Affaire C‑662/23 [Zimir] ( i )

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

X

[demande de décision préjudicielle, introduite par
le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas)]

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 8 mai 2025

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/32/UE – Article 4, paragraphe 1, et article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b) – Procédures d’octroi de la protection internationale – Prolongation par l’autorité responsable de la détermination du délai d’examen de six mois – Grand nombre de demandes de protection internationale introduites simultanément – Notion – Prise en compte d’autres circonstances »

  1. Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Nécessité d’un litige pendant devant la juridiction de renvoi – Réponse de la Cour demeurant utile pour la solution du litige au principal

    (Art. 267 TFUE)

    (voir points 27-30)

  2. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Conditions de la prolongation, par l’autorité responsable, du délai d’examen de six mois – Grand nombre de demandes de protection internationale introduites simultanément – Notion – Accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes – Inclusion – Appréciation de cet accroissement au regard de la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné – Accroissement progressif du nombre desdites demandes sur une longue période – Exclusion

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 4, § 1, et 31, § 3, 3e al., b)]

    (voir points 32-49, disp. 1)

  3. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Procédures pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Conditions de la prolongation, par l’autorité responsable, du délai d’examen de six mois – Difficulté pratique de conclure la procédure d’examen de telles demandes dans le délai de six mois – Origine – Grand nombre de demandes introduites simultanément – Admissibilité – Prise en compte d’autres circonstances, telle l’existence préalable d’un volume important de demandes non traitées ou l’insuffisance de personnel de l’autorité responsable – Inadmissibilité

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/32, art. 4, § 1, et 31, § 3, 3e al., b)]

    (voir points 51-56, disp. 2)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), la Cour précise les conditions dans lesquelles l’autorité responsable d’une demande de protection internationale peut faire usage de la faculté, prévue à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive 2013/32 ( 1 ), de prolonger le délai de six mois prévu pour l’examen d’une telle demande. Cette prolongation est autorisée lorsque, du fait qu’un grand nombre de ressortissants de pays tiers demandent simultanément une protection internationale, il est très difficile, en pratique, de conclure la procédure dans ce délai de six mois.

Le 10 avril 2022, X, un ressortissant turc, a déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas. Le 21 septembre 2022, l’autorité compétente néerlandaise a adopté un arrêté ( 2 ) prolongeant de neuf mois le délai légal de six mois prévu pour l’examen des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile. Le 13 octobre 2022, X a adressé une mise en demeure à cette autorité en raison de l’absence de prise de décision dans le délai de six mois. Ladite autorité ayant gardé le silence pendant deux semaines à la suite de cette mise en demeure, X a formé un recours devant le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas).

En janvier 2023, le tribunal de La Haye a déclaré le recours de X fondé et a considéré que l’autorité compétente n’avait pas légalement prolongé le délai d’examen des demandes d’octroi des permis de séjour temporaire au titre de l’asile. En outre, il lui a ordonné de procéder, dans les huit semaines suivant la date du jugement, à une première audition du demandeur et de prendre, dans les huit semaines suivant cette audition, une décision sur sa demande, sous peine d’astreinte.

Estimant que l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive « procédures » permet une prolongation du délai d’examen des demandes de protection internationale non seulement en cas d’augmentation subite de leur nombre, lorsqu’elles sont introduites simultanément, mais aussi en cas d’accroissement progressif de ce nombre, pour garantir un examen approprié et exhaustif de ces demandes, l’autorité compétente néerlandaise a interjeté appel de ce jugement devant le Conseil d’État.

Nourrissant des doutes sur la légalité de la prolongation du délai de décision de six mois, le Conseil d’État a décidé de saisir la Cour par la voie préjudicielle. Il s’interroge, d’une part, sur le point de savoir si la directive « procédures » permet de prolonger ce délai lorsque le nombre des demandes d’asile ne s’accroît que progressivement. Il se demande, d’autre part, si la difficulté de conclure, en pratique, la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois, visée par cette directive, peut avoir pour origine d’autres circonstances que le seul grand nombre de ces demandes introduites simultanément.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour énonce que le délai de six mois prévu pour l’examen des demandes de protection internationale, visé à l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive « procédures », peut être prolongé de neuf mois par l’autorité responsable en cas d’accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné, ce qui exclut la situation caractérisée par un accroissement progressif du nombre de ces demandes sur une longue période.

En effet, cette disposition permet aux États membres de prolonger le délai d’examen de six mois des demandes de protection internationale, dès lors que trois conditions cumulatives sont réunies, à savoir, premièrement, que de telles demandes soient introduites « simultanément », deuxièmement, que ces demandes soient introduites par « un grand nombre » de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides et, troisièmement, qu’il soit alors « très difficile pour les autorités de l’État membre, en pratique, de conclure la procédure dans le délai de six mois ».

Ainsi, tout d’abord, en l’absence de définition du sens et de la portée du terme « simultanément » dans la directive « procédures », ce terme doit être interprété comme synonyme de l’expression « concomitamment », ce qui implique en principe l’introduction du grand nombre de demandes au même moment. Les demandes de protection internationale étant, en pratique, rarement introduites exactement au même moment, afin que l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), ne soit pas privé d’effet utile, le terme « simultanément » doit être compris comme signifiant « dans un court laps de temps ». En revanche, cette disposition ne vise pas un accroissement progressif du nombre de ces demandes sur une période prolongée.

Ensuite, l’existence de demandes introduites par « un grand nombre » de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides doit être appréciée au regard du flux habituel et prévisible de ces demandes dans l’État membre concerné, la directive ne comportant pas de critères permettant de quantifier un tel nombre. Pour qu’il s’agisse d’« un grand nombre » de demandes de protection internationale introduites « simultanément », l’autorité responsable doit établir, sur la base d’une analyse comparative de données chiffrées, l’existence d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné.

Enfin, la condition relative à l’existence de difficultés pratiques pour conclure, dans les six mois, le traitement d’un grand nombre de telles demandes introduites simultanément doit être appréciée au regard des obligations incombant aux États membres conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive « procédures » ( 3 ). À cet égard, en cas d’accroissement progressif du nombre de demandes de protection internationale sur une période prolongée, l’État membre concerné est tenu de prendre des mesures, conformément à cette disposition, pour adapter sa capacité de traitement de ces demandes. Ainsi, la durée de la période à prendre en considération ne peut excéder le temps nécessaire à un État membre pour accroître les moyens mis à la disposition de l’autorité responsable et disposer à nouveau d’une capacité suffisante pour traiter ces demandes. Ce temps nécessaire doit donc être apprécié au regard du temps requis pour recruter et former du personnel compétent pour traiter les demandes de protection internationale reçues d’une façon appropriée et exhaustive.

En second lieu, la Cour précise que la difficulté, en pratique, de conclure la procédure d’examen des demandes de protection internationale dans le délai de six mois, au titre de l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive « procédures », ne peut avoir pour origine des circonstances autres que le grand nombre de ces demandes introduites simultanément, telles que l’existence d’un volume important de demandes non traitées ou l’insuffisance de personnel de l’autorité responsable compétente.

En effet, l’admission d’autres circonstances que le grand nombre des demandes de protection internationale introduites simultanément pour justifier une prolongation du délai d’examen compromettrait les obligations que les États membres doivent respecter en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « procédures ».

Cependant, dans le cas d’un accroissement significatif, dans un court laps de temps, du nombre de ces demandes par rapport à la tendance habituelle et prévisible dans l’État membre concerné, il ne saurait être attendu de cet État membre qu’il soit immédiatement en mesure de satisfaire aux besoins supplémentaires en effectif dans le délai requis de six mois. Dans une telle situation, les États membres doivent disposer du temps nécessaire pour assurer un renforcement des ressources humaines de l’autorité responsable. À cet égard, l’article 31, paragraphe 3, troisième alinéa, sous b), de la directive « procédures » prévoit la possibilité de prolonger le délai d’examen des demandes d’une durée ne pouvant excéder neuf mois supplémentaires.

En conséquence, le nombre de demandes de protection internationale en attente d’être traitées au moment de l’accroissement significatif du nombre de ces demandes introduites simultanément ne constitue pas en soi une circonstance justifiant une prolongation au titre de cette disposition. Lorsque le nombre de ces demandes demeure constamment élevé pendant une longue période, l’État membre est tenu de prévoir des moyens appropriés permettant à l’autorité responsable de disposer d’une capacité de traitement suffisante, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive.


( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.

( 1 ) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60) (ci-après la « directive “procédures” »).

( 2 ) Besluit houdende wijziging van de Vreemdelingencirculaire 2000 (arrêté portant modification de la circulaire de 2000 sur les étrangers).

( 3 ) Cette disposition prévoit, d’une part, que les États membres désignent, pour toutes les procédures, une autorité chargée de procéder à un examen approprié des demandes de protection internationale conformément à la directive et, d’autre part, qu’ils veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches, conformément à cette directive.