20.2.2008   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 47/9


Résumé de la décision de la Commission

du 27 juin 2007

déclarant une opération de concentration incompatible avec le marché commun et l'accord EEE

(Affaire COMP/M.4439 — Ryanair/Aer Lingus)

(Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi)

(Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

(2008/C 47/05)

Le 27 juin 2007, la Commission a adopté une décision dans une affaire de concentration en application du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (le règlement CE sur les concentrations)  (1), et notamment de son article 8, paragraphe 3. Une version non confidentielle du texte intégral de la décision dans la langue faisant foi se trouve sur le site Internet de la direction générale de la concurrence, à l'adresse suivante:

http://ec.europa.eu/comm/competition/index_fr.html

I.   RÉSUMÉ

1.

La présente affaire portait sur le projet d'acquisition par la compagnie aérienne irlandaise Ryanair de son concurrent Aer Lingus. Les deux compagnies proposent des services de transport aérien régulier. Leurs services se chevauchent en particulier à l'aéroport de Dublin.

2.

L'opération d'achat envisagée, par laquelle Ryanair acquiert le contrôle exclusif d'Aer Lingus, constitue une concentration au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b), du règlement sur les concentrations. La concentration revêt une dimension communautaire au sens de l'article premier, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations.

3.

La décision définit, conformément aux affaires précédentes dans le secteur du transport aérien, que le marché de produits en cause est celui des services de transport aérien régulier de passagers empruntant des vols de point à point, sur lequel chaque liaison entre un point d'origine et un point de destination est définie comme un marché distinct (approche «O & D»). L'enquête sur le marché a également conclu que certains aéroports desservant des zones de chalandise similaires (par exemple, les aéroports principaux desservis par Aer Lingus et les aéroports secondaires desservis par Ryanair) appartiennent au même marché de produits en cause.

4.

La décision fait remarquer que l'opération de concentration combinerait deux compagnies aériennes à prestations minimales disposant d'une présence significative notamment à l'aéroport de Dublin, où elles représenteraient environ 80 % du trafic européen de vols court-courriers après la concentration. La décision identifie au total 35 liaisons sur lesquelles les activités de ces parties se chevauchent. L'opération aboutirait à un monopole sur 22 liaisons et à des parts de marché cumulées très élevées, supérieures à 60 %, sur 13 autres liaisons. Ryanair et Aer Lingus sont les concurrents potentiels les plus probables sur les liaisons qui sont actuellement desservies par une seule des parties à la concentration.

5.

L'enquête de la Commission a confirmé qu'il existe des barrières substantielles à l'entrée qui rendraient difficile toute nouvelle entrée sur des liaisons où les services des parties à la concentration se chevauchent.

6.

Les engagements présentés par Ryanair ont été considérés comme nettement insuffisants pour résoudre les obstacles significatifs à une concurrence effective identifiés par la Commission.

7.

La décision conclut par conséquent que la concentration notifiée entraverait considérablement l'exercice d'une concurrence effective sur les liaisons identifiées à destination/au départ de l'Irlande et la déclare incompatible avec le marché commun et l'accord EEE.

II.   LES PARTIES

8.

Ryanair est une compagnie aérienne qui propose des services de transport aérien de point à point sur plus de 400 lignes à travers 24 pays européens. Ryanair exploite plus de 75 liaisons entre l'Irlande (principalement Dublin, mais aussi Shannon, Cork, Kerry et Knock) et d'autres pays européens. La société possède actuellement une flotte de 120 appareils et dispose de 19 bases en Europe, les plus importantes étant Londres-Stansted et Dublin.

9.

Aer Lingus est une compagnie aérienne basée à Dublin. Comme Ryanair, elle propose des services de transport aérien régulier de point à point sur plus de 70 lignes reliant les aéroports irlandais de Dublin, Shannon et Cork et un certain nombre de destinations européennes et non-européennes. Par ailleurs, Aer Lingus propose des vols long-courriers, principalement vers les États-Unis, et des services de transport de marchandises et des places à des voyagistes. Aer Lingus est basée principalement à l'aéroport de Dublin (et dans une moindre mesure à Cork et Shannon) et possède une flotte totale de 28 appareils court-courriers et 7 appareils long-courriers.

III.   L'OPÉRATION

10.

L'opération envisagée concerne une acquisition du contrôle exclusif d'Aer Lingus par Ryanair par offre publique d'achat de toutes les actions en circulation. Ryanair a commencé à acquérir un nombre substantiel d'actions, s'élevant à 25,17 % du capital social d'Aer Lingus, entre septembre et novembre 2006. Le 5 octobre 2006, Ryanair a également annoncé une offre publique d'achat pour l'intégralité du capital social d'Aer Lingus, qui comportait un délai d'acceptation fixé au 13 novembre 2006, prolongé ensuite par Ryanair une première fois jusqu'au 4 décembre 2006, puis jusqu'au 22 décembre 2006. Étant donné que les prises de participations de Ryanair et l'offre publique d'achat sont étroitement liées en termes de délai et d'objectif économique ultime, l'acquisition d'actions avant et pendant la période de l'offre publique d'achat ainsi que l'offre publique d'achat proprement dite constituent une concentration unique, au sens de l'article 3 du règlement sur les concentrations. Le fait que l'offre de Ryanair soit techniquement venue à expiration ne supprime pas la compétence de la Commission, étant donné que Ryanair avait déjà annoncé qu'elle ferait une nouvelle offre si la Commission autorisait la transaction (2).

IV.   DIMENSION COMMUNAUTAIRE

11.

La concentration revêt une dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations. Les deux entreprises concernées ont un chiffre d'affaires total mondial de plus de 2,5 milliards d'euros et Ryanair comme Aer Lingus réalisent, dans la Communauté, un chiffre d'affaires supérieur à 100 millions d'euros. Les conditions de l'article 1er, paragraphe 3, points a) et d), sont remplies. En outre, il est évident que Ryanair et Aer Lingus ne réalisent pas plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires total, dans la Communauté, à l'intérieur d'un seul et même État membre. La question de savoir si Ryanair et Aer Lingus réalisent un chiffre d'affaires total cumulé supérieur à 100 millions d'euros dans au moins trois États membres et si chacune d'elles réalise au moins 25 millions d'euros dans ces États membres, comme le prescrit l'article 1er, paragraphe 3, points b) et c), du règlement sur les concentrations, dépend de l'affectation géographique du chiffre d'affaires de ces entreprises.

12.

La décision examine plusieurs méthodes d'affectation du chiffre d'affaires provenant de ventes de billets pour des vols entre différents États membres pour lesquelles le lieu où se trouve le client au moment de l'achat ne peut être identifié. Elle arrive à la conclusion que, selon un tel scénario et dans le cas présent, parmi les différentes méthodes possibles, la méthode du 50/50, tout particulièrement, ainsi que la méthode basée sur le lieu de départ pour chaque billet (les deux parties vendent pour les vols européens uniquement les billets aller simple), même si les billets pour le trajet aller et le trajet retour sont achetés en même temps, semblent être les plus appropriées, notamment dans le cas de compagnies aériennes proposant des services de point à point telles que Ryanair ou Aer Lingus.

V.   LES MARCHÉS EN CAUSE

13.

Les activités de Ryanair et d'Aer Lingus se chevauchent dans le domaine de la fourniture de services de transport aérien régulier de passagers au sein de l'Espace économique européen. Ryanair fait valoir qu'en raison de la spécificité de son modèle commercial et de sa base de coûts extrêmement faible, la fixation de ses prix n'est pas influencée par une compagnie aérienne, mais plutôt par les dépenses discrétionnaires globales des consommateurs. La décision reconnaît que les services de transport aérien régulier constituent en effet un marché différencié comprenant un certain nombre de modèles opérationnels et commerciaux et différents niveaux de services aériens. Alors que Ryanair et Aer Lingus peuvent être considérées comme des transporteurs à prestations minimales pour leurs liaisons européennes, Ryanair est clairement un transporteur sans prestations, alors que le produit de Aer Lingus se positionne légèrement plus haut, en ce sens qu'elle fournit une certaine qualité supplémentaire par rapport à Ryanair (par exemple, elle dessert des aéroports principaux plus chers alors que Ryanair dessert des aéroports secondaires). Ceci se reflète dans le fait que les tarifs moyens de Aer Lingus sont plus élevés que ceux de Ryanair. Toutefois, malgré ce niveau de différenciation des produits, la décision conclut que Ryanair et Aer Lingus se font concurrence pour ce qui est de la fourniture de ces services.

14.

Ryanair soutient que le marché de produits en cause est celui des services de transport aérien régulier de passagers empruntant des vols de point à point, en vertu duquel chaque liaison entre un point d'origine et un point de destination est définie comme un marché distinct. La décision explique que cette approche est conforme à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission (3) et qu'elle a également été confirmée par l'enquête approfondie sur le marché. L'autre option, à savoir la définition d'un marché global pour les vols court-courriers au départ/à destination de l'Irlande, qui aurait été fondée en particulier sur la substituabilité du côté de l'offre entre différentes liaisons à partir de la base commune des parties à Dublin, n'a pas été retenue. La substituabilité du côté de l'offre ne serait pas suffisamment immédiate et réelle. En outre, cette définition du marché ne tiendrait pas compte de la substituabilité du côté de la demande entre différentes liaisons, qui est pratiquement inexistante pour une grande majorité des clients.

15.

En conséquence, l'approche O & D a été confirmée par l'enquête menée sur le marché par la Commission. Toutefois, les considérations pertinentes du côté de l'offre ne sont pas ignorées, mais sont examinées dans le cadre de l'appréciation faite sous l'angle de la concurrence.

16.

Ryanair soutient par ailleurs que les marchés O & D en cause devraient être limités à des paires d'aéroport à aéroport, étant donné que, selon elle, même dans les cas où plusieurs aéroports existent dans ou à proximité d'une ville donnée, le client ne considère pas ces aéroports comme substituables. Par contraste, l'enquête de la Commission a démontré qu'un grand nombre de ces aéroports sont considérés par les clients comme substituables et que les paires O & D en cause devraient être définies pour de nombreuses liaisons plutôt sur une base de ville à ville. L'analyse qualitative ainsi que l'analyse quantitative ont confirmé la substituabilité des aéroports pour la destination finale des passagers sur 18 des 20 routes au total avec un chevauchement exclusif de ville à ville identifiées dans la décision. Le fait de desservir des aéroports différents n'est donc dans le cas présent qu'un élément de différenciation entre services de transport aérien concurrents au sein d'un même marché et ne justifie pas la définition de deux marchés différents.

17.

Le tableau ci-dessous récapitule les paires de villes pour lesquelles la décision évalue la substituabilité. L'enquête sur le marché a révélé que les aéroports ne sont pas substituables uniquement pour Amsterdam/Eindhoven et Nantes/Rennes:

Tableau 1

Liste des aéroports considérés pour la détermination de paires de villes

Ville

Aéroports

Londres

Manchester

Milan

Stansted (STN)

Manchester (MAN)

Milan Linate (LIN)

Heathrow (LHR)

Liverpool (LPL)

Malpensa (MXP)

Gatwick (LGW)

Leeds-Bradford (LBA)

Bergamo (Orio al Serio) (BGY)

Luton (LTN)

 

 

London City (LCY)

 

 

Barcelone

Birmingham

Newcastle

Barcelone (BCN)

Birmingham International (BHX)

Newcastle (NCL)

Girona-Costa Brava (GRO)

East Midlands (EMA)

Durham Tees Valley (MME)

Reus (REU)

 

 

Glasgow

Paris

Lyon

Glasgow International (GLA)

Paris Charles de Gaulle (CDG)

Lyon St Exupéry (LYS)

Prestwick (PIK)

Beauvais-Tillé (BVA)

Grenoble (GNB)

Toulouse

Nantes/Rennes

Bruxelles

Toulouse Blagnac (TLS)

Rennes (RNS)

Bruxelles (BRU)

Carcassonne (CCF)

Nantes Atlantique (NTE)

Charleroi Bruxelles-Sud (CRL)

Amsterdam

Francfort

Hambourg

Amsterdam-Schiphol (AMS)

Frankfurt International (FRA)

Hamburg (HAM)

Eindhoven (EIN)

Hahn (HHN)

Lübeck Blankensee (LBC)

Vienne/Bratislava

Alicante

Bilbao

Vienna Schwechat International (VIE)

Alicante (ALC)

Bilbao Sondica (BIO)

Bratislava (BTS)

Murcia San Javier (MJV)

Vitoria (VIT)

Tenerife

Rome

Venise

Tenerife Norte Los Rodeos (TFN)

Rome Ciampino (CIA)

Venise (VCE)

Tenerife Sur Reina Sofia (TFS)

Rome Fiumicino (FCO)

Trévise (TSF)

Bologne

 

 

Bologne Guglielmo Marconi (BLQ)

 

 

Forlì (FRL)

 

 

18.

L'enquête sur le marché a également confirmé que les vols indirects et d'autres moyens de transport ne peuvent généralement pas être considérés comme des substituts pour les vols directs des parties sur les liaisons dont les services se chevauchent. Seuls les vols intra-européens avec leurs courts temps de trajet sont concernés par l'opération envisagée. Dans le passé, la Commission excluait en général également les vols indirects pour ces types de routes (sous réserve de quelques exceptions au cas par cas). En outre, étant donné que la présente affaire concerne essentiellement des passagers empruntant des vols de point à point sans aucun service de correspondance (Ryanair) ou des services de correspondance limités (Aer Lingus), les vols indirects sont d'autant moins attrayants pour les clients. Compte tenu des caractéristiques géographiques de l'Irlande, d'autres moyens de transport ne sont soit pas disponibles (p. ex. trains à grande vitesse), soit ne sont pas concurrentiels avec le transport aérien (p. ex. car/ferry).

19.

Ryanair soutient qu'en particulier pour les liaisons dominées par des vols vers des destinations de loisirs, les compagnies charters exercent des contraintes concurrentielles significatives sur les services des parties. Toutefois, l'enquête menée sur le marché n'a pas confirmé que les compagnies charters exerceraient une contrainte significative sur les parties à la concentration sur les liaisons irlandaises. L'enquête menée sur le marché par la Commission a montré qu'en Irlande, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, les compagnies charters ne proposent que très peu de «vols secs», à savoir des billets d'avion vendus séparément et non dans le cadre de vacances à forfait aux consommateurs finals. Certains arguments visent également à exclure les activités des compagnies charters du marché [en particulier, le fait que leur service est différent (les places sur les vols charters sont vendues essentiellement en Irlande dans le cadre de vacances à forfait), qu'elles vendent par l'intermédiaire d'autres canaux de distribution (pratiquement exclusivement par l'intermédiaire de voyagistes), qu'elles offrent moins de flexibilité (les vols charters sont en général exploités uniquement les weekends et n'offrent donc pas la flexibilité d'autres vols pendant la semaine) et que leurs services sont souvent saisonniers]. Toutefois, même si l'on tenait compte des ventes de «vols secs», l'évaluation de la concurrence dans la présente affaire ne serait pas affectée, compte tenu du nombre très limité de «vols secs» vendus.

20.

En outre, la Commission a établi dans le passé une distinction entre passagers sensibles au facteur temps et passagers non sensibles au facteur temps (ou passagers d'affaires et passagers de loisirs). Toutefois, l'enquête menée sur le marché dans le cadre de la présente affaire a confirmé que compte tenu des caractéristiques spécifiques des parties à la concentration différant des compagnies en réseau offrant un service complet à bord évaluées dans les affaires précédentes, cette distinction ne justifie pas en l'espèce la définition de marchés distincts. Bien que cette différenciation des clients existe, il n'est pas possible dans la présente affaire de définir deux groupes de clients distincts et séparés étant donné que les deux compagnies parties à la concentration ne pratiquent pas de discrimination tarifaire entre ces types de passagers et qu'il y a plutôt une vaste gamme de différents types de passagers entre ces deux extrêmes. En conséquence, bien que la proportion globale des passagers plus sensibles au facteur temps soit prise en considération dans l'analyse concurrentielle, aucun marché distinct n'est défini pour ces groupes de passagers.

21.

Pour évaluer si deux aéroports sont substituables du point de vue des consommateurs, la Commission s'est basée sur plusieurs sources d'information:

les distances et les temps de trajet ont été comparés au critère de référence des 100 km/1 heure de route. Ce critère de référence a été utilisé comme point de départ et a été interprété à la lumière des particularités de l'aéroport respectif et des autres éléments considérés,

les points de vue des concurrents de l'entité issue de la concentration exprimés dans l'enquête menée sur le marché par la Commission. Presque tous les concurrents considéraient les aéroports principaux et les aéroports secondaires comme substituables pour les passagers non sensibles au facteur temps,

les points de vue des aéroports et des autorités de l'aviation civile des États membres dans la mesure où ces points de vue étaient exprimés au cours de l'enquête de la Commission et les résultats de rapports des dites autorités rédigés indépendamment de l'opération envisagée,

lorsqu'il y avait lieu, la Commission a également tenu compte du fait que les aéroports font partie de ce que l'on appelle un «système aéroportuaire» au sens de l'annexe II du règlement (CEE) no 2408/92 du Conseil du 23 juillet 1992 concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires,

les pratiques de marketing, et en particulier la façon dont Ryanair commercialise ses services, ainsi que le fait que certains aéroports soient présentés comme desservant une ville/conurbation spécifique sont considérés comme des preuves supplémentaires étant donné que cela fait partie des éléments que les clients prennent en compte lorsqu'ils achètent un billet d'avion sur Internet,

l'estimation de la part de passagers de loisirs sur une liaison. Il est généralement admis que les passagers de loisirs ont tendance à être plus sensibles aux prix. Ils sont plus enclins que les passagers d'affaires à opter pour un temps de trajet total plus long en échange d'un coût de voyage total moindre. Par conséquent, sur les liaisons où la part estimée de passagers de loisirs est élevée, il est raisonnable de penser que la substituabilité des aéroports du point de vue des passagers est plus large que plus étroite,

l'existence ou non de services de transport entre les aéroports secondaires et certaines villes et le fait qu'ils soient éventuellement commercialisés sur le propre site Internet de Ryanair ou même mis en place par Ryanair elle-même sont considérés comme des preuves supplémentaires,

le résultat de l'analyse de corrélation entre les prix de la Commission pour dix-sept paires de villes au départ de Dublin,

et enfin, l'enquête auprès des clients mené à l'aéroport de Dublin qui fournit des preuves indirectes quant à la substituabilité de certaines paires d'aéroports du côté de la demande.

22.

À la lumière de ce qui précède, la décision conclut qu'aux fins de l'appréciation de l'opération envisagée le marché en cause est celui des services de transport aérien régulier de passagers empruntant des vols de point à point. Ces marchés sont définis sur une base O & D, qui peut comprendre, selon les conditions O & D concernées, deux ou plusieurs aéroports à une extrémité de l'O & D (zone de chalandise).

VI.   APPRÉCIATION SOUS L'ANGLE DE LA CONCURRENCE

23.

La décision souligne que l'opération envisagée est différente des affaires précédentes dans le secteur du transport aérien examinées par la Commission parce que les parties à la concentration sont toutes deux des transporteurs «à prestations minimales» se concentrant sur le trafic intra-européen de point à point. Par ailleurs, l'opération de concentration combinerait deux compagnies aériennes disposant d'une présence significative à leurs bases importantes de l'aéroport de Dublin, où elles représenteraient environ 80 % du trafic européen de vols court-courriers après la concentration. En conséquence, les services de Aer Lingus et de Ryanair se chevauchent sur un nombre élevé sans précédent de liaisons.

24.

La décision identifie au total 35 liaisons sur lesquelles les activités de ces parties se chevauchent. Le tableau suivant fournit un aperçu de ces liaisons avec chevauchements, en indiquant les parts de marché des parties à la concentration et de leurs concurrents existants:

Tableau 2

Liaisons avec chevauchements existants entre Ryanair et Aer Lingus, avec indication des parts de marché des parties à la concentration et de tous les concurrents existants (4)

Liaison

Ryanair

Aer Lingus

Cumulé

Concurrents existants

Part

Dublin-Alicante

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

[0-5 %]

Dublin-Barcelone

[40-50 %]

[30-40 %]

[70-80 %]

Iberia/Clickair

[20-30 %]

Dublin-Berlin

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Bilbao/Vitoria

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Birmingham

[60-70 %]

[30-40 %]

100 %

 

 

Dublin-Bologne

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Bruxelles

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Édimbourg

[70-80 %]

[20-30 %]

100 %

 

 

Dublin-Faro

[40-50 %]

[50-60 %]

100 %

 

 

Dublin-Francfort

[40-50 %]

[40-50 %]

[80-90 %]

Lufthansa

[10-20 %]

Dublin-Glasgow

[50-60 %]

[30-40 %]

[90-100 %]

Loganair

[0-10 %]

Dublin-Hambourg/Lübeck

[60-70 %]

[30-40 %]

100 %

 

 

Dublin-Cracovie

[30-40 %]

[40-50 %]

[70-80 %]

SkyEurope

[20-30 %]

Dublin-Londres

[40-50 %]

[30-40 %]

[70-80 %]

BMI

[10-20 %]

British Airways

[0-10 %]

CityJet

[0-10 %]

Dublin-Lyon

[30-40 %]

[60-70 %]

100 %

 

 

Dublin-Madrid

[20-30 %]

[30-40 %]

[60-70 %]

Iberia

[30-40 %]

Dublin-Malaga

[30-40 %]

[60-70 %]

[90-100 %]

Spanair

[0-10 %]

Dublin-Manchester

[70-80 %]

[20-30 %]

[90-100 %]

Luxair

[0-10 %]

Dublin-Marseille

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Milan

[30-40 %]

[60-70 %]

100 %

 

 

Dublin-Newcastle

[70-80 %]

[20-30 %]

100 %

 

 

Dublin-Paris

[40-50 %]

[30-40 %]

[80-90 %]

AF/CityJet

[10-20 %]

Dublin-Poznan

[60-70 %]

[30-40 %]

100 %

 

 

Dublin-Riga

[40-50 %]

[20-30 %]

[70-80 %]

Air Baltic

[20-30 %]

Dublin-Rome

[40-50 %]

[50-60 %]

100 %

 

 

Dublin — Salzburg

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin — Séville

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Tenerife

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Dublin-Toulouse/Carcassonne

[60-70 %]

[30-40 %]

100 %

 

 

Dublin-Venise

[40-50 %]

[50-60 %]

100 %

 

 

Dublin-Vienne/Bratislava

[20-30 %]

[50-60 %]

[70-80 %]

SkyEurope

[20-30 %]

Austrian Airlines

[0-10 %]

Dublin-Varsovie

[30-40 %]

[30-40 %]

[60-70 %]

LOT

[10-20 %]

Norwegian Airline Shuttle

[10-20 %]

Shannon-Londres

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Cork-Londres

[50-60 %]

[40-50 %]

100 %

 

 

Cork-Manchester

[40-50 %]

[10-20 %]

[60-70 %]

bmibaby

[30-40 %]

Aer Arann

[0-10 %]

25.

L'opération aboutirait à un monopole sur 22 liaisons et à des parts de marché cumulées très élevées, supérieures à 60 % sur 13 autres liaisons.

26.

Ryanair fait valoir pour sa défense que les deux parties à la concentration ne sont pas les concurrents les plus proches étant donné qu'elles sont «fondamentalement différentes» et «occupent des espaces différents sur les marchés sur lesquels elles exercent leurs activités». En outre, Ryanair soutient qu'aucune barrière à l'entrée significative n'existe en raison de l'encombrement des aéroports et que les parties à la concentration ne jouissent pas d'une position unique à Dublin et en Irlande en général qui empêcherait d'autres compagnies aériennes concurrentes de faire leur entrée sur les marchés concernés ou même de baser leurs appareils en Irlande.

27.

En outre, Ryanair affirme que plusieurs compagnies aériennes concurrentes seraient en mesure de pénétrer le marché des liaisons où les services se chevauchent au cas où la nouvelle entité issue de la concentration augmenterait les prix. En fait, sur de nombreuses liaisons pour lesquelles les parties détiennent une part de marché cumulée de 100 %, il existe des concurrents potentiels à l'aéroport de destination. Par exemple, Air Berlin, Lufthansa, Germanwings et easyJet disposent d'une base à Berlin. La même remarque vaut à Birmingham pour Flybe, BA, BMI et easyJet (etc.). Selon Ryanair, ces concurrents potentiels ne doivent pas nécessairement être basés à l'aéroport de Dublin pour exercer une contrainte effective sur la nouvelle entité issue de l'opération, mais ils pourraient entrer sur les liaisons concernées soit à partir de leur base existante à l'aéroport de destination non irlandais soit même sans aucune base à n'importe quelle extrémité de la liaison. Toutefois, comme expliqué plus en détail dans la décision, les résultats de l'enquête de la Commission ne confirment pas que ces transporteurs représentent une contrainte aussi effective que celle exercée mutuellement par les parties.

L'opération de concentration élimine la concurrence existant entre les deux concurrents les plus proches sur les liaisons irlandaises

28.

En dépit de son statut d'ex-compagnie nationale irlandaise, Aer Lingus a mis en œuvre un plan de restructuration et modifié de manière importante son modèle commercial pour se repositionner comme une compagnie aérienne «à prestations minimales» (ou «à bas coûts» ou «à bas prix») spécialisée dans les vols de point à point sur ses liaisons court-courriers. Les services inclus dans le tarif de base d'Aer Lingus sont largement conformes à ceux compris dans celui de Ryanair. Bien qu'il continue d'y avoir certaines différences dans les services offerts par les deux transporteurs, qui sont également reflétées dans leur niveau de prix différent, ceci n'exclut pas l'existence de contraintes concurrentielles effectives entre Ryanair and Aer Lingus. Au contraire, l'enquête sur le marché a confirmé que sur les liaisons où les deux compagnies opèrent, chacune d'elles tient compte des tarifs et des services offerts par l'autre et ajuste ses services et ses tarifs en conséquence. En outre, la plupart des concurrents présents sur les liaisons dont les services se chevauchent sont soit des transporteurs en réseau à prestations complètes (comme Lufthansa, Air France/CityJet, Iberia, BMI) soit des compagnies aériennes régionales plus petites, visant souvent la clientèle d'affaires (comme Loganair, Luxair ou la compagnie Aer Arann basée à Dublin), qui ne peuvent pas être considérés comme des concurrents directs des parties. Enfin, l'enquête auprès des clients a révélé que pour les liaisons couvertes, les passagers considèrent les parties comme des substituts plus proches que les autres transporteurs.

29.

L'enquête a donc confirmé que les services des parties à la concentration sont des substituts proches sur le marché segmenté des services de transport aérien de passagers et qu'il y a un degré élevé de concurrence entre Ryanair et Aer Lingus en ce qui concerne les destinations, la capacité, les horaires, les prix et les services au départ/à destination de l'Irlande. La Commission a notamment constaté qu'Aer Lingus comme Ryanair suivent de près leur comportement respectif. En particulier, elles utilisent des logiciels spécialisés pour contrôler leurs tarifs et dans leurs systèmes de gestion du rendement elles adaptent leurs capacités et abaissent leurs tarifs en réponse au comportement concurrentiel de leur principal concurrent. Si les ventes de billets sur un vol s'avèrent inférieures aux prévisions (par exemple en raison de prix inférieurs/promotions pratiqués par l'autre), les analystes des deux compagnies tentent de stimuler la demande, normalement en rendant davantage de sièges disponibles dans les catégories de prix inférieures. Ceci est confirmé par le fait que dans les campagnes de marketing, les deux compagnies présentent leurs bas tarifs comme un argument primordial et elles se comparent souvent l'une l'autre. En conséquence, l'opération envisagée aurait pour effet de supprimer l'importante rivalité concurrentielle entre les deux parties sur un certain nombre de liaisons sur lesquelles leurs services se chevauchent et entraînerait donc des prix plus élevés. Ceci est également confirmé par l'analyse quantitative de la Commission qui fournit des preuves sur l'effet de la présence de Ryanair sur les tarifs d'Aer Lingus.

30.

La décision souligne également, outre le fait que les deux transporteurs sont en concurrence sur les liaisons directes se chevauchant, le fait qu'ils sont basés au même aéroport et que cela a créé un environnement compétitif dynamique au sein duquel les deux compagnies ouvrent et ferment fréquemment de nouvelles liaisons. En conséquence, l'opération envisagée supprime non seulement la concurrence réelle entre les parties sur les liaisons actuelles se chevauchant, mais elle élimine également Ryanair et Aer Lingus comme arrivant potentiel le plus probable sur les liaisons existantes à destination/à partir de l'Irlande qui sont actuellement desservies par une seule des parties.

Les barrières à l'entrée sur les marchés dominés par l'entité issue de la concentration sont élevées

31.

L'enquête de la Commission a confirmé qu'il existe des barrières substantielles à l'entrée qui rendraient difficile toute nouvelle entrée sur des liaisons où les services des parties à la concentration se chevauchent. Ces barrières à l'entrée portent notamment sur: i) le désavantage de ne pas avoir d'activités importantes («bases») à Dublin; ii) des coûts et des risques d'entrée importants pour tout nouveau concurrent sur un marché déjà desservi par deux compagnies aériennes puissantes aux marques bien établies notamment en Irlande; iii) la réputation qu'a Ryanair de réagir de manière agressive contre tout nouvel arrivant; iv) les contraintes de capacités à l'aéroport de Dublin ainsi qu'à certains aéroports d'arrivée.

32.

La décision présente divers éléments de preuve confirmant que le fait de disposer d'une base importante à Dublin confère d'importants avantages en termes de coûts et de flexibilité pour tout transporteur exploitant des liaisons à destination/à partir de Dublin. En conséquence, la suppression du principal concurrent réel ou potentiel de Ryanair basé à Dublin (et dans une moindre mesure à Cork et Shannon) réduirait inévitablement les contraintes concurrentielles subies par Ryanair sur les liaisons irlandaises. Aucun autre transporteur ne serait en mesure de remplacer efficacement Aer Lingus avec sa souplesse et son rapport coût-efficacité pour exercer une concurrence sur un certain nombre de liaisons à destination/à partir de l'Irlande. Tout nouvel arrivant serait confronté à une nouvelle entité puissante et bien établie disposant d'un avantage substantiel en termes de coûts, qui serait en mesure de réagir rapidement à toute entrée sélective sur quelques liaisons seulement à destination/en provenance de l'Irlande. Il faut cependant reconnaître que des transporteurs basés à l'aéroport de destination pourraient bénéficier d'un avantage similaire apporté par la base pour une liaison donnée. Toutefois, ces transporteurs sont confrontés aux autres barrières à l'entrée identifiées lors de l'enquête et, comme exposé ci-dessous, rien n'indique que l'un d'entre eux pourrait être un arrivant potentiel susceptible d'exercer des contraintes concurrentielles suffisantes sur l'entité issue de la concentration.

33.

Les coûts et risques d'entrée importants sont liés au fait que les vols irlandais intra-européens sont actuellement dominés par Ryanair et Aer Lingus, qui disposent de marques bien établies et d'un portefeuille important de liaisons. Concurrencer ces deux marques bien établies, selon les arrivants potentiels, rend la concurrence beaucoup plus difficile que dans d'autres pays dans lesquels ne sont pas présents deux transporteurs «à prestations minimales» disposant de bases importantes. En outre, une grande partie des passagers empruntant de nombreuses liaisons où les services se chevauchent vient d'Irlande. Tout nouvel arrivant devrait par conséquent y investir des montants substantiels dans le marketing et la promotion. Par ailleurs, la décision présente plusieurs exemples de réaction agressive de Ryanair contre de nouveaux arrivants sur les marchés irlandais. À titre d'exemple, easyJet a essayé en 2005 de faire son entrée sur trois liaisons entre Londres et trois aéroports régionaux irlandais. Ryanair a immédiatement réagi en diminuant ses tarifs et en augmentant ses capacités pour forcer easyJet à se retirer du marché irlandais. Plusieurs compagnies aériennes concurrentes ont ainsi indiqué que, compte tenu du volume limité du marché irlandais et des investissements et des risques inhérents à l'établissement d'une présence sur ce marché, elles auraient de meilleures possibilités ailleurs en Europe.

34.

En ce qui concerne les contraintes de capacité liées aux créneaux horaires, la décision souligne (contrairement aux affaires de concentration antérieures dans le secteur du transport aérien) que, bien qu'elles soient importantes, elles ne sont qu'une partie des barrières générales à l'entrée. Les contraintes de capacité à l'aéroport de Dublin se limitent aux heures de pointe de la journée. Toutefois, même si l'aéroport de Dublin n'est que partiellement encombré, cet encombrement constitue pour des arrivants potentiels une barrière les empêchant de concurrencer efficacement Aer Lingus et Ryanair, notamment sur les liaisons où des fréquences élevées couvrant les heures de pointe de la journée sont nécessaires. En outre, sur plusieurs de ces liaisons, l'encombrement aux aéroports de destination (en particulier Londres, Paris, Francfort ou Milan) crée également une barrière à l'entrée pour les transporteurs qui, pour des raisons liées à l'offre, n'ont pas la possibilité d'utiliser un éventuel aéroport de substitution (comme Paris-Beauvais ou Francfort-Hahn). En outre, la capacité limitée de l'aéroport de Dublin (dont la plupart des créneaux de matinée sont utilisés par l'entité issue de la concentration) crée une barrière substantielle pour toute compagnie aérienne concurrente qui souhaiterait établir une base à l'aéroport de Dublin avec une présence plus importante.

Il est probable que les concurrents ne compenseront pas la perte de concurrence occasionnée par l'opération de concentration

35.

Compte tenu des barrières à l'entrée décrites ci-dessus, l'enquête de la Commission s'est ensuite efforcée d'identifier les transporteurs qui auraient la capacité et la motivation nécessaires pour faire leur entrée sur les liaisons dont les services se chevauchent et susceptibles d'exercer des contraintes concurrentielles effectives sur l'entité issue de la concentration. La décision a évalué dans quelle mesure les concurrents individuels pourraient avoir l'intention d'entrer en concurrence directe avec Ryanair/Aer Lingus une fois la concentration réalisée en cas d'augmentation des prix.

36.

Les nouveaux arrivants potentiels analysés de manière plus détaillée dans la décision comprennent Air France/CityJet, Aer Arann, easyJet, British Airways, bmi/bmibaby, Flybe/BA Connect, SkyEurope, Air Berlin et Clickair. Toutefois, dans leurs réponses à l'étude de marché et au cours des entretiens, la plupart de ces transporteurs ont mentionné les barrières à l'entrée décrites ci-dessus ainsi que les difficultés auxquelles ils seraient confrontés pour s'installer face à la position de force de la nouvelle entité issue de la concentration. La décision indique qu'on ne peut pas s'attendre à ce qu'une compagnie aérienne entre en concurrence avec Ryanair/Aer Lingus à grande échelle, et exerce une contrainte concurrentielle sur la nouvelle entité comparable à la contrainte actuellement exercée l'une sur l'autre par Ryanair et Aer Lingus.

37.

En conséquence, l'analyse effectuée sur le marché n'a pas confirmé qu'une entrée potentielle ou une expansion sur les liaisons individuelles où les services se chevauchent seraient probables, opportunes et suffisantes pour représenter une contrainte concurrentielle suffisante pour l'entité issue de la concentration et compenser ainsi la disparition de la rivalité entre Ryanair et Aer Lingus sur ces liaisons.

Conclusion

38.

La décision conclut que l'opération envisagée entraverait considérablement une concurrence effective sur plusieurs liaisons au départ/à destination de l'Irlande.

Argument de l'efficacité

39.

Ryanair fait valoir que la concentration proposée ne pose aucun problème en termes de concurrence. Cependant, même si cela n'était pas le cas, Ryanair a fait valoir que la concentration ne présenterait aucun risque «d'effets unilatéraux» en raison de ses gains d'efficacité et de son modèle commercial particulier. Les gains d'efficacité allégués résulteraient essentiellement de l'application à Aer Lingus du modèle commercial à bas coûts et des compétences de gestionnaire de Ryanair. Selon Ryanair, ces mesures devraient permettre de diminuer les coûts d'exploitation d'Aer Lingus pour les ramener à ses propres niveaux. Les gains d'efficacité allégués résulteraient d'économies réalisées au niveau des frais afférents à la propriété des appareils, des coûts de l'exploitation au sol, des coûts de personnel, des frais de maintenance, des frais d'aéroport, des ventes accessoires et, enfin, de l'efficacité de la distribution.

40.

Ryanair fait observer que ces gains d'efficacité ne pourraient être obtenus ni par une autre opération, ni individuellement par les deux compagnies en l'absence d'une telle concentration. Ryanair affirme que ces gains d'efficacité seront répercutés sur les consommateurs en termes de réduction du prix des billets. Ryanair prétend que les économies de coûts annoncées n'affecteront aucunement la qualité du service d'Aer Lingus (qui serait au contraire amélioré).

41.

Les principes selon lesquels la Commission évalue les gains d'efficacité sont exposés au considérant 29 du règlement sur les concentrations (5) et dans les lignes directrices de la Commission sur l'appréciation des concentrations horizontales (6). Pour que la Commission estime que les gains d'efficacité résultant d'une concentration contrebalancent son effet négatif sur les consommateurs, ils doivent être vérifiables (à savoir, motivés, quantifiés et justifiés, si nécessaire, par des études et documents internes), doivent être susceptibles de procurer un avantage aux consommateurs, et ne pourraient pas être obtenus dans la même mesure par des moyens moins anticoncurrentiels que la concentration proposée (gains d'efficacité propres à la concentration). Ces trois conditions (caractère vérifiable, caractère propre à la concentration et avantage pour les consommateurs) sont cumulatives.

42.

La décision indique que l'allégation de gains d'efficacité de Ryanair n'est pas vérifiable parce qu'elle consiste essentiellement en une affirmation générale que la compagnie sera en mesure d'appliquer à Aer Lingus son modèle commercial, et plus particulièrement les niveaux de coûts y associés, sans tenir suffisamment compte de la compensation des pertes en termes de caractéristiques des produits et de recettes. La décision considère que plusieurs affirmations de Ryanair relatives aux gains d'efficacité reposent sur des présomptions qui ne peuvent pas être vérifiées de manière indépendante. En conséquence, l'allégation de gains d'efficacité de Ryanair ne remplit donc même pas la première partie des conditions cumulatives définies dans les lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales. Dans un souci d'exhaustivité, la décision contient également une évaluation de la spécificité de la concentration, des gains d'efficacité allégués de Ryanair et des avantages potentiels pour les consommateurs.

43.

La décision conclut que les gains d'efficacité allégués par Ryanair ne sont pas suffisamment vérifiables et ne sont pas spécifiques à la concentration. À supposer que les deux conditions soient remplies, ces gains d'efficacité affecteraient les coûts fixes d'Aer Lingus (exploitation des appareils), ce qui laisse à penser que ces derniers ne profiteraient peut-être pas aux clients. Enfin, la décision renvoie aux lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales, en affirmant qu'il est hautement improbable qu'une opération qui débouche sur une position proche du monopole, ou sur un niveau de pouvoir de marché comparable, puisse être déclarée compatible avec le marché commun au motif que les gains d'efficacité suffiraient à contrebalancer ses effets anticoncurrentiels potentiels.

VII.   MESURES CORRECTIVES PROPOSÉES

44.

Le 17 avril 2007, Ryanair a joint à sa réponse à la communication des griefs, des engagements en vue de supprimer les problèmes de concurrence identifiés dans la communication des griefs («engagements initiaux de la phase II»). À l'issue d'une réunion avec la Commission sur l'état du dossier, qui s'est déroulée le 26 avril 2007 et au cours de laquelle Ryanair a été tenue informée sur l'évaluation préliminaire des engagements initiaux de la phase II, Ryanair a présenté un ensemble modifié d'engagements (ci-après dénommé «engagements définitifs») le 3 mai 2007 (7).

45.

Les engagements constituent une «mesure corrective liée à l'accès». Conformément au modèle des affaires précédentes impliquant des compagnies aériennes, les engagements de Ryanair visent essentiellement à supprimer les barrières à l'entrée existantes pour les autres compagnies aériennes. Ils comprennent les principaux éléments suivants:

1)

Créneaux à Heathrow: Ryanair s'engage à rendre disponible des créneaux sur la liaison au départ/à destination de Londres-Heathrow dans le cadre d'un «accord de location». D'après le texte des engagements définitifs, ces créneaux sont exclusivement réservés à British Airways et à Air France (autorisant chacune de ces compagnies à proposer de deux à six vols quotidiens dans chaque direction).

2)

Créneaux sur d'autres liaisons au départ/à destination de Dublin: Ryanair s'engage également à libérer des créneaux sur d'autres liaisons où les services se chevauchent au départ et à destination de Dublin, ce qui, d'après Ryanair, permettrait aux compagnies aériennes d'exploiter jusqu'à [4-8] appareils basés à Dublin. Ryanair propose en outre de libérer un nombre équivalent de créneaux dans des aéroports de destination précis, pour des liaisons où les services se chevauchent, si nécessaire.

3)

Créneaux sur les liaisons au départ/à destination de Shannon/Cork: Ryanair s'engage également dans ses engagements définitifs à libérer des créneaux sur les liaisons où les services se chevauchent à Cork et à Shannon si nécessaire ([6-10] créneaux quotidiens à Cork, [6-10] créneaux quotidiens à Shannon et un nombre équivalent de créneaux à Londres/Stansted pour les vols à destination de Londres/Stansted ainsi que [0-4] créneau(x) d'arrivée et [0-4] créneau(x) de départ à Cork et à Liverpool afin de faciliter l'entrée sur la liaison Cork-Manchester/Liverpool).

4)

«Acquéreur initial»: dans sa «lettre d'engagements», Ryanair propose également «de ne pas finaliser l'achat d'Aer Lingus» avant d'avoir trouvé un «acheteur» qui s'engage à occuper les créneaux pour l'exploitation de [4-8] appareils basés à Dublin.

5)

Engagements relatifs aux tarifs et à la marque: Ryanair s'engage à réduire immédiatement les tarifs court-courriers d'Aer Lingus d'au moins 10 %, à supprimer immédiatement les suppléments pour le carburant qu'Aer Lingus applique à ses vols long-courriers, à conserver la marque Aer Lingus et à maintenir une exploitation distincte de Ryanair et d'Aer Lingus.

6)

«Gel des fréquences»: Ryanair s'engage à ne pas augmenter le nombre de fréquences sur la totalité des liaisons concernées où les services se chevauchent «dans le cas d'un nouvel arrivant sur la liaison», au-delà des fréquences exploitées en commun par Ryanair et Aer Lingus, sur chaque liaison pour une durée de six saisons IATA suivant la finalisation de la concentration. Elle s'engage également à ne pas réduire les fréquences sur ces liaisons «à moins que l'une d'elles ne soit pas rentable ou cesse de l'être».

46.

La décision conclut que les engagements proposés sont loin de remédier aux problèmes de concurrence identifiés et sont donc insuffisants pour résoudre les obstacles significatifs à une concurrence effective identifiés par la Commission tant pour des raisons de forme que de fond. Les arguments suivants sont développés dans la décision:

Il n'est pas certain que l'instrument des mesures correctives portant sur les créneaux soit approprié dans la présente affaire. En effet, Aer Lingus et Ryanair sont des compagnies aériennes à prestations minimales, desservant des aéroports secondaires et souvent d'autres aéroports non encombrés. L'encombrement des aéroports n'est pas la raison principale pour laquelle les autres compagnies aériennes ne pénètrent pas en Irlande et la mesure corrective portant sur les créneaux n'apporte aucune solution pour lever les autres barrières à l'entrée identifiées. Aer Lingus est actuellement la seule compagnie aérienne en concurrence à grande échelle avec Ryanair sur les liaisons irlandaises, et les concurrents ont confirmé qu'ils ne souhaitent pas entrer en concurrence avec deux marques bien établies contre un concurrent pratiquant une politique de prix très agressive.

Les mesures relatives aux créneaux ne devraient déclencher aucune entrée significative sur les liaisons où les services se chevauchent. Étant donné que la mesure corrective facilite uniquement l'entrée (plutôt que de constituer une cession d'activité), il doit y avoir une certaine probabilité que l'entrée se produise. Toutefois, dans le cadre de la consultation des acteurs du marché, aucun concurrent n'a indiqué sa volonté de faire son entrée, hormis sur quelques liaisons (en particulier la liaison Dublin-Londres/Heathrow).

Dispositions vagues et contradictoires: le contenu de la présente proposition d'engagement n'est pas clair: il y a de nombreuses contradictions et des formulations vagues ou ambiguës qui mettent en doute la viabilité des engagements en tant que tels, étant donné qu'il est difficile de savoir si les engagements seraient, à un degré quelconque, viables et applicables.

La portée des engagements est insuffisante. Même si les mesures correctives déclenchaient des entrées, l'importance de ces entrées serait beaucoup trop faible pour agir sur le problème du chevauchement concurrentiel des parties. La consultation des acteurs du marché a confirmé que les créneaux pour [4-8] appareils (ou [6-10] compte tenu de Londres) ne suffiraient pas à remplacer la contrainte concurrentielle actuellement exercée par Aer Lingus. Aer Lingus et Ryanair exploitent aujourd'hui 22 et 19 appareils respectivement. Bien qu'Aer Lingus n'assure pas uniquement les liaisons où les services se chevauchent avec ses 22 appareils, l'enquête a confirmé que [4-8] ou [6-10] appareils ne suffiraient pas à assurer toutes les liaisons où les services se chevauchent au départ/à destination de Dublin.

Les créneaux à des aéroports de destination importants sont absents de la proposition de Ryanair.

Les engagements n'assurent pas l'entrée d'une entreprise ayant un modèle commercial susceptible de remplacer la concurrence supprimée par l'opération de concentration.

En outre, il existe des doutes juridiques importants quant à la question de savoir si Ryanair peut légalement abandonner les créneaux de Aer Lingus à Heathrow étant donné que les statuts de la compagnie aérienne confèrent certains droits de veto au gouvernement irlandais, qui lui permettraient de bloquer le transfert des créneaux.

S'agissant des différents engagements comportementaux proposés par Ryanair (10 % de réduction des tarifs de Aer Lingus, suppression des suppléments pour le carburant, gel des fréquences, maintien de marques séparées), la décision note qu'ils ne résolvent directement aucun des problèmes de concurrence identifiés. En outre, ils posent de nombreuses questions relatives au suivi et à l'applicabilité. Ils comportent également des éléments qui auraient plutôt tendance à réduire qu'à renforcer la concurrence.

47.

Suite à une réunion sur l'état du dossier et aux discussions supplémentaires subséquentes, Ryanair a présenté le 1er juin 2007, sous forme de projet, un ensemble d'engagements remaniés. Ce texte a été communiqué explicitement sous forme de projet, sans signature et sans respecter les exigences formelles requises. Ryanair n'a donc pas formellement présenté de nouveaux engagements et la Commission n'était pas tenue de les évaluer dans sa décision. En outre, le délai pour communiquer des engagements conformément au règlement d'application du règlement sur les concentrations a expiré le 3 mai 2007. Bien que la Commission puisse, dans des cas exceptionnels, accepter des modifications des mesures correctives présentées même si une nouvelle consultation des acteurs du marché n'est plus possible, ces engagements doivent éliminer tous les problèmes de concurrence constatés de façon précise.

48.

Toutefois, même s'il avait été présenté formellement, le projet d'engagements modifiés n'aurait de toute évidence pas été suffisant pour résoudre tous les défauts identifiés de l'ensemble d'engagements précédent. En particulier, le projet d'engagements modifiés restait basé principalement sur la cession de créneaux (c'est-à-dire permettant l'accès à des infrastructures aéroportuaires) et n'apportait aucun nouvel élément susceptible d'agir sur les autres barrières à l'entrée identifiées et qui permettrait donc à la Commission de réévaluer les résultats négatifs de la consultation des acteurs du marché quant à la probabilité d'une entrée réelle. En outre, la portée de la nouvelle entrée garantie était toujours insuffisante puisque les engagements ne prévoyaient qu'un nouvel arrivant acquéreur initial avec [6-10] appareils. Le projet ne prévoyait pas non plus la cession de créneaux dans tous les aéroports de destination en cause, en particulier les créneaux dans les aéroports encombrés. D'autres problèmes non réglés concernaient, en particulier, l'incertitude juridique quant aux créneaux à Londres/Heathrow et les critères vagues pour l'acquéreur initial.

VIII.   CONCLUSION

49.

La décision conclut que la concentration notifiée entraverait considérablement une concurrence effective dans le marché commun ou une partie significative de celui-ci, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations, principalement du fait de la création d'une position dominante de Ryanair et de Aer Lingus sur 35 liaisons au départ et à destination de Dublin, Shannon et Cork et de la création ou du renforcement d'une position dominante sur 15 autres liaisons au départ et à destination de Dublin et Cork. La décision déclare par conséquent la concentration incompatible avec le marché commun et l'accord EEE, conformément à l'article 8, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations et à l'article 57 de l'accord EEE.


(1)  JO L 24 du 29.1.2004, p. 1.

(2)  Voir article 4, paragraphe 1, du règlement sur les concentrations.

(3)  Voir par exemple les affaires COMP/M.3940 — Lufthansa/Eurowings, COMP/M.3280 — Air France/KLM, COMP/M.3770 — Lufthansa/Swiss.

(4)  Ce tableau ne tient pas compte de l'inclusion éventuelle de «vols secs» (billets d'avion vendus séparément et dans le cadre de vacances à forfait) proposés par certaines compagnies charters sur certaines destinations de vacances. Toutefois, étant donné que la part de ces ventes de «vols secs» est insignifiante, leur inclusion ne modifierait pas la situation.

(5)  Voir l'article 2, paragraphe 1, point b), et le considérant 29.

(6)  Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JO C 31 du 5.2.2004, p. 5.

(7)  Ryanair avait déjà fait part de ses engagements dans la phase I de l'enquête le 29 novembre 2006 («engagements initiaux de la phase I»), qui avaient par la suite été remplacés par un ensemble d'engagements remaniés le 14 décembre 2006 («engagements modifiés de la phase I»).