COMMISSION EUROPÉENNE
Bruxelles, le 28.11.2018
COM(2018) 773 final
COMMUNICATION DE LA COMMISSION
Une planète propre pour tous
Une vision européenne stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat
1.Introduction - L’urgence de sauver la planète
Le changement climatique est un sujet de préoccupation majeur pour les Européens. Les changements qui affectent le climat de notre planète sont en train de redessiner le monde et d’accroître les risques d’instabilité sous toutes ses formes. 18 des années les plus chaudes jamais enregistrées l’ont été au cours des deux dernières décennies. La tendance est claire. Une
action pour le climat
immédiate et décisive est essentielle.
Les effets du réchauffement planétaire sont en train de transformer notre environnement et augmentent la fréquence et l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes. L’Europe a connu des vagues de chaleur extrêmes au cours de quatre des cinq dernières années. L’été dernier, les températures au-dessus du cercle arctique étaient de 5 °C. Ces dernières années, de vastes régions d’Europe ont connu des sécheresses sévères, pendant que l’Europe centrale et orientale subissait des inondations. Les événements extrêmes liés au climat tels que les incendies de forêt, les inondations brutales, les typhons et les ouragans provoquent également des dommages considérables et font un grand nombre de victimes. Ce fut notamment le cas en 2017 lorsque les ouragans Irma et Maria ont frappé les Caraïbes, dont plusieurs régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Le continent européen n’est désormais plus épargné, comme l’ont montré la tempête Ophelia en 2017, premier ouragan majeur dans l’Atlantique Est à avoir jamais touché l’Irlande, et la tempête Leslie, qui a apporté son lot de destruction au Portugal et à l'Espagne en 2018.
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en octobre 2018 son rapport spécial sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Sur la base de preuves scientifiques, celui-ci démontre que le réchauffement de la planète induit par l’activité humaine a déjà atteint 1 °C par rapport aux niveaux préindustriels et qu'il croît d’environ 0,2 % par décennie. En l’absence d’un renforcement de l’action internationale en faveur du climat, la hausse de la température moyenne mondiale pourrait atteindre 2 °C.
Si l’on ne fait rien pour contrecarrer une telle évolution du climat, la Terre pourrait devenir une étuve, ce qui rendrait plus probable la survenue d’effets climatiques irréversibles à grande échelle. Le rapport du GIEC confirme qu’environ 4 % des terres de la planète devraient connaître une transformation des écosystèmes d’un type vers un autre dans le cas d’un réchauffement climatique de 1 ºC, pourcentage qui passerait à 13 % dans le cas d’un réchauffement de 2 ºC. Par exemple, les projections indiquent que 99 % des récifs coralliens dans le monde devraient disparaître avec une augmentation de 2 °C de la température. Une perte irréversible de la calotte glaciaire du Groenland pourrait être déclenchée entre environ 1,5 °C et 2 °C d’augmentation de la température mondiale. Il en résulterait une hausse du niveau de la mer pouvant aller jusqu’à 7 mètres, qui affecterait directement les régions côtières dans le monde entier, y compris les terres et les îles de faible altitude en Europe. La fonte rapide de la banquise arctique durant les mois d’été est déjà en cours, ce qui a des répercussions négatives sur la biodiversité dans la région nordique et sur les moyens de subsistance de la population locale.
Laisser le changement climatique continuer sur sa lancée actuelle aurait également de graves conséquences sur la productivité de l’économie européenne, les infrastructures, la capacité à produire de la nourriture, la santé publique, la biodiversité et la stabilité politique. L’an dernier, les catastrophes liées à des phénomènes météorologiques ont atteint le niveau record de 283 milliards d’EUR en dommages économiques et elles pourraient toucher environ deux tiers de la population européenne d'ici 2100, comparé à 5 % aujourd'hui. À titre d’illustration, les dommages annuels causés par les inondations dues aux crues en Europe pourraient atteindre 112 milliards d’EUR, alors qu'ils s’élèvent à 5 milliards d'EUR aujourd'hui. 16 % de la zone climatique méditerranéenne actuelle pourrait devenir aride d’ici la fin du siècle et, dans plusieurs pays du sud de l’Europe, la productivité de la main-d’œuvre travaillant à l’extérieur pourrait baisser d’environ 10 à 15 % par rapport aux niveaux actuels. On estime également que la disponibilité de denrées alimentaires telle qu'elle est établie dans les projections sera réduite de manière plus significative en cas de hausse de la température mondiale de 2 ºC plutôt que de 1,5 °C, notamment dans des régions qui revêtent une importance capitale pour la sécurité de l’Union comme l’Afrique du Nord et le reste de la Méditerranée. Cela pourrait nuire à la sécurité et à la prospérité au sens large, mettre en péril les systèmes économiques, alimentaires, énergétiques et d’approvisionnement en eau et, par ricochet, déclencher de nouveaux conflits et de nouvelles pressions migratoires. D’une manière générale, si l'on n'agit pas pour le climat, il sera impossible d’assurer le développement durable de l’Europe et d’atteindre les objectifs de développement durable convenus à l’échelle mondiale dans le cadre des Nations unies.
Figure 1: Les effets du changement climatique en Europe
2.Une vision européenne pour une économie moderne, compétitive, prospère et neutre pour le climat
Le but de cette stratégie à long terme est de confirmer l’engagement de l’Europe à mener l’action mondiale pour le climat et de présenter une vision permettant de parvenir à un niveau zéro d’émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 à l’issue d’une transition qui soit socialement juste et économiquement viable. Elle met en avant les possibilités qu'offre cette transformation pour l’économie et les citoyens européens, tout en dressant la liste des défis qu’il faudra relever pour la mener à bien. La stratégie proposée n’a pas vocation à lancer de nouvelles politiques et la Commission européenne n’a pas non plus l'intention de réviser les objectifs déjà fixés pour 2030. L’objectif est de fixer le cap de la politique climatique et énergétique de l’Union et d’établir ce que l’UE considère comme sa contribution à long terme à la réalisation des objectifs de température fixés dans l’accord de Paris, en conformité avec les objectifs de développement durable des Nations unies, ce qui aura une influence sur d’autres politiques de l’Union. La stratégie ouvre un large débat, associant les décideurs politiques et les citoyens européens dans leur ensemble, sur la manière dont l’Europe devrait se préparer à l’horizon 2050 et présenter en conséquence la stratégie européenne à long terme à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques d’ici 2020.
L’Union est à l’avant-garde du combat contre les causes du changement climatique et de la lutte pour une réponse mondiale concertée plus forte dans le cadre de l’accord de Paris. Cet accord, qui a été ratifié par 181 parties, demande une action forte et rapide au niveau mondial afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, dans l’objectif de maintenir la hausse de la température mondiale bien en dessous de 2 °C et de poursuivre les efforts en vue de la limiter à 1,5 °C. Il vise aussi à trouver un équilibre à l’échelle mondiale entre les émissions par les sources et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième partie de ce siècle. Toutes les parties sont tenues de présenter d’ici 2020 des stratégies à long terme de développement à faibles émissions de gaz à effet de serre en vue d’atteindre ces objectifs.
En juin 2017, le Conseil européen a réaffirmé avec force l’engagement de l’Union et de ses États membres à mettre en œuvre rapidement et intégralement l’accord de Paris, soulignant que celui-ci constitue «un élément essentiel pour la modernisation de l'industrie et de l'économie européennes» et a, par la suite, en mars 2018, invité la Commission européenne «à présenter d’ici le premier trimestre de 2019 une proposition de stratégie en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE à long terme, ainsi que le prévoit l’accord de Paris, en tenant compte des plans nationaux».
En octobre 2017, le Parlement européen a également invité la Commission européenne à «préparer d’ici la COP24 une stratégie européenne visant à atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle». En outre, le règlement sur la gouvernance de l’union de l’énergie approuvé par le Parlement européen et le Conseil invite la Commission à présenter une stratégie de l'UE à long terme d’ici avril 2019.
L’Union, qui est responsable de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, est un acteur mondial de premier plan dans la transition vers une économie produisant zéro émission nette de gaz à effet de serre. Dès 2009, l’Union s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de 80 à 95 % en 2050. Les Européens ont réussi à découpler les émissions de gaz à effet de serre de la croissance économique en Europe au cours des dernières décennies. À la suite du pic d’émission de gaz à effet de serre observé dans l’Union en 1979, l’efficacité énergétique, les politiques de changement de combustibles et l’avancée des énergies renouvelables ont permis de réduire les émissions de manière significative. En conséquence, entre 1990 et 2016, la consommation d’énergie a diminué de près de 2 % et les émissions de gaz à effet de serre de 22 %, tandis que le PIB a progressé de 54 %.
La transition vers une énergie propre a stimulé la modernisation de l’économie européenne, entraîné une croissance économique durable et apporté d’importants avantages sociétaux et environnementaux pour les citoyens européens. Les efforts de l’Union pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques qu’elle s’est fixés pour 2020 ont déjà permis de créer de nouvelles industries et des emplois en Europe et ont donné lieu à une plus grande innovation technologique, ce qui a permis de réduire les coûts technologiques. La révolution en faveur des énergies renouvelables en est le meilleur exemple. La part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie est passée de 9 % en 2005 à 17 % aujourd’hui. Le rôle pionnier joué par l’Union européenne montre à d’autres régions du monde que cette transition est non seulement possible mais aussi qu’elle apporte des avantages au-delà de la lutte contre le changement climatique.
L’Union est globalement en bonne voie pour réaliser ses objectifs pour 2020 en matière d’émissions de gaz à effet de serre, d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Toutefois, les efforts doivent se poursuivre pour surmonter la récente stagnation des améliorations dans le domaine de l’efficacité énergétique et des réductions d’émissions de gaz à effet de serre.
L’Union progresse dans la mise en œuvre de sa stratégie pour l’union de l’énergie et achève la mise au point d’un cadre réglementaire moderne, avancé et financièrement viable qui lui permettra de réaliser ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 ainsi que sa transition vers une énergie propre, concrétisant ainsi l’objectif de la Commission Juncker de faire de l’efficacité énergétique une priorité et de devenir un acteur de premier plan mondial dans le domaine des énergies renouvelables. Cela représente un investissement dans notre prospérité et dans la viabilité de l’économie européenne. La stabilité réglementaire est un élément important pour permettre aux pouvoirs publics tout comme aux opérateurs privés de mettre ce cadre réglementaire en application de manière intégrale. Des politiques ambitieuses ont été adoptées au niveau européen, notamment un système réformé d’échange de quotas d’émission de l’UE, qui renforce le signal prix du CO2. Pour tous les autres secteurs, des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été fixés et des actes législatifs ont été adoptés pour maintenir le puits de carbone que constituent les sols et les forêts de l’Union, qui absorbent davantage de CO2 qu’ils n’en émettent. Pour ce qui est de l’énergie, les objectifs visant à améliorer l’efficacité énergétique de l’Union d’au moins 32,5 % et à accroître la part des énergies renouvelables à au moins 32 % dans la consommation énergétique finale de l’Union d’ici à 2030 sont désormais approuvés et la législation proposée pour améliorer l’efficacité des voitures, camionnettes et camions en matière d'émissions de CO2 encouragera la transition dans le secteur des transports.
La combinaison de ces politiques en matière d'énergie et de climat permettra de concrétiser la contribution de l’Union au titre de l’accord de Paris, consistant à réduire ses émissions d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. En réalité, on estime que lorsque la législation de l’Union sera pleinement mise en œuvre, les réductions totales des émissions de gaz à effet de serre seront d’environ 45 % en 2030. Les politiques mises en place aujourd’hui continueront à porter leurs fruits après 2030 et permettront donc d’accomplir des progrès considérables, les projections de réductions des émissions tournant autour de 60 % d’ici à 2050. Cela n’est toutefois pas suffisant pour que l’Union contribue aux objectifs de température fixés dans l’accord de Paris.
Le rapport du GIEC confirme la nécessité pour la planète de limiter le changement climatique à 1,5 °C afin de réduire le risque de survenue de phénomènes météorologiques extrêmes. Il souligne également que l’urgence avec laquelle les émissions doivent être réduites est bien plus pressante que ce qui avait été envisagé jusqu’ici. Pour limiter la hausse de la température à 1,5 °C, il faudra parvenir à la neutralité carbone (zéro émission nette de CO2) à l’échelle planétaire vers 2050 et à la neutralité pour tous les autres gaz à effet de serre plus tard au cours du siècle. Toutes les émissions de gaz à effet de serre qui seront encore enregistrées dans certains secteurs devront alors être compensées par une absorption dans d’autres secteurs, l’utilisation des terres, l’agriculture et les forêts jouant un rôle particulier à cet égard. Il s’agit d'une occasion pour l’Union de renforcer son action afin de montrer la voie et de tirer parti de cette position de pionnier. Il lui faudra pour cela atteindre un bilan neutre en termes d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
Le statu quo n'est pas envisageable. Les États devraient agir collectivement pour protéger leurs citoyens contre le changement climatique. Pour réaliser la transformation nécessaire au passage à une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre, il faut donc procéder sans tarder à une planification à long terme, mieux connaître les possibilités de transformation de notre économie dans son ensemble et instiller la confiance au sein de notre société et parmi tous les acteurs économiques afin que ce changement paraisse possible et opportun.
Le rapport du GIEC nous envoie un message encourageant: il est possible de limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C, pour autant que nous agissions dès à présent et que nous utilisions de manière cohérente tous les outils à notre disposition. La base scientifique solide sur laquelle repose le rapport du GIEC adressé aux décideurs partout dans le monde en vue de lutter contre le changement climatique, de moderniser l’économie, de promouvoir le développement durable et d’éradiquer la pauvreté a été dûment prise en compte par la Commission européenne lors de l’élaboration de la stratégie de l’Union en faveur d’une réduction à long terme des émissions de gaz à effet de serre.
C’est ainsi que la stratégie présente une vision des transformations économiques et sociétales qui, associant tous les secteurs de l’économie et de la société, sont nécessaires pour assurer d’ici 2050 la transition vers une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre. Elle vise à garantir que cette transition soit socialement juste – aucune région ni aucun citoyen de l’Union ne sera laissé de côté – et qu’elle permette d’accroître la compétitivité de l’économie et de l’industrie de l’UE sur les marchés mondiaux, en assurant des emplois de haute qualité et une croissance durable en Europe, tout en agissant en synergie avec d’autres actions environnementales comme l’amélioration de la qualité de l’air et l’enrayement de la perte de biodiversité.
Pour ce faire, la stratégie examine les options disponibles pour les États membres, les entreprises et les citoyens et étudie la manière dont celles-ci peuvent contribuer à la modernisation de notre économie, améliorer la qualité de vie des Européens, protéger l’environnement et générer des emplois et de la croissance.
3. Scénarios pour la transition vers une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre et priorités stratégiques
Les menaces et les risques que pose le changement climatique sont connus, de même que de nombreux moyens de les prévenir. La stratégie de l’Union avance un certain nombre de solutions qui pourraient être mises en œuvre dans le cadre de la transition vers une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici le milieu du siècle. Ces options transformeront radicalement notre système énergétique et le secteur de l’agriculture et de l'utilisation des terres, moderniseront notre tissu industriel et nos systèmes de transport ainsi que nos villes, et s’étendront ainsi à toutes les activités de notre société. Dans ce contexte, les citoyens jouent un rôle central. Le changement climatique ne peut être combattu que si les populations s’engagent de manière active, en tant que consommateurs et citoyens. Le succès de la transformation dépendra aussi de la façon dont notre société prend soin des plus vulnérables durant cette transition.
La transition vers une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre donne un rôle central à l’énergie, qui est aujourd'hui responsable de plus de 75 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union. Dans toutes les options analysées, le système énergétique progresse vers un bilan d’émission neutre (zéro émission nette) de gaz à effet de serre. Il repose sur un approvisionnement énergétique sûr et durable étayé par une approche paneuropéenne fondée sur le marché. Le futur système énergétique intégrera les marchés et systèmes de l’électricité, du gaz, du chauffage/refroidissement et de la mobilité et s’appuiera sur des réseaux intelligents organisés autour des citoyens.
La transition requiert également une plus grande innovation technologique dans les secteurs de l’énergie, de la construction, des transports, de l’industrie et de l’agriculture. Des avancées dans le domaine de la numérisation, de l’information et des communications, de l’intelligence artificielle et de la biotechnologie permettront de donner un coup d'accélérateur. Le développement de l'utilisation des nouveaux systèmes et procédés, grâce à une coopération intersectorielle, est aussi nécessaire. Un bon exemple de ce genre d’approches systémiques est l'économie circulaire, qui permettra d’exploiter toute une gamme de solutions de pointe et de promouvoir de nouveaux modèles d’entreprise. Elle nécessitera aussi une coopération à différents niveaux entre les régions et entre les États membres afin de maximiser les synergies, par la mise en commun des ressources et des connaissances. L’industrie manufacturière européenne est encore compétitive aujourd’hui mais elle subit la pression à la fois des pays développés et des économies émergentes. L’Europe est cependant en tête du classement en matière de nouveaux brevets de haute valeur pour les technologies énergétiques à faible intensité de carbone. Elle est considérée comme un acteur de premier plan dans ces secteurs et devrait tirer parti de cet avantage scientifique pour en faire un succès commercial. Une action tardive et non coordonnée augmenterait les risques de repli sur des infrastructures à plus forte intensité de carbone et des actifs irrécupérables et rendrait cette inévitable transformation plus coûteuse.
L’ensemble des options envisageables se base sur des solutions existantes – avec toutefois quelques solutions nouvelles – et est suffisamment varié pour offrir des solutions permettant de garantir aux décideurs politiques et aux citoyens qu’une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre est à notre portée d’ici le milieu du siècle. L’évaluation qui est faite de ces options repose sur la littérature et les contributions scientifiques apportées par un large éventail de parties prenantes (entreprises, organisations non gouvernementales, groupes de réflexion, monde de la recherche), ainsi que sur la modélisation intégrée, et permet de mieux comprendre la transformation des secteurs de l’énergie, de l’industrie, de la construction, des transports, de l’agriculture, de la foresterie et des déchets de même que les interactions complexes entre ces secteurs.
Vue d’ensemble des scénarios analysés
Le point de départ des scénarios analysés est une situation de référence commune qui reflète les politiques et objectifs énergétiques et climatiques pour 2030 adoptés récemment ainsi que le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l’action pour le climat. Cela inclut un système d’échange de quotas de l’Union réformé, des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, une législation visant à maintenir le puits naturel que sont les sols et les forêts de l’Union, les objectifs fixés pour 2030 en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables, ainsi que la proposition de législation visant à améliorer l’efficacité des voitures et des camions en matière d’émissions de CO2. Les projections indiquent que ces politiques et objectifs devraient permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 45 % d’ici à 2030 et d’environ 60 % d’ici à 2050. Cela n’est pas suffisant pour que l’Union contribue aux objectifs à long terme fixés en matière de température dans l’accord de Paris. Pour atteindre ces objectifs, huit autres scénarios – chacun répondant aux exigences de l’accord de Paris – ont été évalués.
Ces huit scénarios reposent sur des mesures utiles en tout état de cause, dites «sans regret», telles que l’utilisation généralisée des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.
Cinq d’entre eux s’appuient sur différentes actions et technologies qui favorisent la transition vers une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre. Pour réduire les émissions, ils proposent une application à des degrés variables de l’électrification, de l’hydrogène et des carburants de synthèse (c’est-à-dire des carburants produits par conversion de l'électricité, selon la technologie «power-to-X»), ainsi que de l’efficacité énergétique au niveau de l’utilisateur final et de l’économie circulaire. Cela permet d’étudier leurs caractéristiques communes ainsi que leurs différentes incidences sur le système énergétique.
Dans tous ces scénarios, la consommation d’électricité augmente mais des différences notables existent. Les scénarios qui mettent plutôt l’accent sur l’électrification dans les secteurs d'utilisation finale nécessitent également une augmentation des capacités de stockage (6 fois leur niveau actuel) pour faire face à la variabilité au sein du système électrique. Mais les scénarios qui mettent en avant l’hydrogène nécessitent davantage d’électricité pour produire cet hydrogène. Les scénarios qui utilisent les plus grandes quantités d’électricité sont ceux qui reposent sur l’expansion des carburants de synthèse, entraînant une production d’électricité supérieure de presque 150 % en 2050 par rapport au niveau actuel. Au contraire, les scénarios axés sur la demande, notamment sur l’efficacité énergétique au stade de l’utilisation finale ou l’économie circulaire, nécessitent la plus faible augmentation de la production d’électricité (environ 35 % de plus en 2050 par rapport à aujourd’hui), les plus faibles besoins en termes de stockage et les plus grandes économies d’énergie dans les secteurs résidentiels et industriels. Tous ces scénarios présentent également des besoins variables en termes d’investissements et de transformation au niveau sectoriel. Les scénarios qui reposent davantage sur des vecteurs énergétiques décarbonés exigent moins de transformations et d’investissements dans le secteur de l’utilisation finale mais ont les besoins les plus élevés en termes d'investissement dans les secteurs de l’approvisionnement énergétique. Inversement, les scénarios axés sur la demande sont ceux qui nécessitent le moins d’investissements dans les secteurs de l’approvisionnement énergétique.
Ces cinq scénarios permettent d’obtenir des réductions d’émissions de gaz à effet de serre d’un peu plus de 80 % d’ici 2050 par rapport à 1990, hors utilisation des terres et des forêts. Si l'on tient compte de l’effet de puits des sols et des forêts, qui absorbent davantage de CO2 qu’ils en émettent, ces scénarios correspondent à des réductions nettes d’émissions de gaz à effet de serre d’environ 85 % d'ici 2050 par rapport à 1990, ce qui est encore 15 points de pourcentage en deçà d’une économie neutre pour le climat ou à zéro émission nette de gaz à effet de serre.
Le scénario combinant les cinq options mais à des niveaux inférieurs permet d’atteindre des réductions nettes d’émissions de gaz à effet de serre de 90 % (effet de puits de l'utilisation des terres et des forêts compris). Toutefois, il ne permet pas d’atteindre un bilan neutre des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, étant donné que certaines émissions de gaz à effet de serre persisteront, notamment dans le secteur de l’agriculture. Les secteurs agricole et forestier sont uniques en ce sens qu'ils peuvent aussi absorber le CO2 présent dans l’atmosphère. Ces absorptions annuelles sont aujourd’hui considérables, leur niveau net s’élevant dans l’Union à environ 300 millions de tonnes de CO2. Toutefois, cela ne suffira pas à compenser les émissions résiduelles en l’absence de mesures supplémentaires renforçant le rôle de nos sols. Il est donc nécessaire de réfléchir également aux moyens de fournir de l'énergie à partir de la biomasse de manière durable tout en renforçant le rôle des puits naturels ou en combinant cette méthode avec le captage et le stockage de carbone, ces deux options permettant d’augmenter les émissions négatives.
Les septième et huitième scénarios étudient donc expressément ces interactions afin d’évaluer la manière de parvenir à un bilan neutre des émissions de gaz à effet de serre (zéro émission nette) d’ici 2050 et à des émissions négatives nettes par la suite. Dans le septième scénario, tous les vecteurs énergétiques sont des vecteurs sans carbone et l’efficacité énergétique est mise en avant. Il repose sur une technologie d’émissions négatives sous la forme de bioénergie combinée avec le captage et le stockage du carbone pour équilibrer les émissions restantes.
Le huitième scénario s’appuie sur le scénario précédent mais évalue les effets d'une économie fortement circulaire et le rôle bénéfique que pourrait avoir un changement dans les choix des consommateurs, qui se porteraient sur des solutions plus sobres en carbone. Il explore également la manière de renforcer le rôle de puits joué par les sols, afin de voir dans quelle mesure cela réduirait le besoin en technologies d’émissions négatives.
Les analyses de modélisation indiquent que le déploiement de solutions «sans regret» telles que les énergies renouvelables, y compris les biocarburants avancés durables, l’efficacité énergétique, les progrès vers une économie circulaire parallèlement à des options individuelles comme l’électrification, l’hydrogène et les carburants de substitution ou de nouvelles approches en matière de mobilité, n'est pas suffisant pour parvenir à une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Les scénarios qui mettent en jeu ces technologies ne permettraient de réduire les émissions que de 80 % d’ici 2050 par rapport à 1990. Si la combinaison de toutes ces options permet de réduire les émissions nettes d’environ 90 % (en tenant compte de l’absorption par les sols et les forêts), certaines émissions de gaz à effet de serre persisteront, notamment dans le secteur de l’agriculture. Pour atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre, il sera nécessaire de maximiser le potentiel des options technologiques et de l’économie circulaire, le déploiement à grande échelle de puits de carbone naturels basés sur les sols, y compris dans les secteurs agricole et forestier, ainsi que de procéder à des changements dans les habitudes de mobilité.
La voie à suivre pour parvenir à une économie à zéro émission nette de gaz à effet de serre pourrait être fondée sur une action conjointe s'articulant autour d'un ensemble de sept grandes composantes stratégiques:
1. Maximiser les avantages de l’efficacité énergétique, y compris grâce aux bâtiments à émissions nulles
Les mesures d’efficacité énergétique devraient jouer un rôle central pour parvenir à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050, en réduisant la consommation d’énergie de moitié par rapport à 2005. La numérisation et la domotique ainsi que l’étiquetage et l’adoption de normes en matière d’efficacité énergétique produisent des effets qui vont bien au-delà des frontières de l’Union puisque les appareils ménagers et les produits électroniques sont importés dans l’UE ou exportés vers les marchés étrangers, raison pour laquelle les producteurs étrangers doivent respecter les normes de l’UE.
L’efficacité énergétique jouera un rôle central dans la décarbonation des procédés industriels mais une grande partie de la baisse de la demande énergétique proviendra des bâtiments, à la fois dans le secteur résidentiel et le secteur des services, qui sont aujourd’hui responsables de 40 % de la consommation d’énergie. Étant donné que la majeure partie du parc immobilier de 2050 existe déjà aujourd’hui, il faudra des taux de rénovation plus élevés, un passage à d’autres combustibles, une grande majorité de logements devant utiliser un chauffage à partir d’énergies renouvelables (électricité, chauffage urbain, gaz renouvelable ou énergie solaire thermique), la diffusion des produits et appareils les plus efficaces, des systèmes intelligents de gestion des bâtiments/appareils et des matériaux d’isolation améliorés. Le chauffage durable à partir d’énergies renouvelables continuera de jouer un rôle primordial et le gaz, y compris le gaz naturel liquéfié, combiné à l’hydrogène, ou le méthane de synthèse produit à partir d’électricité renouvelable et de mélanges de biogaz pourraient tous jouer un rôle clé dans les bâtiments existants ainsi que dans de nombreuses applications industrielles. Des instruments financiers adéquats pour surmonter les défaillances du marché, la disponibilité en nombre d’une main-d'œuvre disposant des compétences appropriées et un prix abordable pour l’ensemble des citoyens sont des conditions nécessaires pour atteindre et maintenir des taux plus élevés de rénovation. Il faudra adopter une approche intégrée et assurer une cohérence entre toutes les politiques concernées pour moderniser l’environnement bâti et mobiliser tous les acteurs. L’engagement du consommateur, notamment par l’intermédiaire d’associations, sera un élément clé dans ce processus.
2. Maximiser le déploiement des énergies renouvelables et l’utilisation d’électricité pour décarboner entièrement l’approvisionnement énergétique de l’Union
À ce jour, la majeure partie du système énergétique repose sur les énergies fossiles. Tous les scénarios évalués suggèrent que cela va changer radicalement d’ici le milieu du siècle, avec l’électrification à grande échelle du système énergétique induite par le déploiement des énergies renouvelables, que ce soit au niveau des utilisateurs finaux ou pour la production de combustibles et de matières premières sans carbone destinés à l’industrie.
La transition vers une énergie propre déboucherait sur un système énergétique dans lequel l’approvisionnement en énergie primaire proviendrait dans une large mesure de sources d’énergies renouvelables, ce qui améliorerait sensiblement la sécurité de l’approvisionnement tout en soutenant les emplois nationaux. La dépendance de l’Europe vis-à-vis des importations d’énergie, notamment en ce qui concerne le pétrole et le gaz, qui est aujourd’hui de l'ordre de 55 %, tomberait à 20 % en 2050. Cela aurait des effets positifs sur les échanges commerciaux et la position géopolitique de l’Union puisque les dépenses d’importation de combustibles fossiles (266 milliards d’EUR actuellement) connaîtraient une forte réduction, les importations diminuant de plus de 70 % dans certains scénarios. L'économie totale résultant d’une réduction de la facture d’importation s’élèverait à 2 000 voire 3 000 milliards d’EUR au cours de la période 2031-2050, libérant des ressources qui pourraient alors être investies dans la modernisation de l’économie de l’Union.
Le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables conduira à l’électrification de notre économie et à un degré élevé de décentralisation. D’ici 2050, la part de l’électricité dans la demande énergétique finale sera multipliée par deux au minimum pour passer à 53 %, et la production d’électricité augmentera de manière substantielle pour parvenir à zéro émission nette de gaz à effet de serre, jusqu’à 2,5 fois les niveaux d’aujourd’hui en fonction des options choisies pour la transition énergétique.
Des progrès fondamentaux ont déjà été accomplis dans la transformation de la production d’électricité en Europe. Le développement mondial des énergies renouvelables, à l’initiative des dirigeants de l’Union, a mené à d'importantes réductions des coûts au cours des 10 dernières années, en particulier en matière d’énergie solaire et d’énergie éolienne terrestre et en mer. Actuellement, plus de la moitié de l’approvisionnement en électricité de l’Europe ne génère aucune émission de gaz à effet de serre. D’ici 2050, ce seront plus de 80 % de l’électricité qui proviendront de sources d’énergies renouvelables (situées en mer de plus en plus souvent). Combiné avec une part d’environ 15 % d’énergie nucléaire, cela constituera le cœur d’un système énergétique décarboné en Europe. Ces transitions sont similaires aux scénarios mondiaux analysés dans le rapport du GIEC. L’électrification ouvrira de nouveaux horizons pour les entreprises européennes sur le marché mondial de l’énergie propre, qui représente aujourd'hui environ 1 300 milliards d’EUR. Plusieurs sources d’énergie renouvelables restent encore à exploiter, notamment l’énergie océanique. Pour l’Union, qui abrite 6 des 25 plus grandes entreprises d’énergies renouvelables et emploie près de 1,5 million de personnes (sur 10 millions dans le monde), c'est une perspective commerciale exceptionnelle. Enfin, cela fera la part belle aux consommateurs qui produisent eux-mêmes de l’énergie («prosomateurs») et renforcera le rôle des collectivités locales afin d’encourager l’adoption des énergies renouvelables dans le secteur résidentiel.
