9.5.2006   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 110/19


Avis du Comité économique et social européen sur le «Livre vert sur l'amélioration du cadre régissant les fonds d'investissement dans l'UE»

[COM(2005) 314 final]

(2006/C 110/04)

Le 12 juillet 2005, la Commission européenne a décidé, conformément à l'article 262 du traité instituant la Communauté européenne, de consulter le Comité économique et social européen sur le: «Livre vert sur l'amélioration du cadre régissant les fonds d'investissement dans l'UE».

La section spécialisée «Marché unique, production et consommation», chargée de préparer les travaux du Comité en la matière, a adopté son avis le 21 février 2006 (rapporteur: M. GRASSO).

Lors de sa 425ème session plénière des 15 et 16 mars 2006 (séance du 15 mars 2006), le Comité économique et social européen a adopté le présent avis par 138 voix pour, 1 voix contre et 4 abstentions.

1.   Introduction

1.1

Dans la perspective de l'intégration complète des marchés financiers de l'Union, le Livre vert de la Commission européenne fournit des informations stratégiques de grande importance. Comme on le sait, le développement économique et la croissance des pays européens sont étroitement liés au développement et à l'intégration des marchés financiers, intégration qui correspond également à la pleine réalisation de la troisième phase de l'Union.

1.2

Au-delà du débat académique sur la question de savoir si le développement financier précède le développement économique ou en est la conséquence, il est important de souligner que, s'agissant de la dualité du modèle axé sur les banques d'une part et les marchés financiers d'autre part, caractéristique du modèle anglo-saxon (en particulier américain) et qui le distingue du «modèle européen», la législation en vigueur et les orientations de l'Union semblent vouloir continuer à évoluer vers une intégration totale des deux orientations de notre système économique.

1.3

En effet, les marchés et institutions financiers jouent un rôle fondamental au sein de la société, puisqu'ils mettent en relation des unités en «déficit» et des unités «bénéficiaires» en suivant des règles basées sur des critères d'efficience de l'allocation et de rationalité. Il ne faut pas oublier, entre autres, qu'une saine concurrence et compétitivité s'établit entre les entreprises sur le marché des capitaux et du crédit avant même sur celui des biens.

2.   Le marché des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) dans l'UE et la nécessité d'harmoniser

2.1

La directive 85/611/CEE qui est le cadre dans lequel le secteur a évolué ces dernières années, constitue le cœur de la réglementation européenne sur l'épargne gérée en général, et les OPCVM en particulier. Bien que le processus de suppression, au sein de l'UE, des barrières législatives à l'établissement et à la commercialisation transfrontalière des produits ne soit pas complètement achevé, le marché des OPCVM s'inscrit dans un cadre réglementaire de référence harmonisé.

2.2

Le développement du marché des OPCVM est un processus continu et en progression constante. Au cours des dernières années, le patrimoine net géré a enregistré un taux de croissance à deux chiffres. Selon les données fournies par la «European Fund and Asset Management Association, Investment Company Institute, and other Mutual Fund Association», de 1996 à 2005, le marché englobant l'UE, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Norvège et la Suisse a enregistré un taux de croissance annuel composé de 14,5 %, puisqu'il est passé d'environ 1.450 milliards d'euros à plus de 4.900 milliards d'euros d'actifs nets.

2.3

La publication (1) de l'évolution annuelle du nombre et du capital total des fonds au niveau mondial met clairement en évidence que ce phénomène est en progression, tant en termes de présence que de volumes traités.

2.4

Bien qu'il en comprenne toute la difficulté, le CESE considère qu'il est essentiel de résoudre le problème de la convergence fiscale si l'on veut 'accentuer l'expansion des OPCVM. Les stratégies d'internationalisation de ce secteur peuvent être influencées par des obstacles tant à l'entrée qu'à la sortie. Les obstacles à la sortie découlent de la taxation des souscripteurs non résidents sur la base de la législation interne du fonds, alors que les obstacles à l'entrée découlent de la législation du pays de résidence du souscripteur.

2.5

Dans presque tous les pays de l'Union, le régime fiscal qui s'applique aux OPCVM s'inspire du principe de la neutralité de l'investissement par le truchement de fonds par rapport à l'investissement direct. Pratiquement tous les pays européens appliquent le modèle de la transparence fiscale formelle ou substantielle des organismes, en vertu duquel les gains sont directement imposés auprès des investisseurs. Le modèle de la transparence permet d'appliquer le principe de neutralité à l'exportation des capitaux (capital export neutrality) et, en l'absence de prélèvements à la source sur les bénéfices financiers perçus par le fonds, il implique l'imposition des investisseurs sur la base du principe de résidence.

3.   Observations relatives au point «Évaluation générale»

3.1

Dans l'industrie financière européenne la taille moyenne des OPVCM représente en moyenne moins d'un tiers de celle de leurs équivalents américains. De ce fait, les économies d'échelle sont moins importantes dans la gestion, au détriment du rendement net servi aux investisseurs finaux.

3.2

Toutefois, même si l'objectif prioritaire du législateur communautaire est d'élaborer une réglementation relative à la finance des produits, le CESE considère que les avantages réels pour les investisseurs dépendent de la réglementation globale du système financier (donc: la réglementation sur les produits et les services).

3.3

Par ailleurs, le Livre vert met l'accent sur le fait que l'externalisation de certaines fonctions potentiellement génératrices de conflits d'intérêts est susceptible d'entraîner une augmentation du risque opérationnel. Pour le CESE, cette préoccupation est fondée et des mesures réglementaires adéquates devraient être prises pour y répondre.

3.4

Dès qu'un processus est fragmenté en plusieurs parties confiées à des organisations différentes, ce ne sont pas tant les aspects techniques de cette fragmentation qui posent problème que les conditions d'équilibre dans lesquelles le (nouveau) marché qui régit les relations entre acheteur et vendeur se développe. Prenons comme exemple l'analyse financière. Dans la pratique courante, les analyses financières font l'objet d'échanges non autonomes mais incorporés dans d'autres services, normalement de nature opérationnelle. Ainsi, le courtier de titres a tendance à distribuer des analyses sur différents titres en échange d'une continuité opérationnelle basée sur des commissions qui englobent notamment le coût de l'analyse.

3.5

La circulation des informations (analyse) s'effectue par conséquent selon les logiques de marché typiques d'un «bien public»: la quantité d'informations nécessaires est fournie et le prix est la somme de ce qu'ont payé les différents acheteurs. Parmi ceux-ci toutefois, seul un petit nombre paie réellement. L'effet est à tout le moins déséquilibrant: l'élaboration d'analyses est une activité sous-rémunérée, ce qui incite au développement d'économies d'échelle dans ce secteur, avec la baisse inévitable de la qualité qui en résulte et une tendance à exploiter les bénéfices sur les coûts découlant notamment des conflits d'intérêts (voir à titre d'exemple, l'intervention de la FSA britannique en matière de commissions en nature (soft commission) entre courtiers négociant et gestionnaires de patrimoines). Le CESE est d'avis qu'il conviendrait de définir des règles permettant d'éviter autant que possible de confondre les mécanismes de formation des prix dans le secteur de l'intermédiation des risques incorporés dans les capitaux financiers avec ceux de la formation des prix dans le secteur de l'intermédiation/transformation des risques d'investissement.

4.   Réponses aux questions posées

4.1   Question 1: Les initiatives ci-dessous assurent-elles une sécurité juridique suffisante dans l'application de la directive?

A.

Élimination des incertitudes concernant l'agrément des fonds créés au cours de la période de transition entre OPCVM I et OPCVM III.

B.

Simplification de la procédure de notification des fonds disposant du passeport.

C.

Soutien à la mise en œuvre des recommandations de la Commission sur l'utilisation des instruments dérivés et sur le prospectus simplifié.

D.

Clarification de la définition des «actifs» qui peuvent être acquis par les OPCVM.

4.1.1

Pour répondre à cette question, il convient d'opérer une distinction entre la finance «des produits» et la finance «des services». Si la première a pour objet de définir des instruments opérationnels qui permettent aux apporteurs et aux receveurs de capitaux financiers de se rencontrer, la seconde recherche les instruments les mieux adaptés aux exigences du receveur ou du donneur de fonds et précise, si le produit adéquat fait défaut, quelles sont les caractéristiques manquantes.

4.1.2

La transformation des systèmes financiers «axés sur les banques» en systèmes «axés sur les marchés» modifie la fonctionnalité de l'intermédiation financière, laquelle se retrouve de plus en plus à intermédier des risques plutôt que des capitaux. L'intermédiation des risques est avantageuse à condition que l'intermédiaire sache les traiter à un coût moins élevé que l'investisseur. Il convient par conséquent de se demander si une réglementation ayant pour objet la réduction absolue des risques est plus efficace qu'une réglementation visant à garantir une efficience adéquate au processus d'intermédiation des risques.

4.1.3

Il ne faut pas oublier que même dans un contexte de marchés financiers efficients, le risque global d'un investissement devrait idéalement être subdivisé en deux parties: le «risque de pay-off (valeur à l'échéance)» et le «risque d'information». Le premier mesure la volatilité du rendement d'un investissement. Le second en revanche mesure la difficulté (due essentiellement à un manque d'informations des acteurs économiques) d'évaluer correctement le risque de pay-off. Il convient de prendre conscience du fait que la prime de risque incluse dans les choix des agents économiques découle des deux types de risques et que les liens entre ceux-ci ne sont pas simplement additionnels mais caractérisés par des corrélations d'intensité diverse.

4.1.4

Ces éléments ayant été précisés, le CESE considère qu'une réponse affirmative peut être donnée à la question, étant entendu que les observations formulées valent pour le secteur de la «finance des produits». S'agissant de la «finance des services», il serait opportun d'accroître la liberté de prestation des services d'investissement, par exemple en éliminant les entraves actuelles aux activités de promotion financière, qui ne respectent pas pleinement le principe du contrôle du pays d'origine.

4.1.5

La préoccupation à l'origine de ce manque de liberté est claire: il s'agit d'éviter toute fraude liée à mise en place d'un réseau de promoteurs en tirant profit du système plus souple de certains États membres. Toutefois, de l'avis du CESE, ce raisonnement présente une faille dès le départ: si la fraude est possible, cela veut dire que les systèmes ne sont pas réellement équivalents.

4.1.6

Aussi le CESE est-il d'avis qu'il convient d'accroître la «libre-circulation» des activités liées à la «finance des services», et rendre ainsi plus homogène l'application dans les différents États membres des directives communautaires en matière d'investissements et de valeurs mobilières (y compris OPCVM III).

4.2   Question 2: D'autres problèmes qui se poseraient en relation avec l'application quotidienne de la directive doivent-ils être examinés en priorité?

4.2.1

La convergence réglementaire doit être assortie de mesures destinées à coordonner les règles fiscales applicables à ce secteur. Actuellement, comme pour tous les autres domaines de la finance, différents systèmes nationaux coexistent sur le marché européen ainsi que, dans certains cas, des règles découlant des accords bilatéraux conclus pour lutter contre la double imposition.

4.2.2

L'entrelacs des différentes législations fiscales entraîne des distorsions de la concurrence, des doubles impositions ainsi que des opportunités d'arbitrage, et est source de fraude et d'évasion fiscales. Compte tenu de l'internationalisation croissante du marché, une plus grande efficacité des pratiques législatives nationales dans ce domaine s'impose.

4.2.3

La variable fiscale représente un formidable instrument protectionniste et de promotion pour les États membres. Les interprétations fiscales différentes pouvant être données des OPCVM d'autres États membres de l'UE permettent d'appliquer des régimes fiscaux moins avantageux, ce qui revient à créer, dans les faits, une sorte de barrière à l'entrée. Le CESE est conscient que l'harmonisation fiscale est un objectif difficile à réaliser à court terme, notamment en raison de l'unanimité requise dans cette matière. Aussi suggère-t-il de prendre en considération la définition d'un régime fiscal communautaire relatif à l'imposition et aux prélèvements sur les produits d'investissement.

4.3   Question 3: Un véritable passeport pour la société de gestion apporterait-il des avantages supplémentaires significatifs sur le plan économique, par rapport aux solutions de gestion déléguée? Veuillez indiquer les sources et l'importance probable des avantages escomptés.

4.3.1

Le passeport et le «prospectus simplifié» sont des mesures appropriées pour surmonter les problèmes liés à la fragmentation du marché et aux obstacles posés à une mobilité parfaite des capitaux et à l'achèvement des marchés, ainsi que pour instaurer une certitude juridique suffisante. Dans le même temps, le CESE juge indispensable de continuer à dissiper les incertitudes liées à la reconnaissance des fonds créés lors du passage de l'OPCVM I à l'OPCVM III.

4.4   Question 4: Le partage des responsabilités de surveillance entre deux États membres différents, selon qu'il s'agit de la société de gestion ou du fonds, se traduirait-il par une augmentation du risque opérationnel ou par un affaiblissement du contrôle? Veuillez décrire les causes du problème et les mesures qu'il conviendrait de prendre pour contenir efficacement ces risques.

4.4.1

Le CESE est conscient que deux modèles financiers coexistent au sein de l'UE, le modèle anglais et le modèle continental, et qu'il sera difficile de les faire converger à court terme. Toutefois, dans ce cas également, il souhaite que les nouvelles normes prévoient l'application d'une seule source réglementaire à même de faciliter le processus de convergence. Il considère en effet que la mise en place de barrières législatives à l'utilisation mixte des instruments prévus par l'une ou l'autre de ces réglementations ne ferait que perpétuer le déséquilibre actuel.

4.4.2

Le CESE est convaincu que le partage entre deux États membres de la responsabilité de surveillance de la société de gestion et du fonds rend le contrôle plus difficile, ce qui risque de rendre leur intervention moins efficace. Aussi est-il opportun de prévoir que la responsabilité vis-à-vis de l'investisseur doit continuer de relever du fonds du pays d'appartenance de l'investisseur, y compris lorsque la société de gestion est une société étrangère.

4.5   Question 5: Un renforcement de la transparence, de la comparabilité et de l'attention accordée aux besoins des investisseurs au niveau de la distribution des parts de fonds pourrait-il améliorer concrètement le fonctionnement des marchés européens de fonds d'investissement et le niveau de protection des investisseurs? Convient-il d'en faire une priorité?

4.5.1

Pour améliorer le fonctionnement du marché des fonds et la protection des investisseurs, il ne suffit pas seulement de réglementer la production des instruments financiers. Si l'on veut que les investisseurs soient en mesure d'opérer des choix en connaissance de cause, le CESE suggère que l'on accorde une attention appropriée à la distribution et que l'on en améliore la transparence.

4.5.2

Les informations fournies aux investisseurs ne peuvent faire totalement abstraction du contexte culturel dans lequel ils vivent depuis toujours. L'élargissement de l'Union à des États qui, il y a quinze ans encore, ne participaient pas à l'économie de marché pose la question de l'opportunité de maintenir un modèle unique en matière d'information. Le CESE considère qu'il faudrait, à cet égard, engager une réflexion en gardant à l'esprit d'une part qu'il est nécessaire de se doter d'un cadre normatif aussi simple et uniforme que possible et, d'autre part, que des différences subsistent dans la culture économique et financière de certains États membres.

4.6   Question 6: Une clarification des «règles de conduite» applicables aux entreprises distribuant les parts de fonds aux investisseurs de détail contribuerait-elle significativement à cet objectif? D'autres types de mesures (comme un renforcement des obligations d'information) doivent-ils être envisagés?

4.6.1

De l'avis du CESE, si la clarification des règles de conduite applicables aux distributeurs ne peut être que souhaitable, il ne faut toutefois pas sous-estimer le fait que l'application au quotidien de la directive en ce qui concerne la gestion des risques et la transparence des commissions pose des difficultés objectives qu'il n'est pas toujours facile de surmonter.

4.6.2

La question technique du rapport de performance (benchmark), qui prend une importance totalement différente selon que le mandat de gestion vise à «battre le benchmark» ou à «reproduire le benchmark», en constitue un exemple. À instruments techniques égaux, le mandat de délégation différent implique une prise de risques différente. En effet, pour «battre le benchmark», il faut donner au gérant une certaine marge de liberté dans les allocations, ce qui implique une prise de risques plus élevée.

4.6.3

Dans ce contexte, le CESE propose d'introduire des réglementations visant à améliorer la transparence des modalités (pas les quantités) de rotation des investissements incorporés dans les portefeuilles. En effet, à performances brutes égales, les rotations de portefeuilles plus importantes impliquent des coûts de transactions plus élevés, ce qui réduit les performances nettes en faveur du client. Il s'agit en l'occurrence d'un thème particulièrement sensible lorsqu'une une partie des coûts de transaction est ensuite reconnue/remboursée au gérant.

4.7   Question 7: Certains problèmes particuliers aux fonds échappent-ils aux travaux en cours pour la mise en œuvre détaillée des règles de conduite de la DMIF?

4.7.1

La directive concernant les marchés d'instruments financiers (DMIF) peut fournir une base juridique importante, surtout lorsqu'il s'agit d'améliorer la transparence du processus de distribution des OPCVM.

4.7.2

La directive DMIF ne règle toutefois pas la transparence en matière de négociation des obligations, dont le degré d'opacité peut être important. De l'avis du CESE, cette directive ne peut par conséquent pas être considérée comme un instrument qui complète et comble toutes les lacunes du cadre normatif des OPCVM.

4.8   Question 8: Les fusions transfrontalières de fonds répondent-elles à une logique commerciale ou économique (avantages nets)? Ces avantages pourraient-ils être en grande partie atteints par une rationalisation à l'intérieur des frontières nationales?

4.8.1

La taille moyenne des fonds européens est encore relativement petite: en 2004, elle était de 195 millions de dollars en Europe contre 628 millions de dollars aux États-Unis. Cet aspect a une incidence sur la possibilité de faire des économies d'échelle et, partant, sur le rendement et surtout sur la rentabilité de la société qui gère le fonds.

4.8.2

Il est notoire que l'une des conséquences financières de la mondialisation de l'économie est la réduction du niveau absolu des risques, qui s'accompagne d'un nouvel agencement entre les risques systématiques (croissants) et les risques spécifiques (décroissants). En conséquence, même si on admet dans ce cas également que les processus de fusion transfrontalière peuvent augmenter les économies d'échelle, il est nécessaire d'en limiter l'application aux produits pour lesquels elles sont réellement un gage de succès, c'est-à-dire à tous les secteurs de l'épargne gérée dans lesquels l'efficience est plus importante que l'efficacité. En revanche, dans les secteurs où l'efficacité fait défaut, les processus d'agglomération pourraient avoir des effets tout autres que bénéfiques.

4.9   Question 9: Les avantages souhaités pourraient-ils être obtenus par la voie des techniques de «pooling»?

4.9.1

La gestion centralisée des actifs des différents fonds qui présentent des caractéristiques fondamentalement similaires permet de réaliser d'évidentes économies d'échelle et est un outil déjà utilisé par les sociétés de gestion pour améliorer la gestion des investissements. En revanche, la gestion centralisée transfrontalière des fonds d'investissement se heurte à des problèmes fiscaux qui ont déjà été largement débattus. De l'avis du CESE, elle ne peut par conséquent constituer une alternative aux problèmes et difficultés juridiques et institutionnels que rencontre la consolidation de l'industrie des fonds d'investissement.

4.10   Question 10: La concurrence dans la gestion des fonds et/ou de la distribution est-elle suffisante pour garantir que les investisseurs bénéficieront des économies d'échelle/réductions de coûts?

4.10.1

La réponse à cette question est négative, comme l'illustre notamment l'expérience du marché américain. Sur ce marché en effet, les fonds d'investissement existent depuis soixante ans. En dépit de l'augmentation spectaculaire du nombre de fonds proposés et de leur taille, les frais à charge des fonds et des investisseurs ont dans l'ensemble presque doublé (2). Ceci s'est traduit par une performance nette moins satisfaisante par rapport aux indices (benchmark): alors qu'au cours de la période de 1945 à 1965 les indices ont surperformé les fonds de 1,7 % en moyenne par an, de 1983 à 2003 ce chiffre a augmenté pour atteindre 2,7 % par an.

4.11   Question 11: Quels sont les avantages et les inconvénients (risques prudentiels et commerciaux) qui résulteraient de la possibilité de choisir un dépositaire d'un autre État membre? Dans quelle mesure la délégation ou d'autres formules seraient-elles une alternative à une initiative législative dans ce domaine?

4.11.1

La possibilité de choisir un dépositaire d'un autre État membre que celui de la société de gestion du fonds pourrait accroître la concurrence entre dépositaires et par-là même faire baisser les charges qui grèvent le fonds.

4.11.2

Dans le même temps, cela pourrait impliquer des risques élevés en termes de surveillance, si la coopération et la convergence entre les autorités de réglementation du secteur ne sont pas suffisamment développées.

4.11.3

Même si elles sont considérables, les commissions versées au dépositaire sont inférieures à d'autres coûts, par exemple les frais de distribution. Aussi le CESE suggère-t-il d'évaluer soigneusement les avantages et les risques d'une initiative législative dans ce domaine.

4.12   Question 12: Pensez-vous qu'un processus continu de normalisation à l'initiative des acteurs du secteur serait en mesure de porter ses fruits dans des délais raisonnables? Une intervention des autorités publiques est-elle nécessaire?

4.12.1

La standardisation, l'automation et l'informatisation du placement d'ordres et de la liquidation des fonds sont des préalables essentielles si l'on veut que les distributeurs puissent élargir leur gamme de produits et augmenter la concurrence.

4.12.2

Toutefois, cela impliquerait de profonds changements au niveau des règles et normes régissant les procédures opérationnelles et informatiques, qui infligeraient des coûts considérables aux opérateurs. Il ne faut pas oublier qu'en Europe continentale, les sociétés de gestion des fonds et les distributeurs font souvent partie du même groupe. Dans ce contexte, il est probable que les opérateurs soient moins enclins à supporter les frais requis pour accroître la concurrence au niveau de la distribution. Aussi peut-on partir du principe qu'une intervention des autorités publiques peut stimuler et accélérer ce processus.

4.13   Question 13: Le recours substantiel à des limites d'investissement formelles constitue-t-il une approche viable pour parvenir à un degré élevé de protection des investisseurs?

4.13.1

L'efficacité de comportements rigides face au risque fait depuis toujours l'objet d'un vaste débat en économie, surtout à la lumière des avantages alternatifs qui découlent des expériences enregistrées après la conclusion des accords de change de Bretton Woods. Cela s'explique par le fait que la nature du risque économique évolue par rapport au temps: à court terme, tout ce qui fluctue par rapport à une contrainte représente un risque. Au contraire, à long terme, le risque réside dans tout ce qui est rigide par rapport aux évolutions du système. En conséquence, l'introduction d'une certaine rigidité imposée par des limites formelles aurait des effets bénéfiques à court terme mais impliquerait des risques substantiels à long terme.

4.13.2

À cette constatation s'ajoute un élément qui ressort des dernières études réalisées dans le secteur de la «finance comportementale»: le comportement et les décisions des différents agents ont tendance à être sensiblement influencés par le degré de risque couru. Lorsque le risque augmente, on observe des comportements plus réactifs et vice-versa. Par conséquent, le CESE est défavorable à une réglementation rigide à l'excès qui pourrait avoir une double conséquence à long terme, à savoir la viscosité opérationnelle des instruments et une réactivité réduite des agents économiques, dont les effets, bien qu'ils doivent tous encore être déterminés, seraient certainement négatifs. Inversement, la conscience de «perdre vraiment» son capital pourrait être le stimulant le plus efficace pour assurer sa protection.

4.13.3

Ce phénomène a un effet de distorsion supplémentaire sur les marchés, dans la mesure où l'on s'attend à ce que les résultats positifs de la prise de risques soient intégrés par l'investisseur et à ce que les résultats négatifs soient transférés au marché.

4.14   Question 14: Pensez-vous que les protections — au niveau de la société de gestion et du dépositaire — sont suffisamment robustes pour faire face aux nouveaux risques apparus en matière de gestion et d'administration des OPCVM? Quelles autres mesures visant à maintenir un degré élevé de protection des investisseurs jugeriez-vous appropriées?

4.14.1

Le CESE propose une intervention à court terme, le cas échéant au moyen de réglementations formelles et rigides, mais dans le seul but de briser les accords collusifs. Le marché serait alors plus mûr et les liens rigides seraient dès lors inutiles. Un secteur particulièrement intéressant à cet égard est la fourniture d'informations. Trop souvent, les obligations imposées en la matière portent sur des délais tout à fait incohérents (trop courts) par rapport à ceux qui s'appliquent aux produits financiers, de sorte que les informations fournies ont du mal à faire ressortir les bénéfices en termes de diversification temporelle que présentent certains investissements.

4.14.2

Afin de renforcer la protection des investisseurs, le CESE suggère d'envisager la possibilité de créer un fonds spécial de garantie alimenté notamment par les recettes provenant des sanctions imposées par les autorités de surveillance. Bien entendu, ce fonds ne devrait pas couvrir les risques de marché liés aux investissements des OPCVM. En revanche, il devrait contribuer à la réparation des dommages subis par les investisseurs lorsque les intermédiaires ne respectent pas la réglementation.

4.15   Question 15: Connaissez-vous des cas de distorsion dans le choix des investisseurs qui exigeraient une attention particulière de la part des législateurs européens et/ou nationaux?

4.15.1

Les fonds d'investissement sont en concurrence avec des produits financiers tels que les polices en unités de compte, considérés comme comparables par les investisseurs bien que leur réglementation soit très différente.

4.15.2

Cette situation peut provoquer des distorsions dans le choix des investisseurs et avoir des répercussions négatives sur le plan du coût et des risques liés aux investissements consentis. Le Comité considère que l'on ne peut pas lutter contre ce problème avec une concurrence réduite ou en assouplissant les restrictions et les garanties auxquelles sont soumis les fonds d'investissement. Il est au contraire souhaitable d'ajuster les normes vers le haut, afin de soumettre les produits financiers perçus comme une alternative directe aux fonds d'investissement à des exigences juridiques comparables à celles qui s'appliquent à ces fonds.

4.16   Question 16: Dans quelle mesure les problèmes de fragmentation réglementaire induisent-ils des difficultés d'accès au marché pour a) les fonds de capital investissement et b) les fonds alternatifs et les fonds de fonds alternatifs de nature à rendre souhaitable la définition d'une approche commune au niveau de l'UE à leur égard?

4.16.1

Une précision s'impose pour clarifier cette question ainsi que le problème posé par la question précédente. Le législateur doit définir clairement la notion de valeur mobilière. Il y a lieu de clarifier de manière non équivoque si cette notion implique ou non la liquidité de l'instrument financier. Ces deux notions sont aujourd'hui utilisées comme des synonymes, ce qui tend à «éliminer» de la catégorie des valeurs mobilières tant les investissements alternatifs que les produits de substitution des OPCVM. De l'avis du CESE, ce malentendu pourrait avoir de graves conséquences dans la mesure où il pourrait amener à confondre deux principes bien différents de la théorie des marchés financiers, à savoir l'efficience et la complétude.

4.16.2

Un marché financier est efficient si les coûts de transaction des investissements qu'il intègre sont acceptables. Un marché financier est complet s'il intègre tous les investissements possibles.

4.16.3

Les fonds d'investissement et les fonds alternatifs doivent être appréciés sur le plan de l'efficacité (capacité de sélectionner les meilleurs investissements) plutôt que sur celui de l'efficience (capacité de réaliser des économies d'échelle au niveau des coûts). Aussi la taille des fonds revêt-elle moins d'importance. Au contraire: des problèmes relatifs à l'efficacité (capacité de réagir rapidement sur le marché sans influencer son évolution) et à la limitation du risque systémique (cf. le sauvetage du fond LTCM en 1998) indiquent qu'il est préférable de ne pas encourager une augmentation excessive de la taille des fonds.

4.17   Question 17: Existe-t-il des risques particuliers (du point de vue de la protection des investisseurs ou de la stabilité du marché) associés aux activités des fonds de capital investissement ou des fonds alternatifs qui mériteraient une attention spéciale?

4.17.1

Outre le risque de pay-off (valeur à l'échéance), ces investissements se caractérisent par un important risque d'information. Si l'on a raison de le réglementer, surtout pour limiter le risque de fraude, ce serait toutefois une erreur d'essayer de le réduire excessivement. En effet, si ces fonds devenaient totalement transparents, cela risquerait de diminuer l'importance des compétences du gestionnaire, alors qu'elles sont à la base de la production de rendements qui n'ont qu'un lien infime avec le marché.

4.17.2

Le Comité considère qu'il est vain et utopique d'essayer de rendre transparent un processus complexe. Il convient plutôt de faire prendre conscience à l'investisseur «moyen» que l'investissement alternatif requiert des connaissances plus approfondies et, s'il ne les possède pas, l'intervention d'un spécialiste.

4.18   Question 18: Dans quelle mesure un régime commun applicable aux placements privés contribuerait-il à surmonter les obstacles au développement d'une offre transfrontalière d'instruments alternatifs destinée à des investisseurs avertis? Cette clarification des procédures de commercialisation et de vente peut-elle être introduite indépendamment de mesures d'accompagnement au niveau du gestionnaire du fonds, etc.?

4.18.1

La mise en place d'un régime commun pour les placements privés destiné à des investisseurs avertis pourrait imprimer un élan important au développement du capital investissement dans l'Union européenne.

4.18.2

Par définition, les investisseurs avertis doivent posséder les compétences techniques et la capacité patrimoniale nécessaires pour procéder à des investissements à haut risque, comme dans le cas du capital investissement. Il faut dès lors partir du principe qu'ils sont à même d'évaluer la capacité et la crédibilité des gestionnaires. En outre, étant donné que les fonds de capital investissement garantissent par leur nature une certaine diversification des risques, des mesures d'accompagnement susceptibles de réglementer excessivement les activités de la société de gestion ne devraient pas être nécessaires.

4.19   Question 19: La législation OPCVM actuelle, prescriptive et axée sur les produits, constitue-t-elle à long terme un cadre viable pour un marché européen des fonds d'investissement intégré et bien surveillé? Dans quelles conditions, ou à quel stade, conviendra-t-il d'envisager une évolution vers une législation axée sur des principes et fondée sur les risques?

4.19.1

Les lacunes du système actuel sont illustrées par de nombreux exemples. L'on peut citer entre autres les fonds cotés en bourse (Exchange traded Funds) qui combinent les aspects positifs d'un fonds (diversification importante) et ceux d'une action (possibilités continues de vente et d'achat sur le marché). Si la directive facilite la diffusion de cet instrument dans la mesure où il bénéficie du passeport OPCVM, elle limite en revanche sa possession par un autre OPCVM parce qu'elle le considère comme une action.

4.19.2

Compte tenu notamment des observations formulées concernant les investissements alternatifs et de l'importance de ne pas se limiter à la finance des produits mais de prendre également en compte la finance des services, le CESE est d'avis qu'il est souhaitable d'évoluer vers une réglementation fondée sur les principes. Dans le même temps, il considère que le cadre normatif doit être actualisé en adoptant une approche progressive et en cherchant à assurer un équilibre raisonnable entre délais de consultation et rapidité du processus de révision.

5.   Les défis futurs

5.1

De ce qui précède, il ressort que le système européen des OPCVM reste un marché fragmenté, composé d'entreprises de relativement petite taille par rapport aux entreprises américaines, dans lequel la collaboration et les flux transfrontaliers font encore l'objet d'une certaine viscosité, ce qui ne permet pas d'obtenir d'importantes économies d'échelle et, partant, un abattement significatif des coûts.

5.2

Par ailleurs, accorder, comme le fait notamment le Livre vert (3), une importance excessive à la définition des actifs qui peuvent être acquis par les OPCVM et imposer aux fonds d'investir principalement dans des instruments financiers liquides, empêcherait toute intervention sur des marchés non réglementés.

5.3

Aussi serait-il serait souhaitable de prendre en compte la possibilité de procéder à des opérations de capital investissement. Cette approche serait cohérente avec l'objectif qui consiste à ouvrir le capital des PMI à la participation du capital à risque et du capital investissement.

5.4

Le système économique européen est fortement marqué par les petites et moyennes entreprises, qui sont souvent sous-capitalisées parce qu'elles ont principalement recours aux banques.

5.5

Cette sous-capitalisation est souvent assortie d'un endettement excessif, surtout sous forme de dettes à court terme et par de nombreuses dettes et de crédits commerciaux liés à l'interdépendance extrême des entreprises d'une même filière de production. Ceci s'explique également par une conception de la propriété typique du capitalisme familial, dans lequel patrimoine de l'entrepreneur et capital de l'entreprise sont souvent étroitement mêlés.

5.6

Compte tenu des questions qui se posent au niveau de l'entreprise et de la nécessité d'atteindre des objectifs plus généraux en termes de «système» de production à l'échelle européenne, il y a lieu de développer des solutions stratégiques pour résoudre les problèmes financiers des PME. Ces objectifs s'articulent autour de trois axes pouvant être résumés comme suit:

favoriser une culture d'entreprise qui a pour objet d'ouvrir le capital des PME à l'apport de capital risque par des tiers et des organismes financiers,

favoriser l'innovation en tant qu'outil de compétitivité sur les marchés mondialisés,

assurer la continuité (et la succession) de l'entreprise, considérée comme un processus qui ne doit pas provoquer de «discontinuités» susceptibles de compromettre la vie de l'entreprise.

5.7

Dans ce contexte, le législateur européen devrait accorder la plus grande attention au secteur important du capital investissement, dans la mesure où le secteur du capital risque est encore trop peu développé en Europe.

5.8

Le Comité considère par ailleurs que la réflexion en cours sur le cadre réglementaire des fonds d'investissement doit également être mise à profit pour examiner soigneusement le développement de la finance socialement responsable qui ne sacrifie pas le développement social et la protection de l'environnement au profit. En 2003, les «fonds éthiques» représentaient environ 0,37 % de l'ensemble du patrimoine géré par les OPCMV (4) européens. Il ressort de la concurrence avec le marché américain, sur lequel 11,3 % de l'ensemble du patrimoine géré par les OPCVM appartenaient, toujours en 2003, à des fonds éthiques, qu'en Europe la marge de croissance de la finance socialement responsable est encore très importante.

5.9

Afin d'accélérer le développement de la finance socialement responsable, les États membres pourraient prévoir des mécanismes d'encouragement fiscal axés sur une détaxation partielle des gains perçus sur ces investissements, dans le sillage des dispositions qui existent dans certains États membres et permettent de déduire fiscalement les contributions versées sur une base volontaire à des organisations qui ont une utilité sociale. En outre, des facilités fiscales devraient être accordées aux profits de fonds réinvestis, le cas échéant, dans des organisations d'utilité sociale.

5.10

S'agissant du caractère innovant de cette proposition, le Comité souhaite que l'on approfondisse davantage la question et qu'une étude de faisabilité soit réalisée, qui analyse notamment les meilleures pratiques actuellement en vigueur.

5.11

Par conséquent, les défis qui se posent à moyen et long terme consistent essentiellement à:

prendre en considération les nouveaux produits issus de l'innovation financière, et en particulier les investissements alternatifs, de plus en plus indispensables au financement de l'innovation pour les PME,

résoudre, notamment par le biais de fusions, le problème de la trop petite taille des fonds européens dont les coûts de gestion ne sont pas compétitifs, tout en faisant «émerger» le marché de l'information et de l'analyse,

réaliser un marché «complet» dans lequel la «finance des produits» et la «finance des services» sont réglementées.

5.12

Les informations correctes sur les risques et les produits qui y sont soumis, la crédibilité des gérants quant à la quantité et aux modalités des transactions sont autant d'éléments qui, au-delà de normes certes nécessaires, peuvent conférer au marché confiance, loyauté et règles de comportement, éléments fondamentaux si l'on veut qu'il soit efficient et efficace en matière d'allocation des ressources.

5.13

Par conséquent, harmoniser la réglementation fiscale, encourager les fusions, permettre la gestion conjointe de fonds (ou pooling), favoriser la concurrence dans le secteur de la gestion et de la distribution des produits et des services, dépasser le lien de l'appartenance au même État membre que celui la société de gestion et du dépositaire, éviter les «coûts de transaction» élevés liés aux procédures fragmentées de souscription et de remboursement sont autant d'opérations qui amélioreront l'efficience et l'efficacité du marché.

Bruxelles, le 15 mars 2006.

La Présidente

du Comité économique et social européen

Anne-Marie SIGMUND


(1)  Source: European Fund and Asset Management Association, Investment Company Institute, and other Mutual Fund Association.

(2)  Bogle J.C. (2005), «The mutual Fund Industry 60 years later: For Better or Worse?», Financial Analysts Journal, Janvier/février.

(3)  COM(2005) 314 final, point 4, page 5.

(4)  Sustainable Investment Research International (SiRi) Group.