30.6.2011   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 190/18


RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AUTORITÉ DE SURVEILLANCE AELE

No 322/10/COL

du 14 juillet 2010

relative à une procédure d’application de l’article 54 de l'accord EEE contre Posten Norge AS

(Affaire no 34250 — Posten Norge/Privpak)

(Seuls les textes en langues anglaise et norvégienne sont foi.)

2011/C 190/05

Le 14 juillet 2010, l'Autorité de surveillance AELE («l'Autorité») a adopté une décision relative à une procédure d’application de l’article 54 de l'accord EEE. Conformément à l'article 30 du chapitre II du protocole no 4 de l'accord Surveillance et Cour de justice, l'Autorité publie ci-après les noms des parties intéressées et l'essentiel de la décision, en tenant compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués. Une version non confidentielle du texte intégral de la décision est disponible dans les langues faisant foi en l'espèce sur le site web de l'Autorité, à l'adresse suivante:

http://www.eftasurv.int/competition/competition-cases/

RÉSUMÉ DE L'INFRACTION

1.   Introduction

(1)

Est destinataire de la décision Posten Norge AS, l'entreprise qui gère les services postaux norvégiens. Le chiffre d'affaires mondial du groupe s'élevait à 23 668 millions de couronnes norvégiennes («NOK») en 2006. Le chiffre d'affaires réalisé en dehors du territoire norvégien a représenté quelque 17,5 % du chiffre d'affaires total du groupe en 2006. L'État norvégien est l'unique propriétaire de Posten Norge.

(2)

La plaignante était Schenker Privpak AB («Privpak»), une société anonyme de droit suédois créée en 1992. Privpak livre les colis expédiés par des entreprises de vente à distance à leurs clients en Norvège, Suède et Finlande. Schenker Privpak AB appartient au groupe d'entreprises dénommé DB Schenker. Ce groupe est responsable de l'ensemble des activités de transport et de logistique de Deutsche Bahn AG. Enfin, Deutsche Bahn AG appartient en totalité à l'État allemand. En Norvège, Privpak a exercé ses activités par l'intermédiaire de Schenker Privpak AS, une société anonyme à responsabilité limitée de droit norvégien.

2.   Procédure

(3)

Le 24 juin 2002, l'Autorité a reçu une plainte émanant de Privpak. Cette dernière a transmis des renseignements complémentaires par lettres datées des 9 décembre 2002, 14 janvier 2003, 15 août 2003 et 5 mars 2004. Posten Norge a répondu à des demandes de renseignements les 16 et 23 juin 2003. Des inspections ont été effectuées dans les locaux de Posten Norge à Oslo du 21 au 24 juin 2004. Après avoir adressé plusieurs demandes de renseignements à Privpak et Posten Norge ainsi qu'à des tiers, l'Autorité a adopté une communication des griefs contre Posten Norge le 17 décembre 2008. Posten Norge a répondu à cette communication des griefs le 3 avril 2009. Une audition s'est tenue le 16 juin 2009.

3.   Le comportement de Posten Norge

(4)

En 1999, Posten Norge a estimé que son réseau de distribution ne répondait pas suffisamment aux attentes du marché tant en matière d'accessibilité qu'en ce qui concerne les services offerts. En outre, l'exploitation de son réseau était devenue trop coûteuse et les revenus générés par ce dernier avaient considérablement baissé au cours des années précédentes. C'est pourquoi Posten Norge a décidé de réorganiser son réseau de distribution en ramenant le nombre de ses bureaux de poste à 300-450 et en ouvrant au moins 1 100«Post-in-Shops» (points relais créés dans des commerces). Posten Norge rendait ainsi ses services postaux et financiers plus accessibles en augmentant le nombre total de points de livraison d'au moins 200 unités, tout en améliorant sa rentabilité par une diminution de ses coûts d'exploitation.

(5)

Le concept «Post-in-Shop», dont Posten Norge détient l'exclusivité, a été imaginé pour fournir une série de services postaux et financiers dans des points de vente au détail tels que les supermarchés, les épiceries, les kiosques et les stations-service. Chaque point relais doit offrir au minimum les services postaux et financiers de base que Posten Norge est tenue d'assurer pour se conformer aux exigences de la licence sous laquelle elle exerce ses activités. D'autres produits et services peuvent être offerts en fonction des besoins de la clientèle de chaque point relais. Posten Norge assume la responsabilité première du suivi quotidien des activités des points relais et a le droit de contrôler tous les aspects du fonctionnement du système. Chaque point relais est intégré dans un point de vente au détail et en adopte les heures d'ouverture. Les points relais suivent tous le même modèle et sont identifiés au moyen d'une marque commerciale conformément à la stratégie générale de Posten Norge.

(6)

En 1999-2000, lorsque le concept a été créé, l'intention de Posten Norge était de conclure des alliances stratégiques avec les principaux groupes ou chaînes d'épiceries, de kiosques et de stations-service pour la prestation de services postaux dans leurs magasins. Début 2000, Posten Norge a négocié des accords d'intention à cet effet avec les principaux groupes et chaînes de distribution. Par la suite, elle a conclu les accords suivants concernant le concept «Post-in-Shop»:

un accord commercial avec le groupe NorgesGruppen/Shell (septembre 2000), qui a fait de ce dernier le partenaire privilégié de Posten Norge. En échange, Posten Norge a obtenu un accès exclusif à tous les points de vente du groupe (exclusivité au niveau du groupe);

un accord-cadre avec COOP (janvier 2001) par lequel COOP s'est vu accorder le statut de seconde priorité; et

un protocole avec ICA (janvier 2001).

(7)

Les deux derniers accords octroient à Posten Norge un accès exclusif aux points de vente dans lesquels un point relais a été créé. Des conventions d'exploitation standard à conclure avec chaque point de vente hébergeant un point relais ont également été négociées avec chaque groupe.

(8)

À partir du début de l'année 2004, Posten Norge a mené, de sa propre initiative, des négociations parallèles avec NorgesGruppen, COOP et ICA en vue de conclure de nouveaux accords-cadres pour ses points relais. Ces accords devaient remplacer les accords existants à compter du 1er janvier 2006. Au sein de Posten Norge, il a été proposé d'informer tous les groupes que cette dernière souhaitait i) conclure de nouveaux accords-cadres concernant ses points relais; et ii) adapter les clauses relatives à ses préférences. Il a aussi été suggéré d'attendre la fin des négociations pour indiquer aux groupes de distribution si des priorités seraient accordées et à qui. Posten Norge a suivi la stratégie proposée en interne et laissé la question du statut de partenaire privilégié ouverte pendant toute la durée des négociations.

(9)

Au cours de l'année 2006, toutes les clauses concernant l'exclusivité et le statut de partenaire privilégié ont été retirées des accords de Posten Norge.

4.   Article 54 de l’accord EEE

4.1.   Le marché en cause

(10)

Au cours de la période en cause, Posten Norge a fourni des services de colis aux consommateurs au moyen de points relais et sous forme de livraisons à domicile. Elle a également fourni des services de colis aux consommateurs à l'étranger.

(11)

Le réseau utilisé par Posten Norge pour fournir ses services de colis aux consommateurs se composait de ses bureaux de poste et des points relais ouverts dans des points de vente. Si nécessaire, ce réseau pouvait être complété par le travail des facteurs dans les zones les plus rurales. Posten Norge était le seul prestataire de services de colis d'entreprise à consommateur dont le réseau de livraison s'étendait à l'ensemble du territoire norvégien.

4.1.1.   Marché de produits en cause

(12)

L'affaire concerne les services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais. La livraison aux points relais est le principal mode de livraison auxquels les consommateurs norvégiens ont été habitués pour les colis livrés par des entreprises. Posten Norge a été le principal prestataire de services de colis d'entreprise à consommateur. La livraison à domicile n'a représenté qu'une faible part du total des colis qu'elle a livrés aux consommateurs. Les éléments recueillis n'ont pas permis de conclure que les entreprises de vente à distance considéraient les services de livraison à domicile comme une solution de rechange aux services de colis fournis aux consommateurs par Posten Norge au moyen de ses points relais. Les livraisons à domicile de colis d'entreprise à consommateur nécessitent une infrastructure de transport capable de livrer les colis à l'adresse de chaque destinataire. Les services de livraison à domicile et les services de livraison aux points relais n'auraient pu être considérés comme substituables ou interchangeables que s'il avait été possible de faire passer un important volume de colis d'un système de livraison à l'autre dans un court délai. Les éléments disponibles indiquent qu'un tel scénario n'était pas réaliste au cours de la période en cause. En conséquence, les services de colis d'entreprise à consommateur fournis sous forme de livraisons à domicile n'ont pas été inclus dans le marché de produits en cause.

(13)

Les services de colis d'entreprise à entreprise sont utilisés par des entreprises qui doivent effectuer des livraisons porte-à-porte à d'autres entreprises pendant les heures ouvrables. Pour ce type de clients, le facteur temps est important, raison pour laquelle ils sont prêts à payer un prix beaucoup plus élevé pour ce genre de services. En raison des écarts de prix existant entre les deux services, qui s'expliquent vraisemblablement par les différences de coût que suppose la prestation de ces services, il ne serait pas rentable pour les entreprises de vente à distance de remplacer les services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais par des services de colis d'entreprise à entreprise. Ces derniers n'ont donc exercé aucune pression concurrentielle sur les services de colis d'entreprise à consommateur. D'un point de vue pratique, il n'était en outre pas faisable pour les entreprises de vente à distance de passer aux services d'entreprise à entreprise parce que les prestataires de ce type de services exigent, en principe, que le destinataire du colis soit une entreprise et non un particulier.

(14)

Selon les éléments dont dispose l'Autorité, aucun prestataire n'a offert de services de livraison de colis d'entreprise à consommateur sur le lieu de travail de particuliers dans des proportions importantes au cours de la période examinée. Leurs caractéristiques, leur prix et l'usage auquel elles sont destinées étant différents, les livraisons de colis d'entreprise à entreprise ne constituaient pas une solution de rechange aux services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais.

(15)

L'Autorité est parvenue à la conclusion qu'au cours de la période en cause, le marché des services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais était distinct de celui des services de colis d'entreprise à consommateur fournis sous forme de livraison à domicile ou sur le lieu de travail, de celui des services de colis d'entreprise à entreprise et de celui des services de livraison de colis de particulier à particulier.

4.1.2.   Marché géographique en cause

(16)

L'étendue géographique du marché des services de colis d'entreprise à consommateur offerts au moyen de points relais s'est limitée à la Norvège.

4.2.   Position dominante

(17)

Depuis le lancement, en 1997, des services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais en Norvège, Posten Norge est le principal prestataire de ce type de services et a connu une concurrence très faible. Jusqu'à l'entrée de Tollpost sur le marché, Privpak était le seul concurrent de Posten Norge. Aucune entreprise de vente à distance n'a mentionné l'existence avant l'automne 2006 d'autres concurrents fournissant des services de colis d'entreprise à consommateur au moyen de points relais. Tollpost a décidé d'entrer sur le marché à l'automne 2005, mais n'est devenue opérationnelle qu'à l'automne 2006 et à une échelle très limitée.

(18)

La part de marché de Posten Norge est restée supérieure à 98 % ou proche de ce chiffre pendant toute la période concernée. Il existait d'importantes barrières à l'entrée et à l'extension d'activités sur le marché en cause au cours de la période examinée. L'arrivée possible de nouveaux entrants sur le marché au cours de cette période n'a pas exercé de pression significative sur le comportement de Posten Norge. En l'absence d'autres prestataires de services détenant des parts de marché à la fois élevées et stables, toute menace, même de la part des plus gros clients, de ne plus s'adresser à Posten Norge pour une grande partie, voire la totalité de leurs demandes de services, n'était pas crédible. Posten Norge est donc restée un partenaire commercial incontournable tout au long de la période en cause.

(19)

L'Autorité est parvenue à la conclusion qu'au cours de la période concernée, Posten Norge jouissait, sur le marché en cause, d'une position dominante au sens de l'article 54 de l'accord EEE. Le marché géographique en cause sur lequel Posten Norge détenait cette position dominante constituait une «partie substantielle» du territoire de l'EEE.

4.3.   Abus

4.3.1.   Appréciation du comportement de Posten Norge

(20)

Aux termes de l'article 54 de l'accord EEE, est incompatible avec le fonctionnement de l'accord et interdit, dans la mesure où le commerce entre parties contractantes est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le territoire couvert par l'accord ou dans une partie substantielle de celui-ci.

(21)

Selon une jurisprudence constante, la notion d'abus se définit comme suit:

«une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence».

 (1)

(22)

Par effets, on n'entend pas nécessairement, dans la jurisprudence citée au point précédent, les effets concrets ou réels du comportement abusif incriminé. Aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 54 de l'accord EEE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, qu’il est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet. La capacité de la pratique en cause à restreindre la concurrence peut être indirecte, pourvu qu'il soit démontré à suffisance de droit qu'elle soit réellement de nature à restreindre la concurrence.

(23)

Dans sa décision, l'Autorité conclut que Posten Norge a abusé de sa position dominante en imposant une exclusivité au niveau du groupe et dans chaque point de vente dans ses dispositions contractuelles qui la lient aux groupes de distribution, ainsi qu'en adoptant la stratégie appliquée à partir de 2004, lors de la renégociation de ses accords.

(24)

L'exclusivité obtenue par Posten Norge au niveau du groupe a barré l'accès des concurrents de l'intéressée à l'ensemble de NorgesGruppen/Shell, qui englobe le plus important groupe de distribution de biens de consommation courante, la plus importante chaîne de kiosques et une des principales chaînes de stations-service en Norvège. L'exclusivité obtenue au niveau du groupe et dans chaque point de vente a lié un grand nombre de points de vente des principales chaînes d'épiceries, de kiosques et de stations-service en Norvège à Posten Norge.

(25)

À partir de la conclusion de leurs accords avec Posten Norge en 2001 et dans le courant de l'année 2002, lorsque de nombreux points relais ont été créés, tant COOP qu'ICA avaient intérêt à en accueillir le plus grand nombre possible. Le fait que Posten Norge ait imposé l'exclusivité aux points de vente rendait impossible l'ouverture d'un point relais dans un point de vente appartenant à COOP ou ICA auquel un prestataire concurrent de services de colis d'entreprise à consommateur aurait accès. En d'autres termes, tout point de vente utilisé par un concurrent de Posten Norge serait exclu du réseau des points relais de cette dernière. Si COOP et ICA avaient décidé de déployer un réseau de points de livraison concurrent et créé plusieurs centaines de points relais «concurrents» dans leurs réseaux de distribution, leurs chances de se voir accorder de nouveaux points relais Posten Norge s'en seraient trouvées considérablement réduites.

(26)

Lors de la renégociation de ses contrats, Posten Norge a laissé ouverte la question du statut de partenaire commercial privilégié, de telle sorte que COOP et ICA ont eu le sentiment qu'ils pourraient en bénéficier ou, au moins, bénéficier d'un meilleur statut à partir de 2006. Cette attitude a eu un effet clairement dissuasif tant sur COOP que sur ICA, qui étaient dès lors peu disposées à s'adresser à d'autres entreprises fournissant des services de colis aux consommateurs. Cette situation a perduré au moins jusqu'à la fin des négociations et au règlement de la question de la relation contractuelle avec COOP et ICA.

(27)

Sur la base des éléments probants dont elle disposait, l'Autorité est arrivée à la conclusion que le quatrième groupe de distribution, à savoir Reitangruppen, de même que les autres principales chaînes de stations-service, n'étaient pas préparés au déploiement, au sein de leurs chaînes respectives, de points relais d'entreprises fournissant des services de colis aux consommateurs. Elles estimaient ne pas disposer de suffisamment d'espace dans leurs points de vente pour fournir des services de livraison de colis, considéraient que cette activité n'offrirait pas suffisamment de débouchés commerciaux, ou manifestaient une attitude négative à l'égard de projets qui étaient susceptibles d'augmenter leurs coûts et/ou de détourner l'attention de la stratégie principale de la chaîne. Les concurrents de Posten Norge ne pouvaient donc se tourner vers pratiquement aucune autre grande chaîne d'épiceries, de kiosques et de stations-service au cours de la période en cause.

(28)

Aussi l'Autorité a-t-elle estimé que le comportement de Posten Norge a rendu l'accès aux chaînes de distribution les plus prisées en Norvège beaucoup plus difficile pour les nouveaux entrants. En conséquence, le comportement de Posten Norge a créé des barrières stratégiques à l'entrée sur le marché en cause des services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais. En ayant pour effet de limiter l'accès aux principales chaînes d'épiceries, de kiosques et de stations-service, le comportement de Posten Norge était donc de nature à réduire la capacité et/ou la volonté des concurrents de l'intéressée de lui faire concurrence sur le marché des services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais.

(29)

L'Autorité a en outre estimé que le comportement de Posten Norge avait vraisemblablement produit de réels effets anticoncurrentiels au détriment des consommateurs. Sur la base des éléments disponibles, il a été jugé vraisemblable que si Posten Norge ne s'était pas livrée au comportement incriminé, ses concurrents auraient pu avoir accès aux principales chaînes d'épiceries et de kiosques. Leur entrée et l'extension de leurs activités sur le marché en cause en auraient été facilitées et auraient permis l'exercice d'une pression concurrentielle plus importante sur Posten Norge, limitant ainsi son pouvoir de marché au bénéfice des entreprises de vente à distance et, en définitive, des consommateurs.

4.3.2.   Justification objective

(30)

Un comportement d'éviction peut échapper à l’interdiction prévue à l’article 54 de l'accord EEE si l'entreprise dominante peut démontrer que ce comportement est objectivement nécessaire ou produit des gains d'efficacité qui compensent ses effets négatifs sur la concurrence (2). Il incombe à l'entreprise dominante de prouver cette éventuelle nécessité objective ou les gains d'efficacité allégués (3).

(31)

Posten Norge a affirmé que l'exclusivité obtenue au niveau du groupe était nécessaire pour réaliser des gains d'efficacité en facilitant une rapide mise en place du réseau de points relais, faire en sorte qu'aucun des points de vente devant accueillir les points relais ne soit pris par des concurrents, éliminer le risque que NorgesGruppen/Shell ne contribue pas suffisamment au déploiement des points relais, et veiller à disposer d'un espace suffisant pour ses activités dans les points de vente. Au terme d'une analyse détaillée, l'Autorité a conclu que Posten Norge n'avait pas prouvé que l'exclusivité obtenue au niveau du groupe, dans la mesure où elle s'appliquait aux services de distribution de colis, était nécessaire pour l'une quelconque de ces raisons. En outre, même à supposer que l'exclusivité obtenue au niveau du groupe ait généré des gains d'efficacité en la matière, son étendue et sa durée n'en étaient pas moins excessives et dès lors disproportionnées.

(32)

Posten Norge a ensuite allégué qu'elle versait chaque année d'importants montants à NorgesGruppen/Shell pour couvrir les coûts supportés par le groupe du fait de sa participation au système des points relais. Elle a affirmé qu'elle n'aurait pas pu garantir l'utilisation de ces montants à son bénéfice si elle n'avait pas bénéficié d'une exclusivité au niveau du groupe, ajoutant que cette exclusivité était nécessaire pour éviter que des concurrents ne profitent indûment de ces investissements. Cependant, l'Autorité a estimé que l'existence d'un risque significatif que les paiements effectués par Posten Norge à NorgesGruppen/Shell aient pu bénéficier à des distributeurs concurrents fournissant des services de colis à des consommateurs n'avait pas été démontrée, pas plus que l'existence d'un risque de sous-investissement.

(33)

Posten Norge a affirmé que l'exclusivité obtenue pour chaque point de vente était nécessaire pour protéger ses efforts de promotion et ses investissements dans la formation, protéger ses droits de propriété intellectuelle, sauvegarder l'identité et la réputation du concept «Post-in-Shop», veiller à ce que chaque point relais concentre ses activités sur le concept développé par Posten Norge et sur ses besoins, et protéger ses investissements dans les comptoirs de livraison et l'équipement matériel. Au terme d'une analyse détaillée des informations transmises et des arguments formulés par Posten Norge à cet égard, l'Autorité a conclu que l'existence d'un risque significatif que les distributeurs de colis concurrents de Posten Norge profitent indûment de ses efforts de promotion et de ses investissements dans la formation n'avait pas été démontrée. L'exclusivité au niveau de chaque point de vente, en ce qu'elle s'appliquait à l'égard des distributeurs de colis concurrents, n'a pas pu être considérée comme indispensable à la protection des droits de propriété intellectuelle de Posten Norge ou de l'identité commune et de la réputation de son réseau de points relais. L'Autorité a également jugé limitée la nécessité d'imposer l'exclusivité au niveau des points de vente pour veiller à ce que les points relais concentrent leurs activités sur le concept développé par Posten Norge. En tout état de cause, l'exclusivité obtenue pour chaque point de vente ne pouvait être considérée comme indispensable pendant toute la durée des accords conclus par Posten Norge au niveau des points de vente.

(34)

En ce qui concerne sa stratégie de renégociation des accords, Posten Norge a affirmé que la conduite de négociations parallèles avec plusieurs prestataires de services renforçait la concurrence parce qu'il s'agissait de la solution la plus efficace pour négocier de nouveaux accords. Posten Norge a aussi prétendu qu'elle ne poursuivait pas de stratégie d'éviction. L'Autorité a cependant jugé que Posten Norge n'avait nullement démontré que sa stratégie de renégociation des contrats avait généré des gains d'efficacité et constituait un moyen nécessaire et proportionné de réaliser de tels gains, ni que les gains allégués compensaient les effets anticoncurrentiels découlant de sa stratégie de renégociation.

(35)

En conséquence, l'Autorité est parvenue à la conclusion que Posten Norge n'avait pas démontré que son comportement était justifié par des raisons objectives.

4.3.3.   Conclusion sur l'abus

(36)

L'Autorité est arrivée à la conclusion que le comportement de Posten Norge — à savoir le fait d'imposer l'exclusivité au niveau du groupe et de ses points de vente dans ses accords avec NorgesGruppen/Shell et l'exclusivité pour chaque point de vente dans ses accords avec COOP et ICA, de même que la stratégie poursuivie à partir de 2004 lors de la renégociation des accords conclus avec NorgesGruppen, COOP et ICA — constituait un abus de position dominante au sens de l'article 54 de l'accord EEE.

4.4.   Effet sur le commerce

(37)

Le comportement abusif de Posten Norge était capable d'affecter sensiblement le commerce entre parties contractantes au sens de l'article 54 de l'accord EEE.

4.5.   Durée

(38)

Le comportement abusif a constitué une infraction unique et continue qui a duré au minimum aussi longtemps que NorgesGruppen est restée liée par l'obligation d'exclusivité au niveau du groupe et est demeurée le partenaire commercial privilégié de Posten Norge, c'est-à-dire du 20 septembre 2000 jusqu'au 31 mars 2006.

5.   Amende

5.1.   Montant de base

(39)

En règle générale, le montant de base de l'amende doit être fixé à un maximum de 30 % de la valeur des ventes portant sur les produits directement ou indirectement concernés par l'infraction dans la zone géographique en cause de l'EEE. L'Autorité utilise normalement les ventes effectuées par l’entreprise au cours de la dernière année complète de sa participation à l’infraction. Le chiffre d'affaires réalisé par Posten Norge en 2005 grâce aux services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais s'est élevé à 674,16 millions NOK, ce qui équivaut à 84,17 millions d'EUR (4).

(40)

Le montant de base de l'amende est lié à une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l'infraction, multipliée par le nombre d'années d'infraction.

(41)

Pour décider si la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération dans une affaire donnée doit être fixée dans la partie inférieure ou la partie supérieure de cette échelle, l'Autorité effectue une analyse au cas par cas tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l'espèce. L'Autorité prend en compte plusieurs facteurs, tels que la nature de l'infraction, la part de marché de l'entreprise concernée et l'étendue géographique de l'infraction.

(42)

En l'espèce, la nature de l'infraction est liée à des pratiques d'éviction qui ont affecté la structure du marché en cause. La part de marché détenue par Posten Norge sur le marché en cause a été très importante pendant toute la durée de l'infraction. L'abus a été commis sur l'intégralité du territoire de la Norvège et a compromis le bon fonctionnement du marché intérieur, ce qui est contraire aux objectifs de l'accord EEE, en élevant des barrières à l'entrée effective sur le marché de la distribution de colis en cause en Norvège, entravant ainsi la création de marchés transnationaux.

(43)

À la lumière des circonstances de l'espèce, le montant initial de l'amende a été fixé à 2 525 100 EUR, puis multiplié par 5,5 pour tenir compte de la durée de l'infraction (cinq ans et demi). Le montant de base de l'amende a donc été fixé à 13,89 millions d'EUR.

5.2.   Circonstances aggravantes et atténuantes

(44)

Il n'existe pas de circonstance aggravante ou atténuante.

5.3.   Autres circonstances

(45)

Consciente que la durée de la procédure administrative en l'espèce avait été très longue, l'Autorité a estimé, au regard des circonstances particulières de l'espèce, qu'une réduction du montant de base de l'amende de 1 million d'EUR se justifiait.

5.4.   Montant de l'amende

(46)

Le montant définitif de l'amende a donc été fixé à 12,89 millions d'EUR.

6.   Décision

(47)

Du 20 septembre 2000 au 31 mars 2006, Posten Norge AS a commis une infraction unique et continue à l'article 54 de l'accord EEE sur le marché des services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais en Norvège, en pratiquant une stratégie d'exclusivité assortie d'un régime préférentiel lors de la mise en place et de l'exploitation de son réseau de points relais. L'infraction reposait sur les éléments suivants:

la conclusion et le maintien d'accords avec NorgesGruppen/Shell ainsi qu'avec divers points de vente au sein de ce groupe accordant à Posten Norge l'exclusivité au sein du groupe et dans chacun de ses points de vente;

la conclusion et le maintien d'accords avec COOP ainsi qu'avec divers points de vente au sein de ce groupe accordant à Posten Norge l'exclusivité dans chacun de ses points de vente;

la conclusion et le maintien d'accords avec ICA ainsi qu'avec divers points de vente au sein de ce groupe accordant à Posten Norge l'exclusivité dans chacun de ses points de vente; et

la poursuite d'une stratégie de renégociation qui était de nature à limiter la volonté de COOP et d'ICA de négocier et de conclure des accords avec des concurrents de Posten Norge pour les services de colis d'entreprise à consommateur fournis au moyen de points relais.

(48)

Pour l'infraction susmentionnée, une amende de 12,89 millions d'EUR a été infligée à Posten Norge AS.

(49)

Dans la mesure où elle ne l'avait pas encore fait, Posten Norge AS a été invitée à mettre fin à l'infraction et à s'abstenir de tout comportement susceptible d'avoir un objet ou un effet identique ou équivalent, aussi longtemps qu'elle détiendrait une position dominante sur le marché en cause.


(1)  Affaire 85/76, Hoffmann-La Roche/Commission, Rec. 1979, p. 461, point 91; affaire 322/81, Michelin/Commission (Michelin I), Rec. 1983, p. II-3461, point 70; affaire C-62/86, AKZO/Commission, Rec. 1991, p. I-3359, point 69; affaire T-228/97, Irish Sugar/Commission, Rec. 1999, p. II-2969, point 111; affaire T-219/99, British Airways/Commission, Rec. 2003, p. II-5917, point 241; affaire T-271/03, Deutsche Telekom/Commission, Rec. 2008, p. II-477, point 233.

(2)  Affaire 27/76, United Brands/Commission, Rec. 1978, p. 207, point 184; affaire T-83/91, Tetra Pak/Commission (Tetra Pak II), Rec. 1994, p. II-755, point 136; affaire C-95/04 P, British Airways/Commission, Recueil 2007, p. I-2331, points 69 et 86.

(3)  Voir l'article 2 du Chapitre II du protocole no 4 de l'accord Surveillance et Cour de justice.

(4)  Selon l'historique des taux de change de référence de l'euro de la Banque centrale européenne, le taux de change moyen en 2005 était de 8,0092.