61989A0020

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre) du 13 décembre 1990. - Heinz-Jörg Moritz contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Recevabilité - Nomination - Rapport de notation - Préjudice - Conclusions en indemnité. - Affaire T-20/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page II-00769


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1 . Fonctionnaires - Recours - Intérêt à agir - Recours en annulation dirigé contre la nomination d' un autre fonctionnaire - Requérant mis à la retraite durant la procédure contentieuse - Irrecevabilité

( Statut des fonctionnaires, art . 91 )

2 . Fonctionnaires - Recrutement - Application de l' article 29, paragraphe 2, du statut - Choix parmi les candidats - Pouvoir d' appréciation de l' autorité investie du pouvoir de nomination - Contrôle juridictionnel - Limites

( Statut des fonctionnaires, art . 29, § 2 )

3 . Fonctionnaires - Recrutement - Application de l' article 29, paragraphe 2, du statut - Audition, par une instance consultative, du responsable du service, supérieur hiérarchique d' un candidat, à propos des qualifications requises pour l' emploi - Audition en l' absence du candidat - Violation des droits de la défense - Absence

( Statut des fonctionnaires, art . 29, § 2 )

4 . Fonctionnaires - Recrutement - Conditions - Nationalité de l' un des États membres - Possession à la date de prise de fonctions

( Statut des fonctionnaires, art . 27 et 28 )

5 . Fonctionnaires - Recrutement - Emploi vacant - Pourvoi - Nomination d' un candidat externe aux institutions - Violation du devoir de sollicitude - Absence

( Statut des fonctionnaires, art . 29 )

6 . Fonctionnaires - Notation - Rapport de notation - Établissement - Tardiveté - Retard imputable partiellement au fonctionnaire

( Statut des fonctionnaires, art . 43 )

Sommaire


1 . Pour qu' un fonctionnaire mis à la retraite puisse poursuivre un recours en annulation, introduit en vertu de l' article 91 du statut, il faut qu' il ait un intérêt personnel à l' annulation de l' acte attaqué . Tel n' est pas le cas lorsque son recours vise principalement à l' annulation de la nomination d' une autre personne à un emploi auquel il ne peut plus utilement prétendre .

2 . Lorsqu' elle pourvoit à un emploi de grade A 2 en usant de la faculté ouverte par l' article 29, paragraphe 2, du statut, l' autorité investie du pouvoir de nomination dispose, dans la comparaison des mérites des candidats et dans l' évaluation de l' intérêt du service, d' un large pouvoir d' appréciation . Le contrôle du Tribunal doit se limiter à la question de savoir si, eu égard aux éléments sur lesquels s' est fondée ladite autorité pour établir son appréciation, celle-ci s' est tenue dans des limites raisonnables et n' a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée ou à des fins autres que celles pour lesquelles il lui avait été conféré .

3 . Ne porte pas atteinte au principe du respect des droits de la défense le fait que, dans le cadre d' une procédure de pourvoi d' un emploi de grade A 2 en application de l' article 29, paragraphe 2, du statut, un comité consultatif, chargé d' examiner les candidatures, procède, pour s' entendre préciser les qualifications requises pour occuper l' emploi, à l' audition, en l' absence d' un candidat, du directeur général dont dépend l' emploi et qui se trouve être le supérieur hiérarchique de l' intéressé .

4 . N' intervient pas en méconnaissance des articles 27 et 28 du statut la décision de nomination d' un fonctionnaire originaire d' un État membre et ayant la nationalité d' un pays tiers, mais retrouvant la nationalité de l' un des États membres avant sa prise de fonctions .

5 . Le fait qu' un fonctionnaire candidat à un emploi à pourvoir a été écarté au profit d' un candidat externe aux institutions communautaires et plus jeune ne saurait être constitutif, à lui seul, d' un manquement au devoir de sollicitude et de loyauté incombant à l' administration .

6 . Un fonctionnaire ne saurait se plaindre du retard apporté dans l' établissement de son rapport de notation et invoquer de ce chef un préjudice moral lorsque ce retard lui est imputable, à tout le moins partiellement, ou lorsqu' il y a concouru de façon notable .

Parties


Dans l' affaire T-20/89,

Heinz-Joerg Moritz, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bridel ( Luxembourg ), représenté par Me Victor Biel, assisté de Me Aloyse May, avocats au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude dudit Me Biel, 18 A, rue des Glacis,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par Mme Christine Berardis-Kayser, membre du service juridique, puis par M . Henri Étienne, membre du service juridique, en qualité d' agent, assisté de Me Barbara Rapp-Jung, avocat, à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg, auprès de M . Guido Berardis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d' une part, l' annulation de la décision de la Commission, du 2 juillet 1986, relative à la nomination d' un fonctionnaire à un poste de grade A 2, et, d' autre part, la réparation du préjudice matériel et moral allégué par le requérant,

LE TRIBUNAL ( cinquième chambre ),

composé de MM . H . Kirschner, président, C . P . Briët et J . Biancarelli, juges,

greffier : Mme B . Pastor, administrateur

vu la procédure écrite et à la suite la procédure orale du 8 mai 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Les faits à l' origine du recours

1 Jusqu' à la fin du mois de janvier 1990, date de sa mise à la retraite, le requérant était fonctionnaire de grade A 3 à la Commission des Communautés européennes, où il occupait un poste de chef de division à la direction générale XVIII ( Crédit et investissements ). Le requérant s' est porté candidat à l' emploi, de grade A 2, de directeur des investissements et prêts à ladite direction générale ( avis de vacance COM/24/86 ).

2 Dans son avis 17/86 du 22 avril 1986, le comité consultatif des nominations aux grades A 2 et A 3 de la Commission ( ci-après "comité consultatif "), saisi des candidatures du requérant et d' un autre fonctionnaire de la Commission, a estimé qu' aucun des candidats ne possédait l' ensemble des qualifications requises .

3 Lors de sa réunion du 30 avril 1986, la défenderesse a examiné, au titre de l' article 29, paragraphe 1, sous a ), du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ( ci-après "statut ") - concernant le pourvoi dudit emploi vacant par promotion ou mutation au sein de l' institution -, les deux candidatures en présence et a décidé de ne pas pourvoir à l' emploi vacant .

4 La défenderesse a alors décidé de recourir à l' article 29, paragraphe 2, du statut, selon lequel une procédure de recrutement autre que celle prévue au paragraphe 1 peut être adoptée par l' autorité investie du pouvoir de nomination ( ci-après "AIPN ") pour le recrutement des fonctionnaires des grades A 1 et A 2 .

5 Lors de sa réunion du 27 juin 1986, le comité consultatif a estimé que la candidature présentée par M . Dieter Engel, qui n' avait pas alors la qualité de fonctionnaire des Communautés européennes, au titre de l' article 29, paragraphe 2, du statut devrait être prise en considération . Le 2 juillet 1986, la défenderesse a nommé M . Engel, qui avait, à ce moment, la nationalité canadienne, au poste en question après avoir procédé à un examen comparatif des trois candidatures en présence . Le 14 juillet 1986, M . Matutes, membre de la Commission, responsable des nominations au sein de la DG XVIII, a informé le requérant de cette décision .

6 Par note du 13 octobre 1986, le requérant a introduit une réclamation demandant l' annulation de la décision portant nomination de M . Engel au poste litigieux . Cette réclamation a été rejetée par décision de la défenderesse en date du 7 mai 1987 .

La procédure

7 Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 août 1987, le requérant a introduit le présent recours contre la défenderesse visant, d' une part, à l' annulation de la décision de la Commission du 2 juillet 1986, portant nomination de M . Engel, et de la décision rejetant sa réclamation contre cette nomination, ainsi que, d' autre part, à la réparation du préjudice matériel et moral qu' il estime avoir subi .

8 La procédure écrite s' est entièrement déroulée devant la Cour . Cette dernière, par ordonnance du 15 novembre 1989, a renvoyé l' affaire devant le Tribunal, en application de l' article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988 instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes .

9 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d' ouvrir la procédure orale sans instruction préalable .

10 La procédure orale s' est déroulée le 8 mai 1990 . Les représentants des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal .

11 Le requérant conclut à ce qu' il plaise au Tribunal :

- ordonner immédiatement le dépôt de certains documents;

- déclarer le recours recevable;

- le dire fondé;

- annuler la décision statuant sur la réclamation;

- annuler comme irrégulière la nomination de M . Engel;

- condamner la défenderesse aux dépens;

- condamner la défenderesse à réparer le préjudice tant matériel que moral .

12 La défenderesse conclut à ce qu' il plaise au Tribunal :

- rejeter le recours;

- condamner le requérant aux dépens .

Sur les conclusions aux fins d' annulation

13 Le recours, introduit sur la base des articles 90 et 91 du statut, est dirigé principalement contre la décision de la défenderesse du 2 juillet 1986 nommant une personne autre que le requérant à un poste de grade A 2 et contre la décision de la défenderesse du 7 mai 1987 rejetant la réclamation du requérant en date du 13 octobre 1986 .

14 Lors de l' audience du 8 mai 1990, la défenderesse a signalé qu' après le déroulement de la procédure écrite le requérant a été mis à la retraite . S' appuyant sur la jurisprudence de la Cour, la défenderesse a fait valoir que, de ce fait, le requérant n' a plus d' intérêt juridique à demander l' annulation de la nomination d' un autre candidat .

15 Il est effectivement de jurisprudence constante que, pour qu' un fonctionnaire ou un ancien fonctionnaire puisse introduire un recours, en vertu des articles 90 et 91 du statut, tendant à l' annulation d' une décision de l' AIPN procédant à une nomination, il faut qu' il ait un intérêt personnel à l' annulation de l' acte attaqué ( voir les arrêts de la Cour du 29 octobre 1975, Marenco e.a./Commission, 81/74 à 88/74, Rec . p . 1247, du 30 mai 1984, Picciolo/Parlement, 111/83, Rec . p . 2323, et du 10 mars 1989, Del Plato/Commission, 126/87, Rec . p . 643 ).

16 Le requérant ayant reconnu à l' audience qu' il a été mis récemment à la retraite après avoir atteint la limite d' âge de 65 ans, ce qui ressort également de son dossier individuel, tel qu' il a été transmis au Tribunal, conformément à l' article 26, dernier alinéa, du statut, il ne peut plus utilement prétendre au poste litigieux, parce qu' il n' appartient plus à l' institution au sein de laquelle était vacant l' emploi auquel il a été pourvu par l' acte attaqué . Il en découle qu' il n' a plus aucun intérêt légitime à voir annuler la nomination du candidat nommé à ce poste .

17 En conséquence, les conclusions aux fins d' annulation présentées par le requérant doivent être rejetées comme irrecevables .

Sur les conclusions tendant à l' indemnisation du préjudice matériel prétendument subi

18 Bien que le requérant ait été mis à la retraite pendant le déroulement de la procédure devant le Tribunal, que, par conséquent, il ne puisse plus utilement prétendre au poste litigieux et qu' il n' a donc plus aucun intérêt légitime à voir annuler la nomination de M . Engel, il conserve toutefois un intérêt à demander qu' un jugement soit porté sur cette nomination dans le cadre d' une demande visant à obtenir réparation du préjudice, tant matériel que moral, qu' il estime avoir subi en raison du comportement de la défenderesse .

19 Pour que le requérant puisse prétendre à l' indemnisation du préjudice prétendument subi, il importe qu' il démontre une faute de service commise par l' institution, la réalité d' un préjudice certain et évaluable et le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué . Il convient donc, en premier lieu, d' examiner si l' AIPN a commis une faute de service en procédant à la nomination de M . Engel et, par suite, d' examiner les moyens présentés par le requérant tendant à démontrer l' illégalité de cette nomination .

Sur la faute de service qui résulterait d' une erreur d' appréciation ou d' un abus de pouvoir

20 Le requérant a prétendu que l' avis de vacance correspondait "parfaitement" à son profil professionnel et à son domaine d' activité . Il lui paraît dès lors incompréhensible que le comité consultatif ait pu estimer qu' il ne possédait pas "l' ensemble des qualifications requises ".

21 Il a affirmé, en outre, que ses qualifications ( connaissances techniques et expérience professionnelle ) étaient bien supérieures à celles du candidat finalement retenu par la Commission . Il a fait état, à cet égard, de ses huit années de service en qualité de chef de la division "prêts" ainsi que de ses contacts, tant avec les entreprises de l' industrie du charbon et de l' acier qu' avec les services concernés de la Commission . Il a fait valoir qu' en revanche le candidat retenu n' est qu' un "simple chef de département" d' une banque allemande, "chargé d' opérations d' investissements bancaires en Asie", et ce après une expérience sans lendemain comme codirecteur d' une banque fondée à Luxembourg, mais dissoute quelques années plus tard . Pour le requérant, tous ces éléments tendent à prouver que le comité consultatif, puis la défenderesse ont commis soit une erreur d' appréciation, soit un abus de pouvoir .

22 Selon lui, l' erreur d' appréciation peut découler du fait que, malgré le caractère incomplet de son dossier individuel, résultant de l' absence de ses rapports de notation pour les périodes 1973-1975, 1975-1977 et 1983-1985, le comité consultatif s' est contenté d' entendre son directeur général, et non pas le requérant lui-même, et qu' il peut donc avoir reçu de fausses informations . Quant à l' abus de pouvoir, il s' est demandé si ses supérieurs hiérarchiques n' avaient pas favorisé la candidature de son concurrent "heureux" et si ce sont "vraiment les connaissances et l' expérience exigées dans l' avis de vacance qui ont compté" ou s' il "fallait surtout avoir été un collègue" d' un de ses supérieurs hiérarchiques, "le tutoyer dès l' entrée en fonctions ( donc déjà auparavant ) et lui devoir sa carrière ".

23 Le requérant a demandé au Tribunal de lui permettre de rapporter la preuve de ses allégations en ordonnant à la défenderesse de produire un certain nombre de documents . La défenderesse ayant déjà fourni plusieurs de ceux qu' il réclamait, à savoir les procès-verbaux des réunions du comité consultatif des 22 avril et 27 juin 1986, portant sur les différentes candidatures, ainsi que le procès-verbal "spécial" de la réunion de la Commission du 2 juillet 1986, le requérant a observé qu' ils étaient incomplets . Il a rappelé, en effet, qu' il était pour lui nécessaire de savoir ce que son directeur général avait pu dire sur son compte, devant le comité consultatif, et qu' à cet égard le principe du contradictoire avait été méconnu dans le cours de la procédure suivie par ce comité . Or, on ne trouverait rien à ce sujet dans les procès-verbaux, pas plus l' indication du nom des participants qu' une quelconque motivation des conclusions du comité . De même, le procès-verbal spécial de la réunion de la Commission se bornerait à indiquer que la Commission s' est rangée à l' avis du comité consultatif . Il n' y serait notamment pas fait mention du fait que le candidat choisi n' était pas ressortissant de l' un des États membres au moment de sa nomination .

24 Le requérant a réitéré sa demande de production du dossier individuel et de l' acte de candidature de son concurrent, ainsi que celle d' une note "pouvant porter atteinte à sa réputation dans le service", mentionnée par un interlocuteur du requérant lors d' une conversation, selon laquelle il aurait été très favorisé lors de son recrutement par un ancien vice-président de la Commission et aurait provoqué le départ d' un directeur général quelques années plus tard . Pour le requérant, le refus de lui communiquer ces documents constituerait une atteinte au principe de la transparence des actes administratifs, ainsi qu' aux devoirs de loyauté et de bonne foi qui incombent à la Commission .

25 La défenderesse a rétorqué que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l' AIPN dispose, dans l' examen comparatif des mérites des candidats, d' un large pouvoir d' appréciation et qu' en conséquence sa décision sur la question de savoir si un candidat réunit les conditions requises ne peut être mise en cause qu' en cas d' erreur manifeste . Elle a souligné que le requérant se borne, somme toute, à faire valoir que son concurrent avait moins d' expérience pratique que lui . Elle lui a opposé que c' est également à l' AIPN qu' il appartient de déterminer si, pour être nommé à un poste, il importe davantage d' avoir des connaissances théoriques et d' être capable d' exercer un certain type de fonctions, par exemple de direction, que de disposer d' une certaine expérience pratique .

26 Elle a fait valoir, également, que les informations données par le requérant sur d' éventuelles relations entre son directeur général et le candidat choisi ne permettent pas de conclure à une erreur d' appréciation assimilable à un traitement discriminatoire ou d' estimer que la décision de nomination litigieuse est la conséquence des préventions dont le requérant aurait pu faire l' objet de la part de son supérieur hiérarchique .

27 La défenderesse a souligné que le candidat nommé "était et est toujours particulièrement apte à occuper le poste en question" et que "rien ne permet d' affirmer que l' AIPN aurait usé de son pouvoir de manière manifestement erronée dans son appréciation des qualifications et des aptitudes du requérant par rapport à celles des autres candidats ". Selon elle, le requérant n' a avancé aucun argument qui pourrait amener à constater qu' en l' espèce l' AIPN a commis une telle erreur manifeste .

28 En ce qui concerne la production des documents demandés par le requérant, la défenderesse a objecté que, d' une part, elle n' a pas le droit de communiquer des dossiers individuels et que, d' autre part, le requérant n' a pas apporté la preuve de l' existence d' une note le concernant et pouvant nuire à sa réputation dans le service . Dans ce contexte, elle a rappelé que l' AIPN n' a pas à motiver ses décisions de nomination . Quant à la demande de production du dossier individuel et du dossier de candidature du candidat nommé, la défenderesse a ajouté que, contrairement aux allégations du requérant, cette demande apparaît pour la première fois dans la réplique et doit donc être rejetée comme tardive .

29 Le Tribunal relève que le poste litigieux était un poste de grade A 2 ( directeur ). Ainsi que la défenderesse l' a fait valoir à juste titre, l' AIPN dispose, dans la comparaison des mérites des candidats à un tel poste, doté de grandes responsabilités, et dans l' évaluation de l' intérêt du service, d' un large pouvoir d' appréciation . Le contrôle du Tribunal doit donc se limiter à la question de savoir si, eu égard aux éléments sur lesquels s' est fondée l' administration pour établir son appréciation, celle-ci s' est tenue dans des limites raisonnables, au terme d' une procédure exempte d' irrégularités, et n' a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée ou à des fins autres que celles pour lesquelles il lui avait été conféré ( voir notamment les arrêts de la Cour du 4 février 1987, Bouteiller/Commission, 324/85, Rec . p . 529, et du 15 mars 1989, Bevan/Commission, 140/87, Rec . p . 701 ).

30 Le Tribunal estime qu' il ressort des pièces du dossier qu' après la publication de l' avis de vacance concernant le poste litigieux le requérant et un autre fonctionnaire se sont portés candidats audit poste . Dans le cadre de la procédure prévue à l' article 29, paragraphe 1, sous a ), du statut, le comité consultatif des nominations aux grades A 2 et A 3 de la Commission a examiné les actes de candidature et les dossiers individuels des candidats . Après l' audition du directeur général de la direction générale Crédit et investissements, qui a précisé, sur la base de l' avis de vacance, les qualifications exigées du titulaire du poste à pourvoir, ce comité a estimé que les candidats ne possédaient pas l' ensemble des qualifications requises . La Commission, après avoir examiné à son tour les candidatures, a décidé de ne pas pourvoir au poste vacant et de recourir à la procédure prévue à l' article 29, paragraphe 2, du statut pour faire appel à des candidatures extérieures . Après avoir entendu à nouveau le directeur général, le comité consultatif est parvenu à la conclusion que la candidature de M . Engel devait être prise en considération . Après avoir procédé à un examen comparatif des mérites des trois candidatures en présence, la Commission a décidé de pourvoir au poste vacant par la nomination de M . Engel, sur le fondement de l' article 29, paragraphe 2, du statut .

31 S' agissant de la régularité de la procédure suivie en l' espèce devant le comité consultatif, le Tribunal relève que, lorsqu' il y a lieu de pourvoir à des emplois de haut niveau et que l' AIPN a décidé d' y procéder dans le cadre de la procédure de l' article 29, paragraphe 2, du statut, qui lui laisse une très grande marge d' appréciation, la simple circonstance qu' il a été procédé à l' audition du directeur général, M . Cioffi, devant le comité consultatif, en l' absence du requérant, n' est pas de nature, dans les circonstances de l' espèce, à constituer une méconnaissance du principe de respect des droits de défense, alors surtout, d' une part, qu' il ressort du procès-verbal de la réunion du 22 avril 1986 du comité consultatif que M . Cioffi s' est limité à préciser, sur la base de l' avis de vacance, les qualifications requises pour le titulaire du poste et que, d' autre part, le requérant n' a apporté aucun élément à l' appui de son allégation selon laquelle ce directeur général aurait pu émettre à son égard des appréciations défavorables de nature à influencer l' avis du comité consultatif .

32 S' agissant de la prétendue erreur manifeste qu' aurait commise l' AIPN en procédant à la nomination de M . Engel, il importe de souligner que la défenderesse a relevé, sans être contredite sur ce point par le requérant, que M . Engel a fait des études de sciences financières et économiques à l' université de Montréal, qu' il a fait partie des cadres supérieurs de différentes banques canadiennes et européennes et qu' il maîtrise quatre langues communautaires .

33 En outre, il ne ressort pas des pièces versées au dossier, et le requérant n' a pas soumis au Tribunal des éléments suffisants pour l' établir, que la défenderesse, en nommant M . Engel au poste à pourvoir, a commis une erreur manifeste d' appréciation, dépassé les limites de sa propre compétence ou encore utilisé ses compétences à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui ont été conférées .

Sur la faute de service qui résulterait d' une violation des articles 27 et 28 du statut

34 Le requérant fait valoir que le candidat retenu n' avait pas la nationalité d' un des États membres au moment de sa nomination, ce qui serait contraire aux dispositions combinées des articles 27 et 28 du statut .

35 La défenderesse a rappelé, à son égard, que M . Engel, d' origine allemande mais naturalisé canadien, avait retrouvé sa nationalité allemande avant de prendre ses fonctions, comme l' avait exigé la défenderesse elle-même . En outre, elle a fait remarquer que ce grief ne concerne pas le requérant personnellement .

36 Il convient de constater que M . Engel, d' origine allemande mais naturalisé canadien, avait retrouvé la nationalité allemande avant de prendre ses fonctions, comme l' avait requis la Commission . Dans ces conditions, la nomination de M . Engel n' est pas intervenue en méconnaissance des articles 27 et 28 du statut .

Sur la faute de service qui résulterait d' une violation du devoir de sollicitude et de loyauté

37 Le requérant a fait valoir, enfin, qu' en l' évinçant au profit d' une personne extérieure aux institutions communautaires et beaucoup plus jeune que lui, la Commission aurait manqué au devoir de sollicitude et de loyauté auquel elle est tenue envers lui, comme d' ailleurs envers tout fonctionnaire .

38 La Commission a observé que la référence au devoir de sollicitude ne saurait conférer à un fonctionnaire un droit à la promotion, puisque toute décision concernant une promotion doit avant tout tenir compte de l' intérêt du service .

39 Le Tribunal rappelle, à cet égard, que le pourvoi de chaque emploi doit se fonder en premier lieu sur l' intérêt du service ( voir l' arrêt de la Cour du 25 novembre 1976, Kuester/Parlement, 123/75, Rec . p . 1701 ). Le devoir de sollicitude de l' administration à l' égard de ses agents reflète l' équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l' autorité publique et les agents du service public . Ce devoir implique que l' autorité tienne compte non seulement de l' intérêt du service, mais aussi de celui des fonctionnaires concernés ( voir l' arrêt de la Cour du 23 octobre 1986, Schwiering/Cour des comptes, 321/85, Rec . p . 3199 ). Pour évaluer l' intérêt du service ainsi que les intérêts des candidats concernés, l' AIPN dispose d' un large pouvoir d' appréciation et le contrôle du Tribunal doit se limiter à la question de savoir si celle-ci s' est tenue dans des limites non critiquables et n' a pas usé de son pouvoir de manière manifestement erronée .

40 En l' espèce, il ressort du dossier que l' AIPN s' est livrée, de façon objective, à une appréciation comparative des mérites et des qualifications des candidats au poste à pourvoir . La double circonstance alléguée par le requérant que, d' une part, il ait été écarté au profit d' un candidat extérieur aux institutions communautaires et, d' autre part, que ce candidat était beaucoup plus jeune que lui ne saurait être constitutive, à elle seule, d' un manquement au devoir de sollicitude et de loyauté .

Sur la faute de service qui résulterait du retard apporté par l' AIPN dans l' élaboration du rapport de notation

41 A cet égard et sans même qu' il soit besoin d' examiner la réalité, l' importance et la responsabilité du retard dont se plaint le requérant, il suffit de constater, pour le Tribunal, qu' il ne résulte d' aucun élément du dossier et que le requérant n' a pas démontré qu' il aurait disposé d' une chance supplémentaire d' être nommé au poste de directeur des investissements et prêts si, lors de la procédure de pourvoi de ce poste, son dossier individuel avait comporté le rapport de notation pour la période 1983-1985, tel qu' il a été finalement arrêté ( voir les arrêts de la Cour du 9 février 1988, Picciolo/Commission, 1/87, Rec . p . 711, et du 4 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec . p . 303 ). Il résulte de l' examen de ce rapport final de notation, tel qu' il a été communiqué au Tribunal, qu' il ne comporte que des modifications tout à fait mineures par rapport au projet initial de rapport soumis au requérant et que ces modifications, qui n' affectent en rien l' économie générale du rapport de notation, n' étaient pas de nature à avoir une incidence quelconque sur les chances du requérant d' être promu au poste en cause .

42 Il ressort de l' ensemble de ce qui précède qu' aucun des griefs présentés par le requérant tendant à démontrer l' existence d' une faute de service commise par la Commission ne saurait être retenu . Dès lors, les conclusions du recours tendant à l' indemnisation d' un préjudice matériel doivent être rejetées .

Sur les conclusions tendant à l' indemnisation d' un préjudice moral prétendument subi

43 Comme le requérant l' a soutenu sans être contredit et ainsi qu' il ressort de son dossier individuel, son rapport de notation pour la période du 1er juillet 1983 au 30 juin 1985 - à propos duquel il a demandé, par la suite, une notation d' appel - a été établi le 10 février 1987 . Le 31 juillet 1986, c' est-à-dire postérieurement à la date limite prévue par l' article 6, premier alinéa, des dispositions générales d' exécution de l' article 43 du statut, en l' espèce le 30 novembre 1985, le supérieur hiérarchique direct du requérant lui avait proposé de reconduire, pour la période susmentionnée, la notation établie à son égard pour la période 1981-1983, ce que le requérant avait refusé formellement le 26 novembre 1986, soit près de quatre mois après la réception de la proposition qui lui avait été faite .

44 La Commission souligne que, pour apprécier si un tel retard constitue une faute de service, il faut vérifier notamment si ce retard n' est pas imputable, ne serait-ce que partiellement, au comportement du fonctionnaire intéressé . De même une éventuelle faute administrative ne saurait-elle impliquer une obligation de réparation que pour autant que le requérant aurait apporté la preuve d' un préjudice par lui subi ( arrêt de la Cour du 9 février 1988, Picciolo/Commission, 1/87, précité ). Or, cette preuve n' aurait pas été fournie en l' espèce et le requérant n' aurait pas été davantage en mesure de démontrer que le caractère incomplet de son dossier lui aurait causé un dommage quelconque . Subsidiairement, la Commission relève que le calcul effectué par le requérant, selon lequel il devrait être placé dans une situation analogue à celle dans laquelle il se serait trouvé s' il avait été nommé directeur, impliquerait une limitation inadmissible du pouvoir d' appréciation dont elle dispose pour pourvoir aux emplois vacants .

45 Ainsi que le Tribunal l' a jugé dans son arrêt rendu, ce même jour, dans l' affaire T-29/89 ( Moritz/Commission ), il convient de rappeler que l' article 43 du statut prescrit la rédaction, au moins tous les deux ans, d' un rapport de notation sur la compétence, le rendement et la conduite dans le service de chaque fonctionnaire . Ce document doit être établi obligatoirement, pour la bonne administration et la rationalisation des services de la Communauté, ainsi que pour sauvegarder les intérêts des fonctionnaires . L' un des devoirs impérieux de l' administration est donc de veiller à la rédaction périodique de ce rapport aux dates imposées par le statut et à son établissement régulier ( arrêt de la Cour du 18 décembre 1980, Gratreau/Commission, 156/79 et 51/80, Rec . p . 3943 ). L' administration dispose, à cet effet, d' un délai raisonnable et tout dépassement de ce délai doit être justifié par l' existence de circonstances particulières ( arrêt de la Cour du 5 mai 1983, Ditterich/Commission, 207/81, Rec . p . 1359 ).

46 Par ailleurs, d' une façon générale, et notamment dans le cadre de la procédure d' élaboration du rapport de notation, un devoir de loyauté et de coopération incombe à tout fonctionnaire vis-à-vis de l' autorité dont il relève ( arrêt de la Cour du 14 décembre 1966, Alfieri/Parlement, 3/66, Rec . p . 633 ). Ainsi, un fonctionnaire ne saurait se plaindre du retard apporté dans l' élaboration de son rapport de notation lorsque ce retard lui est imputable, à tout le moins partiellement, ou lorsqu' il y a concouru de façon notable .

47 Enfin, il y a lieu, pour le Tribunal, de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le retard survenu dans l' établissement des rapports de notation est de nature, en lui-même, à porter préjudice au fonctionnaire, du seul fait que le déroulement de sa carrière peut être affecté par le défaut d' un tel rapport à un moment où des décisions le concernant doivent être prises ( arrêt de la Cour du 6 février 1986, Castille/Commission, 173/82, 157/83 et 186/84, Rec . p . 497 ).

48 Dans l' arrêt précité du Tribunal rendu ce même jour, il a été constaté que le retard dans le déroulement de la procédure de notation, pour la période 1983-1985, a été dû non seulement à la date tardive - le 31 juillet 1986 - à laquelle le supérieur hiérarchique direct du requérant lui a proposé de reconduire, pour la période 1983-1985, le rapport de notation pour la période 1981-1983, mais également à la négligence dont a fait preuve le requérant, qui a attendu jusqu' au 26 novembre 1986, pour répondre à cette proposition . Le requérant a ainsi concouru notablement au retard dont il se plaint .

49 Or, ainsi que le Tribunal l' a également jugé, il résulte du devoir fondamental de loyauté et de coopération susmentionné que le requérant était tenu de réagir lui-même, dans un délai raisonnable, à la proposition de son supérieur hiérarchique direct de reconduire son rapport de notation et qu' il a méconnu ce devoir en faisant attendre sa réponse à cette proposition pendant près de quatre mois . Dans ces conditions, le retard allégué ne saurait, dans les circonstances de l' espèce, être constitutif d' un préjudice moral, bien que le retard de huit mois apporté par le supérieur hiérarchique du requérant pour proposer la reconduction du rapport de notation soit, en lui-même, à la limite du délai raisonnable admissible .

50 Quant à l' absence des rapports de notation pour les périodes 1973-1975 et 1975-1977, le Tribunal relève que le requérant ne l' a invoquée pour la première fois qu' à l' appui de la présente demande en réparation, c' est-à-dire plus de neuf ans après la dernière période de notation mentionnée . Il ressort manifestement des pièces du dossier que l' absence de ces rapports de notation, couvrant des périodes anciennes, n' a causé au requérant aucun préjudice moral dont il peut utilement se prévaloir dans le cadre du présent recours .

51 Dans ces conditions, les conclusions tendant à l' indemnisation du préjudice moral doivent être rejetées .

52 Il résulte de l' ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans sa totalité .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

53 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis au Tribunal en vertu de l' article 11, troisième alinéa, de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, précitée, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens . Toutefois, selon l' article 70 du même règlement, les frais exposés par les institutions dans les recours des agents des Communautés restent à la charge de celles-ci . Il y a donc lieu de condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL ( cinquième chambre )

déclare et arrête :

1 ) Le recours est rejeté .

2 ) Chaque partie supportera ses propres dépens .