COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 27.4.2022
COM(2022) 177 final
2022/0117(COD)
Proposition de
DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public»)
{SWD(2022) 117 final}
EXPOSÉ DES MOTIFS
1.CONTEXTE DE LA PROPOSITION
•Justification et objectifs de la proposition
Les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives altérant le débat public (communément appelées aussi «poursuites stratégiques altérant le débat public» ou «poursuites-bâillons») sont un phénomène récent mais de plus en plus répandu dans l’Union européenne. Les poursuites-bâillons sont une forme particulièrement néfaste de harcèlement et d’intimidation utilisée contre les personnes qui œuvrent en faveur de la protection de l’intérêt public. Il s’agit de procédures judiciaires infondées ou exagérées généralement engagées par des personnes puissantes, des groupes de pression, des entreprises et des organes de l’État contre des parties qui expriment des critiques ou communiquent des messages dérangeants pour les requérants, sur une question d’intérêt public. Elles visent à censurer, à intimider et à faire taire les détracteurs en leur imposant le coût d’une défense en justice jusqu’à ce qu’ils renoncent à leurs critiques ou à leur opposition. Contrairement aux procédures régulières, les poursuites-bâillons ne sont pas engagées dans le but d’exercer le droit d’accès à la justice et d’obtenir gain de cause ou réparation. Il s’agit plutôt d’intimider les défendeurs et d’épuiser leurs ressources. Le but ultime est d’obtenir un effet paralysant, de réduire les défendeurs au silence et de les dissuader de poursuivre leur travail.
Généralement, les cibles des poursuites-bâillons sont les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Ce phénomène va au-delà des personnes individuelles et s’étend aux médias et aux maisons d’édition, ainsi qu’aux organisations de la société civile, telles celles qui militent pour l’environnement. D’autres participants au débat public, tels que les chercheurs et les universitaires, peuvent également en être la cible.
Dans une démocratie saine et prospère, les citoyens doivent pouvoir participer activement au débat public sans ingérence indue d’autorités publiques ou d’autres intérêts puissants. Afin de garantir un véritable débat, les citoyens doivent pouvoir accéder à des informations fiables, qui leur permettent de se forger leur propre opinion et d’exercer leur propre jugement dans un espace public où des points de vue différents peuvent être exprimés librement.
Les journalistes jouent un rôle essentiel dans la facilitation du débat public et dans la communication d’informations, d’opinions et d’idées. Ils doivent être en mesure d’exercer leurs activités de manière efficace afin de garantir l’accès des citoyens à une pluralité de points de vue dans les démocraties européennes. Les journalistes d’investigation jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre la criminalité organisée, la corruption et l’extrémisme. Un système solide de garanties est nécessaire pour leur permettre de remplir leur rôle crucial de «sentinelles» sur les questions d’intérêt public légitime. Leur travail comporte des risques particulièrement élevés et ils font de plus en plus souvent l’objet d’agressions et de harcèlement. Les défenseurs des droits de l’homme ont un rôle essentiel à jouer dans la défense des droits fondamentaux, des valeurs démocratiques, de l’inclusion sociale, de la protection de l’environnement et de l’état de droit. Ils devraient pouvoir participer activement à la vie publique et faire entendre leur voix sur les questions de politique générale et dans les processus décisionnels, sans crainte d’intimidation.
Le déséquilibre de pouvoir entre les parties, le requérant ayant une position plus forte que le défendeur - par exemple sur le plan financier ou politique — constitue souvent une caractéristique des poursuites-bâillons. Ce n’est certes pas toujours le cas, mais, lorsqu’il existe, un tel déséquilibre de pouvoir permet d’exploiter de manière significative le potentiel des poursuites-baillons, produisant des conséquences néfastes pour les cibles, avec un effet paralysant sur le débat public. Les poursuites-bâillons peuvent aussi avoir un effet dissuasif sur d’autres cibles potentielles, qui peuvent décider de ne pas faire valoir leur droit d’enquêter et de rendre compte des questions d’intérêt public. Elles peuvent conduire à l’autocensure.
Les poursuites-bâillons constituent un abus de procédures judiciaires et font peser une charge inutile sur les juridictions. Les entités et les personnes qui engagent de telles poursuites peuvent fonder leurs demandes en justice sur différents motifs. Les allégations ont souvent trait à la diffamation, mais aussi à la violation d’autres règles ou droits (par exemple, à la violation des législations sur la protection des données ou le respect de la vie privée). Elles sont souvent associées à des demandes de dommages-intérêts ou à des actions en responsabilité civile, voire à des injonctions (interdisant ou du moins retardant la publication).
L’importance du recours aux poursuites-bâillons dans certains États membres a été mise en évidence dans les rapports 2020 et 2021 sur l’état de droit et est jugée très préoccupante.
La plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes fait également état d’un nombre croissant d’alertes concernant des menaces graves à la sécurité des journalistes et à la liberté des médias en Europe, notamment de nombreux cas d’intimidation judiciaire. Le rapport annuel 2021 des organisations partenaires de la plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes souligne que les alertes relatives aux poursuites-bâillons ont sensiblement augmenté en 2020 par rapport à l’année précédente et que tant le nombre d’alertes que le nombre de juridictions saisies ont augmenté. Plus généralement, les informations recueillies dans le cadre de l’
instrument européen de surveillance du pluralisme des médias
montrent également une détérioration des conditions de travail des journalistes. En 2021, le projet intitulé «Media Freedom Rapid Response (MFRR)» a recensé 439 alertes (attaques contre 778 personnes ou entités liées aux médias) dans 24 États membres de l’Union en 12 mois, concernant notamment des poursuites-bâillons.
Si l’on dispose de davantage de données sur les menaces à l’encontre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, d’autres acteurs participant au débat public, tels que les militants syndicaux et les universitaires, sont confrontés à des problèmes similaires. Cela a été signalé dans un certain nombre de contributions de la société civile reçues lors de la consultation publique ouverte.
De nombreuses poursuites-bâillons s’inscrivent dans un contexte national et n’ont pas d’incidence transfrontière. Toutefois, les poursuites-bâillons ont souvent un caractère transfrontière et, lorsque leur incidence dépasse les frontières, elles sont encore plus complexes et coûteuses, avec des conséquences encore plus néfastes pour les défendeurs. Le fait que les contenus médiatiques en ligne soient accessibles depuis n’importe quel pays ou territoire peut ouvrir la voie à une course aux tribunaux et entraver l’accès effectif à la justice et à la coopération judiciaire. Les défendeurs peuvent faire l’objet de plusieurs procédures judiciaires en même temps et dans différentes juridictions. Le phénomène de course aux tribunaux (ou tourisme diffamatoire) est un facteur qui amplifie le problème et certaines juridictions sont considérées comme plus favorables aux requérants. L’effet est encore plus marqué lorsque les poursuites-bâillons sont engagées en dehors de l’Union européenne.
Objectif de la proposition
La présente proposition est l’une des actions du plan d’action pour la démocratie européenne qui vise à renforcer le pluralisme et la liberté des médias dans l’Union européenne. L’initiative concerne également les défenseurs des droits de l’homme, qui jouent un rôle essentiel dans nos démocraties et qui sont eux aussi de plus en plus exposés à ces formes abusives de harcèlement.
La proposition vise à protéger les cibles des poursuites-bâillons et à empêcher que le phénomène ne s’étende davantage dans l’Union. À l’heure actuelle, aucun État membre ne dispose de garanties spécifiques contre de telles procédures et seuls quelques-uns envisagent d’en introduire. Il n’existe pas non plus de règles à l’échelle de l’UE concernant les poursuites-bâillons. En développant, au niveau de l’UE, une compréhension commune de ce qui constitue une poursuite-bâillon et en introduisant des garanties procédurales, la proposition entend doter les juridictions de moyens efficaces pour traiter les poursuites-bâillons et donner aux cibles les moyens de se défendre.
Les garanties procédurales proposées s’appliquent aux affaires ayant une incidence transfrontière. Comme souligné ci-dessus, la dimension transfrontière des poursuites-bâillons ajoute à la complexité et aux défis auxquels sont confrontés les défendeurs. Protéger les citoyens de l’Union et la société civile contre les poursuites-bâillons engagées dans des pays tiers est un autre objectif de la proposition.
Recommandation de la Commission sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public»)
La présente proposition de directive et la recommandation de la Commission sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public»), qui seront adoptées en même temps, sont complémentaires et parfaitement cohérentes.
La recommandation invite les États membres à examiner leur situation nationale afin de s’assurer que leurs cadres juridiques applicables prévoient les garanties nécessaires pour traiter les poursuites-bâillons dans le plein respect des droits fondamentaux, notamment du droit à la liberté d’expression, du droit d’accès à la justice et du droit à la protection des données à caractère personnel, ainsi que des valeurs démocratiques. Les États membres sont également encouragés à inclure dans leur droit national des garanties pour les affaires nationales similaires à celles prévues dans les instruments de l’Union qui visent à traiter les procédures manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière. Il est recommandé aux États membres, entre autres, d’abolir les peines d’emprisonnement pour diffamation et de privilégier le recours au droit administratif ou civil plutôt qu’au droit pénal pour traiter ce type d’affaires, à condition que les dispositions applicables aient un effet moins punitif et que les règles administratives excluent toute forme de détention.
La recommandation porte également sur des aspects liés à la formation des professionnels du droit et des cibles potentielles afin d’améliorer leurs connaissances et leurs compétences et de leur permettre de lutter efficacement contre les poursuites-bâillons, à la sensibilisation visant notamment à donner aux journalistes et aux défenseurs des droits de l’homme les moyens de se rendre compte qu’ils font l’objet de poursuites-bâillons, au soutien aux cibles des poursuites-bâillons (par exemple, une assistance financière ou juridique) et à un suivi et une collecte de données plus systématiques.
•Cohérence avec les autres politiques de l’Union
Plan d’action pour la démocratie européenne
Le 3 décembre 2020, la Commission a publié un plan d’action pour la démocratie européenne, qui a annoncé une série de mesures visant à renforcer la liberté et le pluralisme des médias, notamment une initiative relative aux poursuites-bâillons et une recommandation sur la sécurité des journalistes mentionnée ci-dessous. Ce plan d’action est l’initiative-cadre visant à renforcer les moyens d’action des citoyens et à créer des démocraties plus résilientes dans toute l’Union.
Recommandation concernant la protection, la sécurité et le renforcement des moyens d’action des journalistes et autres professionnels des médias dans l’Union européenne
Comme souligné dans le plan d’action pour la démocratie européenne, les poursuites-bâillons s’accompagnent souvent de menaces à la sécurité physique des journalistes. Le 16 septembre 2021, la Commission a adopté une recommandation concernant la protection, la sécurité et le renforcement des moyens d’action des journalistes et autres professionnels des médias dans l’Union européenne.
La recommandation vise à garantir à tous les professionnels des médias des conditions de travail plus sûres, exemptes de peur et d’intimidation, que ce soit en ligne ou hors ligne. Elle recommande des mesures à l’intention des États membres pour améliorer la sécurité des journalistes. Elle préconise également la création de services de soutien nationaux indépendants, proposant notamment des lignes d’assistance, des conseils juridiques, un soutien psychologique et des solutions d’hébergement pour les journalistes et autres professionnels des médias confrontés à des menaces. Elle appelle également à une protection accrue des journalistes lors des manifestations, à une plus grande sécurité en ligne et à un soutien particulier aux femmes journalistes.
Stratégie visant à renforcer l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
La présente proposition complète et est parfaitement cohérente avec la stratégie visant à renforcer l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 2 décembre 2020. Cette stratégie souligne que les organisations de la société civile et les défenseurs des droits de l’homme sont essentiels pour une démocratie saine et une société où les citoyens peuvent jouir de leurs droits fondamentaux. Elle définit donc des actions visant, entre autres, à soutenir et à protéger les organisations de la société civile et les défenseurs des droits de l’homme. En particulier, la stratégie reconnaît que ces acteurs se heurtent à des difficultés dans certains États membres où ils sont notamment la cible de campagnes de dénigrement, d’agressions physiques et verbales, d’intimidation et de harcèlement, y compris dans le cadre de poursuites-bâillons.
Dans la stratégie, la Commission a invité les États membres à promouvoir un environnement favorable et sûr pour les organisations de la société civile et les défenseurs des droits de l’homme dans leur pays, y compris au niveau local.
La présente proposition représente une étape importante dans le renforcement des droits fondamentaux dans l’Union européenne et soutient l’un des objectifs de la stratégie.
Rapports sur l’état de droit
Les rapports 2020 et 2021 de la Commission sur l’état de droit fournissent des données factuelles sur l’émergence des poursuites-bâillons dans l’Union européenne. Les rapports soulignent que, dans un certain nombre d’États membres, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme sont de plus en plus souvent confrontés à des menaces et à des attaques, tant physiques qu’en ligne, liées à leurs publications et à leur travail, et cela sous différentes formes, notamment l’engagement de poursuites-bâillons.
Directive sur la protection des lanceurs d’alerte
La présente proposition ne porte pas atteinte à la protection déjà offerte par la directive sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union et est pleinement cohérente avec celle-ci. Protéger efficacement les lanceurs d’alerte contre les représailles est essentiel pour défendre l’intérêt public ainsi que pour préserver le rôle de «sentinelle» des médias dans les sociétés démocratiques, les lanceurs d’alerte étant souvent des sources importantes pour le journalisme d’investigation. La directive (UE) 2019/1937 offre une protection solide aux personnes qui communiquent des informations sur des violations du droit de l’Union contre toute forme de représailles, tant dans le contexte professionnel qu’en dehors, y compris les représailles au travers d’une action en diffamation, ou pour violation de la confidentialité et de la protection des données à caractère personnel. Dans les cas relevant à la fois de la présente directive et de la directive (UE) 2019/1937, la protection offerte par les deux actes devrait s’appliquer.
Plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’homme et de la démocratie 2020-2024
Le plan d’action contribue à la sécurité et à la protection des journalistes et des professionnels des médias partout dans le monde, notamment en œuvrant à la mise en place d’un environnement propice à la liberté d’expression et en condamnant les attaques et autres formes de harcèlement et d’intimidation, en ligne et hors ligne. Il s’attaque aux menaces spécifiques auxquelles sont confrontées les femmes journalistes, fait en sorte que les victimes de harcèlement, d’intimidations et de menaces reçoivent une assistance par l’intermédiaire des mécanismes de l’UE pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et soutient les initiatives des médias. Il enjoint aux autorités de l’État de prévenir et de condamner cette violence et de prendre des mesures efficaces pour mettre fin à l’impunité.
La protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme est un élément essentiel de l’action extérieure de l’UE en matière de droits de l’homme et de démocratie, conformément au plan d’action. La présente proposition est en synergie avec les efforts déployés par l’UE dans le monde dans ce domaine et donnera une nouvelle impulsion à un soutien ciblé supplémentaire en faveur des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme confrontés à des poursuites-bâillons.
Droits de l’homme: orientations de l’UE relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne
Les orientations précisent que l’UE luttera contre les attaques arbitraires, l’abus aveugle de procédures pénales et civiles, les campagnes de diffamation et les restrictions abusives imposées aux journalistes, aux acteurs des médias, aux ONG et aux personnes actives sur les médias sociaux afin d’empêcher ces associations et ces personnes d’exercer librement leur droit à la liberté d’expression.
Convention d’Aarhus
L’Union et ses États membres sont parties à la convention de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (la «convention d’Aarhus»), chacun ayant des responsabilités et des obligations propres et partagées au titre de cette convention. L’article 3, paragraphe 8, de la convention prévoit que chaque partie veille à ce que les personnes qui exercent leurs droits conformément aux dispositions de la convention ne soient en aucune façon pénalisées, persécutées ou soumises à des mesures vexatoires en raison de leur action. L’inclusion des défenseurs de l’environnement dans le champ d’application de la présente proposition contribue à la mise en œuvre de cette obligation internationale contractée par l’Union.
Communication relative à la lutte contre la criminalité environnementale
Dans sa communication adoptée le 15 décembre 2021, la Commission s’est engagée à ce qu’une proposition de législation contre les recours abusifs visant les journalistes et les défenseurs des droits couvre les défenseurs de l’environnement.
2.BASE JURIDIQUE, SUBSIDIARITÉ ET PROPORTIONNALITÉ
•Base juridique
La base juridique de la présente proposition est l’article 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui constitue la base juridique normale de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière. Plus précisément, la base juridique est l’article 81, paragraphe 2, point f), du TFUE, qui habilite le Parlement européen et le Conseil à adopter des mesures visant à garantir «l’élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres». Étant donné que les poursuites-bâillons constituent un obstacle au bon déroulement des procédures civiles, l’Union est compétente pour légiférer, sur cette base, sur les matières civiles ayant une incidence transfrontière. Les poursuites-bâillons constituent un abus de procédures civiles car leur objectif n’est pas d’accéder à la justice, mais de harceler les défendeurs et de les réduire au silence. Dans le même temps, les longues procédures créent des charges supplémentaires pour les systèmes de justice nationaux.
Les règles relatives aux décisions rendues dans un pays tiers figurant au chapitre V sont également fondées sur l’article 81, paragraphe 2, point f), car elles sont accessoires par rapport à la finalité principale de la présente proposition. Elles garantissent l’efficacité des règles de la présente proposition contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives visant la participation au débat public, en empêchant que de telles affaires soient portées devant les juridictions de pays tiers.
•Subsidiarité (en cas de compétence non exclusive)
Les poursuites-bâillons font leur apparition dans de nombreux États membres et deviennent un problème à l’échelle de l’Union. Dans le même temps, aucun État membre ne prévoit à l’heure actuelle de garanties spécifiques contre ce type de poursuites. Si, en fonction du droit national, certaines garanties générales existantes peuvent être utilisées contre les poursuites-bâillons, ces garanties générales varient considérablement d’un État membre à l’autre et leur efficacité en matière de lutte contre les poursuites-bâillons est limitée. En outre, les divergences existantes entre les droits procéduraux nationaux risquent d’accroître la course aux tribunaux et le nombre de procédures judiciaires multiples engagées dans différentes juridictions de l’Union. Les faits montrent que le droit procédural civil national n’est pas toujours bien équipé pour faire face aux complications supplémentaires qui découlent des procédures transfrontières. Compte tenu des divergences entre les droits nationaux, il est également très peu probable que les États membres agissant à titre individuel parviennent à lutter efficacement contre ce phénomène ou soient en mesure d’assurer la cohérence globale de ces règles dans l’ensemble des États membres pour garantir le même niveau de protection élevé dans toute l’Union.
Pour contrer ces risques et éviter d’accabler les juridictions nationales de procédures judiciaires abusives multiples et longues, il apparaît nécessaire de fixer des normes minimales et de garantir la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres contre les poursuites-bâillons. Une action au niveau de l’Union permet de lutter de manière cohérente contre l’émergence et la multiplication des poursuites-bâillons partout dans l’Union et de garantir la convergence des approches des États membres face à ce phénomène.
Une action au niveau de l’Union apporterait également une valeur ajoutée en proposant des garanties pour lutter efficacement contre les poursuites-bâillons engagées dans des pays tiers. Une action conjointe des États membres est également nécessaire pour lutter contre les poursuites-bâillons engagées dans des pays tiers, car les requérants pourraient sinon chercher à profiter de la divergence des systèmes des États membres et demander la reconnaissance et l’exécution de décisions rendues dans le cadre de telles poursuites-bâillons là où il est le plus facile de les obtenir.
La proposition respecte le principe de subsidiarité en ne prévoyant que des garanties ciblées et en limitant l’action législative à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre des objectifs que les États membres ne peuvent atteindre en agissant seuls.
•Proportionnalité
L’action au niveau de l’Union devrait être ciblée et limitée à ce qui est nécessaire pour garantir la cohérence de l’approche des États membres à l’égard des situations transfrontières. La proposition est conçue de manière à respecter le principe de proportionnalité. C’est la raison pour laquelle seules des garanties procédurales bien ciblées sont proposées. Elles sont conçues pour offrir uniquement ce qui est nécessaire pour garantir un meilleur fonctionnement des procédures civiles transfrontières en cas de poursuites-bâillons, lesquelles constituent une menace grave pour la démocratie européenne et l’état de droit.
La proportionnalité est également illustrée par le fait que bon nombre des éléments visant à lutter contre les poursuites-bâillons seront fournis sous la forme de mesures non législatives dans une recommandation et non par une action législative.
•Choix de l’instrument
L’instrument législatif retenu est une directive, qui prévoit des garanties procédurales contraignantes et cohérentes dans les États membres. Cela permettra d’éviter les divergences en matière de garanties qui existent actuellement entre les États membres et qui risquent de conduire à une course aux tribunaux transfrontière. Dans le même temps, le choix d’une directive permettra aux États membres d’adapter les garanties procédurales spécifiques à leur droit procédural civil national, lequel varie encore considérablement d’un État membre à l’autre.
La directive sera complétée par un instrument non législatif (une recommandation), ce qui permet de combiner efficacement l’action législative et non législative.
3.RÉSULTATS DES ÉVALUATIONS EX POST, DES CONSULTATIONS DES PARTIES INTÉRESSÉES ET DES ANALYSES D’IMPACT
•Consultation des parties intéressées
Lors des consultations des parties intéressées, des contributions et des commentaires ont été reçus d’un large éventail de parties intéressées de premier plan représentant des citoyens de l’Union et des ressortissants de pays tiers, des autorités nationales, des professionnels du droit tels que les juges, des universitaires, des instituts de recherche, des ONG et d’autres groupes d’intérêt concernés.
Les consultations ont notamment consisté en discussions techniques exploratoires en mars 2021 avec un nombre sélectionné de participants, dont quatre cibles de poursuites-bâillons qui ont accepté de partager leur expérience personnelle, ont fourni des informations utiles sur les poursuites-bâillons et ont contribué à la phase préparatoire.
Une consultation publique ouverte a permis de recueillir entre le 4 octobre 2021 et le 10 janvier 2022 les points de vue des citoyens, des journalistes, des États membres, des ONG, de la société civile, des juges, des professionnels du droit et d’autres parties intéressées sur les poursuites-bâillons et sur les mesures qui devraient être prises pour contrer ce phénomène dans l’Union européenne.
Une consultation ciblée des juges nationaux menée du 12 novembre 2021 au 10 janvier 2022 par l’intermédiaire du réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale a permis de recueillir des informations plus détaillées sur l’identification des poursuites-bâillons, les éventuelles lacunes procédurales, les recours déjà existants au niveau national (même s’ils ne sont pas spécifiques aux poursuites-bâillons), la sensibilisation des juges aux poursuites-bâillons et les besoins de formation de ces derniers.
Une réunion technique organisée avec des experts des États membres en octobre 2021 a permis de recueillir les points de vue des États membres (y compris ceux des organes et autorités indépendants des États membres) sur la nécessité d’une action contre les poursuites-bâillons au niveau de l’Union et la forme qu’une telle action devrait prendre, sur les recours juridictionnels (s’ils existent, qu’ils soient généraux ou spécifiques) et sur le type de soutien actuellement disponible au niveau national pour les cibles de poursuites-bâillons.
Un atelier organisé avec certaines parties intéressées en novembre 2021 a permis d’examiner la dimension des poursuites-bâillons, de collecter des informations, de discuter des solutions possibles et de les tester.
Les travaux préparatoires de la Commission ont tenu compte des éléments recueillis par le Parlement européen lors de la préparation de son rapport d’initiative sur la question, adopté à la fin de l’année 2021.
Les observations des parties intéressées, en particulier celles recueillies lors de la consultation publique ouverte et de la réunion des parties intéressées, ont fait apparaître un fort soutien en faveur d’une action, tant législative que non législative, à l’échelle de l’Union, contre les poursuites-bâillons. Les organisations agissant à l’échelle de l’Union européenne ont indiqué que les poursuites-bâillons étaient en hausse dans l’Union, y compris les procédures transfrontières. Les avis exprimés lors de la consultation publique ont également souligné l’importance de la formation et de la sensibilisation aux poursuites-bâillons, les avantages de la collecte de données et la nécessité d’un suivi approprié de ce type de poursuites.
Les observations recueillies lors de la consultation publique et de la réunion des parties intéressées ont également fourni des informations importantes sur le phénomène dans l’Union, lesquelles ont été prises en compte dans le document de travail des services de la Commission qui accompagne la présente proposition.
La plupart des États membres ont indiqué soutenir l’action de l’Union contre les poursuites-bâillons et ont souligné la nécessité de protéger la liberté d’expression et d’information et la liberté des médias, tout en préservant l’équilibre entre les mesures de protection contre les poursuites-bâillons et l’accès à la justice. Certains États membres ont souligné le manque de données prouvant que les poursuites-bâillons, notamment celles ayant une dimension transfrontière, constituent un phénomène préoccupant sur leur territoire.
La consultation ciblée des juges nationaux a révélé qu’il n’existait pas de définition légale d’une poursuite-bâillon ni de système de garanties spécifique aux poursuites-bâillons dans l’État membre des répondants, bien que certaines garanties générales existant au niveau national puissent en principe être utilisées dans le cas des poursuites-bâillons.
Le Parlement européen a adopté un rapport d’initiative sur les poursuites-bâillons le 11 novembre 2021, demandant à la Commission de présenter un train complet de mesures contre les poursuites-bâillons, y compris de nature législative.
La Commission a également commandé des études afin de mieux cerner le phénomène dans l’Union et d’établir une première cartographie de la situation dans les États membres. Cette première cartographie a permis de mieux comprendre les poursuites-bâillons et leurs facteurs. La deuxième étude consistait en une étude comparative plus approfondie évaluant en détail la situation actuelle dans les États membres.
•Obtention et utilisation d’expertise
Afin de préparer l’initiative relative aux poursuites-bâillons, la Commission a créé un groupe d’experts en 2021. Ce groupe était composé d’universitaires, de professionnels du droit et de représentants des médias et de la société civile. Le mandat du groupe était de fournir une expertise juridique sur les poursuites-bâillons, d’agir comme une plateforme au niveau de l’Union pour échanger les bonnes pratiques et les connaissances et, si possible, d’aider les cibles de poursuites-bâillons. Un sous-groupe législatif spécifique a été créé à l’automne 2021 au sein du groupe d’experts pour assister la Commission dans la préparation de la proposition législative.
•Document de travail des services de la Commission
La présente proposition est accompagnée d’un document de travail des services de la Commission qui présente sa raison d’être, ainsi que l’analyse et les données factuelles disponibles qui l’étayent. Il n’y a pas d’analyse d’impact accompagnant la proposition étant donné que cette dernière prévoit des garanties procédurales ciblées et ne générera pas de coûts quantifiables importants. En revanche, elle dotera les juridictions nationales de moyens plus adaptés pour mettre un terme aux tentatives d’utilisation abusive des procédures judiciaires et éviter les coûts qu’une telle utilisation abusive peut entraîner pour le système judiciaire. En outre, étant donné que les poursuites-bâillons mettent en péril les droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et la liberté d’information, il est crucial de prendre des mesures fortes et rapides pour empêcher que ce phénomène néfaste, qui est apparu assez récemment mais qui est de plus en plus présent, ne s’étende davantage dans l’Union.
•Droits fondamentaux
La proposition soutient la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les autres groupes cibles bénéficiant des garanties procédurales proposées jouent un rôle important dans les démocraties européennes, notamment dans la défense du débat public, des droits fondamentaux, des valeurs démocratiques, de l’inclusion sociale, de la protection de l’environnement et de l’état de droit. Dans le même temps, le droit procédural joue un rôle essentiel pour garantir le respect effectif des droits fondamentaux conformément à la charte.
Le droit à la liberté d’expression et d’information énoncé à l’article 11 de la charte comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un droit absolu, toute limitation de ce droit doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de ce droit et n’être adoptée que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui (article 52, paragraphe 1, de la charte).
Dans le même temps, la proposition veille à l’équilibre entre l’accès à la justice garanti par l’article 47 de la charte et les droits à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée garantis par les articles 7 et 8 de la charte, d’une part, et la protection de la liberté d’expression et d’information, d’autre part. Les garanties procédurales sont soigneusement ciblées et laissent aux juridictions un pouvoir d’appréciation suffisant dans chaque affaire pour maintenir l’équilibre délicat entre le rejet rapide des demandes en justice manifestement infondées et l’accès effectif à la justice.
4.INCIDENCE BUDGÉTAIRE
La présente proposition n’aura pas d’incidence sur le budget de l’Union européenne.
5.AUTRES ÉLÉMENTS
•Plans de mise en œuvre et modalités de suivi, d’évaluation et d’information
La mise en œuvre de la directive dans les États membres sera facilitée par la Commission, qui fournit une assistance en matière de transposition pour garantir une mise en œuvre harmonieuse dans les États membres, organise au moins un atelier consacré à la transposition et tient des réunions bilatérales, y compris à la demande des États membres. Les États membres seront également invités à notifier leurs mesures nationales de transposition.
Le fonctionnement de la directive sera réexaminé cinq ans après l’entrée en vigueur de celle-ci.
•Documents explicatifs (pour les directives)
La présente proposition ne nécessite pas de documents explicatifs spécifiques.
Explication détaillée de certaines dispositions de la proposition
La directive compte quatre parties principales distinctes: des règles communes concernant les garanties procédurales (chapitre II), le rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées (chapitre III), les recours contre les procédures judiciaires abusives (chapitre IV) et la protection contre les décisions rendues dans un pays tiers (chapitre V). Les dispositions des chapitres I et VI ont une portée horizontale.
Chapitre I Dispositions générales: ce chapitre contient des dispositions concernant l’objet et le champ d’application de l’instrument, quelques définitions et une disposition sur les cas dans lesquels une matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière aux fins de la directive.
L’article 1er indique l’objet, en précisant que les garanties spécifiques prévues par la directive sont destinées à lutter contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, engagées contre des personnes physiques ou morales en raison de leur participation au débat public, en particulier contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme.
L’article 2 définit le champ d’application matériel de la directive, laquelle s’applique aux matières de nature civile ou commerciale ayant une incidence transfrontière, quelle que soit la nature de la juridiction. Cela comprend les actions civiles engagées dans le cadre de procédures pénales, mais aussi les mesures provisoires et conservatoires, les actions reconventionnelles ou d’autres types particuliers de recours disponibles au titre d’autres instruments. Comme dans les autres instruments civils et commerciaux de l’Union, les matières fiscales, douanières ou administratives, ou la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique sont exclues du champ d’application. La notion d’actes commis dans l’exercice de la puissance publique («acta iure imperii») englobe les cas où sont mis en cause des fonctionnaires agissant au nom de l’État ainsi que la responsabilité de l’État, y compris lorsqu’il s’agit d’actes commis par des agents publics officiellement mandatés. Les autorités publiques ne devraient donc pas être considérées comme des cibles des poursuites-bâillons.
L’article 3 définit les notions de débat public, de question d’intérêt public et de procédures judiciaires abusives altérant le débat public.
Le débat public est défini au sens large et correspond à toute déclaration exprimée ou activité menée dans le cadre de:
1)l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information, comme la création, l’exposition, la publicité ou toute autre promotion de communications, publications ou œuvres journalistiques, politiques, scientifiques, universitaires, artistiques ou satiriques, ainsi que les actions préparatoires, de soutien ou d’assistance qui y sont directement liées;
2)l’exercice du droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, comme l’organisation d’activités de lobbying, de manifestations et de protestations ou la participation à de telles activités, ou de l’exercice du droit à une bonne administration et du droit à un recours effectif, telles que le dépôt de plaintes, de pétitions ou de recours administratifs et judiciaires et la participation à des audiences publiques, ainsi que les actions préparatoires, de soutien ou d’assistance qui y sont directement liées.
En outre, il couvre d’autres activités destinées à informer ou à influencer l’opinion publique ou à favoriser l’action du public, notamment les activités menées par une entité privée ou publique concernant une question d’intérêt public, telles que l’organisation de recherches, d’enquêtes, de campagnes ou d’autres actions collectives, ou la participation à de telles activités, ainsi que les actions préparatoires, de soutien ou d’assistance qui y sont directement liées. Les actions préparatoires consistent, par exemple, en la réalisation d’entretiens par un journaliste d’investigation ou un universitaire en vue de préparer une déclaration, ou la collecte d’informations par un défenseur de l’environnement. Il convient de couvrir les actions de soutien et d’assistance, car les requérants peuvent également engager des procédures judiciaires contre des acteurs qui fournissent les services de soutien ou d’assistance nécessaires, tels que des services de connexion internet ou d’impression, dans le but de restreindre indirectement la liberté d’expression de la cible réelle des poursuites-bâillons. Ces actions préparatoires, de soutien et d’assistance doivent avoir un lien direct et inhérent avec la déclaration ou l’activité en question.
Par ailleurs, le débat public ne devrait normalement pas couvrir les activités de publicité commerciale et de marketing (discours commercial).
La notion de question d’intérêt public est également définie au sens large comme se référant à toute question qui touche le public au point qu’il peut légitimement s’y intéresser, dans des domaines tels que la santé publique, la sécurité, l’environnement, le climat ou la jouissance des droits fondamentaux.
La définition de procédures judiciaires abusives altérant le débat public fait référence à des procédures judiciaires visant le débat public, qui sont totalement ou partiellement infondées et ont pour principal objectif d’empêcher, de restreindre ou de pénaliser le débat public.
Une liste non exhaustive précise les indicateurs les plus courants d’abus, tels que le caractère disproportionné, excessif ou déraisonnable de la demande en justice ou d’une partie de celle-ci, l’existence de procédures multiples engagées par le requérant ou des parties associées concernant des questions similaires ou de l’intimidation, du harcèlement ou des menaces de la part du requérant ou de ses représentants.
Les procédures judiciaires abusives impliquent souvent des manœuvres judiciaires utilisées de mauvaise foi, telles que des manœuvres dilatoires, des manœuvres visant à occasionner des frais disproportionnés pour le défendeur ou la course aux tribunaux. Ces manœuvres, qui sont utilisées par le requérant à d’autres fins que l’accès à la justice, sont souvent, même si ce n’est pas toujours le cas, combinées à diverses formes d’intimidation, de harcèlement ou de menaces avant ou pendant la procédure, dans le but d’entraver le débat public.
L’article 4 précise dans quel cas de figure une matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière.
Aux fins de la présente directive, une matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière, sauf si les deux parties sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie, ce qui indique que la matière est supposée être purement nationale.
Toutefois, même lorsque les deux parties à la procédure sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie, la matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière dans deux autres types de situations:
1)lorsque l’acte spécifique de participation au débat public concernant une question d’intérêt public en jeu a une incidence sur plus d’un État membre. Il s’agit, par exemple, de la participation au débat public dans le cadre d’événements organisés par les institutions de l’Union, comme la participation à des auditions publiques, ou de déclarations ou d’activités concernant des questions qui ont une incidence particulière sur plus d’un État membre, comme la pollution transfrontière ou les allégations de blanchiment de capitaux ayant une implication transfrontière potentielle;
2)lorsque le requérant ou des entités associées ont engagé, simultanément ou antérieurement, des procédures judiciaires contre le même défendeur ou des défendeurs associés dans un autre État membre;
3)ces deux types de situations prennent en compte le contexte particulier des poursuites-bâillons.
Chapitre II Règles communes concernant les garanties procédurales: ce chapitre contient des dispositions horizontales sur la demande de garanties procédurales, son contenu et d’autres caractéristiques procédurales.
En vertu de l’article 5, une demande peut être déposée pour différents types de garanties procédurales:
a)une garantie conformément à l’article 8,
b)un rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées, conformément au chapitre III;
c)des recours contre les procédures judiciaires abusives, conformément au chapitre IV.
Tandis que la description de la nature de la déclaration ou de l’activité en tant qu’acte de participation au débat public devrait être une condition de recevabilité, une description des preuves à l’appui devrait être considérée comme nécessaire, si aucune preuve n’a encore été fournie par le requérant principal ou n’est autrement mise à la disposition de la juridiction. Les États membres peuvent prévoir que les mêmes mesures peuvent être prises d’office par la juridiction saisie à tout stade de la procédure.
L’article 6 porte sur les modifications ultérieures des demandes en justice ou des actes de procédure par les requérants qui retirent ou modifient délibérément les demandes en justice ou les actes de procédure pour éviter l’adjudication des dépens à la partie ayant obtenu gain de cause. Cette stratégie juridique peut priver la juridiction du pouvoir de reconnaître le caractère abusif de la procédure judiciaire, laissant le défendeur sans possibilité d’être remboursé des frais de procédure. La disposition garantit que toute modification ultérieure des demandes en justice ou des actes de procédure par le requérant, y compris l’abandon de la procédure, ne porte pas atteinte à la possibilité, pour la juridiction saisie, de considérer la procédure judiciaire comme abusive et d’accorder le remboursement des frais, la réparation des dommages ou des sanctions.
L’article 7 prévoit que la juridiction saisie peut accepter que des organisations non gouvernementales qui assurent la protection ou la promotion des droits des personnes participant au débat public prennent part à la procédure, soit pour soutenir le défendeur, soit pour fournir des informations. Les États membres devraient définir les modalités procédurales d’intervention, y compris éventuellement les délais, conformément aux règles de procédure applicables à la juridiction saisie.
L’article 8 confère à la juridiction le pouvoir d’exiger du requérant qu’il fournisse une garantie pour les frais de procédure ou pour les frais de procédure et les dommages-intérêts, lorsqu’elle estime que, même si la demande en justice n’est pas manifestement infondée, il existe des éléments indiquant un abus de procédure et que les chances de succès dans la procédure au principal sont faibles.
Chapitre III Rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées: ce chapitre porte sur les modalités et les garanties procédurales pour accorder un rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées.
L’article 9 prévoit qu’un rejet rapide est accordé lorsque la demande en justice introduite contre le défendeur est, en tout ou en partie, manifestement infondée. Si la demande principale est rejetée ultérieurement au cours de la procédure ordinaire, le défendeur peut encore bénéficier d’autres recours contre les procédures judiciaires abusives, si des éléments d’abus sont alors reconnus.
L’article 10 prévoit que, si le défendeur a demandé un rejet rapide, la procédure au principal est suspendue jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise sur cette demande. La suspension de la procédure engagée par le requérant garantit la suspension de l’activité procédurale, ce qui réduit les coûts de procédure du défendeur. Pour éviter toute incidence sur l’accès effectif à la justice, la suspension devrait être temporaire et n’être maintenue que jusqu’à ce qu’une décision finale, qui n’est plus susceptible de contrôle juridictionnel, soit prise sur la demande.
L’article 11 prévoit que les demandes de rejet rapide soient traitées dans le cadre d’une procédure accélérée, en tenant compte des circonstances de l’espèce ainsi que du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial. Pour garantir la célérité de la procédure accélérée, les États membres peuvent fixer des délais pour la tenue des audiences ou pour que la juridiction statue. Ils peuvent également adopter des régimes semblables à des procédures relatives à des mesures provisoires.
L’article 12 introduit une règle spéciale concernant la charge de la preuve: si un défendeur a demandé un rejet rapide en démontrant que la déclaration ou l’activité constitue un acte de participation au débat public, c’est au requérant qu’il appartient de prouver que la demande en justice n’est pas manifestement infondée. Cela ne constitue pas une limitation de l’accès à la justice, puisque la charge de la preuve concernant cette demande en justice incombe au requérant et que ce dernier doit simplement démontrer que la demande n’est pas manifestement infondée afin d’éviter un rejet rapide.
L’article 13 prévoit qu’une décision d’accorder ou de refuser un rejet rapide devrait pouvoir faire l’objet d’un recours.
Chapitre IV Recours contre les procédures judiciaires abusives: ce chapitre contient des dispositions sur le remboursement des frais, la réparation des dommages et les sanctions.
L’article 14 prévoit qu’un requérant qui a engagé une procédure judiciaire abusive altérant le débat public peut être condamné à supporter tous les frais de procédure, y compris l’intégralité des frais de représentation en justice engagés par le défendeur, à moins que ces frais ne soient excessifs.
L’article 15 garantit que toute personne physique ou morale ayant subi un préjudice du fait d’une procédure judiciaire abusive altérant le débat public est en mesure de demander et d’obtenir réparation intégrale de ce préjudice. Cela concerne à la fois les préjudices matériels et immatériels. Les préjudices matériels comprennent par exemple les honoraires d’avocat, lorsqu’ils ne sont pas remboursables en tant que frais, les frais de voyage et les frais médicaux (par exemple pour un soutien psychologique) s’ils ont un lien de causalité avec la procédure judiciaire. Les frais préalables au procès devraient être considérés comme des préjudices matériels, si la législation nationale ne prévoit pas qu’ils soient inclus dans les frais. Les préjudices immatériels couvrent différentes formes d’atteintes physiques et/ou psychologiques. Il s’agit, par exemple, des douleurs et des souffrances ou de la détresse émotionnelle liée à la procédure judiciaire, de l’atteinte à la qualité de vie ou à la relation, de l’atteinte à la réputation et, en général, de tout type de préjudice non matériel.
L’article 16 prévoit la possibilité d’infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à la partie qui a engagé une procédure judiciaire abusive altérant le débat public. Le principal objectif de cette disposition est de dissuader les requérants potentiels d’engager de telles procédures. Le montant des sanctions sera versé aux États membres.
Chapitre V Protection contre les décisions rendues dans un pays tiers: ce chapitre prévoit des recours visant à protéger les défendeurs contre les procédures judiciaires abusives engagées devant les juridictions de pays tiers.
L’article 17 prévoit que les États membres veillent à ce que la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un pays tiers dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée en raison de la participation au débat public d’une personne physique ou morale domiciliée dans un État membre soient refusées comme étant manifestement contraires à l’ordre public dans le cas où cette procédure aurait été considérée comme manifestement infondée ou abusive si elle avait été portée devant les juridictions de l’État membre dans lequel la reconnaissance ou l’exécution est sollicitée et où ces juridictions auraient appliqué leur propre droit.
L’article 18 prévoit, à titre de recours supplémentaire contre une décision rendue dans un pays tiers, que, lorsqu’une procédure judiciaire abusive altérant le débat public a été engagée devant une juridiction d’un pays tiers contre une personne physique ou morale domiciliée dans un État membre, cette personne peut demander réparation de tous dommages et frais liés à la procédure devant la juridiction du pays tiers, quel que soit le domicile du requérant dans la procédure engagée dans le pays tiers. Cette disposition crée un nouveau chef de compétence spécial afin de garantir que les cibles de procédures judiciaires abusives domiciliées dans l’Union européenne disposent d’un recours efficace dans l’Union contre de telles procédures engagées devant une juridiction d’un pays tiers.
Chapitre VI Dispositions finales: ce chapitre contient des règles sur la relation entre la directive et la convention de Lugano de 2007, sur l’examen de l’application de la directive, sur la transposition en droit national, sur l’entrée en vigueur et sur les États membres en tant que destinataires.
2022/0117 (COD)
Proposition de
DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public»)
LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENNE,
vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment son article 81, paragraphe 2, point f),
vu la proposition de la Commission européenne,
après transmission du projet d’acte législatif aux parlements nationaux,
statuant conformément à la procédure législative ordinaire,
considérant ce qui suit:
(1)L’article 2 du traité sur l’Union européenne dispose que l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités.
(2)L’article 10, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne dispose que tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte») prévoit notamment le droit au respect de la vie privée et familiale (article 7), le droit à la protection des données à caractère personnel (article 8), le droit à la liberté d’expression et d’information, qui comprend le respect de la liberté et du pluralisme des médias (article 11), et le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial (article 47).
(3)Le droit à la liberté d’expression et d’information énoncé à l’article 11 de la charte comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Il convient de donner à l’article 11 de la charte le sens et la portée de l’article correspondant (article 10) de la convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la liberté d’expression, tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme.
(4)L’objectif de la présente directive est d’offrir aux personnes physiques et morales qui participent au débat public sur des questions d’intérêt public, en particulier les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, une protection contre les procédures judiciaires qui sont engagées à leur encontre en vue de les dissuader de participer au débat public (communément appelées «poursuites stratégiques altérant le débat public» ou «poursuites-bâillons»).
(5)Les journalistes jouent un rôle important dans la facilitation du débat public et dans la communication et la réception d’informations, d’opinions et d’idées. Il est essentiel qu’ils disposent de l’espace nécessaire pour contribuer à un débat ouvert, libre et équitable et pour lutter contre la désinformation, l’ingérence et la manipulation de l’information. Les journalistes devraient être en mesure d’exercer leurs activités de manière efficace afin de garantir l’accès des citoyens à une pluralité de points de vue dans les démocraties européennes.
(6)En particulier, les journalistes d’investigation jouent un rôle de premier plan dans la lutte contre la criminalité organisée, la corruption et l’extrémisme. Leur travail comporte des risques particulièrement élevés et ils font de plus en plus souvent l’objet d’agressions et de harcèlement. Un système solide de garanties est nécessaire pour leur permettre de remplir leur rôle crucial de «sentinelles» sur les questions d’intérêt public légitime.
(7)Les défenseurs des droits de l’homme jouent aussi un rôle important dans les démocraties européennes, notamment dans la défense des droits fondamentaux, des valeurs démocratiques, de l’inclusion sociale, de la protection de l’environnement et de l’état de droit. Ils devraient pouvoir participer activement à la vie publique et faire entendre leur voix sur les questions de politique générale et dans les processus décisionnels, sans crainte d’intimidation. Les défenseurs des droits de l’homme sont des particuliers ou des organisations engagés dans la défense des droits fondamentaux et de divers autres droits, tels que les droits environnementaux et climatiques, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ, les droits des personnes issues d’une minorité raciale ou ethnique, les droits des travailleurs ou les libertés religieuses. D’autres participants au débat public, tels que les universitaires et les chercheurs, méritent également une protection adéquate.
(8)Dans une démocratie saine et prospère, les citoyens doivent pouvoir participer activement au débat public sans ingérence indue d’autorités publiques ou d’autres intérêts puissants, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Afin de garantir un véritable débat, les citoyens devraient pouvoir accéder à des informations fiables, qui leur permettent de se forger leur propre opinion et d’exercer leur propre jugement dans un espace public où des points de vue différents peuvent être exprimés librement.
(9)Pour favoriser cet environnement, il est important de protéger les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme des procédures judiciaires altérant le débat public. Ces procédures judiciaires ne sont pas engagées pour accéder à la justice, mais pour réduire le débat public au silence en recourant généralement au harcèlement et à l’intimidation.
(10)Les poursuites-bâillons sont généralement engagées par des entités puissantes, par exemple des particuliers, des groupes de pression, des entreprises et des organes de l’État. Elles impliquent souvent un déséquilibre de pouvoir entre les parties, le requérant ayant une position financière ou politique plus forte que le défendeur. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une composante indispensable de ce type d’affaires, le déséquilibre de pouvoir, lorsqu’il existe, accroît considérablement les effets néfastes et les effets paralysants des procédures judiciaires altérant le débat public.
(11)Les procédures judiciaires altérant le débat public peuvent avoir une incidence négative sur la crédibilité et la réputation des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme et épuiser leurs ressources financières et autres. Elles peuvent retarder voire empêcher la publication d’informations sur une question d’intérêt public. La longueur des procédures et la pression financière peuvent avoir un effet paralysant sur les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. L’existence de telles pratiques peut donc avoir un effet dissuasif sur leur travail en contribuant à l’autocensure par anticipation d’éventuelles procédures judiciaires, ce qui conduit à l’appauvrissement du débat public au détriment de la société dans son ensemble.
(12)Les personnes visées par des procédures judiciaires altérant le débat public peuvent faire l’objet de plusieurs procédures simultanées, parfois engagées dans plusieurs juridictions. Les procédures engagées dans la juridiction d’un État membre contre une personne résidant dans un autre État membre sont généralement plus complexes et plus coûteuses pour le défendeur. Les requérants dans les procédures judiciaires altérant le débat public peuvent également recourir à des outils procéduraux pour allonger la durée et augmenter le coût du litige, et porter des affaires devant une juridiction qu’ils considèrent comme favorable à leur cause, plutôt que devant la juridiction la mieux placée pour connaître de la demande en justice. Ces pratiques font également peser des charges inutiles et néfastes sur les systèmes judiciaires nationaux.
(13)Les garanties prévues par la présente directive devraient s’appliquer à toute personne physique ou morale eu égard à sa participation au débat public. Elles devraient également protéger les personnes physiques ou morales qui, à titre professionnel ou personnel, soutiennent ou assistent une autre personne ou lui fournissent des biens ou des services à des fins directement liées au débat public sur une question d’intérêt public. Il s’agit par exemple de fournisseurs d’accès à l’internet, de maisons d’édition ou d’imprimeries, qui font l’objet ou sont menacés de poursuites judiciaires pour avoir fourni des services à la personne visée par des procédures judiciaires.
(14)La présente directive devrait s’appliquer à tout type de demande ou d’action en justice de nature civile ou commerciale ayant une incidence transfrontière, quelle que soit la nature de la juridiction. Cela comprend les actions civiles engagées dans le cadre de procédures pénales, mais aussi les mesures provisoires et conservatoires, les actions reconventionnelles ou d’autres types particuliers de recours disponibles au titre d’autres instruments.
(15)La directive ne s’applique pas aux actions fondées sur la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique («acta iure imperii»), ni aux cas où sont mis en cause des fonctionnaires agissant au nom de l’État ainsi que la responsabilité de l’État, y compris lorsqu’il s’agit d’actes commis par des agents publics officiellement mandatés.
(16)Par débat public, il faut entendre toute déclaration exprimée ou activité menée par une personne physique ou morale dans l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information sur une question d’intérêt public, comme la création, l’exposition, la publicité ou toute autre promotion de communications, publications ou œuvres journalistiques, politiques, scientifiques, universitaires, artistiques ou satiriques, ainsi que les actions préparatoires qui y sont directement liées. Il peut s’agir également d’activités liées à l’exercice du droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, comme l’organisation d’activités de lobbying, de manifestations et de protestations ou la participation à de telles activités, ou d’activités résultant de l’exercice du droit à une bonne administration et du droit à un recours effectif, telles que le dépôt de plaintes, de pétitions ou de recours administratifs et judiciaires et la participation à des audiences publiques. Le débat public devrait également inclure les actions préparatoires, de soutien ou d’assistance qui ont un lien direct et inhérent avec la déclaration ou l’activité en question et qui sont ciblées en vue d’entraver le débat public. En outre, il peut couvrir d’autres activités destinées à informer ou à influencer l’opinion publique ou à favoriser l’action du public, notamment les activités menées par une entité privée ou publique concernant une question d’intérêt public, telles que l’organisation de recherches, d’enquêtes, de campagnes ou d’autres actions collectives, ou la participation à de telles activités.
(17)Le débat public ne devrait normalement pas couvrir les activités de publicité commerciale et de marketing, qui ne sont généralement pas réalisées dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression et d’information.
(18)La notion de question d’intérêt public devrait également inclure la qualité, la sécurité ou d’autres aspects pertinents des biens, des produits ou des services lorsque ces questions concernent la santé publique, la sécurité, l’environnement, le climat ou la jouissance des droits fondamentaux. Un contentieux purement individuel entre un consommateur et un fabricant ou un prestataire de services concernant un bien, un produit ou un service ne devrait être couvert que lorsque l’affaire présente un élément d’intérêt public, parce qu’elle concerne, par exemple, un produit ou un service qui ne respecte pas les normes environnementales ou de sécurité.
(19)Les activités d’une personne ou d’une entité en vue ou d’intérêt public sont également des questions d’intérêt public auxquelles le public peut légitimement s’intéresser. Toutefois, il n’y a pas d’intérêt légitime lorsque le seul but d’une déclaration ou d’une activité concernant une telle personne ou entité est de satisfaire la curiosité d’un public particulier à l’égard des détails de la vie privée d’une personne.
(20)Les procédures judiciaires abusives impliquent généralement des manœuvres judiciaires utilisées de mauvaise foi, telles que des manœuvres dilatoires, des manœuvres visant à occasionner des frais disproportionnés pour le défendeur ou la course aux tribunaux. Ces manœuvres sont utilisées par le requérant à d’autres fins que l’accès à la justice. Elles sont souvent, même si ce n’est pas toujours le cas, combinées à diverses formes d’intimidation, de harcèlement ou de menaces.
(21)La dimension transfrontière des poursuites-bâillons ajoute à la complexité et aux défis auxquels sont confrontés les défendeurs, car ils doivent faire face à des procédures engagées dans d’autres juridictions, parfois dans plusieurs juridictions en même temps. Il en résulte des frais et des charges supplémentaires aux conséquences encore plus néfastes.
(22)Une matière devrait être considérée comme ayant une incidence transfrontière, sauf si les deux parties sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie. Même lorsque les deux parties à la procédure sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie, la matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière dans deux autres types de situations. La première situation est celle où l’acte spécifique de participation au débat public concernant une question d’intérêt public en jeu a une incidence sur plus d’un État membre. Il s’agit, par exemple, de la participation au débat public dans le cadre d’événements organisés par les institutions de l’Union, comme la participation à des auditions publiques, ou de déclarations ou d’activités concernant des questions qui ont une incidence particulière sur plus d’un État membre, comme la pollution transfrontière ou les allégations de blanchiment de capitaux ayant une implication transfrontière potentielle. La deuxième situation dans laquelle une matière devrait être considérée comme ayant une incidence transfrontière est celle où le requérant ou des entités associées ont engagé, simultanément ou antérieurement, des procédures judiciaires contre le même défendeur ou des défendeurs associés dans un autre État membre. Ces deux types de situations prennent en compte le contexte particulier des poursuites-bâillons.
(23)Les défendeurs devraient pouvoir demander les garanties procédurales suivantes: une garantie pour couvrir les frais de procédure, ou les frais de procédure et les dommages-intérêts, le rejet rapide d’une procédure judiciaire manifestement infondée, des recours contre les procédures judiciaires abusives (remboursement des frais, réparation des dommages et sanctions), ou tous ces éléments à la fois.
(24)Dans certaines procédures judiciaires abusives altérant le débat public, les requérants retirent ou modifient délibérément les demandes en justice ou les actes de procédure pour éviter l’adjudication des dépens à la partie ayant obtenu gain de cause. Cette stratégie juridique peut priver la juridiction du pouvoir de reconnaître le caractère abusif de la procédure judiciaire, laissant le défendeur sans possibilité d’être remboursé des frais de procédure. Ces retraits ou modifications ne devraient donc pas porter atteinte à la possibilité, pour les juridictions saisies, d’imposer des mesures correctrices contre les procédures judiciaires abusives.
(25)Si la demande principale est rejetée ultérieurement au cours de la procédure ordinaire, le défendeur peut encore bénéficier d’autres recours contre les procédures judiciaires abusives, tels que le remboursement des frais et la réparation des dommages.
(26)Pour donner au défendeur une garantie supplémentaire, il devrait être possible de lui accorder une garantie pour couvrir les frais de procédure et/ou les dommages-intérêts, lorsque la juridiction estime que, même si la demande en justice n’est pas manifestement infondée, il existe des éléments indiquant un abus de procédure et que les chances de succès dans la procédure au principal sont faibles. L’octroi d’une garantie n’implique pas de décision sur le fond, mais sert de mesure conservatoire pour garantir les effets d’une décision finale constatant un abus de procédure. C’est aux États membres qu’il devrait appartenir de décider si une garantie doit être ordonnée d’office ou sur demande du défendeur par la juridiction saisie.
(27)La suspension de la procédure, lorsqu’une demande de rejet rapide a été déposée, garantit la suspension de l’activité procédurale, ce qui réduit les coûts de procédure du défendeur.
(28)Pour éviter toute incidence sur l’accès à un recours effectif, la suspension devrait être temporaire et n’être maintenue que jusqu’à ce qu’une décision finale sur la demande de rejet rapide soit prise. Une décision finale est une décision qui n’est plus susceptible de contrôle juridictionnel.
(29)Pour garantir la célérité de la procédure accélérée concernant une demande de rejet rapide, les États membres peuvent fixer des délais pour la tenue des audiences ou pour que la juridiction statue. Ils peuvent également adopter des régimes semblables à des procédures relatives à des mesures provisoires. Les États membres devraient s’attacher à faire en sorte que, lorsque le défendeur a demandé d’autres garanties procédurales, la décision soit également prise dans les meilleurs délais. À des fins de célérité, les États membres pourraient tenir compte, entre autres, du fait que le requérant a engagé ou non des procédures multiples ou concertées dans des affaires similaires et de l’existence ou non de tentatives d’intimidation, de harcèlement ou de menaces à l’encontre du défendeur.
(30)Si un défendeur a demandé un rejet rapide, il devrait appartenir au requérant au principal de prouver, dans le cadre de la procédure accélérée, que la demande en justice n’est pas manifestement infondée. Cela ne constitue pas une limitation de l’accès à la justice, puisque la charge de la preuve concernant cette demande en justice incombe au requérant et que ce dernier doit simplement démontrer que la demande n’est pas manifestement infondée afin d’éviter un rejet rapide.
(31)Les frais devraient inclure tous les frais de la procédure, y compris l’intégralité des frais de représentation en justice engagés par le défendeur, à moins que ces frais ne soient excessifs. Les frais de représentation en justice dépassant les montants fixés dans les tableaux d’honoraires légaux ne devraient pas être considérés comme excessifs en soi. La réparation intégrale du préjudice devrait inclure les préjudices matériels et immatériels, tels que les atteintes physiques et psychologiques.
(32)Le fait de donner aux juridictions la possibilité d’infliger des sanctions a pour principal objectif de dissuader les requérants potentiels d’engager des procédures judiciaires abusives altérant le débat public. Ces sanctions devraient être proportionnées aux éléments d’abus constatés. Lors de l’établissement des montants des sanctions, les juridictions devraient tenir compte de l’éventualité d’un effet néfaste ou paralysant de la procédure sur le débat public, au vu, notamment, de la nature de la demande en justice, du fait que le requérant a engagé ou non des procédures multiples ou concertées dans des affaires similaires et de l’existence ou non de tentatives d’intimidation, de harcèlement ou de menaces à l’encontre du défendeur.
(33)Dans le contexte transfrontière, il est également important de reconnaître la menace que représentent les poursuites-bâillons engagées dans des pays tiers contre des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et d’autres participants au débat public domiciliés dans l’Union européenne. Ces procédures peuvent donner lieu à des dommages-intérêts excessifs imposés à des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et d’autres personnes de l’Union. Les procédures judiciaires engagées dans des pays tiers sont plus complexes et plus coûteuses pour les cibles. Afin de protéger la démocratie et la liberté d’expression et d’information dans l’Union européenne et d’éviter que l’efficacité des garanties prévues par la présente directive ne soit compromise par des procédures judiciaires engagées dans d’autres juridictions, il est important de prévoir une protection également contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives engagées dans les pays tiers.
(34)La présente directive crée un nouveau chef de compétence spécial afin de garantir que les cibles des poursuites-bâillons domiciliées dans l’Union européenne disposent d’un recours efficace dans l’Union contre de telles procédures engagées devant une juridiction d’un pays tiers. Ce chef de compétence spécial permet aux cibles domiciliées dans l’Union européenne de demander, devant les juridictions de leur domicile, réparation de tous dommages et frais liés à la procédure devant la juridiction du pays tiers. Ce droit s’applique quel que soit le domicile du requérant dans la procédure engagée dans le pays tiers.
(35)La présente directive devrait être sans préjudice de la protection que d’autres instruments du droit de l’Union ou du droit national offrent aux personnes physiques et morales qui participent au débat public. En particulier, elle ne porte aucunement atteinte à la protection offerte par la directive (UE) 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, telle que mise en œuvre dans le droit national. En ce qui concerne les situations tombant sous le coup de la présente directive et de la directive (UE) 2019/1937, la protection offerte par les deux actes devrait donc s’appliquer.
(36)La présente directive complète la recommandation de la Commission sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public»). Cette recommandation s’adresse aux États membres et présente une panoplie complète de mesures comprenant des formations, des activités de sensibilisation, des mesures de soutien aux cibles de procédures judiciaires abusives, ainsi que la collecte de données, l’établissement de rapports et le suivi des procédures judiciaires altérant le débat public.
(37)Conformément aux articles 1er et 2 du protocole nº 22 sur la position du Danemark annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Danemark ne participe pas à l’adoption de la présente directive et n’est pas lié par celle-ci ni soumis à son application.
(38)[Conformément à l’article 1er, à l’article 2 et à l’article 4 bis, paragraphe 1, du protocole nº 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et sans préjudice de l’article 4 dudit protocole, l’Irlande ne participe pas à l’adoption de la présente directive et n’est pas liée par celle-ci ni soumise à son application,] OU
(39)[Conformément à l’article 3 et à l’article 4 bis, paragraphe 1, du protocole nº 21 sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Irlande a notifié [, par lettre du …,] son souhait de participer à l’adoption et à l’application de la présente directive,]
ONT ADOPTÉ LA PRÉSENTE DIRECTIVE:
CHAPITRE PREMIER
Dispositions générales
Article premier
Objet
La présente directive prévoit des garanties contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière engagées contre des personnes physiques et morales, en particulier des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, en raison de leur participation au débat public.
Article 2
Champ d’application
La présente directive s’applique aux matières de nature civile ou commerciale ayant une incidence transfrontière, quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne couvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique («acta jure imperii»).
Article 3
Définitions
Aux fins de la présente directive, on entend par:
1.«débat public»: toute déclaration exprimée ou activité menée par une personne physique ou morale dans l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information sur une question d’intérêt public, ainsi que les actions préparatoires, de soutien ou d’assistance qui y sont directement liées. Cela inclut les plaintes, les pétitions, les recours administratifs ou judiciaires et la participation à des audiences publiques;
2.«question d’intérêt public»: toute question qui touche le public au point qu’il peut légitimement s’y intéresser, dans des domaines tels que:
(a)la santé publique, la sécurité, l’environnement, le climat ou la jouissance des droits fondamentaux;
(b)les activités d’une personne ou d’une entité en vue ou d’intérêt public;
(c)les questions faisant l’objet d’un traitement public ou d’un examen par un organe législatif, exécutif ou judiciaire, ou toute autre procédure officielle publique;
(d)les allégations de corruption, de fraude ou de criminalité;
(e)les activités visant à lutter contre la désinformation;
3.«procédures judiciaires abusives altérant le débat public»: des procédures judiciaires visant le débat public, qui sont totalement ou partiellement infondées et ont pour principal objectif d’empêcher, de restreindre ou de pénaliser le débat public. Les indications d’une telle finalité peuvent être:
(a)le caractère disproportionné, excessif ou déraisonnable de la demande en justice ou d’une partie de celle-ci;
(b)l’existence de procédures multiples engagées par le requérant ou des parties associées concernant des questions similaires;
(c)de l’intimidation, du harcèlement ou des menaces de la part du requérant ou de ses représentants.
Article 4
Matières ayant une incidence transfrontière
1.Aux fins de la présente directive, une matière est considérée comme ayant une incidence transfrontière, sauf si les deux parties sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie.
2.Lorsque les deux parties à la procédure sont domiciliées dans le même État membre que la juridiction saisie, la matière est également considérée comme ayant une incidence transfrontière si:
(a)l’acte de participation au débat public concernant une question d’intérêt public contre lequel une procédure judiciaire est engagée a une incidence sur plus d’un État membre, ou
(b)le requérant ou des entités associées ont engagé, simultanément ou antérieurement, des procédures judiciaires contre le même défendeur ou des défendeurs associés dans un autre État membre.
CHAPITRE II
Règles communes concernant les garanties procédurales
Article 5
Demandes de garanties procédurales
1.Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une procédure judiciaire est engagée contre des personnes physiques ou morales en raison de leur participation au débat public, ces personnes puissent demander:
(a)une garantie conformément à l’article 8;
(b)un rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées, conformément au chapitre III;
(c)des recours contre les procédures judiciaires abusives, conformément au chapitre IV.
2.De telles demandes incluent:
(a)une description des éléments sur lesquels elles sont fondées;
(b)une description des preuves à l’appui.
3.Les États membres peuvent prévoir que les mesures relatives aux garanties procédurales conformes aux chapitres III et IV peuvent être prises d’office par la juridiction saisie.
Article 6
Modification ultérieure des demandes en justice ou des actes de procédure
Les États membres veillent à ce que toute modification ultérieure des demandes en justice ou des actes de procédure par le requérant au principal, y compris l’abandon de la procédure, ne porte pas atteinte à la possibilité, pour la juridiction saisie, de considérer la procédure judiciaire comme étant abusive et d’imposer des mesures correctrices conformément au chapitre IV.
Article 7
Intervention d’un tiers
Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la juridiction saisie d’une procédure judiciaire altérant le débat public puisse accepter que des organisations non gouvernementales qui assurent la protection ou la promotion des droits des personnes participant au débat public prennent part à la procédure, soit pour soutenir le défendeur, soit pour fournir des informations.
Article 8
Garantie
Les États membres veillent à ce que, dans le cadre d’une procédure judiciaire altérant le débat public, la juridiction saisie ait le pouvoir d’obliger le requérant à fournir une garantie pour les frais de procédure, ou pour les frais de procédure et les dommages-intérêts, si elle estime qu’une telle garantie est appropriée compte tenu de la présence d’éléments indiquant une procédure judiciaire abusive.
CHAPITRE III
Rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées
Article 9
Rejet rapide
1.Les États membres habilitent les juridictions à adopter une décision rapide de rejet, total ou partiel, des procédures judiciaires altérant le débat public comme étant manifestement infondées.
2.Les États membres peuvent fixer des délais pour l’exercice du droit de déposer une demande de rejet rapide. Les délais prévus sont proportionnés et ne rendent pas cet exercice impossible ou excessivement difficile.
Article 10
Suspension de la procédure au principal
Les États membres veillent à ce que, si le défendeur a demandé un rejet rapide, la procédure au principal soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise sur cette demande.
Article 11
Procédure accélérée
Les États membres veillent à ce que les demandes de rejet rapide soient traitées dans le cadre d’une procédure accélérée, en tenant compte des circonstances de l’espèce et du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.
Article 12
Charge de la preuve
Les États membres garantissent que, si le défendeur a demandé un rejet rapide, il incombe au requérant de prouver que sa demande en justice n’est pas manifestement infondée.
Article 13
Recours
Les États membres veillent à ce que la décision d’accorder ou de refuser un rejet rapide en vertu de l’article 9 soit susceptible de recours.
CHAPITRE IV
Recours contre les procédures judiciaires abusives
Article 14
Adjudication des dépens
Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’un requérant qui a engagé une procédure judiciaire abusive altérant le débat public puisse être condamné à supporter tous les frais de procédure, y compris l’intégralité des frais de représentation en justice engagés par le défendeur, à moins que ces frais ne soient excessifs.
Article 15
Réparation des dommages
Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’une personne physique ou morale ayant subi un préjudice du fait d’une procédure judiciaire abusive altérant le débat public soit en mesure de demander et d’obtenir réparation intégrale de ce préjudice.
Article 16
Sanctions
Les États membres prévoient que les juridictions saisies de procédures judiciaires abusives altérant le débat public aient la possibilité d’infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à la partie qui a engagé ces procédures.
CHAPITRE V
Protection contre les décisions rendues dans un pays tiers
Article 17
Motifs de refus de la reconnaissance et de l’exécution d’une décision rendue dans un pays tiers
Les États membres veillent à ce que la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un pays tiers dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée en raison de la participation au débat public d’une personne physique ou morale domiciliée dans un État membre soient refusées comme étant manifestement contraires à l’ordre public dans le cas où cette procédure aurait été considérée comme manifestement infondée ou abusive si elle avait été portée devant les juridictions de l’État membre dans lequel la reconnaissance ou l’exécution est sollicitée et où ces juridictions auraient appliqué leur propre droit.
Article 18
Compétence pour les actions contre les décisions rendues dans un pays tiers
Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une procédure judiciaire abusive visant la participation au débat public a été engagée devant une juridiction d’un pays tiers contre une personne physique ou morale domiciliée dans un État membre, cette personne puisse demander, devant les juridictions du lieu où elle est domiciliée, réparation de tous dommages et frais liés à la procédure devant la juridiction du pays tiers, quel que soit le domicile du requérant dans la procédure engagée dans le pays tiers.
CHAPITRE VI
Dispositions finales
Article 19
Relations avec la convention de Lugano de 2007
La présente directive n’a pas d’incidence sur l’application de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007.
Article 20
Réexamen
Les États membres communiquent à la Commission toutes les informations utiles concernant l’application de la présente directive avant le [cinq ans après la date de transposition]. Sur la base des informations communiquées, la Commission présente, au plus tard le [six ans après la date de transposition], un rapport au Parlement européen et au Conseil concernant l’application de la présente directive. Ce rapport évalue l’évolution des procédures judiciaires abusives altérant le débat public et l’incidence de la présente directive dans les États membres. Il est accompagné, si nécessaire, de propositions visant à modifier la présente directive.
Article 21
Transposition en droit national
1.Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le [deux ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive]. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions.
Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.
2.Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine couvert par la présente directive.
Article 22
Entrée en vigueur
La présente directive entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.
Article 23
Destinataires
Les États membres sont destinataires de la présente décision.
Fait à Bruxelles, le
Par le Parlement européen
Par le Conseil
La présidente
Le président