61988J0350

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 février 1990. - Société française des Biscuits Delacre e.a. contre Commission des Communautés européennes. - Agriculture - Aide au beurre destiné à la fabrication de produits de pâtisserie - Adjudication - Décision de la Commission réduisant le niveau de l'aide - Recours en annulation. - Affaire C-350/88.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-00395


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1 . Actes des institutions - Motivation - Obligation - Portée - Décision s' inscrivant dans la ligne d' une pratique constante, mais réalisant une avancée

( Traité CEE, art . 190 )

2 . Agriculture - Organisation commune des marchés - Lait et produits laitiers - Aide au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires - Réduction progressive du niveau maximal de l' aide opérée au vu de l' évolution du marché - Mesure de gestion justifiée

( Règlement de la Commission n 570/88 )

3 . Droit communautaire - Principes - Protection de la confiance légitime - Limites - Modification de la réglementation relative à une organisation commune des marchés - Pouvoir d' appréciation des institutions communautaires

Sommaire


1 . Si une décision se plaçant dans la ligne d' une pratique décisionnelle constante peut être motivée d' une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, il incombe à l' autorité communautaire de développer son raisonnement de manière explicite lorsqu' une décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes . Toutefois, il n' est pas exigé que la motivation spécifie alors tous les éléments de fait et de droit pertinents . La question de savoir si la motivation d' une décision satisfait aux exigences de l' article 190 doit, en effet, être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l' ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée . De plus, le degré de précision de la motivation d' une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir .

2 . Au regard de la finalité de résorption des stocks de beurre impossible à écouler à des conditions normales que poursuivait le règlement n 570/88, relatif à la vente à prix réduit de beurre et à l' octroi d' une aide au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires, il était parfaitement légitime pour la Commission, à partir du moment où il lui apparaissait que la diminution des stocks rendait moins nécessaire d' encourager les achats de beurre de marché par la voie de subventions, de réduire progressivement le niveau maximal de l' aide susceptible d' être octroyée pour ces achats en vertu dudit règlement .

3 . Les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires . Il en est spécialement ainsi dans un domaine comme celui des organisations communes de marché, dont l' objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique . Dès lors, les opérateurs économiques ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d' un avantage résultant pour eux de la mise en place de l' organisation commune des marchés et dont ils ont bénéficié à un moment donné .

Cela vaut à plus forte raison lorsque l' avantage en cause résulte d' un régime d' exception, dérogatoire aux règles ordinaires du marché, que la Commission a l' obligation d' adapter à partir du moment où l' état du marché se normalise et que son amoindrissement est prévisible pour un opérateur prudent et avisé .

Parties


Dans l' affaire C-350/88,

1 ) Société française des Biscuits Delacre, société anonyme, ayant son siège social à Nieppe RC Hazebrouck ( France ),

2 ) Établissements J . Le Scao, société anonyme, ayant son siège social à Briec-de-l' Odet ( France ),

3 ) Biscuiterie de l' Abbaye, société à responsabilité limitée, ayant son siège social à Lonlay-L' Abbaye ( France ),

représentés par Me Patrick Dibout, avocat à Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de Me Tom Loesch, avocat, 8, rue Zithe,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM . D . G . Lawrence et Patrick Hetsch, membres de son service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre de son service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation de la décision prise par la Commission le 30 septembre 1988 pour l' adjudication n° 8 ( JO C 259, p . 9 ), dans le cadre de la procédure d' adjudication permanente au titre du règlement ( CEE ) n° 570/88 de la Commission, du 16 février 1988, relatif à la vente à prix réduit de beurre et à l' octroi d' une aide au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ( JO L 55, p . 31 ),

LA COUR ( deuxième chambre ),

composée de MM . F . A . Schockweiler, président de chambre, G . F . Mancini et T . F . O' Higgins, juges,

avocat général : M . C . O . Lenz

greffier : M . H . A . Ruehl, administrateur principal

vu le rapport d' audience et suite à la procédure orale du 9 novembre 1989,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions présentées à l' audience du 10 janvier 1990,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 décembre 1988, la Société française des Biscuits Delacre, les Établissements J . Le Scao et la Biscuiterie de l' Abbaye ( ci-après "sociétés requérantes ") ont, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation de la décision prise par la Commission le 30 septembre 1988 pour l' adjudication n° 8, dans le cadre de la procédure d' adjudication permanente au titre du règlement ( CEE ) n° 570/88 de la Commission, du 16 février 1988, relatif à la vente à prix réduit de beurre et à l' octroi d' une aide au beurre et au beurre concentré destinés à la fabrication de produits de pâtisserie, de glaces alimentaires et autres produits alimentaires ( JO L 55, p . 31 ).

2 Les sociétés requérantes, qui fabriquent des produits de pâtisserie, ont participé à une adjudication permanente en vue de l' octroi d' une aide au beurre au titre du règlement n° 570/88 . Dans le cadre de l' adjudication particulière n° 8 pour 1988, elles ont, le 23 septembre 1988, déposé auprès de l' organisme d' intervention français des offres pour un total, respectivement, de 110, 80 et 10 tonnes de beurre à 82 % non tracé, avec une aide pour 100 kilogrammes de 1 334,44 FF hors taxes .

3 Par décision du 30 septembre 1988, adressée aux États membres et dont un extrait sous forme de tableau, reprenant les seuls montants de prix et d' aide retenus par la Commission, a été publié au Journal officiel des Communautés européennes, série C ( JO C 259, p . 9 ), la Commission a fixé le niveau maximal de l' aide pour l' adjudication n° 8 à 154 écus/100 kg, soit à 1 151,28 FF/100 kg .

4 Par lettres datées du 3 octobre 1988, l' organisme d' intervention français a informé les sociétés requérantes du rejet de leurs soumissions, au motif que leurs demandes d' aide avaient été supérieures au montant maximal retenu par la Commission le 30 septembre 1988 .

5 Il ressort du dossier que le niveau maximal de l' aide pour le beurre a connu, depuis l' adjudication n° 4 pour 1988, lors de laquelle elle s' est élevée à 167 écus/100 kg de beurre ( JO 1988, C 204, p . 12 ), une baisse constante, due à une diminution sensible des stocks de beurre qui a entraîné une hausse substantielle du prix du beurre de marché . En effet, après être passée à 166 écus lors de l' adjudication n° 5 ( JO 1988, C 217, p . 20 ), l' aide a été fixée à 163 écus ( adjudication n° 6 : JO 1988, C 226, p . 4 ), puis à 159 écus ( adjudication n° 7 : JO 1988, C 249, p . 4 ). Après les 154 écus retenus pour l' adjudication n° 8, l' aide a encore baissé à 150 écus lors de l' adjudication n° 9 ( JO 1988, C 273, p . 2 ).

6 A l' appui du recours, les sociétés requérantes invoquent, d' une part, la violation des formes substantielles, consistant dans un défaut de motivation de la décision attaquée, et, d' autre part, le non-respect des principes de proportionnalité, de confiance légitime et de non-discrimination .

7 Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

Sur la motivation

8 Les sociétés requérantes font valoir que la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de l' obligation de motivation prévue par l' article 190 du traité CEE, en ce que, d' une part, elle ne mentionne pas qu' elle a été prise après avis du comité de gestion et, d' autre part, elle n' indique pas les motifs de la réduction du montant maximal de l' aide par rapport aux adjudications précédentes .

9 En vue d' apprécier si le premier grief invoqué dans le cadre de ce moyen est fondé, il convient de rappeler que, conformément à l' article 18, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 570/88, le prix minimal de vente du beurre et le montant maximal de l' aide pour le beurre et le beurre concentré sont fixés selon la procédure dite du comité de gestion, prévue à l' article 30 du règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( JO L 148, p . 13 ).

10 A cet égard, il y a lieu de constater que le grief des sociétés requérantes vise le défaut de mention de la consultation du comité de gestion dans la publication qui a été faite de la décision de la Commission au Journal officiel, série C .

11 Conformément à une communication de la Commission ( JO 1982, L 360, p . 43 ), cette publication ne reprend pas l' intégralité de la décision de la Commission, mais uniquement les renseignements nécessaires pour informer les opérateurs économiques concernés des résultats de l' adjudication en cause, la décision complète de la Commission étant notifiée aux États membres et prenant effet par cette notification .

12 Or, il ressort du dossier que cette décision, telle qu' elle a été notifiée à la représentation permanente de la France, fait expressément mention de la consultation du comité de gestion, en énonçant à son deuxième considérant que "le comité de gestion du lait et des produits laitiers n' a pas émis d' avis dans le délai imparti par son président ".

13 Il en résulte que le grief tiré du défaut de mention de la consultation du comité de gestion doit être rejeté .

14 En ce qui concerne, en second lieu, le grief tiré du défaut d' indication des motifs de la baisse du niveau maximal de l' aide par rapport au montant retenu lors des adjudications particulières précédentes, les sociétés requérantes reprochent à la décision attaquée de s' être bornée à faire référence à la disposition réglementaire qu' elle mettait en oeuvre et soutiennent, en particulier, que la Commission aurait dû exposer son raisonnement de manière explicite lorsque, comme en l' espèce, elle s' écartait d' une pratique antérieure constante .

15 A cet égard, il y a lieu de souligner qu' il est vrai que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la motivation exigée par l' article 190 du traité CEE doit faire apparaître, d' une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l' autorité communautaire, auteur de l' acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et à la Cour d' exercer son contrôle ( voir arrêt du 30 septembre 1982, Amylum, point 19, 108/81, Rec . p . 3107; arrêt du 8 novembre 1983, IAZ e.a ., point 37, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec . p . 3369; arrêt du 25 octobre 1984, Rijksuniversiteit te Groningen, point 38, 185/83, Rec . p . 3623 ). Il est également admis que, si la décision se plaçant dans la ligne d' une pratique décisionnelle constante peut être motivée d' une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, il incombe à l' autorité communautaire de développer son raisonnement de manière explicite lorsque la décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes ( voir arrêt du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a ., point 31, 73/74, Rec . p . 1491 ).

16 Toutefois, il n' est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents . En effet, il est de jurisprudence constante que la question de savoir si la motivation d' une décision satisfait aux exigences de l' article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l' ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée ( voir arrêt Rijksuniversiteit te Groningen, précité, point 38; arrêt du 23 février 1978, An Bord Bainne, points 36 et 37, 92/77, Rec . p . 497; arrêt du 25 octobre 1978, Scholten-Honig, points 18 à 22, 125/77, Rec . p . 1991 ). De plus, le degré de précision de la motivation d' une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir ( voir arrêt du 1er décembre 1965, Schwarze, 16/65, Rec . p . 1081 ).

17 Or, en l' espèce, il convient de constater que la décision litigieuse se situe dans le contexte des dispositions dont l' objectif est la réduction des stocks de beurre . En particulier, la fixation des prix minimaux de vente du beurre et des montants maximaux des aides pour le beurre et le beurre concentré, au titre du règlement n° 570/88, constitue une procédure uniforme qui se répète environ tous les quinze jours, dans le cadre de laquelle les décisions interviennent sur la base de critères explicites d' une réglementation d' ailleurs parfaitement connue des milieux concernés et ne diffèrent sensiblement les unes des autres ni quant à leur mode d' adoption ni quant à leur contenu .

18 De plus, il y a lieu de souligner que la modification du prix minimal de vente et du montant maximal de l' aide constitue un phénomène inhérent au système du règlement n° 570/88 . En effet, les décisions prises successivement dans le cadre des adjudications particulières visent à permettre une réaction souple à des circonstances de fait sur lesquelles l' autorité communautaire n' exerce pas d' influence, la Commission statuant après réception de toutes les soumissions introduites pour une adjudication particulière en tenant compte du niveau des stocks disponibles et du prix du beurre de marché . En l' espèce, il n' est d' ailleurs pas contesté que les stocks de beurre aient considérablement diminué à partir de la fin de l' année 1986 .

19 Dans ces conditions, la référence dans la décision litigieuse aux bases juridiques applicables à la fixation du niveau maximal de l' aide pour le beurre satisfait à l' exigence de motivation posée par l' article 190 du traité CEE, et la modification du montant de l' aide par rapport aux adjudications particulières précédentes ne devait pas faire l' objet d' une motivation spécifique .

20 Dès lors, le deuxième grief des sociétés requérantes doit également être écarté .

21 Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée est suffisamment motivée . Le premier moyen doit donc être rejeté .

Sur le principe de proportionnalité

22 A l' appui de ce moyen, les sociétés requérantes font valoir que la décision attaquée a méconnu le principe de proportionnalité en ce que, contrairement aux objectifs de l' article 39, paragraphe 1, sous c ), d ) et e ), du traité CEE et du règlement n° 570/88, qui seraient de stabiliser les marchés, de garantir la sécurité des approvisionnements et d' assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs, la décision, en fixant à 154 écus/100 kg le montant maximal de l' aide pour le beurre utilisé par les biscuiteries, aurait consacré, de façon brutale et imprévisible, une hausse du coût du beurre de l' ordre de 55 % depuis le début de l' année 1988 .

23 Il résulte du deuxième considérant du règlement n° 570/88 que l' objectif de cette réglementation était de favoriser l' écoulement et l' utilisation du beurre, afin de remédier à la situation du marché du beurre dans la Communauté, caractérisée par l' existence d' importants stocks qu' il était impossible d' écouler à des conditions normales .

24 Or, il ressort de statistiques versées par la Commission et non contestées par les sociétés requérantes que les stocks de beurre dans la Communauté ont diminué sensiblement au cours de l' année 1988, cette évolution s' étant d' ailleurs amorcée dès la fin de l' année 1986 . Ainsi, en septembre 1988, le niveau des stocks dans la Communauté était tombé pratiquement à moins d' un tiers par rapport aux quantités existant en septembre 1986 ( 1 473 000 tonnes pour 439 000 tonnes, source : Eurostat ).

25 En ce qui concerne les stocks publics de beurre, l' évolution a même été encore plus significative . En effet, d' après les indications de la direction générale de l' agriculture de la Commission, ces réserves ont chuté de 1 323 000 tonnes en septembre 1986 à 206 000 tonnes en septembre 1988, soit à moins d' un sixième . L' évolution constante à la baisse des stocks de beurre s' est d' ailleurs poursuivie après le mois de septembre 1988 . Corrélativement à cette baisse des stocks, les prix du beurre et du beurre concentré ont connu une hausse constante depuis le début de l' année 1988 .

26 Eu égard à ces circonstances de fait, la Commission, qui avait l' obligation de gérer de façon efficace les stocks de beurre existants qu' il lui incombait d' écouler aux meilleures conditions, devait adapter sa politique d' aide à la consommation de beurre par les biscuiteries à l' évolution de la situation du marché .

27 La Commission ayant ainsi pu légitimement estimer que la diminution des stocks de beurre rendait moins nécessaire d' encourager les achats de beurre de marché par la voie de subventions, il n' apparaît pas que la décision critiquée s' écarte de la finalité de la réglementation que la Commission avait à mettre en oeuvre .

28 De plus, les sociétés requérantes ne sont nullement fondées à qualifier la réduction du niveau maximal de l' aide, consacrée par la décision litigieuse, de brusque et d' imprévisible . En effet, d' une part, le niveau des aides a connu une baisse continue à partir de l' adjudication particulière n° 5 ( décision de la Commission du 12 août 1988 ), et cette tendance s' est même poursuivie au cours de l' adjudication n° 9 ( décision de la Commission du 17 octobre 1988 ). D' autre part, la réduction s' est située à chaque fois entre 1 et 5 écus/100 kg de beurre .

29 D' ailleurs, même après la réduction intervenue au cours de l' année 1988, en raison de l' évolution à la baisse des stocks de beurre, l' aide à l' achat de beurre de marché a représenté encore 50 % de son prix d' intervention, de sorte que les sociétés requérantes ne se sont pas vu infliger un désavantage, mais qu' il leur a seulement été accordé un avantage moindre dans le cadre du régime très favorable établi par le règlement n° 570/88 .

30 Il s' ensuit que le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité doit être rejeté .

Sur le principe de confiance légitime

31 D' après les sociétés requérantes, la décision attaquée a méconnu le principe du respect de la confiance légitime en bouleversant, de façon brutale et imprévisible, une pratique antérieure constante qui aurait déterminé l' orientation de leur production . A cet égard, les sociétés requérantes font valoir qu' elles ont fondé leur politique de développement sur la fabrication de produits à base de beurre grâce au système de vente à prix réduit et aux aides communautaires, en déduisant de l' attitude de la Commission l' assurance de la prolongation, sans bouleversements brutaux, de la réglementation communautaire relative à l' octroi d' une aide au beurre destiné à la fabrication de produits de pâtisserie .

32 Afin d' apprécier le bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler d' abord que, conformément à la jurisprudence de la Cour, les institutions communautaires disposent d' un large pouvoir d' appréciation en matière de politique agricole commune, compte tenu des responsabilités qui leur sont conférées par le traité ( arrêt du 11 mars 1987, Rau e.a ., point 34, 279/84, 280/84, 285/84 et 286/84, Rec . p . 1069 ). Pareille marge d' appréciation lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de sa politique doit notamment être reconnue à la Commission en sa qualité de responsable de la gestion des stocks de beurre, qui l' amène à adapter sa politique d' aide à la consommation de ce produit aux conditions fluctuantes du marché .

33 Or, il est de jurisprudence constante que si le principe du respect de la confiance légitime s' inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires ( voir arrêt du 15 juillet 1982, Edeka, point 27, 245/81, Rec . p . 2745; arrêt du 28 octobre 1982, Faust, point 27, 52/81, Rec . p . 3745; arrêt du 17 juin 1987, Frico, point 33, 424/85 et 425/85, Rec . p . 2755 ). Il en est spécialement ainsi dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l' objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique ( voir arrêt du 16 mai 1979, Tomadini, point 22, 84/78, Rec . p . 1801; arrêt du 5 mai 1981, Duerbeck, point 48, 112/80, Rec . p . 1095; arrêt Frico, précité, point 33 ).

34 Il en résulte que les opérateurs économiques ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d' un avantage, résultant pour eux de la mise en place de l' organisation commune des marchés, et dont ils ont bénéficié à un moment donné ( voir arrêt du 27 septembre 1979, Eridania, point 22, 230/78, Rec . p . 2749; arrêt du 21 mai 1987, Rau e.a ., point 18, 133/85 à 136/85, Rec . p . 2289 ).

35 Cette conclusion s' impose à plus forte raison dans un cas comme celui de l' espèce .

36 En effet, il convient de constater, en premier lieu, que le règlement n° 570/88 constitue une mesure spéciale destinée à faire écouler du beurre à des conditions particulièrement favorables pour faire face à une situation de marché exceptionnelle, caractérisée par l' existence d' importants stocks et par l' impossibilité d' écouler ceux-ci à des conditions normales . Or, à partir du moment où l' état du marché se normalise, la Commission doit tenir compte dans sa gestion de la nouvelle situation et a l' obligation d' adapter le régime d' exception, dérogatoire aux règles ordinaires du marché . Dans ces conditions, l' adaptation du niveau de l' aide à la situation du marché est inhérente au système du règlement n° 570/88, et les sociétés requérantes ne sauraient prétendre au maintien, à titre de droit acquis, des avantages qu' elles ont retirés pendant un certain temps du régime mis en place pour favoriser l' écoulement du beurre excédentaire . Il en est d' autant plus ainsi qu' en l' espèce le système des aides a été maintenu, seul le montant de l' aide ayant fait l' objet d' une modification .

37 En second lieu, il importe de souligner que, compte tenu de l' évolution à la baisse des stocks dès la fin de l' année 1986, cette tendance s' étant considérablement accélérée au cours de l' année 1988, les sociétés requérantes, en tant qu' opérateurs économiques prudents et avisés, devaient prévoir l' accroissement progressif du prix de vente du beurre et la réduction corrélative du montant de l' aide, qui sont la conséquence inéluctable de la diminution des stocks . Dès lors, elles ne sauraient être fondées à se prévaloir d' une confiance légitime dans le maintien du montant de l' aide ( voir arrêt du 1er février 1978, Luehrs, point 6, 78/77, Rec . p . 169; arrêt Amylum, précité, point 13 ).

38 Il résulte des développements qui précèdent que le moyen tiré de la violation du principe de confiance légitime doit également être rejeté .

Sur le principe de non-discrimination

39 Les sociétés requérantes font encore valoir que la décision litigieuse a violé, à un double titre, le principe de non-discrimination . D' une part, la législation française imposerait de n' utiliser que du beurre pour la fabrication de produits commercialisés sous l' appellation "au beurre", alors que les dispositions d' autres États membres permettraient de faire usage également d' autres graisses . D' autre part, les sociétés requérantes voient une inégalité de traitement dans le fait qu' en leur qualité d' entreprises établies en France elles n' auraient été informées que de l' état des stocks de beurre en France . Elles prétendent que, faute d' informations suffisantes, elles n' ont pu, comme des entreprises d' autres États membres, s' approvisionner en temps utile dans d' autres États membres en beurre à prix réduit .

40 En ce qui concerne le premier grief, il suffit de constater que la situation particulière des fabricants français de biscuits au beurre ne saurait être imputée à la décision attaquée, mais résulte des divergences des législations des États membres relatives aux prescriptions concernant l' appellation des produits alimentaires . Or, en son état actuel, le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce qu' un État membre impose à cet égard à ses opérateurs économiques des dispositions plus rigoureuses que celles qui sont en vigueur dans d' autres États membres .

41 En ce qui concerne le deuxième grief, il convient de rappeler que les articles 13, paragraphe 2, et 15, paragraphe 1, du règlement n° 570/88 imposent à tous les organismes d' intervention d' indiquer, dans l' avis d' adjudication, les quantités de beurre mises en vente dans chaque entrepôt et de tenir la liste de ces entrepôts, régulièrement mise à jour et publiée, à la disposition des intéressés .

42 Dans ces conditions, les sociétés requérantes avaient la possibilité de s' informer auprès des organismes d' intervention d' autres États membres du niveau des stocks de beurre disponibles, afin, le cas échéant, de s' y approvisionner en beurre de stock .

43 Quant aux frais supplémentaires qui peuvent en résulter, ils s' appliquent de la même façon à tout opérateur de la Communauté qui fait des offres dans un État membre autre que celui où il est établi, de sorte que le principe de non-discrimination n' est pas méconnu .

44 Dès lors, le quatrième moyen invoqué par les sociétés requérantes n' est pas non plus fondé .

45 Aucun des moyens avancés par les sociétés requérantes n' ayant pu être retenu, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

46 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens . Les sociétés requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR ( deuxième chambre )

déclare et arrête :

1 ) Le recours est rejeté .

2 ) Les sociétés requérantes sont condamnées solidairement aux dépens .