61990J0097

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 11 juillet 1991. - Hansgeorg Lennartz contre Finanzamt München III. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne. - TVA - Déduction de la taxe payée pour un bien d'investissement. - Affaire C-97/90.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-03795
édition spéciale suédoise page I-00299
édition spéciale finnoise page I-00311


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Biens d' investissement - Régularisation de la déduction initialement opérée - Conditions d' applicabilité de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive - Acquisition des biens par un assujetti pour les besoins de ses activités économiques - Critères d' appréciation - Assujetti satisfaisant à ces conditions - Droit à déduction - Mesure nationale restrictive - Soumission aux règles relatives aux dérogations

( Directive du Conseil 77/388, art . 4, 17, 20, § 2, et 27, § 1 et 5 )

Sommaire


L' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388, relatif à la régularisation des déductions de la taxe sur la valeur ajoutée initialement opérées pour les biens d' investissement, se borne à établir le mécanisme permettant de calculer les régularisations de la déduction initiale . Il ne saurait donc donner naissance à un droit à déduction, ni transformer la taxe acquittée par un assujetti en relation avec ses opérations non taxées en une taxe déductible au sens de l' article 17 . Pour qu' il trouve à s' appliquer, il faut qu' un particulier acquière des biens d' investissement en tant qu' assujetti et les affecte aux besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 de la directive . Mais dans ce cas, l' utilisation immédiate des biens pour des livraisons taxées ou exonérées ne constitue pas, en elle-même, une condition de son application .

Le point de savoir si un assujetti, dans un cas particulier, a acquis des biens pour les besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l' ensemble des données de l' espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre leur acquisition et leur utilisation aux fins des activités économiques de l' assujetti .

Un assujetti qui utilise des biens pour les besoins d' une activité économique a le droit, au moment de l' acquisition de ces biens, de déduire la taxe versée en amont conformément aux règles prévues à l' article 17, si réduite que soit la proportion de l' utilisation à des fins professionnelles . Une règle ou une pratique administrative nationale imposant une restriction générale du droit à déduction en cas d' utilisation professionnelle limitée, mais néanmoins effective, constitue une dérogation à l' article 17 et n' est valide que s' il est satisfait aux exigences de l' article 27, paragraphe 1, ou de l' article 27, paragraphe 5, de la directive .

Parties


Dans l' affaire C-97/90,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Finanzgericht Muenchen et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction,

entre

Dipl.-Kfm . H . Lennartz, à Muenich

et

Finanzamt Muenchen III,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur les chiffres d' affaires - Système commun de taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( JO L 145, p . 1 ),

LA COUR ( sixième chambre ),

composée de MM . G . F . Mancini, président de chambre, T . F . O' Higgins, C . N . Kakouris, F . Schockweiler et P . J . G . Kapteyn, juges,

avocat général : M . F . G . Jacobs

greffier : M . V . Di Bucci, administrateur

considérant les observations écrites présentées :

- pour le gouvernement allemand, par MM . Ernst Roeder et Joachim Karl, du Bundesministerium fuer Wirtschaft, en qualité d' agents,

- pour le gouvernement français, par Mme Edwige Belliard, en qualité d' agent et M . Géraud de Bergues, en qualité d' agent suppléant, de la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M . John Collins, treasury solicitor, en qualité d' agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M . Henri Étienne, conseiller juridique de la Commission, en qualité d' agent,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales du gouvernement allemand, représenté par M . Claus-Dieter Quassowski, du Bundesministerium fuer Wirtschaft, en qualité d' agent, du gouvernement britannique, représenté par M . David Anderson, barrister, et de la Commission, à l' audience du 7 mars 1991,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 30 avril 1991,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 24 janvier 1990, parvenue à la Cour le 10 avril suivant, le Finanzgericht Muenchen a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l' interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d' affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ( JO L 145, p . 1, ci-après "sixième directive ").

2 Ces questions ont été soulevées à l' occasion d' un recours introduit par M . Lennartz, conseiller fiscal à Munich, contre le refus du Finanzamt Muenchen III de lui accorder une régularisation ultérieure de sa déclaration de TVA présentée au titre de l' exercice 1985 .

3 ) En 1985 et 1986, M . Lennartz a travaillé en partie comme salarié et en partie en tant que conseiller fiscal indépendant . Il a établi, pour cette période, des déclarations annuelles de TVA relatives à son activité indépendante . En 1985, M . Lennartz a acheté une voiture d' un montant de 20 206,15 DM auquel s' ajoutaient 2 826,86 DM de TVA . En 1985, il a utilisé ce véhicule principalement pour ses besoins privés et seulement dans une mesure limitée, à raison de 8 % environ, pour les besoins de l' entreprise . Lorsqu' il a ouvert, le 1er juillet 1986, son propre cabinet de conseiller fiscal, il a fait l' apport du véhicule à l' entreprise . Dans sa déclaration de TVA pour 1986, il a réclamé a posteriori, sur le fondement de l' article 15, sous a ), de la loi allemande sur l' impôt sur le chiffre d' affaires ( Umsatzsteuergesetz 1980, ci-après "UStG "), qui contient les dispositions d' application de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive, une déduction d' un montant de 282,98 DM au titre de l' acquisition d' un véhicule, soit 6/60 de l' ensemble de la TVA qu' il avait dû acquitter pour la voiture .

4 Le Finanzamt Muenchen III a décidé que M . Lennartz devait être considéré comme ayant initialement acquis la voiture uniquement à des fins privées, et qu' il n' avait donc pas droit aux régularisations au titre de l' article 15, sous a ), de l' UStG, si la voiture était ensuite utilisée dans l' entreprise . Pour estimer que la voiture n' était initialement utilisée qu' à des fins privées, le Finanzamt s' est fondé sur une pratique administrative des autorités fiscales allemandes, selon laquelle il n' est pas tenu compte, d' une manière générale, de l' utilisation de biens dans l' entreprise dès lors que cette utilisation représente moins de 10 % de l' utilisation totale . Dans ces circonstances, le Finanzamt Muenchen III a refusé d' octroyer à M . Lennartz la régularisation ultérieure de sa déclaration de TVA présentée au titre de l' exercice 1985 .

5 Selon le Finanzgericht Muenchen, l' interprétation de l' article 15, sous a ), de l' UStG selon laquelle un bien d' investissement qui a été utilisé par un assujetti en premier lieu pour ses besoins privés, puis, dans les années suivantes, pour les besoins de l' entreprise, serait absolument exclu du droit à déduction de la TVA, soulève certains doutes au regard de la sixième directive, qui n' exclut pas le droit à une telle déduction . La juridiction nationale a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1 ) L' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive est-il applicable à tous les biens d' investissement qui :

a ) ont été livrés à un assujetti par un autre assujetti et qui sont utilisés par le destinataire de la livraison pour les besoins de ses opérations taxées, à un moment quelconque au cours d' une période de cinq ans, y compris l' année pendant laquelle ils ont été acquis,

ou est-il en outre nécessaire que le bien d' investissement concerné

b ) soit utilisé par l' assujetti à partir de la date de l' acquisition pour les besoins de ses opérations taxées ou exonérées ( besoins de l' entreprise ) ou

c ) affecté à l' entreprise de l' assujetti au moment de l' acquisition?

l' application de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive, à des biens d' investissement qui sont utilisés par un assujetti aussi bien pour les besoins de son entreprise qu' à des fins autres, notamment privées ( utilisation mixte ) dépend-elle d' une certaine utilisation minimale du bien d' investissement pour les besoins de l' entreprise durant l' année au cours de laquelle il a été acquis et, le cas échéant, comment y a-t-il lieu de définir cette utilisation minimale?

L' affectation d' un bien d' investissement à une entreprise est-elle laissée à la libre appréciation de l' assujetti ou présuppose-t-elle que l' assujetti achète le bien d' investissement :

a ) dans l' intention de l' utiliser pour les besoins de l' entreprise et cette utilisation doit-elle, le cas échéant, être prévue :

II

- dès la date de l' acquisition ou

- à partir d' un moment donné pendant l' année d' acquisition du bien ou

- à partir d' une date se situant avant la fin de cinq années y compris l' année de l' acquisition?

I

et/ou

b ) ce bien d' investissement doit-il être effectivement utilisé pour les besoins de l' entreprise et importe-t-il, le cas échéant, que cette utilisation intervienne

II

- à partir de la date de l' acquisition du bien ou

- au cours de l' année pendant laquelle le bien d' investissement a été acquis ou

- au cours d' une période de cinq ans, y compris l' année pendant laquelle le bien a été acquis?

I

Sur les points a ) et b ):

l' utilisation prévue et/ou effective pour les besoins d' une entreprise lors d' une utilisation mixte du bien d' investissement doit-elle atteindre un certain minimum et comment y a-t-il lieu de définir éventuellement cette utilisation minimale?"

6 Pour un plus ample exposé du cadre juridique et des termes du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

Sur la portée de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive ( première question )

7 Dans sa première partie, cette question tend, en substance, à déterminer si les règles de régularisation de la taxe versée en amont définies par l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive, s' appliquent lorsque l' assujetti acquiert initialement les biens à des fins entièrement privées, mais les utilise ensuite à des fins professionnelles au cours de la période de régularisation de cinq ans . Dans sa deuxième partie, il est demandé à la Cour s' il suffit, pour l' application de l' article 20, paragraphe 2, qu' un particulier acquière les biens en tant qu' assujetti ou s' il doit y avoir une utilisation immédiate des biens à des fins d' activités économiques au sens de l' article 4 de la sixième directive .

Quant à la première partie de la première question

8 En vertu de l' article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, intitulé "naissance et étendue du droit à déduction", le droit à déduction de la TVA prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible . Par conséquent, seule la qualité en laquelle un particulier agit à ce moment peut déterminer l' existence d' un droit à déduction . Il résulte de l' article 17, paragraphe 2, que dans la mesure où l' assujetti, agissant en tant que tel, utilise les biens pour les besoins de ses opérations taxées, il est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée pour lesdits biens .

9 A l' inverse, lorsque les biens ne sont pas utilisés pour les besoins des activités économiques de l' assujetti au sens de l' article 4, mais que ce dernier les utilise pour sa consommation privée, aucun droit à déduction ne peut prendre naissance .

10 D' ailleurs, lorsqu' un assujetti acquiert des biens à titre privé, il ne satisfait pas aux exigences administratives et comptables régissant l' exercice du droit à déduction prévues par les articles 18 et 22 de la sixième directive .

11 Le libellé même du paragraphe 2 de l' article 20, intitulé "régularisation des déductions", confirme cette interprétation . Cet article ne comporte aucune disposition relative à la naissance d' un droit à déduction . Dès lors qu' il se borne à mentionner les régularisations des déductions prévues pour les biens d' investissement, on doit en conclure que la naissance du droit à ces déductions est traitée dans d' autres dispositions de la sixième directive .

12 Il résulte du système de la sixième directive et du libellé même de l' article 20, paragraphe 2, que cette dernière disposition se borne à établir le mécanisme permettant de calculer les régularisations de la déduction initiale . Elle ne saurait donc donner naissance à un droit à déduction ni transformer la taxe acquittée par un assujetti en relation avec ses opérations non taxées en une taxe déductible au sens de l' article 17 .

Quant à la deuxième partie de la première question

13 Pour répondre à la deuxième partie de la première question, il convient de rappeler que, selon l' arrêt de la Cour du 14 février 1985, Rompelman, point 22 ( 268/83, Rec . p . 655 ) les activités économiques visées par l' article 4, paragraphe 1, de la sixième directive, peuvent consister en plusieurs actes consécutifs comme le suggère le texte même du paragraphe 2 de cet article . Parmi ces actes, les activités préparatoires, telles que l' acquisition des moyens d' exploitation, doivent être qualifiées d' activités économiques au sens de cet article .

14 Il découle de cet arrêt qu' un particulier qui acquiert des biens pour les besoins d' une activité économique au sens de l' article 4, le fait en tant qu' assujetti, même si les biens ne sont pas immédiatement utilisés pour ces activités économiques .

15 Par conséquent, c' est l' acquisition des biens par un assujetti agissant en tant que tel qui détermine l' application du système de TVA et, partant, du mécanisme de déduction . L' utilisation qui est faite des marchandises, ou qui est envisagée pour elles, ne détermine que l' étendue de la déduction initiale à laquelle l' assujetti a droit en vertu de l' article 17 et l' étendue des éventuelles régularisations au cours des périodes suivantes .

16 Il s' ensuit que l' utilisation immédiate des biens pour des livraisons taxées ou exonérées ne constitue pas, en elle-même, une condition de l' application de l' article 20, paragraphe 2 .

17 Il y a donc lieu de répondre à l' ensemble de la première question que l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive s' applique lorsqu' un particulier acquiert des biens d' investissement en tant qu' assujetti et les affecte aux besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 de la sixième directive .

Sur l' utilisation minimale d' un bien d' investissement ( question 2 )

18 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n' y a pas lieu d' examiner la deuxième question .

Sur les critères à utiliser pour déterminer si un particulier acquiert des biens en tant qu' assujetti (( questions 3 a ) et b ) ))

19 Par les deux premières parties de la troisième question, la juridiction nationale demande, en substance, des précisions sur les critères à utiliser pour déterminer si un particulier acquiert des biens en tant qu' assujetti lorsqu' il ne les a pas affectés immédiatement à ses activités économiques .

20 La réponse à cette question dépend de l' appréciation de toutes les circonstances pertinentes, entre autres, de la nature des biens concernés et de la période écoulée entre l' acquisition des biens et leur utilisation pour les activités économiques de l' assujetti . Toutefois, les périodes de régularisation prévues à l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive, ne présentent, en tant que telles, aucun lien avec la question de savoir si les biens sont acquis pour les besoins de ces activités économiques .

21 Il convient donc de répondre aux deux premières parties de la troisième question que le point de savoir si un assujetti, dans un cas particulier, a acquis des biens pour les besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 de la sixième directive est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l' ensemble des données de l' espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre l' acquisition des biens et leur utilisation aux fins des activités économiques de l' assujetti .

Sur la validité d' une règle imposant une restriction du droit à déduction de la TVA (( question 3 c ) ))

22 Dans la dernière partie de la troisième question, la juridiction nationale demande, en substance, si, en vertu de la sixième directive, un particulier qui acquiert des biens en tant qu' assujetti et a le droit de déduire la taxe due en amont pour ces biens peut le faire, même lorsque l' utilisation de ceux-ci à des fins d' activité économique est au départ, et pendant une certaine période, relativement réduite .

23 A l' audience, le gouvernement allemand a soutenu que le litige devant la juridiction nationale se limitait à la question de la possibilité, pour M . Lennartz, de procéder à des régularisations au titre de l' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive . Puisqu' il n' a pas demandé une déduction initiale pour 1985 au titre de l' article 17, paragraphe 2, la qualification retenue pour cette année serait définitive . En conséquence, il devrait être répondu aux questions posées en partant du principe que M . Lennartz ne disposait pas d' un droit à déduction au titre de l' acquisition de la voiture .

24 L' ordonnance de renvoi semble confirmer cette affirmation du gouvernement allemand . En outre, ce dernier considère à juste titre que la limite vaut pour le droit de M . Lennartz à une déduction initiale pour 1985 au titre de l' article 17, paragraphe 2 . En conséquence, au cas où la règle en cause ne serait pas valide, M . Lennartz n' en bénéficierait que s' il lui était possible de faire une demande rétroactive de déduction initiale au titre de l' article 17, paragraphe 2, en application de la législation allemande adoptée conformément à l' article 18, paragraphe 3, de la sixième directive .

25 Néanmoins, puisque la juridiction nationale soulève expressément la question de l' exigence relative à une proportion minimale d' utilisation, il y a lieu d' examiner si la mesure en cause peut conduire au refus du droit à déduction en cas d' utilisation effective, mais limitée, des biens d' investissement pour les besoins des activités économiques d' un assujetti .

26 Pour répondre à la question soulevée par la juridiction nationale, il convient de souligner, en premier lieu, que, selon l' article 6 de la sixième directive, l' utilisation d' un bien affecté à l' entreprise pour les besoins privés de l' assujetti ou à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA, est assimilée à des prestations de services effectuées à titre onéreux . Il ressort des dispositions combinées de l' article 6, paragraphe 2, sous a ) et de l' article 11, lettre A, paragraphe 1, sous c ), que, lorsqu' un assujetti acquiert un bien qu' il utilise partiellement à des fins privées, il est réputé effectuer à titre onéreux une prestation de services taxée sur la base du montant des dépenses engagées pour l' exécution de la prestation de services . Par conséquent, un particulier qui utilise un bien en partie pour les besoins d' opérations professionnelles taxées et en partie à des fins privées et qui, au moment de l' acquisition du bien, a récupéré totalement ou partiellement la TVA versée en amont, est réputé utiliser le bien entièrement pour les besoins de ses opérations taxées au sens de l' article 17, paragraphe 2 . En conséquence, un tel particulier dispose en principe d' un droit à déduction totale et immédiate de la taxe due en amont sur l' acquisition des biens .

27 Les dispositions relatives à la ventilation de la taxe en amont figurant à l' article 17, paragraphe 5, ne concernent que la régularisation après la déduction initiale . Ainsi que la Cour l' a relevé dans l' arrêt du 21 septembre 1988, Commission/France, points 16 et 17 ( 50/87, Rec . p . 4797 ), il résulte du système de la sixième directive, et, en particulier, des dispositions des articles 4 et 17, qu' en l' absence de toute disposition permettant aux États membres de limiter le droit à déduction conféré aux assujettis, ce droit doit s' exercer immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont . Dès lors que de telles limitations doivent s' appliquer de manière similaire dans tous les États membres, des dérogations ne sont permises que dans les cas expressément prévus par ladite directive .

28 Compte tenu tant de l' absence de toute règle excluant le droit à déduction lorsque l' utilisation des biens pour les besoins des activités économiques tombe au-dessous d' un certain seuil, que des dispositions expresses de l' article 17, paragraphe 5, sous e ), et de l' article 18, paragraphe 4, de la sixième directive, rien ne permet d' interpréter l' article 17 comme comprenant implicitement une telle règle .

29 Il y a donc lieu de conclure que les États membres ne sont pas autorisés à limiter le droit à déduction, même lorsque l' utilisation des biens pour les besoins des activités économiques est très limitée, sauf lorsqu' ils peuvent se fonder sur l' une des dérogations prévues par la sixième directive .

30 L' article 27, paragraphes 1 et 5, de la sixième directive, qui fait partie du titre XV (" Mesures de simplification "), prévoit deux procédures pour l' autorisation de mesures dérogatoires à la directive, chacune d' entre elles pouvant en principe s' appliquer à la législation nationale critiquée .

31 En ce qui concerne l' application de l' article 27, paragraphe 5, la Commission a publié une liste des mesures qui lui ont été notifiées au titre de cette disposition à l' annexe 1 de son premier rapport, du 14 septembre 1983, sur le fonctionnement du système commun de TVA, présenté conformément à l' article 34 de la sixième directive (( COM(83 ) 426 final )). La mesure en cause n' apparaissant pas dans ladite liste, il semble qu' elle n' ait pas été notifiée au titre de l' article 27, paragraphe 5 .

32 En ce qui concerne l' article 27, paragraphe 1, il ressort de la réponse du gouvernement allemand à une question écrite de la Cour que ce dernier n' a pas demandé d' autorisation au titre de cette disposition car, selon lui, la législation critiquée n' est pas dérogatoire à la directive . Cette argumentation est infirmée par les réponses déjà fournies ci-avant .

33 La Cour a déjà jugé qu' en vertu du devoir général consacré par l' article 189, troisième alinéa, du traité, les États membres sont tenus de se conformer à toutes les dispositions de la sixième directive . Dans la mesure où une dérogation n' a pas été établie en conformité avec l' article 27, qui impose un devoir de notification aux États membres, les autorités fiscales nationales ne sauraient opposer à un assujetti une disposition dérogatoire au système de la sixième directive, ( voir arrêt du 13 février 1985, Direct Cosmetics, point 37 ( 5/84, Rec . p . 617 ).

34 Puisque la mesure en cause n' a été ni notifiée à la Commission au titre de l' article 27, paragraphe 5, ni autorisée par une décision du Conseil conformément à l' article 27, paragraphe 1, le gouvernement allemand ne peut invoquer cette mesure au détriment d' assujettis .

35 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale qu' un assujetti qui utilise des biens pour les besoins d' une activité économique a le droit, au moment de l' acquisition de ces biens, de déduire la taxe versée en amont conformément aux règles prévues à l' article 17, si réduite que soit la proportion de l' utilisation à des fins professionnelles . Une règle ou une pratique administrative imposant une restriction générale du droit à déduction en cas d' utilisation professionnelle limitée, mais néanmoins effective, constitue une dérogation à l' article 17 de la sixième directive et n' est valide que s' il est satisfait aux exigences de l' article 27, paragraphe 1, ou de l' article 27, paragraphe 5, de la sixième directive .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

36 Les frais exposés par les gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR ( sixième chambre ),

statuant sur les questions à elle posées par le Finanzgericht Muenchen, par ordonnance du 24 janvier 1990, dit pour droit :

1 ) L' article 20, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d' harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur les chiffres d' affaires - Système commun de taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme -s' applique lorsqu' un particulier acquiert des biens d' investissement en tant qu' assujetti et les affecte aux besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 de la sixième directive .

2 ) Le point de savoir si un assujetti, dans un cas particulier, a acquis des biens pour les besoins de ses activités économiques au sens de l' article 4 de la sixième directive est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l' ensemble des données de l' espèce, parmi lesquelles figurent la nature des biens visés et la période écoulée entre l' acquisition des biens et leur utilisation aux fins des activités économiques de l' assujetti .

3 ) Un assujetti qui utilise des biens pour les besoins d' une activité économique a le droit, au moment de l' acquisition de ces biens, de déduire la taxe versée en amont conformément aux règles prévues à l' article 17, si réduite que soit la proportion de l' utilisation à des fins professionnelles . Une règle ou une pratique administrative imposant une restriction générale du droit à déduction en cas d' utilisation professionnelle limitée, mais néanmoins effective, constitue une dérogation à l' article 17 de la sixième directive et n' est valide que s' il est satisfait aux exigences de l' article 27, paragraphe 1, ou de l' article 27, paragraphe 5, de la sixième directive .