Arrêt de la Cour du 22 mai 1990. - Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes. - Qualité du Parlement européen pour agir en annulation. - Affaire C-70/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-02041
édition spéciale suédoise page 00425
édition spéciale finnoise page 00443
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
++++
1 . Communautés européennes - Équilibre institutionnel - Implications - Respect de la répartition des compétences - Contrôle juridictionnel
( Traité CEE, art . 164; traité CEEA, art . 136 )
2 . Recours en annulation - Droit de recours du Parlement limité à la défense de ses prérogatives
( Traité CEE, art . 173; traité CEEA, art . 146 )
3 . Parlement - Prérogatives - Participation au processus législatif - Atteinte portée à travers le choix par le Conseil de la base juridique d' un acte de droit dérivé - Recevabilité du recours en annulation intenté par le Parlement
( Traité CEE, art . 100 A et 173; traité CEEA, art . 31 et 146 )
1 . En mettant en place un système de répartition des compétences entre les différentes institutions de la Communauté, qui attribue à chacune sa mission propre dans la structure institutionnelle de la Communauté et dans la réalisation des tâches confiées à celle-ci, les traités ont créé un équilibre institutionnel . Le respect de cet équilibre implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres . Il exige aussi que tout manquement à cette règle, s' il vient à se produire, puisse être sanctionné . La Cour, chargée, en vertu des traités, de veiller au respect du droit dans leur interprétation et dans leur application, doit être en mesure d' assurer le maintien de l' équilibre institutionnel, ce qui implique le contrôle juridictionnel du respect des prérogatives des différentes institutions à travers des voies de droit appropriées .
2 . Bien que les traités ne comportent aucune disposition prévoyant le droit de recours en annulation en faveur du Parlement, l' intérêt fondamental qui s' attache au maintien et au respect de l' équilibre institutionnel qu' ils instituent interdit que le Parlement, contrairement aux autres institutions, puisse être atteint dans ses prérogatives sans disposer d' un recours juridictionnel, parmi ceux prévus par les traités, qui puisse être exercé de manière certaine et efficace .
Par conséquent, le Parlement est recevable à saisir la Cour d' un recours en annulation dirigé contre un acte du Conseil ou de la Commission, à la condition que ce recours ne tende qu' à la sauvegarde de ses prérogatives et qu' il ne se fonde que sur des moyens tirés de la violation de celles-ci . Sous cette réserve, le recours en annulation du Parlement est soumis aux règles prévues par les traités pour le recours en annulation des autres institutions .
3 . Au nombre des prérogatives conférées au Parlement figure, dans les cas prévus par les traités, sa participation au processus d' élaboration des actes normatifs, en particulier sa participation à la procédure de coopération prévue par le traité CEE . Étant donné que la mise en oeuvre obligatoire de cette procédure, qui offre au Parlement la possibilité de participer de manière plus intense et plus active au processus législatif que dans le cadre d' une procédure de consultation, dépend de la base juridique sur laquelle se fondera l' acte à adopter, il y a lieu de déclarer recevable un recours en annulation dirigé par le Parlement contre un acte adopté par le Conseil et reposant sur le grief fait à ce dernier d' avoir porté atteinte aux prérogatives du Parlement en retenant pour cet acte une base juridique autre que celle qu' imposait le traité .
Dans l' affaire C-70/88,
Parlement européen, représenté par MM . Francesco Pasetti Bombardella et Jorge Campinos, jurisconsultes, assistés de MM . Christian Pennera et Johann Schoo, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,
partie requérante,
contre
Conseil des Communautés européennes, représenté par MM . Raffaello Fornasier, directeur général du service juridique, et par M . Bernhard Schloh, conseiller juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Joerg Kaeser, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d' investissement, 100, boulevard Konrad-Adenauer,
partie défenderesse,
soutenu par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, représenté par Mme J . Gensmantel, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,
et par
Commission des Communautés européennes, représentée par MM . Michel Van Ackere-Pietri, conseiller juridique, et Juergen Gruenwald, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
parties intervenantes,
ayant pour objet, au stade actuel de la procédure, la recevabilité d' un recours introduit au titre des articles 173 du traité CEE et 146 du traité CEEA et tendant à l' annulation du règlement ( Euratom ) n° 3954/87 du Conseil, du 22 décembre 1987, fixant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour bétail après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d' urgence radiologique ( JO L 371, p . 11 ),
LA COUR,
composée de M . O . Due, président, Sir Gordon Slynn, MM . C . N . Kakouris, F . A . Schockweiler et M . Zuleeg, présidents de chambre, G . F . Mancini, R . Joliet, J . C . Moitinho de Almeida et G . C . Rodríguez Iglesias, juges,
avocat général : M . W . Van Gerven
greffier : Mme D . Louterman, administrateur principal
vu le rapport d' audience,
ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 5 octobre 1989, au cours de laquelle le Parlement européen a été représenté par MM . Francesco Pasetti Bombardella, Christian Pennera et Johann Schoo, assistés de Me Michel Waelbroeck, avocat au barreau de Bruxelles, le Conseil par MM . Raffaello Fornasier et Bernhard Schloh, et la Commission par M . Jean-Louis Dewost, directeur général du service juridique, assisté de Mme Denise Sorasio, conseiller juridique, en qualité d' agents,
ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 30 novembre 1989,
rend le présent
Arrêt
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mars 1988, le Parlement européen a, en vertu des articles 146 du traité CEEA et 173 du traité CEE, demandé l' annulation du règlement ( Euratom ) n° 3954/87 du Conseil, du 22 décembre 1987, fixant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour bétail après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d' urgence radiologique ( JO L 371, p . 11 ).
2 Ce règlement, qui est fondé sur l' article 31 du traité CEEA, définit la procédure à suivre pour fixer les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive des denrées alimentaires et des aliments pour bétail pouvant être commercialisés après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d' urgence radiologique risquant d' entraîner ou ayant entraîné une contamination radioactive importante de ces denrées et aliments . Les denrées alimentaires ou les aliments pour bétail dont la contamination dépasse les niveaux maximaux admissibles, fixés par un acte arrêté conformément aux dispositions du règlement attaqué, ne peuvent pas être commercialisés .
3 Lors de la procédure d' élaboration du règlement attaqué, le Parlement européen, consulté par le Conseil conformément à l' article 31 du traité CEEA, a exprimé son désaccord sur la base juridique retenue par la Commission et a demandé à celle-ci de lui présenter une nouvelle proposition fondée sur l' article 100 A du traité CEE . La Commission n' ayant pas donné suite à cette demande, le Conseil a arrêté le règlement n° 3954/87 sur la base de l' article 31 du traité CEEA . Le Parlement a alors introduit le présent recours en annulation contre ce règlement .
4 Le Conseil a soulevé une exception d' irrecevabilité au titre de l' article 91, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour et a demandé à la Cour de statuer sur cette exception sans engager le débat au fond .
5 A l' appui de cette exception, le Conseil a fait valoir, dans le cadre de la procédure écrite, à un moment où l' arrêt du 27 septembre 1988, Parlement européen/Conseil, "Comitologie" ( 302/87, Rec . p . 5615 ), n' avait pas encore été rendu, des arguments analogues à ceux qu' il avait développés à l' appui de son exception d' irrecevabilité dans l' affaire 302/87 . A l' audience, qui a eu lieu le 5 octobre 1989, le Conseil a exposé que la question de la qualité du Parlement européen pour agir en annulation avait été clairement tranchée par la Cour dans l' arrêt du 27 septembre 1988 et que, dès lors, le présent recours était irrecevable .
6 Le Parlement européen a conclu au rejet de l' exception . Il a fait valoir que la présente affaire comportait un élément nouveau par rapport à l' affaire 302/87 . La Cour aurait, en effet, relevé, pour justifier son refus de reconnaître au Parlement européen la qualité pour agir en annulation, qu' il appartenait à la Commission, en vertu de l' article 155 du traité CEE, de veiller aux prérogatives du Parlement et d' introduire à cet effet les recours en annulation qui se révéleraient nécessaires . Or, la présente affaire démontrerait que la Commission ne saurait s' acquitter de cette responsabilité, dans la mesure où elle a fondé sa proposition sur une base juridique autre que celle considérée comme appropriée par le Parlement . Par conséquent, celui-ci ne pourrait pas compter sur la Commission pour défendre ses prérogatives par un recours en annulation .
7 Le Parlement européen a ajouté que l' adoption par le Conseil de l' acte attaqué ne pouvait être regardée comme un refus d' agir implicite qui ouvrirait au Parlement la voie du recours en carence . Par ailleurs, la protection de ses prérogatives par des recours des particuliers serait tout à fait aléatoire et donc dépourvue d' efficacité .
8 Il y aurait, dès lors, un vide juridique que la Cour devrait combler en reconnaissant au Parlement européen la qualité pour agir en annulation limitée à la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses prérogatives propres .
9 Par ordonnance du 13 juillet 1988, la Commission des Communautés européennes a été admise à intervenir à l' appui des conclusions de la défenderesse . Tout en concluant au rejet du recours quant au fond, la Commission, lors de l' audience, a demandé à la Cour de rejeter l' exception d' irrecevabilité soulevée par le Conseil . Par ailleurs, par ordonnance du 18 janvier 1989, le Royaume-Uni a été admis à intervenir à l' appui de la partie défenderesse . Le Royaume-Uni n' a pas conclu quant à la recevabilité du recours .
10 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
11 Il convient d' observer à titre liminaire que, l' acte attaqué étant fondé sur une disposition du traité CEEA, la recevabilité du recours tendant à l' annulation de cet acte doit être appréciée au regard de ce traité .
12 Ainsi qu' il résulte de l' arrêt du 27 septembre 1988, précité, le Parlement ne dispose pas du droit d' intenter un recours en annulation au titre des dispositions de l' article 173 du traité CEE ou de celles de l' article 146 du traité CEEA dont le contenu est identique .
13 En effet, d' une part, le Parlement n' est pas mentionné, au premier alinéa de l' article 173 ou de l' article 146, parmi les institutions qui peuvent, avec les États membres, agir en annulation contre tout acte d' une autre institution .
14 D' autre part, n' étant pas une personne morale, le Parlement ne peut pas saisir la Cour sur le fondement du deuxième alinéa des mêmes articles, dont le système serait, de toute manière, inadapté à un recours en annulation de sa part .
15 Dans le même arrêt du 27 septembre 1988, après avoir indiqué les raisons pour lesquelles le Parlement n' avait pas qualité pour la saisir sur le fondement de l' article 173 du traité CEE, la Cour a rappelé que diverses voies de droit étaient ouvertes pour garantir le respect des prérogatives du Parlement . Comme le relève cet arrêt, non seulement le Parlement dispose du droit d' intenter un recours en carence, mais, en outre, les traités offrent des moyens de déférer à la censure de la Cour les actes du Conseil ou de la Commission intervenus en méconnaissance des prérogatives du Parlement .
16 Les circonstances et les débats de la présente affaire ont cependant fait apparaître que ces diverses voies de droit prévues par le traité CEEA comme par le traité CEE, pour utiles et variées qu' elles soient, peuvent se révéler inefficaces ou incertaines .
17 D' abord, un recours en carence ne peut pas servir à contester la base juridique d' un acte déjà adopté .
18 Ensuite, la présentation d' un renvoi préjudiciel en appréciation de validité d' un tel acte ou la saisine de la Cour par les États ou les particuliers en vue de l' annulation de cet acte demeurent de simples éventualités sur la réalisation desquelles le Parlement ne peut pas compter .
19 Enfin, s' il incombe à la Commission de veiller au respect des prérogatives du Parlement, cette mission ne saurait aller jusqu' à la contraindre à suivre la position du Parlement et à présenter un recours en annulation qu' elle estimerait, pour sa part, mal fondé .
20 Il résulte de ce qui précède que l' existence de ces diverses voies de droit ne suffit pas à garantir, de façon certaine, en toutes circonstances, la censure d' un acte du Conseil ou de la Commission qui méconnaîtrait les prérogatives du Parlement .
21 Or, ces prérogatives sont l' un des éléments de l' équilibre institutionnel créé par les traités . Ceux-ci ont, en effet, mis en place un système de répartition des compétences entre les différentes institutions de la Communauté, qui attribue à chacune sa propre mission dans la structure institutionnelle de la Communauté et dans la réalisation des tâches confiées à celle-ci .
22 Le respect de l' équilibre institutionnel implique que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres . Il exige aussi que tout manquement à cette règle, s' il vient à se produire, puisse être sanctionné .
23 La Cour, chargée, en vertu des traités, de veiller au respect du droit dans leur interprétation et dans leur application, doit ainsi pouvoir assurer le maintien de l' équilibre institutionnel et, par conséquent, le contrôle juridictionnel du respect des prérogatives du Parlement, lorsqu' elle est saisie à cette fin par ce dernier, par une voie de droit adaptée à l' objectif qu' il poursuit .
24 Dans l' exercice de cette mission, la Cour ne saurait, certes, ranger le Parlement au nombre des institutions qui peuvent former un recours au titre de l' article 173 du traité CEE ou de l' article 146 du traité CEEA, sans être tenues de justifier d' un intérêt à agir .
25 Il lui incombe, toutefois, d' assurer la pleine application des dispositions des traités relatives à l' équilibre institutionnel et de faire en sorte que, comme les autres institutions, le Parlement ne puisse pas être atteint dans ses prérogatives sans disposer d' un recours juridictionnel, parmi ceux prévus par les traités, qui puisse être exercé de manière certaine et efficace .
26 L' absence, dans les traités, d' une disposition prévoyant le droit de recours en annulation en faveur du Parlement peut constituer une lacune procédurale, mais elle ne saurait prévaloir à l' encontre de l' intérêt fondamental qui s' attache au maintien et au respect de l' équilibre institutionnel défini par les traités constitutifs des Communautés européennes .
27 Par conséquent, le Parlement est recevable à saisir la Cour d' un recours en annulation dirigé contre un acte du Conseil ou de la Commission, à la condition que ce recours ne tende qu' à la sauvegarde de ses prérogatives et qu' il ne se fonde que sur des moyens tirés de la violation de celles-ci . Sous cette réserve, le recours en annulation du Parlement est soumis aux règles prévues par les traités pour le recours en annulation des autres institutions .
28 Au nombre des prérogatives conférées au Parlement figure, dans les cas prévus par les traités, sa participation au processus d' élaboration des actes normatifs, en particulier sa participation à la procédure de coopération prévue par le traité CEE .
29 En l' espèce, le Parlement soutient que le règlement attaqué se fonde sur l' article 31 du traité CEEA qui prévoit seulement la consultation du Parlement, alors qu' il aurait dû être fondé sur l' article 100 A du traité CEE qui exige la mise en oeuvre de la procédure de coopération avec le Parlement .
30 Ce dernier en tire la conséquence que le choix par le Conseil de la base juridique du règlement attaqué aurait conduit à une méconnaissance de ses prérogatives, en le privant de la possibilité, qu' offre la procédure de coopération, de participer de manière plus intense et plus active à l' élaboration de l' acte que dans le cadre d' une procédure de consultation .
31 Le Parlement invoquant une atteinte à ses prérogatives découlant du choix de la base juridique de l' acte attaqué, il résulte de tout ce qui précède que le présent recours est recevable . L' exception d' irrecevabilité soulevée par le Conseil doit, dès lors, être rejetée et la procédure doit être poursuivie pour l' examen de l' affaire au fond .
Sur les dépens
32 Il convient de réserver les dépens .
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1 ) L' exception d' irrecevabilité soulevée par le Conseil est rejetée .
2 ) La procédure sera poursuivie quant au fond .
3 ) Les dépens sont réservés .