61991J0067

Arrêt de la Cour du 16 juillet 1992. - Dirección General de Defensa de la Competencia contre Asociación Española de Banca Privada et autres. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de Defensa de la Competencia - Espagne. - Droit de la concurrence - Règlement n. 17 - Utilisation par les autorités nationales d'informations recueillies par la Commission. - Affaire C-67/91.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-04785
édition spéciale suédoise page I-00087
édition spéciale finnoise page I-00087


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Questions préjudicielles - Compétence de la Cour - Limites - Question manifestement dénuée de pertinence

(Traité CEE, art. 177)

2. Concurrence - Règles communautaires - Application par les autorités nationales - Inapplicabilité du règlement n 17

(Règlement du Conseil n 17)

3. Concurrence - Procédure administrative - Informations recueillies par la Commission en application du règlement n 17 - Utilisation par les autorités nationales comme moyens de preuve - Inadmissibilité - Justification - Protection des droits de la défense des entreprises - Respect du secret professionnel - Prise en considération pour ouvrir une procédure régie par le droit national - Admissibilité

(Traité CEE, art. 214; règlement du Conseil n 17, art. 2, 4, 5, 11 et 20)

Sommaire


1. L' article 177 du traité établit le cadre d' une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles. Dans ce cadre, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d' apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d' une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu' elles posent à la Cour.

Le rejet d' une demande préjudicielle formée par une juridiction nationale n' est possible que s' il apparaît de manière manifeste que l' interprétation du droit communautaire ou l' examen de la validité d' une règle communautaire, demandés par cette juridiction, n' ont aucun rapport avec la réalité ou l' objet du litige au principal.

2. Même dans les cas où elles appliquent les dispositions de fond des articles 85, paragraphe 1, ou 86 du traité, les autorités nationales sont appelées à les mettre en oeuvre selon des règles nationales. Le règlement n 17 régit en effet les procédures d' application des règles communautaires de concurrence menées par la Commission.

3. L' article 214 du traité et les dispositions du règlement n 17 doivent être interprétés en ce sens que les États membres, dans le cadre de la compétence qui leur est reconnue pour l' application des règles nationales et communautaires de la concurrence, ne peuvent utiliser, comme moyens de preuve, ni les informations non publiées contenues dans les réponses aux demandes de renseignements adressées aux entreprises en application de l' article 11 du règlement n 17 ni les informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du même règlement.

Le fait qu' en application de l' article 10, paragraphe 1, dudit règlement ces informations soient transmises aux autorités nationales compétentes n' implique en effet aucunement que ces dernières puissent les utiliser à leur guise.

S' agissant des informations recueillies en application de l' article 11, l' article 20 du règlement, pour protéger les droits de la défense des entreprises, interdit leur utilisation dans des buts autres que celui dans lequel elles ont été demandées, à savoir l' exercice par la Commission de ses propres compétences, et impose en ce qui les concerne, tant à la Commission qu' aux autorités compétentes des États membres et à leurs fonctionnaires et agents, le respect du secret professionnel, lequel implique non seulement l' institution de règles visant à interdire la communication d' informations confidentielles, mais également l' impossibilité pour les autorités légalement détentrices de ces informations de les utiliser, en l' absence de disposition expresse en ce sens, pour un motif étranger à celui pour lequel elles ont été recueillies.

S' agissant des informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement, l' absence d' une disposition analogue à l' article 20 ne fait pas disparaître les exigences tenant au respect des droits de la défense et du secret professionnel. En outre, l' utilisation des informations communiquées par les entreprises à la Commission doit toujours respecter le cadre juridique de la procédure dans laquelle ces informations ont été recueillies et la procédure de notification tend précisément à réaliser un équilibre entre la révélation volontaire d' une entente ou d' une pratique concertée, génératrice d' un certain risque pour les entreprises, et l' immunité pour les comportements postérieurs à la notification, que prévoit l' article 15, paragraphe 5, sous c), du règlement et qui assure un avantage aux entreprises, équilibre que viendrait rompre l' utilisation des informations communiquées pour infliger des sanctions dans le cadre d' une procédure régie par le droit national.

Le fait que les informations communiquées aux autorités nationales compétentes doivent rester dans la sphère interne de ces dernières, ce qui exclut leur communication à d' autres autorités nationales ou à des tiers, et ne peuvent être invoquées par elles ni lors d' une procédure d' instruction préalable ni pour justifier une décision prise sur le fondement des dispositions du droit de la concurrence, qu' il s' agisse du droit national ou du droit communautaire, ne fait pas obstacle à ce qu' elles constituent toutefois des indices pouvant, le cas échéant, être utilisés pour apprécier l' opportunité d' engager ou non une procédure nationale, procédure au cours de laquelle les faits devront être établis par les moyens de preuve propres au droit national et dans le respect des garanties prévues par celui-ci.

Parties


Dans l' affaire C-67/91,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Tribunal de Defensa de la Competencia et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant lui entre

Dirección General de Defensa de la Competencia

et

- Asociación Española de Banca Privada (AEB),

- Banco Hispano Americano, SA,

- Banco Exterior de España, SA,

- Banco Popular Español, SA,

- Banco Bilbao Vizcaya, SA,

- Banco Central, SA,

- Banco Español de Crédito, SA,

- Banco de Santander - SA de Crédito,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 214 du traité CEE et du règlement n 17, du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, R. Joliet, F. A. Schockweiler, F. Grévisse et P. J. G. Kapteyn, présidents de chambre, G. F. Mancini, C. N. Kakouris, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Díez de Velasco, M. Zuleeg, J. L. Murray et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs

greffier: M. D. Triantafyllou, administrateur

considérant les observations écrites présentées:

- pour le gouvernement espagnol, par M. Alberto Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Mme Rosario Silva de Lapuerta, Abogado del Estado, chef du service du contentieux communautaire, en qualité d' agents;

- pour l' AEB, par Me Enrique Piñel López, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Hispano Americano, SA, par Me Gerardo Codes Anguita, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Exterior de España, SA, par M. Alvaro Merino Fuentes, Procurador de los Tribunales de Madrid, et Me José Ataz Hernández, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Popular Español, SA, par M. Santiago Lizarraga Beloso, fondé de pouvoir, et Me Vicente Infante Pérez, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Bilbao Vizcaya, SA, par Me José Luis Segimón Escobedo, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Central, SA, par Me Juan Manuel Echevarría Hernández, conseiller secrétaire et directeur général, avocat au barreau de Madrid;

- pour la banque Banco Español de Crédito, SA, par Mes Mariano Gómez de Liaño y Botella, avocat au barreau de Madrid, et Piero A. M. Ferrari, avocat au barreau de Rome;

- pour la banque Banco de Santander, SA, par Me Alfredo Oñoro Crespo, avocat au barreau de Madrid;

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. Francisco E. González Díaz et Berend Jan Drijber, membres du service juridique, en qualité d' agents;

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement espagnol, de l' AEB, de la banque Banco Central Hispanoamericano, SA (issue de la fusion des banques Banco Hispano Americano, SA, et Banco Central, SA), représentée par Me Juan Manuel Echevarría Hernández, de la banque Banco Exterior de España, SA, représentée par Me A. Echevarría Pérez, avocat au barreau de Madrid, de la banque Banco Popular Español, SA, représentée par Mes Pablo Isla Alvarez de Tejera et Juan Ignacio Martí Barceló, avocats au barreau de Madrid, de la banque Banco Bilbao Vizcaya, SA, de la banque Banco Español de Crédito, SA, de la banque Banco de Santander, SA, et de la Commission des Communautés européennes, à l' audience du 12 mai 1992,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 10 juin 1992,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 28 janvier 1991, parvenue à la Cour le 15 février suivant, le Tribunal de Defensa de la Competencia a posé, en application de l' article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l' interprétation de l' article 214 du traité CEE et du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n 17").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d' un litige opposant, d' une part, la Dirección General de Defensa de la Competencia (ci-après "DGDC") et, d' autre part, l' Asociación Española de Banca Privada (ci-après "AEB") ainsi que les banques Banco Hispano Americano, Banco Exterior de España, Banco Popular Español, Banco Bilbao Vizcaya, Banco Central, Banco Español de Crédito et Banco de Santander - SA de Crédito (ci-après "Banco de Santander").

3 Une action a été engagée par les services de la DGDC devant le Tribunal de Defensa de la Competencia à l' encontre de l' AEB et des banques susmentionnées. Il est fait grief à ces dernières d' avoir méconnu, pour ce qui concerne certains services et commissions bancaires, les dispositions de la loi espagnole n 110 du 20 juillet 1963, relative à la répression des pratiques restrictives de concurrence.

4 Les banques font valoir que cette procédure nationale a pour véritable point de départ non les diverses demandes d' informations présentées au début de l' année 1987 par les services de la DGDC, mais les actes postérieurs des autorités nationales pris sur le fondement d' informations recueillies, par la Commission, en application des dispositions du règlement n 17.

5 Ces informations seraient contenues dans un "formulaire A/B", présenté en mars 1988 par l' AEB et les banques susmentionnées en vue d' obtenir de la Commission l' attestation négative prévue par l' article 2 du règlement n 17 ou l' exemption prévue par l' article 85, paragraphe 3, du traité, ainsi que dans les réponses à des demandes de renseignements adressées aux banques par la Commission, dès mars 1987, sur le fondement de l' article 11 du règlement n 17.

6 L' AEB et les banques soutiennent que ces informations ne peuvent pas être utilisées par les autorités nationales pour justifier le bien-fondé d' une procédure tendant à réprimer des infractions aux règles nationales de la concurrence.

7 C' est dans ces conditions que le Tribunal de Defensa de la Competencia a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L' autorité nationale compétente pour l' application dans un État membre de l' article 85, paragraphe 1, et de l' article 86 du traité instituant la Communauté économique européenne peut-elle, dans le cadre d' une procédure répressive engagée en vertu des articles précités, utiliser les informations obtenues par les services de la Commission

a) en application de l' article 11 du règlement n 17 du Conseil?

b) grâce à une notification volontaire effectuée par des entreprises établies dans ledit État membre conformément aux dispositions des articles 2, 4 et 5 du règlement n 17 du Conseil?

2) Ladite autorité peut-elle utiliser les informations visées à la question 1, sous a) et b), dans une procédure répressive engagée en application conjointe de la réglementation communautaire et de la réglementation nationale en matière de concurrence?

3) Ladite autorité peut-elle utiliser les informations visées à la question 1, sous a) et b), dans une procédure répressive engagée en application de la seule réglementation nationale de la concurrence?

4) Ladite autorité peut-elle utiliser les informations visées à la question 1, sous a) et b), dans une procédure d' autorisation de pratiques restrictives de la concurrence engagée en application de sa seule réglementation nationale?"

8 Dans les motifs de l' ordonnance de renvoi, le juge national indique que, selon lui, les réponses à ces questions doivent être affirmatives.

9 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

10 Avant de préciser l' objet des questions préjudicielles soumises à la Cour et de statuer sur leur recevabilité, il convient, à titre liminaire, d' indiquer le cadre juridique dans lequel ces questions ont été posées et, plus particulièrement, les champs d' application respectifs des règles communautaires et des règles nationales de concurrence, la portée du règlement n 17 et les formes de coopération entre la Commission et les États membres que prévoit ce règlement.

11 Le droit communautaire et le droit national en matière de concurrence considèrent les pratiques restrictives sous des aspects différents. Alors que les articles 85 et 86 du traité les envisagent en raison des entraves qui peuvent en résulter pour le commerce entre les États membres, les législations internes, inspirées par des considérations propres à chacune d' elles, considèrent les pratiques restrictives dans ce seul cadre. Il s' ensuit que les autorités nationales peuvent agir également à l' égard de situations susceptibles de faire l' objet d' une décision de la Commission (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1969, Wilhelm, 14/68, Rec. p. 1, et du 10 juillet 1980, Giry et Guerlain, points 15 et 16, 253/78 et 1/79 à 3/79, Rec. p. 2327).

12 Dans les arrêts précités, la Cour a, toutefois, souligné qu' une application parallèle du droit national de la concurrence ne saurait être admise que pour autant qu' elle ne porte pas préjudice à l' application uniforme, dans tout le marché commun, des règles communautaires en matière de concurrence et au plein effet des actes pris sur le fondement de ces règles.

13 Le règlement n 17 s' applique aux procédures suivies par la Commission pour la mise en oeuvre des articles 85 et 86 du traité. Comme l' indique son septième considérant, il fixe les règles suivant lesquelles la Commission peut prendre les mesures nécessaires à l' application de ces dispositions.

14 C' est dans ce cadre que le règlement n 17 régit les conditions dans lesquelles, d' une part, les entreprises fournissent des informations à la Commission et, d' autre part, cette dernière utilise ces informations et les transmet aux autorités compétentes des États membres.

15 La Commission reçoit ainsi les demandes d' attestation négative des entreprises, présentées sur le fondement de l' article 2 du règlement n 17, tendant à ce qu' elle constate qu' il n' y a pas lieu pour elle d' intervenir en vertu des dispositions des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité. Elle reçoit également les notifications d' accords, décisions et pratiques, prévues par les articles 4 et 5 du règlement, tendant à ce qu' elle prenne, en application de l' article 85, paragraphe 3, du traité, une décision déclarant les dispositions du paragraphe 1 de ce même article inapplicables à certains accords ou pratiques concertées.

16 Ces demandes et notifications sont présentées sur un formulaire commun, dit "formulaire A/B", dont le contenu est précisé par le règlement n 27 de la Commission, du 3 mai 1962, premier règlement d' application du règlement n 17 (JO 1962, 35, p. 1118), dans sa rédaction résultant du règlement (CEE) n 2526/85, de la Commission, du 5 août 1985 (JO L 240, p. 1).

17 Le règlement n 17 a, par ailleurs, conféré à la Commission un large pouvoir d' investigation et de vérification en précisant, dans son huitième considérant, qu' elle doit disposer, dans toute l' étendue du marché commun, du pouvoir d' exiger les renseignements et de procéder aux vérifications qui sont nécessaires pour déceler les infractions aux articles 85 et 86 du traité (arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, point 15, 374/87, Rec. p. 3283).

18 C' est ainsi qu' a été instituée une procédure d' enquête préalable, distincte de la procédure contradictoire prévue par l' article 19 du règlement, qui comprend notamment les demandes de renseignements (article 11 du règlement) et les vérifications par les agents de la Commission (article 14 du règlement). Cette procédure a pour objet de permettre à la Commission de recueillir les renseignements et la documentation nécessaires pour vérifier la réalité et la portée d' une situation de fait et de droit déterminée (arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, précité, point 21).

19 Les dispositions du règlement n 17 définissent les conditions dans lesquelles les États membres sont associés aux procédures diligentées par la Commission. Ainsi qu' il ressort du septième considérant de ce règlement, ces dispositions ont pour but d' assurer que la Commission, agissant en étroite et constante liaison avec les autorités compétentes des États membres, pourra prendre les mesures nécessaires à l' application des articles 85 et 86.

20 Selon les dispositions de l' article 10, paragraphes 1 et 2, du règlement, la Commission transmet sans délai aux autorités compétentes des États membres copie des demandes et des notifications ainsi que des pièces les plus importantes qui lui sont adressées en vue de la constatation d' infractions aux dispositions de l' article 85 ou de l' article 86 du traité, de l' octroi d' une attestation négative ou d' une décision d' application de l' article 85, paragraphe 3. Les autorités compétentes des États membres sont habilitées à formuler toutes observations sur ces procédures. Au nombre des informations qui peuvent être communiquées aux États membres sur le fondement de ces dispositions figurent notamment celles contenues dans les réponses aux demandes de renseignements présentées par la Commission en application de l' article 11 du règlement. Ce dernier article prévoit, en outre, en ses paragraphes 2 et 6, qu' une copie de ces demandes de renseignements ou des décisions prises par la Commission à la suite des demandes restées infructueuses est adressée aux autorités de l' État membre concerné.

21 Enfin, l' article 20 du règlement dispose, en son paragraphe 1:

"Les informations recueillies en application des articles 11, 12, 13 et 14 ne peuvent être utilisées que dans le but pour lequel elles ont été demandées."

Selon le paragraphe 2 de ce même article, qui met en oeuvre l' article 214 du traité relatif au secret professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, point 26, 53/85, Rec. p. 1965), les autorités compétentes des États membres ainsi que leurs fonctionnaires et autres agents sont tenus de ne pas divulguer les informations qu' ils ont recueillies en application du règlement et qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel.

Sur l' objet et la recevabilité des questions préjudicielles soumises à la Cour

22 Les questions posées portent exclusivement sur l' utilisation par les autorités des États membres des informations recueillies par la Commission dans le cadre de l' application du règlement n 17. Par ces questions, la juridiction nationale saisie cherche, en substance, à savoir si les autorités nationales peuvent, aux fins de l' application du droit communautaire ou du droit national de la concurrence, utiliser les informations qui leur ont été transmises par la Commission et qui étaient contenues dans:

- les réponses aux demandes de renseignements adressées aux entreprises sur le fondement de l' article 11 du règlement;

- les demandes d' attestation négative et notifications d' accords, de décisions et pratiques prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement.

23 Il convient de préciser que les questions posées portent sur l' utilisation par les autorités nationales d' informations recueillies par la Commission qui n' ont pas été publiées en application des dispositions de l' article 19, paragraphe 3, du règlement n 17 et qui n' ont pas été mentionnées dans une décision de la Commission publiée dans les conditions prévues par l' article 21 de ce règlement.

24 L' AEB et certaines des banques contestent la pertinence d' une partie des questions posées, en ce qu' elles portent notamment sur l' utilisation de ces informations, par les autorités nationales, aux fins de l' application du droit communautaire de la concurrence. Elles soutiennent que l' utilisation des informations recueillies sur le fondement du règlement n 17, et plus particulièrement celles contenues dans un formulaire A/B, par les autorités nationales, dans le cadre d' une procédure nationale répressive fondée sur les dispositions du droit national de la concurrence, serait seule en cause dans le litige au principal.

25 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l' article 177 du traité établit le cadre d' une coopération étroite entre les juridictions nationales et la Cour, fondée sur une répartition des fonctions entre elles. Dans ce cadre, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d' apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d' une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu' elles posent à la Cour.

26 Le rejet d' une demande formée par une juridiction nationale est possible s' il apparait de manière manifeste que l' interprétation du droit communautaire ou l' examen de la validité d' une règle communautaire, demandés par cette juridiction, n' ont aucun rapport avec la réalité ou l' objet du litige au principal (voir, entre autres, arrêt du 28 novembre 1991, Durighello, point 9, C-186/90, Rec. p. I-5773). Mais tel n' est pas le cas dans la présente affaire.

Sur l' utilisation par les autorités des États membres des informations contenues dans les réponses aux demandes de renseignements adressées aux entreprises en application de l' article 11 du règlement n 17

27 La Commission, l' AEB et les banques concernées font valoir que les dispositions précitées de l' article 20, paragraphe 1, du règlement n 17 interdisent aux autorités des États membres d' utiliser ces informations comme moyens de preuve à l' appui d' une procédure faisant application des règles du droit national de la concurrence. La Commission admet, en revanche, que ces informations puissent être utilisées par les autorités nationales pour faire application, dans la limite de leurs compétences, des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité.

28 Le gouvernement espagnol soutient que ces informations peuvent être utilisées par les autorités des États membres que ce soit pour l' application des règles communautaires de la concurrence ou que ce soit pour celle du droit national de la concurrence dont les objectifs et le but sont identiques.

29 La réponse à la question posée par le juge national nécessite l' interprétation des dispositions précitées de l' article 20, paragraphe 1, du règlement n 17, auxquelles il convient d' ajouter les dispositions de l' article 11, paragraphe 3, de ce même règlement, qui précisent que la demande de renseignements adressée à l' entreprise doit indiquer les bases juridiques et le but de la demande.

30 Pour interpréter ces dispositions, il y a lieu de prendre en compte l' économie générale du règlement n 17, l' objet des dispositions instituant la procédure de demande de renseignements ainsi que les exigences tenant au respect des principes généraux du droit communautaire, et notamment des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, point 12, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859).

31 Comme il a été indiqué précédemment, le règlement n 17 ne régit pas les procédures menées par les autorités compétentes des États membres, cela même dans les cas où ces procédures visent à mettre en oeuvre les articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité. L' article 9, paragraphe 3, du règlement, qui définit et limite la compétence des autorités nationales pour appliquer ces dernières dispositions, l' article 20, paragraphe 2, relatif au secret professionnel, ainsi que les dispositions de l' article 10, qui associent les États membres aux procédures communautaires, ont pour objet de fixer les conditions dans lesquelles les autorités nationales peuvent agir de façon à ne pas entraver les procédures diligentées par la Commission et en assurer, au contraire, l' efficacité dans le respect des droits des intéressés.

32 La distinction faite par la Commission, pour répondre à la question posée, entre les cas où ces autorités utilisent les informations en cause aux fins de l' application du droit communautaire et les cas où ces autorités agissent aux fins de l' application du droit national de la concurrence n' est pas, dans ces conditions, opérante. Dans les deux cas, en effet, la procédure menée par les autorités des États membres est distincte de celle menée par la Commission et le recueil des éléments de preuve par ces autorités obéit, sous réserve du respect du droit communautaire, aux règles posées par le droit national. Même dans les cas où elles appliquent les dispositions de fond des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité, les autorités nationales sont appelées à les mettre en oeuvre selon des règles nationales.

33 Dans ce cadre général, le but d' une demande de renseignements adressée à une entreprise sur le fondement de l' article 11 du règlement n 17 est de fournir à la Commission des éléments de fait ou de droit nécessaires à l' exercice de ses propres compétences. La valeur probante des renseignements ainsi communiqués et les conditions dans lesquelles ces renseignements peuvent être invoqués à l' encontre des entreprises sont, en conséquence, définies par le droit communautaire et limitées aux seules procédures régies par le règlement n 17. Le but de la demande de renseignements n' est pas de fournir des éléments de preuve destinés à être utilisés par les États membres dans des procédures régies par le droit national.

34 La transmission des informations ainsi recueillies par la Commission aux autorités compétentes des États membres, sur le fondement de l' article 10, paragraphe 1, du règlement n 17, répond à une double préoccupation. Il s' agit, d' une part, d' informer les États membres des procédures communautaires concernant des entreprises situées sur leur territoire et, d' autre part, d' assurer une meilleure information de la Commission en lui permettant de confronter les renseignements donnés par les entreprises avec les indications et observations que peut lui fournir l' État membre concerné. La seule communication de ces informations aux États membres n' implique pas, en elle-même, que ces derniers puissent les utiliser dans des conditions qui mettraient en cause l' application du règlement n 17 et les droits fondamentaux des entreprises.

35 En interdisant l' utilisation des informations recueillies en application de l' article 11 du règlement n 17 dans des buts autres que le but dans lequel elles ont été demandées et en imposant à la Commission comme aux autorités compétentes des États membres et à leurs fonctionnaires et agents le respect du secret professionnel, l' article 20 du même règlement tend à protéger les droits des entreprises (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, points 17 et 18, 85/87, Rec. p. 3137).

36 Les droits de la défense, qui doivent être respectés dès la procédure d' enquête préalable, exigent, d' une part, que les entreprises soient informées, lors de la demande de renseignements, comme le prévoit l' article 11, paragraphe 3, du règlement, des buts poursuivis par la Commission et des bases juridiques de la demande et, d' autre part, que les renseignements ainsi recueillis ne soient pas ultérieurement détournés du cadre juridique de la demande.

37 Le secret professionnel implique non seulement l' institution de règles visant à interdire la communication d' informations confidentielles, mais également l' impossibilité pour les autorités légalement détentrices de ces informations de les utiliser, en l' absence de disposition expresse en ce sens, pour un motif étranger à celui pour lequel elles ont été recueillies.

38 Or, ces garanties ne seraient pas respectées si une autorité autre que la Commission pouvait utiliser, comme moyens de preuves, dans le cadre de procédures qui ne sont pas régies par le règlement n 17, des informations recueillies en application de l' article 11 de ce règlement.

39 Une telle interprétation ne méconnaît nullement les exigences du principe de coopération entre les institutions communautaires et les États membres. Ces États ne sont pas, en effet, tenus d' ignorer les informations qui leur ont été communiquées et de souffrir ainsi, pour reprendre l' expression utilisée par la Commission et par le juge national, d' "amnésie aiguë". Ces informations constituent, en effet, des indices qui peuvent, le cas échéant, être pris en compte pour justifier l' ouverture d' une procédure nationale (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, précité, points 18 et 19).

40 Il convient, à cet égard, de préciser les conditions dans lesquelles les autorités nationales compétentes peuvent utiliser de telles informations.

41 Ces autorités doivent veiller, conformément aux dispositions des articles 214 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n 17, à ne pas communiquer à d' autres autorités nationales ou à des tiers les informations couvertes par le secret professionnel.

42 Ces informations ne peuvent être invoquées par les autorités des États membres ni lors d' une procédure d' instruction préalable ni pour justifier une décision prise sur le fondement des dispositions du droit de la concurrence, qu' il s' agisse du droit national ou du droit communautaire. Ces informations doivent rester dans la sphère interne de ces autorités et ne peuvent être utilisées que pour apprécier l' opportunité d' engager ou non une procédure nationale.

43 Pour répondre aux arguments invoqués par le gouvernement espagnol, lors de l' audience de plaidoirie, selon lesquels une telle interprétation aurait pour conséquence que la simple mention d' un fait dans un document transmis à la Commission suffirait à le soustraire à toute procédure nationale, il convient de relever que de tels faits peuvent valablement faire l' objet d' une procédure nationale, à condition toutefois que la preuve de leur existence soit établie non par les documents et informations recueillis par la Commission, mais par les moyens de preuve propres au droit national et dans le respect des garanties prévues par ce droit.

Sur l' utilisation par les autorités des États membres des informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement n 17

44 La Commission soutient que ces informations ne peuvent pas être utilisées par les autorités des États membres aux fins de l' application du droit national de la concurrence. Elle se fonde plus particulièrement sur les dispositions de l' article 15, paragraphe 5, du règlement n 17, relatives aux exemptions d' amendes dont bénéficient les entreprises ayant notifié des accords, décisions et pratiques à la Commission. Elle fait valoir que l' équilibre et l' économie générale de ces dispositions seraient rompus si les autorités nationales étaient autorisées à utiliser à l' encontre des entreprises les informations contenues dans les formulaires de notification. Elle admet, en revanche, que ces informations puissent être utilisées par les autorités nationales, sous réserve du respect des règles limitant leur compétence en ce domaine, aux fins de l' application des articles 85, paragraphe 1, et 86 du traité.

45 L' AEB et les banques concernées se fondent, quant à elles, plus spécialement sur les règles du secret professionnel et sur les principes généraux du droit, qui interdiraient d' utiliser à l' encontre d' une personne, dans le cadre d' une procédure ayant un caractère répressif, les informations que cette personne a pris l' initiative de communiquer à l' appui d' une demande adressée à l' autorité compétente.

46 Selon le gouvernement espagnol, les autorités nationales peuvent, en l' absence de dispositions expresses contraires, utiliser ces informations pour l' application du droit communautaire et du droit national de la concurrence sans contrevenir aux dispositions du règlement n 17.

47 A la différence des informations contenues dans les réponses aux demandes de renseignements, les informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement n 17 ne font l' objet d' aucune disposition analogue à celles de l' article 20, paragraphe 1, du règlement, limitant les conditions dans lesquelles ces informations peuvent être utilisées.

48 Toutefois, même en l' absence d' une telle règle expresse, l' utilisation des informations communiquées par les entreprises à la Commission doit respecter le cadre juridique de la procédure dans laquelle ces informations ont été recueillies.

49 Il résulte du texte de l' article 85, paragraphe 3, du traité et des dispositions du règlement n 17 que la notification des accords, décisions et pratiques à la Commission s' inscrit dans le cadre de procédures spécifiquement communautaires. En outre, tant le formulaire A/B que la note complémentaire jointe à ce formulaire et destinée à l' information des entreprises font exclusivement mention de ces procédures et n' indiquent nullement la possibilité, pour une autorité autre que la Commission, d' utiliser les informations contenues dans le formulaire.

50 Dans ces conditions, et compte tenu, par ailleurs, des exigences tenant au respect des droits de la défense et du secret professionnel, ci-avant rappelées, le silence du texte ne saurait être interprété comme le refus du législateur communautaire de reconnaître aux entreprises des droits identiques à ceux qu' il leur reconnaît pour assurer la protection des informations contenues dans les réponses aux demandes de renseignement présentées sur le fondement de l' article 11 du règlement.

51 Cette interprétation s' impose d' autant plus qu' ainsi que le soutient la Commission la possibilité qui serait reconnue aux États membres d' utiliser les informations contenues dans le formulaire A/B priverait, en partie, d' effet utile les dispositions de l' article 15, paragraphe 5, du règlement n 17.

52 Il convient, à cet égard, de rappeler que la notification ne constitue pas une formalité imposée aux entreprises, mais une condition indispensable pour obtenir certains avantages. Aux termes de l' article 15, paragraphe 5, sous a), du règlement n 17, aucune amende ne peut être infligée pour des agissements postérieurs à la notification, pour autant qu' ils restent dans les limites de l' activité décrite dans la notification. Or, ce bénéfice au profit des entreprises ayant notifié un accord ou une pratique concertée constitue la contrepartie du risque encouru par l' entreprise en dénonçant elle-même l' accord ou la pratique concertée. Cette entreprise risque, en effet, non seulement de faire constater que l' accord ou la pratique viole l' article 85, paragraphe 1, de se voir refuser l' application du paragraphe 3 et de devoir mettre fin à l' accord ou à la pratique notifiés (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 1985, Stichting Sigarettenindustrie/Commission, point 76, 240/82 à 242/82, 261/82, 262/82, 268/82 et 269/82, Rec. p. 3831), mais également d' être sanctionnée par une amende pour ses agissements antérieurs à la notification (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française/Commission, point 93, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825). En outre, comme l' a relevé la Cour dans l' arrêt du 10 décembre 1985, précité, ces dispositions, en ce qu' elles incitent les entreprises à procéder à des notifications, permettent de réduire d' autant les tâches d' investigation de la Commission.

53 L' économie générale de ces dispositions implique, en conséquence, que les entreprises ayant procédé à des notifications dans les conditions prévues par le règlement n 17 puissent, en contrepartie, bénéficier de certains avantages. Une interprétation de ce règlement admettant que les États membres puissent utiliser, comme moyens de preuve, les informations contenues dans ces notifications pour justifier des sanctions nationales réduirait de façon substantielle la portée de l' avantage consenti aux entreprises par les dispositions de l' article 15, paragraphe 5, du règlement.

54 Il en résulte que, de même que pour les informations contenues dans les réponses aux demandes de renseignements présentées sur le fondement de l' article 11 du règlement n 17, les États membres ne peuvent pas utiliser les informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 de ce règlement comme des moyens de preuve.

55 Pour l' ensemble des ces motifs, il convient de répondre que l' article 214 du traité et les dispositions du règlement n 17 doivent être interprétés en ce sens que les États membres, dans le cadre de la compétence qui leur est reconnue pour l' application des règles nationales et communautaires de la concurrence, ne peuvent utiliser, comme moyens de preuve, ni les informations non publiées contenues dans les réponses aux demandes de renseignements adressées aux entreprises en application de l' article 11 du règlement n 17 ni les informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement n 17.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

56 Les frais exposés par le gouvernement espagnol et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de Defensa de la Competencia, par ordonnance du 28 janvier 1991, dit pour droit:

L' article 214 du traité CEE et les dispositions du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d' application des articles 85 et 86 du traité, doivent être interprétés en ce sens que les États membres, dans le cadre de la compétence qui leur est reconnue pour l' application des règles nationales et communautaires de la concurrence, ne peuvent utiliser, comme moyens de preuve, ni les informations non publiées contenues dans les réponses aux demandes de renseignements adressées aux entreprises en application de l' article 11 du règlement n 17 ni les informations contenues dans les demandes et notifications prévues par les articles 2, 4 et 5 du règlement n 17.