23.7.2015   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 242/24


Avis du Comité économique et social européen sur la situation après l’expiration du système des quotas laitiers en 2015

(avis d’initiative)

(2015/C 242/04)

Rapporteur:

M. Padraig WALSHE

Le 10 juillet 2014, le Comité économique et social européen a décidé, conformément à l’article 29, paragraphe 2, de son règlement intérieur, d’élaborer un avis d’initiative sur la

«Situation après l’expiration du système des quotas laitiers en 2015» (avis d’initiative).

La section spécialisée «Agriculture, développement rural, environnement», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 8 janvier 2015

Lors de sa 504e session plénière des 21 et 22 janvier 2015 (séance du 21 janvier 2015), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 219 voix pour, 1 voix contre et 14 abstentions.

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

Le CESE considère que l’expiration le 31 mars 2015 du régime des quotas laitiers décidée en 2008 constitue un tournant historique. Depuis l’instauration de cette gestion globale de la production, le 1er avril 1984, il est apparu de plus en plus clairement au fil du temps qu’il n’est pas possible de soutenir et de stabiliser avec suffisamment d’efficacité les prix du lait et les revenus des agriculteurs et que la production de lait est en diminution dans l’Union européenne, alors que, dans le même temps, la production laitière mondiale connaît une forte augmentation.

1.2.

Le CESE défend l’idée que la politique laitière de l’Union européenne après l’expiration du régime des quotas, c’est-à-dire après 2015, ne devrait pas seulement servir la croissance et l’expansion, mais qu’elle se devrait également d’éviter l’abandon des activités laitières et de soutenir les petits producteurs, en particulier ceux des régions défavorisées et des régions de montagne. Cette politique doit permettre aux agriculteurs européens et, en fin de compte, à l’économie de l’Europe de bénéficier de la croissance au niveau mondial des marchés laitiers, tout en reconnaissant et en promouvant la contribution économique et sociale tout aussi appréciable des petites exploitations laitières défavorisées de nombreuses régions européennes.

1.3.

À cette fin, il convient selon le CESE d’exploiter pleinement les dispositions du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC) 2014-2020 et du «paquet lait» afin de garantir le maintien, sur tout le territoire, des familles qui se consacrent à l’exploitation laitière. Il y a lieu d’encourager la participation des agriculteurs aux organisations de producteurs qui peuvent les aider à améliorer leur position dans la chaîne d’approvisionnement et d’orienter les actions de transfert de connaissances de façon à aider les agriculteurs à améliorer l’efficacité technique et économique.

1.4.

Néanmoins, de l’avis du CESE, les budgets et les mesures relevant du deuxième pilier ou les dispositions du «paquet lait» faisant partie à présent de la PAC 2014-2020 ne suffiront certainement pas pour protéger les producteurs laitiers vulnérables, qu’ils opèrent dans des zones défavorisées et montagneuses ou non. Des mesures supplémentaires peuvent être nécessaires pour garantir à ces agriculteurs des revenus viables et une part juste des rendements du marché. Ils devraient également pouvoir bénéficier de services de conseil en matière d’efficacité et de diversification de la production ainsi que de réorientation afin d’être aidés à prendre les bonnes décisions pour leur avenir et celui de leurs successeurs, en tenant compte des limitations que présentent les exploitations défavorisées en termes de capacité à générer des revenus.

1.5.

Le CESE estime tout aussi important de garantir que les producteurs laitiers commerciaux et concurrentiels de toutes les zones, y compris les zones plus propices à une production durable et compétitive de produits laitiers pour l’exportation, puissent faire grandir leurs entreprises afin de répondre à la demande mondiale en forte croissance et, partant, générer plus d’emplois et de revenus pour l’économie dans les zones rurales de l’Union européenne. Néanmoins, le principal défi pour ces agriculteurs sera de faire face aux variations considérables des revenus liées à la volatilité des prix des produits laitiers (et donc des prix à la production) et des coûts des intrants. Il est essentiel que l’Union européenne facilite le développement, par les États membres et l’industrie, de solutions fiscales et d’instruments de couverture simples, tels que des contrats à marge fixe, facilement accessibles aux agriculteurs.

1.6.

Le CESE demande instamment que le niveau inadéquat du «filet de sécurité» prévu dans le cadre de la réforme de la PAC soit révisé et fasse l’objet d’un examen continu afin de garantir qu’il soit plus étroitement lié aux coûts de production réels.

1.6.1.

Par ailleurs, il convient d’encourager davantage la promotion des produits laitiers à la fois sur le marché intérieur et les marchés d’exportation de l’Union européenne. L’Europe doit soutenir la recherche et le développement de nouveaux marchés et garantir que les accords de commerce international soient équilibrés et garantissent un accès équitable aux exportateurs européens.

1.6.2.

Sur le marché intérieur, l’Union européenne doit contribuer à faire connaître les effets bénéfiques qu’apporte à la santé la consommation de produits laitiers, effets confirmés par de récentes recherches scientifiques.

1.6.3.

L’Union européenne doit également renforcer sa réglementation du marché de détail afin de réguler les profits abusifs réalisés par les détaillants et d’améliorer la capacité des agriculteurs à recouvrer leurs coûts.

1.7.

Enfin, il convient de reconnaître et de renforcer le rôle essentiel des coopératives dans le secteur laitier. Les coopératives jouent un rôle de premier plan dans l’industrie laitière mondiale, quatre coopératives se classant parmi les dix plus grandes laiteries au niveau mondial selon l’enquête de Rabobank de juillet 2014 (1). Les coopératives peuvent contribuer de manière beaucoup plus importante à soutenir les producteurs laitiers face aux aléas de la volatilité que les acheteurs et transformateurs de lait privés, puisque leurs fournisseurs de lait sont également en grande partie leurs actionnaires. En outre, elles offrent à leurs membres producteurs des conditions d’achat de lait à long terme beaucoup plus durables et à des prix viables.

2.   Contexte — Tirer des leçons des expériences passées

2.1.

Le prix moyen du lait dans l’Union européenne en septembre 2014 était de 37,47 c/kg (source: LTO milk review) (2), ce qui correspond à une baisse de 8,2 % par rapport au prix moyen de février 2014 indiqué par la même source.

2.2.

Jusqu’au printemps dernier, la forte demande mondiale a soutenu des prix fermes. Cependant, une correction des prix a débuté, étant donné que l’augmentation de la production observée chez les principaux exportateurs (+ 4,3 % sur une base annuelle pour la période de janvier à septembre 2014) est plus rapide que celle appréciable de la demande (+ 2-2,5 % par an) venant principalement des marchés émergents. Plus récemment, la sortie temporaire de la Chine du marché, pour avoir trop acheté le mois précédent, et l’interdiction russe frappant les exportations de produits laitiers européens (ce qui représente 33 % des exportations de produits laitiers de l’Union européenne) ont également eu des incidences sur les prix des produits de base et donc des prix à la production au second semestre de 2014.

2.2.1.

Face à la chute rapide des prix du lait fin 2014, il est compréhensible que les producteurs laitiers de l’Union européenne soient inquiets des répercussions sur leurs moyens de subsistance des prochains mois, étant donné que l’Union européenne abandonne le régime des quotas et que la production dans d’autres parties du monde continue à croître, du moins à court terme. Ils questionnent également à juste titre la volonté et la capacité de l’Union européenne de les aider à gérer les inévitables périodes de chute de prix et de revenus causées par les crises futures.

2.3.

Les perspectives à moyen et long terme pour le lait et les produits laitiers de base restent très favorables tant sur le marché mondial que sur les marchés nationaux. La demande mondiale reste dynamique, surtout dans les économies émergentes, et s’appuie sur de fortes tendances démographiques. Même sur les marchés nationaux européens matures, on enregistre une hausse de la demande en produits artisanaux traditionnels de haute qualité, qui sont souvent préparés dans des zones défavorisées à partir de lait produit dans des exploitations vulnérables et sont très appréciés par les consommateurs. Les produits novateurs, tels que les produits laitiers à base de lactosérum et d’autres composants du lait pour sportifs, jeunes enfants et ceux destinés à des fins médicales, forment des catégories de produits de haute valeur et en rapide expansion sur les marchés nationaux et internationaux.

2.4.

L’on peut s’attendre à une augmentation de la production après la suppression des quotas, notamment dans les États membres limités actuellement par des quotas tels que le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Autriche et la Pologne, ainsi que la France.

2.5.

Néanmoins, des doutes subsistent sur la capacité du cadre réglementaire de l’Union européenne à faire face à des épisodes d’extrême volatilité des marchés ou à une situation de crise, en particulier lorsqu’il s’agit d’aider les agriculteurs à gérer leurs activités quand les marges et les revenus sont volatiles et de garantir un développement équilibré de la production laitière dans l’ensemble de l’Union européenne.

2.6.

L’interdiction russe et ses répercussions sur tous les marchés européens des produits laitiers de base ont donné l’occasion de tester pour la première fois le nouveau régime de gestion des crises de l’Union européenne. Au vu des effets limités sur les marchés de la réouverture de l’aide au stockage privé de fromages (avant son retrait brutal), de l’aide au stockage privé de beurre et de lait écrémé en poudre ainsi que de l’extension de la période de l’achat à l’intervention et des dépenses accrues consacrées à la promotion, il est clair que les doutes sont justifiés. Il y a lieu d’élaborer des mesures supplémentaires pour faire face aux crises du marché, mais, avant tout, l’Union européenne doit être prête à les mettre en œuvre rapidement et de manière déterminée.

2.6.1.

L’Union européenne a pu tirer parti de l’expérience acquise lors de la gestion de l’effondrement de la demande et des prix des produits laitiers lié à la crise financière en 2008/2009. À l’époque, la lenteur de l’action de la Commission européenne a eu pour conséquence qu’en 2009, six mois d’achats à l’intervention ont été nécessaires pour le beurre et huit mois pour le lait écrémé en poudre avant que les prix du marché ne commencent à dépasser les prix équivalents à ceux de l’intervention. Le stockage privé de beurre s’est étalé sur presque toute l’année (de mars à décembre), s’est poursuivi en 2010 et ne s’est terminé qu’en août 2010. En 2009, un total de 370 millions d’EUR a été consacré à l’ensemble des mesures d’intervention visant à soutenir les marchés, dont 181 millions d’EUR au titre des restitutions à l’exportation. En 2010, le montant total consacré à ces mesures s’élevait à 529 millions d’EUR, dont 186 millions d’EUR destinés aux restitutions à l’exportation. En 2010, la Commission européenne a obtenu 31 millions d’EUR de la vente de beurre et de lait écrémé en poudre des stocks d’intervention, et un montant supplémentaire de 73 millions d’EUR de ventes de lait écrémé en poudre en 2011. D’importantes quantités de produits en stock ont également été utilisées dans le cadre du programme en faveur des personnes démunies, qui aurait sans cela nécessité une contribution financière du budget de l’Union européenne (3).

2.6.2.

De même, en 2009/2010, le Parlement européen a approuvé le paiement direct de 300 millions d’EUR aux producteurs laitiers de l’Union européenne, soit un peu moins de 600 EUR par producteur (sur la base des modalités de distribution en Irlande), versés début 2010 avec beaucoup de retard, à un moment où les prix avaient déjà commencé à se relever. L’on ne connaît pas avec précision le coût de la gestion de cette mesure. Nous devons retenir de cette expérience que de tels paiements directs n’ont que peu d’influence sur les marchés et qu’une petite enveloppe par agriculteur finit par représenter un coût énorme.

2.6.3.

Au moment de la crise laitière de 2009, les coûts de production étaient largement inférieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui. Cette année-là, les coûts de production en Irlande étaient de 19 c/l. Ils ont augmenté et ont atteint 25,6 c/l en 2014. Le «filet de sécurité», que représentent les niveaux actuels des prix d’achat à l’intervention pour le lait écrémé en poudre et le beurre, équivaut à un prix à la production d’environ 20 c/l, et a donc totalement perdu toute pertinence par rapport aux coûts de production des agriculteurs.

2.7.

Des idées ont été présentées concernant la manière de doter l’Union européenne des moyens nécessaires pour maintenir une production laitière viable dans des situations de crise et de mieux gérer les conséquences néfastes pour la production de lait dans les régions défavorisées. Il importe que les mesures proposées soient adaptées aux fins poursuivies et correspondent à un marché laitier européen sur lequel les prix des produits laitiers, même dans les pays qui n’exportent pas, sont à présent influencés dans une large mesure par les tendances mondiales. Aucune forme de gestion unilatérale de la production de lait dans l’Union européenne, même volontaire, ne pourra modifier cet état des choses.

3.   Perspectives pour les marchés laitiers post-2015

3.1.

Les projections des Nations unies s’agissant des tendances démographiques et socio-économiques indiquent que la population mondiale passera de 7 milliards d’habitants aujourd’hui à 8,4 milliards en 2030 et à 9,6 milliards en 2050 (4). Le plus gros, si pas la totalité, de cette croissance devrait survenir dans les pays émergents, et s’accompagnera d’une croissance équivalente des «classes moyennes». Dans une publication de 2012, les analystes de HSBC Global (5) concluent que d’ici 2050 2,6 milliards de personnes percevront des revenus au moins de niveau intermédiaire, ce qui représente plus d’un tiers de la population mondiale aujourd’hui. Non seulement les membres de ce groupe seront plus nombreux, mais ils seront aussi plus riches et plus ambitieux en ce qui concerne leurs habitudes de consommation. De plus en plus, ils chercheront également à satisfaire leurs besoins protéiques au moyen de protéines animales plutôt que végétales.

3.2.

Les produits laitiers ont une carte particulièrement importante à jouer dans ce contexte, dès lors qu’ils sont généralement considérés par les gouvernements tout comme par les individus comme une contribution saine et souhaitable au régime alimentaire d’une population, et qu’ils bénéficient souvent de l’appui de politiques officielles (voir, par exemple, le programme chinois de distribution de lait dans les écoles).

3.3.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans leur dernier rapport sur les perspectives agricoles (6), prévoient que la demande de produits laitiers augmentera d’environ 2 % par an d’ici 2023, en particulier pour le lait écrémé en poudre, le lactosérum et le fromage, la tendance étant légèrement moins marquée pour le beurre (environ 1 %). Dans la septième édition de son indice des produits laitiers («Dairy index») publiée en octobre 2014, la société internationale d’emballage de produits laitiers Tetra Pak a prévu une croissance annuelle de la demande pour la période qui atteindrait 3,6 %. Tetra Pak et d’autres experts tels que GIRA, l’IFCN ou le CNIEL (7), etc., ont déclaré qu’à long terme la croissance de la production restera pour l’essentiel à la traîne par rapport à la croissance de la demande, parce que les régions les plus propices à une production durable du point de vue environnemental et compétitive du point de vue économique sont relativement peu nombreuses. Elles incluent certaines régions de l’Union européenne, notamment à ses extrémités septentrionales et occidentales.

4.   Volatilité des marges — Le principal défi pour les producteurs laitiers

4.1.

Si les perspectives générales sont pour l’essentiel très positives, des déséquilibres ponctuels entre la demande et l’offre, tels celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, provoqueront des pressions passagères sur les prix et, partant, sur les revenus agricoles. Des tendances mondiales similaires à la volatilité pour les céréales et d’autres ingrédients entrant dans la composition d’aliments exacerberont ce phénomène. Ces phénomènes seront plus que probablement de courte durée compte tenu des tendances démographiques sous-jacentes, mais ils seront potentiellement très perturbateurs en l’absence de nouvelles stratégies visant à s’y adapter.

4.2.

La volatilité des prix des produits laitiers, et donc des revenus, est une expérience relativement nouvelle pour tous les producteurs laitiers européens. Elle s’inscrit dans le prolongement de la suppression d’importants soutiens au marché et de la réduction des droits à l’importation depuis 2005-2007, au début de la précédente réforme de la PAC.

4.3.

Si le remplacement des soutiens au marché par des paiements directs aux agriculteurs contribuera à aider ceux-ci à affronter la volatilité des revenus, le niveau de redistribution par les paiements et les variations extrêmes des revenus basés sur le marché nécessiteront des stratégies supplémentaires.

5.   Gestion de la production — Une stratégie inefficace

5.1.

L’accord du cycle de l’Uruguay du GATT (à présent OMC), en vigueur de 1986 à 1994, a pour la première fois intégré l’agriculture dans les accords de commerce international. En conséquence, des changements fondamentaux ont été apportés à l’orientation de la politique de l’Union européenne. Les possibilités d’importation ont augmenté grâce à la baisse générale des tarifs douaniers et aux contingents d’importation exempts de droits de douane. Le nouvel accord du GATT a également initié un abandon progressif des aides aux marchés, pour les remplacer par des paiements directs aux agriculteurs, lesquels sont devenus plus tard de plus en plus dissociés de l’activité productive. Le régime européen des quotas laitiers, introduit seulement deux ans auparavant, n’a pas été concerné et a été prolongé plusieurs fois.

5.2.

En 2003, lors de la révision à mi-parcours de la PAC de l’époque, les États membres de l’Union européenne ont convenu de mettre fin au régime des quotas à compter du 31 mars 2015. Cette décision ayant été prise, de nouvelles mesures ont suivi en 2008 afin de rendre plus «indolore» et de faciliter la sortie du régime des quotas. Ce changement de direction politique, qui s’écarte clairement des restrictions à la production et de la gestion, intervient à un moment où les marchés mondiaux connaissent une croissance rapide. Il est dès lors logique de donner la possibilité aux producteurs laitiers européens et à l’industrie laitière européenne — et en fin de compte à l’économie de l’Union européenne — d’approvisionner ces marchés et d’amortir une partie des énormes pertes de parts de marché subies pendant les trente années de stagnation sous le régime de quotas.

5.3.

Néanmoins, la nouvelle volatilité des prix qui a suivi la mise en œuvre de la PAC précédente a provoqué en 2009 une crise importante des revenus du secteur laitier et les mérites de la restriction de la production ont été à nouveau discutés. C’est ainsi qu’une gamme de propositions fondées sur la gestion de la production ont été débattues ces deux dernières années dans différents cercles à Bruxelles.

5.4.

L’on peut citer en exemple la «proposition Dantin» adoptée par le Parlement européen à l’été 2013, dans le cadre des négociations sur la PAC 2014-2020. Le mécanisme suggéré prévoit qu’en cas de perturbations du marché les agriculteurs pourraient être encouragés à réduire volontairement leur production («buy out»), tandis que ceux qui accroîtraient leur production seraient pénalisés. Cette proposition a fait l’objet d’une analyse commandée par l’Association laitière européenne (EDA) et menée à bien par MM. Michael KEANE et Declan O’CONNOR (8).

5.5.

D’autres possibilités futures d’action en matière de produits laitiers ont également été examinées sous les angles de l’équilibre du marché et la compétitivité et de la production durable de lait, y compris dans sa dimension territoriale, par un groupe d’experts d’Ernst and Young pour le compte de la Commission européenne (9).

5.6.

Ces deux études indiquent que la gestion de la production et les quotas de production ne parviennent plus à soutenir et à stabiliser ni les prix du lait ni les revenus des producteurs laitiers. De même, elles soulignent toutes deux que le «buy out» proposé, ou d’autres mesures similaires de gestion de la production, seraient difficiles à mettre en œuvre dans l’ensemble de l’Union européenne, dès lors que le niveau de prix susceptible de provoquer une crise des revenus varie grandement d’un pays à un autre; ces mesures seraient par ailleurs inefficaces, car leurs effets ne se feraient sentir que très lentement, et elles seraient onéreuses, vu le niveau de compensation qu’il faudrait offrir aux producteurs pour qu’ils réduisent volontairement leur production. MM. Keane et O’Connor soulignent par ailleurs que s’il était mis en œuvre, un tel système aurait une pléthore de conséquences négatives prévisibles et non souhaitées sur le fonctionnement normal des marchés laitiers, et qu’il rendrait les investissements et la planification presque impossibles au niveau des exploitations et de l’industrie de transformation du lait.

5.7.

Plus important encore, l’étude de MM. Keane et O’Connor insiste vivement sur le fait que la mesure proposée ne pourrait avoir la moindre efficacité que si elle est mise en œuvre dans une économie fermée, ou si elle est introduite conjointement par tous les principaux fournisseurs internationaux dans une économie ouverte. Si, comme cela est suggéré, elle est introduite sur une base unilatérale, ce sont nos concurrents internationaux qui en bénéficieraient principalement, tandis que les producteurs laitiers de l’Union européenne perdraient de leur compétitivité, tout en continuant à souffrir des conséquences que les décisions de production de nos concurrents des États-Unis ou de Nouvelle-Zélande auraient sur le prix de leur lait.

5.8.

Tandis que l’Union européenne a subi les contraintes imposées par les quotas, la production mondiale de lait s’est envolée, augmentant de 22 % sur ces dix dernières années seulement. Au cours de la même période, nos concurrents, en particulier la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, qui ont tous deux une forte vocation à l’exportation, ont augmenté très substantiellement leur production tandis que celle de l’Union européenne diminuait notablement, et les exigences imposées par les quotas n’ont pas protégé les producteurs laitiers de l’Union européenne des fluctuations massives des prix de 2007-2009.

5.9.

On peut également supposer que les stratégies de croissance des exportations de ces pays, étayées par des plans d’investissement ayant fait l’objet d’une large publicité en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis en particulier, perdureront après-2015. Si l’Union européenne ne s’active pas, nous n’accéderons pas aux possibilités majeures d’exportation qui se présenteront à l’échelle mondiale, ce qui représentera un coût notable pour les producteurs laitiers européens, mais également un coût sur le plan de l’emploi et des revenus pour l’économie rurale de l’Union européenne.

6.   Outils de gestion des risques et amélioration du «filet de sécurité»

6.1.

L’étude de Ernst and Young recommande vivement de renforcer le filet de sécurité en cas de crise sur le marché. Elle souligne également l’importance d’aider les producteurs laitiers à faire face à la nouvelle volatilité des revenus causée par le caractère hautement variable des prix du lait et des coûts des intrants, et énumère à cet égard des instruments de gestion des risques tels que les activités de couverture, les marchés à termes, etc.

6.2.

L’Union européenne doit permettre aux États membres de mettre en place des solutions d’ordre fiscal qui aideront les agriculteurs à mettre des fonds de côté lors des bonnes années, lesquels ne seront réintroduits dans le cycle économique et taxés que lors des mauvaises années, tout en pouvant être utilisés comme levier d’investissement dans les périodes intermédiaires par ceux qui souhaitent s’étendre.

6.3.

L’Union européenne doit également encourager, promouvoir et éventuellement réglementer la mise en place par l’industrie d’options de couverture des prix et des marges qui permettraient aussi simplement que possible aux agriculteurs de fixer le prix du lait/leur marge pour un pourcentage de leur production et pour une période de temps donnée, sans avoir à être confrontés à toutes les complexités des transactions sur les marchés à terme. Les agriculteurs des États-Unis peuvent déjà accéder à ce type d’instruments par l’intermédiaire des coopératives laitières, tandis que certains acheteurs de lait (Glanbia en Irlande et Fonterra en Nouvelle-Zélande) ont introduit des mécanismes de prix/marge fixes dont bénéficient les agriculteurs. Il sera primordial d’assurer une plus vaste disponibilité d’opportunités de ce genre en Europe.

6.3.1.

Le régime de prix ferme du lait lié à l’indice Glanbia permet aux agriculteurs de bloquer volontairement un pourcentage de leur lait à un prix fixe pendant trois ans. Le prix est corrigé chaque année afin de tenir compte de l’inflation des coûts de production, de sorte que les agriculteurs puissent également garantir une bonne partie de leur marge. Depuis 2010, il y a eu quatre dispositifs triennaux de ce type, qui ont tous été sursouscrits, car ils offrent aux agriculteurs un degré élevé de certitude s’agissant des revenus qu’ils recevront pour une partie de leur lait. Il est estimé que Glanbia achète 22 % de la totalité de son lait au titre de ce régime, et la plupart des agriculteurs qui ont participé au premier dispositif souhaitent recommencer l’expérience.

6.4.

D’un point de vue économique, il est également essentiel que l’Union européenne revoie la base de ses modalités de «filet de sécurité». Inchangés depuis la mi-2008, les prix d’intervention sur le marché laitier offrent un niveau de «soutien» équivalent à 19c/l nets des coûts de traitement, ce qui n’a plus aucun rapport, ni avec le niveau aujourd’hui beaucoup plus élevé des prix du lait au niveau européen et mondial, ni avec les coûts de la production primaire, qui ont considérablement augmenté. L’Union européenne doit revoir à la hausse les niveaux de son filet de sécurité au moyen d’un relèvement du prix d’intervention du lait écrémé en poudre et du beurre qui couvre au moins l’augmentation des coûts de production et contrôler en permanence la pertinence de ce filet par rapport aux coûts de production.

6.5.

Le secteur doit examiner dans quelle mesure un instrument de crise supplémentaire peut être mis en place, notamment en cas de forte volatilité des prix susceptible de menacer la survie des agriculteurs.

6.6.

Du point de vue des agriculteurs, ce sont les coopératives qui ont la structure juridique la plus efficace pour gérer l’activité laitière. Les coopératives veillent en priorité à ce que les bénéfices reviennent à leurs actionnaires (agriculteurs) sous forme de dividende ou de prix du lait. Leurs activités se fondent sur le bien-être et l’intérêt commercial optimal de leurs membres.

6.7.

Les coopératives bénéficient d’une situation privilégiée pour jouer le rôle de relais et proposer des options de gestion de la volatilité aux agriculteurs telles que des contrats à forfait ou des possibilités de «verrouiller» le prix du lait et/ou une marge pour une période donnée.

6.8.

Toute future politique laitière doit dûment tenir compte de l’importance déterminante des coopératives et ne pas poser de problèmes à cette structure qui est idéale du point de vue des agriculteurs.

6.9.

La question de l’incapacité des agriculteurs à recouvrer les coûts de la chaîne de détail doit également être traitée. Les consommateurs ne bénéficient que peu des réductions extrêmes des prix des produits laitiers de base, par contre les détaillants cherchent toujours à s’assurer le plus grand bénéfice en mettant la pression sur les fournisseurs lorsque les prix du lait chutent comme ils le font pour le moment. La baisse des prix de gros obtenue par la pression des détaillants est en partie contestable au moins sur le plan moral, si pas légal. Elle est synonyme de marges gonflées et de profits abusifs pour les détaillants au détriment du reste de la chaîne et des consommateurs. Les agriculteurs se trouvent tout au bout de cette chaîne, et n’ont aucun moyen de protéger leur marge et d’assurer le revenu familial. Une intervention plus prompte de la Commission européenne sur le marché contribuerait à renverser plus rapidement les tendances en cas de crise du marché, et minimiserait la pression exercée par les détaillants, soulignée dans le présent paragraphe.

7.   Production durable de lait dans les zones défavorisées

7.1.

L’activité laitière apporte une contribution vitale sur les plans socioéconomique et environnemental dans toutes les régions de l’Union européenne. La PAC a depuis longtemps vocation, entre autres, à reconnaître et appuyer cette contribution, qui, dans de nombreuses régions, repose sur les petites exploitations vulnérables. Le deuxième pilier de la PAC inclut de nombreuses mesures pertinentes dans ce contexte, tout comme les nouvelles dispositions, maintenant incluses dans la PAC/OCM, qui ont tout d’abord été introduites dans le «paquet lait».

7.1.1.

Néanmoins, l’expiration des quotas pourrait vraisemblablement accélérer le déplacement de la production de lait au sein de l’Union européenne vers les zones Nord/Est, où le lait peut être produit de manière plus efficace. Cela pourrait mener à une réduction ou l’abandon de la production dans les zones d’Europe où le coût est plus élevé, élargissant ainsi le fossé économique entre ces régions.

7.1.2.

La grande majorité des exploitations dans les États membres de l’Union européenne possèdent un très petit nombre de vaches, 75 % d’entre elles comptant moins de neuf têtes (10). Même si elles sont sans doute nombreuses à produire du lait pour la consommation familiale, la vulnérabilité économique de ces exploitations est évidente, d’autant plus que bon nombre d’entre elles sont sises dans des régions montagneuses ou autrement désavantagées.

7.1.3.

La Commission européenne doit initier un projet cohérent de développement rural et laitier pour les zones de montagne, pour les régions défavorisées à vocation laitière et pour les États membres dont l’essentiel de la production laitière est assurée par de très petits troupeaux.

7.1.4.

En plus du train de mesures relatif au transfert des connaissances, ou peut-être dans le cadre de ce dernier, il est essentiel que ces exploitations bénéficient d’un accès à des services de conseil et d’éducation afin d’être aidées à prendre de bonnes décisions entrepreneuriales pour leur avenir et celui de leur(s) successeur(s). Des conseils pourraient être donnés sur la manière d’entreprendre une diversification, d’accroître l’efficacité, de s’agrandir pour peu que ce soit économiquement réalisable, et également, le cas échéant, sur de nouvelles activités à envisager pour le producteur actuel ou son successeur (réorientation professionnelle).

7.2.

Dans les régions qui risquent de souffrir de l’abandon des terres, de sous-pâturage ou d’autres effets environnementaux délétères, les paiements environnementaux relevant du deuxième pilier pourraient être orientés de façon spécifique vers les producteurs laitiers, à certaines conditions.

7.3.

Il faut encourager les producteurs de lait vulnérables de toutes les régions à s’engager auprès des organisations de producteurs et des organisations interprofessionnelles afin de promouvoir des productions de qualité et d’accroître leur poids et leur influence dans la chaîne d’approvisionnement.

7.4.

Les paiements aux jeunes agriculteurs pourraient également être utilisés afin d’encourager le renouvellement générationnel là où l’abandon des terres est une préoccupation en raison de la capacité limitée de celles-ci à générer des revenus. Pour cette catégorie d’agriculteurs, les investissements pourraient être encouragés au moyen de prêts favorables ou d’autres systèmes analogues.

Bruxelles, le 21 janvier 2015.

Le président du Comité économique et social européen

Henri MALOSSE


(1)  https://www.rabobank.com/en/press/search/2014/dairy_top20.html

(2)  http://www.milkprices.nl/

(3)  Rapports de la Commission européenne sur les mesures d’intervention dans le secteur laitier de 2008, 2009, 2010 et 2011 (EU MMO).

(4)  «Perspectives de la population mondiale: Révision de 2012», ONU, juin 2013.

(5)  «Consumer in 2050 — The Rise of the Emerging Market Middle Class» («Le consommateur en 2050 — L’essor de la classe moyenne dans les marchés émergents»), HSBC Global, octobre 2012.

(6)  http://www.oecd.org/fr/sites/perspectivesagricolesdelocdeetdelafao/produits-laitiers.htm

(7)  Institut d’études GIRA, International Farm Comparison Network (réseau international de comparaison des exploitations agricoles) et Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (France).

(8)  «Analysis of the Crisis Dairy Supply Management Proposal in the Report of the Committee on Agriculture and Rural Development (COMAGRI) on CAP Reform 2012/2013» [«Analyse de la proposition de gestion de crise de l’approvisionnement en produits laitiers contenue dans le rapport de la commission de l’agriculture et du développement rural (COMAGRI) sur la réforme de la PAC»] (version finale), septembre 2013, par Michael Keane, Cork, Irlande et Declan O’Connor, Cork Institute of Technology, Irlande.

(9)  AGRI-2012-C4-04 — «Analysis on future developments in the milk sector» («Analyse des développements futurs dans le secteur laitier») — Rapport final préparé pour la Commission européenne — DG «Agriculture et développement rural» — 19 septembre 2013, Ernst and Young.

(10)  Source: Eurostat, 1er janvier 2011.