CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 4 décembre 1985 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Les crédits destinés à financer la campagne d'information pour les élections européennes sont à l'origine de nombreux recours qui ont été formés par les écologistes français contre les institutions communautaires. « Les Verts — Parti écologiste » (ci-après: les Verts) ont notamment attaqué :

a)

la Commission et le Conseil des Communautés européennes, pour faire annuler:

1)

les décisions de la Commission du 20 juin 1983 établissant et adoptant l'avant-projet de budget général pour l'exercice 1984 et l'avant-projet de budget supplémentaire pour l'exercice 1983;

2)

les décisions du Conseil du 22 juillet 1983 relatives également au projet de budget pour 1983 et 1984;

3)

toutes les autres décisions connexes (affaire 216/83);

b)

le Parlement européen, pour faire annuler:

1)

les décisions prises les 12 et 13 octobre 1982 ainsi que le 29 octobre 1983, la première par le bureau du Parlement et la deuxième par le bureau élargi du Parlement, en ce qui concerne la répartition des crédits inscrits au poste 3708 du budget communautaire pour les exercices 1982, 1983 et 1984 (affaire 294/83);

2)

les résolutions adoptées en première lecture le 27 octobre 1983 et en seconde lecture les 19 et 20 décembre 1983 dans le cadre de la procédure pour l'arrêt définitif du budget pour l'exercice 1984 (affaire 295/83);

3)

la décision du 20 décembre 1983 par laquelle le Parlement a constaté, au sens de l'article 203 du traité CEE, l'arrêt de ce budget (affaire 296/83);

4)

l'ensemble des décisions d'exécution de ce budget concernant le poste 3708 (affaire 190/84);

c)

le Conseil des Communautés, pour faire annuler la décision du 22 novembre 1983 qui adopte en seconde lecture le projet de budget pour l'exercice 1984 (affaire 297/83).

Il faut rappeler en outre que les décisions du 22 juillet 1983 ont été attaquées également devant le Conseil d'État français. Les Verts les ont considérées comme entachées d'un excès de pouvoir qu'aurait commis, en participant à leur adoption, le représentant du gouvernement de Paris au sein du Conseil de la Communauté.

2. 

Il convient d'abord de décrire le système de financement des campagnes d'information pour les élections européennes en en illustrant la genèse et en en retraçant l'historique.

La décision d'allouer des crédits destinés à cet objectif remonte à 1976 et précède donc l'acte par lequel il a été décidé que le Parlement serait élu au suffrage universel. Ce fut la Commission qui introduisit, dans son avant-projet de budget pour l'exercice 1977, le poste 2729 en l'intitulant « action d'information relative à l'élection du Parlement au suffrage universel » et en le dotant de 400000 unités de compte. Au cours de la discussion du budget, le Parlement a amendé le projet en portant le crédit à 1 million d'unités de compte. L'action d'information — lit-on dans le commentaire de ce poste — doit faire l'objet d'une concertation avec le Parlement et le crédit est bloqué jusqu'à l'approbation par le Parlement du programme détaillé des projets que la Commission envisage d'exécuter et compte tenu d'une coordination avec les programmes du Parlement en la matière. Le même poste figure dans le budget de 1978 où il est doté de 5 millions d'unités de compte.

Toujours dans le budget de 1977 (section relative au Parlement) a été inscrit à l'article 1001 un crédit de 3 millions d'unités de compte. Gérée par le bureau élargi du Parlement, cette somme devait permettre au Parlement d'informer lui aussi le public sur l'élection au suffrage universel direct. Pour établir ses modalités de gestion, un groupe de travail ad hoc présidé par le président du Parlement et composé des présidents des groupes politiques a été institué et il a présenté son rapport le 23 décembre 1976.

Le bureau élargi du Parlement l'a approuvé lors de la réunion du 29 mars 1977 en fixant les critères de répartition de la somme entre les groupes parlementaires et les modalités de contrôle quant à son utilisation. La répartition aurait dû s'effectuer selon la clé prévue par le poste 3706 (activités politiques supplémentaires). En définissant le type de dépenses qui en relèvent, ce dernier indiquait que « les crédits servent à financer ... les activités des membres non inscrits ». Faute d'une réglementation spécifique, la référence à ce texte laisse donc supposer que les crédits inscrits à l'article 1001 étaient destinés à tous les membres du Parlement et, partant, également à ceux qui ne faisaient pas partie d'un groupe.

De nombreuses règles ont été prévues pour le contrôle. Les principales disposaient: a) que, par voie d'accord, les présidents des groupes s'engageaient à contrôler l'utilisation des fonds, c'est-à-dire leur destination à des objectifs compatibles avec la préparation et le déroulement de la campagne électorale; b) que, sur la base d'un rapport de la sous-commission « contrôle du budget », le bureau élargi du Parlement vérifiait la régularité des opérations effectuées par les groupes. Par contre, le contrôle de cet organe ne se serait pas étendu à leur légalité, c'est-à-dire à leur conformité aux dispositions en vigueur, et n'aurait pas visé à vérifier si la gestion financière des groupes avait satisfait aux critères d'efficacité, de rendement et d'économie.

Pour les exercices 1978 et 1979, l'utilisation des fonds a fait l'objet d'un contrôle de la part tant de la Cour des comptes, qui l'a jugée en substance correcte, que de la Commission pour les budgets du Parlement. A la suite des recommandations faites par cette dernière, le bureau élargi du Parlement a adopté une nouvelle décision (le 14 février 1979) qui a rendu les règles rappelées ci-dessus plus rigoureuses. Les groupes se sont vu imposer l'obligation de contrôler également les sommes versées aux alliances de partis ou aux partis nationaux; de ne pas effectuer des dépenses avant d'avoir obtenu les devis; de tenir une comptabilité séparée pour les fonds destinés à l'information; d'utiliser ces derniers avec un minimum de dépenses administratives.

Des crédits pour l'activité d'information n'ont pas été inscrits dans les budgets des exercices 1980 et 1981. Le poste 3708 a fait son apparition dans le budget de 1982 — alimenté par un virement de 17390500 Écus provenant pour sa part des économies sur les frais généraux de l'institution. Le crédit inscrit à ce poste devait servir au « cofinancement de la préparation de l'information concernant la deuxième élection directe, qui aura lieu en 1984 » (JO L 31 du 8.2. 1982, p. 114 et 115), et, pour fixer les modalités de sa gestion, le bureau du Parlement a constitué, comme il l'avait déjà fait en 1976, un groupe de travail composé du président de l'Assemblée et des présidents des groupes parlementaires.

Le rapport du groupe a été approuvé lors de la réunion des 12 et 13 octobre 1982. La décision correspondante disposait que:

a)

les fonds pour la campagne électorale 1983-1984 seraient inscrits au poste 3708 dans les budgets de 1982, 1983 et 1984;

b)

le Parlement les affecterait sur la base des critères proposés par les groupes et approuvés par le bureau du Parlement;

c)

un tiers du montant (diminué de la tranche fixe) serait versé après le déroulement des élections;

d)

l'achat d'immeubles et de mobilier de bureau était en tout cas interdit, les frais administratifs ne pouvant dépasser 25 % du total;

e)

le contrôle ne serait pas limité à la régularité de l'utilisation des fonds, comme pour la décision du 29 mars 1977, mais porterait sur sa légalité et sa compatibilité avec les critères de saine gestion financière;

f)

les modalités comptables seraient précisées;

g)

les fonds pourraient être utilisés pour des engagements jusqu'à 40 jours avant les élections, à condition que les paiements soient effectués au plus tard 40 jours après les élections.

En ce qui concerne les sommes non utilisées selon les critères indiqués, il était prévu qu'elles seraient restituées au Parlement dans les trois mois suivant les élections. Le compte rendu définitif de l'utilisation des fonds alloués en 1984 devait être transmis au président de l'Assemblée au plus tard le 1er novembre 1984.

Les critères de répartition reflètent en substance les propositions des groupes parlementaires. La décision prévoit que:

a)

le crédit inscrit au poste 3708 — équivalant en tout, pour les exercices 1982 à 1984, à 43 millions d'Écus — est réparti chaque année entre les groupes et les députés non inscrits, avec une réserve pour l'exercice 1984;

b)

chaque groupe reçoit comme allocation fixe 1 % du montant total et une somme, pour chacun de ses membres, égale au même montant diminué des allocations destinées aux groupes et divisé par 434;

c)

le total des sommes à allouer aux groupes et aux députés non inscrits ne doit pas dépasser 62 % du montant total;

d)

au cours des exercices 1982, 1983 et 1984, un montant équivalant à 31 % du total inscrit au poste 3708 sera destiné à la constitution d'une réserve à des fins comptables;

e)

cette réserve sera allouée à toutes les formations politiques qui auront obtenu plus de 5 % des votes valides dans l'État membre ou plus de 1 % des votes valides dans trois États membres ou plus dans lesquels elles ont présenté des candidats.

Par une réglementation du 29 octobre 1983 (JO C 293, p. 1), le bureau élargi du Parlement a arrêté les critères de répartition de la réserve (31 % des crédits 1982-1983) instituée par la décision des 12 et 13 octobre 1982. Bénéficient de ces fonds les membres élus ou réélus en 1984 et les formations politiques qui n'ont pas réussi à obtenir un mandat européen, mais qui ont recueilli plus de 5 % des suffrages exprimés dans l'Etat membre ou plus de 1 % dans chacun d'au moins trois États membres où elles ont participé aux élections (article 2). Est eligible tout parti, liste ou alliance de partis qui présente des candidats aux élections conformément aux réglementations nationales (article 3); mais, pour bénéficier de la clause des 1 %, les diverses formations doivent déposer, au plus tard 40 jours avant les élections, une déclaration d'apparentement auprès du secrétaire général du Parlement signée par leurs responsables (article 4).

En ce qui concerne les modalités de versement des fonds, la réglementation distingue entre les partis, listes ou alliances représentés et les formations non représentées. Pour les premiers, elle rappelle en substance la décision des 12 et 13 octobre 1982; quant aux secondes, elle précise que:

a)

les demandes de remboursement doivent être présentées au secrétaire général du Parlement dans un délai de 90 jours à compter de la publication des résultats des élections, accompagnées des pièces justificatives;

b)

la période au cours de laquelle des dépenses peuvent être considérées comme dépenses relatives aux élections de 1984 commence le 1er janvier 1983 et s'arrête 40 jours après la date des élections;

c)

les crédits votés à ce titre par le Parlement sont confiés à la gestion du secrétaire général jusqu'à leur paiement;

d)

les critères applicables aux dépenses des groupes politiques (décision des 12 et 13 octobre 1982) s'appliquent également à celles des formations non représentées.

Pour conclure, nous rappellerons que, comme cela résulte de la réponse fournie par le Parlement à une question de la Cour, les règles d'exécution du poste 3708 — c'est-à-dire la réglementation du 29 octobre 1983 et la partie de la décision des 12 et 13 octobre 1982 que la réglementation rappelle — étaient en vigueur à la fin du mois de septembre 1984.

3. 

Revenons aux actions engagées par les Verts. Comme on le sait, le Parlement a le pouvoir, en vertu de l'article 18 du règlement financier du 21 décembre 1977 (JO L 356, p. 1), d'exécuter les sections du budget qui le concernent. Convaincus qu'en réservant aux élus de 1984 seulement 31 % des fonds il s'est servi de ce pouvoir pour favoriser les partis déjà représentés au Parlement, les Verts ont saisi la Cour de six recours formés le 19 septembre 1983, le 20 décembre 1983 et le 7 juin 1984, respectivement inscrits au registre de la Cour le 27 septembre 1983, le 28 décembre 1983 et le 18 juillet 1984.

Toutefois, quatre de ces recours — c'est-à-dire ceux correspondant aux affaires 216, 295, 296 et 297/83 — ont été déclarés irrecevables d'office faute de satisfaire à la condition prévue par l'article 173, alinéa 2, du traité CEE. Dans les ordonnances rendues à cet égard (le 26 septembre 1984), on lit en effet que, le budget étant défini par le règlement financier comme « l'acte qui prévoit et autorise préalablement ... les recettes et dépenses prévisibles des Communautés », la procédure d'approbation du budget consiste en une simple autorisation d'engager des dépenses. Les actes qui en font partie ne peuvent donc pas concerner directement une personne physique ou morale, alors qu'il est concevable qu'elle puisse être affectée par les actes — comme ceux dont les Verts se plaignent dans les recours 294/83 et 190/84 — qui sont pris en exécution du budget.

Enfin, le recours formé devant le Conseil d'État français a été déclaré irrecevable le 23 novembre 1984. Les actes attaqués, observe cette juridiction, se rapportent directement aux compétences diplomatiques du gouvernement national dans ses rapports avec la Communauté; ils sont donc soustraits à la compétence du Conseil d'État en matière contentieuse.

4. 

Nous examinerons d'abord les questions de procédure de l'affaire 294/83. Le Parlement excipe de l'irrecevabilité du recours en invoquant:

a)

l'incapacité d'ester en justice du requérant;

b)

le caractère non attaquable de ses actes en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE;

c)

l'inexistence des conditions auxquelles l'alinéa 2 de ce même article subordonne le recours des particuliers.

Commençons par l'aspect relatif à la capacité d'ester en justice des Verts. Alors que la phase écrite était achevée et que la procédure orale était déjà fixée, la Cour a appris par le Journal officiel de la République française que l'association requérante s'était dissoute à partir du 19 juin 1984. Le 4 octobre 1984, le greffe a donc écrit aux Verts en les invitant à préciser si, à la lumière de leur statut en droit français, ils pouvaient encore ester en justice. La lettre est restée sans réponse. La Cour a alors fixé un délai aux parties pour qu'elles se prononcent sur la capacité du requérant (lettre du 4 décembre 1984), mais seul le Parlement a donné suite à sa demande. En tout cas, le fait est que, parmi les pièces de l'affaire 190/84, figure un « mémoire en réponse » déposé par les Verts le 19 mars 1985.

Le Parlement affirme que l'association « Les Verts — Parti écologiste » s'est dissoute le 29 mars 1984 et a communiqué sa décision à la préfecture de la capitale le 19 juin suivant. Le même jour s'est dissoute également l'association « Les Verts ». Lors de la dissolution, les deux groupes ont cependant fusionné en constituant un nouvel organisme politique qui a été dénommé « Les Verts — Confédération écologiste — Parti écologiste » et qui a déclaré son existence à la préfecture de police de Paris le 20 juin 1984 (JORF du 25. 7. 1984, respectivement aux pages 6608 et 6604). Le protocole de fusion prévoit la mise en commun de l'actif et du passif. En mentionnant parmi ceux de l'association « Les Verts — Parti écologiste »« le bénéfice des actions juridiques entreprises (contre le budget de la CEE, tant devant le C. E. que devant la Cour de justice de Luxembourg) », le protocole précise que ces actions « se continueront dans les mêmes termes selon les mêmes modalités ». Les statuts de la nouvelle association prévoient ensuite à l'article 13 que « le conseil national interrégional dispose de tous les pouvoirs qui ne sont pas réservés à l'Assemblée générale dont il applique les décisions; notamment, il peut ester en justice ».

Le Parlement cite en outre un document daté du 26 juillet 1984 et produit par le requérant dans l'affaire 190/84 selon lequel le responsable légal de la nouvelle association, « conformément au protocole de fusion ... [et] aux décisions de l'Assemblée générale et du conseil national interrégional, confirme M. Étienne Tête dans sa fonction de délégué aux affaires juridiques pour intenter et continuer, dans les mêmes termes et modalités, l'ensemble des actions juridiques entreprises par ‘Les Verts — Parti écologiste’, notamment devant la Cour de justice et le Conseil d'État ... sous toutes ses formes ».

Sur la base de ces données, l'institution attaquée conclut que:

a)

à la suite de sa dissolution, l'association « Les Verts — Parti écologiste » a perdu la capacité d'agir;

b)

l'affaire qu'elle a engagée n'a pas été régulièrement reprise par la nouvelle association, la Cour n'étant par conséquent pas compétente pour en connaître.

A l'appui de sa thèse, le Parlement avance deux ordres d'arguments, tirés du droit français et du droit communautaire. Le premier ordre juridique entre en ligne de compte parce que, comme la Cour l'a toujours affirmé (en dernier lieu dans l'arrêt rendu le 27 novembre 1984 dans l'affaire 50/84, Bensider et autres/Commission des Communautés européennes, Rec. 1984, p. 3991), l'existence de la capacité est établie sur la base du droit national de l'intéressé. Or, selon l'article 341, paragraphe 2, de la loi française du 24 juillet 1966, la personnalité juridique que l'on dissout survit pour les seules activités de liquidation; et cette règle (qui est connue également en droit allemand et que vous avez appliquée dans l'arrêt rendu le 20 mars 1959 dans l'affaire 18/57, Nold, Rec. 1958-1959, p. 89) ne peut certainement pas être invoquée dans un cas comme le nôtre, où les droits et obligations du requérant ont été entièrement transférés à un autre sujet.

Quant au droit communautaire, c'est l'article 173, alinéa 2, qui apparaît comme décisif dans la mesure où la recevabilité du recours y est subordonnée aux conditions que le requérant soit une personne physique ou morale et que l'acte attaqué le concerne. En l'espèce, la dissolution exclut la première condition et, étant donné qu'elle est intervenue alors que les Verts n'avaient pas encore présenté de candidats à l'élection européenne, elle a pour effet qu'ils ne sont plus destinataires de l'acte. L'intérêt à agir fait donc défaut aux Verts et cela est d'autant plus vrai qu'ils ont transmis à un tiers le droit de poursuivre l'action.

Le Parlement ne conteste pas la qualité pour agir de ce tiers (le nouveau parti). Celui-ci n'aurait cependant pas veillé à reprendre l'affaire selon les règles du droit français (au demeurant analogues à celles qui sont en vigueur dans une grande partie des États membres) en vertu desquelles cet acte doit émaner des organes statutaires et intervenir dans un délai raisonnable. Certes, il existe (et il a été évoqué au cours de l'audience) un document du 17 février 1985 par lequel le conseil national interrégional de la nouvelle association a décidé de « reprendre toutes les instances devant la Cour de justice de Luxembourg commencées par ‘Les Verts — Parti écologiste’». Mais, de l'avis de l'institution attaquée, ce texte, qui figure uniquement dans le dossier de l'affaire 190/84, ne peut pas être pris en considération dans l'espèce présente.

Le fait est, poursuit le Parlement, que « Les Verts — Confédération écologiste — Parti écologiste » se trouvent confrontés à un dilemme évident. En effet, après s'être constitués, ils ont présenté en France une liste de candidats, satisfait à toutes les obligations prévues par la réglementation litigieuse et obtenu du secrétariat général du Parlement un remboursement égal à 82058 Écus. Il s'ensuit que, ou bien le nouveau parti reprend et gagne l'affaire engagée par les anciens Verts, et alors l'annulation des décisions attaquées l'obligera à rembourser les sommes reçues, ou bien il s'abstient de reprendre l'action et, dans ce cas, le recours sera rejeté pour incapacité du requérant. Cela explique l'ambiguïté de son comportement, à laquelle seule la Cour peut mettre un terme en l'invitant à prendre une décision non équivoque.

5. 

Les arguments ainsi résumés ne nous paraissent pas fondés, même en faisant abstraction de ce dernier aspect qui, d'ailleurs, est tout à fait étranger aux problèmes juridiques sur lesquels vous êtes appelés à vous prononcer.

Nous estimons nous aussi que la capacité d'ester en justice doit être appréciée sur la base de la législation nationale des parties; mais nous ne pensons pas que l'on puisse tirer de cette circonstance les conclusions auxquelles le Parlement aboutit. En effet, pour pouvoir agir et être défendeurs, les partis politiques doivent, selon le droit français, « se déclarer » à la préfecture du département dans lequel ils ont leur siège (article 5 de la loi du 9 novembre 1901). Or, comme cela résulte du Journal officiel du 9 novembre 1984, à la page 10241 — qui corrige ainsi la publication faite dans ce même Journal officiel le 25 juillet précédent aux pages 6604 et 6608 —, la préfecture de Paris a reçu, le 20 juin de la même année, une déclaration qui donnait acte tant de la fusion des deux associations qui s'étaient dissoutes à la même date (« Les Verts — Parti écologiste » et « Les Verts ») que de la constitution d'une nouvelle association (« Les Verts — Confédération écologiste — Parti écologiste ») intervenue immédiatement après la dissolution, elle aussi effectuée séance tenante, de l'association née de la fusion.

Le phénomène sur lequel nous nous interrogeons se présente donc comme un processus qui s'est déroulé en quatre étapes — dissolution des associations originaires; leur fusion; dissolution de l'association ainsi créée; constitution de l'association définitive — pratiquement concomitantes et connexes fonctionnellement (au point III du protocole de fusion, par exemple, on lit que l'association « Les Verts — Parti écologiste ... est dissoute sous réserve de fusion avec les Verts »). Il en résulte qu'il existe entre les anciens Verts et les nouveaux Verts une continuité à la fois temporelle, politique et juridique, et que les seconds se trouvent par conséquent automatiquement titulaires également des droits et des obligations appartenant aux premiers, y compris les actions engagées par ceux-ci. Nous rappelons par ailleurs que le Conseil d'État français s'est prononcé en faveur d'une succession analogue dans un cas d'espèce qui se présentait d'une manière assez similaire (voir arrêt du 4 mars 1959, Électricité et Gaz d'Algérie, Recueil Lebon, p. 1059).

En second lieu, la thèse relative à l'absence de reprise ou à la reprise irrégulière de l'affaire par la nouvelle association nous paraît très peu convaincante. Nous relevons d'abord que cette notion n'est pas prévue par notre règlement de procédure et qu'en tout cas la Cour n'a jamais demandé aux nouveaux Verts d'y recourir. Il y a ensuite l'acte du 19 février 1985, qui, à notre avis, représente une véritable reprise. Comme nous l'avons dit, le Parlement refuse de le prendre en compte parce qu'il n'apparaît que dans le dossier de l'affaire 190/84; or, le fait est — et cela suffit pour rejeter cet argument — qu'en tout état de cause l'institution attaquée en a eu connaissance, qu'elle l'a mentionné à plusieurs reprises au cours de la procédure orale et, surtout, qu'elle n'a jamais contesté le droit de l'avocat Me Lallement à parler au nom de l'association requérante.

6. 

Le deuxième aspect d'irrecevabilité, qui a trait au contrôle juridictionnel des actes du Parlement européen, mérite un examen plus approfondi. Il s'agit d'une matière délicate, notamment parce que c'est la première fois que la Cour doit se prononcer sur un recours formé contre une décision du Parlement au titre du seul article 173 du traité CEE. Il convient cependant d'observer d'emblée que le défendeur ne nous a pas beaucoup aidé dans la recherche de la solution correcte même si l'on fait abstraction du fait qu'il s'est abstenu d'exciper formellement de l'irrecevabilité.

Voyons pourquoi. Dans son mémoire en défense, le Parlement a soutenu que la règle générale de l'article 164 du traité impose une interprétation extensive de l'article 173, c'est-à-dire une interprétation qui le comprend parmi les institutions dont les actes peuvent être attaqués. Cette exigence existe en tout cas; mais elle est surtout inéluctable dans les secteurs — tels que ceux du budget et de l'organisation des élections — dans lesquels les pouvoirs du Parlement se sont étendus. Après les modifications de 1970 et 1975, il joue en effet un rôle décisif en ce qui concerne le budget dans la mesure où il a le pouvoir tant d'en rejeter globalement le projet (article 203, paragraphe 8) que de dire le dernier mot en ce qui concerne les dépenses non obligatoires. L'élection au suffrage universel lui a, par ailleurs, conféré une plus grande légitimation et, par conséquent, une autorité accrue dans l'exercice des fonctions qui lui ont été attribuées. En particulier, lorsqu'il finance les campagnes d'information, le Parlement exerce des droits qui lui sont propres. Aussi serait-il inadmissible que les actes y afférents soient soustraits au contrôle de la Cour.

L'institution attaquée a pourtant pris ses distances par rapport à cette thèse, et ce d'une manière toujours plus nette au fur et à mesure que l'affaire avançait. Elle a ainsi affirmé, dans son mémoire en défense, que même si le recours n'était pas entaché d'irrecevabilité, le fait que la légitimation active lui fasse défaut exige la sauvegarde d'un « équilibre nécessaire » entre les prérogatives et les obligations dont il est titulaire. Une retraite? Elle ne fait pas de doute. Bien plus évidente a cependant été la volte-face à laquelle nous avons assisté à l'audience. Le Parlement y a en effet déclaré qu'une interprétation extensive de l'article 173 impliquait, pour la cohérence du système de protection juridique qu'elle tendait à établir, son pouvoir d'attaquer les actes des autres institutions. En d'autres termes, cuius incommoda eius et commoda. Légitimation active et légitimation passive vont de pair: tant que la première ne sera pas reconnue au Parlement, la seconde devra également être exclue.

7. 

Nous penchons vers la ligne qui offre le plus de garanties. Nous savons bien qu'interprété littéralement, l'article 173 ne prévoit pas de contrôle juridictionnel pour les décisions du Parlement; nous pensons cependant que cette interprétation est en conflit avec le système des traités et nous considérons que des éléments et des arguments suffisants en faveur de la thèse contraire se dégagent de votre jurisprudence et de la doctrine qui s'est élaborée en la matière.

Commençons par la jurisprudence. Il ne fait pas de doute qu'elle consacre en principe le pouvoir de la Cour de se prononcer sur la validité et sur la légalité des actes du Parlement. Rappelons, par exemple, l'arrêt rendu le 15 septembre 1981 dans l'affaire 208/80, Lord Bruce of Donington/Aspden (Rec. 1981, p. 2205): saisie au titre de l'article 177 du traité CEE, la Cour a examiné et jugé implicitement légales les dispositions arrêtées par le Parlement pour réglementer le remboursement des frais et des indemnités de ses membres. L'arrêt rendu le 10 février 1983 dans l'affaire 230/81 (Rec. 1983, p. 255) est bien plus significatif. Le Luxembourg, qui avait attaqué une décision relative au siège et au lieu de travail du Parlement, s'est vu opposer par ce dernier une exception d'irrecevabilité. Le Grand-Duché a réagi en suggérant à la Cour d'interpréter l'article 173 d'une manière extensive et en fondant sa proposition tant sur les « compétences accrues du Parlement » que sur la nécessité « d'éviter des lacunes dans la protection juridique assurée par la Cour» (point 15 des motifs).

Comme vous vous en souvenez, la Cour a résolu le problème en affirmant sa compétence au titre de l'article 38 du traité CECA à l'égard des actes qui concernent « d'une manière simultanée et indivisible les domaines des trois traités » (point 19 des motifs); elle a donc estimé superflu de se demander si le principe qui sanctionne le respect du droit dans nos Communautés exige d'interpréter les articles 173 du traité CEE et 146 du traité CEEA comme s'ils prévoyaient que les actes du Parlement sont susceptibles de recours (point 20 des motifs). Nous attirons cependant votre attention sur une phrase qui nous paraît hautement significative. Après avoir rappelé les articles 173 et 146, l'arrêt précise qu'« une participation active ou passive du Parlement au contentieux devant la Cour n'est pas expressément prévue » par ces dispositions. Est-ce que nous nous trompons si nous affirmons que, dans cet obiter dictum, l'accent est mis sur l'adverbe «expressément»? A vrai dire, nous ne le pensons pas. Force sera alors de reconnaître que l'arrêt en question a comporté une ouverture indiscutable à la thèse que nous préférons.

Ce n'est pas tout. Il y a lieu de rappeler à ceux qui invoquent la lettre de l'article 173 l'interprétation large que la Cour a toujours donnée des dispositions concernant sa compétence. Dans l'arrêt rendu le 15 juillet 1963 dans l'affaire 25/62, Plaumann (Rec. 1963, p. 197), elle a ainsi affirmé, précisément au sujet de l'article 173, que « les dispositions du traité concernant le droit d'agir ... ne sauraient être interprétées restrictivement (ce qui fait) que, dans le silence du traité, une limitation à cet égard ne saurait être présumée » (p. 222). De même, dans l'arrêt rendu le 31 mars 1971 dans l'affaire 22/70, Commission/Conseil (Rec. 1971, p. 263), les juges ont dit pour droit que le recours en annulation « tend à assurer, conformément aux prescriptions de l'article 164, le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité; (il) serait contraire à cet objectif d'interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours... » (attendus 38-43).

On peut rappeler, dans le même contexte, l'arrêt rendu le 15 juin 1976 dans l'affaire 110/75, Mills/BEI (Rec. 1976, p. 955). Comme vous le savez, l'article 179 du traité CEE confère à la Cour la compétence pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents. La Banque européenne d'investissement a cependant une personnalité juridique distincte de celle de a Communauté (dispositions combinées des articles 129 et 210). Il n'était donc pas absurde de penser que la disposition précitée n'était pas applicable à ses agents. L'arrêt en a décidé autrement: « Le personnel de la Banque », y a affirmé la Cour, « est placé dans une situation juridique spéciale, (mais) identique à celle du personnel des institutions de la Communauté »; cette égalité de fait l'habilite à agir devant la Cour.

L'arrêt rendu le 17 février 1977 dans l'affaire 66/76, CFDT/Conseil (Rec. 1977, p. 305) revêt plus d'importance encore. La centrale française avait demandé l'annulation d'une décision du Conseil portant désignation des organisations représentatives appelées à désigner les candidats pour le Comité consultatif CECA; et, consciente du fait que le traité CECA n'habilitait pas les particuliers à attaquer les actes du Conseil, elle avait invoqué l'article 31 de ce même traité, qui charge la Cour d'assurer le respect du droit. Tout en déclarant le recours irrecevable, la Cour a admis que « les principes invoqués par la requérante ... appellent une interprétation large des dispositions relatives à la saisine de la Cour, afin d'assurer la protection juridique des particuliers ... ». Naturellement, aux fins des présentes, c'est cet aspect seul qui compte. Dans un système de protection juridictionnel bien moins cohérent et protecteur que celui qu'adopte le traité CEE, la déclaration d'irrecevabilité était en effet inévitable.

Enfin, l'arrêt récent rendu le 26 mai 1982 dans l'affaire 44/81 (Rec. 1982, p. 1855), n'est pas moins digne d'être mentionné. La Cour y a déclaré irrecevable une demande de paiement présentée par la République fédérale d'Allemagne contre la Commission; elle a cependant observé que l'État aurait pu agir au titre des articles 173 ou 175 et ajouté pour cette même raison que le fait, qu'un recours du genre de celui introduit par l'État ne soit pas prévu ne constitue pas « une lacune qu'il conviendrait de combler afin d'assurer au justiciable une protection effective de ses droits » (point 7 des motifs). En l'occurrence, nous nous trouvons donc également devant un obiter dictum précieux. L'obligation de respecter le droit — telle est, nous semble-t-il, sa signification — prévaut sur les étroitesses de la loi écrite; à chaque fois que la protection des justiciables l'exige, la Cour est prête à corriger ou à compléter les dispositions qui délimitent sa compétence au nom du principe qui consacre sa mission.

Après ce long mais nécessaire et indéniablement éloquent rappel, nous en venons à la doctrine. A notre avis, la contribution la plus significative qu'elle a apportée à la solution de notre problème réside dans le fait d'avoir mis en lumière la nature à la fois transitoire et non contraignante des raisons pour lesquelles le Parlement a été exclu du cercle des institutions dont les actes sont susceptibles de recours. On relève, que dans le système originaire des traités CEE et CEEA, les seules institutions appelées à accomplir des actes pouvant produire des effets juridiques étaient le Conseil et la Commission. Le Parlement, il est vrai, pouvait contraindre les commissaires à abandonner leurs fonctions en adoptant la motion prévue aux articles 144 du traité CEE et 114 du traité CEEA; mais le caractère politique de cet acte l'emportait tellement sur son caractère juridique qu'il apparaissait comme imprudent (ou inutile) d'instituer la légitimation passive de l'organe compétent à le mettre en oeuvre.

Depuis lors, les choses ont toutefois changé, particulièrement en ce qui concerne le domaine budgétaire. En effet, jusqu'en 1975, ce dernier était approuvé par décision du Conseil, à savoir par un acte certainement susceptible de recours. Aujourd'hui, le Conseil et le Parlement l'adoptent ensemble. Peut-on en déduire que les actes y afférents échappent au contrôle de la Cour? Certainement pas. C'est plutôt le contraire qui est vrai: la modification intervenue dans la procédure d'approbation du budget est la donnée qui, plus que toute autre, démontre le caractère obsolète du motif pour lequel les auteurs du traité ont formulé l'article 173 sans mentionner le Parlement. D'autre part, comme on l'a vu, cette exclusion n'a pas été délibérée; elle n'était pas due, par exemple, à la nature de notre institution. Elle a été plutôt la conséquence implicite des fonctions largement formelles qui lui étaient alors attribuées; en d'autres termes, elle a résulté, s'il est permis d'utiliser une métaphore du droit de la procédure, de la présomption qu'un contrôle sur ses actes était superflu. Or, il est évident que la présomption cède le pas lorsque le contrôle se révèle indispensable et lorsque, au contraire, sa survie compromet l'idée même de la légalité dans le système communautaire.

Pour compléter l'analyse, il reste à examiner l'objection que le Parlement a soulevée surtout au cours de l'audience, à savoir qu'il serait contradictoire de lui imposer la légitimation passive sans lui reconnaître également la légitimation active. Disons d'emblée qu'il nous paraît excessif de voir entre les deux légitimations un lien aussi étroit (toujours dans le cadre de l'article 173, par exemple, il n'existe pas en ce qui concerne les États; et nous songeons à la position des régions par rapport au contrôle de la constitutionnalité de leurs actes dans l'ordre juridique italien). Ajoutons cependant que les raisons sur la base desquelles nous avons affirmé le caractère attaquable des décisions du Parlement plaident, avec une force analogue, en faveur de son pouvoir d'attaquer celles des autres institutions et nous observons que la jurisprudence de la Cour offre également quelques ouvertures à cette thèse.

Ainsi convient-il de citer avant tout les deux arrêts « isoglucose » (29 octobre 1980, affaires 138/79, Roquette/Conseil, et 139/79, Maizena/Conseil, Rec. 1980, p. 3333 et 3393). Le Conseil avait contesté le droit du Parlement d'intervenir volontairement dans un litige pendant devant la Cour en observant que cette faculté s'apparente à un droit d'action en justice; vous avez cependant admis l'intervention du Parlement sur la base de l'article 37 du statut de la Cour et ainsi rejeté implicitement cette exception. Il y a ensuite l'arrêt rendu le 22 mai 1985 dans l'affaire 13/83, Parlement/Conseil. Attaqué par le Parlement par la voie d'un recours au titre de l'article 175, le Conseil a excipé de l'irrecevabilité de ce dernier pour des motifs d'ordre systématique. Il est incontestable, a-t-il affirmé, que l'article 175 habilite « les États membres et les autres institutions de la Communauté » à agir; mais, comme la Cour l'a mis en évidence dans l'arrêt rendu le 18 novembre 1970 dans l'affaire 15/70, Chevalley/Commission (Rec. 1970, p. 975),

il est également vrai que cette disposition fait corps avec l'article 173 en formant « l'expression d'une seule et même voie de droit ». En conséquence, si le traité n'autorise pas le Parlement à attaquer les actes du Conseil et de la Commission, il ne peut pas non plus l'autoriser à saisir la Cour pour lui faire constater une « carence » illégale de ces institutions.

Comme on le sait, la Cour n'a pas accueilli cette exception en affirmant que le recours en carence est autonome et que toutes les institutions communautaires ont le droit de le former. L'obstacle constitué par l'arrêt Chevalley a ainsi été levé et cela permet de soutenir à bon droit que, puisque les dispositions en matière de compétence appellent une interprétation extensive, la thèse du Conseil peut être renversée, c'est-à-dire que l'article 173 doit être lu dans un sens conforme aux dispositions plus larges de l'article 175.

8. 

Le troisième élément d'irrecevabilité a pour objet l'existence des conditions auxquelles l'article 173, alinéa 2, subordonne le recours des personnes physiques ou morales. Comme on le sait, elles sont très rigoureuses: l'acte peut avoir un caractère général et abstrait, mais il n'est susceptible de recours que s'il concerne directement et individuellement le particulier.

Sur ce point également — il faut le rappeler —, le Parlement a suivi une ligne en substance contradictoire. Au cours de la procédure écrite, il a en effet déclaré qu'en tant que formations intermédiaires entre la Communauté et les citoyens, les partis politiques jouissent d'un « statut protégé », justifiant donc une interprétation extensive de la disposition précitée; le fait est, en tout cas, que la réglementation litigieuse les concerne tant individuellement, parce qu'elle précise les conditions dans lesquelles ils sont remboursés, que directement, dans la mesure où elle est susceptible d'exécution sans dispositions particulières. A l'audience, nous avons entendu un point de vue différent. L'institution attaquée a réitéré l'argument tiré de la nature particulière des partis et elle s'est référée à cette fin aux arrêts Fediol et Allied Corporation et autres (4 octobre 1983, affaire 191/82, Rec. 1983, p. 2913, et 21 février 1984, affaires jointes 239 et 275/82, Rec. 1984, p. 1005). Mais elle a soutenu — et c'est ce qui compte — que, les Verts n'étant pas individuellement touchés par l'acte attaqué, le recours doit être déclaré irrecevable.

En revanche, de l'avis de la partie requérante, la recevabilité est évidente. Pour pouvoir affirmer que l'acte l'affecte individuellement, a-t-elle soutenu, il suffit que le particulier soit identifiable parmi les destinataires de l'acte. Or, « Les Verts — Confédération écologiste — Parti écologiste » ont présenté des candidats aux élections de 1984 et ont perçu le remboursement selon les dispositions de la réglementation litigieuse. Il est donc incontestable que, même si elle ne les désigne pas nommément, la réglementation les individualise dans le sens précité.

9. 

Les éléments au moyen desquels la Cour a précisé la valeur de l'adverbe « individuellement » tendent à nous convaincre qu'en l'espèce la condition énoncée à l'alinéa 2 de l'article 173 n'est pas remplie. Que signifie en effet ce mot? Votre réponse est bien connue: « Des tiers ne sauraient être concernés individuellement par une décision », avez-vous affirmé, « adressée à une autre personne que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire » (voir en ce sens l'arrêt précité Plaumann et les arrêts rendus le 11 juillet 1968, affaire 6/68, Zuckerfabrik Watenstedt GmbH/Conseil, Rec. 1968, p. 595, et 14 juillet 1983, affaire 231/82, Spijker/Commission, Rec. 1983, p. 2559).

En conséquence, si l'acte peut ne pas affecter les seuls intérêts du requérant, la position de celui-ci doit pouvoir être présentée comme un unicum; et cela est si vrai que la condition en question ne peut pas être considérée comme satisfaite non plus par la « possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l'identité des sujets ... auxquels il s'applique » (voir arrêts rendus le 5 mai 1977, affaire 101/76, Koninklijke Scholten Honig/Conseil et Commission, Rec. 1977, p. 797, le 16 mars 1978, affaire 123/77, UNICME/Conseil, Rec. 1978, p. 845, le 29 janvier 1985, affaire 147/83, Münchener Import- Weinkellerei/Commission, Rec.1985, p. 257). Il faut en revanche:

a)

qu'au moment de l'adoption de la mesure contestée, l'institution connaissait l'identité du requérant et qu'il y ait eu un lien de causalité entre cette connaissance et la mesure (arrêt du 17 janvier 1985, affaire 11/82, Piraiki-Patraiki et autres/Commission, Rec. 1985, p. 207);

b)

que, toujours au moment où la mesure a été prise, la situation du requérant était « définitivement fixée » (arrêt du 27 novembre 1984, affaire 232/81, Agricola commerciale olio/Commission, Rec. 1984, p. 3881);

c)

que le requérant démontre l'existence de circonstances qui lui sont propres et de nature à avoir conduit l'institution à régler sa situation d'une manière spécifique par rapport à tout autre intéressé (arrêt du 10 décembre 1969 rendu dans les affaires jointes 10 et 18/68, Eridania et autres/Commission, Rec. 1969, p. 459).

Il est très facile de résoudre notre problème à la lumière de ces critères limpides. Comme nous l'avons déjà dit (ci-dessus au point 2), la réglementation litigieuse avait pour bénéficiaires les formations politiques de tout genre qui ont présenté des candidats aux élections de 1984; mais ajoutons qu'au moment où elle a été arrêtée, le délai pour la présentation des listes n'était expiré dans aucun État membre. Le bureau élargi du Parlement n'était donc pas en mesure de savoir quelles étaient les formations qui bénéficieraient des remboursements dont il décidait; et les Verts ne peuvent pas invoquer une situation propre qui était déjà fixée le 29 octobre 1983 et qui a conduit ce même bureau à les distinguer de tous les autres destinataires de l'acte.

Cela dit, la référence que le Parlement fait aux arrêts Fediol et Allied Corporation nous paraît tout à fait dépourvue de pertinence. En effet, le deuxième arrêt ne modifie en rien la jurisprudence constante de la Cour et le premier subordonne la recevabilité du recours à la situation juridique spéciale de l'entreprise intéressée, mais en fondant cette situation sur des droits particuliers qui ont été conférés à cette même entreprise par le règlement no 3017/79 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de dumping ou de subventions de la part des pays tiers (JO L 339, p. 1). La vérité est donc qu'en l'absence de dispositions ad hoc, le droit communautaire ne reconnaît à qui que ce soit, et, partant, non plus aux partis politiques, une nature assimilable à celle de ce qu'il est convenu d'appeler les requérants privilégiés (les États membres et les institutions). Que cela plaise ou non, que ce soit juste ou non, dans notre système, les partis doivent à tous égards être considérés comme des sujets privés de droit interne.

10. 

Nous avons la ferme conviction que le recours des Verts doit être déclaré irrecevable. Nous n'aborderons donc que sommairement le fond et uniquement par fidélité à la tradition qui exige de l'avocat général qu'il examine l'affaire sous tous ses aspects.

Les moyens que l'association requérante avance sont nombreux. Les décisions des 12 et 13 octobre 1982 et 29 octobre 1983 seraient viciées pour:

a)

incompétence et manque de base légale;

b)

violation des traités et des dispositions relatives à leur application;

c)

violation du principe d'égalité;

d)

violation de la Constitution française;

e)

détournement de pouvoir.

Leur illégalité résulterait par ailleurs de celle de l'acte (décision du Conseil du 22 juillet 1983) sur lequel elles se fondent indirectement. Parmi ces griefs, le troisième joue à l'évidence le rôle central. En réservant seulement 31 % du crédit affecté au poste 3708 aux formations qui ont affronté pour la première fois en 1984 l'épreuve électorale, la réglementation litigieuse — affirme le requérant — les a désavantagés par rapport aux partis qui étaient déjà présents au Parlement.

Ainsi résumée, l'argumentation a une force de suggestion indéniable; mais il est à tout le moins douteux qu'elle fasse mouche. Elle serait assurément fondée si la réglementation qu'elle vise concrétisait un financement public des organisations politiques tel qu'on le connaît dans certains États membres. Ce système cherche en effet à garantir aux partis la possibilité d'étendre leur influence dans l'opinion publique et de participer à la définition de la politique nationale; pour leur donner des chances égales dans la poursuite de ces objectifs, il prévoit donc la fixation d'un critère permettant de vérifier le degré d'approbation qu'ils recueillent et, partant, de procéder à une répartition des fonds proportionnelle aux votes et aux sièges qu'ils obtiennent. Il existe cependant une différence entre ce type de financement et le nôtre, et cela pas seulement parce que l'absence d'un mécanisme électoral uniforme dans l'ordre juridique communautaire affecte souvent la correspondance entre les sièges et les votes, empêchant ainsi que la règle de la proportionnalité et, partant, le principe d'égalité s'appliquent d'une manière exacte.

La différence à laquelle nous faisons allusion tient surtout à la finalité de notre système. La réglementation du 29 octobre 1983 parle, il est vrai, du « remboursement des dépenses des formations politiques qui auront pris part aux élections européennes de 1984 »; mais cette formulation — sans doute malheureuse — doit être interprétée à la lumière de celle qui figure dans l'intitulé du poste 3708. Comme nous l'avons vu, il indique que les crédits sont destinés à couvrir « le cofinancement de la préparation de l'information concernant la deuxième élection directe » (budget 1982, JO L 31, p. 115); la réglementation litigieuse a donc pour objectif de faire connaître à un public distrait, non préparé et seulement tièdement européen, l'importance de la mission que remplit l'Assemblée de Strasbourg et, partant, des élections destinées à la renouveler.

Or, s'il en est ainsi, si le financement de quo vise non pas à promouvoir le rôle des partis dans une démocratie pluraliste, mais, depuis 1977, à lancer et à soutenir une campagne d'information, il est assez raisonnable que la décision de 1982 ait affecté une somme plus importante aux forces déjà présentes au Parlement. Au moment de son adoption, elles étaient en effet les seuls sujets susceptibles d'être individualisés auxquels on pouvait confier la tâche d'informer le public et dont on pouvait attendre, en raison de leur représentativité incontestable, qu'ils l'accompliraient avec un maximum d'efficacité. Naturellement, les formations nouvelles ou non représentées auraient pu également apporter à cette fin une contribution utile; le bureau du Parlement s'en est rendu compte et c'est pour cette raison qu'il a créé en leur faveur un fonds de réserve moins important, mais néanmoins significatif.

Quelques mots sur les autres moyens avancés par les Verts. Ceux qui, en attribuant aux crédits une nature différente, invoquent la violation du traité en raison de l'incompétence du Parlement et de son bureau pour adopter la réglementation attaquée sont certainement non fondés: d'une part, en effet, il apparaît que la procédure aboutissant à la formulation du poste 3708 s'est déroulée d'une manière tout à fait régulière; d'autre part, il ne fait pas de doute que le bureau du Parlement a agi sui mandat de l'Assemblée. Tout aussi fragile, sont ensuite le moyen exposé sous d) et l'exception tirée de l'illégalité dont serait entachée la décision du 22 juillet 1983 du fait que le représentant du gouvernement français aurait, en l'adoptant, commis un excès de pouvoir. A cet égard, nous nous bornerons à observer que, selon votre jurisprudence constante, la validité des actes communautaires est contrôlée au regard des traités et qu'il n'appartient pas à la Cour d'assurer le respect des dispositions nationales.

Le moyen du détournement de pouvoir doit également être rejeté. Les Verts contestent le fait que:

a)

le poste 3708 tende à faciliter la réélection des candidats présentés par des partis déjà représentés de manière à « pérenniser une assemblée protégée des critiques ... et de la censure démocratique »;

b)

aucun contrôle ne soit exercé sur la gestion des crédits.

Nous avons répondu au premier point en analysant la prétendue violation du principe d'égalité. En ce qui concerne le deuxième aspect, nous rappelons les multiples contrôles prévus par la réglementation litigieuse (ci-dessus au point 2) et le jugement positif que la Cour des comptes a porté sur l'exécution du poste 2729 au cours des exercices 1978 et 1979.

Enfin, nous observerons que le moyen tiré de la violation du traité dans ses articles 85 et 86 ne mérite même pas d'être examiné. Le fait d'attribuer aux partis le privilège que l'article 173 réserve aux institutions communautaires et aux États membres constitue une thèse erronée, mais digne. Le fait de les assimiler à des entreprises commerciales ne traduit qu'une opinion extravagante.

11. 

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous concluons en proposant à la Cour:

a)

de déclarer irrecevable le recours introduit le 20 décembre 1983 par l'association « Les Verts — Parti écologiste » contre le Parlement européen, pour défaut des conditions que l'article 173, alinéa 2, du traité CEE requiert pour former le recours;

b)

de rejeter le recours comme non fondé dans l'hypothèse où la Cour le considérerait comme recevable.

La partie requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens.


( *1 ) Traduit de l'italien.