Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 6 juin 2024 (1)

Affaire C314/23

Sindicato de Tripulantes Auxiliares de Vuelo de Líneas Aéreas (STAVLA),

Ministerio Fiscal

contre

Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA,

Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO),

Unión General de Trabajadores (UGT),

Unión Sindical Obrera (USO),

Comité de empresa de Air Nostrum Líneas Aéreas del Mediterráneo SA,

Dirección General de Trabajo,

Instituto de las Mujeres,

en présence de

Sindicato Español de Pilotos de Líneas Aéreas (SEPLA),

Sindicato Unión Profesional de Pilotos de Aerolíneas (UPPA)

[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Directive 2006/54/CE  – Article 14 – Interdiction de toute discrimination indirecte fondée sur le sexe – Conventions collectives établissant les différents montants d’indemnités journalières à allouer aux pilotes et aux membres du personnel de cabine en tant qu’allocation pour leur repas pendant les déplacements »






I.      Introduction

1.        Le fait que les membres du personnel de cabine d’une compagnie aérienne reçoivent, pour couvrir les frais de repas exposés lors de déplacements professionnels, une indemnité journalière d’un montant inférieur à celui de l’indemnité reçue par les pilotes peut-il être objectivement justifié, au regard de la directive 2006/54/CE (2), lorsque cette différence découle de l’application de deux conventions collectives ? Cette question est au centre de la présente affaire.

2.        La demande de décision préjudicielle, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54.

3.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant un syndicat représentant les membres du personnel de cabine à une compagnie aérienne, au sujet d’un recours en annulation partielle de la convention collective applicable aux membres du personnel de cabine de cette compagnie.

4.        La présente affaire offre à la Cour une nouvelle occasion de revenir sur des aspects relatifs à l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en matière d’emploi et de travail et, notamment, sur la question de la justification objective d’une mesure qui instaure une inégalité de traitement relative aux conditions de travail lorsque cette inégalité découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées entre l’employeur et des syndicats différents.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        L’article 2 de la directive 2006/54, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;

[...] »

6.        L’article 14 de cette directive, intitulé « Interdiction de toute discrimination », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[...]

c)      les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article 141 du traité ;

[...] »

B.      Le droit espagnol

7.        Le Real Decreto Legislativo 2/2015 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif no 2/2015, portant approbation du texte de refonte de la loi portant statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (3) (ci-après la « loi sur le statut des travailleurs »), dispose, à son article 3, intitulé « Sources du rapport de travail » :

« 1.      Les droits et obligations concernant la relation de travail sont réglementés :

a)      par les dispositions légales et réglementaires de l’État ;

b)      par les conventions collectives ;

[...] »

8.        L’article 4, paragraphe 2, sous c), de cette loi prévoit :

« Dans la relation de travail, les travailleurs ont le droit :

[...]

c)      en matière de recrutement ou, une fois recrutés, de ne pas être soumis à des discriminations directes ou indirectes fondées sur le sexe [...]. »

9.        L’article 17, paragraphe 1, de ladite loi, est rédigé comme suit :

« Sont réputés nuls et de nul effet les dispositions réglementaires, les clauses des conventions collectives, les accords individuels et les décisions unilatérales de l’employeur qui créent directement ou indirectement, en matière d’emploi, de rémunération, de temps de travail et autres conditions de travail, [...] des discriminations fondées sur le sexe [...] »

10.      Selon l’article 26, paragraphe 2, de la même loi :

« Sont exclues de la notion de salaires les sommes perçues par le travailleur à titre d’indemnités ou de remboursement des frais qu’il a exposés à l’occasion de son activité professionnelle, les prestations et indemnités de la sécurité sociale et les indemnités correspondant à des transferts, suspensions ou licenciements. »

11.      Aux termes de l’article 87 de la loi sur le statut des travailleurs :

« 1.      Sont habilités à négocier les conventions collectives d’entreprise ou de niveau inférieur, en représentation des travailleurs, le comité d’entreprise, le cas échéant les délégués du personnel, ou les sections syndicales si elles représentent ensemble la majorité des membres du comité.

Les négociations sont menées par les sections syndicales si celles-ci en ont convenu ainsi, à condition qu’elles représentent la majorité des membres dans le comité d’entreprise ou parmi les délégués du personnel.

[...]

Dans le cas des conventions destinées à un groupe de travailleurs ayant un profil professionnel spécifique, sont habilitées à négocier les sections syndicales ayant été désignées par la majorité de leurs représentants au moyen d’un vote personnel, libre, direct et secret. »

12.      Le IV Convenio colectivo de Air Nostrum (personal de tierra y TCP’S [(4)]) [quatrième convention collective de Air Nostrum (personnel au sol et personnel navigant commercial)], enregistré et publié par la Resolución de la Dirección General de Trabajo (résolution de la Direction général du travail), du 18 décembre 2018 (5), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention PNC »), signé par la direction de l’entreprise et par les syndicats Unión general de trabajadores [Union générale des travailleurs (UGT)], Comisiones obreras [Commissions ouvrières (CCOO)] et Unión Sindical Obrera [Union syndicale ouvrière (USO)], régit, à ses articles 59 à 93, les conditions de travail du personnel navigant commercial (ci-après le « PNC »).

13.      L’article 93, intitulé « Indemnités journalières », de la convention PNC définit la notion d’« indemnités journalières » comme le « montant qui indemnise le [PNC] pour les frais qui découlent de ses déplacements, qui font partie intégrante du contenu de sa prestation de services ». Selon cet article, « [i]l est expressément convenu que ce système d’indemnités journalières dispense l’entreprise de prendre en charge les frais de subsistance lors des déplacements ».

14.      Le Convenio Colectivo de Air Nostrum (pilotos) [convention collective d’Air Nostrum (pilotes)], enregistré et publié par la Resolución de la Dirección General de Trabajo (résolution de la Direction générale du travail), du 10 mars 2020 (6), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention PNT »), signé par la direction de l’entreprise et les sections syndicales des syndicats Sindicato Español de Pilotos de Líneas Aéreas [syndicat espagnol des pilotes de ligne (ci-après le « SEPLA ») et du Sindicato Unión Profesional de Pilotos de Aerolíneas (UPPA), régit les relations de travail des pilotes (personnel navigant technique, ci-après le « PNT »].

15.      L’article 16.19 de la convention PNT, intitulé « Indemnités journalières », dispose que l’« indemnité journalière est le montant perçu par le pilote pour couvrir les frais engagés lors de ses déplacements pour les besoins de l’entreprise ou lors de ses séjours hors de sa base. Elle n’inclut ni l’hébergement ni le transport. » Cet article prévoit qu’il est expressément convenu que ce système d’indemnités journalières libère la compagnie de la prise en charge de tout type de repas.

III. Les faits du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

16.      Les relations de travail entre Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA (ci-après « Air Nostrum ») et son PNC sont régies par la convention PNC, et les relations de travail entre Air Nostrum et son PNT sont régies par la convention PNT. L’article 93 de la convention PNC et l’article 16.19 de la convention PNT régissent les indemnités journalières couvrant, notamment, les frais exposés, respectivement, par le PNC et le PNT lors des déplacements effectués dans le cadre de leur prestation de services (ci-après les « indemnités journalières »).

17.      Le 8 novembre 2022, le Sindicato de Tripulantes Auxiliares de Vuelo de Líneas Aéreas (Syndicat des agents de bord des compagnies aériennes, ci-après le « STAVLA »), un syndicat représentant le PNC, a introduit devant la juridiction de renvoi un recours visant à protéger les droits fondamentaux au moyen de la modalité procédurale de contestation de la convention collective (« procedimiento de impugnación de convenio colectivo ») et tendant, notamment, à l’annulation de l’article 93 et de l’annexe I de la convention PNC dans la mesure où cet article fixe le montant des indemnités journalières. Selon ce syndicat, dès lors que, comme l’indique la juridiction de renvoi, les femmes représentent 94 % du PNC et les hommes 93,71 % du PNT, le fait que le montant des indemnités journalières prévu par la convention PNC soit significativement inférieur à celui prévu par la convention PNT pour faire face à la même situation constitue une discrimination indirecte fondée sur le sexe dans les conditions de travail, interdite par l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54.

18.      La juridiction de renvoi précise que les sommes versées au titre des indemnités journalières ne sont pas considérées comme des salaires, ni du point de vue du droit du travail espagnol, étant donné qu’elles sont expressément exclues de la notion de « salaire » visée à l’article 26, paragraphe 2, de la loi sur le statut des travailleurs, ni du point de vue du droit de l’Union, conformément à l’article 157 TFUE et à l’article 2, paragraphe 1, sous e), de la directive 2006/54. Cette juridiction fait valoir que, ces indemnités ne rémunérant pas un travail spécifique calculé par unité de temps ou par unité de travail, la valeur différente du travail effectué par le PNT et par le PNC ne saurait constituer une circonstance justifiant une inégalité de traitement en ce qui concerne le montant de ces indemnités. De telles indemnités, versées pour couvrir les frais engagés lors des déplacements, tels que les repas quotidiens hors du lieu de résidence habituel, relèveraient dès lors des conditions de travail.

19.      Selon cette juridiction, il en résulte que, au sein d’Air Nostrum, un groupe de travailleurs majoritairement composé de femmes reçoit, en compensation des frais, notamment de nourriture, engagés lors de leurs déplacements, un montant significativement inférieur à celui reçu au même titre par un autre groupe de travailleurs, majoritairement composé d’hommes, pour couvrir les mêmes frais.

20.      La juridiction de renvoi considère qu’une discrimination indirecte fondée sur le sexe existerait si des indemnités journalières différentes avaient été établies dans la même convention collective (7). En revanche, elle nourrit des doutes sur l’existence d’une telle discrimination en l’espèce dans la mesure où la différence de traitement tient au fait que l’entreprise applique deux conventions collectives différentes négociées avec des représentants syndicaux différents. Il y aurait alors lieu de supposer que, dans chaque processus de négociation, chaque représentation syndicale aurait privilégié, face à l’entreprise, certaines réclamations par rapport à d’autres.

21.      En outre, la juridiction de renvoi souligne que, lorsque Air Nostrum a négocié la convention PNT, la convention PNC avait déjà été signée et qu’Air Nostrum connaissait donc les montants fixés pour les indemnités journalières du PNC.

22.      C’est dans ces conditions que l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a, par décision du 17 mars 2023, parvenue à la Cour le 22 mai 2023, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le fait que [Air Nostrum] indemnise, pour un groupe tel que le [PNC], qui est majoritairement composé de femmes, les frais que ce personnel doit engager dans le cadre de ses déplacements, autres que ceux liés au transport et à l’hébergement, avec un montant inférieur à celui qui est perçu au même titre par un autre groupe d’employés qui est majoritairement composé d’hommes, tels que les pilotes, constitue-t-il une discrimination indirecte fondée sur le sexe dans les conditions de travail, contraire au droit de l’[Union] et interdite par l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54, lorsque cette différence de traitement est motivée par le fait qu’une convention collective différente s’applique à chaque groupe, chacune de ces conventions ayant été négociée par la même entreprise mais avec des représentants syndicaux différents, conformément à l’article 87 [de la loi sur le statut des travailleurs] ? »

23.      Des observations écrites ont été déposées par le Ministerio Fiscal (ministère public, Espagne), le SEPLA, les gouvernements espagnol, danois et suédois ainsi que la Commission européenne.

24.      Il ressort du dossier dont dispose la Cour que, le 21 septembre 2023, le STAVLA s’est désisté de son recours. Si les autres parties au principal ne se sont pas opposées au désistement et à la radiation de l’affaire, le ministère public a en revanche estimé que le recours devait être maintenu (8).

25.      Par ordonnance du 26 octobre 2023, la juridiction de renvoi, tout en prenant acte du désistement du STAVLA, a maintenu sa demande de décision préjudicielle, le ministère public étant considéré comme la partie requérante remplaçant le STAVLA.

26.      Le ministère public, Air Nostrum, l’UGT, le SEPLA, les gouvernements espagnol, danois et suédois ainsi que la Commission ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 19 mars 2024.

IV.    Analyse

27.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique en vertu de laquelle une compagnie aérienne verse au PNC, majoritairement composé de femmes, une indemnité journalière, pour couvrir les frais de repas exposés lors de ses déplacements professionnels, d’un montant inférieur à celui de l’indemnité qui est versée au même titre au PNT, majoritairement composé d’hommes, lorsque cette inégalité de traitement découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées entre l’employeur et des syndicats différents.

28.      À cet égard, les parties au principal sont partagées sur le point de savoir s’il existe une discrimination fondée sur le sexe au détriment du PNC. Air Nostrum et le SEPLA ainsi que les gouvernements danois et suédois ne réfutent pas l’existence d’une telle discrimination mais la considèrent justifiée par l’autonomie des partenaires sociaux de négocier et de conclure les conventions collectives s’appliquant aux travailleurs qu’ils représentent. Ainsi, une convention collective devrait être appliquée sans prendre en considération d’autres conventions collectives que le même employeur pourrait avoir conclu avec les représentants syndicaux d’autres groupes de travailleurs.

29.      En revanche, l’UGT considère qu’il existe une discrimination indirecte dans la mesure où la différence de traitement en cause ne peut pas être objectivement justifiée en se fondant sur le droit à la négociation collective. Il précise que le fait que la différence de traitement découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées entre l’employeur et des syndicats différents n’a aucune incidence sur l’absence de justification au regard des dispositions de la directive 2006/54. Le ministère public soutient que la convention PNC comporte une discrimination indirecte relative aux conditions de travail au sein d’une même entreprise qui ne saurait être admise, indépendamment de la source de cette discrimination, dans la mesure où l’exercice du droit à la négociation collective ne saurait être considéré comme un critère de justification objective. En effet, le droit à la négociation collective relève du droit de l’Union et doit être exercé conformément à celui-ci. Le gouvernement espagnol et la Commission font valoir qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la discrimination en cause est justifiée. Cela étant, à ces fins, la simple circonstance que cette discrimination découle de deux conventions collectives ne saurait suffire pour justifier la différence de traitement en cause au regard des dispositions de la directive 2006/54.

30.      Dans ce contexte, afin d’être en mesure de proposer une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu, tout d’abord, d’apprécier si les indemnités journalières en cause au principal prévues par la convention PNC relèvent du champ d’application de la directive 2006/54 (section B) et, ensuite, d’examiner si le versement de ces indemnités est susceptible de comporter une discrimination fondée sur le sexe, interdite par cette directive (section C). Avant de procéder à cette analyse, j’estime nécessaire de présenter brièvement quelques remarques liminaires sur le cadre du droit primaire et dérivé relatif aux principes d’égalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination dans lequel s’inscrit le présent litige (section A).

A.      Remarques liminaires

31.      Je relève d’emblée que l’Union européenne est fondée sur un ensemble de valeurs contenues à l’article 2 TUE. Ces valeurs, dont le « respect de l’égalité » fait partie intégrante aux côtés de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’État de droit et du respect des droits de l’homme, « constituent le cœur de l’identité de l’Union » (9). Selon cette disposition, ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la non-discrimination et l’égalité entre les femmes et les hommes. L’article 3, paragraphe 3, deuxième alinéa, TUE dispose que l’Union combat, dans le cadre de l’établissement du marché intérieur, les discriminations et promeut l’égalité entre les femmes et les hommes. En outre, l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») prévoit l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe, cette disposition constituant une expression particulière du principe général d’égalité de traitement reconnu à l’article 20 de la Charte (10). L’égalité entre les hommes et les femmes est également consacrée à l’article 23 de la Charte.

32.      S’agissant de la directive 2006/54, son considérant 2 énonce que « l’égalité entre les hommes et les femmes constitue [à la fois] une “mission” et un objectif de [l’Union] ». Ce considérant rappelle également le statut de « principe fondamental du droit [de l’Union] » d’une telle égalité en vertu de l’article 2, et de l’article 3, paragraphe 2, TFUE (11). En outre, cette directive a été adoptée sur le fondement de l’article 141, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 157, paragraphe 3, TFUE). Selon son considérant 4, ladite directive fournit « une base juridique spécifique pour l’adoption de mesures [...] visant à garantir l’application du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ». Ainsi, la directive 2006/54 vise, en vertu de son article 1er, à garantir la mise en œuvre de ce principe en matière d’emploi et de travail. Conformément à cet objectif, l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54 interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail.

33.      Tel est donc le cadre dans lequel s’insère, de façon générale, la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi.

B.      Sur l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe, prohibée par la directive 2006/54

34.      Le point de départ de mon analyse concerne la question de savoir si le versement des indemnités journalières en cause au principal entrent dans le champ d’application de la directive 2006/54.

35.      À cet égard, la juridiction de renvoi indique que ces indemnités journalières, dans la mesure où elles constituent une compensation versée par la compagnie aérienne à ses employés pour couvrir les frais engagés lors de leurs déplacements professionnels, tels que, essentiellement, les repas quotidiens hors du lieu de résidence habituel, relèvent des « conditions de travail » (12).

36.      Par conséquent, il ne fait guère de doute que les indemnités journalières en cause au principal relèvent du champ d’application matériel de la directive 2006/54 en ce que celle-ci vise, à son article 1er, deuxième alinéa, sous b), à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les « conditions de travail ». Partant, je considère que cette directive est applicable à la présente affaire.

37.      S’agissant de l’examen de l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe, je rappelle d’emblée qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, compte tenu des circonstances factuelles de l’espèce, si le versement des indemnités journalières en cause au principal instaure une discrimination indirecte fondée sur le sexe, interdite par la directive 2006/54.

38.      Selon l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, une discrimination indirecte est définie comme la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires (13). Il résulte de cette définition qu’une discrimination indirecte, au sens de la directive 2006/54, est établie lorsque les trois conditions qui y sont énoncées sont réunies.

39.      Par conséquent, pour apprécier l’existence d’une discrimination indirecte interdite par la directive 2006/54, il convient de suivre la structure normative de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive et de procéder à une analyse en trois temps. À cette fin, j’aborderai, tout d’abord, la question de savoir si la mesure en cause est d’apparence neutre (section 1) (14). J’examinerai, ensuite, si cette mesure entraîne un désavantage particulier envers les personnes d’un sexe par rapport à celles de l’autre sexe (section 2). Enfin, j’évaluerai si un tel désavantage particulier est justifié par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (section 3).

1.      La pratique en cause au principal est-elle d’apparence neutre ?

40.      Je rappelle d’emblée que, contrairement à la discrimination directe, la discrimination indirecte se caractérise non pas par l’apparence (ou l’intention de l’auteur) d’une mesure nationale mais par l’éventuel effet préjudiciable de celle-ci. Par conséquent, de manière générale, il s’agit de savoir si une mesure ou une pratique donnée, neutre uniquement en apparence, est susceptible d’avoir un « effet préjudiciable ou indésirable » sur des personnes d’un sexe par rapport à celles de l’autre sexe (15). Autrement dit, une telle mesure ou pratique n’est pas directement fondée sur un motif de discrimination interdit puisque l’élément déterminant aux fins de l’analyse d’une discrimination indirecte est la disparité entre les deux groupes (16).

41.      En l’occurrence, il ressort clairement de la décision de renvoi que le versement des indemnités journalières en cause au principal ne constitue pas une discrimination directement fondée sur le sexe, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/54, dès lors que les dispositions des conventions collectives qui prévoient ces indemnités (ou le montant des indemnités donnant lieu à une différence de traitement) sont formellement neutres. En effet, lesdites indemnités sont versées par la compagnie aérienne indistinctement aux travailleurs masculins et aux travailleurs féminins concernés (17).

42.      Ainsi, la juridiction de renvoi tend à considérer que le versement des indemnités journalières en cause au principal comporte une discrimination indirecte, interdite par l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54. À cet égard, cette juridiction relève qu’une telle pratique apparemment neutre établit une différence de traitement entre le PNC et le PNT, et, par conséquent, entre les femmes et les hommes.

2.      La pratique en cause au principal entraîne-t-elle un désavantage particulier envers les personnes d’un sexe par rapport à celles de l’autre sexe ?

43.      La spécificité de la présente affaire tient au fait que la différence de traitement qui résulte du versement par l’employeur des indemnités journalières découle de l’application des dispositions respectives des conventions PNC et PNT. Selon la juridiction de renvoi, le montant des frais de repas en cas de déplacement professionnel versé au PNC, majoritairement composé de femmes, est inférieur à celui versé au même titre au PNT, majoritairement composé d’hommes. Selon cette juridiction, une telle pratique apparemment neutre donnant lieu à une différence de traitement du fait de l’application de ces conventions est susceptible d’entraîner un désavantage au détriment du PNC.

44.      Avant d’analyser si la pratique en cause au principal est susceptible d’entraîner un tel désavantage comparatif, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, il me semble utile de formuler les considérations suivantes.

a)      Considérations générales sur l’examen de la comparaison

45.      S’agissant du principe d’égalité de traitement, la Cour a déclaré qu’une discrimination « consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou dans l’application de la même règle à des situations différentes » (18). Comme le relèvent les auteurs de la doctrine, les définitions fondées sur la jurisprudence de la Cour concernant, notamment, les discriminations directe et indirecte restent toujours essentielles dans des domaines dans lesquels le législateur de l’Union n’a pas défini ces notions. Dans ce contexte, aux fins des objectifs du droit social de l’Union, la notion de « discrimination indirecte » est avant tout liée au traitement différent de situations comparables (19).

46.      En ce qui concerne les domaines dans lesquels le législateur de l’Union a procédé à une codification des notions des différentes formes de discrimination développées par la Cour dans sa jurisprudence (20), il appartient à la juridiction nationale, qui est seule compétente pour apprécier les faits du litige dont elle est saisie et pour interpréter la législation nationale applicable, de déterminer concrètement, dans le contexte de ces notions et de cette jurisprudence, si l’on est en présence de la discrimination alléguée ou, le cas échéant, d’une autre forme de discrimination (21).

47.      Ainsi que je l’ai déjà exposé, une discrimination directe ou indirecte, au sens de la directive 2006/54, n’est établie que lorsque les conditions prévues par les dispositions respectives sont réunies. En particulier, en ce qui concerne l’appréciation, dans le cadre de la notion de « discrimination directe » [article 2, paragraphe 1, sous a)], de la condition relative à la « comparabilité de situations » et, dans le cadre de la discrimination indirecte [article 2, paragraphe 1, sous b)], à celle relative au « désavantage  particulier des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe », il me semble important de rappeler que l’examen de la comparaison diffère selon le type de discrimination en question et, partant, de la structure normative de la disposition dans laquelle cette condition s’insère (22).

48.      À cet égard, la définition de « discrimination directe », figurant à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/54, mentionne expressément l’exigence relative à la comparabilité de situations (« dans une situation comparable ») (23). Ainsi, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que l’existence de cette discrimination présuppose que les situations mises en balance soient comparables (24).

49.      En revanche, la définition de « discrimination indirecte », prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, ne mentionne pas l’exigence relative à la comparabilité de situations. En effet, les termes « des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe », figurant dans cette seconde disposition, se réfèrent tout simplement au désavantage particulier qui résulte de la disposition, du critère ou de la pratique apparemment neutre envers un groupe de personnes par rapport à un autre groupe de personnes plutôt qu’à une quelconque comparabilité des situations (25). L’examen de la comparaison, bien qu’essentiel dans les deux cas, n’est donc pas exactement le même dans le cas d’une discrimination directe et dans celui d’une discrimination indirecte, telles que définies à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de cette directive (26).

50.      S’agissant de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, les auteurs de la doctrine relèvent que « le constat de l’existence d’une discrimination indirecte ne requiert pas la comparabilité des situations respectives de ceux qui bénéficient d’un traitement avantageux et de ceux qui subissent un traitement désavantageux » (27). En d’autres termes, il ne ressort pas de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive que la comparaison doit se faire uniquement avec des travailleurs se trouvant dans une situation identique ou similaire (par exemple, uniquement les travailleurs à temps partiel) (28). Les groupes comparés doivent plutôt inclure l’ensemble des travailleurs qui sont touchés par la mesure, à savoir la disposition, le critère ou la pratique contestés (par exemple, les travailleurs à temps partiel avec les travailleurs à temps complet)  (29). En effet, dans la mesure où les différences concernant la situation du groupe particulièrement désavantagé sont considérées comme n’étant pas importantes au regard du critère de comparaison appliqué (lequel permet d’établir l’existence de la différence contestée), la question se pose uniquement de savoir si, bien qu’il existe un désavantage comparatif au détriment de l’un des deux groupes, la distinction entre ces groupes est appropriée et nécessaire pour atteindre un but légitime.

51.      Ainsi, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, pour établir l’existence d’une discrimination indirecte, il convient d’identifier un désavantage particulier, le critère de comparaison, notamment un certain nombre de groupes comparés, à savoir de groupes de travailleurs touchés par la mesure, et une absence de justification objective. Les auteurs de la doctrine soulignent notamment que, dans le cadre de l’interprétation des directives sur l’égalité de traitement, la Cour a, dans sa jurisprudence en matière de discrimination indirecte, souvent examiné la question de la comparaison dans le contexte de l’examen de la justification objective (30).

52.      Cela étant posé, et en ayant à l’esprit les éléments que je viens de développer, je vais maintenant examiner l’argument d’Air Nostrum et du SEPLA tiré de la prétendue absence de pertinence de l’identification du PNT en tant que groupe de référence aux fins de la comparaison en vue d’établir si le groupe désavantagé, à savoir le PNC, fait l’objet d’une discrimination indirecte. En effet, dans la mesure où, du point de vue conceptuel, l’identification du groupe de référence pour la comparaison précède l’analyse de la justification objective, je vais, par souci de clarté, aborder ce point avant de me pencher sur l’examen concret du désavantage particulier qu’entraîne la pratique en cause pour le PNC par rapport au PNT (31).

b)      Sur la prétendue absence de pertinence de l’identification du PNT en tant que groupe de référence aux fins de la comparaison dans le contexte de la discrimination indirecte alléguée

53.      Il ressort de la décision de renvoi que, dans la procédure au principal, Air Nostrum et le SEPLA ont fait valoir dans leurs observations écrites et orales que la situation du PNC « n’est pas comparable » à celle du PNT dans la mesure où les indemnités journalières en cause devraient être considérées comme une « rémunération » et où le principe d’égalité de rémunération s’applique uniquement lorsque ces deux groupes de travailleurs effectuent un travail identique ou de la même valeur, ce qui ne serait pas le cas du PNC et du PNT.

54.      Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Il tend à confondre, d’une part, la « comparabilité des situations » propre à l’examen de la discrimination directe avec l’identification du groupe de référence qui s’applique aux fins de la comparaison pour déterminer le désavantage particulier dans le contexte de la discrimination indirecte, au sens de la directive 2006/54 (32), et, d’autre part, la question de l’inégalité de traitement en matière de rémunération avec celle de l’inégalité de traitement en matière de conditions de travail, au sens de cette directive. En d’autres termes, ces parties cherchent dans les faits à redéfinir le but poursuivi par la comparaison, qui concerne les indemnités journalières relevant des conditions de travail, pour en faire une question d’égalité de rémunération (33).

55.      S’agissant, en premier lieu, de l’inégalité de traitement en matière de « conditions de travail », la juridiction de renvoi explique que les sommes versées au titre des indemnités journalières ne peuvent pas être considérées comme une « rémunération » dès lors qu’elles sont expressément exclues de la notion de « salaire » à l’article 26, paragraphe 2, de la loi sur le statut des travailleurs. En effet, selon cette juridiction, ces indemnités ne varient pas en fonction de la valeur du travail des travailleurs concernés mais, comme je l’ai déjà exposé (34), relèvent des « conditions de travail », au sens de la directive 2006/54, dans la mesure où elles sont versées uniquement pour couvrir les frais engagés lors des déplacements professionnels, tels que, essentiellement, les repas quotidiens hors du lieu de résidence habituel.

56.      Le gouvernement espagnol, le ministère public et la Commission partagent ce point de vue dans leurs observations écrites et orales en soutenant que les indemnités journalières en cause ne sont pas de nature salariale. En effet, selon eux, ces indemnités ne rémunèrent pas un travail spécifique calculé en unité de temps ou de travail, mais relèvent de la notion d’« extra salarial » et, partant, relèvent des conditions de travail du PNC et du PNT lors des leurs déplacements professionnels. Lors de l’audience, UGT a défendu le même point de vue. Ainsi que l’observe la Commission, lesdites indemnités  ne dépendent pas de l’expérience d’un pilote ou d’un membre du PNC (35). Il semble donc que, lors d’un vol de la compagnie aérienne concernée, d’une part, un commandant de bord perçoit la même indemnité journalière qu’un copilote et, d’autre part, un chef de cabine perçoit la même indemnité journalière qu’un membre du PNC, alors qu’ils ne perçoivent très probablement pas le même salaire.

57.      En ce qui concerne, en second lieu, l’identification du critère de comparaison, à savoir le groupe de référence aux fins de la comparaison, au sens de la directive 2006/54, j’ai déjà exposé que, dans le contexte de la discrimination directe, il y a lieu de comparer des situations similaires tandis que, dans le contexte de la discrimination indirecte, il convient d’identifier le désavantage comparatif de l’un des deux groupes de personnes affectées par la mesure (36). En effet, la discrimination indirecte fondée sur le sexe concerne essentiellement l’incidence d’une mesure sur différents groupes de personnes. Il s’agit donc de déterminer si cette mesure est susceptible de défavoriser ou de favoriser le groupe appartenant à un sexe par rapport à l’autre et d’établir ainsi un désavantage comparatif pour l’un d’eux (37).

58.      En l’occurrence, pour établir l’existence d’un traitement différent dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi retient le versement d’indemnités journalières opéré par l’employeur, en désignant ainsi comme critère de comparaison pertinent (la tertium comparationis) les groupes de personnes bénéficiant du versement des indemnités qui donnent lieu à la différence à justifier. Cette juridiction met ainsi en évidence le groupe de travailleurs désavantagé (le PNC) qui, dans une situation de déplacement professionnel, fait l’objet d’un traitement différent par rapport à un autre groupe (le PNT) en matière de conditions de travail, au sens de la directive 2006/54 (38).

59.      Il s’ensuit, à mon avis, que le montant des indemnités journalières en cause au principal retenu par la juridiction de renvoi est l’élément de comparaison valable mettant en évidence le désavantage particulier du PNC par rapport au PNT dans une situation de déplacement professionnel. En outre, je relève que l’identification du désavantage comparatif doit être effectué non pas de manière abstraite mais uniquement par rapport à la disposition, le critère ou la pratique concernés qui entraînent un tel désavantage particulier (39). Autrement dit, il y a lieu de tenir compte de l’objectif général de la mesure en question.

60.      En l’occurrence, afin de déterminer le désavantage comparatif du PNC par rapport au PNT, il convient d’examiner quel est l’objectif du versement des indemnités journalières en cause au principal. À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que cet objectif est identique pour les deux groupes de travailleurs concernés, à savoir la compensation par l’employeur des frais de repas que ces travailleurs doivent engager dans le cadre de leurs déplacements professionnels, autres que ceux liés au transport et à l’hébergement. Cela a été confirmé lors de l’audience par le ministère public et la Commission.

61.      Partant, du point de vue de son objectif, le versement des indemnités journalières permet d’identifier l’existence d’un désavantage particulier d’un groupe de personnes majoritairement féminin (le PNC) par rapport à un autre groupe de personnes majoritairement masculin (le PNT), en tant que critère de comparaison valable.

c)      Sur l’existence d’un désavantage particulier pour les personnes d’un sexe par rapport à celles de l’autre sexe

62.      Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un désavantage particulier pourrait être établie, notamment, s’il était prouvé qu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte négativement une proportion significativement plus importante des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe. Il revient au juge national d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire au principal (40).

63.      À cet égard, la Cour reconnaît depuis longtemps l’utilité des statistiques dans le cadre de l’analyse de l’existence ou non d’une discrimination indirecte (41). Dans ce contexte, les données statistiques jouent un rôle fondamental dans la constatation de l’existence d’un désavantage en fait pour les personnes d’un sexe par rapport à celles de l’autre sexe. Toutefois, il revient au juge national d’apprécier la fiabilité de ces données et si elles peuvent être prises en compte (42). Si celui-ci considère qu’un pourcentage plus élevé de femmes que d’hommes est concerné par le versement des indemnités journalières en cause au principal, ce versement constituerait une inégalité de traitement interdite par l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54.

64.      Pour apprécier ces données, je rappelle que la Cour a jugé qu’il appartient au juge national, d’une part, de prendre en considération l’ensemble des travailleurs soumis à la réglementation nationale dans laquelle la différence de traitement trouve sa source (43) et, d’autre part, de comparer les proportions respectives des travailleurs qui sont et qui ne sont pas affectées par la prétendue différence de traitement au sein de la main-d’œuvre masculine relevant du champ d’application de cette réglementation et les mêmes proportions au sein de la main-d’œuvre féminine en relevant (44).

65.      En l’occurrence, ainsi que je l’ai indiqué, selon les données statistiques dont dispose la juridiction de renvoi, les femmes représentent 94 % du PNC (6 % étant des hommes) et les hommes 93,71 % du PNT (6,29 % étant des femmes). Or le montant des indemnités journalières prévu par la convention PNC est significativement inférieur à celui prévu par la convention PNT dans la même situation de déplacement professionnel (45). Il résulterait donc de ces données que la proportion des travailleurs salariés de sexe féminin affectés par la différence de traitement découlant du versement des indemnités journalières en cause au principal est significativement plus élevée que celle des travailleurs de sexe masculin.

66.      Par conséquent, je suis d’avis que si la juridiction de renvoi, sur la base des données statistiques que je viens d’examiner et, le cas échéant, d’autres éléments pertinents, parvenait à la conclusion que la pratique en cause au principal désavantage particulièrement le PNC composé majoritairement de femmes, il y aurait lieu de considérer que cette pratique est contraire à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54, à moins qu’elle ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (46).

3.      Dans quelle mesure la pratique prétendument discriminatoire est-elle objectivement justifiée ?

67.      Je rappelle d’emblée que la directive 2006/54 opère une distinction entre les discriminations directement et indirectement fondées sur le sexe en ce sens que les premières ne peuvent pas être justifiées par un but légitime (47). En revanche, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette directive, les dispositions, critères ou pratiques susceptibles de constituer des discriminations indirectes peuvent échapper à la qualification de « discrimination » à condition d’être « objectivement justifié[s] par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ».

a)      Sur la légitimité de l’objectif invoqué pour justifier la pratique en cause au principal 

68.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, s’il appartient en dernier lieu au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure la pratique concernée est justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, la Cour, appelée à fournir à celui-ci des réponses utiles dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer (48).

69.      Il ressort également de la jurisprudence que, dans le cadre d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe en matière de conditions de travail, l’employeur doit prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de non-discrimination en fournissant une justification objective concernant la différence de traitement au détriment du groupe de travailleurs désavantagé (49).

70.      Dans leurs observations écrites et orales, Air Nostrum, le SEPLA, ainsi que les gouvernements danois et suédois ont fait valoir que la différence de traitement à l’égard du PNC est objectivement justifiée par l’autonomie des partenaires sociaux en ce qui concerne la négociation et la conclusion des conventions collectives s’appliquant aux travailleurs qu’ils représentent. L’UGT, le ministère public, le gouvernement espagnol et la Commission ne partagent pas cette approche (50).

71.      Dans ce contexte, se pose la question de savoir si l’autonomie des partenaires sociaux peut constituer, à elle seule, un motif suffisant aux fins de la justification objective d’une différence de traitement, telle que celle examinée dans l’affaire au principal (titre 1) ou si, au contraire, les différences concernant le montant des indemnités journalières de deux groupes de travailleurs doivent être justifiées par d’autres facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (titre 2).

1)      Sur l’autonomie des partenaires sociaux comme motif suffisant aux fins de la justification objective

72.      J’examinerai la justification objective tirée de l’autonomie des partenaires sociaux dans le contexte d’une négociation collective unique avant d’examiner la justification tirée des négociations collectives distinctes.

i)      Sur la justification objective tirée de l’autonomie des partenaires sociaux dans le contexte d’une négociation collective unique

73.      Je relève d’emblée que l’autonomie de la négociation collective jouit d’une reconnaissance particulière dans les traditions juridiques et les pratiques nationales des États membres, constituant ainsi la notion clé pour la compréhension de l’évolution du droit européen du travail, autour duquel se construisent les règles des systèmes démocratiques de représentation et se fixent les limites de la loi face à la liberté syndicale (51).

74.      Dans le cadre du droit de l’Union, la protection de l’autonomie de la négociation collective est inscrite à l’article 28 de la Charte, qui consacre le droit fondamental à la négociation collective, auquel renvoie l’article 6 TUE à travers la reconnaissance générale des droits, libertés et principes énoncés par la Charte (52). Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la nature des mesures adoptées par voie de convention collective est différente de la nature des mesures adoptées unilatéralement par voie législative ou réglementaire par les États membres en ce que les partenaires sociaux, en exerçant ce droit fondamental, ont eu soin de définir un équilibre entre leurs intérêts respectifs (53). L’importance de la fonction de la négociation collective, garantie aujourd’hui par la Charte, est donc indéniable (54).

75.      Il ressort de cette même jurisprudence que lorsque le droit à la négociation collective consacré à l’article 28 de la Charte relève des dispositions du droit de l’Union, il doit, dans le champ d’application dudit droit, être exercé conformément à celui-ci (55). Dès lors, lorsqu’ils adoptent des mesures entrant dans le champ d’application de la directive 2006/54 (qui, ainsi que je l’ai déjà indiqué dans mes remarques liminaires, concrétise, dans le domaine de l’emploi et du travail, le principe de non-discrimination en fonction du sexe), les partenaires sociaux doivent agir dans le respect de cette directive (56). En effet, depuis l’arrêt Defrenne (57), il ressort d’une jurisprudence abondante que la prohibition de la discrimination entre les travailleurs de sexe masculin et ceux de sexe féminin s’étend à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié (58).

76.      Plus précisément, il ressort clairement de l’article 21, paragraphe 2, de la directive 2006/54 que les accords conclus par les partenaires sociaux doivent respecter « les dispositions de [cette] directive et les mesures nationales d’exécution ». De même, en vertu de l’article 23, premier alinéa, sous b), de ladite directive, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour que « soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent [...] dans les conventions collectives ». À cet égard, la Cour a jugé à plusieurs reprises que les conventions collectives doivent, tout comme les dispositions législatives, réglementaires ou administratives, respecter le principe d’égalité de traitement (59).

77.      Il en résulte, à mon sens, que, dans le contexte de la directive 2006/54, l’autonomie des partenaires sociaux ne suffit pas, à elle seule, à justifier de manière objective une différence de traitement telle que celle en cause en l’espèce.

78.      En outre, la Cour a déjà jugé que le fait que le droit de l’Union s’oppose à une mesure qui figure dans une convention collective ne porte pas atteinte au droit de négocier et de conclure des conventions collectives reconnu à l’article 28 de la Charte (60) puisque les parties concernées sont libres de procéder à la révision des dispositions pertinentes de ces conventions. Ainsi, contrairement à ce qu’ont soutenu Air Nostrum et le SEPLA, une telle révision impliquerait la renégociation non pas de l’ensemble de la convention collective en cause mais uniquement des dispositions pertinentes relatives aux indemnités journalières permettant de maintenir l’équilibre négocié entre les parties.

79.      Cela étant dit, et dans la mesure où la jurisprudence que je viens d’examiner concerne des discriminations qui ont, directement ou indirectement, leur origine dans une seule convention collective, je vais maintenant examiner la particularité de la présente affaire, à savoir la justification objective tirée de l’autonomie des partenaires sociaux dans le contexte des négociations collectives séparées et distinctes.

ii)    Sur la justification objective tirée de l’autonomie des partenaires sociaux dans le contexte de négociations collectives distinctes

80.      La juridiction de renvoi se demande, en substance, si la circonstance que, dans le litige au principal, la différence de traitement constatée découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées par des syndicats différents suffit, à elle seule, pour justifier de manière objective la discrimination indirecte alléguée au regard de la directive 2006/54.

81.      En premier lieu, il convient de se référer, dans le contexte de l’égalité de rémunération, à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Enderby, qui portait sur une discrimination indirecte fondée sur le sexe au regard de 1’article 157 TFUE (ex article 119 CEE et article 141 CE). Dans cette affaire, les groupes concernés exerçaient les fonctions d’orthophonistes et de pharmaciens, le premier étant composé presque exclusivement de femmes et, le second, principalement d’hommes, et il existait une différence de rémunération au détriment des orthophonistes. La Cour a tout d’abord jugé que la « circonstance que la détermination des rémunérations en cause résulte de négociations collectives qui ont été menées séparément pour chacun des deux groupes professionnels concernés et qui n’ont pas eu d’effet discriminatoire à l’intérieur de chacun de ces deux groupes ne fait pas obstacle à la constatation d’une discrimination apparente dès lors que ces négociations ont abouti à des résultats qui font apparaître une différence de traitement entre deux groupes qui relèvent du même employeur et du même syndicat » (61). Elle a ensuite considéré que « [s]i, pour justifier la différence de rémunération, il lui suffisait d’invoquer l’absence de discrimination dans le cadre de chacune de ces négociations prise isolément, l’employeur pourrait facilement [...] [con]tourner le principe de l’égalité des rémunérations par le biais de négociations séparées »  (62). Enfin, elle a jugé qu’il ne suffit pas, pour justifier objectivement une telle différence de rémunération, d’invoquer la circonstance que les rémunérations respectives de ces deux fonctions ont été déterminées « par des processus de négociations collectives qui, bien que suivis par les mêmes parties, sont distincts et dont chacun d’eux, pris séparément, n’a pas en lui-même d’effet discriminatoire » (63).

82.      Il est certes exact que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Enderby, la différence de traitement trouvait son origine dans des processus de négociations collectives distincts qui avaient été menés entre les mêmes parties, à savoir l’employeur et le syndicat représentant les deux professions concernées. Néanmoins, il ressort clairement de cet arrêt que l’élément central de l’examen de la justification effectué par la Cour était la circonstance que la négociation collective relative aux orthophonistes avait été menée « séparément et indépendamment » de la négociation collective relative aux pharmaciens.

83.      Ainsi, si, en l’espèce, la différence de traitement constatée tient au fait que les deux conventions collectives ont été négociées avec des syndicats différents, la circonstance déterminante est cependant, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Enderby, que des conventions collectives distinctes ont été négociées de manière séparée et indépendante. Il s’ensuit que, dans la mesure où, dans les deux affaires, les conventions collectives ont été négociées séparément et indépendamment, et, partant, concernent des négociations collectives différentes, le fait que, dans la présente affaire, les conventions collectives ont été négociées avec des syndicats différents ne suffit pas, à mon sens, pour écarter la transposition au cas d’espèce des enseignements qui découlent de l’arrêt Enderby  (64).

84.      En deuxième lieu, ainsi que l’a indiqué le gouvernement espagnol en réponse à une question posée par la Cour, en vertu de l’article 89 de la loi sur le statut des travailleurs, la faculté de solliciter des négociations et le choix des interlocuteurs pour mener ces négociations appartiennent tant à l’employeur qu’aux représentants des travailleurs (65). Selon ce gouvernement, les deux parties peuvent refuser d’entamer des négociations sollicitées par l’autre partie dans les conditions établies par la législation nationale. Dans ce contexte, la marge de manœuvre de l’employeur concernerait la possibilité de sélectionner les interlocuteurs légitimes en respectant certaines règles (66).

85.      Lorsque ce sont les travailleurs qui ont sollicité les négociations et qu’ils disposent de l’habilitation à cet égard, l’employeur a le devoir de négocier. Le ministère public a précisé à ce sujet lors de l’audience que l’employeur peut entamer des négociations avec des représentants de travailleurs « en décidant librement s’il accepte ou non d’arriver à un accord sur des questions concrètes ».

86.      Certes, si, ainsi que le suppose la juridiction de renvoi, dans chaque processus de négociation, chaque représentation syndicale avait privilégié, vis-à-vis d’Air Nostrum, certaines réclamations par rapport à d’autres, cette juridiction relève néanmoins que, lorsque cette entreprise a négocié la convention PNT, la convention PNC avait déjà été signée et Air Nostrum connaissait donc les montants fixés pour les indemnités journalières du PNC. Partant, on peut aisément considérer que cette entreprise avait connaissance du fait que la différence de traitement concernant les conditions de travail, qui découlait du versement des indemnités journalières en cause, instaurait un désavantage comparatif au détriment du PNC, contraire à la législation nationale transposant la directive 2006/54 et, partant, à cette directive elle-même.

87.      En troisième lieu, il est certes vrai qu’on pourrait considérer, à première vue, que le fait de ne pas accepter la justification avancée par Air Nostrum pourrait avoir comme conséquence qu’une convention collective trouverait à être appliquée, quoique indirectement, à des travailleurs dont les représentants syndicaux n’ont ni négocié ni, a fortiori, conclu cette convention.

88.      Toutefois, si l’on acceptait l’autonomie des partenaires sociaux comme unique motif de justification objectif d’une discrimination telle que celle en l’espèce, cela reviendrait, à mon avis, à accepter l’absence de toute discrimination indirecte dans tous les cas où l’on serait en présence de conventions collectives distinctes concernant, notamment, les conditions de travail. En effet, ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, si, pour justifier la différence de conditions de travail, il suffisait à l’employeur d’invoquer l’absence de toute forme de discrimination dans le cadre de chacune de ces négociations prise isolément, il pourrait facilement contourner le principe fondamental de l’égalité de traitement par le biais de négociations séparées  (67).

89.      En quatrième lieu, ainsi que la Commission l’a relevé dans ses observations écrites, en l’absence de précisions concrètes sur le déroulement de la négociation, admettre que l’autonomie des partenaires sociaux et la possibilité pour les parties d’adopter des stratégies de négociation distinctes soient invoquées de manière générale pourrait, à tout le moins, occulter le fait que, même si les syndicats s’efforcent d’améliorer les conditions de travail de tous les travailleurs, tant l’employeur que les syndicats peuvent avoir des préjugés inconscients les conduisant à sous-estimer les besoins des travailleuses par rapport à ceux des travailleurs et, partant, à accepter des conditions différentes pour des groupes composés majoritairement de femmes  (68).

90.      En tout état de cause, même si l’on considérait, à première vue, la possibilité d’accepter l’existence de deux conventions collectives distinctes comme une justification objective de la différence de traitement en cause, il convient de rappeler que, dans la mesure où la convention PNC concerne majoritairement des femmes et la convention PNT concerne majoritairement des hommes, il n’est pas possible d’identifier, dans le cadre d’une discrimination indirecte, le fait précis qui cause le désavantage comparatif, la justification devant être liée à un objectif différent et étranger à toute discrimination fondée sur le sexe (69).

91.      Il résulte de tout ce qui précède que, sous peine de vider de son effet utile l’article 23, premier alinéa, sous b), de la directive 2006/54, l’autonomie des partenaires sociaux dans le contexte de négociations collectives séparées et distinctes n’est pas, à elle seule, un motif objectif et étranger à toute discrimination fondée sur le sexe et, partant, ne suffit pas, à elle seule, comme motif de justification objective d’une différence de traitement, telle que celle de l’espèce.

2)      Sur l’existence d’autres facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe pour justifier la différence de traitement en cause

92.      Il me semble important de distinguer, d’une part, le fait de considérer que la circonstance que l’inégalité de traitement découle de l’application de deux conventions collectives distinctes puisse constituer en soi un fondement suffisant pour justifier une différence de traitement fondée sur le sexe et, d’autre part, le fait de considérer que cette justification pourrait, en conjonction avec d’autres critères, concourir à la formation d’un motif de justification objectif et étranger à toute discrimination fondée sur le sexe, au regard de la directive 2006/54.

93.      S’agissant de cette dernière circonstance, ainsi que cela ressort de la jurisprudence de la Cour, la juridiction de renvoi peut prendre en considération l’existence des deux conventions collectives aux fins d’apprécier s’il existe des différences entre les indemnités journalières des deux groupes concernés et si ces différences sont dues à d’autres facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (70).

94.      Toutefois, il convient de relever que de tels facteurs ne ressortent ni de la décision de renvoi ni des observations d’Air Nostrum. À cet égard, je relève que, même à supposer que la justification alléguée vise à faire valoir un but légitime, il découle de la jurisprudence de la Cour qu’une simple affirmation d’ordre général s’avère insuffisante pour faire apparaître que l’objectif de la mesure en cause est étranger à toute discrimination fondée sur le sexe (71).

95.      En revanche, si l’employeur apportait des preuves précises et convaincantes  du fait que la différence de traitement découle effectivement d’un but légitime, et non de la différence de sexe, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est effectivement le cas. Ainsi que la Commission l’a à juste titre relevé, ces preuves peuvent notamment concerner l’existence des priorités respectives des syndicats représentant les travailleurs.

96.      Dans ce contexte, et ainsi que cela ressort des points précédents, il ne suffit pas que l’employeur fasse référence au fait qu’il y a eu deux négociations collectives distinctes ; il lui appartient de prouver concrètement que les priorités de chaque groupe étaient différentes, qu’elles ont été négociées de manière réelle et indépendante et que les parties ont effectivement négocié en fonction de leurs priorités respectives, en insistant sur certains aspects et en se montrant souples sur d’autres pour parvenir à un accord qui tienne compte des intérêts des deux parties. À cet égard, il me semble important que la juridiction de renvoi vérifie que le groupe a priori désavantagé a, en toute connaissance des différences concernant les montants des indemnités journalières en cause, accepté ces différences en donnant la priorité, en contrepartie, à d’autres éléments relatifs, notamment, aux conditions de travail, tels que la qualité des hôtels ou le nombre de jours de congés annuels.

b)      Sur l’aptitude et la nécessité de la pratique en cause au principal à atteindre l’objectif invoqué

97.      Compte tenu de mon analyse, il n’y a pas lieu d’examiner la question de l’aptitude de la pratique en cause à atteindre l’objectif visé. Je souhaite toutefois indiquer que, dans le cas où les preuves de l’existence d’un but légitime seraient apportées, la juridiction de renvoi devra vérifier si les moyens pour parvenir à ce but légitime sont appropriés et nécessaires, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54.

98.      Dans le cadre de cet examen, il me semble pertinent que la juridiction de renvoi prenne en considération des éléments tels que la plausibilité des indications concernant les indemnités journalières en cause données par l’employeur, notamment le fait que ces indemnités remplissent ou non leur objectif de couvrir les frais de repas exposés lors des déplacements professionnels.

V.      Conclusion

99.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question posée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) de la manière suivante :

L’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une pratique en vertu de laquelle une compagnie aérienne verse au personnel navigant commercial, majoritairement composé de femmes, une indemnité journalière, pour couvrir les frais de repas exposés lors de ses déplacements professionnels, d’un montant inférieur à celui de l’indemnité qui est versée au même titre au personnel navigant technique, majoritairement composé d’hommes, lorsque cette inégalité de traitement découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées entre l’employeur et des syndicats différents.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).


3      BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224.


4      « Tripulantes de cabina de pasajeros ».


5      BOE nº 12, du 14 janvier 2019, p. 2519, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.boe.es/eli/es/res/2018/12/18/(14).


6      BOE no 134, du 13 mai 2020, p. 32752, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.boe.es/eli/es/res/2020/03/10/(12).


7      Ce qui résulterait également de l’arrêt du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560).


8      Sur la position du ministère public, voir point 29 des présentes conclusions. Le ministère public et le gouvernement espagnol ont expliqué lors de l’audience les motifs du maintien de la procédure devant la juridiction de renvoi.


9      Voir Lenaerts, K., et Gutièrrez-Fons, J.A., « Epilogue. High Hopes : Autonomy and the Identity of the EU », European Papers, 2023, vol. 8, no 3, p. 1495 à 1511.


10      Voir, notamment, arrêt du 5 juillet 2017, Fries (C‑190/16, EU:C:2017:513, point 29).


11      Pour rappel, la directive 2006/54 intègre certains éléments de la jurisprudence de la Cour et regroupe les dispositions existantes de différentes directives relatives à l’égalité entre femmes et hommes, à savoir la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO 1975, L 45, p. 19), la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 1976, L 39, p. 40), la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO 1986, L 225, p. 40), et la directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe (JO 1997, L 14, p. 6).


12      Voir point 18 des présentes conclusions.


13      Voir arrêts du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382, point 37 et jurisprudence citée), et du 21 janvier 2021, INSS (C‑843/19, EU:C:2021:55, point 24). Ces arrêts marquent une évolution de la définition de la notion de « discrimination indirecte » par rapport à la jurisprudence antérieure, selon laquelle « il y a discrimination indirecte lorsque l’application d’une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes ». Mise en italique par mes soins. Voir, notamment, arrêts du 14 avril 2015, Cachaldora Fernández (C‑527/13, EU:C:2015:215, point 28), et du 9 novembre 2017, Espadas Recio (C‑98/15, EU:C:2017:833, point 38 et jurisprudence citée).


14      La mesure en cause concerne la pratique de l’employeur consistant à verser au PNC et au PNT  des indemnités journalières d’un montant différent, prévues par deux conventions collectives distinctes.


15      Sur l’influence de la doctrine américaine relative au « disparate impact » dans le cadre des discriminations indirectes en droit social de l’Union voir, notamment, Tobler, C., Indirect Discrimination. A Case Study into the Development of the Legal Concept of Indirect Discrimination under EC Law, Intersentia, Antwerpen‑Oxford, 2005, p. 91 à 96 et 235, ainsi que Mulder, J., Indirect sex discrimination in employment. Theoretical analysis and reflections on the CJEU case law and national application of the concept of indirect sex discrimination, Directorate-General for Justice and Consumers (EC), 2021, p. 44. Voir, à cet égard, arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, EU:C:1981:80, p. 925, considérant 13). Voir, également, conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Jenkins (96/80, EU:C:1981:21, p. 936 et 937), et conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:61, point 19).


16      Ainsi que l’ont souligné les auteurs de la doctrine, il s’agit d’examiner plus qualitativement quels sont les éventuels effets défavorables d’une mesure sur des personnes répondant à un critère donné par rapport à d’autres personnes. La définition de « discrimination indirecte » permet d’examiner les différences de traitement liées à des critères pour lesquels les données quantitatives feraient défaut. Voir Miné, M., « Les concepts de discrimination directe et indirecte », ERA Forum, vol. 4, 2003, p. 30 à 44, en particulier p. 38 et 39, et Tridimas, T., The General Principles of EU Law, Oxford University Press, Oxford, 2005, 2e éd, p. 67 à 72. Voir, également, note en bas de page 42 des présentes conclusions.


17      Il ressort de la décision de renvoi que l’article 93 et l’annexe I de la convention PNC et l’article 16.19 de la convention PNT sont d’apparence neutre puisque ces dispositions s’appliquent, respectivement, tant au PNC et au PNT masculins qu’au PNC et au PNT féminins.


18      Voir, notamment, arrêts du 27 octobre 1998, Boyle e.a. (C‑411/96, EU:C:1998:506, point 39) ; du 21 octobre 1999, Lewen (C‑333/97, EU:C:1999:512, point 36) ; du 30 mars 2004, Alabaster (C‑147/02, EU:C:2004:192, point 45) , et du 16 juillet 2009, Gómez-Limón Sánchez-Camacho (C‑537/07, EU:C:2009:462, point 56).


19      Voir, notamment, Tobler, C., Limites et potentiel du concept de discrimination indirecte, op. cit., p. 24 et 26. S’agissant du principe général d’égalité de traitement, voir, notamment, arrêt du 4 mai 2023, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (Travail de nuit) (C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21, EU:C:2023:374, point 52).


20      La notion de « discrimination indirecte » a été consacrée pour la première fois dans l’arrêt du 13 mai 1986, Bilka-Kaufhaus (170/84, EU:C:1986:204), relatif à l’accès à un régime de pensions d’entreprise. Voir, à cet égard, Prechal, S., « Combating Indirect Discrimination in Community Law Context », Legal Issues of European Integration, vol. 19, no 1, 1993, p. 81 à 97, en particulier p. 84.


21      Sur l’évolution de la définition de la notion de « discrimination indirecte en droit de l’Union », voir Ellis, E., et Watson, P., EU Anti-Discrimination Law, 2e éd., Oxford European Union Law Library, Oxford, 2012, p. 148 à 155.


22      Voir points 38 et 39 des présentes conclusions.


23      L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/54 définit la « discrimination directe » comme « la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable en raison de son sexe qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable ».


24      S’agissant de l’exigence tenant au caractère comparable des situations dans le contexte de la discrimination directe, la Cour a précisé, d’une part, qu’il est requis non pas que les situations soient identiques, mais seulement qu’elles soient comparables et, d’autre part, que l’examen de ce caractère comparable doit être effectué non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de la prestation concernée. Voir, notamment, arrêts du 12 décembre 2013, Hay (C‑267/12, EU:C:2013:823, point 33), ainsi que du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia (C‑143/16, EU:C:2017:566, point 25).


25      Voir note en bas de page 16 des présentes conclusions. Mise en italique par mes soins.


26      Voir, en ce sens, notamment, Tobler, C., Indirect Discrimination Under Directives 2000/43 et 2000/78, Université de Leyde, Leyde, p. 100, ainsi que Tobler, C., Limites et potentiel du concept de discrimination indirecte, op. cit., p. 54.


27      Voir, en ce sens, notamment, Mulder, J., Indirect sex discrimination in employment., op. cit., p. 50 et 51, et Tobler, C., Indirect Discrimination Under Directives 2000/43 et 2000/78, op. cit., p. 23, 99 et 100. Il convient de relever que les éléments à examiner dans le cadre de la comparaison ne sont pas les mêmes que ceux à prendre en compte pour déterminer la légitimité du motif de la justification invoquée. Ainsi, l’existence d’une ou de plusieurs conventions collectives est un élément qui peut être pris en compte aux fins d’apprécier si des différences entre les indemnisations journalières en cause sont dues à des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 31 mai 1995, Royal Copenhagen (C‑400/93, EU:C:1995:155, point 46). Voir points 92 et suiv. des présentes conclusions.


28      Voir, en ce sens, notamment, Mulder, J., Indirect sex discrimination in employment, op. cit., p. 12. En revanche, en ce qui concerne le principe d’égalité de rémunération, qui n’est pas en cause dans la présente affaire, les groupes de travailleurs à comparer doivent effectuer un travail de valeur égale.


29      Voir Mulder, J., Indirect sex discrimination in employment, op. cit., p. 12 et 50.


30      Voir, en ce sens, Tobler, C., Limites et potentiel du concept de discrimination indirecte, op. cit., en particulier, note en bas de page 127.


31      Sur l’importance de l’identification du groupe de référence dans le contexte de la discrimination indirecte, voir, notamment, Ellis, E., et Watson, P., EU Anti-Discrimination Law, op. cit., p. 152.


32      Voir, notamment, arrêt du 24 février 2022, TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2022:120, points 49 et 50 et jurisprudence citée), dans lequel la Cour a considéré que « [l]a prétendue absence de comparabilité de la situation des employés de maison par rapport à celle des autres travailleurs salariés [...] alléguée [...] pour soutenir l’absence d’une telle discrimination indirecte, est dénuée de pertinence à cet égard. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 47 de ses conclusions, contrairement à l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite) (C‑451/16, EU:C:2018:492), [...], la disposition nationale en cause au principal ne constitue pas une discrimination directe fondée sur le sexe qui pourrait être mise en cause par la prétendue absence de comparabilité de la situation des employés de maison par rapport à celle des autres travailleurs salariés ». Voir, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2021:777, point 47).


33      Dans le cadre de cette question, les groupes de travailleurs faisant l’objet de la comparaison doivent effectuer un travail de valeur égale. Voir note en bas de page 28 des présentes conclusions.


34      Voir, à cet égard, point 35 des présentes conclusions.


35      La Commission a précisé lors de l’audience que, dans les deux conventions collectives en question, les indemnisations journalières ne sont pas considérées comme une rémunération.


36      Je tiens à rappeler que la méthode d’identification du groupe de référence aux fins de la comparaison dans le contexte de la discrimination indirecte n’est pas exactement la même que dans le cas de la discrimination directe. Voir, à cet égard, points 48 et 49 des présentes conclusions.


37      Voir, en ce sens, notamment, Mulder, J., Indirect sex discrimination in employment., op. cit., p. 12.


38      En d’autres termes, les personnes devant faire l’objet de la comparaison (les groupes comparés) sont, d’une part, le PNC, composé majoritairement de femmes et, d’autre part, le PNT, composé majoritairement d’hommes. Cette comparaison (la tertium comparationis) porte sur le montant des indemnités journalières en cause au principal.


39      En l’espèce, une telle identification concerne uniquement les dispositions relatives aux indemnités journalières dans chaque convention collective et non pas d’autres dispositions de ces conventions.


40      Voir, notamment, arrêt du 24 février 2022, TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2022:120, point 41 et jurisprudence citée). Sur la charge de la preuve, voir article 19 de la directive 2006/54. Ainsi que l’a jugé la Cour, c’est à la personne qui s’estime lésée par le non-respect du principe d’égalité de traitement qu’il incombe, dans un premier temps, d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. C’est uniquement dans le cas où cette personne a établi de tels faits qu’il revient à la partie défenderesse, dans un deuxième temps, de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de non-discrimination. Voir arrêt du 19 avril 2012, Meister (C‑415/10, EU:C:2012:217, point 36). Voir, à cet égard, Burri, S., et Prechal, S., L’égalité des genres dans le droit de l’Union européenne, Commission européenne, Luxembourg, 2008, p. 17.


41      Voir, à cet égard, arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, EU:C:1981:80, p. 925, considérant 13), ainsi que conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Jenkins (96/80, EU:C:1981:21, p. 936 et 937).


42      Voir arrêt du 21 janvier 2021, INSS (C‑843/19, EU:C:2021:55, point 27 et jurisprudence citée). Il y a lieu de relever que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, et pas seulement sur la base de données statistiques. Voir, notamment, arrêts du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382, point 46), et du 3 octobre 2019, Schuch-Ghannadan (C‑274/18, EU:C:2019:828, point 54). À cet égard, il convient de souligner que la directive 2006/54 ne fait pas référence « à des éléments quantitatifs dans l’examen de la discrimination indirecte. En effet, ladite définition retient une approche qualitative, à savoir qu’il importe de vérifier si la mesure nationale en cause est susceptible, par sa nature même, de “désavantager particulièrement” des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe ». Voir conclusions de l’avocat général Rantos dans les affaires jointes IK et CM (C‑184/22 et C‑185/22, EU:C:2023:879, point 36).


43      En l’occurrence, les dispositions des conventions collectives concernées.


44      Voir, notamment, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:753, point 52 et jurisprudence citée), et du 21 janvier 2021, INSS (C‑843/19, EU:C:2021:55, point 26). Voir, également, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382, points 39 et 45).


45      Plus précisément, il ressort de la décision de renvoi que le montant des indemnités journalières du PNC varie entre 37,06 et 59,06 euros selon qu’il s’agit d’un déplacement national ou international. À cet égard, le gouvernement espagnol relève dans ses observations écrites que le PNC perçoit une indemnité complète s’il dépasse la quatrième heure complète d’activité. Dans le cas où le PNC est en service pendant quatre heures ou moins, il perçoit une demi-indemnité journalière. En revanche, les indemnités journalières du PNT s’élèvent, pour les mêmes types de déplacements, à un montant situé, respectivement, entre 65 et 100 euros. Dans ce cas, le gouvernement espagnol indique dans ses observations écrites que les indemnités journalières du PNT sont versées avec la possibilité d’appliquer des coefficients supplémentaires sous certaines conditions de déplacement qui multiplient par 1,2 à 2 ces indemnités.


46      Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Villar Láiz (C‑161/18, EU:C:2019:382, point 47).


47      Ainsi, dans le cas où les situations examinées ne sont pas comparables, la différence de traitement ne constitue pas une discrimination directe. En outre, la discrimination directe ne peut être justifiée que sur le fondement des motifs spécifiques expressément prévus par la loi. Voir, à cet égard, jurisprudence citée à la note en bas de page 32 des présentes conclusions. Voir, également, mes conclusions dans l’affaire TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2021:777, point 47 et note en bas de page 21).


48      Voir, en ce sens, arrêts du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:753, point 58), et du 24 février 2022, TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2022:120, point 51 et jurisprudence citée).


49      Voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Kenny e.a. (C‑427/11, EU:C:2013:122, point 41).


50      Voir point 29 des présentes conclusions.


51      Voir Sciarra, S., « The evolution of collective bargaining: observations on comparison in the countries of the European Union », Comparative Labor Law & Policy Journal, vol. 29, no 1, p. 1 à 28, en particulier p. 7. Sur l’importance de la négociation collective, voir, notamment, conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires Brentjens’ Handelsonderneming (C‑67/96, C‑115/97 et C‑219/97, point 181), et conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:321, points 41 à 46).


52      Voir, Rodière, P., « Droit à la négociation et d’actions collectives », Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Picod, F., et Van Drooghenbroeck, S., (éds.), 2e éd., Bruyland, Paris, 2018, p. 621 à 646.


53      Arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 66, et jurisprudence citée). En particulier, en ce qui concerne la directive 2006/54, l’importance de la fonction des conventions collectives, en tant que parties intégrantes de l’ordre juridique des États membres, pour « la mise en œuvre effective du principe d’égalité de traitement » ressort de l’article 33 de cette directive. Ainsi, conformément à l’article 21, paragraphe 1, de ladite directive, « les États membres prennent les mesures appropriées afin de favoriser le dialogue social entre les partenaires sociaux en vue de promouvoir l’égalité de traitement ».


54      Au niveau de l’Union, le dialogue entre partenaires sociaux est reconnu à l’article 155 TFUE.


55      Arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 67) ; du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union (C‑438/05, EU:C:2007:772, point 44), ainsi que du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, EU:C:2007:809), point 91).


56      Voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 68), ainsi que du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, ci-après l’« arrêt Enderby », EU:C:1993:859, point 22).


57      Arrêt du 8 avril 1976 (43/75, EU:C:1976:56, point 39).


58      Voir, notamment, arrêts du 27 juin 1990, Kowalska (C‑33/89, EU:C:1990:265, point 12) ; du 18 novembre 2004, Sass (C‑284/02, EU:C:2004:722, point 25) ; du 9 décembre 2004, Hlozek (C‑19/02, EU:C:2004:779, point 43) ; du 18 novembre 2020, Syndicat CFTC (C‑463/19, EU:C:2020:932, point 48), et du 3 juin 2021, Tesco Stores (C‑624/19, EU:C:2021:429, point 21 et jurisprudence citée).


59      S’agissant de l’article 16, paragraphe 1, sous b), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16), qui équivaut à l’article 23, premier alinéa, sous b), de la directive 2006/54, voir arrêts du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 63) ; du 13 septembre 2011, Prigge e.a. (C‑447/09, EU:C:2011:573, point 49), ainsi que du 28 février 2013, Kenny e.a. (C‑427/11, EU:C:2013:122, point 47).


60      Arrêt du 8 septembre 2011, Hennigs et Mai (C‑297/10 et C‑298/10, EU:C:2011:560, point 78).


61      Arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:859, point 22). Mise en italique par mes soins. Sur l’effet préjudiciable, voir point 40 des présentes conclusions.


62      Arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:859, point 22).


63      Arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:859, point 23). Mise en italique par mes soins.


64      Ainsi, pour justifier la différence de traitement fondée sur le sexe, « il ne suffit pas à l’employeur commun d’invoquer l’existence de conventions collectives différentes, même si considérées séparément chacune d’entre elles ne comporte pas de discriminations fondée sur le sexe », voir conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:313, point 50).


65      À cet égard, le gouvernement espagnol a expliqué que l’article 89, paragraphe 1, de la loi sur le statut des travailleurs prévoit la possibilité pour les « représentants des travailleurs ou des employeurs » (qui, en vertu de l’article 87 de ce statut, doivent être habilités à négocier une convention collective) de solliciter des négociations, en le communiquant par écrit à l’autre partie. La partie destinataire de la communication peut refuser d’entamer des négociations uniquement pour une raison légale ou conventionnelle ou lorsqu’il ne s’agit pas de réviser une convention ayant déjà expiré.


66      Conformément à l’article 89, paragraphe 2, de la loi sur le statut des travailleurs, dans un délai maximal d’un mois à partir de la réception de la communication, la commission de négociation est constituée. La partie destinataire de la communication doit alors répondre à la proposition de négociation et les deux parties devront établir le calendrier ou le plan de négociation.


67      Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:859, point 22).


68      Ainsi que les auteurs de la doctrine l’ont relevé, « le rejet des processus distincts de négociation collective comme justification objective de la discrimination indirecte fondée sur le sexe soutient l’égalité des chances, étant donné qu’il ne suffit pas de se demander si l’obtention de deux niveaux différents de conditions de travail est due à l’application de deux processus différents. Il est nécessaire d’examiner ce qui sous-tend ces processus et de se demander pourquoi une convention collective a pu aboutir à un résultat plus favorable que l’autre » concernant la même mesure. Voir Hervey, T. K., « EC Law on Justifications for sex Discrimination in Working Life », Collective bargaining, discrimination, social security and European integration, Bulletin of comparative labour relations, 48, 2003, p. 103 à 152, en particulier p. 133. Voir, également, Vogel-Polsky, E., « Genre et droit : les enjeux de la parité », Cahiers du GEDISST (Groupe d’étude sur la division sociale et sexuelle du travail), n° 17, 1996, « Principes et enjeux de la parité », p. 11 à 31 : « La ségrégation professionnelle [...] des femmes dans l’économie et le monde du travail trouve ses origines dans la totalité des rapports sociaux de sexe [ou] dans l’imprégnation des stéréotypes véhiculés par la culture, l’éducation, le système scolaire, la famille, les médias [...] ». Voir mes conclusions dans l’affaire TGSS (Chômage des employés de maison) (C‑389/20, EU:C:2021:777, point 78).


69      S’agissant d’un groupe de travailleurs à temps partiel désavantagé et constitué essentiellement de femmes, voir arrêt du 10 mars 2005, Nikoloudi (C‑196/02, EU:C:2005:141, point 51). Voir, en ce sens, notamment, Tobler, C., Limites et potentiel du concept de discrimination indirecte, op. cit., p. 37.


70      Voir, notamment, arrêts du 31 mai 1995, Royal Copenhagen (C‑400/93, EU:C:1995:155, point 46), ainsi que du 28 février 2013, Kenny e.a. (C‑427/11, EU:C:2013:122, point 49).


71      Voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2005, Nikoloudi (C‑196/02, EU:C:2005:141, point 52 et jurisprudence citée).