Bruxelles, le 8.11.2018

COM(2018) 666 final

COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU CONSEIL

conformément à l'article 395 de la directive 2006/112/CE du Conseil


1.CONTEXTE

En vertu de l’article 395 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «directive TVA»), le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à appliquer des mesures particulières dérogatoires aux dispositions de la directive afin de simplifier la procédure de perception de la TVA ou d’éviter certaines formes de fraude ou d'évasion fiscales. Étant donné que cette procédure prévoit des dérogations aux principes généraux de la TVA, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dérogations doivent être proportionnées et limitées.

Par lettre enregistrée à la Commission le 28 novembre 2017, la Roumanie a demandé à introduire une mesure particulière dérogatoire au titre XI de la directive TVA pour l’application du mécanisme de paiement scindé de la TVA pour certaines catégories de personnes. Plusieurs échanges ont eu lieu entre la Commission et la Roumanie dans lesquels la Commission a demandé de plus amples éclaircissements et a attiré l’attention de la Roumanie sur un certain nombre d’éléments qu'elle considérait comme disproportionnés et difficiles à justifier. Dans le même temps, la Commission a invité la Roumanie à modifier sa demande de dérogation en prenant en compte les préoccupations qu'elle avait soulevées. Toutefois, la Roumanie a indiqué qu’elle n’était pas d’accord avec les arguments et les préoccupations avancés par la Commission et a refusé d’adapter sa demande de dérogation.

Conformément à l’article 395, paragraphe 2, de la directive TVA, la Commission a transmis la demande de la Roumanie aux autres États membres par lettre datée du 4 juillet 2018. Par lettre datée du 5 juillet 2018, la Commission a informé la Roumanie qu'elle disposait de toutes les données d'appréciation qu'elle considérait utiles.

2.LA DEMANDE DE LA ROUMANIE ET LE MÉCANISME DE PAIEMENT SCINDÉ

La Roumanie a présenté une demande de dérogation au titre XI de la directive TVA afin d'être autorisée à imposer un mécanisme obligatoire de paiement scindé aux assujettis et aux institutions publiques qui ont des arriérés d’impôts ou qui font l'objet d'une procédure d’insolvabilité. Le mécanisme de paiement scindé devrait s’appliquer aux opérations «B2B» et ne devrait pas s’appliquer aux assujettis relevant de la franchise pour les PME. Le paiement scindé s’applique si les arriérés d’impôts sont supérieurs à 15 000 RON (environ 3 200 EUR) pour les gros contribuables, à 10 000 RON (environ 2 150 EUR) pour les contribuables moyens et à 5 000 RON (environ 1 080 EUR) pour les autres contribuables et si le retard de paiement excède 60 jours ouvrables à compter de la date d’échéance.

La Roumanie a commencé à appliquer le mécanisme de paiement scindé le 1er janvier 2018, sans attendre la réponse de la Commission à sa demande.

Le mécanisme de paiement scindé constitue un autre système de perception de la TVA. Dans le cadre de la procédure normale, pour une opération donnée, l’assujetti à la TVA perçoit le paiement de la base imposable et la TVA (le cas échéant) auprès de son acquéreur/preneur (ou d'un tiers). L'assujetti à la TVA déclare ensuite cette opération dans sa déclaration de TVA périodique. En fonction du résultat de la déclaration de TVA, la TVA est due par l’assujetti ou elle peut être remboursée. Si la TVA est due, l’assujetti à la TVA verse la TVA aux autorités fiscales de son État membre sur une base périodique définie (période mensuelle, trimestrielle, etc.).

Le recours au paiement scindé introduit un changement étant donné que le paiement de la TVA due est scindé du montant imposable. Dans le cas de la Roumanie, l’acquéreur/le preneur paie le montant imposable au fournisseur/prestataire mais verse la TVA due sur cette livraison/prestation non pas directement au fournisseur/prestataire, mais sur un compte TVA du Trésor roumain ou d'un établissement financier roumain.

Selon la Roumanie, la mesure particulière est nécessaire afin d’améliorer la perception de la TVA et de lutter contre la fraude à la TVA, en renforçant le respect volontaire des obligations de paiement de la TVA par les assujettis. La Roumanie considère que l’application du paiement scindé de la TVA permettra de mettre un terme à la fraude par laquelle certains agents économiques ne versent pas aux autorités fiscales la TVA perçue auprès des acquéreurs/preneurs.

3.POINT DE VUE DE LA COMMISSION

Lorsqu’elle est saisie d’une demande au titre de l'article 395 de la directive TVA, la Commission l’examine afin de s’assurer que les conditions élémentaires permettant d’y accéder sont remplies, à savoir que la mesure particulière proposée simplifie les procédures pour les assujettis ou l’administration fiscale ou que la proposition permet d’éviter certains types de fraude ou d’évasion fiscales. Dans ce contexte, la Commission a toujours fait preuve de sélectivité et de prudence afin de garantir que les dérogations ne compromettent pas le fonctionnement du système général de TVA et qu’elles soient limitées, nécessaires et proportionnées.

Le mécanisme de paiement scindé n’est pas un système courant de paiement de la TVA mais constitue plutôt une nouveauté. On constate un intérêt croissant pour ce mécanisme parmi les États membres, qui le considèrent comme un outil utile dans la lutte contre la fraude à la TVA. Différentes conceptions de ce modèle de paiement scindé sont possibles et chaque modèle doit être apprécié séparément afin de permettre à la Commission de conclure qu'il peut être justifié sur la base de l’article 395 de la directive TVA.

La Commission estime que certains éléments du modèle de paiement scindé roumain suscitent de vives préoccupations en ce qui concerne leur proportionnalité.

Le système de paiement scindé roumain est applicable aux assujettis et aux institutions publiques qui ont des arriérés d’impôts supérieurs à certains seuils déterminés ou qui font l'objet d'une procédure d’insolvabilité. La Commission considère que la détermination de seuils à un niveau fixe pour les trois catégories d’assujettis ne permet pas d’assurer l’égalité de traitement entre assujettis d'une même catégorie. Il est avéré que le seuil de 15 000 RON n’aura pas la même incidence pour tous les gros contribuables ou que le seuil de 5 000 RON n’aura pas la même incidence pour tous les petits assujettis, compte tenu des différences qui existent au sein de ces groupes. Par conséquent, la Commission considère que la proportionnalité d’un tel système de seuils fixes ne saurait être justifiée et qu’un seuil lié à un pourcentage du chiffre d’affaires pourrait constituer un meilleur critère.

En outre, dans le cadre du système de paiement scindé roumain, l'acquéreur/le preneur est tenu de vérifier le registre des assujettis auxquels s’applique le paiement scindé et d'agir en conséquence, c’est-à-dire de fractionner le montant net et le montant de la TVA. Dans le même temps, la notification relative à l’inscription dans le registre est envoyée par les autorités fiscales au fournisseur/prestataire mais pas aux acquéreurs/preneurs. La Roumanie estime qu’il n’est pas nécessaire que le fournisseur/prestataire informe l'acquéreur/le preneur de la nécessité d’appliquer le mécanisme de paiement scindé en ajoutant une mention appropriée sur la facture. En outre, si l'acquéreur/le preneur n’applique pas le mécanisme de paiement scindé et paie la TVA sur un autre compte que le compte TVA du fournisseur/prestataire, une pénalité équivalant à 0,06 % par jour du montant erronément payé est appliquée à l'acquéreur/au preneur, si l'erreur n'est pas corrigée dans un délai de 30 jours ouvrables. Toutefois, c’est le fournisseur/prestataire (et non l'acquéreur/le preneur) qui peut rectifier la situation et transférer la somme en question à partir de son compte principal sur son compte TVA et en informer son acquéreur/preneur, ce qui permet d’éviter l'application de toute sanction à l'acquéreur/au preneur. La Roumanie a précisé qu’un tel transfert par le fournisseur/prestataire est simplement une possibilité, et non une obligation, étant donné que la responsabilité du paiement de la TVA sur le compte TVA correct incombe toujours à l'acquéreur/au preneur.

Ce système de paiement scindé fait peser une charge injustifiable et disproportionnée sur l'acquéreur/le preneur. Même si l’obligation faite à l'acquéreur/au preneur de consulter le registre des assujettis relevant du mécanisme de paiement scindé de la TVA est maintenue, le fournisseur/prestataire devrait au moins être tenu d’informer l'acquéreur/le preneur de l’obligation d’appliquer le mécanisme de paiement scindé en ajoutant une mention sur la facture. Étant donné que l’article 226 de la directive TVA énumère les mentions qui doivent figurer sur la facture, l’inscription d’une mention supplémentaire nécessite une dérogation à cet article. Toutefois, par lettre du 17 mai 2018, la Roumanie a informé la Commission qu’elle estime superflue l’inclusion sur la facture d’une référence à l’application du mécanisme de paiement scindé.

La pénalité infligée à l'acquéreur/au preneur en cas de non-application du paiement scindé est, de l’avis de la Commission, disproportionnée dans le cas où le fournisseur/prestataire reste redevable de la TVA 1 . Cette pénalité devrait plutôt être appliquée au fournisseur/prestataire, en particulier si l'on considère que le fournisseur/prestataire peut à tout moment corriger l'erreur en transférant la TVA perçue sur son compte TVA. 

Il convient de noter que l’article 273 de la directive TVA autorise les États membres à prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. Toutefois, le critère de proportionnalité s’applique aussi aux mesures adoptées en vertu de cet article.

À la lumière de ce qui précède, la Commission considère que le mécanisme de paiement scindé roumain n’est pas proportionné aux objectifs poursuivis, à savoir ceux d’assurer l’exacte perception de la TVA et d'éviter la fraude fiscale.

La Commission a informé la Roumanie que l’obligation pour les opérateurs non établis d’ouvrir un compte bancaire auprès d’un établissement financier roumain ne serait pas compatible avec l’article 56 du TFUE sur la libre circulation des services. La Commission a également suggéré que la Roumanie pourrait en revanche contraindre ces opérateurs à ouvrir un compte auprès du Trésor, mais cette possibilité doit également s'appliquer aux monnaies étrangères. Dans sa réponse, la Roumanie a réaffirmé qu’il n’est pas possible de procéder à des paiements en monnaie étrangère au moyen d’un compte du Trésor.

La Commission a demandé à la Roumanie de répondre à ses préoccupations sur la proportionnalité des éléments susmentionnés du système de paiement scindé et de modifier le mécanisme de paiement scindé en conséquence. Toutefois, la Roumanie n’a pas réagi positivement aux demandes de la Commission.

4.CONCLUSION

Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission s’oppose à la demande présentée par la Roumanie.

(1)

     La Roumanie a informé la Commission qu’il n’y a pas de changement de responsabilité et que c’est le fournisseur/prestataire qui reste redevable de la TVA.