisme ne concerne que la jurisprudence de la Cour antérieure à la date de la signature de l'accord, ce qui sera source de difficultés en raison du caractère évolutif de cette jurisprudence. D'autre part, bien que l'accord ne précise pas s'il vise la jurisprudence de la Cour dans son ensemble et notamment celle sur l'effet direct et la primauté du droit communautaire, il ressort d'un protocole le complétant que les parties contractantes s'engagent seulement à introduire, dans leurs ordres juridiques respectifs, une disposition législative qui permette aux termes de l'accord de prévaloir sur des dispositions législatives contraires, de sorte que le respect de la jurisprudence de la Cour ne s'étend pas à certains de ses éléments essentiels qui sont inconciliables avec les caractéristiques de l'accord.

2. Compétente pour régler les différends entre les parties contractantes portant sur l'interprétation ou l'application de l'accord, la Cour de l'Espace économique européen peut être appelée à interpréter la notion de "partie contractante", laquelle, s'agissant de la Communauté, vise, selon les cas, soit la Communauté, soit celle-ci et les États membres, soit uniquement ces derniers. Cette Cour sera donc amenée à statuer sur les compétences respectives de la Communauté et de ses États membres pour les matières régies par les dispositions de l'accord. L'attribution de cette compétence est incompatible avec le droit communautaire car elle est susceptible de porter atteinte à l'ordre des compétences défini par les traités et à l'autonomie du système juridique communautaire dont la Cour de justice assure le respect, en vertu de l'article 164 du traité CEE, d'une manière exclusive, les États membres s'étant engagés par l'article 87 du traité CECA et par l'article 219 du traité CEE à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que celui prévu par ceux-ci.

3. Lorsqu'un accord international conclu par la Communauté prévoit un système juridictionnel propre comprenant une juridiction compétente pour régler les différends entre les parties contractantes à cet accord et, par voie de conséquence, pour en interpréter les dispositions, les décisions de cette juridiction lient les institutions de la Communauté, y compris la Cour, notamment lorsque celle-ci est appelée à statuer sur l'interprétation de l'accord, en tant que celui-ci fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

Un accord international qui prévoit un tel système juridictionnel est, en principe, compatible avec le droit communautaire, la compétence de la Communauté en matière de relations internationales et sa capacité de conclure des accords internationaux comportant nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d'une juridiction créée en vertu de tels accords pour l'interprétation et l'application de leurs dispositions.

S'agissant de l'accord créant l'Espace économique européen, la question se présente cependant sous un jour particulier. En effet, d'une part, en reprenant une partie essentielle des règles qui régissent les relations économiques et commerciales à l'intérieur de la Communauté et qui constituent, pour la plupart, des dispositions fondamentales de l'ordre juridique communautaire, cet accord a pour effet d'insérer dans l'ordre juridique communautaire un vaste ensemble de règles juridiques qui est juxtaposé à un groupe de règles communautaires dont le libellé est identique. D'autre part, cet accord, en tant qu'il s'assigne un objectif d'application uniforme et d'égalité des conditions de concurrence, vise nécessairement l'interprétation tant de ses dispositions que de celles correspondantes de l'ordre juridique communautaire.

Bien que l'accord oblige la Cour de l'Espace économique européen à interpréter les dispositions de l'accord à la lumière de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice antérieure à la date de signature de l'accord, la Cour de l'Espace économique européen ne sera plus soumise à une telle obligation pour les décisions rendues par la Cour de justice après cette date. Par conséquent, l'objectif d'assurer l'homogénéité du droit dans l'ensemble de l'Espace économique européen commande non seulement l'interprétation des règles propres à cet accord, mais également celle des règles correspondantes du droit communautaire.

Il s'ensuit que, en conditionnant l'interprétation future des règles communautaires en matière de libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, ainsi que de celles en matière de concurrence, le mécanisme juridictionnel prévu par l'accord porte atteinte à l'article 164 du traité CEE et, plus généralement, aux fondements mêmes de la Communauté, ce qui le rend incompatible avec le droit communautaire.

4. S'il est vrai qu'aucune disposition du traité CEE ne s'oppose à ce qu'un accord international confère à la Cour de justice une compétence pour l'interprétation des dispositions d'un tel accord aux fins de son application dans des États tiers et qu'aucune objection de principe ne peut être formulée ni à l'encontre de la liberté laissée par l'accord créant l'Espace économique européen aux États de l'Association européenne de libre-échange d'autoriser ou non leurs juridictions à poser des questions à la Cour, ni à l'encontre de l'absence d'obligation pour certaines de ces juridictions de saisir la Cour, il est, en revanche, impossible que les réponses que la Cour donne aux juridictions des États de l'Association européenne de libre-échange aient un effet purement consultatif et soient dépourvues d'effets obligatoires. Une telle situation dénaturerait la fonction de la Cour telle qu'elle est conçue par le traité, à savoir celle d'une juridiction dont les arrêts sont contraignants.

5. Le droit d'intervenir dans les affaires pendantes devant la Cour de justice étant réglé par les articles 20 et 37 du Protocole sur le statut de la Cour de justice CEE, lequel peut être modifié par les institutions communautaires selon la procédure de l'article 188, deuxième alinéa, du traité, l'attribution dans le cadre de l'Espace économique européen aux États de l'Association européenne de libre-échange d'un droit d'intervention n'exige pas une modification du traité au sens de son article 236.

6. L'article 238 du traité CEE ne fournit aucune base pour instituer, par un accord international, un système juridictionnel qui porte atteinte à l'article 164 de ce traité et, plus généralement, aux fondements mêmes de la Communauté. Pour les mêmes raisons, une modification de l'article 238 ne saurait remédier à l'incompatibilité du système juridictionnel de l'accord avec le droit communautaire

Objet du litige


AVIS 1/91

Avis rendu en vertu de l'article 228, paragraphe 1,

deuxième alinéa, du traité

"Projet d'accord entre la Communauté, d'une part, et

les pays de l'Association européenne de libre-échange, d'autre part,

portant sur la création de l'Espace économique européen

Motifs de l'arrêt


La Cour de justice a été saisie d'une demande d'avis, déposée au greffe de la Cour le 14 août 1991, formulée par la Commission des Communautés européennes au titre de l'article 228, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité instituant la Communauté économique européenne, aux termes duquel :

"Le Conseil, la Commission ou un État membre peut recueillir au préalable l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité de l'accord envisagé avec les dispositions du présent traité. L'accord qui a fait l'objet d'un avis négatif de la Cour de justice ne peut entrer en vigueur que dans les conditions fixées selon le cas à l'article 236 ."

I - Exposé de la demande d'avis

Par cette demande, la Commission a sollicité l'avis de la Cour sur la compatibilité avec les dispositions du traité CEE d'un projet d'accord portant sur la création de l'Espace économique européen ( ci-après respectivement "accord" et "Espace EE ") et, plus particulièrement, du mécanisme juridictionnel que cet accord envisage de mettre en place. Il s'agirait d'un accord d'association à conclure par la Communauté sur la base de l'article 238 du traité.

L'accord fait l'objet de négociations entre la Commission, en vertu du mandat du Conseil du 18 mars 1990, agissant au nom de la Communauté conformément à une décision du Conseil, et les pays de l'Association européenne de libre-échange et la principauté de Liechtenstein qui a officiellement déposé sa demande d'adhésion à l'AELE le 1er mars 1991 ( ci-après "pays de l'AELE" ou "États de l'AELE ").

Le texte de l'accord ( dont les termes n'étaient pas définitifs ) était joint à la demande d'avis.

La Cour rend son avis sur la base de la version anglaise du texte de l'accord. Ce texte a été communiqué par la Commission, par lettre du 30 octobre 1991, en état avant paraphe.

Pour motiver la demande d'avis, la Commission a indiqué que l'accord prévoit un système de contrôle juridictionnel pour le règlement des différends entre les parties contractantes, le règlement des conflits internes à l'AELE et des procédures pour renforcer l'homogénéité juridique au sein de l'Espace EE. Tout en étant convaincue que ce système présente des garanties certaines pour la Communauté, la Commission, dans un souci de sécurité juridique, a estimé opportun de consulter la Cour au titre de l'article 228 du traité, notamment sur certains points particuliers du système envisagé.

II - Procédure

Conformément à l'article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la demande d'avis a été signifiée au Conseil et aux États membres. Des observations écrites ont été présentées par la Commission ainsi que par les gouvernements du Royaume-Uni, du royaume de Belgique et du royaume d'Espagne.

La Commission, le Conseil et les gouvernements des États membres ont été invités par la Cour à répondre à quelques questions qui leur avaient été posées par écrit. Ceux-ci ont été représentés à l'audition qui s'est tenue à huis clos au siège de la Cour, le 26 novembre 1991, et durant laquelle ils ont répondu à ces questions.

Les avocats généraux ont été entendus par la Cour en chambre du conseil, conformément à l'article 108, paragraphe 2, du règlement de procédure, le 3 décembre 1991.

III - Analyse de l'accord

Antécédents

Depuis 1973, les relations commerciales entre la Communauté et les pays de l'AELE ainsi que le Liechtenstein sont régies par des accords de libre-échange bilatéraux. En janvier 1989, le président de la Commission a proposé, devant le Parlement européen, une amélioration et une intensification des relations entre la Communauté et l'AELE. Cette proposition ayant été accueillie favorablement par les pays de l'AELE, des entretiens ont eu lieu et ont abouti à la décision d'engager des négociations formelles. A cette fin, la Commission a été autorisée par le Conseil "à ouvrir des négociations avec les pays de l'AELE et le Liechtenstein en vue de la conclusion d'un accord entre la Communauté et lesdits pays agissant comme interlocuteur unique, portant sur la création de l'Espace économique européen ". Ces négociations ont officiellement été ouvertes le 1er juillet 1990.

Contenu de l'accord

L'accord consiste en neuf parties précédées d'un préambule : 1 ) objectifs et principes; 2 ) libre circulation des marchandises; 3 ) libre circulation des personnes, des services et des capitaux; 4 ) concurrence et autres règles communes; 5 ) dispositions horizontales concernant les quatre libertés énoncées ci-avant ( en matière de politique sociale, de protection des consommateurs, d'environnement, de statistiques et de droit des sociétés ); 6 ) modalités de coopération en dehors des quatres libertés; 7 ) dispositions institutionnelles; 8 ) Fonds et 9 ) dispositions finales.

Le considérant unique du préambule de l'accord est libellé comme suit :

"Considering the objective to establish a dynamic and homogeneous European Economic Area, based on common rules and equal conditions of competition and providing for the adequate means of enforcement including at the judicial level, and achieved on the basis of equality and reciprocity and of an overall balance of benefits, rights and obligations for the Contracting Parties ."

L'article 1er, paragraphe 1, de l'accord dispose que :

"The aim of this Agreement of association is to promote a continuous and balanced strengthening of trade and economic relations between the Contracting Parties with equal conditions of competition, and the respect of the same rules, with a view to creating a homogeneous European Economic Area, hereinafter referred to as the EEA ."

L'article 6 de l'accord est libellé comme suit :

"Without prejudice to future developments of case-law, the provisions of this Agreement, in so far as they are identical in substance to corresponding rules of the Treaty establishing the European Economic Community and the Treaty establishing the European Coal and Steel Community and to acts in application of these two Treaties, shall in their implementation and application be interpreted in conformity with the relevant rulings of the Court of Justice of the European Communities given prior to the date of signature of this Agreement ."

L'article 7 de l'accord dispose que :

"Acts referred to or contained in the Annexes to this Agreement or in decisions of the EEA Joint Committee shall be binding upon the Contracting Parties and be, or be made, part of their internal legal order as follows :

( a ) an act corresponding to an EEC regulation shall as such be made part of the internal legal order of the Contracting Parties;

( b ) an act corresponding to an EEC directive shall leave to the authorities of the Contracting Parties the choice of form and method of implementation ."

Le protocole 35, intitulé "Protocol 35 on the implementation of EEA rules" dont l'article 1er se réfère à l'article 7 de l'accord, précité, est libellé comme suit :

"Whereas this Agreement aims at achieving a homogeneous European Economic Area, based on common rules, without requiring any Contracting Party to transfer legislative powers to any institution of the European Economic Area;

and

whereas this consequently will have to be achieved through national procedures;

Article 1

The Contracting Parties take into account that when implementing a part of an act corresponding to an EEC directive, which is clear, precise and unconditional, subparagraph ( a ) of Article 7 of the Agreement shall apply.

Article 2

For cases of possible conflicts between implemented EEA rules and other statutory provisions, the Contracting Parties undertake to introduce, if necessary, a statutory provision to the effect that EEA rules shall prevail in these cases ."

La partie VII, intitulée "institutional provisions" ( articles 89 - 120 ) est composée de quatre chapitres. Le chapitre 1er, intitulé "the structure of the association" contient cinq sections, dont la section 1 concerne le Conseil de l'Espace EE. Le Conseil de l'Espace EE, composé des membres du Conseil et des membres de la Commission des Communautés européennes et d'un membre du gouvernement de chaque pays de l'AELE, est chargé notamment de définir les orientations générales et de donner l'impulsion politique dans le cadre de la mise en oeuvre de l'accord. La section 2 concerne le comité mixte qui, composé de représentants des parties contractantes, est chargé de mettre en oeuvre l'accord et de veiller à son fonctionnement. La section 3, intitulée "the EEA courts", contient les dispositions suivantes :

"Article 95

1. An independent EEA Court, functionally integrated with the Court of Justice of the European Communities, is hereby established. The EEA Court shall exercise the functions which follow from Article 96. Each EFTA State shall nominate one Judge to the Court.

2. The Court, when sitting in plenary session, ( 1 ) shall be composed of five Judges of the Court of Justice of the European Communities and, on the basis of rotation, three of the Judges nominated by the EFTA States.

3. At the request of the Court, the EEA Council may allow it to establish Chambers, each consisting of three or five Judges. ( 2 )

4. The Presidency of the Court shall be held alternatively by one of the Judges of the Court of Justice of the European Communities and by one of the Judges nominated by the EFTA States.

Article 96

1. The EEA Court is competent for :

( a ) the settlement of disputes between the Contracting Parties;

( b ) actions concerning the surveillance procedure regarding the EFTA States;

( c ) appeals concerning decisions in the field of competition initiated by the EFTA Surveillance Authority.

2. The EEA Court may be seized by :

( a ) the EEA Joint Committee or the Contracting Parties in cases for settlement of disputes in accordance with Article 117;

( b ) a natural or legal person or by the EFTA Surveillance Authority on appeal against decisions given by the EEA Court of First Instance in the field of competition in accordance with Article 102;

( c ) the EC Commission or the EFTA Surveillance Authority in cases of conflict of competence arising under the provisions of Chapter 1 of Part IV.

3. In addition, the EEA Court may be seized under the provisions of a separate agreement between the EFTA States establishing an EFTA Surveillance Authority by :

( a ) the EFTA Surveillance Authority under the surveillance procedure referred to in Article 116 regarding the fulfilment of the obligations under this Agreement by the EFTA States;

( b ) an EFTA State or a natural or legal person in actions against the EFTA Surveillance Authority.

Article 97

The Contracting Parties concerned, and the surveillance authorities, i.e. the EC Commission and the EFTA Surveillance Authority, as the case may be, shall take the necessary measures to comply with the judgments of the EEA Court.

Article 98

The EEA Court shall have unlimited jurisdiction in regard to penalties imposed by the EFTA Surveillance Authority.

Article 99

Actions brought before the EEA Court shall not have suspensory effect. The EEA Court may, however, if it considers that circumstances so require, order that application of the contested act be suspended.

Article 100

The EEA Court may, where seized in accordance with Article 96(2 ) ( b ) or ( 3 ), prescribe any necessary interim measures.

Article 101

1. An independent EEA Court of First Instance, attached to the EEA Court, is hereby established. It shall ensure the legal control of decisions of the EFTA Surveillance Authority relating to competition rules applicable to undertakings. Each EFTA State shall nominate one Judge to the Court.

2. The EEA Court of First Instance shall be composed of three of the Judges nominated by the EFTA States, on the basis of rotation, and two Judges of the Court of First Instance of the European Communities.

3. The Presidency of the Court shall be held alternatively by one of the Judges nominated by the EFTA States and by one of the Judges of the Court of First Instance of the European Communities.

Article 102

The EEA Court of First Instance shall have jurisdiction at first instance in actions brought by a natural or legal person against a decision by the EFTA Surveillance Authority, relating to the implementation of the competition rules applicable to undertakings, if that decision is addressed to that person or if it is of direct and individual concern to him.

In addition, the EEA Court of First Instance shall have the competences conferred on the EEA Court in Articles 98 to 100.

The EEA Court of First Instance shall also be competent to give rulings in actions against the EFTA Surveillance Authority in accordance with provisions to be laid down in a separate agreement between the EFTA States establishing the EFTA Surveillance Authority.

Article 103

1. The Statutes of the EEA Court and of the EEA Court of First Instance, including, in particular, the rules on the functioning of the two Courts, the appointment of the Judges and the Presidents and their terms of office are laid down in Protocol 33.(3 )

2. The EEA Court and the EEA Court of First Instance shall adopt their rules of procedure, to be approved by the EEA Council.

Article 104

1. In order to ensure as uniform as possible an interpretation of this Agreement, in full deference to the independence of courts, the EEA Court, the EEA Court of First Instance, the Court of Justice of the European Communities, the Court of First Instance of the European Communities and the Courts of the EFTA States shall, when applying and interpreting respectively the provisions of this Agreement or provisions of the Treaty establishing the European Economic Community and the Treaty establishing the European Coal and Steel Community, as amended or supplemented, or of the acts adopted in pursuance thereof, which are identical in substance to the provisions of this Agreement, pay due account to the principles laid down by any relevant decisions delivered by the other Courts.

A system of exchange of information concerning judgments by courts of last instance shall be set up by the EEA Joint Committee. This system shall comprise :

( a ) transmission to the Registrar of the EEA Court of judgments delivered by such courts on the interpretation and application of, on the one hand, this Agreement or, on the other hand, the Treaty establishing the European Economic Community and the Treaty establishing the European Coal and Steel Community, as amended or supplemented, as well as the acts adopted in pursuance thereof in so far as they concern provisions which are identical in substance to those of this Agreement;

( b ) classification of these judgments by the Registrar of the EEA Court including, as far as necessary, the drawing up and publication of translations and abstracts;

( c ) communication by the Registrar of the EEA Court of the relevant documents to the competent national authorities, to be designated by each Contracting Party.

2. Provisions on the possibility for an EFTA State to allow a court or tribunal to ask the Court of Justice of the European Communities to express itself ( 4 ) on the interpretation of an EEA rule are laid down in Protocol 34.

Article 105

Decisions under this Agreement by the EFTA Surveillance Authority and the EC Commission which impose a pecuniary obligation on persons other than States, shall be enforceable. The same shall apply to such judgments under this Agreement by the EEA Court, the EEA Court of First Instance, the Court of Justice of the European Communities and the Court of First Instance of the European Communities.

Enforcement shall be governed by the rules of civil procedure in force in the State in the territory of which it is carried out. The order for its enforcement shall be appended to the decision, without other formality than verification of the authenticity of the decision, by the authority which each Contracting Party shall designate for this purpose and shall make known to the other Contracting Parties, the EFTA Surveillance Authority, the EC Commission, the EEA Court, the EEA Court of First Instance, the Court of Justice of the European Communities and the Court of First Instance of the European Communities.

When these formalities have been completed on application by the party concerned, the latter may proceed to enforcement in accordance with the law of the State in the territory of which enforcement is to be carried out, by bringing the matter directly before the competent authority.

Enforcement may be suspended only by decision of the EEA Court or of the EEA Court of First Instance. However, the courts of the States concerned shall have jurisdiction over complaints that enforcement is being carried out in an irregular manner ."

Le protocole 34, auquel se réfère l'article 104, paragraphe 2, intitulé "Protocol 34 on the possibility for courts and tribunals of EFTA States to request the Court of Justice of the European Communities to express itself on the interpretation of EEA rules corresponding to EC rules", est libellé comme suit :

"Article 1

When a question of interpretation of provisions of the Agreement, which are identical in substance to the provisions of the Treaties establishing the European Communities, as amended or supplemented, or of acts adopted in pursuance thereof, arises in a case pending before a court or tribunal of an EFTA State, the court or tribunal may, if it considers this necessary, ask the Court of Justice of the European Communities to express itself on such a question.

Article 2

An EFTA State which intends to make use of this Protocol shall notify the Depositary and the Court of Justice of the European Communities to what extent and according to what modalities the Protocol will apply to its courts and tribunals.

Article 3

The Depositary shall notify the Contracting Parties of any notification under Article 2 ."

Les sections 4 et 5 du chapitre 1er de la partie VII de l'accord concernent respectivement la coopération parlementaire et la coopération entre les partenaires économiques et sociaux.

Le chapitre 2 est consacré au processus décisionnel.

Le chapitre 3, intitulé "Surveillance procedure and settlement of disputes", contient les dispositions suivantes :

"Article 116

1. The EFTA States shall establish an independent surveillance authority ( EFTA Surveillance Authority ) as well as procedures similar to those existing in the Community including procedures for ensuring the fulfilment of obligations under this Agreement and for control of the legality of acts of the EFTA Surveillance Authority regarding competition.

The fulfilment of the obligations under this Agreement shall be monitored by, on the one hand, the EFTA Surveillance Authority and, on the other, the EC Commission acting in conformity with the Treaty establishing the European Economic Community, the Treaty establishing the European Coal and Steel Community and this Agreement.

2. In order to ensure a uniform surveillance throughout the EEA, the EFTA Surveillance Authority and the EC Commission shall cooperate, exchange information and consult each other on surveillance policy issues and individual cases.

3. The EC Commission and the EFTA Surveillance Authority shall receive any complaints concerning the application ( 5 ) of this Agreement. They shall inform each other of complaints received.

4. Each of these bodies shall examine all complaints falling within its competence and shall pass to the other body any complaints which fall within the competence of that body.

5. In case of disagreement between these two bodies with regard to the action to be taken in relation to a complaint or with regard to the result of the examination, either of the bodies may refer the matter to the EEA Joint Committee which shall deal with it in accordance with Article 117.

Article 117

1. The EEA Joint Committee or a Contracting Party may bring a matter under dispute which concerns the application ( 6 ) of this Agreement before the EEA Court in accordance with the following provisions.

2. The EEA Joint Committee shall be provided with all information which might be of use in making possible an in-depth examination of the situation, with a view to settling the dispute and finding a solution acceptable to the Contracting Parties.

3. A Contracting Party may bring a matter under dispute before the EEA Court. In doing so it shall, however, first submit the matter to the EEA Joint Committee. If it is not resolved after two consecutive meetings of the Committee, either the Committee shall, unless otherwise decided, or a Contracting Party may, bring the matter before the EEA Court. For the Community, it shall be for the EC Commission to bring the matter before the EEA Court ."

IV - Résumé des observations écrites présentées par les institutions et les gouvernements

Observations générales

La Commission souligne que l'accord est d'une nature très différente de celle des accords d'association conclus par la Communauté jusqu'à présent. L'accord reprendra non seulement l'acquis communautaire existant à la date de sa signature, mais également le droit communautaire à intervenir dans les domaines couverts par l'accord. Quant au contenu de l'accord, la Commission souligne que les liens entre la Communauté et les pays de l'AELE reposent directement sur le traité CEE et les actes pris par les institutions de la Communauté en vertu de celui-ci. La procédure décisionnelle prévue par l'accord reflète, d'une part, l'intérêt d'étendre l'acquis communautaire et son devenir à l'Espace EE tout en sauvegardant l'autonomie de décision de la Communauté et, d'autre part, le respect de la volonté des États souverains qui n'entendraient ni transférer des compétences ni donner un pouvoir législatif aux organes de l'accord.

Le but de l'accord est de créer un espace économique homogène dans lequel un droit, substantiellement identique à celui qui est en vigueur à l'intérieur de la CEE, devrait s'appliquer de la manière la plus uniforme possible.

Après avoir rappelé que le système juridictionnel prévu par l'accord poursuit trois objectifs, à savoir le règlement des différends entre les parties contractantes, le règlement des conflits internes à l'AELE et le renforcement de l'homogénéité juridique au sein de l'Espace EE, la Commission précise que ces différentes compétences seront exercées soit par une Cour Espace économique européen ( ci-après "Cour EEE "), indépendante mais intégrée fonctionnellement à la Cour de justice, et un Tribunal de première instance EEE, indépendant mais rattaché à la Cour EEE, soit par la Cour de justice elle-même. La composition de la Cour EEE et celle du Tribunal EEE permettraient aux juges de la Cour de justice, présents dans ces deux instances, de faire valoir leur grande expérience, d'une part, du droit communautaire dans la Communauté et, d'autre part, de sa projection dans l'Espace EE et d'assurer ainsi l'uniformité dans l'application de ce droit.

Aux fins de règlement des différends entre les parties contractantes, la Cour EEE peut être saisie soit par le comité mixte, soit directement par une partie contractante, si le comité mixte n'a pas résolu le conflit après deux réunions consécutives.

En ce qui concerne les conflits internes à l'AELE, deux types peuvent être distingués. En premier lieu, les différends entre l'autorité de surveillance et les pays membres de l'AELE, à savoir les procédures d'infraction que l'autorité de surveillance AELE serait amenée à intenter contre les pays membres de l'AELE pour manquement aux obligations qui leur incombent en vertu de l'accord, ainsi que les recours contre les décisions rendues par cette autorité dans le domaine des aides d'État. Il appartiendrait à la Cour EEE de trancher ces questions. En second lieu, les affaires de concurrence pour lesquelles le Tribunal de première instance EEE serait compétent pour juger en première instance, la Cour EEE pouvant être saisie en appel des décisions rendues par le Tribunal.

S'agissant du renforcement de l'homogénéité juridique, l'accord prévoit trois procédures spécifiques. La première correspond en grande partie à celle mise en place par le protocole n 2, annexé à la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ( convention de Lugano ), sur l'interprétation uniforme de cette convention. La deuxième procédure vise la possibilité pour les pays de l'AELE d'intervenir dans des affaires préjudicielles devant la Cour de justice. La troisième procédure donne aux juridictions des pays de l'AELE la possibilité de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel sur toute question d'interprétation concernant l'accord.

Le système juridictionnel envisagé évite, toujours selon la Commission, un certain nombre d'écueils. Il permet, en effet, d'éviter qu'une autre juridiction que la Cour de justice n'ait compétence pour interpréter l'accord à titre préjudiciel, que l'application de l'accord, par la Cour EEE, ne se fasse dans la méconnaissance du droit communautaire et de la jurisprudence de la Cour de justice, que les règles de concurrence ne soient appliquées de manière désordonnée, que les opérateurs économiques ne puissent jouir du contrôle juridictionnel par la voie des recours préjudiciels et que les États AELE ne soient soumis à des juges étrangers.

La Commission souhaiterait recueillir l'avis de la Cour sur quatre points :

1 ) la compatibilité de la présence de juges de la Cour de justice, dans la Cour EEE, avec les termes de l'avis de la Cour de justice en date du 26 avril 1977 ( sur le projet d'accord relatif à l'institution d'un Fonds européen d'immobilisation de la navigation intérieure, avis 1/76, Rec. p. 741 );

2 ) la compatibilité avec le traité CEE d'un droit d'intervention, élargi aux pays membres de l'AELE, dans les affaires communautaires pendantes devant la Cour de justice;

3 ) la possibilité de permettre aux juridictions des pays membres de l'AELE de soumettre des questions d'interprétation de l'accord à la Cour de justice, sans modification du traité CEE;

4 ) si l'article 238 du traité CEE permet la construction juridictionnelle prévue par l'accord.

La participation des membres de la Cour de justice à une autre juridiction

La Commission se demande s'il faut considérer, à l'instar de l'avis 1/76, précité, que les juges de la Cour de justice ne peuvent pas participer à une autre juridiction ou s'il faut plutôt considérer que les termes de cet avis ne sont pas pertinents dans le cas d'espèce. La Commission précise, à cet égard, que l'accord se distingue de l'accord qui a fait l'objet de l'avis 1/76. D'une part, la Cour EEE n'aurait pas la compétence qui avait été attribuée au Tribunal du Fonds européen d'immobilisation de la navigation intérieure, à savoir celle de statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'accord, et, d'autre part, la Cour EEE et le Tribunal de première instance EEE seraient, malgré leur indépendance juridictionnelle, intégrés fonctionnellement à la Cour de justice.

Selon le gouvernement espagnol, la réponse à la question posée ne peut être que négative pour plusieurs raisons. En premier lieu, l'objectif des dispositions de l'article 167 du traité CEE et des articles 2, 4 et 16 du statut de la Cour de justice est de garantir que la Cour puisse remplir la tâche qui lui est attribuée, à savoir le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités, de façon totalement impartiale, en évitant toute pression ou opinion préconçue.

En second lieu, la Cour a déclaré dans l'avis 1/76 que l'accord sur le Fonds européen d'immobilisation de la navigation intérieure était incompatible avec le traité CEE, au motif que le tribunal prévu par cet accord était composé de six membres de la Cour de justice et que ceux-ci pourraient avoir à statuer, comme membres de ce tribunal, sur des questions qu'ils devraient également trancher en tant que membres de la Cour de justice, de sorte que la pleine impartialité avec laquelle cette dernière doit agir se trouverait compromise. Or, une telle situation risquerait de se reproduire en l'espèce. En effet, il est imaginable que les juges de la Cour de justice interprètent et appliquent, en tant que membres de la Cour EEE, des normes communautaires qu'ils devront, par la suite, interpréter ou appliquer de nouveau, en tant que membres de la Cour de justice. Le gouvernement espagnol estime que dans une telle hypothèse le juge, qui aura participé aux délibérations de la Cour EEE, ne statuera plus avec l'impartialité requise. S'il s'abstenait d'intervenir, conformément à l'article 16 du statut, il pourrait advenir, comme le mentionne l'avis précité, que la Cour de justice se trouve dans l'impossibilité matérielle de réunir le quorum prévu par l'article 15 du statut.

Le gouvernement espagnol ajoute encore trois précisions. Il fait valoir, tout d'abord, que si la Cour EEE n'est pas compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'accord, il en va autrement pour la Cour de justice qui sera, selon sa jurisprudence, toujours compétente pour interpréter à titre préjudiciel tout accord conclu entre la Communauté et les pays de l'AELE. Par conséquent, les termes de l'avis 1/76, précité, ne s'en trouvent ni affectés ni dénaturés dans leur essence.

Le gouvernement espagnol déclare ensuite ne pas partager l'opinion de la Commission selon laquelle l'avis 1/76 ne s'appliquerait pas, en l'espèce, au motif que la Cour EEE et le Tribunal de première instance EEE sont intégrés fonctionnellement à la Cour de justice. L'article 7 des dispositions institutionnelles de l'accord dispose, en effet, que la Cour EEE est un organisme indépendant et qu'elle n'est aucunement subordonnée à la Cour de justice.

Le gouvernement espagnol constate enfin que l'article 104 des dispositions institutionnelles du projet d'accord ne répond pas à la question de savoir dans quelle mesure un arrêt de la Cour EEE lie la Cour de justice, lorsque celle-ci examine un point sur lequel la Cour EEE s'est déjà prononcée.

Le gouvernement belge partage l'analyse de la Commission concernant la pertinence de l'avis 1/76 en l'espèce. La Cour EEE n'aura pas de compétence pour statuer à titre préjudiciel, contrairement à ce qu'il était prévu pour le Tribunal du Fonds européen d'immobilisation. En outre, la Cour EEE sera fonctionnellement intégrée à la Cour de justice, mais gardera toute son indépendance. La présence de juges de la Cour de justice ne modifie pas la nature juridique de la Cour EEE. En ce qui concerne l'absence de compétence pour statuer à titre préjudiciel, le gouvernement belge observe que tant la Cour de justice que la Cour EEE sont amenées à se prononcer sur les mêmes normes de droit communautaire.

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il est compatible avec le traité CEE et l'avis 1/76 que des juges de la Cour de justice siègent à la Cour EEE. Le raisonnement de la Cour de justice dans cet avis était conditionné par le fait que la compétence du Tribunal du Fonds pour statuer sur l'interprétation de l'accord s'exercerait parallèlement à celle de la Cour de justice.

L'article 16, premier alinéa, du statut de la Cour de justice sur l'incapacité d'un juge à connaître d'une affaire dans laquelle il est antérieurement intervenu comme avocat, conseil ou juge, correspond à l'impossibilité d'être successivement juge et partie dans une même affaire. Il ne concerne pas la position d'un juge qui siège successivement dans différentes affaires, qui portent sur des questions semblables voire identiques, comme lorsque la Cour de justice se prononce à titre préjudiciel sur des points de droit qui sont semblables ou identiques à ceux sur lesquels elle s'est déjà prononcée dans le cadre d'une procédure en manquement, conformément à l'article 169 du traité. N'étant pas liée par ses décisions antérieures, la Cour peut toujours s'écarter de sa jurisprudence en tranchant une question de droit de façon différente.

Après avoir analysé l'accord et les instruments connexes qui ont fait l'objet de l'avis 1/76, le gouvernement du Royaume-Uni conclut qu'il aurait été possible dans cette affaire que les juges communautaires concernés soient influencés par les décisions antérieures du Tribunal du Fonds. Ainsi, l'acquis communautaire aurait pu être compromis de façon indirecte, par exemple, par l'incidence des principes de droit international public qui ont été remplacés dans le contexte de l'ordre juridique communautaire. C'est ce risque qui aurait amené la Cour de justice à s'opposer, dans son avis 1/76, à ce que les juges de la Cour siègent au Tribunal du Fonds.

En outre, le Royaume-Uni observe que les difficultés qui sont à l'origine de la demande d'avis 1/91 sont très différentes de celles à l'origine de l'avis 1/76. Pour les règles relatives au Fonds d'immobilisation se posait le problème que les juges de la Cour de justice, qui seraient appelés à siéger au Tribunal du Fonds, devaient assurer deux tâches incompatibles. D'une part, il leur incombait, en tant que membres de la Cour de justice, de préserver l'acquis communautaire dans l'interprétation de certains actes pris par les institutions, et, d'autre part, en tant que membres du Tribunal du Fonds, de contrôler un système juridique fondé sur des principes de droit international public différents de ceux qui forment l'acquis communautaire. De l'avis du Royaume-Uni, l'accord ne soulève aucune difficulté à cet égard dans la mesure où les juges de la Cour de justice et ceux de la Cour EEE sont tenus d'appliquer les mêmes règles et principes et de préserver ainsi l'acquis communautaire.

En ce qui concerne la composition de la Cour EEE, le gouvernement du Royaume-Uni observe que cinq des treize membres de la Cour de justice y siégeront. Étant donné que sept juges peuvent former une cour plénière, il devrait être possible de réunir une cour plénière sans qu'un de ceux-ci ait participé à une décision antérieure de la Cour EEE. Si la participation de cinq juges de la Cour de justice aux activités de la Cour EEE posait des problèmes administratifs, l'article 165 du traité CEE envisage un dispositif permettant de faire face à la situation qui résulterait de l'adoption de l'accord.

Le droit d'intervention élargi

Selon la Commission, la Cour de justice a déjà admis l'intervention des pays tiers sur la base de l'article 37 du statut. Cependant, dans le cas d'espèce, il s'agit d'un droit plus systématique qui nécessiterait une notification des questions préjudicielles aux pays membres de l'AELE au même titre que celle faite aux États membres. La Commission se demande, par conséquent, s'il ne faut pas modifier l'article 20 du statut.

Selon le gouvernement espagnol, la réponse à la deuxième question doit être affirmative. L'article 20 du statut est suffisamment clair. Il prévoit explicitement que seuls les destinataires de notifications, limitativement énumérés, peuvent présenter des observations écrites dans une procédure préjudicielle et intervenir lors de l'audience. Bien que la Cour ne se soit jamais prononcée sur la possibilité pour un État tiers de présenter des observations dans une affaire préjudicielle, elle a néanmoins donné une interprétation restrictive de la liste des intéressés mentionnés à l'article 20 du statut.

Selon le gouvernement espagnol, la Commission a confondu, en mentionnant l'article 37 du statut, deux types de procédure qui sont radicalement différentes. En effet, dans le cas de l'intervention au soutien des conclusions de l'une des parties, il y a plusieurs parties défendant plusieurs thèses, à savoir une partie requérante, une partie défenderesse et un tiers qui apparaît a posteriori. Ce tiers est qualifié de "coadyuvante" selon la terminologie procédurale espagnole. Il doit se borner à intervenir à l'appui des conclusions de l'une des parties principales. A cet égard, il faut tenir compte du fait que l'article 37 soumet l'intervention des personnes autres que les États membres et les institutions communautaires à deux conditions : d'une part, elles doivent justifier d'un intérêt à la solution du litige et, d'autre part, le litige ne doit pas opposer des États membres, des institutions de la Communauté et des États membres ni les institutions communautaires entre elles. Il s'ensuit que l'intervention d'un État tiers, admise par la Cour dans l'arrêt du 23 août 1983, Chris International Foods/Commission ( 91/82 et 200/82, Rec. p. 417 ), exige le respect de ces deux conditions.

Le gouvernement espagnol conclut que l'article 20 du statut devrait être modifié si l'on veut que tous les États AELE puissent présenter des observations dans une procédure préjudicielle et que l'article 37 demeure limité à l'intervention, dans le cadre d'un recours direct, à l'appui des conclusions d'une partie principale. L'intervention est tout à fait différente de la participation à une procédure préjudicielle, de sorte que même une interprétation extensive de l'article 37 ne pourrait, en aucun cas, modifier le contenu clair et précis de l'article 20.

Le gouvernement belge observe qu'une révision de l'article 37 s'impose si l'on veut permettre aux États AELE d'intervenir dans les trois catégories de litiges dans lesquels l'intervention d'une personne morale est exclue. Pour autoriser les États AELE, qui ne sont pas parties au litige, à déposer des observations dans le cadre d'une procédure préjudicielle, il y a lieu de réviser l'article 20.

Le gouvernement du Royaume-Uni estime que la procédure envisagée pour l'intervention des pays membres de l'AELE dans les litiges pendants devant la Cour de justice exige une modification de l'article 37. Il ne serait pas suffisant de prévoir, dans l'accord, un droit d'intervention pour ces pays, puisque cet accord ne modifie pas en soi le statut. Il conviendrait donc de recourir à la procédure de l'article 188, deuxième alinéa, du traité CEE. Cette disposition prévoit que le Conseil peut modifier les dispositions du titre III du statut, sur demande de la Cour de justice et après consultation de la Commission et du Parlement européen. Le gouvernement du Royaume-Uni est également d'avis qu'il faut modifier l'article 20 afin de permettre aux pays membres de l'AELE de présenter des observations dans une procédure préjudicielle. Il y a lieu de modifier, en outre, les articles 17, 18 et 39 du statut.

Les questions préjudicielles posées par les juridictions des pays de l'AELE

Selon le gouvernement espagnol, la réponse à la troisième question doit être négative. Le recours préjudiciel est un instrument de coopération entre la Cour de justice et les juges nationaux. Cette nature de coopération entre juges a pour conséquence directe que seuls les organes juridictionnels des États membres ont le droit de saisir la Cour en vertu de l'article 177 du traité CEE. Pour que les organes juridictionnels des États AELE puissent également saisir la Cour de justice à titre préjudiciel, il faudrait modifier l'article 177 du traité CEE en ajoutant au texte "juridiction d'un des États membres" une référence aux organes juridictionnels d'un État tiers avec lequel la Communauté a conclu un accord international.

Le gouvernement belge estime que l'article 177 doit être révisé pour permettre la saisine de la Cour de justice par les juridictions des pays membres de l'AELE.

Le gouvernement du Royaume-Uni observe, tout d'abord, que l'article 177 concerne aussi une juridiction d'un État membre qui a son siège dans les territoires d'outre-mer régis par la quatrième partie du traité CEE ( voir arrêt du 12 décembre 1990, Kaefer et Procacci, C-100/89 et C-101/89, Rec. p. I-4647 ). Bien que cette disposition ne s'applique stricto sensu qu'aux juridictions des États membres, la Cour de justice a jugé que le deuxième alinéa de cette disposition s'appliquait à une juridiction qui ne fait pas partie de l'organisation judiciaire d'un État membre, lorsqu'elle se situe dans un territoire relevant d'un État membre, que le droit communautaire s'applique dans une mesure limitée à ce territoire et qu'une disposition appropriée est prévue à cet effet par le droit communautaire ( arrêt du 3 juillet 1991, Barr et Montrose,

C-355/89, Rec. p. I-0000 ).

Le Royaume-Uni observe ensuite que l'article 177 permet à la Cour de justice de se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation des accords internationaux auxquels la Communauté est partie. La Cour de justice peut également statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des accords conclus en application de l'article 220 du traité. L'accord sera un accord international conclu en application de l'article 238 du traité. Il s'agira donc à la fois d'un accord international conclu en application du traité et d'un acte pris par les institutions. Rien ne s'oppose donc à ce que la Cour de justice statue à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'accord. Les arrêts de la Cour de justice précités plaident en faveur de la compatibilité des dispositions projetées avec le traité CEE.

L'article 238 du traité

La Commission se demande si l'article 238 permet une construction juridictionnelle du type de celle qu'instaurerait l'accord. Si cela n'était pas le cas, il conviendrait de modifier cette disposition du traité de manière à ce que les procédures particulières qui y sont mentionnées incluent l'instauration d'un système juridictionnel, intégré fonctionnellement à la Cour de justice et garantissant la spécificité et l'intégrité du droit communautaire.

Selon le gouvernement espagnol, l'article 238 constitue une base suffisante pour la conclusion par la Communauté d'un accord d'association avec une union d'États ou une organisation internationale, tel que l'accord à conclure avec l'AELE. Il en va toutefois différemment si le contenu d'un tel accord est incompatible avec le traité. En l'espèce, l'incompatibilité résulte du mécanisme juridictionnel envisagé. Il convient donc de modifier le traité avant de conclure l'accord.

Le gouvernement belge observe que l'article 238 ne permet pas la mise en place du mécanisme juridictionnel envisagé sans amendement préalable du traité CEE. En principe, rien ne s'oppose à une modification de l'article 238 du traité. Toutefois, il paraît plus judicieux, en l'espèce, d'étendre la modification aux autres articles pertinents du traité ainsi qu'aux articles du statut de la Cour de justice afin de garantir un maximum de cohérence et de sécurité juridique.

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, les termes "des actions en commun et des procédures particulières", figurant à l'article 238 du traité, permettent que des procédures juridictionnelles soient incluses dans les accords visés par cette disposition. De telles procédures peuvent même contribuer au bon fonctionnement de ces accords. Il en est ainsi, en particulier, pour les dispositions qui prévoient un règlement judiciaire des litiges éventuels, car elles favorisent l'exécution régulière de l'accord par les parties.

Prise de position de la Cour

I

1. Dans le présent avis, la Cour se borne à examiner, conformément à la demande de la Commission, la compatibilité du système de contrôle juridictionnel, que l'accord envisage de mettre en place, avec le traité CEE. Les autres dispositions de l'accord, et notamment celles qui concernent le processus de décision et la répartition des compétences en matière de concurrence, ne sont pas traitées dans le présent avis.

2. L'accord sera conclu entre, d'une part, les États qui sont membres de l'Association européenne de libre-échange et, d'autre part, la Communauté européenne et ses États membres. En ce qui concerne la Communauté, l'accord sera conclu par le Conseil, après avis conforme du Parlement européen, sur la base de l'article 238 du traité CEE.

3. L'accord tend à la création d'un Espace économique européen qui s'étend aux territoires des États membres de la Communauté et à ceux des pays de l'AELE. Il résulte du préambule de l'accord que les parties contractantes envisagent l'établissement d'un Espace EE dynamique et homogène, fondé sur des règles communes et des conditions de concurrence égales, et prévoient des moyens adéquats de mise en oeuvre, y compris sur le plan juridictionnel. En vertu de l'article 1er de l'accord, celui-ci vise à promouvoir un renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes dans des conditions égales de concurrence, ainsi que le respect des mêmes règles.

4. Les règles applicables dans les relations entre les États qui font partie de l'Espace EE portent sur la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, ainsi que sur le régime de concurrence. Ces règles sont en substance celles des dispositions correspondantes des traités CEE et CECA et des actes adoptés en application de ces traités. Comme la Commission l'a indiqué dans sa demande d'avis, les parties contractantes ont l'intention d'étendre à l'Espace EE le droit communautaire à intervenir dans les domaines couverts par l'accord, au fur et à mesure qu'il se crée, se développe ou se modifie.

II

5. L'objectif d'homogénéité dans l'interprétation et l'application du droit dans l'Espace EE tel qu'il est précisé à l'article 1er de l'accord devrait être assuré par l'emploi de dispositions textuellement identiques aux dispositions correspondantes du droit communautaire et par la mise en place d'un système juridictionnel.

6. L'accord institue une juridiction, la Cour EEE à laquelle est rattaché un Tribunal de première instance. La compétence de la Cour EEE est définie à l'article 96, paragraphe 1, de cet accord. Cette compétence vise le règlement des différends entre les parties contractantes, les actions engagées dans le cadre de la procédure de surveillance à l'égard des États de l'AELE et, en matière de concurrence, les appels formés contre les décisions prises par l'autorité de surveillance de l'AELE.

7. Le système juridictionnel prévoit également les mécanismes suivants.

8. L'article 6 de l'accord dispose que, pour leur mise en oeuvre et leur application, les dispositions de l'accord doivent être interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour de justice antérieure à la date de signature de l'accord et relative aux dispositions correspondantes du traité CEE, du traité CECA et des actes de droit communautaire dérivés.

9. L'article 104, paragraphe 1, de l'accord prévoit que, lors de l'application ou de l'interprétation des dispositions de cet accord ou des dispositions des traités CEE et CECA, telles qu'amendées ou complétées, ou les actes adoptés en application desdits traités, la Cour de justice, la Cour EEE, le Tribunal de première instance CE, le Tribunal de première instance EEE et les tribunaux des États de l'AELE tiendront dûment compte des principes découlant des décisions prises par les autres Cours ou Tribunaux, afin d'assurer une interprétation de l'accord aussi uniforme que possible.

10. L'article 95 de l'accord dispose que la Cour EEE est composée de huit juges, dont cinq juges de la Cour de justice. A sa demande, le Conseil EEE peut autoriser la Cour EEE à instituer des chambres de trois ou cinq juges. En prenant en considération la nature des litiges soumis, un nombre équilibré et approprié de juges de la Cour de justice et de l'AELE sera précisé dans le statut de la Cour EEE. L'article 101 prévoit que le Tribunal de première instance EEE est composé de cinq juges, dont trois juges nommés par les États de l'AELE et deux juges du Tribunal de première instance des Communautés européennes.

11. Le protocole 34, auquel renvoie l'article 104, paragraphe 2, de l'accord, contient des dispositions permettant aux États de l'AELE d'autoriser leurs juridictions à demander à la Cour de justice de s'exprimer sur l'interprétation d'une disposition de l'accord.

12. Enfin, une apostille au protocole 34 prévoit un droit d'intervention des États de l'AELE dans les affaires qui sont soumises à la Cour de justice.

III

13. Avant d'examiner les questions soulevées par la demande d'avis de la Commission, il convient de comparer les objectifs et le contexte de l'accord, d'une part, et ceux du droit communautaire, d'autre part.

14. L'identité des termes des dispositions de l'accord et des dispositions communautaires correspondantes ne signifie pas qu'elles doivent nécessairement être interprétées de façon identique. En effet, un traité international doit être interprété non pas uniquement en fonction des termes dans lesquels il est rédigé, mais également à la lumière de ses objectifs. L'article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 précise, à cet égard, qu'un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, et à la lumière de son objet et de son but.

15. S'agissant de la comparaison des objectifs des dispositions de l'accord et de celles du droit communautaire, il convient de constater que l'accord vise l'application d'un régime de libre-échange et de concurrence dans les relations économiques et commerciales entre les parties contractantes.

16. Pour ce qui est de la Communauté, en revanche, le régime de libre-échange et de concurrence, que l'accord vise à étendre à l'ensemble du territoire des parties contractantes, s'est développé et s'insère dans l'ordre juridique communautaire, dont les objectifs vont au-delà de celui poursuivi par l'accord.

17. En effet, il découle notamment des articles 2, 8 A et 102 A du traité CEE que celui-ci vise à atteindre une intégration économique débouchant sur l'établissement d'un marché intérieur et d'une union économique et monétaire. L'article 1er de l'Acte unique européen, précise, par ailleurs, que l'ensemble des traités communautaires a pour objectif de contribuer à faire progresser concrètement l'Union européenne.

18. Il résulte de ce qui précède que les dispositions du traité CEE régissant la libre circulation et la concurrence, loin de représenter une finalité en soi, ne sont que des moyens pour la réalisation de ces objectifs.

19. Le contexte dans lequel s'inscrit l'objectif de l'accord diffère également de celui dans lequel se poursuivent les objectifs communautaires

20. En effet, l'Espace EE doit être réalisé sur la base d'un traité international qui ne crée, en substance, que des droits et obligations entre les parties contractantes et qui ne prévoit aucun transfert de droits souverains au bénéfice des organes intergouvernementaux qu'il institue.

21. En revanche, le traité CEE, bien que conclu sous la forme d'un accord international, n'en constitue pas moins la charte constitutionnelle d'une communauté de droit. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, les traités communautaires ont instauré un nouvel ordre juridique au profit duquel les États ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants ( voir, notamment, arrêt du 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26/62, Rec. p. 1 ). Les caractéristiques essentielles de l'ordre juridique communautaire ainsi constitué sont, en particulier, sa primauté par rapport aux droits des États membres ainsi que l'effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes.

22. Il résulte de ces considérations que l'homogénéité des règles de droit dans l'ensemble de l'Espace EE n'est pas garantie par l'identité de contenu ou de rédaction des dispositions du droit communautaire et des dispositions correspondantes de l'accord.

23. Il convient donc d'examiner si l'accord prévoit d'autres moyens pour garantir cette homogénéité.

24. L'article 6 poursuit cet objectif en prévoyant que les règles de l'accord doivent être interprétées conformément à la jurisprudence de la Cour de justice relative aux règles correspondantes de droit communautaire.

25. Toutefois, ce mécanisme d'interprétation ne permet pas d'assurer l'homogénéité juridique recherchée et cela pour deux raisons.

26. D'abord, cet article ne concerne que la jurisprudence de la Cour de justice antérieure à la date de signature de l'accord. Étant donné que cette jurisprudence évoluera, il sera difficile de distinguer la jurisprudence nouvelle par rapport à l'ancienne, et, partant, le passé du futur.

27. Ensuite, bien que l'article 6 de l'accord ne précise pas clairement s'il vise la jurisprudence de la Cour de justice dans son ensemble, et notamment la jurisprudence sur l'effet direct et la primauté du droit communautaire, il ressort du protocole 35 de l'accord que, sans reconnaître les principes de l'effet direct et de la primauté qui s'imposent en vertu de cette jurisprudence, les parties contractantes s'engagent seulement à introduire, dans leurs ordres juridiques respectifs, une disposition législative qui permette aux termes de l'accord de prévaloir sur des dispositions législatives contraires.

28. Il s'ensuit que le respect de la jurisprudence de la Cour de justice, imposé par l'article 6 de l'accord, ne s'étend pas à des éléments essentiels de cette jurisprudence qui sont inconciliables avec les caractéristiques de l'accord. Par conséquent, l'article 6, en tant que tel, n'est en mesure d'assurer l'objectif de l'homogénéité du droit dans l'ensemble de l'Espace EE, ni pour le passé ni pour le futur.

29. Il résulte des considérations qui précèdent que l'objectif de l'homogénéité dans l'interprétation et l'application du droit dans l'Espace EE se heurte aux divergences existantes entre les finalités et le contexte de l'accord, d'une part, et ceux du droit communautaire, d'autre part.

IV

30. C'est compte tenu de la contradiction qui vient d'être relevée, qu'il convient d'examiner si le système juridictionnel envisagé est de nature à mettre en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire dans la poursuite des objectifs qui lui sont propres.

31. Cet examen portera d'abord sur l'interprétation de la notion de partie contractante que la Cour EEE sera appelée à formuler dans l'exercice de ses compétences et, ensuite, sur l'incidence de sa jurisprudence sur l'interprétation du droit communautaire.

32. Quant au premier point, il convient de rappeler que la Cour EEE est compétente, en vertu de l'article 96, paragraphe 1, sous a ), de l'accord, pour régler les différends entre les parties contractantes et que, selon l'article 117, paragraphe 1, de cet accord, le comité mixte de l'Espace EE ou toute partie contractante peut saisir la Cour EEE de ce genre de différends.

33. L'article 2, sous c ), de l'accord définit la notion de parties contractantes. Pour la Communauté et ses États membres, cette notion couvre, selon les cas, soit la Communauté et ses États membres, soit la Communauté, soit les États membres. Le choix à faire entre ces trois possibilités doit être déduit des dispositions pertinentes de l'accord dans chaque cas d'espèce et des compétences respectives de la Communauté et des États membres, telles qu'elles découlent du traité CEE et du traité CECA.

34. La Cour EEE peut être ainsi appelée, lorsqu'elle est saisie d'un différend portant sur l'interprétation ou l'application d'une ou de plusieurs dispositions de l'accord, à interpréter la notion de "partie contractante", au sens de l'article 2, sous c ), de l'accord, afin de déterminer si, au sens de la disposition litigieuse, les termes "partie contractante" visent la Communauté, la Communauté et ses États membres, ou les seuls États membres. La Cour EEE sera donc amenée à statuer sur les compétences respectives de la Communauté et de ses États membres pour les matières régies par les dispositions de l'accord.

35. Il s'ensuit que la compétence attribuée à la Cour EEE en vertu des articles 2, sous c ), 96, paragraphe 1, sous a ), et 117, paragraphe 1, de l'accord, est susceptible de porter atteinte à l'ordre des compétences défini par les traités et, partant, à l'autonomie du système juridique communautaire dont la Cour de justice assure le respect, en vertu de l'article 164 du traité CEE. Cette compétence exclusive de la Cour de justice est confirmée par l'article 219 du traité CEE selon lequel les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application de ce traité à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci. L'article 87 du traité CECA comporte une disposition dans le même sens.

36. L'attribution de cette compétence à la Cour EEE est, dès lors, incompatible avec le droit communautaire.

37. Quant au deuxième point, il convient d'observer, à titre liminaire, que les accords internationaux conclus selon la procédure de l'article 228 du traité lient les institutions de la Communauté et ses États membres et que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, les dispositions de ces accords et les actes adoptés par leurs organes font, à partir de leur entrée en vigueur, partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

38. A cet égard, il y a lieu de préciser que l'accord est un acte pris par l'une des institutions de la Communauté, au sens de l'article 177, premier alinéa, sous b ), du traité CEE, et que, dès lors, la Cour est compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur son interprétation. Elle est également compétente pour se prononcer sur cet accord, lorsque les États membres de la Communauté manquent aux obligations qui leur incombent en vertu de celui-ci.

39. Or, lorsqu'un accord international prévoit un système juridictionnel propre qui comprend une Cour compétente pour régler les différends entre les parties contractantes à cet accord et, par conséquent, pour en interpréter les dispositions, les décisions de cette Cour lient les institutions de la Communauté, y compris la Cour de justice. Ces décisions s'imposent également lorsque la Cour de justice est appelée à statuer, à titre préjudiciel ou dans le cadre d'un recours direct, sur l'interprétation de l'accord international, en tant que ce dernier fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire.

40. Un accord international qui prévoit un tel système juridictionnel est, en principe, compatible avec le droit communautaire. En effet, la compétence de la Communauté en matière de relations internationales et sa capacité de conclure des accords internationaux comporte nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d'une juridiction créée ou désignée en vertu de tels accords, pour ce qui concerne l'interprétation et l'application de leurs dispositions.

41. Toutefois, l'accord en cause reprend une partie essentielle des règles, y compris celles de droit dérivé, qui régissent les relations économiques et commerciales à l'intérieur de la Communauté et qui constituent, pour la plupart, des dispositions fondamentales de l'ordre juridique communautaire.

42. Cet accord a ainsi pour effet d'insérer dans l'ordre juridique communautaire un vaste ensemble de règles juridiques qui est juxtaposé à un groupe de règles communautaires dont le libellé est identique.

43. En outre, dans le préambule de l'accord et dans son article 1er, les parties contractantes ont exprimé l'intention d'assurer une application uniforme des dispositions de l'accord dans l'ensemble de leurs territoires. Or, l'objectif d'application uniforme et d'égalité des conditions de concurrence, ainsi poursuivi et reflété dans les articles 6 et 104, paragraphe 1, de l'accord, vise nécessairement l'interprétation tant des dispositions de cet accord que de celles correspondantes de l'ordre juridique communautaire.

44. Bien que l'article 6 de l'accord oblige la Cour EEE à interpréter les dispositions de l'accord à la lumière de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice, antérieure à la date de signature de l'accord, la Cour EEE ne sera plus soumise à une telle obligation pour les décisions rendues par la Cour de justice après cette date.

45. Par conséquent, l'objectif de l'accord qui vise à assurer l'homogénéité du droit dans l'ensemble de l'Espace EE commande non seulement l'interprétation des règles propres à cet accord, mais également celle des règles correspondantes du droit communautaire.

46. Il s'ensuit que, en conditionnant l'interprétation future des règles communautaires en matière de libre circulation et de concurrence, le mécanisme juridictionnel prévu par l'accord porte atteinte à l'article 164 du traité CEE et, plus généralement, aux fondements mêmes de la Communauté.

V

47. Le danger que représente le système juridictionnel de l'accord pour l'autonomie de l'ordre juridique communautaire n'est aucunement atténué par le fait que ses articles 95 et 101 visent à créer des liens organiques entre la Cour EEE et la Cour de justice en prévoyant que des juges de la Cour de justice siègent au sein de la Cour EEE et de ses chambres, ainsi que des juges du Tribunal de première instance des Communautés européennes au sein du Tribunal de première instance EEE.

48. Au contraire, il est à craindre que l'application de ces dispositions accentue les problèmes généraux découlant du système juridictionnel envisagé par l'accord.

49. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour EEE doit assurer le bon fonctionnement d'un régime de libre-échange et de concurrence dans le cadre d'un traité international qui ne crée d'obligations qu'entre les parties contractantes.

50. En revanche, la Cour de justice doit assurer le respect d'un ordre juridique particulier et contribuer à son développement, en vue d'atteindre les objectifs énoncés notamment aux articles 2, 8 A et 102 A du traité CEE et de réaliser entre les États membres une Union européenne ainsi qu'il résulte de la déclaration solennelle de Stuttgart du 19 juin 1983 ( point 2.5 ) à laquelle se réfère le premier considérant du préambule de l'Acte unique européen. Dans ce cadre, le libre-échange et la concurrence ne constituent que des moyens destinés à atteindre ces objectifs.

51. Par conséquent, suivant qu'ils siègeront à la Cour de justice ou à la Cour EEE, les juges de la Cour de justice, membres de la Cour EEE, auront à appliquer et à interpréter les mêmes dispositions mais selon des approches, des méthodes et des concepts différents afin de tenir compte de la nature de chaque traité et des objectifs qui lui sont propres.

52. Dans ces conditions, il sera très difficile, voire impossible, pour ces juges d'aborder, avec une pleine indépendance d'esprit, lorsqu'ils siègent à la Cour de justice, les questions au jugement desquelles ils auront participé dans le cadre de la Cour EEE.

53. Toutefois, puisque le système juridictionnel de l'accord est, en tout état de cause, incompatible avec le traité CEE, il n'est pas nécessaire d'examiner plus amplement cette question, ni non plus celle de savoir si ce système n'est pas de nature à soulever de sérieuses réserves quant à la confiance que les justiciables pourront avoir dans la faculté de la Cour de justice d'exercer ses fonctions en toute indépendance.

VI

54. Il convient d'examiner si le mécanisme prévu par l'article 104, paragraphe 2, de l'accord, pour l'interprétation des dispositions de celui-ci, est compatible avec le droit communautaire.

55. En vertu de l'article 104, paragraphe 2, de l'accord, les dispositions permettant à un État de l'AELE d'autoriser ses juridictions à demander à la Cour de justice de s'exprimer sur l'interprétation de l'accord figurent au protocole 34.

56. Selon l'article 1er de ce protocole, lorsqu'une question d'interprétation des dispositions de l'accord, qui sont identiques en substance aux dispositions des traités communautaires, est soulevée dans une affaire pendante devant l'une des juridictions d'un État de l'AELE, cette juridiction peut, si elle l'estime nécessaire, demander à la Cour de justice de s'exprimer sur cette question.

57. L'article 2 du protocole 34 dispose qu'un État de l'AELE, qui entend faire usage de ce protocole, notifie au dépositaire de l'accord et à la Cour de justice dans quelle mesure et selon quelles modalités le protocole s'applique à ses juridictions.

58. Il en résulte que cette procédure se caractérise par le fait qu'elle laisse aux États de l'AELE la faculté d'autoriser ou non leurs juridictions à poser des questions à la Cour de justice et qu'elle ne prévoit aucune obligation pour les juridictions de ces États statuant en dernier ressort. Par ailleurs, il n'est pas garanti que les réponses, que la Cour de justice serait ainsi appelée à donner, auraient un effet obligatoire pour les juridictions qui l'ont saisie. Cette procédure est fondamentalement différente de celle prévue par l'article 177 du traité CEE.

59. Il est vrai qu'aucune disposition du traité CEE ne s'oppose à ce qu'un accord international confère à la Cour de justice une compétence pour l'interprétation des dispositions d'un tel accord aux fins de son application dans des États tiers.

60. Aucune objection de principe ne peut davantage être formulée à l'encontre de la liberté laissée aux États de l'AELE d'autoriser ou non leurs juridictions à poser des questions à la Cour pas plus qu'à l'absence d'obligation pour certaines de ces juridictions de saisir la Cour de justice.

61. En revanche, il est impossible d'admettre que les réponses que la Cour de justice donne aux juridictions des États de l'AELE aient un effet purement consultatif et soient dépourvues d'effets obligatoires. Une telle situation dénaturerait la fonction de la Cour de justice, telle qu'elle est conçue par le traité CEE, à savoir celle d'une juridiction dont les arrêts sont contraignants. Même dans le cas très particulier de l'article 228, l'avis de la Cour de justice est doté de l'effet contraignant précisé à cet article.

62. Il convient d'observer, en outre, que l'interprétation de l'accord fournie par la Cour de justice en réponse aux questions posées par les juridictions des États de l'AELE doit être également prise en compte par les juridictions des États membres de la Communauté, lorsqu'elles sont appelées à se prononcer sur l'application de l'accord. Or, l'effet non contraignant de ces réponses pour les juridictions de l'AELE peut provoquer une incertitude quant à leur valeur juridique pour les juridictions des États membres de la Communauté.

63. Par ailleurs, il n'est pas à exclure que les juridictions des États membres soient amenées à considérer que l'effet non contraignant des interprétations données par la Cour de justice, en vertu du protocole 34, s'étend également aux arrêts que cette dernière rend au titre de l'article 177 du traité CEE.

64. Dans cette mesure, le mécanisme en cause porte atteinte à la sécurité juridique qui est indispensable au bon fonctionnement de la procédure préjudicielle.

65. Il résulte des considérations qui précèdent que l'article 104, paragraphe 2, de l'accord et son protocole 34 sont incompatibles avec le droit communautaire, dans la mesure où ils ne garantissent pas un effet contraignant aux réponses que la Cour de justice pourra être appelée à donner en vertu de ce protocole.

VII

66. Il convient d'apprécier, ensuite, le droit prévu pour les États de l'AELE d'intervenir dans les affaires pendantes devant la Cour. Une apostille au protocole 34 prévoit que les articles 20 et 37 du protocole sur le statut de la Cour de justice doivent être amendés pour permettre un tel droit d'intervention.

67. Il suffit d'observer, à cet égard, que ces deux articles figurent au titre III du protocole sur le statut de la Cour et que, selon l'article 188, deuxième alinéa, du traité CEE, le Conseil statuant à l'unanimité sur la demande de la Cour de justice et après consultation de la Commission et du Parlement européen, peut modifier les dispositions de ce titre.

68. Il en résulte que l'attribution aux États de l'AELE d'un droit d'intervention dans les affaires pendantes devant la Cour de justice n'exige pas une modification du traité CEE, au sens de son article 236.

VIII

69. La dernière question de la Commission vise à savoir si l'article 238 du traité CEE, qui porte sur la conclusion, par la Communauté, d'accords d'association avec un État tiers, une union d'États ou une organisation internationale, autorise la mise en place d'un système juridictionnel, tel que celui prévu par l'accord. A cet égard, la Commission a annoncé que, dans le cas d'un avis négatif de la Cour, cette disposition pourrait être modifiée de manière à permettre l'instauration d'un tel système.

70. Comme il a déjà été observé au point 40, un accord international qui prévoit un système juridictionnel doté d'une Cour compétente pour l'interprétation de ses dispositions n'est pas, en principe, incompatible avec le droit communautaire et peut, par conséquent, trouver son fondement juridique dans l'article 238 du traité CEE.

71. Toutefois, l'article 238 du traité CEE ne fournit aucune base pour instituer un système juridictionnel qui porte atteinte à l'article 164 de ce traité et, plus généralement, aux fondements mêmes de la Communauté.

72. Pour les mêmes raisons, une modification de cette disposition dans le sens indiqué par la Commission ne saurait remédier à l'incompatibilité du système juridictionnel de l'accord avec le droit communautaire .

Dispositif


En conclusion

LA COUR

émet l'avis suivant :

Le système de contrôle juridictionnel, que l'accord envisage de mettre en place, est incompatible avec le traité instituant la Communauté économique européenne.

Fait à Luxembourg, le 14 décembre 1991