ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Indépendance des juges – Conditions de nomination des juges de droit commun – Possibilité de remettre en cause un jugement ou un arrêt définitif de condamnation pénale au stade d’une procédure d’exécution de ce jugement ou de cet arrêt – Irrecevabilité des demandes de décision préjudicielle »

Dans les affaires jointes C‑114/23 [Sapira] i, C‑115/23 [Jurckow] i, C‑132/23 [Kosieski] i et C‑160/23 [Oczka] ( i ),

ayant pour objet quatre demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), par décisions du 18 février 2023 (C‑114/23 et C‑115/23), du 6 mars 2023 (C‑132/23) et du 14 mars 2023 (C‑160/23), parvenues à la Cour le 27 février 2023 (C‑114/23 et C‑115/23), le 6 mars 2023 (C‑132/23) et le 15 mars 2023 (C‑160/23), dans les procédures pénales contre

KB (C‑114/23),

RZ (C‑115/23),

AN (C‑132/23),

CG (C‑160/23),

en présence de :

Prokuratura Rejonowa Warszawa Ochota (C‑114/23 et C‑160/23),

Prokuratura Okręgowa w Warszawie (C‑115/23 et C‑132/23),

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour la Prokuratura Okręgowa w Warszawie, par Mme A. Bortkiewicz,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des principes de sécurité juridique, d’irrévocabilité des décisions définitives, de proportionnalité et d’autonomie procédurale.

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de procédures d’exécution de quatre décisions de justice définitives condamnant KB, RZ, AN et CG à des sanctions pénales.

Le cadre juridique

3

L’article 9, paragraphes 1 et 2, de l’ustawa – Kodeks karny wykonawczy (loi portant code d’exécution des peines), du 6 juin 1997 (Dz. U. de 2023, position 127, ci-après le « code d’exécution des peines »), dispose :

« 1.   La procédure d’exécution débute sans retard après que l’arrêt est devenu exécutoire.

2.   Un arrêt ou une ordonnance rendu(e) en application de l’article 420 de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego [(loi portant code de procédure pénale), du 6 juin 1997 (Dz. U. de 2022, position 1375)], concernant une confiscation ou des preuves matérielles, devient exécutoire au moment où il/elle devient définitif/définitive, sauf disposition contraire de la loi. »

4

Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du code d’exécution des peines :

« L’autorité d’exécution de la décision et toute personne directement concernée par la décision peuvent demander au tribunal qui a rendu la décision de lever les doutes sur l’exécution de la décision ou les griefs concernant le calcul de la peine. L’ordonnance du tribunal est susceptible d’appel. »

5

L’article 15, paragraphe 1, de ce code est libellé comme suit :

« Le tribunal interrompt la procédure d’exécution en cas de prescription de l’exécution de la peine, de décès du condamné ou de toute autre raison excluant cette procédure. »

Les procédures au principal et les questions préjudicielles

6

Par un jugement du 28 décembre 2022 du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), KB a été condamnée à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende pour avoir insulté publiquement le président de la République de Pologne les 1er et 2 mars 2022, au moyen du réseau social Twitter (affaire C‑114/23).

7

Par un jugement du 28 novembre 2022 de cette juridiction, RZ a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et à une amende pour avoir amené une autre personne à disposer défavorablement de ses propres biens, afin d’obtenir un avantage financier (affaire C‑115/23).

8

Par un jugement du 9 février 2023 de ladite juridiction, AN a été condamné à une peine globale de onze mois de restriction de liberté pour deux infractions de fraude informatique (affaire C‑132/23).

9

Ces trois jugements ont été rendus en formation de juge unique par les juges LM, dans les affaires C‑114/23 et C‑132/23, et OP, dans l’affaire C‑115/23. Ils sont devenus définitifs sans avoir été contestés.

10

CG a, pour sa part, été condamnée, par un arrêt du 30 décembre 2022 du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne) à une peine de huit ans d’emprisonnement pour avoir maltraité physiquement et psychiquement un nourrisson (affaire C‑160/23). Cet arrêt, rendu par une formation composée de trois juges statuant en appel, à savoir JL, KS et MP, est également devenu définitif.

11

Le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie), qui est la juridiction de renvoi, est amené à statuer sur l’exécution des quatre décisions de justice définitives visées aux points 6 à 10 du présent arrêt.

12

Cette juridiction souligne que tant les juges uniques du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie), LM et OP, que les trois juges du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), JL, KS et MP (ci-après, ensemble, les « juges en cause »), ont été nommés par des décisions du président de la République de Pologne sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne), dans sa composition résultant de l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi sur le Conseil national de la magistrature et certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3). Or, il serait constant que cet organe n’est pas indépendant.

13

Il s’ensuivrait qu’une juridiction composée d’un juge nommé sur proposition du Conseil national de la magistrature, dans la composition résultant de la loi visée au point précédent, n’est pas composée de manière régulière et ne saurait être considérée comme étant une juridiction indépendante et impartiale, au sens, notamment, de l’article 47 de la Charte.

14

En outre, la juridiction de renvoi expose, dans sa demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑160/23, que, par plusieurs arrêts, le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a déjà révoqué des arrêts rendus en appel par une formation de jugement du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) dont faisait partie le juge JL, entre autres dans une affaire où il avait siégé avec les juges KS et MP. Le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a alors mis en exergue les circonstances ayant entouré la nomination du juge JL, ses liens avec les pouvoirs politiques ainsi que son activité en tant qu’agent disciplinaire des juges des juridictions ordinaires. Les mêmes considérations vaudraient pour le juge KS. Quant au juge MP, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) a tenu compte de l’irrégularité de sa nomination et de l’exercice de son activité au sein du Conseil national de la magistrature, lequel porterait atteinte à l’indépendance des juridictions et des juges.

15

La juridiction de renvoi considère que le droit polonais, interprété à la lumière du droit de l’Union et de la jurisprudence de la Cour, permet aux juridictions statuant au fond en matière pénale d’examiner une exception tirée du non-respect des exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, laquelle peut être soulevée par l’accusé, par les autres parties au procès et par le juge lui-même. En l’occurrence, toutefois, aucune exception en ce sens n’aurait été soulevée dans le cadre des quatre procédures pénales ayant donné lieu aux décisions de justice définitives faisant l’objet des procédures d’exécution au principal et les juges en cause n’auraient pas examiné le respect de ces exigences.

16

Dans ce contexte, cette juridiction estime qu’il est nécessaire de déterminer si, en vertu du droit de l’Union, le respect desdites exigences peut être vérifié, le cas échéant d’office, à un stade ultérieur, notamment lors d’une procédure d’exécution judiciaire. Ladite juridiction considère que tel doit être le cas.

17

En l’occurrence, la même juridiction devrait ainsi constater l’inexistence des décisions de justice définitives faisant l’objet des procédures d’exécution dont elle est saisie, en raison de l’irrégularité des conditions des nominations des juges en cause. Elle devrait alors mettre fin à ces procédures et la responsabilité pénale de KB, RZ, AN et CG devrait faire l’objet de nouvelles décisions de justice.

18

Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, [TUE], l’article 47 de la Charte [...] ainsi que les principes généraux du droit de l’Union de sécurité juridique, d’irrévocabilité des décisions définitives, de proportionnalité et d’autonomie procédurale doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à toute réglementation nationale qui empêche une juridiction, dans le cadre d’une procédure d’exécution d’un arrêt de condamnation définitif en matière pénale, d’examiner si l’arrêt à exécuter a été rendu par une juridiction qui satisfait aux exigences relatives à un tribunal établi par la loi, indépendant et impartial et, s’il est établi que ces conditions ne sont pas remplies, conformément à la jurisprudence de la Cour [...] jusqu’à ce jour, d’en tirer toutes les conséquences, y compris de laisser inappliqué l’arrêt ainsi rendu et d’interrompre la procédure d’exécution ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, un tel examen dépend-il d’une initiative de la personne condamnée ou d’une autre personne autorisée, ou, à la lumière des principes de droit de l’Union précités, la juridiction, dans le cadre d’une procédure d’exécution d’un arrêt de condamnation définitif, est-elle tenue de procéder d’office à un tel examen ? »

La procédure devant la Cour

Sur la jonction des affaires C‑114/23, C‑115/23, C‑132/23 et C‑160/23

19

Par des décisions du président de la Cour des 4 et 18 avril 2023, les affaires C‑114/23, C‑115/23, C‑132/23 et C‑160/23 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur les demandes d’application de la procédure préjudicielle accélérée

20

La juridiction de renvoi a demandé que les présents renvois préjudiciels soient soumis à la procédure préjudicielle accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de ses demandes, elle a fait valoir que les affaires au principal relèvent du droit pénal, que ces affaires portent sur les droits fondamentaux et qu’il est d’intérêt général que les auteurs d’infractions soient tenus pénalement responsables sans délai.

21

L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

22

Selon une jurisprudence constante, une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire [arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 48 ainsi que jurisprudence citée].

23

En l’occurrence, le président de la Cour a décidé, les 4 et 18 avril 2023, la juge rapporteure et l’avocate générale entendues, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux demandes visées au point 20 du présent arrêt. En effet, la juridiction de renvoi n’a pas avancé de motifs spécifiques relatifs aux circonstances des procédures d’exécution au principal qui auraient nécessité qu’il soit statué dans de brefs délais sur les demandes de décision préjudicielle. En outre, le fait que les affaires au principal relèvent du droit pénal ne justifiait pas, en soi, le traitement accéléré de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 26). Enfin, le simple intérêt des justiciables, certes légitime, à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union n’est pas de nature à établir l’existence d’une circonstance exceptionnelle (arrêt du 28 avril 2022, Phoenix Contact, C‑44/21, EU:C:2022:309, point 16).

Sur la demande de renseignements dans l’affaire C‑160/23

24

À la suite d’une demande de renseignements de la Cour, adressée le 4 avril 2023 à la juridiction de renvoi, celle-ci a notamment fourni des précisions sur son rôle dans les procédures d’exécution. Cette juridiction a exposé que, s’agissant de jugements définitifs rendus dans les affaires pénales par les formations de jugement du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie), elle est compétente pour adopter les mesures prévues par le code d’exécution des peines. Il s’agirait de mesures telles que, premièrement, l’ordre d’exécuter la peine, deuxièmement, l’incarcération du condamné, par l’intermédiaire de la police, dans un établissement pénitentiaire pour qu’il y purge la peine prononcée, troisièmement, l’exécution d’un tel jugement en ce qu’il impose à la personne condamnée de payer des frais de justice au Trésor public, quatrièmement, l’examen, le cas échéant, d’une demande d’ajournement de l’exécution d’une peine privative de liberté et, cinquièmement, l’émission d’un mandat d’arrêt aux fins de la recherche de la personne condamnée en cas de fuite de celle-ci.

Sur la compétence de la Cour

25

Le gouvernement polonais fait valoir, en substance, que les problématiques relatives à l’organisation judiciaire des États membres relèvent de la compétence exclusive de ces derniers et non du champ d’application matériel du droit de l’Union.

26

À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève, certes, de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et qu’il peut en aller de la sorte, notamment, s’agissant de règles nationales relatives à l’adoption de décisions de nomination des juges et, le cas échéant, de règles afférentes au contrôle juridictionnel applicable dans le contexte de telles procédures de nomination [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 57 ainsi que jurisprudence citée].

27

En outre, il ressort clairement des libellés des questions préjudicielles que celles-ci portent sur l’interprétation non pas du droit polonais, mais des dispositions et des principes généraux du droit de l’Union que celles-ci visent.

28

Il s’ensuit que la Cour est compétente pour se prononcer sur les demandes de décision préjudicielle.

Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle

29

La Prokuratura Okręgowa w Warszawie (parquet régional de Varsovie, Pologne) et le gouvernement polonais contestent la recevabilité des présentes demandes de décision préjudicielle au motif, en substance, qu’une réponse aux questions préjudicielles n’est pas nécessaire.

30

Ainsi, le parquet régional de Varsovie allègue, en substance, que l’objet des procédures d’exécution au principal est de faire appliquer une décision de justice définitive rendue dans le cadre d’une procédure pénale et non de trancher un litige pour rendre une décision sur le fond. La juridiction de renvoi, en tant que juge de l’exécution, serait liée par le contenu des décisions de justice définitives exécutoires et ne serait pas compétente pour contrôler leur validité.

31

Pour sa part, le gouvernement polonais soutient, pour l’essentiel, que les questions préjudicielles sont hypothétiques. Les demandes de décision préjudicielle ne feraient apparaître aucune préoccupation particulière relative à l’indépendance des juridictions qui ont rendu les décisions de justice définitives en cause au principal. Les doutes de la juridiction de renvoi porteraient uniquement sur le fait que les juges en cause ont été nommés sur proposition d’un organe dont la moitié des membres a été élue par le pouvoir législatif. Or, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour qu’une telle nomination n’est pas, en elle-même, de nature à établir une violation du droit à un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi.

32

Il y a lieu de relever que la Cour a itérativement souligné que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 62 ainsi que jurisprudence citée].

33

Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 63 ainsi que jurisprudence citée].

34

La Cour a ainsi rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel [arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 64 ainsi que jurisprudence citée].

35

En l’occurrence, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que celle-ci est appelée à statuer dans le cadre d’une procédure d’exécution de décisions de justice définitives de condamnation pénale, qui ne sont plus susceptibles de recours. Selon cette juridiction, la composition des formations de jugement ayant rendu ces décisions aurait pu être contrôlée au cours de la procédure pénale principale, qui est, selon le dossier dont dispose la Cour, distincte de la procédure d’exécution.

36

En revanche, au vu des éléments fournis par la juridiction de renvoi, un tel contrôle paraît exclu au stade de l’exécution desdites décisions. Ainsi, cette juridiction ne fait état d’aucune disposition du droit procédural polonais qui lui conférerait la compétence pour procéder à un examen de la conformité, notamment au droit de l’Union, des mêmes décisions. En outre, selon les explications fournies par ladite juridiction en réponse à la demande de renseignements visée au point 24 du présent arrêt, ses compétences sont, au stade de l’exécution de telles décisions, limitées à l’adoption des mesures prévues par le code d’exécution des peines.

37

Au vu de ces éléments, il n’apparaît pas que la juridiction de renvoi soit compétente, en vertu des règles de droit polonais, pour apprécier la légalité, au regard, notamment, du droit de l’Union, des formations de jugement ayant rendu les jugements et l’arrêt définitifs de condamnation pénale faisant l’objet des procédures d’exécution dont elle est saisie.

38

Ainsi, les questions posées dans les présentes affaires jointes ont intrinsèquement trait à une étape antérieure à ces procédures d’exécution, qui a été définitivement close et qui est distincte desdites procédures d’exécution. Elles ne correspondent donc pas à un besoin inhérent à la solution des affaires au principal, mais visent à obtenir de la Cour une appréciation générale et déconnectée des besoins de ces affaires [voir, par analogie, arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 78 ainsi que jurisprudence citée].

39

Il s’ensuit que ces questions excèdent le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à la Cour en vertu de l’article 267 TFUE [voir, par analogie, arrêt du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 79 ainsi que jurisprudence citée].

40

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que les présentes demandes de décision préjudicielle sont irrecevables.

Sur les dépens

41

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

Les demandes de décision préjudicielle présentées par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), par décisions du 18 février 2023 (C‑114/23 et C‑115/23), du 6 mars 2023 (C‑132/23) et du 14 mars 2023 (C‑160/23), sont irrecevables.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le polonais.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.