12.8.2016   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

L 217/53


RECOMMANDATION (UE) 2016/1374 DE LA COMMISSION

du 27 juillet 2016

concernant l'État de droit en Pologne

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 292,

considérant ce qui suit:

(1)

L'Union européenne est fondée sur un éventail de valeurs communes, consacrées à l'article 2 du traité sur l'Union européenne, au nombre desquelles figure le respect de l'État de droit. La Commission, au-delà de sa mission consistant à garantir le respect du droit de l'Union européenne, est également chargée, avec le Parlement européen, les États membres et le Conseil, de garantir les valeurs communes de l'Union.

(2)

À cette fin, la Commission, compte tenu des responsabilités qui lui incombent en vertu des traités, a adopté, le 11 mars 2014, une communication intitulée «Un nouveau cadre de l'Union européenne pour renforcer l'État de droit» (1). Ce cadre expose la manière dont la Commission réagira si des indices clairs d'une menace pour l'État de droit venaient à apparaître dans un État membre de l'Union et explique les principes que l'État de droit recouvre.

(3)

Le cadre pour l'État de droit donne des orientations pour un dialogue entre la Commission et l'État membre concerné afin d'empêcher toute escalade dans les menaces systématiques à l'encontre de l'État de droit.

(4)

Ce dialogue a pour objet de permettre à la Commission de trouver une solution avec l'État membre concerné afin de prévenir l'émergence d'une menace systématique à l'encontre de l'État de droit qui pourrait se muer en un «risque clair de violation grave» susceptible d'entraîner le recours à la procédure dite «de l'article 7 du TUE». S'il existe des indices clairs d'une menace systémique envers l'État de droit dans un État membre, la Commission peut engager un dialogue avec cet État membre dans le cadre pour l'État de droit.

(5)

La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que des documents élaborés par le Conseil de l'Europe, qui reposent notamment sur l'expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit («Commission de Venise»), fournit une liste non exhaustive de ces principes et définit ainsi la substance de l'État de droit, valeur commune de l'Union au sens de l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE). Parmi ces principes figure celui de la légalité, qui suppose l'existence d'une procédure d'adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste; la sécurité juridique; l'interdiction de l'arbitraire du pouvoir exécutif; des juridictions indépendantes et impartiales; un contrôle juridictionnel effectif, y compris le respect des droits fondamentaux; et l'égalité devant la loi (2). En plus de défendre ces principes et valeurs, les institutions étatiques ont également un devoir de coopération loyale.

(6)

Le cadre doit être activé lorsque les autorités d'un État membre prennent des mesures, ou tolèrent des situations, qui sont susceptibles de porter atteinte de manière systématique à l'intégrité, à la stabilité ou au bon fonctionnement des institutions et aux mécanismes de protection prévus au niveau national pour garantir l'État de droit (3). L'objectif est de faire face à des menaces systémiques envers l'État de droit (4). Il faut que l'ordre politique, institutionnel et/ou juridique d'un État membre en tant que tel, sa structure constitutionnelle, la séparation des pouvoirs, l'indépendance ou l'impartialité du pouvoir judiciaire ou le système de contrôle juridictionnel, y compris la justice constitutionnelle lorsqu'elle existe, soit menacé(e) (5). Le cadre doit être activé lorsque les «mécanismes de protection de l'État de droit» nationaux ne semblent pas en mesure de mettre fin à ces menaces.

(7)

Le cadre pour l'État de droit prévoit trois étapes. Lors d'une première étape («Évaluation de la Commission»), la Commission rassemble et examine toutes les informations utiles et apprécie s'il existe des indices clairs d'une menace systémique envers l'État de droit. Si, à la suite de cette évaluation préliminaire, la Commission estime qu'il existe une menace systémique envers l'État de droit, elle engage un dialogue avec l'État membre concerné, en lui adressant un «avis sur l'État de droit» motivant ses préoccupations et en lui donnant la possibilité de répondre. L'avis pourrait être le résultat d'un échange de correspondance et de réunions avec les autorités compétentes et être suivi d'autres échanges. Lors d'une deuxième étape («Recommandation de la Commission»), si le problème n'a pas trouvé de solution satisfaisante, la Commission peut adresser à l'État membre une «recommandation sur l'État de droit». En pareil cas, la Commission indique les motifs de ses inquiétudes et recommande à l'État membre de résoudre les problèmes recensés dans un certain délai et de l'informer des mesures prises à cet effet. Lors d'une troisième étape («Suivi de la recommandation de la Commission», la Commission contrôle le suivi donné à sa recommandation par l'État membre. L'ensemble du processus est fondé sur un dialogue permanent entre la Commission et l'État membre concerné. Faute de suite satisfaisante dans le délai imparti, il peut être recouru à la «procédure de l'article 7 du TUE»; la procédure peut être déclenchée par une proposition motivée d'un tiers des États membres, du Parlement européen, ou de la Commission.

(8)

En novembre 2015, la Commission a eu connaissance d'un différend en cours en Pologne, au sujet notamment de la composition du Tribunal constitutionnel, ainsi que du raccourcissement de la durée des mandats de ses présidents et vice-président actuels. Le Tribunal constitutionnel a rendu deux décisions sur cette question, les 3 et 9 décembre 2015.

(9)

Le 22 décembre 2015, le Sejm a adopté une loi modifiant la loi sur le Tribunal constitutionnel, qui concerne le fonctionnement du Tribunal ainsi que l'indépendance de ses juges (6).

(10)

Dans une lettre du 23 décembre 2015 adressée au gouvernement polonais (7), la Commission a demandé à être informée de la situation constitutionnelle en Pologne, y compris les mesures envisagées par les autorités polonaises en ce qui concerne les deux décisions susmentionnées du Tribunal constitutionnel. En ce qui concerne les modifications contenues dans la loi adoptée le 22 décembre 2015 sur le Tribunal constitutionnel, la Commission a déclaré qu'elle s'attendait à ce que cette loi ne soit en définitive pas adoptée ou, à tout le moins, à ce qu'elle ne soit pas mise en vigueur avant que l'ensemble des questions concernant l'incidence de cette loi sur l'indépendance et le fonctionnement du Tribunal constitutionnel aient fait l'objet d'une évaluation approfondie et adéquate. La Commission a également recommandé aux autorités polonaises de travailler en étroite coopération avec la Commission de Venise du Conseil de l'Europe.

(11)

Le 23 décembre 2015, le gouvernement polonais a demandé l'avis de la Commission de Venise sur la loi adoptée le 22 décembre 2015. Toutefois, le Parlement polonais n'a pas attendu cet avis avant de prendre de nouvelles mesures, et la loi a été publiée au Journal officiel et est entrée en vigueur le 28 décembre 2015.

(12)

Le 30 décembre 2015, la Commission a adressé un nouveau courrier au gouvernement polonais (8) afin d'obtenir des informations complémentaires au sujet des projets de réformes dans le domaine de la gouvernance de la radio et de la télévision publiques en Pologne. Le 31 décembre 2015, le Sénat polonais a adopté la «petite loi sur les médias» relative aux conseils d'administration et de surveillance de la télévision publique et de la radio publique polonaises. Le 7 janvier 2016, la Commission a reçu la réponse du gouvernement polonais (9) à sa lettre concernant la loi sur les médias, réponse dans laquelle celui-ci réfutait toute atteinte au pluralisme des médias. Le 11 janvier, la Commission a reçu la réponse du gouvernement polonais au sujet de la réforme du Tribunal constitutionnel (10). Ces réponses n'ont pas mis fin aux préoccupations existantes.

(13)

Le 13 janvier 2016, le collège des commissaires a mené un premier débat d'orientation afin d'évaluer la situation en Pologne. La Commission a décidé d'examiner la situation en vertu du cadre pour l'État de droit et a chargé le premier vice-président Timmermans d'engager un dialogue avec les institutions de la République de Pologne en vue de clarifier les questions en jeu et de dégager les solutions possibles. Le même jour, la Commission a écrit au gouvernement polonais (11) pour l'informer qu'elle examinait la situation en vertu du cadre pour l'État de droit et pour exprimer son souhait d'engager un dialogue avec les institutions de la République de Pologne en vue de clarifier les questions en jeu et de dégager les solutions possibles. Le 19 janvier 2016, la Commission a écrit au gouvernement polonais (12) à propos de la nouvelle loi sur les médias, afin de proposer son expertise et de débattre de questions relatives à cette loi.

(14)

Le 19 janvier 2016, le gouvernement polonais a adressé une lettre à la Commission (13) pour exposer son point de vue au sujet du litige relatif à la nomination des juges, dans laquelle il renvoyait notamment à une coutume constitutionnelle en la matière. Le gouvernement polonais faisait état de plusieurs effets positifs considérés comme résultant de la modification de la loi relative au Tribunal constitutionnel.

(15)

Le même jour, le Parlement européen a examiné la situation en Pologne au cours d'un débat en plénière.

(16)

Le 1er février 2016, la Commission a adressé une lettre au gouvernement polonais (14), lui faisant observer que les décisions du Tribunal constitutionnel concernant la nomination des juges n'avaient pas encore été exécutées. Dans cette lettre, la Commission soulignait également la nécessité d'examiner plus avant la modification de la loi relative au Tribunal constitutionnel, en particulier l'«effet combiné» des divers changements apportés, et demandait des explications plus détaillées. Par ailleurs, elle réclamait des informations concernant d'autres lois adoptées récemment, en particulier la nouvelle loi sur la fonction publique, la loi portant modification de la loi sur la police et de certaines autres lois, ainsi que la loi sur le ministère public, et concernant les réformes législatives envisagées, notamment de nouvelles réformes de la législation applicable aux médias.

(17)

Le 29 février 2016, le gouvernement polonais a adressé à la Commission une lettre (15) apportant de nouveaux éclaircissements concernant le mandat du président du Tribunal constitutionnel. Dans sa lettre, le gouvernement précisait que, selon la décision du Tribunal du 9 décembre 2015, les dispositions transitoires de la loi modificative prévoyant de mettre fin au mandat du président avaient été déclarées anticonstitutionnelles et avaient perdu tout effet juridique. Par conséquent, l'actuel président du Tribunal continuerait d'exercer ses fonctions conformément aux anciennes dispositions législatives jusqu'à l'expiration de son mandat, le 19 décembre 2016. Dans sa lettre, le gouvernement indiquait aussi que le mandat du prochain président aurait une durée de trois ans. Par ailleurs, il demandait à la Commission de lui préciser le but qu'elle recherchait lorsqu'elle insistait sur le fait que les décisions contraignantes et définitives du Tribunal constitutionnel n'avaient pas encore été exécutées et de lui expliquer plus clairement pourquoi, selon elle, les résolutions du 2 décembre 2015 portant élection de trois juges du Tribunal constitutionnel allaient à l'encontre de la décision ultérieure du Tribunal.

(18)

Le 3 mars 2016, la Commission a adressé au gouvernement polonais une lettre (16) contenant les éclaircissements sur la question de la nomination des juges que celui-ci avait demandés dans sa lettre du 29 février 2016. Concernant la modification de la loi relative au Tribunal constitutionnel, la Commission faisait observer dans sa lettre que, selon une évaluation préliminaire, certains changements, considérés à la fois individuellement et ensemble, rendaient plus difficiles les conditions dans lesquelles le Tribunal constitutionnel pouvait contrôler la constitutionnalité des lois nouvellement adoptées, et elle demandait des explications plus détaillées à ce sujet. Par ailleurs, la Commission réclamait dans sa lettre des informations concernant d'autres lois adoptées récemment et les nouvelles réformes législatives envisagées.

(19)

Le 9 mars 2016, le Tribunal constitutionnel a jugé que la loi adoptée le 22 décembre 2015 était anticonstitutionnelle. À ce jour, cette décision n'a pas encore été publiée au Journal officiel par le gouvernement, ce qui signifie qu'elle n'a pas d'effet juridique.

(20)

Le 11 mars 2016, la Commission de Venise a adopté son avis «sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel de Pologne» (17). Concernant la nomination des juges, la Commission de Venise, dans son avis, invitait le Parlement polonais à trouver une solution conforme à l'État de droit en respectant les décisions du Tribunal. En outre, selon elle, un quorum élevé, l'exigence d'une majorité de deux tiers pour l'adoption des décisions et une règle stricte empêchant de traiter les affaires urgentes auraient pour effet, en particulier cumulé, de rendre le Tribunal inefficace. Enfin, elle estimait que le refus de publier la décision du 9 mars 2016 aggraverait encore la crise constitutionnelle en Pologne.

(21)

Le 21 mars 2016, le gouvernement polonais a écrit à la Commission afin d'inviter le premier vice-président, M. Timmermans, à une réunion en Pologne destinée à évaluer le dialogue mené jusque-là entre le gouvernement polonais et la Commission et à déterminer la manière de poursuivre ce dialogue de manière impartiale, en se fondant sur les faits et dans un esprit de coopération.

(22)

Le 31 mars 2016, le gouvernement polonais a adressé à la Commission une lettre contenant des informations récentes et des appréciations juridiques concernant le litige relatif au Tribunal constitutionnel de Pologne. Le 5 avril 2016, des réunions ont eu lieu à Varsovie entre le premier vice-président, M. Timmermans, et le ministre des affaires étrangères, le ministre de la justice et le vice-premier ministre polonais, ainsi qu'avec le président et le vice-président du Tribunal constitutionnel. À la suite de ces réunions, plusieurs autres réunions ont eu lieu entre le gouvernement polonais, représenté par le ministère de la justice, et la Commission.

(23)

À la suite de la décision du 9 mars 2016, le Tribunal constitutionnel a recommencé à juger les affaires qui lui étaient soumises. Le gouvernement polonais n'est pas intervenu dans ces procédures et les décisions rendues par le Tribunal constitutionnel depuis le 9 mars 2016 n'ont pas encore été publiées au Journal officiel par le gouvernement (18).

(24)

Le 13 avril 2016, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation en Pologne, dans laquelle, entre autres, il priait instamment le gouvernement polonais de respecter, de publier et d'exécuter intégralement sans plus attendre le jugement du Tribunal constitutionnel du 9 mars 2016 et d'exécuter les jugements des 3 et 9 décembre 2015 et il lui demandait d'appliquer pleinement les recommandations de la Commission de Venise.

(25)

Le 20 avril 2016, une réunion s'est tenue entre la Commission et des représentants du Réseau des présidents des Cours suprêmes judiciaires des États membres de l'Union européenne et de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes afin de débattre de la situation en Pologne.

(26)

Le 26 avril 2016, l'Assemblée générale de la Cour suprême de Pologne a adopté une résolution établissant que les décisions du Tribunal constitutionnel sont valides même si le gouvernement polonais refuse de les publier au Journal officiel.

(27)

Le 29 avril 2016, un groupe de membres de la Diète a présenté à cette dernière une proposition législative contenant une nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel, destinée à remplacer le texte de loi existant. Cette proposition comprenait plusieurs dispositions qui avaient déjà été critiquées par la Commission de Venise dans son avis du 11 mars 2016 et déclarées anticonstitutionnelles par le Tribunal dans sa décision du 9 mars 2016. Il s'agissait notamment de l'exigence d'une majorité des deux tiers pour prendre les décisions relatives au contrôle de constitutionnalité «abstrait» des lois nouvellement adoptées. Dans le courant du mois d'avril, un groupe d'experts a été constitué au sein de la Diète pour contribuer à l'élaboration d'une nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel.

(28)

Le 24 mai 2016, le premier vice-président, M. Timmermans, a participé à des réunions à Varsovie avec le Premier ministre polonais, le président et le vice-président du Tribunal constitutionnel, le médiateur, le maire de la ville de Varsovie et des membres des partis de l'opposition représentés à la Diète. Le 26 mai 2016, le premier vice-président, M. Timmermans, a rencontré à Bruxelles le vice-premier ministre polonais. Par la suite, d'autres échanges et d'autres réunions ont eu lieu entre la Commission et le gouvernement polonais.

(29)

Cependant, en dépit du caractère détaillé et de la nature constructive des échanges entre la Commission et le gouvernement polonais, ceux-ci n'ont pas permis de dissiper les préoccupations de la Commission. Le 1er juin 2016, la Commission a adopté un avis sur l'État de droit en Pologne. À la suite du dialogue en cours avec les autorités polonaises depuis le 13 janvier, la Commission estimait nécessaire de formaliser son évaluation de la situation dans cet avis. Elle y exposait ses préoccupations et cherchait à orienter le dialogue en cours avec les autorités polonaises vers une solution.

(30)

Le 24 juin 2016, le gouvernement polonais a adressé à la Commission une lettre par laquelle il accusait réception de son avis du 1er juin sur l'État de droit (19). Dans cette lettre, il informait la Commission de l'état d'avancement des travaux parlementaires en Pologne, y compris sur une nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel, et exprimait la conviction que lesdits travaux constituaient la méthode appropriée pour aboutir à une solution constructive. Par la suite, le dialogue entre la Commission et le gouvernement polonais s'est poursuivi.

(31)

Le 22 juillet 2016, la Diète a adopté une nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel, remplaçant la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel. Une première lecture avait eu lieu le 10 juin 2016, une deuxième avait débuté le 5 juillet 2016 et une troisième s'était close le 7 juillet. Le Sénat avait adopté des amendements le 21 juillet 2016. La Diète a adopté la loi telle que modifiée par le Sénat le 22 juillet 2016. Avant qu'elle puisse prendre effet, la loi doit être signée par le président de la République et publiée au Journal officiel. La Commission a formulé des observations et discuté du contenu du projet de loi avec les autorités polonaises aux différents stades de la procédure législative.

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE RECOMMANDATION:

1.

La Pologne devrait dûment prendre en compte l'analyse de la Commission exposée ci-après et prendre les mesures figurant dans la section 6 de la présente recommandation afin que les problèmes relevés soient résolus dans le délai imparti.

1.   CHAMP D'APPLICATION DE LA RECOMMANDATION

2.

La présente recommandation expose les préoccupations de la Commission en ce qui concerne l'État de droit en Pologne et adresse des recommandations aux autorités polonaises sur la manière d'y répondre. Ces préoccupations portent sur les questions suivantes:

(1)

la nomination des juges du Tribunal constitutionnel et la non-exécution des décisions rendues par ce dernier les 3 et 9 décembre 2015 sur ces questions;

(2)

l'absence de publication au Journal officiel et la non-exécution de la décision du 9 mars 2016 et des décisions rendues par le Tribunal constitutionnel depuis cette date;

(3)

le bon fonctionnement du Tribunal constitutionnel et l'effectivité du contrôle constitutionnel de nouvelles lois, tout particulièrement en ce qui concerne la loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée par la Diète le 22 juillet 2016.

2.   NOMINATION DES JUGES DU TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL

3.

Avant les élections législatives à la Diète du 25 octobre 2015, le 8 octobre, l'assemblée sortante a désigné cinq personnes destinées à être «nommées» en tant que juges du Tribunal constitutionnel par le président de la République. Trois juges devaient occuper des sièges devenus vacants durant la législature qui se terminait, tandis que les deux autres devaient occuper des sièges qui deviendraient vacants pendant la législature suivante, laquelle a débuté le 12 novembre 2015.

4.

Le 19 novembre 2015, la Diète, dans le cadre d'une procédure accélérée, a modifié la loi relative au Tribunal constitutionnel, introduisant la possibilité d'annuler les désignations judiciaires effectuées par l'assemblée précédente et de proposer de nommer cinq nouveaux juges. Le 25 novembre 2015, la Diète a adopté une motion annulant les cinq désignations effectuées par l'assemblée précédente; le 2 décembre, elle a proposé de nommer cinq nouveaux juges.

5.

Le Tribunal constitutionnel a été saisi des décisions prises à la fois par l'assemblée sortante et l'assemblée entrante. Il a rendu deux décisions, les 3 et 9 décembre 2015.

6.

Dans sa décision du 3 décembre (20), le Tribunal constitutionnel a, entre autres, jugé que l'assemblée précédente était en droit de désigner trois juges pour remplacer ceux dont le mandat avait expiré le 6 novembre 2015. Dans le même temps, il a précisé que cette assemblée n'était pas en droit d'élire les deux juges pour remplacer ceux dont le mandat expirait en décembre. La décision mentionnait aussi spécifiquement l'obligation pour le président de la République de recueillir immédiatement le serment d'un juge élu par la Diète.

7.

Le 9 décembre (21), le Tribunal constitutionnel a, entre autres, invalidé la base juridique sur laquelle reposait la désignation par la nouvelle assemblée des trois juges nommés aux postes devenus vacants le 6 novembre 2015, pour lesquels l'assemblée précédente avait déjà légalement désigné des juges.

8.

Malgré ces décisions, les trois juges désignés par l'assemblée précédente n'ont pas pris leurs fonctions de juge au Tribunal constitutionnel et le président de la République n'a pas encore recueilli leur serment. En revanche, il a recueilli le serment des trois juges désignés par la nouvelle assemblée sans base juridique valable.

9.

Les deux juges élus par la nouvelle assemblée en remplacement des deux juges dont le mandat s'est achevé en décembre 2015 ont entre-temps pris leurs fonctions de juge au Tribunal constitutionnel.

10.

Le 28 avril 2016, le président de la République a recueilli le serment d'un nouveau juge au Tribunal constitutionnel, nommé par la Diète pour pourvoir un poste devenu vacant plus tôt dans le mois et remplacer un juge dont le mandat au sein du Tribunal constitutionnel avait expiré.

11.

Le 22 juillet 2016, la Diète a adopté une nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel. L'article 90 de cette loi dispose ce qui suit: «À la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le président du Tribunal inclut dans les collèges statuant sur les affaires les juges du Tribunal qui ont prêté serment devant le président de la République, mais qui, au jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, devaient encore prendre leurs fonctions, et leur attribue des affaires». L'article 6, paragraphe 7, de la nouvelle loi dispose ce qui suit: «Après avoir prêté serment, les juges sont tenus de se présenter au Tribunal pour prendre leurs fonctions et le président du Tribunal leur attribue des affaires et met en place les conditions leur permettant d'exercer leur mandat».

12.

La Commission considère que les décisions contraignantes et définitives rendues par le Tribunal constitutionnel les 3 et 9 décembre 2015 au sujet de la nomination des juges n'ont pas encore été exécutées. Ces décisions exigent que les institutions de l'État polonais coopèrent loyalement de manière à garantir, conformément à l'État de droit, que les trois juges nommés par l'assemblée précédente de la Diète peuvent prendre leurs fonctions de juge du Tribunal constitutionnel et que les trois juges nommés par la nouvelle assemblée sans base juridique valable ne prennent pas ces fonctions. L'absence d'exécution de ces décisions suscite de sérieuses inquiétudes quant à l'État de droit, le respect des décisions définitives étant une exigence essentielle propre à celui-ci.

13.

Dans une de ses lettres, le gouvernement polonais a fait référence à l'existence d'une coutume constitutionnelle polonaise relative à la nomination des juges qui justifierait la position adoptée par la nouvelle assemblée de la Diète. La Commission fait cependant observer, à l'instar de la Commission de Venise (22), que c'est au Tribunal constitutionnel qu'il appartient d'interpréter et d'appliquer le droit et les coutumes constitutionnels nationaux, et que la coutume en question est absente des décisions du Tribunal. La décision du 3 décembre ayant validé la base juridique des nominations des trois juges adoptées par l'ancienne assemblée de la Diète pour les postes devenus vacants le 6 novembre ne peut être annulée par l'invocation d'une prétendue coutume constitutionnelle que le Tribunal n'a pas reconnue.

14.

En outre, le fait de limiter la portée de ces décisions à une simple obligation de publication de celles-ci par le gouvernement, comme le soutiennent les autorités polonaises, reviendrait à contester tous les effets juridiques et concrets des décisions des 3 et 9 décembre. Une telle position remet notamment en cause l'obligation incombant au président de la République de recueillir le serment des juges en question, qui a été confirmée par le Tribunal constitutionnel.

15.

La Commission fait remarquer en outre que la Commission de Venise considère elle aussi qu'une solution au conflit actuel relatif à la composition du Tribunal constitutionnel «doit reposer sur l'obligation de respecter et d'exécuter intégralement les décisions du Tribunal constitutionnel» et «appelle par conséquent l'ensemble des organes de l'État et notamment le Sejm [la Diète] à respecter et à exécuter pleinement les décisions» (23).

16.

Enfin, en ce qui concerne la loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016, la Commission fait remarquer que cette loi n'est pas compatible avec les décisions des 3 et 9 décembre. Conformément à l'article 90 et à l'article 6, paragraphe 7, le président du Tribunal constitutionnel est tenu d'attribuer des affaires à tous les juges qui ont prêté serment devant le président de la République, mais qui n'ont pas encore pris leurs fonctions de juge. Ces dispositions semblent cibler la situation des trois juges qui ont été nommés illégalement par la nouvelle assemblée de la Diète en décembre 2015. Elles permettraient à ces juges de prendre leurs fonctions en utilisant les postes vacants pour lesquels l'assemblée précédente avait déjà légalement désigné trois juges. Ces dispositions sont donc contraires aux décisions du Tribunal constitutionnel des 3 et 9 décembre 2015 ainsi qu'à l'avis de la Commission de Venise.

17.

En conclusion, la Commission estime que les autorités polonaises devraient respecter et mettre pleinement en œuvre les décisions rendues les 3 et 9 décembre 2015 par le Tribunal constitutionnel. Ces décisions exigent que les institutions publiques coopèrent loyalement pour faire en sorte, conformément à l'État de droit, que les trois juges désignés par l'assemblée précédente puissent prendre leurs fonctions de juge au Tribunal constitutionnel et que les trois juges désignés par la nouvelle assemblée sans base juridique valable n'occupent pas le poste de juge sans avoir été valablement élus. Les dispositions pertinentes de la loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016 sont contraires aux décisions du Tribunal constitutionnel des 3 et 9 décembre 2015 ainsi qu'à l'avis de la Commission de Venise et soulèvent de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne l'État de droit.

3.   DÉFAUT DE PUBLICATION ET D'APPLICATION DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL DU 9 MARS 2016 ET DES DÉCISIONS RENDUES DEPUIS CETTE DATE

18.

Le 22 décembre 2015, à la suite d'une procédure accélérée, la Diète a modifié la loi sur le Tribunal constitutionnel (24). Ces changements sont présentés de manière plus détaillée au point 4.1 ci-après. Dans sa décision du 9 mars 2016, le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la loi du 22 décembre 2015 dans son intégralité, ainsi que certaines de ses dispositions. À l'heure actuelle, les autorités polonaises n'ont pas encore publié la décision au Journal officiel. Le gouvernement polonais conteste la légalité de la décision, le Tribunal constitutionnel n'ayant pas appliqué la procédure prévue par la loi du 22 décembre 2015. Le gouvernement adopte la même position concernant les décisions rendues par le Tribunal après le 9 mars 2016.

19.

La Commission estime que la décision du 9 mars 2016 est contraignante et qu'elle doit être respectée. Le Tribunal constitutionnel a eu raison de ne pas appliquer la procédure prévue par la loi du 22 décembre 2015. À cet égard, la Commission partage l'avis de la Commission de Venise, selon laquelle «lorsqu'un simple acte législatif risque de restreindre le contrôle de la constitutionnalité, il doit lui-même faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité avant qu'il ne puisse être appliqué par la Cour. […] La notion même de suprématie de la Constitution impose qu'une législation susceptible de mettre en danger la justice constitutionnelle soit contrôlée, et le cas échéant annulée, par la Cour constitutionnelle avant son entrée en vigueur» (25). La Commission souligne en outre qu'étant donné que la loi adoptée le 22 décembre 2015 exigeait un quorum de 13 juges pour les décisions rendues en formation plénière et que le Tribunal constitutionnel se composait de 12 juges seulement, il n'aurait pas pu examiner la constitutionnalité des modifications du 22 décembre 2015 comme demandé par le premier président de la Cour suprême, le Médiateur et le Conseil national de la magistrature. Cela aurait été contraire à la constitution polonaise qui a confié au Tribunal constitutionnel le contrôle de la constitutionnalité. De même, le Tribunal n'aurait pas pu statuer sur la constitutionnalité de l'exigence de majorité qualifiée tout en votant conformément à l'exigence même dont il étudiait la constitutionnalité.

20.

Le refus du gouvernement de publier la décision du Tribunal constitutionnel du 9 mars 2016 suscite de vives inquiétudes concernant l'État de droit, le respect des décisions définitives étant une exigence inhérente à l'État de droit. En particulier, lorsque la publication d'une décision est une condition de sa prise d'effet et si une telle publication incombe à une autorité publique autre que la juridiction qui a rendu la décision, un contrôle a posteriori par cette autorité publique portant sur la légalité de la décision est incompatible avec l'État de droit. Le refus de publier la décision nie l'effet juridique et opérationnel automatique d'une décision définitive et contraignante, et viole les principes de légalité et de séparation des pouvoirs.

21.

Le refus de publier la décision du 9 mars suscite un degré d'incertitude et de controverse qui portera atteinte non seulement à cette décision, mais à toutes les décisions ultérieures du Tribunal. Étant donné que ces décisions seront, à la suite de la décision du 9 mars 2016, rendues conformément aux règles applicables avant le 22 décembre 2015, le risque d'une controverse permanente sur chaque décision future compromettra le bon fonctionnement de la justice constitutionnelle en Pologne. Ce risque s'est déjà matérialisé puisque le Tribunal a, à ce jour, rendu vingt décisions depuis sa décision du 9 mars 2016 et qu'aucune n'a été publiée au Journal officiel.

22.

La Commission fait observer que la nouvelle loi sur le Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016 ne lève pas les inquiétudes exprimées ci-dessus. L'article 80, paragraphe 4, de cette loi exige que le président du Tribunal adresse une demande de publication au premier ministre. Cela semble indiquer que la publication des décisions dépendrait d'une décision du Premier ministre, ce qui soulève de vives préoccupations quant à l'indépendance du Tribunal constitutionnel.

23.

En outre, l'article 89 dispose que «[d]ans un délai de 30 jours à compter de l'entrée en vigueur de la [présente] loi, les décisions rendues par le Tribunal avant le 20 juillet 2016 en contradiction avec la loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel sont publiées, à l'exception des décisions portant sur des actes normatifs ayant été abrogés». Cette disposition est préoccupante car la publication des décisions de justice ne devrait pas dépendre d'une décision du législateur. La précision que les jugements ont été rendus illégalement est en outre contraire au principe de la séparation des pouvoirs en ce qu'il n'appartient pas à la Diète d'apprécier la compatibilité avec la constitution. De plus, cette disposition est incompatible avec la décision du 9 mars 2016 et les conclusions de la Commission de Venise.

24.

En conclusion, le fait que le gouvernement polonais a jusqu'à présent refusé de publier au Journal officiel la décision du Tribunal constitutionnel du 9 mars 2016, ainsi que toutes les décisions ultérieures, suscite une incertitude quant au fondement juridique sur lequel le Tribunal doit agir et aux effets juridiques de ses décisions. Ces incertitudes compromettent l'effectivité du contrôle de constitutionnalité et soulèvent de graves préoccupations concernant l'État de droit. La loi adoptée le 22 juillet 2016 ne lève pas ces préoccupations.

4.   EXAMEN DE LA LOI SUR LE TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL ET EFFECTIVITÉ DU CONTRÔLE CONSTITUTIONNEL DE LA NOUVELLE LOI

25.

La Commission constate que, le 22 juillet 2016, la Diète a adopté une nouvelle loi sur le fonctionnement du Tribunal constitutionnel, abrogeant la loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel. Cette loi fait suite à la loi du 22 décembre 2015 qui a été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel. Il convient donc d'examiner si cette loi est compatible avec l'État de droit, compte tenu de son incidence sur l'effectivité du contrôle constitutionnel, y compris sur les actes récemment adoptés, et constitue dès une action appropriée afin de lever les doutes concernant l'État de droit recensés dans l'avis sur l'État de droit de la Commission du 1er juin. La législation en cause et son incidence sont examinées de façon plus détaillée ci-après, en tenant compte de l'effet individuel et collectif des dispositions ainsi que de la jurisprudence antérieure du Tribunal constitutionnel et de l'avis de la Commission de Venise.

4.1.   Modification du 22 décembre 2015 de la loi sur le Tribunal constitutionnel

26.

Le 22 décembre 2015, à la suite d'une procédure accélérée, la Diète a modifié la loi sur le Tribunal constitutionnel (26). Parmi les changements apportés figuraient notamment l'augmentation du quorum de présences requis pour connaître des affaires (27), le relèvement des majorités nécessaires au sein du Tribunal constitutionnel pour rendre les décisions en formation plénière (28), l'introduction d'une exigence selon laquelle les affaires doivent être traitées dans l'ordre chronologique (29) et l'instauration d'un délai minimal concernant les audiences (30). Certains changements (31) visaient à accroître la participation d'autres institutions publiques aux procédures disciplinaires concernant les juges du Tribunal.

27.

Dans sa décision du 9 mars 2016, le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle la loi du 22 décembre 2015 dans son intégralité, ainsi que certaines de ses dispositions, notamment celles précitées. À l'heure actuelle, les autorités polonaises n'ont pas encore publié la décision au Journal officiel (voir section 3 ci-avant).

28.

Comme cela a déjà été exposé plus en détail dans son avis du 1er juin 2016, la Commission estime que l'effet des modifications concernant le quorum de présences à atteindre, la majorité du suffrage, le traitement des affaires par ordre chronologique et le délai d'attente minimal pour les audiences, en particulier l'effet combiné de ces éléments, a porté atteinte à l'effectivité du Tribunal constitutionnel en tant que garant de la Constitution. La Commission de Venise partage cet avis. Étant donné que ces conclusions sont pertinentes aux fins de l'évaluation de la loi adoptée le 22 juillet 2016, l'essentiel de leur contenu est rappelé ci-dessous.

4.1.1.   Quorum

29.

Dans sa version modifiée, l'article 44, paragraphe 3, disposait que «statuer en formation plénière nécessite la participation d'au moins 13 juges du Tribunal» (32). L'article 44, paragraphe 1 (modifié) prévoyait que le Tribunal constitutionnel statuait en formation plénière, sauf disposition contraire prévue par la loi. Cela valait en particulier pour les affaires dites «générales», qui consistent en un contrôle de constitutionnalité dans l'abstrait des actes nouvellement adoptés. L'article 44, paragraphe 1 (modifié), prévoyait en outre des exceptions, notamment en ce qui concerne les requêtes individuelles ou les affaires soumises par les juridictions ordinaires. Dans son ancienne version, la loi imposait la présence d'au moins neuf juges pour que le Tribunal puisse statuer en formation plénière (article 44, paragraphe 3, point 3, de la loi avant modification).

30.

De l'avis de la Commission, le fait d'imposer un quorum de treize juges sur quinze pour que le Tribunal constitutionnel (qui effectue le contrôle de constitutionnalité dans l'abstrait des actes nouvellement adoptés) puisse statuer en formation plénière constitue une contrainte majeure pour le processus décisionnel du Tribunal, susceptible d'en bloquer le fonctionnement. La Commission a fait observer — comme l'a confirmé la Commission de Venise — qu'un quorum de treize juges sur quinze est anormalement élevé par rapport aux exigences en vigueur dans les autres États membres. Il est en effet parfaitement plausible que, pour diverses raisons, ce chiffre puisse parfois ne pas être atteint, ce qui empêcherait (au moins temporairement) le Tribunal de statuer. En fait, il en serait ainsi dans les circonstances actuelles, puisque le Tribunal ne compte pour l'heure que douze juges.

4.1.2.   Majorité de vote

31.

En vertu de l'article 99, paragraphe 1 (modifié), les décisions rendues par le Tribunal constitutionnel siégeant en formation plénière (dans les affaires «générales») nécessitaient une majorité des deux tiers des juges. Au vu du nouveau quorum, plus élevé (voir ci-dessus), les décisions devaient désormais être approuvées par au moins neuf juges lorsque le Tribunal constitutionnel statuait en formation plénière. (33) La majorité simple des voix ne s'appliquait que dans les cas où le Tribunal statuait en collège de sept ou trois juges (requêtes individuelles et questions préjudicielles des juridictions ordinaires). Dans son ancienne version, la loi exigeait la majorité simple des voix pour que le Tribunal puisse statuer en formation plénière (article 99, paragraphe 1, de la loi avant modification).

32.

Venant s'ajouter au relèvement du quorum à atteindre, le passage à la majorité des deux tiers pour l'adoption des décisions (relatives au contrôle de constitutionnalité «dans l'abstrait» des actes nouvellement adoptés) a sensiblement alourdi les contraintes pesant sur le processus décisionnel du Tribunal. La Commission a noté par ailleurs, comme l'a également confirmé la Commission de Venise, que la vaste majorité des systèmes juridiques européens ne prévoient qu'un vote à la majorité simple. En tout état de cause, le Tribunal constitutionnel a jugé que la constitution polonaise ne prévoyait qu'un vote à la majorité simple et que l'exigence d'une majorité qualifiée était dès lors inconstitutionnelle.

4.1.3.   Traitement des affaires par ordre chronologique

33.

En vertu de l'article 80, paragraphe 2 (modifié) (34), les dates des audiences ou de la procédure à huis clos, à l'occasion desquelles sont examinées les requêtes concernant des procédures de contrôle constitutionnel dans l'abstrait, étaient «fixées en fonction de l'ordre d'enregistrement des affaires au rôle du Tribunal constitutionnel». Cette disposition ne prévoyait aucune exception et la modification prévoyait qu'elle s'appliquait à toute affaire pendante pour laquelle aucune date d'audience n'avait encore été fixée (35). L'ancienne version de la loi ne comportait aucune disposition de ce type.

34.

L'«ordre de traitement des affaires», qui prévoyait que le Tribunal constitutionnel était tenu d'entendre les affaires dans l'ordre dans lequel elles ont été enregistrées, a eu des répercussions dommageables sur sa capacité à rendre rapidement des décisions sur la constitutionnalité des lois nouvelles, notamment compte tenu du nombre d'affaires en cours. L'impossibilité de prendre en compte la nature d'une affaire (en particulier lorsqu'elle fait intervenir des questions relatives aux droits fondamentaux), son importance et le contexte dans lequel elle est présentée, aurait été susceptible de porter atteinte à la capacité du Tribunal à répondre aux exigences de durée raisonnable de la procédure, consacrée à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Comme l'a également noté la Commission de Venise, la règle relative à l'ordre de traitement des affaires aurait aussi pu décourager la soumission de questions préjudicielles à la Cour de justice, en particulier lorsqu'une audience est nécessaire après le prononcé de la décision préjudicielle.

4.1.4.   Délai minimal pour la tenue des audiences

35.

L'article 87, paragraphe 2 (modifié) (36), disposait: «[l']audience ne peut avoir lieu avant un délai de trois mois à compter de la notification de la date de l'audience aux parties à la procédure; ce délai est de six mois pour les affaires dans lesquelles le Tribunal statue en formation plénière». L'ancienne version de la loi prévoyait que l'audience ne pouvait se tenir avant un délai de 14 jours à compter du jour de la notification de la date de l'audience aux parties à la procédure.

36.

Enfin, cette question devait être étudiée en liaison avec l'exigence concernant l'ordre de traitement des affaires. En particulier, le délai d'attente minimal pour la tenue des audiences (les audiences devant le Tribunal constitutionnel devant être signifiées aux parties à la procédure au moins trois mois avant la date de l'audience — et même six mois dans les affaires de grande ampleur) risquait de ralentir la procédure. Comme cela est exposé ci-dessus, l'absence de disposition générale permettant au Tribunal constitutionnel de réduire ces délais en cas d'urgence est incompatible avec l'exigence, énoncée à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon laquelle la durée des procédures doit présenter un caractère raisonnable.

4.1.5.   Procédure disciplinaire

37.

En vertu de l'article 28a (37) (modifié), «[l]a procédure disciplinaire peut également être engagée sur demande du Président de la République de Pologne ou du ministre de la Justice, au plus tard trois semaines après la date de réception de la demande, sauf si le président du Tribunal juge cette demande non fondée». En outre, l'article 31a, paragraphe 1 (modifié), de la loi (38) prévoyait que «[d]ans les affaires particulièrement graves, l'assemblée générale demande à la Diète de révoquer le juge du Tribunal». Cette action de l'assemblée générale aurait pu être enclenchée sur demande du président de la République ou du ministre de la justice en vertu de l'article 31a, paragraphe 2 (modifié), même si la décision revenait toujours au Tribunal constitutionnel. La décision finale aurait été prise par la Diète. Dans l'ancienne version de la loi, l'exécutif n'était pas habilité à engager une procédure disciplinaire et la Diète n'avait pas le pouvoir de révoquer un juge du Tribunal. C'est le Tribunal constitutionnel lui-même qui avait le pouvoir de révoquer ses juges.

38.

La Commission s'est en outre inquiétée du fait que certaines modifications renforçaient la participation d'autres institutions de l'État dans les procédures disciplinaires visant les juges du Tribunal. En particulier, le président de la République et le ministre de la justice disposaient désormais du pouvoir d'engager des procédures disciplinaires contre un juge du Tribunal constitutionnel (39) et, dans des cas particulièrement graves, il revenait à la Diète, saisie à cette fin par le Tribunal constitutionnel (40), d'arrêter la décision finale relative à la révocation d'un juge.

39.

La Commission a estimé que le fait qu'un organe politique décide d'une sanction disciplinaire proposée par le Tribunal constitutionnel (et, donc, puisse refuser de l'imposer) pouvait poser un problème au regard de l'indépendance du pouvoir judiciaire, étant donné que le Parlement (en tant qu'organe politique) était susceptible d'arrêter sa décision sur la base de considérations politiques. De même, les raisons pour lesquelles des institutions politiques telles que le président de la République et le ministre de la justice devraient avoir le pouvoir d'engager des procédures disciplinaires n'étaient pas claires. Même si ces procédures nécessitaient l'autorisation du Tribunal ou de son président, le simple fait qu'elles étaient susceptibles d'être engagées par des institutions politiques aurait pu avoir une incidence sur l'indépendance du Tribunal. Cela suscitait des inquiétudes en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et l'indépendance du Tribunal constitutionnel, car la proposition du Tribunal de révoquer un juge aurait pu être refusée par la Diète.

4.2.   Loi du 22 juillet 2016 relative au Tribunal constitutionnel

40.

Outre des dispositions concernant la nomination des juges du Tribunal et la publication de ses décisions (voir les sections 2 et 3), la loi adoptée le 22 juillet 2016 contient d'autres dispositions relatives au fonctionnement du Tribunal. Cette loi, inspirée de la loi relative au Tribunal constitutionnel du 1er août 1997, y ajoute cependant de nouvelles dispositions relatives, entre autres, au quorum requis pour que les juges puissent connaître des affaires, aux majorités requises au sein du Tribunal constitutionnel pour que celui-ci puisse statuer en formation plénière, au traitement des affaires par ordre chronologique, au délai minimal pour la tenue des audiences, au rôle du procureur général, au report des délibérations, aux dispositions transitoires pour les affaires pendantes et à la vacatio legis.

41.

La Commission considère que, même si l'on constate que certaines améliorations ont été apportées par rapport à la loi de modification adoptée le 22 décembre 2015 et que certains problèmes ont été réglés, comme cela est indiqué ci-après, un certain nombre de préoccupations liées à cette loi demeurent et de nouvelles dispositions problématiques ont été introduites. Globalement, les effets de certaines dispositions de la loi adoptée le 22 juillet 2016, qu'ils soient considérés isolément ou dans leur ensemble, suscitent des inquiétudes quant à l'effectivité du contrôle de constitutionnalité et à l'État de droit.

4.2.1.   Quorum

42.

Dans sa version modifiée, l'article 26, paragraphe 2, dispose que «l'examen d'une affaire en formation plénière nécessite la participation d'au moins onze juges du Tribunal.» Par ailleurs, l'article 26, paragraphe 1, point g), prévoit que «[l]e Tribunal statue […] en formation plénière dans les […] affaires pour lesquelles trois de ses juges introduisent une demande à cet effet dans les quatorze jours suivant la réception d'un recours en constitutionnalité ou d'une requête ou question juridique visée à l'article 38, paragraphe 1.»

43.

L'article 26, paragraphe 2, porte à onze le nombre de juges requis pour que le Tribunal statue en formation plénière, qui était précédemment de neuf (en vertu de la loi de 1997 relative au Tribunal constitutionnel et de la loi du 25 juin 2015 avant les modifications du 22 décembre 2015). Cela constitue une contrainte pour le processus décisionnel du Tribunal constitutionnel. Bien que ce chiffre ait été revu à la baisse par rapport au quorum de treize juges imposé par la loi de modification du 22 décembre 2015, il n'en reste pas moins, particulièrement, que le Tribunal constitutionnel ne compte actuellement que douze juges pour le traitement des affaires et que le quorum pourrait, en certaines occasions, ne pas être atteint, ce qui aurait pour effet d'empêcher (au moins temporairement) le Tribunal de statuer.

44.

Par ailleurs, en vertu de l'article 26, paragraphe 1, point g), le Tribunal statue en formation plénière dès lors, notamment, que trois de ses juges formulent une demande à cet effet. Il n'est pas nécessaire que ces juges aient été affectés à un collège de juges connaissant d'une affaire donnée. Aux termes de la loi, il n'est pas nécessaire que leur demande soit motivée ou réponde à des critères particuliers. Cette disposition a pour effet qu'il est impossible de prévoir le nombre d'affaires qui devront être entendues en formation plénière, ce qui est susceptible de nuire au bon fonctionnement du Tribunal et, partant, à l'effectivité du contrôle constitutionnel.

4.2.2.   Majorité de vote

45.

L'article 69 dispose ce qui suit: «Les décisions sont adoptées à la majorité simple des voix». Il s'agit d'une amélioration par rapport à la loi de modification du 22 décembre 2015 en ce que n'y figure plus l'obligation inconstitutionnelle d'obtenir une majorité des deux tiers aux fins de l'adoption de décisions. Une réponse a donc été apportée à la crainte précédemment exprimée par la Commission.

4.2.3.   Traitement des affaires par ordre chronologique

46.

L'article 38, paragraphe 3, prévoit que «[l]es dates des audiences pendant lesquelles les recours sont examinés sont fixées dans l'ordre dans lequel les recours ont été formés devant le Tribunal». L'article 38, paragraphe 4, énumère un nombre restreint de cas dans lesquels l'ordre d'arrivée d'une affaire devant le Tribunal n'est pas pertinent. L'article 38, paragraphe 5, dispose que «[l]e président du Tribunal peut fixer la date de l'audience en passant outre la condition prévue au paragraphe 3 [ci-dessus] dans des affaires pour lesquelles la protection des droits et des libertés des citoyens, la sécurité de l'État ou l'ordre constitutionnel le justifient. Si cinq juges en font la demande, le président du Tribunal peut reconsidérer sa décision relative à la fixation de la date de l'audience».

47.

La «règle de l'ordre chronologique» selon laquelle le Tribunal doit traiter les affaires dont les recours sont examinés dans l'ordre dans lequel elles ont été enregistrées a été introduite dans la loi de modification du 22 décembre 2015 et a déjà été considérée par le Tribunal comme contraire, entre autres, à la Constitution au motif que ladite disposition touche à l'indépendance du pouvoir judiciaire et à sa séparation d'avec les autres branches de l'exécutif.

48.

D'après l'article 38, paragraphe 3, la règle de l'ordre chronologique s'applique aux «recours», et ne porte pas sur les «plaintes constitutionnelles». Même si ladite règle ne s'applique qu'aux recours, elle affectera la capacité du Tribunal à se prononcer rapidement sur la constitutionnalité des lois à la demande d'acteurs institutionnels.

49.

Certes, l'article 38, paragraphe 5, permet au président du Tribunal constitutionnel de déroger à la règle de l'ordre chronologique, mais cette possibilité est limitée à des cas précis, et peut donner lieu à des retards, étant donné que cinq juges peuvent déposer une demande de réexamen de la décision du président du Tribunal constitutionnel relative à la fixation de la date de l'audience. Par ailleurs, on ignore si les conditions permettraient au président du Tribunal de déroger à cette règle dans toutes les affaires nécessitant une décision urgente.

50.

Dès lors, même si la loi adoptée le 22 juillet 2016 constitue une amélioration par rapport à celle qui a été adoptée le 22 décembre 2015, les conséquences de la règle de l'ordre chronologique sur l'efficacité du Tribunal peuvent encore susciter certaines inquiétudes.

4.2.4.   Délai minimal pour la tenue des audiences

51.

L'article 61, paragraphe 1, dispose que «[l]'audience ne peut pas avoir lieu avant que ne se soient écoulés 30 jours à compter de la notification de la date de l'audience». L'article 61, paragraphe 3, prévoit que «[d]ans les affaires portant sur des questions de droit, des plaintes constitutionnelles et des conflits de juridiction entre autorités constitutionnelles centrales de l'État, le président du Tribunal peut ordonner que soit raccourci de moitié le délai visé au paragraphe 1, sous réserve que le plaignant, la juridiction renvoyant une question de droit ou le requérant concerné ne fasse opposition dans les sept jours à compter de la notification de l'ordonnance du président du Tribunal». La possibilité dont dispose le président du Tribunal d'ordonner que le délai de 30 jours soit réduit de moitié représente une amélioration par rapport à la loi adoptée le 22 décembre 2015, même si le plaignant, la juridiction posant une question de droit ou le requérant peuvent s'y opposer.

4.2.5.   Procédure disciplinaire

52.

La loi adoptée le 22 juillet 2016 ne prévoit pas la participation d'autres institutions de l'État aux procédures disciplinaires visant les juges du Tribunal, ce qui représente une amélioration par rapport à la loi adoptée le 22 décembre 2015, raison pour laquelle cette question ne suscite plus d'inquiétudes.

4.2.6.   Possibilité pour le procureur général d'empêcher l'examen d'une affaire

53.

L'article 61, paragraphe 6, dispose que «[l]'absence du procureur général, à l'audience, qui lui a été dûment notifiée, ou de son représentant n'empêche pas l'examen de l'affaire à moins que l'obligation de participer à l'audience soit imposée par les dispositions de l'acte». L'article 30, paragraphe 5, prévoit que «[l]e procureur général ou son remplaçant participe aux affaires examinées par le Tribunal siégeant en audience collégiale».

54.

Dans la pratique, les dispositions combinées de l'article 61, paragraphe 6, et de l'article 30, paragraphe 5, sembleraient donner la possibilité au procureur général, qui est également le ministre de la justice, de reporter, voire d'empêcher, l'examen de certaines affaires, y compris d'affaires traitées par la formation collégiale, en décidant de ne pas participer à l'audience. Cette possibilité permettrait une interférence indue avec le fonctionnement du Tribunal et constituerait une violation de l'indépendance du pouvoir judiciaire et du principe de la séparation des pouvoirs.

4.2.7.   Report des délibérations

55.

L'article 68, paragraphe 5, dispose que «[p]endant les délibérations du Tribunal en formation plénière, au moins quatre juges peuvent objecter au règlement proposé s'ils estiment que la question revêt une importance particulière pour des raisons d'organisation de l'État ou d'ordre public et s'ils ne sont pas d'accord avec la teneur du règlement». L'article 68, paragraphe 6, prévoit qu'«[e]n cas d'objection formulée au titre du paragraphe 5, les délibérations sont reportées de trois mois et, lors des délibérations suivantes qui se tiennent au terme de ce délai, les juges ayant soulevé l'objection présentent leur proposition de règlement commune». L'article 68, paragraphe 7, dispose que «[s]i, pendant les nouvelles délibérations visées au paragraphe 6, au moins quatre juges formulent une nouvelle objection, les délibérations sont reportées de trois mois supplémentaires. Au terme de cette période, de nouvelles délibérations et un nouveau vote ont lieu».

56.

En ce qui concerne les affaires examinées en formation collégiale, qui pourraient être nombreuses (voir ci-dessus), la loi adoptée le 22 juillet 2016 autorise la formulation d'une objection, par au moins quatre juges du tribunal, au projet de décision. Il pourrait en résulter un report des délibérations sur une affaire d'au moins trois mois et, dans certains cas, de six mois, à partir du moment où le Tribunal atteint le stade des délibérations. La loi ne prévoit pas d'exception pour que les affaires urgentes puissent être traitées plus rapidement.

57.

L'incidence de ces dispositions sur le caractère effectif du contrôle de la constitutionnalité est une source de préoccupation en ce qui concerne la primauté du droit, étant donné qu'elle empêche le Tribunal constitutionnel d'assurer pleinement ce contrôle de constitutionnalité et d'octroyer dans toutes les affaires, en temps utile, un recours juridictionnel efficace.

4.2.8.   Dispositions transitoires pour les affaires pendantes

58.

L'article 83, paragraphe 1, prévoit ce qui suit: «Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux affaires ouvertes mais non encore closes avant la date de l'entrée en vigueur de la présente loi». Selon l'article 83, paragraphe 2, «[l]e Tribunal doit régler les affaires visées au paragraphe 1 dans le délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. Ce délai d'un an ne s'applique pas aux affaires visées à l'article 84.» L'article 84, paragraphe 1, prévoit ce qui suit: «Dans le cas des requêtes déposées par les entités visées à l'article 191, paragraphe 1, points 1) à 5), de la Constitution, qui sont pendantes avant la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, le Tribunal […] suspend la procédure pendant six mois et invite les parties requérantes à compléter leurs requêtes conformément aux exigences de l'article 33, paragraphes 2 à 5.» L'article 84, paragraphe 2, prévoit ce qui suit: «Si une requête, telle que visée au paragraphe 1, est complétée conformément aux exigences de l'article 33, paragraphes 2 à 5, le Tribunal ordonne la reprise de la procédure suspendue à l'expiration du délai visé au paragraphe 1. Dans le cas contraire, la procédure est close.»

59.

L'article 85, paragraphe 1, prévoit ce qui suit: «Si la date d'une audience a été fixée avant l'entrée en vigueur de la présente loi, ladite audience est reportée et la composition du collège des juges compétents est adaptée à la présente loi.» L'article 85, paragraphe 2, prévoit ce qui suit: «Une nouvelle date est fixée pour l'audience. Cette audience a lieu conformément aux prescriptions de la présente loi.» L'article 86 prévoit ce qui suit: «Si la date de la publication d'une décision a été fixée avant l'entrée en vigueur de la présente loi, ladite publication est reportée et la composition du collège des juges compétents ainsi que les exigences relatives à cette décision sont adaptées à la présente loi.»

60.

D'une part, l'article 83, paragraphe 2, fixe une échéance d'un an à compter de la date de l'entrée en vigueur de la loi pour le traitement des affaires pendantes. D'autre part, cependant, l'article 84 prévoit, par dérogation à l'article 83, paragraphe 2, que les requêtes pendantes (à savoir les requêtes déposées par des acteurs institutionnels aux fins d'un contrôle de constitutionnalité ou d'un processus législatif) sont gelées pendant une période de six mois. Le Tribunal demanderait aux requérants de compléter leurs requêtes afin de se conformer aux nouvelles exigences procédurales et ne serait en mesure de reprendre le traitement de ces requêtes qu'après cette période de six mois (même si les requérants ont complété leurs requêtes avant la fin de ce délai). La loi ne prévoit pas d'exception aux fins du traitement accéléré d'affaires urgentes.

61.

Les articles 85 et 86 s'assimilent à une ingérence législative dans les affaires pendantes, en particulier celles qui se trouvent déjà à un stade avancé, et pourraient entraver le fonctionnement du Tribunal.

62.

Prises ensemble, ces dispositions transitoires font naître de vives inquiétudes, étant donné qu'elles ralentiront considérablement le traitement des requêtes par le Tribunal et empêcheront ce dernier d'assurer pleinement un contrôle effectif de la constitutionnalité. Cela est le cas, en particulier, dans le contexte de tous les nouveaux actes législatifs sensibles visés dans l'avis de la Commission (voir la section 4.3, ci-dessous).

4.2.9.   Vacatio legis

63.

L'article 92 de la loi adoptée le 22 juillet 2016 dispose que «[l]a présente loi entre en vigueur 14 jours après sa publication.» À moins qu'il ait été procédé à un contrôle préalable de la constitutionnalité de la loi, la période de vacatio legis de 14 jours est trop courte pour contrôler utilement cette constitutionnalité. Pour des motifs de sécurité juridique, il importe qu'une période de temps suffisamment longue soit prévue pour permettre au Tribunal constitutionnel de contrôler la constitutionnalité de la loi avant son entrée en vigueur.

64.

Il est rappelé à cet égard que, dans son avis du 11 mars 2016, la Commission de Venise a souligné que le Tribunal constitutionnel doit avoir la possibilité de contrôler un statut ordinaire qui régit son fonctionnement avant l'entrée en vigueur dudit statut.

4.3.   Conséquences de l'absence d'un contrôle effectif de la constitutionnalité de la nouvelle législation

65.

Un certain nombre de nouveaux actes législatifs sensibles ont été adoptés par la Diète, souvent à la suite de procédures législatives accélérées, comme, notamment, une loi sur les médias (41), une nouvelle loi sur la fonction publique (42), une loi portant modification de la loi sur la police et de certaines autres lois (43) ainsi que des lois relatives au ministère public (44), et une nouvelle loi sur le médiateur et portant modification de certaines autres lois (45). La Commission a demandé au gouvernement polonais de l'informer de l'état d'avancement et du contenu de ces réformes législatives dans ses lettres du 1er février 2016 et du 3 mars 2016, mais, jusqu'à présent, ledit gouvernement ne lui a pas fourni ces informations. Un certain nombre d'autres projets d'actes législatifs sensibles ont en outre été adoptés par la Diète, comme la loi sur le Conseil national des médias (46) et une nouvelle loi contre le terrorisme (47).

66.

La Commission considère que, aussi longtemps que le Tribunal constitutionnel sera empêché d'assurer pleinement un contrôle effectif de la constitutionnalité, il ne sera procédé à aucun examen utile de la conformité avec la Constitution des actes législatifs tels que ceux visés ci-dessus, notamment sous l'angle des droits fondamentaux.

67.

La Commission relève par exemple que la nouvelle législation (notamment celle applicable aux médias (48)) suscite des inquiétudes quant à la liberté et au pluralisme des médias. Plus précisément, la nouvelle législation sur les médias modifie les règles régissant la désignation des conseils d'administration et de surveillance des organismes publics de radiodiffusion, en les plaçant sous le contrôle du gouvernement (ministre du Trésor), plutôt que sous celui d'un organisme indépendant. La nouvelle législation prévoit aussi la dissolution immédiate des conseils d'administration et de surveillance actuels. À cet égard, la Commission s'interroge en particulier sur les possibilités de recours juridictionnel ouvertes aux personnes concernées par la loi.

68.

La législation, telle que la nouvelle loi sur la fonction publique (49), est également importante en ce qui concerne la primauté du droit et les droits fondamentaux. À cet égard, la Commission a demandé au gouvernement polonais de lui indiquer les possibilités de recours juridictionnel à la disposition des personnes concernées par la loi, par lettres du 1er février et du 3 mars 2016 (50). À ce jour, le gouvernement polonais n'a pas répondu à la Commission sur ce point.

69.

La loi portant modification de la loi sur la police et de certaines autres lois (51) peut également susciter des questions quant à sa compatibilité avec les droits fondamentaux, dont le respect de la vie privée et la protection des données. Les 28 et 29 avril 2016, une délégation de la Commission de Venise s'est rendue à Varsovie pour y discuter des modifications de la loi sur la police et de certaines autres lois. La Commission de Venise a rendu un avis à ce propos lors de sa session des 10 et 11 juin 2016 (52). Cet avis indique, entre autres, que les garanties procédurales et les conditions de fond définies dans la loi demeurent insuffisantes pour empêcher son utilisation abusive ainsi que les ingérences injustifiées dans la vie privée des particuliers.

70.

La nouvelle législation de lutte contre le terrorisme peut en outre soulever des questions quant à sa compatibilité avec les droits fondamentaux (53) et fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité.

71.

La Commission estime, pour conclure, que tant que le Tribunal constitutionnel sera empêché d'assurer pleinement un contrôle effectif de la constitutionnalité, il ne sera procédé à aucun examen utile de la conformité des actes législatifs avec les droits fondamentaux. Cela suscite de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne la primauté du droit, étant donné, en particulier, qu'un certain nombre d'actes législatifs particulièrement sensibles ont été récemment adoptés par la Diète et qu'ils devraient pouvoir faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Ces inquiétudes sont encore renforcées par le fait que, comme indiqué plus haut, la loi adoptée le 22 juillet 2016 prévoit que le traitement d'un certain nombre d'affaires pendantes sera suspendu.

5.   CONSTATATION D'UNE MENACE SYSTÉMIQUE ENVERS L'ÉTAT DE DROIT

72.

Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission estime que l'État de droit en Pologne est confronté à une menace systémique. Le fait que le Tribunal constitutionnel est empêché d'assurer pleinement un contrôle constitutionnel effectif nuit à son intégrité, à sa stabilité et à son bon fonctionnement, qui constituent l'un des garde-fous essentiels de l'État de droit en Pologne. Lorsqu'un système judiciaire constitutionnel a été mis en place, son efficacité est l'un des éléments clés de l'État de droit.

73.

Le respect de l'État de droit n'est pas seulement une condition préalable à la protection de toutes les valeurs fondamentales visées à l'article 2 du traité sur l'Union européenne. Il s'agit aussi d'une condition indispensable au respect de l'ensemble des droits et obligations découlant des traités et du droit international, et à l'instauration d'une confiance mutuelle des citoyens, des entreprises et des autorités nationales dans les systèmes juridiques de tous les autres États membres.

6.   ACTIONS RECOMMANDÉES

74.

La Commission recommande que les autorités polonaises prennent d'urgence les mesures qui s'imposent pour faire face à cette menace systémique envers l'État de droit. Elle recommande en particulier que les autorités polonaises:

a)

exécutent pleinement les décisions du Tribunal constitutionnel des 3 et 9 décembre 2015 conformément auxquelles les trois juges qui ont été nommés légalement en octobre 2015 par l'assemblée précédente peuvent prendre leurs fonctions de juge au sein du Tribunal constitutionnel et les trois juges nommés par la nouvelle assemblée sans base juridique valable ne peuvent pas prendre leurs fonctions de juge sans avoir été valablement élus;

b)

publient et exécutent pleinement les décisions rendues par le Tribunal constitutionnel le 9 mars 2016 et ses décisions ultérieures et veillent à ce que la publication des décisions futures soit automatique et ne dépende pas de décisions prises par les pouvoirs exécutif ou législatif;

c)

veillent à ce que toute réforme de la loi relative au Tribunal constitutionnel respecte les décisions du Tribunal constitutionnel, notamment celles des 3 et 9 décembre 2015 et la décision du 9 mars 2016, et tienne pleinement compte de l'avis de la Commission de Venise; veillent à ce que l'efficacité du Tribunal constitutionnel en tant que garant de la Constitution ne soit pas compromise par des exigences telles que celles citées plus haut, que ce soit séparément ou en raison de leurs effets combinés, comme des exigences relatives au quorum de présences, au traitement des affaires par ordre chronologique, à la possibilité, pour le procureur général, d'empêcher l'examen de certaines affaires, au report de délibérations ou aux mesures transitoires affectant des affaires pendantes et différant certaines affaires;

d)

veillent à ce que le Tribunal constitutionnel puisse examiner la compatibilité de la nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016 avant son entrée en vigueur, et publient et exécutent pleinement la décision du Tribunal sur ce point;

e)

s'abstiennent d'actes et de déclarations publics susceptibles de miner la légitimité et l'efficacité du Tribunal constitutionnel.

75.

La Commission souligne qu'il est essentiel que les différentes institutions publiques jouent loyalement le jeu de la coopération qu'on attend d'elles en ce qui concerne les questions liées à l'État de droit pour qu'une solution soit apportée à la situation actuelle. La Commission encourage également les autorités polonaises à solliciter l'avis de la Commission de Venise sur la nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016.

76.

La Commission invite le gouvernement polonais à régler les problèmes recensés dans la présente recommandation dans un délai de trois mois à compter de la réception de cette dernière, et à informer la Commission des mesures prises à cet effet.

77.

Sur la base de la présente recommandation, la Commission est prête à poursuivre le dialogue constructif entamé avec le gouvernement polonais.

Fait à Bruxelles, le 27 juillet 2016

Par la Commission

Frans TIMMERMANS

Vice-président


(1)  COM(2014) 158 final, ci-après la «communication».

(2)  Voir COM(2014) 158 final, section 2, annexe I.

(3)  Voir point 4.1 de la communication.

(4)  Ibid.

(5)  Ibid.

(6)  Loi adoptée le 22 décembre 2015 modifiant la loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel. La loi modificative a été publiée au Journal officiel le 28 décembre, point 2217.

(7)  Lettre du 23 décembre 2015 adressée par le premier vice-président Timmermans au ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski, et au ministre de la justice, M. Ziobro.

(8)  Lettre du 30 décembre 2015 adressée par le premier vice-président Timmermans au ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski, et au ministre de la justice, M. Ziobro.

(9)  Lettre du 7 janvier 2016 adressée par le sous-secrétaire d'État M. Stepkowski au premier vice-président Timmermans.

(10)  Lettre du 11 janvier 2016 du ministre de la justice, M. Ziobro, au premier vice-président, M. Timmermans.

(11)  Lettre du 13 janvier 2016 du premier vice-président, M. Timmermans, au ministre de la justice, M. Ziobro.

(12)  Lettre du 19 janvier 2016 du commissaire Oettinger au ministre de la justice, M. Ziobro.

(13)  Lettre du 19 janvier 2016 du ministre de la justice, M. Ziobro, au premier vice-président, M. Timmermans.

(14)  Lettre du 1er février 2016 du premier vice-président, M. Timmermans, au ministre de la justice, M. Ziobro.

(15)  Lettre du 29 février 2016 du ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski, au premier vice-président, M. Timmermans.

(16)  Lettre du 3 mars 2016 du premier vice-président, M. Timmermans, au ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski.

(17)  Avis no 833/2015, CDL-AD(2016)001.

(18)  Depuis le 9 mars 2016, vingt décisions rendues par le Tribunal constitutionnel n'ont pas été publiées.

(19)  Lettre du 24 juin 2016 du ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski, au premier vice-président, M. Timmermans.

(20)  K 34/15.

(21)  K 35/15.

(22)  Avis, point 112.

(23)  Avis, point 136.

(24)  Loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel, publiée au Journal officiel le 30 juillet 2015, acte 1064, telle que modifiée. La loi du 22 décembre 2015 a été publiée au Journal officiel le 28 décembre, acte 2217.

(25)  Avis, point 41.

(26)  Loi du 25 juin 2015 sur le Tribunal constitutionnel, publiée au Journal officiel le 30 juillet 2015, acte 1064, telle que modifiée. La loi du 22 décembre 2015 a été publiée au Journal officiel le 28 décembre, acte 2217.

(27)  Voir l'article 1er, paragraphe 9, de la nouvelle loi, remplaçant l'article 44, paragraphes 1 à 3.

(28)  Voir l'article 1er, paragraphe 14, de la nouvelle loi, remplaçant l'article 99, paragraphe 1.

(29)  Voir l'article 1er, paragraphe 10, de la nouvelle loi, insérant un nouvel article 80, paragraphe 2.

(30)  Voir l'article 1er, paragraphe 12, de la nouvelle loi, remplaçant l'article 87, paragraphe 2.

(31)  Voir l'article 1er, paragraphe 5, de la nouvelle loi, insérant un nouvel article 28 bis, et l'article 1er, paragraphe 7, de la nouvelle loi, insérant un nouvel article 31 bis.

(32)  Le nouveau quorum s'appliquait également aux résolutions de l'assemblée générale, sauf disposition contraire de la loi (voir l'article 1er, paragraphe 3, de la nouvelle loi, modifiant l'article 10, paragraphe 1).

(33)  À la suite de la modification apportée, les mêmes règles — quorum et majorité des deux tiers des voix — s'appliquaient également à l'assemblée générale de la Cour.

(34)  Voir l'article 1er, paragraphe 10, de la nouvelle loi, introduisant un nouvel article 80, paragraphe 2.

(35)  Voir l'article 2 de la nouvelle loi.

(36)  Voir l'article 1er, paragraphe 12, de la nouvelle loi.

(37)  Voir l'article 1er, paragraphe 5, de la nouvelle loi.

(38)  Voir l'article 1er, paragraphe 7, de la nouvelle loi.

(39)  Voir l'article 1er, paragraphe 5, de la nouvelle loi, qui introduit un nouvel article 28a.

(40)  Voir l'article 1er, paragraphe 7, de la nouvelle loi, qui introduit un nouvel article 31a.

(41)  Loi du 30 décembre 2015 portant modification de la loi sur la radiodiffusion, publiée au Journal officiel le 7 janvier 2016, point 25.

(42)  Loi du 30 décembre 2015 portant modification de la loi sur la fonction publique et de certains autres actes, publiée au Journal officiel le 8 janvier 2016, point 34.

(43)  Loi du 15 janvier 2016 portant modification de la loi sur la police et d'autres lois, publiée au Journal officiel le 4 février 2016, point 147.

(44)  Loi du 28 janvier 2016 sur le ministère public, publiée au Journal officiel le 15 février 2016, point 177; loi du 28 janvier 2016 — Réglementation portant exécution de la loi sur le ministère public, publiée au Journal officiel le 15 février 2016, point 178.

(45)  Loi du 18 mars 2016 sur le médiateur et portant modification de certaines autres lois. La loi a été signée par le président de la République le 4 mai 2016.

(46)  Loi du 22 juin 2016 sur le Conseil national des médias. La loi a été signée par le président de la République le 27 juin 2016.

(47)  Loi du 10 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme. La loi a été signée par le président de la République le 22 juin 2016. La Commission a appris, par ailleurs, qu'une nouvelle loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la justice et de certaines autres lois a été présentée le 5 mai 2016 par le ministre de la justice au centre législatif national.

(48)  Loi du 30 décembre 2015 portant modification de la loi sur la radiodiffusion, publiée au Journal officiel le 7 janvier 2016, point 25, et loi du 22 juin 2016 sur le Conseil national des médias. La loi a été signée par le président de la République le 27 juin 2016.

(49)  Loi du 30 décembre 2015 portant modification de la loi sur la fonction publique et de certains autres actes, publiée au Journal officiel le 8 janvier 2016, point 34.

(50)  Lettre du 1er février 2016 du premier vice-président, M. Timmermans, au ministre de la justice, M. Ziobro; lettre du 3 mars 2016 du premier vice-président, M. Timmermans, au ministre des affaires étrangères, M. Waszczykowski.

(51)  Loi du 15 janvier 2016 portant modification de la loi sur la police et d'autres lois, publiée au Journal officiel le 4 février 2016, point 147.

(52)  Avis no 839/2016.

(53)  Loi du 10 juin 2016 sur la lutte contre le terrorisme. La loi a été signée par le président de la République le mercredi 22 juin 2016.