Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. RIMVYDAS NORKUS

présentées le 4 septembre 2025 (1)

Affaire C480/24

Ģenerālprokuratūra

en présence de

« ČIEKURI-SHISHKI » SIA,

« COUNTRY HELI » SIA

[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême, Lettonie)]

« Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Règlement (UE) no 269/2014 – Article 2 – Notion de personne morale “associée” à une personne physique inscrite à l’annexe I du règlement no 269/2014 – Notion de fonds et ressources économiques “possédés, détenus ou contrôlés” par une telle personne physique – Article 11 – Obligation de ne faire droit à aucune demande présentée par les personnes visées au paragraphe 1 de cet article – Champ d’application – Effets juridiques – Vérification d’office par un juge national de l’identité des parties au regard des articles 2 et 11 – RGPD – Articles 5 et 6 – Divulgation et publication dans un jugement des données à caractère personnel d’une personne physique inscrite à l’annexe I du règlement no 269/2014 »






I.      Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle déférée par l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême, Lettonie) au titre de l’article 267 TFUE a pour objet l’interprétation de l’article 2 et de l’article 11, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (2), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023 (3) (ci-après le « règlement no 269/2014 »).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant une personne de droit letton, la « ČIEKURI-SHISHKI » SIA, à une autre personne de droit letton, la « COUNTRY HELI » SIA, au sujet du recouvrement d’une créance due par la seconde de ces sociétés à la première. Un tribunal letton a condamné cette dernière à rembourser le prêt en cause, par une décision de justice ayant acquis force de chose jugée. « COUNTRY HELI » est détenue à 50 % par « ČIEKURI-SHISHKI » ainsi que par une personne morale de droit chypriote, la société « ABACUS (CYPRUS) LIMITED », dont le bénéficiaire effectif est une personne physique visée par les mesures restrictives adoptées par l’Union dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Saisie sur pourvoi, la juridiction de renvoi doit décider si, dans une telle configuration, le jugement du tribunal letton peut être exécuté ou bien s’il doit être annulé.

3.        Cette affaire soulève une série de questions relatives à l’interprétation du règlement no 269/2014, auxquelles la Cour doit apporter une réponse afin d’assurer l’efficacité des mesures restrictives. Elles portent, entre autres, sur le pouvoir du juge national d’établir, en vertu du droit de l’Union, si les mesures visées par ce règlement sont applicables à une personne morale, ainsi que sur les critères que le juge doit retenir pour fonder son appréciation. Leur examen exige une analyse de l’articulation entre l’ordre juridique de l’Union et le droit national, en particulier s’agissant du rôle conféré aux juridictions nationales et de l’impact du régime des mesures restrictives sur le droit privé. Ces questions d’interprétation revêtent une importance qui dépasse largement le cadre du litige au principal.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement no 269/2014

4.        L’article 1er du règlement no 269/2014 prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “demande”, toute demande, sous forme contentieuse ou non, introduite antérieurement ou postérieurement au 17 mars 2014 et résultant d’un contrat ou d’une opération ou rattachée à un contrat ou à une opération, et notamment :

i)      une demande visant à obtenir l’exécution de toute obligation résultant d’un contrat ou d’une opération ou rattachée à un contrat ou à une opération ;

ii)      une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d’une garantie ou d’une contre-garantie financières, quelle qu’en soit la forme ;

iii)      une demande d’indemnisation se rapportant à un contrat ou à une opération ;

iv)      une demande reconventionnelle ;

v)      une demande visant à obtenir, y compris par voie d’exequatur, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement, d’une sentence arbitrale ou d’une décision équivalente, quel que soit le lieu où ils ont été rendus ;

[...]

c)      “autorités compétentes”, les autorités compétentes des États membres mentionnées sur les sites internet indiqués à l’annexe II ;

[...] »

5.        L’article 2 de ce règlement dispose :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucuns fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, ni dégagés à leur profit. »

6.        L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement dispose que l’annexe I de ce dernier comprend différentes catégories de personnes physiques ou morales, d’entités ou d’organismes « et les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés ».

7.        L’article 9, paragraphe 1, du même règlement est libellé en ces termes :

« Il est interdit de participer, sciemment et volontairement, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures visées à l’article 2. »

8.        L’article 11 du règlement no 269/2014 énonce :

« 1.      Il n’est fait droit à aucune demande à l’occasion de tout contrat ou toute opération dont l’exécution a été affectée, directement ou indirectement, en tout ou en partie, par les mesures instituées en vertu du présent règlement, y compris à des demandes d’indemnisation ou à toute autre demande de ce type, telle qu’une demande de compensation ou une demande à titre de garantie, notamment une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d’une garantie ou d’une contre-garantie, notamment financière, quelle qu’en soit la forme, présentée par :

a)      des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes figurant à l’annexe I ;

b)      toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme agissant par l’intermédiaire ou pour le compte d’une des personnes ou entités ou d’un des organismes visés au point a).

2.      Dans toute procédure visant à donner effet à une demande, la charge de la preuve que la satisfaction de la demande n’est pas interdite par le paragraphe 1 incombe à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme cherchant à donner effet à cette demande.

3.      Le présent article s’applique sans préjudice du droit des personnes physiques ou morales, entités ou organismes visés au paragraphe 1 au contrôle juridictionnel de la légalité du non-respect des obligations contractuelles conformément au présent règlement. »

9.        L’article 14 de ce règlement est rédigé de la manière suivante :

« 1.      Lorsque le Conseil décide de soumettre une personne physique ou morale, une entité ou un organisme aux mesures visées à l’article 2, il modifie l’annexe I en conséquence.

2.      Le Conseil communique à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme visé au paragraphe 1 sa décision et l’exposé des motifs, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3.      Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme en conséquence.

4.      La liste figurant à l’annexe I est révisée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. »

10.      L’article 17 dudit règlement dispose :

« Le présent règlement s’applique :

[...]

d)      à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union, établi ou constitué selon le droit d’un État membre ;

[...] »

2.      Le règlement d’exécution (UE) 2022/336

11.      Les considérants 10 à 13 du règlement d’exécution (UE) 2022/336 du Conseil, du 28 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (4) énoncent :

« (10)      Le 24 février 2022, le haut représentant a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion non provoquée de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie et l’implication de la Biélorussie dans cette agression contre l’Ukraine. Le haut représentant a indiqué que la riposte de l’Union comprendra des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles.

(11)      Le 24 février 2022, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Par ses actions militaires illégales, la Russie viole de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies, et porte atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales. Le Conseil européen a marqué son accord sur de nouvelles mesures restrictives qui auront des conséquences lourdes et massives pour la Russie consécutivement à ses actions, en coordination étroite avec nos partenaires et alliés.

(12)      Eu égard à la gravité de la situation, le Conseil estime que 26 personnes et une entité devraient être ajoutées sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives, qui figure à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014.

(13)      Il y a donc lieu de modifier l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 en conséquence[.] »

B.      Le droit letton

12.      Les articles 483 et 484 du civilprocesa likums (code de procédure civile) disposent que le procureur général peut, sous certaines conditions, former un pourvoi auprès de l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême) contre certaines décisions de justice ayant acquis force de chose jugée.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

13.      Le 19 mai 2015, un contrat de prêt à hauteur de 3 407 347,10 euros a été conclu entre « ČIEKURI-SHISHKI », le prêteur, et « COUNTRY HELI », l’emprunteur.

14.      Le 19 janvier 2023, « ČIEKURI-SHISHKI » (ci-après la « requérante ») a introduit un recours contre « COUNTRY HELI » (ci-après la « défenderesse »), en vue d’obtenir le recouvrement du principal et des intérêts du prêt. La requête indique que le capital de la défenderesse est détenu à 50 % par la requérante et à 50 % par une société établie à Chypre, « ABACUS (CYPRUS) LIMITED », dont le bénéficiaire effectif est une personne physique, D.

15.      Par jugement du 13 septembre 2023, la Rīgas rajona tiesa (tribunal de district de Riga, Lettonie) a constaté que la défenderesse n’avait toujours pas remboursé le montant emprunté ni payé les intérêts au titre du prêt. Cette juridiction a dès lors fait droit au recours et condamné la défenderesse à rembourser à la requérante la dette réclamée. Dans son jugement, elle n’a cependant pas examiné si la requérante ou la défenderesse étaient visées par les mesures restrictives adoptées par l’Union eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, notamment celles adoptées en vertu ou sur le fondement du règlement no 269/2014.

16.      Le jugement, qui n’a pas fait l’objet d’un recours, a acquis force de chose jugée le 4 octobre 2023.

17.      Le 12 octobre 2023, un titre exécutoire a été émis, puis transmis au registre des voies d’exécution.

18.      Dans l’exercice des droits qui lui sont conférés par les articles 483 et 484 du code de procédure civile, le procureur général faisant fonction a formé un pourvoi contre le jugement de la Rīgas rajona tiesa (tribunal de district de Riga) du 13 septembre 2023, en vue d’en obtenir l’annulation de ce dernier et la suspension de son exécution dans l’attente de l’issue du recours. Le procureur général fait valoir que, dès lors que D a été inscrit, par le règlement d’exécution 2022/336 mettant en œuvre le règlement no 269/2014, sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives figurant à l’annexe I de ce dernier règlement, les dispositions de celui-ci s’appliquent, dans une configuration telle que celle en cause au principal, à la défenderesse. Il ajoute que, compte tenu du fait que le recours de la requérante a été introduit après l’inscription de D sur cette liste, la Rīgas rajona tiesa (tribunal de district de Riga) aurait dû vérifier si l’objectif réel de ce recours était de contourner les mesures restrictives adoptées à l’encontre de D.

19.      Par ordonnance du 8 février 2024, l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême), qui est la juridiction de renvoi, a décidé d’ouvrir une procédure pour examiner le pourvoi formé par le procureur général tout en suspendant l’exécution du jugement de première instance.

20.      La juridiction de renvoi relève que l’article 2 du règlement no 269/2014 n’apporte pas de réponse claire quant à la manière de déterminer si une personne morale telle que la défenderesse doit être considérée comme une personne morale « associée » à une personne physique inscrite à l’annexe I de ce règlement, lorsque son capital est détenu par plusieurs sociétés et que le bénéficiaire effectif de l’une de ces sociétés s’avère être une telle personne physique. En effet, il pourrait être légitime de supposer en l’occurrence que la défenderesse est détenue ou éventuellement contrôlée par D, en tant que bénéficiaire effectif. La juridiction de renvoi se demande en outre si la requérante, en tant que personne morale détenant 50 % du capital de la défenderesse, peut être elle aussi qualifiée de personne morale « associée », faute de quoi l’efficacité des mesures restrictives adoptées à l’encontre de D pourrait être compromise.

21.      La juridiction de renvoi cherche par ailleurs à obtenir des éclaircissements sur le champ d’application ratione personae et sur les effets juridiques de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 269/2014. En particulier, elle considère qu’il ne serait pas justifié d’exclure la possibilité, pour un juge national, de statuer et de faire droit à une demande relevant de cette disposition, pour autant que ce juge précise expressément dans le dispositif de son jugement que ce dernier ne pourra être exécuté de manière volontaire ou forcée que si les mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée sont levées. La juridiction de renvoi s’interroge également sur la question de savoir dans quelle mesure le règlement no 269/2014 impose au juge national de contrôler d’office si l’une des parties à la procédure dans une affaire civile est une personne visée à l’article 2 ou à l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement.

22.      Dans ces conditions, l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Dans quelles circonstances peut-on considérer une personne comme étant associée au sens de l’article 2 du [règlement no 269/2014] et peut-on qualifier de personne morale associée une personne morale dont le capital est détenu à 50 % par une personne morale dont le bénéficiaire effectif figure sur la liste des personnes physiques énumérées à l’annexe du règlement d’exécution [2022/336] ?

2)      En cas de réponse affirmative à la seconde partie de la première question, une personne morale qui détient 50 % du capital de la personne morale décrite dans cette partie de la première question doit-elle également être considérée comme une personne morale associée au sens de l’article 2 du règlement no 269/2014 ?

3)      Les personnes morales associées au sens de l’article 2 du règlement no 269/2014 doivent-elles, elles aussi, être considérées comme des personnes, entités ou organismes visés à l’article 11, paragraphe 1, sous b), du règlement no 269/2014 ?

4)      Lors de l’examen de chaque demande, le juge est-il tenu de vérifier d’office si l’une des parties à la procédure est une personne visée à l’article 2 ou à l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement no 269/2014 ?

5)      Quels sont les effets juridiques de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 qui énonce qu’“il n’est fait droit à aucune demande” introduite par les personnes visées à l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), et une telle demande peut-elle être examinée au fond si le dispositif d’un jugement prévoit que le jugement n’est pas exécutoire aussi longtemps que ces personnes figurent sur la liste concernée ?

6)      L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 produit-il des effets juridiques lorsque le requérant n’est pas l’une des personnes visées aux points a) ou b) de ce paragraphe, mais que le défendeur est une telle personne ?

7)      Les données de la personne physique faisant l’objet de sanctions (nom et prénom) doivent-elles être divulguées dans les motifs du jugement et doivent-elles être pseudonymisées lors de la publication de ce jugement ? »

IV.    La procédure devant la Cour

23.      La décision de renvoi datée du 4 juillet 2024 est parvenue au greffe de la Cour le 9 juillet 2024.

24.      Le procureur général, la requérante au principal, les gouvernements letton, néerlandais et finlandais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans le délai imparti par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

25.      La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries, conformément à l’article 76, paragraphe 2, de son règlement de procédure.

V.      Analyse juridique

A.      Remarques liminaires

26.      Le règlement no 269/2014 a été adopté par l’Union européenne le 17 mars 2014, en réaction à la situation en Ukraine, notamment à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie. À la suite du déclenchement de la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en 2022, ce règlement a pris une importance accrue. Il constitue l’un des principaux instruments de sanctions ciblées contre la Russie. Il prévoit le gel des avoirs des personnes et entités responsables d’actions portant atteinte à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que d’autres personnes visées par l’article 2 de la décision 2014/145/PESC (5). Il interdit également de leur fournir, directement ou indirectement, des fonds ou ressources économiques. La liste qui lui est annexée fait l’objet d’actualisations régulières, qui incluent des responsables politiques, des oligarques, des militaires, des entreprises et des propagandistes liés au Kremlin. Ces mesures s’inscrivent dans une réponse plus large de l’Union, comprenant aussi des sanctions économiques et commerciales, pour exercer une pression sur la Russie afin qu’elle mette fin à ses actions militaires et respecte le droit international.

27.      En droit de l’Union, les « mesures restrictives » sont adoptées par décisions du Conseil, lesquelles « définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique », dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et en vertu de l’article 29 TUE. Étant donné que les décisions adoptées dans le cadre de la PESC ne produisent pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne des États membres, elles ne peuvent pas à elles seules créer d’obligations pour des personnes morales ou physiques. Leur mise en œuvre requiert donc d’adopter, sur le fondement de l’article 215 TFUE, des « mesures nécessaires » sous forme d’actes de droit dérivé ayant pour objet « l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers » (paragraphe 1) ou « des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques » (paragraphe 2) (6).

28.      Dans l’exercice des compétences que la base juridique de l’article 215 TFUE confère au Conseil, ce dernier opte généralement pour l’adoption de règlements. Le règlement no 269/2014, qui se trouve au cœur de la présente affaire, relève précisément de cette catégorie d’actes. La nature juridique des « mesures restrictives » représente l’un des divers aspects à aborder lors de l’examen des questions préjudicielles. Il conviendra également d’analyser les mesures concrètes que les organes compétents des États membres, y compris leurs juridictions, doivent prendre afin de donner plein effet à ce règlement dans leurs ordres juridiques respectifs. La cohérence et la mise en œuvre effective de ces mesures sont en effet cruciales pour garantir les objectifs poursuivis de la PESC au sein de l’Union.

29.      Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur les quatrième, cinquième et sixième questions préjudicielles, lesquelles peuvent être regroupées en deux axes thématiques distincts. La quatrième question concerne l’obligation éventuelle, pour le juge national, de vérifier d’office si l’une des parties à la procédure est une personne visée par les articles 2 et 11 du règlement no 269/2014. Les cinquième et sixième questions portent, quant à elles, sur le champ d’application ainsi que sur les effets juridiques de l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement. J’aborderai ces questions séparément.

30.      En vertu des règles de répartition des compétences existant dans le cadre de la procédure de coopération instituée à l’article 267 TFUE, il appartient, d’une part, à la Cour d’interpréter les dispositions du droit de l’Union que la juridiction nationale a identifiées, sous sa seule responsabilité et à la lumière de l’ensemble des éléments factuels et juridiques de l’affaire au principal, comme étant déterminantes pour la solution du litige (7). D’autre part, il incombe à cette juridiction d’appliquer ces dispositions au cas d’espèce, en tenant compte de l’interprétation fournie par la Cour. Afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile aux questions posées, j’intégrerai dans mon analyse un ensemble de dispositions qui pourraient, sous réserve de l’appréciation des circonstances par cette juridiction nationale, trouver à s’appliquer (8).

B.      Sur la quatrième question préjudicielle

31.      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 2 et l’article 11, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 269/2014 doivent être interprétés en ce sens que le juge national est tenu de vérifier d’office si l’une des parties à la procédure est une personne visée à ces dispositions.

32.      Comme je l’ai expliqué dans mes remarques liminaires, l’Union recourt généralement à l’instrument juridique du règlement pour assurer la mise en œuvre des mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC (9). Ainsi qu’il ressort du considérant 10 du règlement nº 269/2014, une entrée en vigueur immédiate a été prévue afin d’assurer l’efficacité de ces mesures. Conformément à l’article 288 TFUE, le règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans l’ensemble des États membres. Le recours à cet instrument juridique garantit donc l’application uniforme des mesures restrictives (10). De surcroît, en vertu de l’article 17 du règlement nº 269/2014, celui-ci s’applique à toute personne, entité ou organisme y figurant. La mise en œuvre et l’application de ces mesures restrictives relèvent de la responsabilité des États membres, par l’intermédiaire de leurs autorités compétentes.

33.      Les dispositions des règlements lient, en principe, tous les organes des États membres dans le cadre de leurs compétences respectives, y compris le pouvoir judiciaire. Ce dernier joue un rôle central en veillant au respect du droit de l’Union et en contrôlant, le cas échéant, la légalité des mesures ordonnées par l’État. Cela signifie que les juridictions des États membres peuvent statuer sur la légalité des actes mettant en œuvre, sur le plan national (11), les mesures restrictives telles que les sanctions ou les restrictions commerciales. Ainsi, le pouvoir judiciaire contribue à garantir la sécurité juridique et à s’assurer que les mesures soient conformes au cadre juridique. Si une mesure est jugée illégale, la juridiction compétente peut l’annuler ou la modifier. De cette manière, le pouvoir judiciaire contribue à prévenir les abus de pouvoir et à préserver l’État de droit au sein de l’Union.

34.      Un règlement prévoyant des mesures restrictives est principalement mis en œuvre par les organes de l’État possédant une compétence spécialisée particulière en matière de surveillance financière. Ces organes disposent des moyens nécessaires et sont donc habilités à mettre en œuvre les sanctions financières prévues, telles que le gel d’avoirs, l’interdiction d’octroyer des crédits ou d’effectuer des paiements à certaines personnes ou organismes. Il leur incombe d’ordonner les mesures concrètes à l’encontre des personnes et organismes figurant sur les listes visées par le règlement. Lesdits organes, chargés de l’exécution du règlement ainsi que, le cas échéant, des mesures nationales de mise en œuvre, relèvent en général – mais pas toujours – du pouvoir exécutif.

35.      Dans ce contexte, il convient de noter que bien que l’annexe II du règlement nº 269/2014 énumère des sites Internet fournissant des informations sur les autorités compétentes et des adresses pour les notifications à la Commission, le règlement lui-même ne contient pas de précisions sur les autorités nationales ni sur leur rôle concret dans la mise en œuvre et l’application des mesures restrictives. Le fait que les organes ou ministères désignés diffèrent selon les États membres reflète la reconnaissance d’une large autonomie institutionnelle accordée à ces derniers en matière d’exécution des mesures restrictives. Il en ressort toutefois que certains ministères, comme celui de l’Économie et des Finances, jouent fréquemment un rôle particulier, en raison de leur compétence spécialisée dans le domaine du commerce international et du contrôle des mouvements de capitaux (12).

36.      Il convient également de noter que le règlement nº 269/2014 ne contient pas davantage de dispositions précises sur la manière dont les États membres doivent concrètement mettre en œuvre les mesures restrictives. Aucune harmonisation des règles de procédure nationales n’y est prévue. Ce règlement se limite plutôt à fixer un objectif concret, tel que le gel de certains avoirs ou ressources économiques. Certains objectifs sont également formulés de manière relativement large, ou dépendent d’une appréciation des circonstances concrètes, comme lorsqu’il est ordonné que les personnes physiques mentionnées à l’annexe I, ou les personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associées ne peuvent recevoir ou bénéficier, directement ou indirectement, de fonds ou de ressources économiques. Ces éléments permettent de conclure que les États membres disposent d’une large marge de manœuvre quant à la manière d’atteindre les objectifs fixés (13).

37.      Cette forme d’application et de mise en œuvre décentralisée des mesures restrictives tient compte de la structure de l’Union et du principe de subsidiarité consacré par le traité UE (14). Elle reflète également la complexité de la tâche à laquelle l’Union et ses États membres sont confrontés, notamment face à une multitude de cas dans lesquels des personnes ou organismes tentent de contourner le régime de sanctions. Dans cette perspective, il paraît effectivement judicieux de confier la responsabilité de l’application concrète du règlement nº 269/2014 ainsi que de l’adoption, le cas échéant, de mesures nationales de mise en œuvre aux autorités nationales, plus proches des faits et disposant par ailleurs d’une compétence spécialisée particulière.

38.      Il y a lieu de préciser que, nonobstant la mise en œuvre et l’exécution décentralisées des mesures restrictives, il incombe aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les mesures restrictives de l’Union ne soient pas contournées. L’article 29 TUE les oblige à veiller à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions de l’Union. Les États membres doivent donc coordonner leurs efforts aux niveaux national et supranational afin de prévenir tout contournement et, en définitive, d’assurer l’effectivité des sanctions de l’Union (15). En effet, comme dans d’autres domaines comparables, notamment en matière de transposition des directives par les États membres, la décentralisation de la mise en œuvre et de l’exécution des mesures restrictives ne saurait porter atteinte à l’efficacité du droit de l’Union.

39.      C’est la raison pour laquelle la Cour, lorsqu’elle reconnaît, en l’absence de dispositions contraires du droit de l’Union, une autonomie procédurale aux États membres, tend à souligner que l’application du droit de l’Union ne doit pas être rendue pratiquement impossible ni excessivement difficile. Une autre limite à cette autonomie procédurale résulte, selon la jurisprudence de la Cour, du principe d’équivalence, en vertu duquel l’application du droit de l’Union ne doit pas être moins favorable que celle du droit national applicable dans des situations comparables (16). Les principes d’équivalence et d’effectivité constituent ainsi des critères juridiques cruciaux permettant d’évaluer la conformité d’une mesure nationale concrète aux exigences du règlement nº 269/2014.

40.      En effet, il me semble qu’une interprétation de ces principes permet de répondre à la quatrième question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi. Ainsi que je l’ai déjà mentionné dans les présentes conclusions, un règlement prévoyant des mesures restrictives est mis en œuvre principalement par les organes de l’État intervenant dans le domaine de la surveillance financière et disposant des compétences nécessaires pour ordonner des mesures concrètes (17). Si le rôle central du juge national dans la garantie d’une protection juridictionnelle est incontestable (18), on peut difficilement exiger d’un membre du pouvoir judiciaire qu’il dispose, dans tous les cas, des compétences spécialisées nécessaire pour prendre les mesures appropriées dans les situations déterminantes, notamment en ce qui concerne les avoirs d’une personne inscrite à l’annexe I du règlement nº 269/2014. De surcroît, il convient de garder à l’esprit que sa fonction est fondamentalement différente de celle de l’exécutif et qu’il serait problématique, au regard du principe de séparation des pouvoirs en vigueur dans les États membres, de lui confier les tâches incombant normalement à ce dernier.

41.      Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que le pouvoir judiciaire est également lié par les dispositions du règlement nº 269/2014 et qu’il est, dans le cadre de ses compétences, tenu d’en assurer l’application. En d’autres termes, l’action du juge national, comme celle des autres organes de l’État, doit aussi être appréciée à l’aune du principe d’effectivité dans l’application du droit de l’Union (19). Toutefois, il convient de tenir compte des conditions particulières dans lesquelles intervient le pouvoir judiciaire, notamment du fait que le juge national ne peut exercer que les compétences que lui confère le droit procédural national. Cette limitation découle du principe de l’État de droit, qui caractérise les systèmes juridiques de tous les États membres de l’Union.

42.      À cet égard, il convient avant tout de garder à l’esprit que la procédure civile, dans les systèmes juridiques des États membres, est principalement caractérisée par le principe du contradictoire, selon lequel le juge acquiert sa conviction sur la base des arguments présentés par les parties. En outre, le principe dispositif, en procédure civile (20), permet aux parties de décider librement d’engager un procès, d’en déterminer l’objet et d’y mettre fin. En d’autres termes, le juge civil n’est, en principe, tenu de prendre en considération que les éléments invoqués par les parties au litige. Les parties ont donc la maîtrise de l’objet du litige et le juge adopte, en principe, une posture passive (21). Font exception à cela les faits dits « notoires », qui sont généralement connus ou, du moins, familiers au juge, lequel possède une compétence spécialisée personnelle dans un domaine particulier et peut ainsi en tenir compte dans son raisonnement. Ces caractéristiques distinguent fondamentalement le juge civil d’autres organes de l’État, tels que le ministère public dans la procédure pénale, qui peuvent, quant à eux, engager des investigations d’office.

43.      Dans ce contexte, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour selon laquelle le droit de l’Union ne requiert pas, en principe, du juge national qu’il examine d’office un moyen tiré de la violation de dispositions de l’Union lorsque l’examen de ce moyen l’obligerait à sortir des limites du litige tel que ce dernier a été circonscrit pas les parties. Cette limitation du pouvoir du juge national se justifie par le principe selon lequel l’initiative d’un procès appartient aux parties. Par conséquent, conformément à cette jurisprudence, le juge national ne saurait agir d’office que dans des cas exceptionnels où l’intérêt public exige son intervention (22). Ce point appelle des explications plus approfondies.

44.      La Cour a identifié, dans sa jurisprudence, une série d’hypothèses dans lesquelles elle a reconnu que le juge national est tenu de relever d’office une violation des règles du droit de l’Union (23). Ces hypothèses ont en commun que la règle de droit applicable est dotée d’un caractère contraignant et confère des droits aux justiciables. La Cour établit que le juge national, au nom d’un intérêt public de protection des droits conférés par le droit de l’Union, est tenu de relever d’office une telle violation, et donc à sortir des limites esquissées par les parties, lorsque l’une des parties à la procédure subirait un préjudice, dans la mesure où cette protection ne pourrait être assurée autrement, notamment parce qu’elle n’était pas en mesure, en vertu du droit national, de la faire valoir ou encore lorsque aucune autre forme de protection n’est prévue par ce droit.

45.      Bien que la jurisprudence citée au point précédent repose sur des considérations liées à la protection des droits conférés aux justiciables par le droit de l’Union, il ne me paraît pas exclu qu’une telle approche puisse également s’appliquer dans des hypothèses où il ne s’agit pas de sauvegarder un intérêt public consistant en la protection des droits subjectifs des individus, mais plutôt de garantir la réalisation d’un intérêt public autonome, propre à l’Union en tant qu’organisation supranationale et sujet de droit international capable d’exercer une action extérieure visant à assurer le respect de l’ordre international fondé sur des règles (24). La charte des Nations unies, pierre angulaire de cet ordre juridique, a pour vocation de préserver la paix et la sécurité mondiale. L’Union s’est solennellement engagée à contribuer à la réalisation de cet objectif (25).

46.      Dans le cas d’espèce, il est évident qu’il existe un intérêt public à une application efficace du règlement nº 269/2014, qui, à mon avis, justifie un ajustement des limites de l’autonomie procédurale des États membres afin de répondre aux exigences d’une réalisation des objectifs de la PESC au sein de l’Union (26). La diversité des traditions juridiques dans les États membres ne saurait constituer un obstacle ni offrir ainsi la possibilité de contourner le régime de sanctions de l’Union. Tel serait pourtant le cas si les personnes inscrites à l’annexe I de ce règlement pouvaient effectuer des opérations dans des États membres dont la législation nationale serait plutôt permissive. Par ailleurs, il convient d’éviter que des litiges soient portés devant des juridictions qui n’appliqueraient pas les mesures restrictives de l’Union avec la rigueur nécessaire.

47.      L’arrêt Bank Melli Iran (27) revêt une pertinence particulière pour l’examen des questions préjudicielles, en ce qu’il rappelle que les juridictions nationales ont l’obligation de garantir le plein effet du droit de l’Union. Selon la Cour, cette exigence s’impose dans tous les litiges dont elles sont saisies, y compris dans le cadre de procédures civiles (28). Il convient également de noter que cet arrêt part du principe qu’il incombe aux juridictions nationales d’agir lorsqu’il existe des éléments de preuve laissant supposer qu’une personne a enfreint le droit de l’Union (29). Bien que cet arrêt ne porte pas directement sur le régime des mesures restrictives de l’Union, mais sur la protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation édictée par un État tiers – en l’occurrence les mesures restrictives adoptées par les États-Unis d’Amérique à l’encontre de l’Iran –, il s’inscrit néanmoins dans un champ connexe relevant du droit des sanctions internationales, ce qui justifie sa prise en considération dans le cadre de l’analyse juridique. À la lumière de cette jurisprudence, il apparaît légitime d’exiger des juridictions des États membres qu’elles contribuent activement, dans le cadre des procédures en matière civile, à empêcher tout contournement des sanctions de l’Union imposées par le règlement no 269/2014.

48.      Enfin, il importe, dans le cadre de l’analyse, de rappeler la notion de « contournement », telle que définie par la jurisprudence de la Cour. Dans l’arrêt Afrasiabi e.a. (30), la Cour a précisé que cette notion désigne les activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de soustraire leur auteur à l’application des mesures de l’Union, en d’autres termes, des activités ayant pour but ou pour résultat, direct ou indirect, de faire échec aux interdictions édictées par l’Union (31). La définition donnée par la Cour est résolument large et met en évidence l’importance de l’objet des activités de contournement – c’est-à-dire leurs effets potentiels – en plus de leur effet réel, c’est-à-dire leurs conséquences concrètes. Il en découle que, par « contournement », doivent être comprises non seulement les activités qui font effectivement échec aux objectifs des mesures restrictives, mais également celles qui visent à les faire échouer, indépendamment de leur résultat effectif (32). Compte tenu du défi auquel sont confrontés l’Union et ses États membres, des contre-mesures fortes semblent s’imposer.

49.      La Cour s’est fondée, dans son raisonnement, sur l’interprétation d’une disposition (33) qui correspond, en substance, à l’article 9 du règlement no 269/2014 et que le juge national devra, le cas échéant, appliquer dans l’affaire au principal, s’il estime que les conditions sont remplies. Il s’agit d’une disposition centrale visant à prévenir le contournement des sanctions. Tandis que d’autres dispositions interdisent des actes concrets – tels que la mise à disposition de ressources économiques à des personnes inscrites sur la liste (34) –, l’article 9 de ce règlement vise, quant à lui, les formes indirectes ou dissimulées d’actes permettant de contourner de telles interdictions. Son objectif normatif est de combler les lacunes susceptibles d’apparaître lorsque des sanctions sont éludées par des actions indirectes. Cette disposition joue ainsi le rôle d’une clause de sauvegarde destinée à garantir que même les stratégies de contournement les plus créatives ou dissimulées sont couvertes.

50.      Pour les raisons que je viens d’exposer, j’estime qu’une intervention d’office du juge national devrait être exigée dans les cas où les arguments des parties, des faits dont le juge a connaissance ou les circonstances de l’affaire permettent de considérer, sur la base d’indices, que l’article 2 et l’article 11, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement nº 269/2014 sont applicables à l’une des parties au litige. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut éviter que le juge national soit contraint à l’inaction et se voie obligé, contre sa propre conviction, de permettre à une personne inscrite à l’annexe I d’échapper à l’application des mesures restrictives prévues. Le juge ne doit contribuer à un contournement des sanctions ni intentionnellement ni par négligence.

51.      Afin de ne pas faire peser sur le juge national des exigences insurmontables dans la pratique, les obligations qui lui incombent ne doivent pas être excessives. Le principe d’effectivité serait déjà respecté si, en présence d’indices, le juge saisissait les autorités compétentes, dans le cadre de ses pouvoirs, pour obtenir des informations supplémentaires sur l’identité et le degré d’implication de la personne concernée. Ces autorités spécialisées devraient répondre dans les meilleurs délais à la demande du juge, dans un esprit de coopération loyale aux fins de l’application du droit de l’Union, ainsi que l’exige l’article 4, paragraphe 3, TUE. Si les soupçons quant à l’identité d’une des parties au litige comme personne visée par des mesures restrictives se confirmaient, le juge devrait alors adopter les mesures appropriées, telles que visées par le règlement nº 269/2014 et le droit national.

52.      Des indices pouvant suggérer une possible implication de personnes inscrites sur la liste des sanctions de l’Union peuvent notamment inclure la nationalité de certains associés, ainsi que d’éventuelles opérations financières transfrontalières transitant par la Russie ou par des États entretenant des liens économiques étroits avec celle-ci. Cela étant, il convient de souligner qu’il n’est pas possible d’établir, par nature, une liste exhaustive de critères pertinents. La pratique doit dès lors rester évolutive et s’adapter aux circonstances concrètes et actuelles (35). À cette fin, les instruments de soft law, tels que les lignes directrices publiées tant par les institutions de l’Union que par les autorités compétentes des États membres, constituent une source d’orientation utile (36). Ces lignes directrices visent à répondre au défi que représente l’harmonisation des pratiques nationales en matière de mise en œuvre des sanctions (37).

53.      Il apparaît donc nécessaire que le juge intervienne dès la phase contentieuse afin d’éviter que soient accomplies des actions susceptibles de porter atteinte aux objectifs du règlement nº 269/2014, telles que, par exemple, l’exécution de créances issues de contrats impliquant des personnes physiques énumérées à l’annexe I de ce règlement. Il est légitime d’attendre du juge, dans le cadre d’un litige porté devant lui, qu’il soit en mesure d’appréhender des relations juridiques civiles complexes et d’identifier les situations dans lesquelles certaines opérations pourraient viser à éluder le régime de sanctions de l’Union.

54.      Le juge dispose, en outre, des prérogatives procédurales lui permettant de prendre les mesures conservatoires ou correctrices nécessaires, telles que le refus d’octroyer un titre exécutoire fondé sur un contrat relevant du champ d’application du règlement nº 269/2014. Il ne me paraît toutefois pas suffisant, au regard des intérêts de l’Union, de différer l’application des mesures restrictives à la phase d’exécution. Une telle approche impliquerait une intervention de l’État à un stade très avancé de la procédure civile, avec le risque que l’huissier de justice soit dans l’impossibilité d’évaluer si l’exécution d’un titre contrevient aux prescriptions du règlement nº 269/2014.

55.      En effet, sauf éléments manifestes allant dans le sens contraire, un titre judiciaire exécutoire est présumé légal en vertu du droit national. La sécurité juridique exige que les exceptions de fond contre un tel titre exécutoire soient en principe rejetées comme irrecevables. En outre, il convient de noter que, dans un tel cas de figure, seule la créance à exécuter par l’huissier ferait l’objet d’un examen de compatibilité au regard des dispositions du règlement no 269/2014, à l’exclusion d’éventuelles autres créances connexes relevant du même litige.

56.      Dès lors, je suis d’avis que, si l’on privilégiait l’intervention de l’huissier de justice au stade de l’exécution d’un titre judiciaire plutôt que celle du juge dans la phase contentieuse pour évaluer l’applicabilité des mesures restrictives, comme semble le suggérer le gouvernement letton dans ses observations écrites, il existerait, à mon avis, un risque non négligeable que le règlement nº 269/2014 ne soit pas appliqué avec la rigueur requise. Par conséquent, il y a lieu d’écarter une telle approche.

57.      Dans l’intérêt de l’effectivité du droit de l’Union, il paraît dès lors opportun d’imposer au juge national d’intervenir d’office, y compris en sollicitant les services compétents, afin d’examiner l’applicabilité de l’article 2 et de l’article 11, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement nº 269/2014, mais uniquement dans les cas de figure susmentionnés, à savoir lorsque les parties soulèvent expressément cette question, ou lorsque les faits portés à la connaissance du juge ou les circonstances de l’affaire permettent de considérer que ces dispositions sont applicables (38).

58.      S’agissant de la présente affaire, il convient de noter que la juridiction de renvoi fait référence à la requête en pourvoi introduite par le procureur général, dont il ressort que le dossier de l’affaire civile contient apparemment des éléments permettant de supposer que les dispositions du règlement nº 269/2014 ont vocation à s’appliquer à la défenderesse (39). Par ailleurs, cette juridiction indique que la requérante, qui détient une partie du capital de la défenderesse, est également une personne associée à la défenderesse et à son membre, « ABACUS (CYPRUS) LIMITED ». Aucune information plus précise ne figure dans la décision de renvoi.

59.      À cet égard, il suffit de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure préjudicielle prévue à l’article 267 TFUE, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal (40). Par conséquent, il appartiendra aux juridictions lettonnes d’examiner les circonstances de l’affaire au principal, notamment d’apprécier les éléments de preuve produits par le procureur général, et de déterminer si les dispositions du règlement nº 269/2014 sont applicables.

60.      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question préjudicielle en ce sens que la juridiction saisie est tenue de vérifier d’office, lorsqu’elle est en présence d’indices, si l’une des parties à la procédure figure parmi les personnes visées à l’article 2 ou à l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement nº 269/2014 et, à cette fin, de mettre en œuvre l’ensemble des pouvoirs d’instruction dont elle dispose. En particulier, elle est tenue de solliciter les informations nécessaires auprès des autorités compétentes spécialisées, afin d’être en mesure de procéder à cet examen. Cette obligation de vérification s’étend également aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui sont associées aux parties à la procédure.

C.      Sur la cinquième question préjudicielle

61.      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer les effets juridiques de l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014, aux termes duquel « il n’est fait droit à aucune demande » introduite par les personnes mentionnées à l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), et à savoir si une telle demande peut néanmoins être examinée au fond si le dispositif d’un jugement prévoit que le jugement n’est pas exécutoire tant que ces personnes figurent sur la liste concernée.

62.      Avant d’examiner le contenu normatif de l’article 11 du règlement nº 269/2014, il paraît opportun, dans un souci de clarté, de rappeler brièvement la finalité de l’article 2 de ce règlement, ces deux dispositions entretenant un lien étroit et complémentaire. Ce n’est qu’à la lumière de l’objectif poursuivi par cet article 2 – lequel constitue la disposition centrale du régime de sanctions – que l’on peut pleinement appréhender la fonction de cet article 11.

63.      À cet égard, il convient de souligner que les mesures restrictives de nature financière prévues par l’article 2 du règlement nº 269/2014 comprennent, d’une part, le gel des fonds et des ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales désignées, et, d’autre part, l’interdiction de mettre à disposition de ces personnes des fonds ou des ressources économiques.

64.      Il importe de préciser que, ainsi qu’il ressort des lignes directrices du Conseil relatives à la mise en œuvre des mesures restrictives relevant de la PESC (41), ces mesures n’affectent en rien le droit de propriété des personnes concernées sur les avoirs gelés. En particulier, elles n’entraînent pas de transfert de propriété des fonds et ressources. En effet, la Cour a déjà jugé que la mesure de gel est une mesure conservatoire qui n’est pas censée priver de leur propriété les personnes visées par la mesure, celle-ci étant une mesure temporaire et réversible par nature (42). Le règlement nº 269/2014 n’interdit ni la validité ni la conclusion de contrats avec des personnes figurant à l’annexe I. En d’autres termes, la validité des contrats en matière civile demeure, en principe, intacte.

65.      Toutefois, l’article 2, paragraphe 2, du règlement nº 269/2014 interdit toute mise à disposition de fonds ou de ressources économiques lorsqu’elle est susceptible de procurer un avantage, direct ou indirect, à une personne désignée. Il s’ensuit qu’un contrat ne peut être exécuté si son exécution a pour effet d’octroyer un paiement ou tout autre avantage économique à une telle personne. Cette interdiction s’étend à toute prestation, livraison ou service contractuellement prévu au bénéfice d’une personne désignée.

66.      Est interdit, au titre de cette disposition, le fait de mettre indirectement des fonds ou des ressources économiques à disposition, c’est-à-dire de procurer un avantage non pas directement à la personne désignée, mais à un tiers, lorsque cet avantage bénéficie indirectement à ladite personne. L’interdiction de la mise à disposition indirecte de fonds ou de ressources économiques s’applique également à l’égard d’entités non désignées, dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de penser que les fonds ou ressources économiques seront transférés, en tout ou en partie, à une personne désignée. Il y a, en principe, lieu de présumer une telle mise à disposition indirecte lorsque des ressources économiques sont mises à disposition d’une personne non désignée qui est détenue ou contrôlée, directement ou indirectement, par une personne désignée (43).

67.      Ainsi que l’a rappelé la Cour dans son arrêt Möllendorf et Möllendorf-Niehuus (44), la notion de « mise à disposition » doit être interprétée de manière large et couvre toute opération permettant à une personne désignée d’accéder, directement ou indirectement, à une ressource économique, y compris toute prestation exécutée en vertu d’un contrat synallagmatique (45). S’appuyant sur cette jurisprudence, le Conseil a précisé dans ses lignes directrices que les règlements instaurant des mesures de gel « interdisent l’accomplissement d’actes d’exécution de contrats conclus avant l’entrée en vigueur des règlements » (46).

68.      Il en résulte que la primauté du droit de l’Union conduit à une suspension de fait des obligations contractuelles incompatibles avec le régime de sanctions, tant que celui-ci demeure en vigueur. C’est en ce sens qu’il convient d’interpréter la formulation des lignes directrices du Conseil selon lesquelles, une fois entrés en vigueur, les règlements instaurant des mesures de gel « l’emportent sur toute disposition contractuelle incompatible » (47). Bien que ces lignes directrices recourent à une terminologie juridiquement peu précise, il est évident qu’une suspension temporaire des obligations contractuelles est envisagée, dans l’hypothèse où leur exécution porterait atteinte aux objectifs poursuivis par le règlement nº 269/2014. Cette constatation vaut pour l’ensemble des versions linguistiques examinées (48), ce qui semble s’expliquer par la volonté de laisser aux ordres juridiques nationaux le soin de déterminer les modalités exactes de mise en œuvre de cet effet suspensif.

69.      En revanche, l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014, qui fait l’objet des cinquième et sixième questions préjudicielles, a pour finalité de garantir, sur le plan procédural, l’efficacité de l’article 2 de ce règlement, en empêchant qu’une personne désignée puisse faire valoir, par voie juridictionnelle, un droit dont l’exercice contreviendrait aux mesures restrictives. Ainsi, même lorsqu’un jugement favorable a été obtenu devant une juridiction nationale, son exécution demeure suspendue aussi longtemps que la personne concernée est soumise aux sanctions de l’Union.

70.      De même, cette disposition vise à protéger le cocontractant respectant les obligations imposées par le règlement nº 269/2014 contre des actions en responsabilité engagées par la partie désignée, notamment en réparation d’un dommage ou au titre d’une garantie contractuelle (49). En l’absence d’un tel mécanisme procédural, le cocontractant se trouverait confronté à une situation intenable, contraint de choisir entre s’exposer à des sanctions pénales en exécutant le contrat (50) et risquer une condamnation civile en refusant de l’exécuter. En tant que disposition de nature procédurale, l’application de l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement incombe principalement aux juridictions nationales, dès lors que les conditions légales qui y sont prévues sont réunies.

71.      Ainsi que l’a justement relevé le gouvernement finlandais dans ses observations écrites, l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 vise essentiellement à garantir la mise en œuvre effective des mesures restrictives, sans pour autant procéder à une harmonisation des règles procédurales des États membres, lesquels conservent à cet égard leur autonomie, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité déjà évoqués dans les présentes conclusions (51). La condition de l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement, selon laquelle « il n’est fait droit à aucune demande » visée par cette disposition, doit donc être mise en œuvre conformément aux procédures prévues par le droit national, de sorte qu’on ne saurait donner effet à des demandes lorsque cela conduit à une violation de l’obligation édictée à l’article 2 dudit règlement.

72.      Il y a lieu de préciser, enfin, que le règlement nº 269/2014 ne compromet en rien le respect des droits fondamentaux et des garanties procédurales. En effet, l’article 11, paragraphe 3, de ce règlement consacre expressément le droit des personnes visées au paragraphe 1 à un contrôle juridictionnel de la légalité de la non-exécution des obligations contractuelles fondée sur les dispositions dudit règlement. De surcroît, le paragraphe 2 impose à toute personne physique ou morale, entité ou organisme invoquant un droit dans le cadre d’une instance, la charge de la preuve que l’exécution de ce droit n’est pas prohibée au regard du paragraphe 1.

73.      Dans cette perspective, il convient de relever que les dispositions de l’article 11 du règlement nº 269/2014 doivent être interprétées à la lumière du considérant 6 de ce règlement, lequel précise, notamment, que ledit règlement doit être appliqué conformément aux droits fondamentaux et aux principes reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et plus particulièrement les droits à un recours effectif et à l’accès à un tribunal impartial, garantis par l’article 47 de celle-ci. Il en découle que la juridiction nationale compétente, appelée à se prononcer sur l’application éventuelle de l’article 11 du règlement nº 269/2014, est tenue de respecter la charte des droits fondamentaux, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci (52).

74.      Il ressort des considérations qui précèdent que, lorsqu’une procédure a pour objet une demande portant, directement ou indirectement, en tout ou en partie, sur un contrat dont l’exécution est affectée par des mesures restrictives, la juridiction nationale est tenue, conformément à son propre cadre procédural, de garantir le résultat prescrit à l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014, à savoir de « ne pas faire droit à la demande ». Autrement dit, elle ne doit pas donner effet à une telle demande. Cette interprétation est confirmée par l’analyse de l’ensemble des versions linguistiques examinées (53).

75.      Cette disposition n’exclut pas la modalité procédurale envisagée par la juridiction de renvoi de statuer sur le fond d’une telle demande à condition que le dispositif du jugement soit assorti d’une clause interdisant son exécution tant que les personnes concernées relèvent du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement nº 269/2014. Une telle modalité procédurale permettrait de réduire le risque d’une efficacité insuffisante de la mise en œuvre des mesures restrictives en cas d’intervention étatique uniquement au stade de l’exécution par l’huissier de justice (54). Elle serait, en outre, respectueuse de l’article 11, paragraphe 3, de ce règlement (55).

76.      En substance, l’obligation d’assurer l’effectivité des mesures restrictives adoptées par l’Union justifie le non-respect temporaire des obligations contractuelles en cause. En revanche, lorsque la procédure concerne une demande qui ne peut pas être considérée comme portant, en tout ou en partie, directement ou indirectement, sur un contrat dont l’exécution est affectée par des mesures restrictives, la juridiction nationale peut y faire droit, y compris lorsqu’elle est introduite par une personne désignée ou par toute personne agissant par l’intermédiaire ou pour le compte de ladite personne.

77.      La juridiction nationale peut donc, en principe, statuer sur le fond du recours à condition qu’elle ne fasse pas droit à la demande visée par l’interdiction prévue à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 269/2014. Si le cadre procédural national le permet, elle peut aussi suspendre l’examen de la demande jusqu’à ce que le demandeur ne relève plus du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), de ce règlement. En tout état de cause, elle peut faire droit aux demandes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’interdiction. En outre, en vertu de l’article 7 dudit règlement, les paiements résultant de décisions judiciaires, administratives ou arbitrales rendues dans un État membre, ou exécutoires dans l’État membre concerné, ne sont pas interdits au titre de l’article 2, paragraphe 2, du même règlement, à condition que les intérêts, rémunérations et autres paiements y afférents soient gelés conformément au paragraphe 1 de cet article 2. Il en découle que toutes les demandes de nature civile ne sont pas automatiquement exclues. Il convient plutôt d’apprécier chaque demande à la lumière de son objet, du statut juridique des parties en cause et de ses effets économiques.

78.      Ainsi, une demande tendant à la constatation de l’existence d’un droit, dépourvue de tout effet exécutoire, peut être admissible dans certaines circonstances. Une juridiction nationale ne peut statuer sur des demandes de nature civile que si elle est en mesure de garantir que sa décision ne contrevient pas aux dispositions relatives aux sanctions prévues par le règlement no 269/2014, en ce que, par exemple, cette décision procure directement ou indirectement à la personne désignée un avantage économique interdit par les sanctions. Enfin, il importe de noter que des dérogations peuvent être accordées par les autorités compétentes conformément à l’article 5, paragraphe 1, ainsi qu’à d’autres dispositions de ce règlement. Ces autorisations visent à concilier l’application des sanctions avec les exigences de la protection juridique.

79.      Pour les raisons exposées aux points précédents, je propose de répondre à la cinquième question préjudicielle que l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 doit être interprété en ce sens qu’il n’interdit pas d’examiner une affaire au fond, mais interdit de donner effet, en tout ou en partie, à une demande portant sur un contrat dont l’exécution est affectée, en tout ou en partie, directement ou indirectement, par des mesures restrictives. La décision d’une juridiction nationale dont le dispositif prévoit que cette décision n’est pas exécutoire tant que le demandeur relève du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement nº 269/2014 correspond, en principe, à cette interdiction.

D.      Sur la sixième question préjudicielle

80.      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 produit des effets juridiques lorsque le requérant n’est pas l’une des personnes visées au point a) ou b) de ce paragraphe, mais que le défendeur est une telle personne.

81.      Il convient, en premier lieu, de rappeler que l’objet de cette disposition consiste à empêcher l’exécution civile de contrats ou de créances susceptibles de contrevenir aux sanctions édictées par le règlement nº 269/2014. Ces sanctions comprennent notamment le gel des avoirs de certaines personnes physiques ou morales, énumérées limitativement à l’annexe I de ce règlement (56), ainsi que l’interdiction de mettre à leur disposition des ressources économiques ou des fonds.

82.      À cet égard, il importe de rappeler que dans l’arrêt Bank Sepah (57), la Cour a estimé que, pour atteindre ces objectifs, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » soient interprétées de manière large, dès lors qu’il s’agit d’empêcher toute utilisation des avoirs gelés permettant de contourner les règlements en cause et d’exploiter les failles du système (58). Cette interprétation large implique que tous les avoirs d’une personne désignée doivent être gelés, y compris les fonds provenant de celle-ci et ceux qui lui sont destinés (59).

83.      En outre, il convient de noter que l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 ne se limite pas aux procédures civiles au sens strict, mais s’applique aux décisions dont la reconnaissance, l’exécution ou les effets juridiques seraient susceptibles de porter atteinte à l’efficacité des mesures restrictives prévues par ce règlement. Dès lors, cette disposition ne s’adresse pas directement aux parties au litige – demandeur ou défendeur – en tant que telles, mais impose aux juridictions l’obligation générale de ne pas rendre de décisions susceptibles de contourner la finalité des sanctions.

84.      Ainsi, lorsqu’un demandeur entend faire valoir des droits issus d’un contrat qui relève de l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 – notamment avec une personne visée par les sanctions – ou ayant pour but de compromettre les objectifs poursuivis par ce règlement, la juridiction saisie est tenue de ne pas faire droit à la demande. L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement vise ainsi à garantir l’efficacité des mesures restrictives de l’Union et peut, à ce titre, produire des effets juridiques à l’égard des deux parties à l’instance, en fonction de la personne qui bénéficierait de l’opération (60).

85.      Par ailleurs, il y a lieu de souscrire à l’analyse de la Commission selon laquelle l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 se réfère expressément à une « demande » (61), terme dont la portée est beaucoup plus étroite que celui de « procédure ». En effet, une personne figurant à l’annexe I de ce règlement peut intervenir dans une procédure tant en qualité de défenderesse qu’en tant que demanderesse, notamment dans le cadre d’une demande reconventionnelle. Une telle demande peut, en principe, être introduite par l’une ou l’autre des parties à la procédure. Par conséquent, l’applicabilité de cette disposition doit toujours être appréciée au regard des circonstances concrètes de l’affaire.

86.      Au vu de ce qui précède, je propose de répondre à la sixième question préjudicielle que l’article 11, paragraphe 1, du règlement nº 269/2014 doit être interprété en ce sens qu’il interdit de faire droit à une demande relevant du champ d’application de cette disposition, qu’elle soit introduite par la requérante ou par la défenderesse dans la procédure.

VI.    Conclusion

87.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles déférées par l’Augstākās tiesas Senāts (Cour suprême, Lettonie) :

1)      L’article 2 et l’article 11, paragraphe 1, du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023,

doivent être interprétés en ce sens que :

la juridiction saisie est tenue de vérifier d’office, lorsqu’elle est en présence d’indices, si l’une des parties à la procédure figure parmi les personnes visées à l’article 2 ou à l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), de ce règlement et, à cette fin, de mettre en œuvre l’ensemble des pouvoirs d’instruction dont elle dispose. En particulier, elle est tenue de solliciter les informations nécessaires auprès des autorités compétentes spécialisées, afin d’être en mesure de procéder à cet examen. Cette obligation de vérification s’étend également aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui sont associées aux parties à la procédure.

2)      L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2023/1765,

doit être interprété en ce sens que :

–        il n’interdit pas d’examiner une affaire au fond, mais il interdit de donner effet, en tout ou partie, à une demande portant sur un contrat dont l’exécution est affectée, en tout ou en partie, directement ou indirectement, par des mesures restrictives. La décision d’une juridiction nationale dont le dispositif prévoit que cette décision n’est pas exécutoire tant que le demandeur relève du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous a) ou b), de ce règlement correspond, en principe, à cette interdiction.

–        il interdit de faire droit à une demande relevant du champ d’application de cette disposition, qu’elle soit introduite par la requérante ou par la défenderesse dans la procédure.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2014, L 78, p. 6.


3      JO 2023, L 226, p. 3.


4      JO 2022, L 58, p. 1.


5      Décision du Conseil du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).


6      La Cour considère l’article 215 TFUE comme une passerelle entre les objectifs du traité UE en matière de PESC et les actions de l’Union comportant des mesures restrictives relevant du traité FUE [voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 89), et du 10 septembre 2024, Neves 77 Solutions (C‑351/22, EU:C:2024:723, point 45)].


7      Voir arrêt du 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, points 29 et 36).


8      Selon une jurisprudence constante, il appartient à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [voir arrêt du 9 mars 2023, Registrų centras (C‑354/21, EU:C:2023:184, point 35)].


9      Voir point 28 des présentes conclusions.


10      Voir arrêts du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236, point 89), et du 10 septembre 2024, Neves 77 Solutions (C‑351/22, EU:C:2024:723, point 56).


11      Le juge de l’Union et le juge national exercent un contrôle juridictionnel dans le cadre des compétences qui leur sont respectivement attribuées. Le contrôle des actes de l’Union tels que le règlement no 269/2014 relève de la compétence du juge de l’Union. En revanche, il appartient au juge national d’assurer la protection juridictionnelle à l’encontre des actes étatiques adoptés au niveau national en exécution ou en application de ces actes de l’Union.


12      Giumelli, F., Geelhoed, W., de Vries, M., et Molesini, A., « United in diversity ? A study on the implementation of sanctions in the European Union, Beyond Foreign Policy? », EU Sanctions at the Intersection of Development, Trade, and CFSP, vol. 10, no 1 (2022), p. 41.


13      Portela, C., Olsen, K., « Mise en œuvre et suivi des régimes de sanctions de l’UE, y compris des recommandations visant à renforcer les capacités de l’UE à mettre en œuvre et à surveiller les sanctions », Étude du Parlement européen du 10 octobre 2023, p. 26.


14      Starski, P., « United in Sanctions ? Some Observations on the EU Practice of ‘Restrictive Measures’ in the Face of the Russian Aggression against Ukraine », The EU Reexamined, 2024, p. 256.


15      Finelli, F., « Countering circumvention of restrictive measures: the EU response », Common Market Law Review, vol. 60, no 3 (2023), p. 737.


16      Voir arrêts du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39, point 31), du 7 avril 2022, Caixabank (C‑385/20, EU:C:2022:278, point 47), et du 13 mars 2025, Banco Santander (C‑230/24, EU:C:2025:177, point 20).


17      Voir point 34 des présentes conclusions.


18      Voir point 33 des présentes conclusions.


19      Blair, W., « The legal effect of sanctions against Russia on financial and commercial transactions », International sanctions : Monetary and financial law perspectives, Leiden 2024, p. 313. L’auteur indique que les juridictions étatiques ne constituent pas les instruments principaux de la mise en œuvre des sanctions. Toutefois, dans la mesure où les décisions qu’elles rendent ont pour effet de mettre en œuvre et/ou de reconnaître, directement ou indirectement, de telles sanctions, cet effet constitue un élément déterminant de leur efficacité globale.


20      Voir conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Vedial/OHMI (C‑106/03 P, EU:C:2004:457, point 28). Selon l’avocat général, le principe dispositif revêt une grande utilité pour évoquer des caractéristiques déterminées du procès, généralement civil, qui sont l’expression de la reconnaissance de l’autonomie privée des personnes. Il incombe aux parties, en tant que maîtresses de l’action, non seulement d’introduire celle-ci ou d’y mettre fin, mais également d’en fixer l’objet. Il s’agit, en définitive, de la consécration procédurale de la faculté de disposer de ses propres droits, laquelle, au niveau matériel, se manifeste par la primauté de la volonté contractuelle. Ce principe trouve sa justification lointaine dans le fait que le titulaire, même potentiel ou présumé, de droits sur une chose doit conserver cette faculté de disposition afin de la traduire en justice, en la réclamant ou en la cédant, en tout ou en partie, par le biais d’un désistement ou d’un acquiescement, et ainsi définir, en somme, le litige.


21      À condition que les parties puissent disposer de l’objet du litige selon le droit matériel.


22      Voir arrêts arrêt du 17 décembre 2009, Martín Martín (C‑227/08, EU:C:2009:792, point 20), du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, point 33), et du 14 septembre 2023, Tuk Tuk Travel (C‑83/22, EU:C:2023:664, point 45).


23      L’obligation pour le juge national d’examiner d’office le respect du droit de l’Union s’applique à certaines dispositions relevant de la protection des consommateurs [voir arrêt du 14 septembre 2023, Tuk Tuk Travel(C‑83/22, EU:C:2023:664, points 45 à 47 et jurisprudence citée)] et de la protection internationale [voir arrêts du 8 novembre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Examen d’office de la rétention) (C‑704/20 et C‑39/21, EU:C:2022:858, point 94), ainsi que du 17 octobre 2024, Ararat (C‑156/23, EU:C:2024:892, point 52)].


24      Voir arrêt du 4 octobre 2024, Commission et Conseil/Front Polisario (C‑779/21 P et C‑799/21 P, EU:C:2024:835, point 133).


25      Voir, entre autres, considérant 11 du préambule, article 3, paragraphe 5, article 21, paragraphe 2, sous c), et article 42, paragraphe 1, TUE. Voir arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil (C‑130/10, EU:C:2012:472, point 62).


26      Blair, W., « The legal effect of sanctions against Russia on financial and commercial transactions », International sanctions : Monetary and financial law perspectives, Leiden 2024, p. 313. L’auteur semble considérer l’application des sanctions de l’Union comme relevant de l’ordre public.


27      Arrêt du 21 décembre 2021 (C‑124/20, EU:C:2021:1035).


28      Arrêt du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran (C‑124/20, EU:C:2021:1035, points 55, 59 et 60).


29      Arrêt du 21 décembre 2021, Bank Melli Iran (C‑124/20, EU:C:2021:1035, points 67 et 68).


30      Arrêt du 21 décembre 2011 (C‑72/11, EU:C:2011:874).


31      Voir arrêt du 21 décembre 2011, Afrasiabi e.a. (C‑72/11, EU:C:2011:874, points 60 et 62).


32      Finelli, F., « Countering circumvention of restrictive measures : the EU response », Common Market Law Review, vol. 60, no 3 (2023), p. 734.


33      Article 7, paragraphe 4, du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1).


34      Voir points 63 et suiv. des présentes conclusions.


35      Vilà Sánchez, E., « The European Union’s sanctions regime on the Russian Federation from 2014 to 2022 », Quaderns IEE : Revista de l’Institut d’Estudis Europeus, vol. 2, no 1 (2023), p. 55.


36      Les orientations contenues dans les lignes directrices de la Commission semblent particulièrement utiles (voir, à cet égard, Circumvention red flags related to business partners and customers, dans le document « Guidance for EU operators : Implementing enhanced due diligence to shield against Russia sanctions circumvention »).


37      Giumelli, F., Geelhoed, W., de Vries, M., et Molesini, A., « United in diversity ? A study on the implementation of sanctions in the European Union, Beyond Foreign Policy? », op. cit., p. 38.


38      Voir point 50 des présentes conclusions.


39      Voir point 4 de la décision de renvoi.


40      Voir arrêt du 28 juillet 2016, Kratzer (C‑423/15, EU:C:2016:604, point 27).


41      Voir point 32 du document intitulé « Mesures restrictives (sanctions) – Mise à jour des meilleures pratiques de l’UE en ce qui concerne la mise en œuvre effective de mesures restrictives » du 3 juillet 2024 (ci-après les « lignes directrices ») (n° doc. préc. : 10572/22).


42      Voir arrêt du 15 décembre 2022, Instrubel e.a. (C‑753/21 et C‑754/21, EU:C:2022:987, point 50 et jurisprudence citée).


43      Niestedt, M., EU-Außenwirtschafts- und Zollrecht, Krenzler, H. G, Herrmann, C., Niestedt, M., « V. Embargo- und Sanktionsmaßnahmen », C. H. Beck, 2015, point 50.


44      Arrêt du 11 octobre 2007 (C‑117/06, EU:C:2007:596).


45      Voir arrêt du 11 octobre 2007, Möllendorf et Möllendorf-Niehuus (C‑117/06, EU:C:2007:596, point 56).


46      Voir point 33 des lignes directrices.


47      Voir point 33 des lignes directrices.


48      Voir versions en langues espagnole (« prevalece sobre cualquier acuerdo contractual incompatible »), danoise (« vil de gælde forud for alle uforenelige aftalemæssige arrangementer »), allemande (« treten alle vertraglichen Regelungen, die mit ihnen nicht vereinbar sind, außer Kraft »), anglaise (« override all incompatible contractual arrangements »), italienne (« prevalgono su tutti gli accordi contrattuali incompatibili »), lettonne (« tai ir prioritāte pār visiem neatbilstīgiem līgumiskiem noteikumiem »), lituanienne (« jie yra viršesni už visas su jais nesuderinamas sutartines priemones »), néerlandaise (« hebben zij voorrang boven alle daarmee onverenigbare contractuele regelingen »), polonaise (« uchylają one wszystkie niezgodne porozumienia umowne ») et portugaise (« invalidam toda e qualquer disposição contratual que com eles seja incompatível »).


49      Siadat, A., Schultess, A., « Russland-Embargo-VO und innerdeutsche Zahlungsaufträge », Zeitschrift für Bank und Kapitalmarktrecht, 2024, no 13, p. 591.


50      Le droit de l’Union oblige les États membres à sanctionner pénalement les violations des mesures restrictives de l’Union. Voir, à cet égard, directive (UE) 2024/1226 du Parlement européen et du Conseil, du 24 avril 2024, relative à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives de l’Union et modifiant la directive (UE) 2018/1673 (JO L, 2024/1226).


51      Voir point 39 des présentes conclusions.


52      Voir, par analogie, arrêt du 12 juin 2014, Peftiev (C‑314/13, EU:C:2014:1645, point 24).


53      Voir versions en langues espagnole (« no se satisfará »), danoise (« ingen fordringer må indfries »), allemande (« wird nicht stattgegeben »), anglaise (« no claims […] shall be satisfied »), italienne (« non è concesso »), lettonne (« neapmierina »), lituanienne (« netenkinami »), néerlandaise (« worden niet toegewezen »), polonaise (« nie są zaspokajane ») et portugaise (« não há lugar ao pagamento »).


54      Voir point 54 des présentes conclusions.


55      Voir point 72 des présentes conclusions.


56      Voir arrêt du 5 septembre 2024, Jemerak (C‑109/23, EU:C:2024:681, point 48).


57      Arrêt du 11 novembre 2021, Bank Sepah (C‑340/20, EU:C:2021:903).


58      Arrêt du 11 novembre 2021, Bank Sepah (C‑340/20, EU:C:2021:903, point 56).


59      Voir, à cet égard, document de la Commission intitulé « Consolidated FAQs on the implementation of Council Regulation No 833/2014 and Council Regulation No 269/2014 », réponse à la question 19, p. 34.


60      Il est concevable qu’une personne désignée dans le cadre des mesures restrictives procède à une compensation entre une dette qu’elle détient à l’égard de son cocontractant et une créance qu’elle détient contre ce dernier, et ce, dans le cadre d’une instance introduite par le cocontractant, sans pour autant former de demande reconventionnelle. Une telle compensation aurait pour effet de libérer la personne désignée de sa dette à l’occasion de la procédure engagée par l’autre partie au contrat.


61      Voir versions en langues espagnole (« reclamación »), danoise (« fordring »), allemande (« Forderung »), anglaise (« claim »), italienne (« diritto »), lettonne (« prasības »), lituanienne (« reikalavimai »), néerlandaise (« vordering »), polonaise (« roszczenia ») et portugaise (« pedido »).