Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 4 juillet 2024 (1)

Affaire C295/23

Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG

contre

Rechtsanwaltskammer München,

en présence de :

SIVE Beratung und Beteiligung GmbH,

Daniel Halmer

[demande de décision préjudicielle formée par le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil disciplinaire des avocats de Bavière, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des capitaux – Liberté d’établissement – Directive 2006/123/CE – Participation d’une société commerciale dans le capital d’une société professionnelle d’avocats – Révocation de l’inscription au barreau de la société professionnelle d’avocats en raison de cette participation »






1.        Le litige donnant lieu au renvoi préjudiciel dans la présente affaire porte sur le point de savoir si une société autrichienne qui n’est pas autorisée à fournir des services de conseil juridique est habilitée à acquérir une partie du capital social d’une société professionnelle d’avocats opérant en Allemagne.

2.        Ce litige trouve son origine dans le fait que le Rechtsanwaltskammer München (ordre des avocats du barreau de Munich, Allemagne, ci-après l’« ordre ») interdit cette acquisition, au motif que celle-ci n’est pas conforme à la réglementation régissant la profession d’avocat en Allemagne (2). Conformément à cette réglementation, l’exercice de la profession d’avocat était admis par les sociétés d’avocats agissant sous la forme juridique de sociétés de capitaux, auxquelles les personnes n’exerçant pas certaines professions ne pouvaient pas participer.

3.        Pour répondre à la demande de décision préjudicielle, la Cour sera amenée à déterminer :

–        si, lorsqu’un investissement en capital implique un certain degré d’influence sur la gestion d’une société d’avocats, il doit être examiné à la lumière d’une liberté fondamentale du traité FUE ou d’une autre et, le cas échéant, de la directive 2006/123/CE (3), et

–        si une réglementation nationale qui restreint aux avocats et aux membres de certaines professions (à l’exclusion d’autres professions) la participation dans les sociétés d’avocats, en réservant en tout état de cause aux avocats la majorité du capital et des votes, est conforme au droit de l’Union.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union. La directive 2006/123.

4.        Le considérant 73 de la directive 2006/123 indique :

« Parmi les exigences à examiner figurent les régimes nationaux qui, pour des raisons autres que celles afférentes aux qualifications professionnelles, réservent l’accès à certaines activités à des prestataires particuliers. Ces exigences incluent également l’obligation faite au prestataire d’être constitué sous une forme juridique particulière, notamment d’être une personne morale, une société personnelle, une entité sans but lucratif ou une société appartenant exclusivement à des personnes physiques, ainsi que les exigences relatives à la détention du capital d’une société, notamment l’obligation de disposer d’un capital minimum pour certaines activités de services ou d’avoir une qualification particulière pour détenir du capital social ou gérer certaines sociétés [...] »

5.        Conformément au considérant 77 de la directive 2006/123 :

« Lorsqu’un opérateur se déplace dans un autre État membre pour y exercer une activité de service, il y a lieu de distinguer les situations relevant de la liberté d’établissement de celles couvertes par la libre circulation des services, en fonction du caractère temporaire de l’activité concernée. Pour ce qui est de la distinction entre la liberté d’établissement et la libre circulation des services l’élément clé est [...] de savoir si l’opérateur est établi dans l’État membre dans lequel il fournit le service concerné. Si l’opérateur est établi dans l’État membre dans lequel il fournit le service concerné, il devrait rentrer dans le champ d’application de la liberté d’établissement. Si, au contraire, l’opérateur n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il fournit le service concerné, son activité devrait relever de la libre circulation des services. [...] [L]e caractère temporaire des activités en cause devrait être apprécié non seulement en fonction de la durée de la prestation, mais également en fonction de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité [...] »

6.        En vertu du considérant 88 de la directive 2006/123 :

« La disposition sur la libre prestation des services ne devrait pas s’appliquer pas aux cas où, conformément au droit communautaire, une activité est réservée dans un État membre à une profession particulière, comme par exemple le fait de réserver aux juristes l’activité de conseil juridique. »

7.        Aux termes de l’article 3 (« Relations avec les autres dispositions du droit communautaire ») de la directive 2006/123 :

« 1.      Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d’un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l’autre acte communautaire prévaut et s’applique à ces secteurs ou professions spécifiques. Ces actes incluent :

[…] »

8.        L’article 4 (« Définitions ») de la directive 2006/123 dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

8)       “raisons impérieuses d’intérêt général”, des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la [Cour], qui incluent les justifications suivantes : l’ordre public, la sécurité publique, […] la protection des consommateurs [et] des destinataires de services […] ;

9)      “autorité compétente”, tout organe ou toute instance ayant, dans un État membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de services, notamment les autorités administratives, y compris les tribunaux agissant à ce titre, les ordres professionnels et les associations ou autres organismes professionnels qui, dans le cadre de leur autonomie juridique, réglementent de façon collective l’accès aux activités de services ou leur exercice ;

[...]

11)       “profession réglementée”, une activité ou un ensemble d’activités professionnelles visées à l’article 3, paragraphe 1, point a), de la directive 2005/36/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22)] ;

[…] »

9.        L’article 9 (« Régimes d’autorisation ») de la directive 2006/123 prévoit :

« 1.      Les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies :

a)      le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;

b)      la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

2.      Dans le rapport prévu à l’article 39, paragraphe 1, les États membres indiquent leurs régimes d’autorisation et en motivent la compatibilité avec le paragraphe 1 du présent article.

3.      La présente section ne s’applique pas aux aspects des régimes d’autorisation qui sont régis directement ou indirectement par d’autres instruments communautaires. »

10.      L’article 11 (« Durée de l’autorisation »), paragraphe 4, de la directive 2006/123 dispose :

« Le présent article ne porte pas atteinte à la possibilité qu’ont les États membres de retirer des autorisations lorsque les conditions d’octroi de ces autorisations ne sont plus réunies. »

11.      L’article 15 (« Exigences à évaluer ») de la directive 2006/123 prévoit :

« 1.      Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.      Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

c)      les exigences relatives à la détention du capital d’une société ;

[...]

3.      Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)      non‑discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)      nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

[...] »

12.      Conformément à l’article 25 (« Activités pluridisciplinaires ») de la directive 2006/123 :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les prestataires ne soient pas soumis à des exigences qui les obligent à exercer exclusivement une activité spécifique ou qui limitent l’exercice conjoint ou en partenariat d’activités différentes.

Toutefois, les prestataires suivants peuvent être soumis à de telles exigences :

a)      les professions réglementées, dans la mesure où cela est justifié pour garantir le respect de règles de déontologie différentes en raison de la spécificité de chaque profession, et nécessaire pour garantir l’indépendance et l’impartialité de ces professions ;

[...]

2.      Lorsque des activités pluridisciplinaires entre les prestataires visés au paragraphe 1, points a) et b), sont autorisées, les États membres veillent à :

a)      prévenir les conflits d’intérêts et les incompatibilités entre certaines activités ;

b)      assurer l’indépendance et l’impartialité qu’exigent certaines activités ;

c)      assurer que les règles de déontologie des différentes activités sont compatibles entre elles, en particulier en matière de secret professionnel.

[...] »

B.      Le droit national. Le BRAO.

13.      L’article 59a BRAO prévoyait (4) :

« (1)      Les avocats peuvent s’associer avec des membres d’un barreau et de l’ordre des avocats-conseils en brevets, avec des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes et des experts‑comptables assermentés pour exercer en commun leur profession dans le cadre de leurs propres compétences professionnelles. [...]

(2)      Les avocats peuvent également exercer leur profession en commun :

1.      avec des membres de la profession d’avocat d’autres États qui [...] sont autorisés à s’établir conformément au champ d’application de cette loi et ont leur cabinet à l’étranger,

2.      avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes ou des experts-comptables assermentés d’autres États exerçant une profession équivalente, en termes de formation et de compétences, aux professions visées par la Patentanwaltsordnung [règlement sur les avocats-conseils en brevets], le Steuerberatungsgesetz [loi relative à la profession de conseiller fiscal] ou la Wirtschaftsprüferordnung [règlement relatif à la profession de commissaire aux comptes] et qui peuvent exercer leur profession en commun avec des avocats-conseils en brevets, des conseillers fiscaux, des mandataires fiscaux, des commissaires aux comptes ou des experts-comptables assermentés conformément au champ d’application de la présente loi.

[...] »

14.      L’article 59c BRAO permettait l’exercice de la profession d’avocat par des sociétés d’avocats constituées sous la forme de sociétés de capitaux.

15.      L’article 59e BRAO disposait :

« (1)      Seuls les avocats et les membres des professions mentionnées à l’article 59a, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, peuvent être des associés d’une société d’avocats. Ils doivent exercer une activité professionnelle dans la société d’avocats. [...]

(2)      La majorité des parts sociales et des droits de vote doivent être détenus par des avocats. Dans la mesure où les associés ne sont pas autorisés à exercer l’une des professions mentionnées à l’alinéa 1, première phrase, ils n’ont pas de droit de vote.

(3)      Les parts dans la société d’avocats ne doivent pas être détenues pour le compte de tiers et les tiers ne doivent pas participer aux bénéfices de la société d’avocats.

(4)      Les associés ne peuvent donner procuration pour l’exercice des droits d’associés qu’à des associés disposant du droit de vote et appartenant à la même profession ou qui sont des avocats. »

16.      Conformément à l’article 59f BRAO :

« (1)      La société d’avocats doit être gérée de manière responsable par des avocats. Les gérants doivent être majoritairement des avocats.

(2)      Seules les personnes autorisées à exercer une profession mentionnée à l’article 59e, paragraphe 1, première phrase, peuvent être gérants.

(...)

(4)      L’indépendance des avocats qui sont gérants ou mandatés conformément au paragraphe 3 doit être garantie dans l’exercice de leur profession d’avocat. Les influences exercées par les associés, notamment par le biais d’instructions ou de liens contractuels, sont interdites. »

II.    Les faits, le litige et les questions préjudicielles

17.      Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG (ci-après « Halmer UG ») est une société d’avocats opérant en Allemagne sous la forme d’une haftungsbeschränkte Unternehmergesellschaft (société d’entrepreneurs à responsabilité limitée). Le gérant et associé unique de cette société était à l’origine M. Halmer.

18.      Par contrat signé le 31 mars 2021, 51 des 100 parts sociales de M. Halmer ont été cédées à SIVE Beratung und Beteiligung GmbH (ci‑après « SIVE »), une société à responsabilité limitée de droit autrichien qui n’est autorisée à fournir des conseils juridiques ni en Allemagne ni en Autriche. Parallèlement, les statuts de Halmer UG ont été modifiés afin de garantir l’indépendance de la gestion de la société, qui restait réservée aux avocats.

19.      Le 19 mai 2021, l’ordre a fait savoir à Halmer UG que, en vertu du BRAO, notamment de ses articles 59a et suivants, la cession des parts sociales à SIVE était interdite, et que, par conséquent, l’autorisation accordée à Halmer UG pour l’exercice de la profession d’avocat devait être révoquée si cette cession était maintenue.

20.      Le 26 mai 2021, Halmer UG a informé l’ordre qu’il convenait de maintenir la cession, en invitant ce dernier à prendre une décision.

21.      Le 9 novembre 2021, l’ordre a révoqué l’autorisation accordée à Halmer UG.

22.      Le 26 novembre 2021, Halmer UG a introduit un recours contre la décision de l’ordre devant le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil disciplinaire des avocats de Bavière, Allemagne), qui a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« [1.]      L’obligation, prévue par la législation d’un État membre, de radier du barreau une société d’avocats est-elle constitutive d’une restriction inadmissible au droit à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE lorsque

[a)]      une part sociale de la société d’avocats est transférée à une personne qui ne remplit pas les exigences professionnelles particulières liées à l’acquisition d’une part sociale selon le droit de l’État membre ? Selon ces exigences, une part sociale dans une société d’avocats ne peut être acquise que par un avocat ou un autre membre d’un barreau, un avocat‑conseil en brevets, un conseiller fiscal, un mandataire fiscal, un commissaire aux comptes ou un expert-comptable assermenté, par un membre de la profession d’avocat d’un autre État qui est autorisé à exercer l’activité de conseil juridique sur le territoire national, ou par un avocat-conseil en brevets, un conseiller fiscal, un mandataire fiscal, un commissaire aux comptes ou un expert-comptable assermenté d’un autre État qui est autorisé à exercer cette activité sur le territoire national, ou par un médecin ou un pharmacien,

[b)]      un associé remplit certes les exigences particulières visées au point [a)], mais n’exerce pas d’activité professionnelle dans la société d’avocats ?

[c)]      en raison de la cession d’une ou plusieurs parts sociales ou des droits de vote, la majorité de celles-ci n’appartient plus aux avocats ?

[2.]      Le fait qu’un associé qui n’est pas habilité à exercer une profession au sens du point [1, sous a)] n’a pas de droit de vote est-il constitutif d’une restriction inadmissible au droit à la libre circulation des capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, alors que les statuts de la société contiennent des clauses visant à protéger l’indépendance des avocats et de l’activité d’avocat de la société, en garantissant que la société est exclusivement représentée par des avocats en tant que directeurs ou fondés de pouvoir, qu’il est interdit aux associés et à l’assemblée des associés d’exercer une influence sur la gestion de la société au moyen d’instructions ou indirectement par la menace de préjudices, que les décisions des associés qui enfreignent ces dispositions sont privées d’effet et que l’obligation de secret professionnel des avocats est étendue aux associés et aux personnes mandatées par ceux-ci ?

[3.]      Les restrictions mentionnées [au point 1, sous a), et au point 2] remplissent-elles les conditions prévues à l’article 15, paragraphe 3, sous a) à c), de la directive [2006/123] pour être qualifiées d’atteintes admissibles à la libre prestation de services ?

[4.]      Au cas où, selon la [Cour], le droit de la requérante à la libre circulation des capitaux (points [1 et 2]) ne serait pas affecté et [...] il n’y aurait pas de violation de la directive [2006/123] (point [3]) :

Les restrictions mentionnées aux points [1 et 2] violent-elles le droit de [SIVE] à la liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE ? »

III. La procédure devant la Cour

23.      La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 9 mai 2023.

24.      Des observations écrites ont été déposées par Halmer UG et SIVE, l’ordre, les gouvernements allemand, autrichien, espagnol et français ainsi que par la Commission européenne. Tous, à l’exception du gouvernement français, ont comparu, de même que les gouvernements croate et slovène, lors de l’audience publique qui s’est tenue le 30 avril 2024.

IV.    Analyse

A.      Observations liminaires

25.      La juridiction de renvoi (5) est saisie d’un litige ayant pour objet la révocation de l’autorisation accordée à une société d’avocats pour l’exercice de la profession d’avocat.

26.      Selon l’ordre, la société d’avocats dont l’autorisation est révoquée a cessé de respecter plusieurs exigences imposées par le BRAO, en particulier les suivantes :

–        les associés doivent être avocats ou exercer certaines professions libérales ;

–        les associés doivent exercer une activité professionnelle au sein de la société d’avocats, et

–        la majorité des parts sociales et des droits de vote doit appartenir à des avocats.

27.      La juridiction de renvoi souhaite savoir, en résumé, si ces exigences imposées par la législation nationale :

–        restreignent indûment la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63, paragraphe 1, TFUE ;

–        méconnaissent les conditions qui, en vertu de la directive 2006/123, justifient une ingérence dans l’accès à une activité de service ou dans son exercice, et

–        à titre subsidiaire, portent atteinte à la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE.

28.      Dans la mesure où la juridiction de renvoi, tout en privilégiant l’article 63 TFUE, pose également ses questions au regard de l’article 49 TFUE et de la directive 2006/123, il conviendra d’identifier, au préalable, quelle liberté est directement affectée.

29.      J’estime qu’il est possible d’apporter à la juridiction de renvoi une réponse unique couvrant l’ensemble de ses interrogations.

B.      Les libertés compromises dans la présente affaire

1.      Libre circulation des capitaux ou liberté d’établissement ?

30.      Les dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations acquises avec le seul objectif de réaliser un placement financier, sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de la société, doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux (article 63 TFUE) (6).

31.      En revanche, une réglementation nationale « qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer [ses activités] » relève du champ d’application de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement (7).

32.      La juridiction de renvoi considère que la liberté qui est affectée dans la présente affaire est la libre circulation des capitaux. Elle note que 51 % des parts sociales de Halmer UG ont été cédées à SIVE, mais estime que cet élément n’implique pas, à lui seul, que SIVE soit en mesure d’exercer une influence déterminante sur Halmer UG.

33.      Selon la juridiction de renvoi :

–        l’influence déterminante n’est pas uniquement liée au volume des parts sociales, mais également au régime de fonctionnement de la société tel qu’il résulte de ses statuts ;

–        les statuts de Halmer UG, une fois modifiés afin de permettre la cession des parts à SIVE, ne permettent pas à cette dernière d’exercer une influence déterminante sur la société d’avocats (8), et

–        il s’agirait donc d’un investissement dit « de portefeuille », c’est‑à‑dire effectué avec le seul objectif d’apporter des capitaux, sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (9).

34.      Le volume de participation au capital social est un élément pertinent pour apprécier l’influence que la détention de capital social confère au titulaire de l’investissement. Il ne suffit toutefois pas pour conclure que, à elle seule, la majorité du capital social attribue une influence effective sur la société (10). Inversement, cette influence peut être obtenue même avec des participations inférieures (11).

35.      La détention de 51 % du capital social de Halmer UG par SIVE est un élément qui pourrait, éventuellement, être compensé par d’autres, au point d’écarter l’exercice par SIVE d’une influence effective sur l’activité de Halmer UG. Les modifications des statuts de la société que décrit la juridiction de renvoi (12) iraient en ce sens.

36.      C’est là une question de fait qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier et de trancher. Si, comme il semble ressortir des termes de la décision de renvoi, l’investissement réalisé par SIVE se limite à un simple apport de capital sans prétendre exercer une influence sur la gestion, l’analyse devrait se concentrer sur l’article 63 TFUE.

37.      Cependant, l’analyse peut tenir compte non plus des circonstances concrètes de l’investissement effectué, mais de l’approche, plus générale et abstraite, relative à la finalité de la règle litigieuse.

38.      Comme le soulignent les gouvernements allemand, autrichien, espagnol et français, la règle ici appliquée a pour objet l’accès à la profession d’avocat et les conditions d’exercice de celle-ci (13). Il s’agirait du critère prépondérant pour identifier la liberté en jeu.

39.      Le BRAO s’inscrit dans un ensemble d’actes qui visent, entre autres objectifs, à garantir l’indépendance professionnelle des avocats. Dans cette optique, il exclut que soient intégrées dans une société d’avocats des personnes qui ont un intérêt purement économique et qui ne sont pas soumises aux règles déontologiques de l’exercice de la profession d’avocat (14).

40.      Le législateur allemand semble considérer qu’il n’est pas souhaitable que des investisseurs étrangers à la profession d’avocat (à l’exception des membres de certaines professions organisées en ordres qui sont considérées par le BRAO comme assimilables à celle-ci) exercent la moindre influence, et non uniquement une influence déterminante, sur le fonctionnement d’une société d’avocats (15).

41.      Ainsi, selon la loi nationale, un investissement en capital dans une société d’avocats par des personnes étrangères à la profession d’avocat (ou étrangères aux professions que cette loi considère comme étant assimilables à celle-ci) implique une influence qui est à même de dénaturer l’exercice de cette profession.

42.      L’interdiction pour les personnes qui ne sont pas avocates (ou qui n’exercent pas une profession considérée comme assimilable en vertu du droit national) d’apporter des capitaux à ces sociétés constitue une entrave à la liberté d’établissement (article 49 TFUE), qui est la liberté principalement affectée.

43.      Ces prémisses étant posées, l’éventuelle atteinte à l’exercice de la libre circulation des capitaux ne constituerait qu’un effet collatéral et secondaire d’une réglementation dont l’objet primordial est d’une autre nature. Cette réglementation limite considérablement l’établissement des opérateurs économiques par l’intermédiaire des sociétés de capitaux habilitées à fournir les services de conseil juridique réservés aux avocats.

44.      Dans ces conditions, un examen autonome d’une telle réglementation à la lumière de l’article 63 TFUE n’est pas indispensable.

2.      Article 49 TFUE ou directive 2006/123 ?

45.      L’étape suivante consiste à déterminer si la règle litigieuse doit être examinée au regard de l’article 49 TFUE ou de la directive 2006/123.

46.      La directive 2006/123 prévoit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires (article 1, paragraphe 1).

47.      La Cour accorde une priorité générale à la directive 2006/123 : lorsqu’une restriction à la liberté d’établissement relève du champ d’application de cette directive, il n’y a pas lieu de l’examiner également au regard de l’article 49 TFUE (16).

48.      Par conséquent, les dispositions nationales litigieuses doivent être confrontées aux dispositions de la directive 2006/123, qui s’applique, en principe, aux services juridiques dispensés par les avocats (17).

49.      Or, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123, en cas de conflit, les dispositions d’un autre acte de l’Union « régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques » priment celles de ladite directive.

50.      Le législateur de l’Union a adopté les directives 77/249/CEE (18) et 98/5/CE (19) afin de faciliter la libre prestation de services ou l’exercice permanent de la profession d’avocat dans les États membres. Ces directives ne contiennent pas de dispositions spécifiques relatives à l’acquisition de parts ou à l’exercice de droits de vote dans des sociétés d’avocats.

51.      La directive 98/5 « ne porte notamment pas atteinte aux réglementations nationales régissant l’accès à la profession d’avocat et son exercice » (20). En particulier, son article 11, relatif à l’« exercice en groupe » de la profession d’avocat, suppose que les États membres peuvent permettre ou non cette modalité d’exercice de l’activité professionnelle.

52.      La Cour a reconnu que, « en l’absence de règles communautaires spécifiques en la matière, chaque État membre reste, en principe, libre de régler l’exercice de la profession d’avocat sur son territoire […]. Les règles applicables à cette profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d’un État membre à l’autre » (21).

53.      En l’état actuel du droit de l’Union, les États membres sont donc libres d’accepter que l’exercice de la profession d’avocat s’effectue au moyen de sociétés de capitaux. En fonction de leur conception de la profession d’avocat ainsi que des raisons d’intérêt général justifiant la décision à cet égard, j’estime, à la différence de la Commission, que les États membres pourraient simplement proscrire une telle modalité collective d’exercice professionnel (22).

54.      Dans cette même mesure (en l’absence d’harmonisation concernant cette question spécifique dans le droit de l’Union actuellement en vigueur), les États qui se montrent favorables à l’exercice de la profession d’avocat par l’intermédiaire de sociétés de capitaux sont habilités à imposer certaines conditions quant à l’organisation et au fonctionnement de ces sociétés (23).

55.      Or, en prenant pour point de départ le fait que les différences entre États membres en la matière sont admises (24), si un État membre consent à ce que la profession d’avocat soit exercée par l’intermédiaire de sociétés de capitaux, comme c’est le cas en l’espèce, les restrictions qu’il impose doivent être appréciées à la lumière de la directive 2006/123.

56.      La République fédérale d’Allemagne aurait pu choisir, je le répète, d’exclure, tout simplement, l’exercice de la profession d’avocat par l’intermédiaire de sociétés de capitaux, sans que cela n’implique une atteinte aux libertés fondamentales garanties par l’Union. Cependant, si elle autorise la constitution et l’établissement de ce type de sociétés, les restrictions par lesquelles elle limite le libre exercice de leur activité doivent être conformes, notamment, à la directive 2006/123, à la lumière de laquelle elles doivent être appréciées.

57.      Cette appréciation implique de déterminer : a) si les mesures nationales litigieuses constituent une restriction à la liberté d’établissement, et b) si, dans l’hypothèse où leur caractère restrictif serait établi, elles sont dûment justifiées.

C.      Analyse de la restriction

1.      Existence de la restriction

58.      La restriction découle des conditions imposées par le BRAO à la participation dans une société d’avocats. La juridiction de renvoi les énonce en ces termes :

–        le participant doit être avocat, avocat-conseil en brevets, conseiller fiscal, mandataire fiscal, commissaire aux comptes, expert-comptable assermenté (25), médecin ou pharmacien (26) ;

–        la majorité du capital de la société doit appartenir à des avocats ;

–        le participant doit exercer une activité professionnelle au sein de la société, et

–        la majorité des droits de vote doit être réservée à des avocats.

59.      Je ne pense pas qu’il y ait de doute quant à l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement en l’espèce. L’application du BRAO empêche SIVE de devenir associée au sein d’une société (Halmer UG) qui fournit des services réservés aux avocats. SIVE ne peut acquérir de parts sociales de Halmer UG, sous peine d’une révocation de l’autorisation accordée à cette dernière pour l’exercice de la profession d’avocat, comme cela s’est produit.

2.      Justification de la restriction

60.      La restriction doit être soumise au contrôle prévu à l’article 15 de la directive 2006/123, dont le paragraphe 2, sous c), impose aux États membres d’examiner les exigences « relatives à la détention du capital d’une société » afin de vérifier qu’elles respectent les conditions visées au paragraphe 3 dudit article (27).

61.      En vertu des conditions établies dans ce paragraphe 3, en substance, les exigences imposées doivent : a) n’opérer aucune discrimination en fonction de la nationalité ou de l’emplacement du siège de la société ; b) être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, et c) être « propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat ».

62.      Ces conditions correspondent, en substance, à celles requises par la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les restrictions aux libertés de circulation protégées par les articles 49 et 63 TFUE. Cet élément relativise, dans une large mesure, la discussion sur l’identification de la liberté qui est concrètement affectée en l’espèce.

a)      Non-discrimination

63.      La restriction litigieuse ne tient compte, ni directement ni indirectement, de la nationalité ou de l’emplacement du siège statutaire des personnes concernées, et affecte, de la même manière, les ressortissants nationaux et étrangers. Elle respecte donc l’article 15, paragraphe 3, sous a), de la directive 2006/123.

b)      Raison impérieuse d’intérêt général

64.      Il en va de même concernant la justification requise par l’article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123. Les motifs qui, selon la juridiction de renvoi, sous-tendent les règles du BRAO peuvent être qualifiés de raisons impérieuses d’intérêt général.

65.      En effet, la restriction vise à garantir, d’une part, l’indépendance des avocats, la bonne administration de la justice, le respect du principe de transparence et la protection du secret professionnel (28), et, d’autre part, la protection des consommateurs de services juridiques (29).

66.      Plus précisément, et comme l’a relevé la Commission, le législateur national a identifié, à l’époque, comme objectifs de la mesure la sauvegarde : a) de l’indépendance professionnelle des avocats ; b) du respect de la réglementation régissant la profession ; c) de la qualité des services, et d) de la protection des justiciables (30).

67.      Toutes ces justifications sont des justifications admissibles sans contestation au titre de la notion de « raison impérieuse d’intérêt général ». Elles ont été reconnues comme telles par la Cour (31) et comptent parmi celles qui sont visées à l’article 4, point 8, de la directive 2006/123.

c)      Proportionnalité et cohérence

68.      La proportionnalité requise par l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123 implique que les exigences en cause soient appropriées aux fins de la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent, qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre et que d’autres mesures moins contraignantes ne permettent pas d’atteindre le même résultat.

69.      La clé est donc l’objectif poursuivi par les exigences imposées. Il conviendra d’examiner au regard de cet objectif le caractère approprié de ces exigences, leur stricte nécessité et l’absence de conditions alternatives qui, tout en étant moins restrictives, garantissent néanmoins le même résultat.

70.      Parmi les objectifs que servent les exigences en cause, je m’attarderai principalement sur ceux consistant à préserver l’indépendance professionnelle des avocats et à protéger les intérêts des justiciables. Ces derniers peuvent légitimement attendre de l’avocat à qui ils confient leur défense qu’il agisse sans être influencé par des pressions exercées par des tiers à cette profession (32).

1)      Limitation de la participation sociale à certaines catégories professionnelles

71.      Le BRAO interdit, d’emblée, que les sociétés d’avocats comptent parmi leurs associés des personnes étrangères à la profession d’avocat. Une telle interdiction est propre à sauvegarder l’indépendance professionnelle des avocats et la protection des justiciables, lorsque des avocats décident de créer une société en vue d’exercer en commun leur profession. La profession d’avocat, en tant que telle, combine un intérêt privé évident avec la satisfaction de certains intérêts généraux (33).

72.      L’interdiction litigieuse prend son sens lorsque l’on relève que les avocats se voient confier « une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables[.] […] [M]ission fondamentale [qui] comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client » (34).

73.      D’où le fait que « l’absence de conflit d’intérêts est indispensable à l’exercice de la profession d’avocat et implique, notamment, que les avocats se trouvent dans une situation d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des autres opérateurs dont il convient qu’ils ne subissent aucune influence » (35).

74.      La soumission des avocats à la discipline professionnelle, « imposée et contrôlée dans l’intérêt général » (36), est la contrepartie nécessaire de « [la] conception du rôle de l’avocat, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin » (37).

75.      Ainsi, le fait de réserver aux avocats la possibilité d’intégrer une société d’avocats est apte à sauvegarder leur indépendance professionnelle, d’une part, et la protection des justiciables, d’autre part.

76.      Il s’avère, cependant, que cette exclusivité ne fait pas obstacle, en Allemagne, à la participation dans les sociétés d’avocats de certains professionnels étrangers à la profession d’avocat. Les professionnels (qui ne sont pas des avocats) visés à l’article 59a, paragraphe 1, BRAO peuvent en effet être associés d’une société d’avocats.

77.      Certes, ces professionnels (qui ne sont pas des avocats) ne peuvent pas détenir la majorité des parts sociales. Cela étant, la possibilité qu’un pourcentage, y compris notable, du capital d’une société d’avocats soit acquis par certains (et non par d’autres) professionnels étrangers à la profession d’avocat amène à s’interroger sur la cohérence de la règle en question.

78.      Comme l’a relevé la Commission, l’assimilation de ces professionnels aux avocats peut s’expliquer dans le contexte de la complexité croissante, notamment sur leurs aspects économiques, des litiges dans lesquels un conseil juridique de qualité requiert le concours de professionnels d’autres catégories (38).

79.      Cette explication pourrait, éventuellement, justifier l’assimilation de certains professionnels dont l’activité est plus ou moins liée aux questions juridiques, parmi ceux visés à l’article 59a BRAO.

80.      En principe, la sauvegarde de l’indépendance professionnelle des avocats et la protection des justiciables ne sont pas remises en cause si la participation aux sociétés d’avocats est limitée, outre aux avocats, à d’autres professionnels assimilables exerçant, en position minoritaire (39), une activité non incompatible avec l’indépendance des avocats (40). Ces autres professionnels devraient, en outre, être soumis à la discipline d’un ordre professionnel garantissant le bon exercice, légal et déontologique, de leur profession.

81.      Cependant, dans la mesure où l’obligation de prouver de manière adéquate, sur la base de données précises, les raisons justifiant la mesure examinée (41) n’a pas été respectée en l’espèce, il n’est pas possible de savoir pourquoi d’autres professions, dont le concours aux travaux de conseil juridique pourrait être aussi pertinent que celui des professions qui sont, elles, visées par le BRAO, ne figurent pas dans le même cercle des professions admissibles (42).

82.      La restriction ne garantit donc pas de manière cohérente la réalisation de l’objectif poursuivi. Pour que tel soit le cas, il faudrait, conformément à la jurisprudence, qu’elle « répond[e] véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique » (43).

83.      L’assimilation aux avocats de certaines professions organisées en ordres et, dans le même temps, l’exclusion d’autres professions qui répondent aux mêmes (prétendus) critères justificatifs privent la mesure restrictive, telle qu’elle était organisée à la date à laquelle concernée par le litige, de la cohérence nécessaire pour atteindre le but recherché.

84.      Cette appréciation est corroborée, selon moi, par la circonstance que le législateur allemand, dans la version du BRAO en vigueur depuis 2022, a ultérieurement corrigé la limitation. Le (nouvel) article 59c, paragraphe 1, point 4, BRAO dispose que les avocats peuvent s’associer, pour l’exercice en commun de la profession dans une société d’exercice libéral, avec des personnes exerçant au sein de cette société une profession libérale, à moins qu’une telle association ne soit incompatible avec la profession d’avocat.

2)      Exigence de l’exercice d’une activité professionnelle au sein de la société d’avocats

85.      La deuxième restriction à laquelle la juridiction de renvoi fait référence concerne l’exigence selon laquelle les avocats (ou les membres des autres professions assimilables) doivent exercer « une activité professionnelle au sein de la société d’avocats » (44).

86.      La restriction ainsi organisée présente une certaine ambiguïté. Il y a lieu de supposer que l’« activité professionnelle » à laquelle elle fait référence est l’une de celles que seuls les professionnels autorisés à participer à une société d’avocats peuvent exercer et que cette activité professionnelle constitue précisément la caractéristique de leur profession.

87.      Le cercle des personnes habilitées à participer à une société d’avocats est ainsi encore davantage réduit : il ne suffit pas d’être avocat (ou équivalent), mais il faut exercer en tant que tel au sein de la société. Sont donc exclus les avocats et les professionnels assimilés qui se bornent à investir dans la société ou qui y exercent des fonctions étrangères à celles d’avocat (ou à celles de la profession équivalente) (45).

88.      Il s’avère cependant que, ainsi qu’il a été relevé lors de l’audience, cette restriction n’impose pas un minimum d’activité effective au sein de la société, et n’est pas, en pratique, contrôlable par l’ordre, en tant que responsable en dernier ressort du respect du BRAO (46). Il est donc légitime de douter de son aptitude réelle à atteindre ses finalités (supposées).

89.      Selon moi, cette deuxième restriction vient préciser la portée de la première, sans remédier à l’incohérence qui m’a conduit à constater le caractère inadéquat de celle-ci dans la section précédente.

3)      Réserve de la majorité des votes aux avocats

90.      Conformément à l’article 59e, paragraphe 2, BRAO, les avocats doivent détenir la majorité des parts sociales et des droits de vote (47).

91.      La double majorité réservée aux avocats s’agissant des parts sociales, d’une part, et des droits de vote, d’autre part, vise à ce que des personnes étrangères à la profession d’avocat n’aient pas d’incidence significative sur les décisions de la société.

92.      La règle entend sauvegarder l’indépendance professionnelle des avocats et la protection des justiciables. Au service de ces objectifs, elle vise à ce que, lorsque des personnes étrangères à la profession d’avocat font partie d’une société d’avocats, elles n’exercent pas, compte tenu de leur position doublement minoritaire, un contrôle effectif sur cette société.

93.      Or, une nouvelle fois, la réglementation litigieuse est entachée d’une certaine incohérence, car, sans autres précautions, l’exigence d’une double majorité (de capital et de votes) détenue par les avocats pourrait ne pas être suffisante pour éviter des pressions indésirables sur ces derniers, émanant d’investisseurs qui ne sont pas des avocats.

94.      À propos d’une autre limitation des droits de vote (48), la Cour a jugé qu’« il peut [...] être envisagé que les décisions liées à l’investissement ou au désinvestissement financier prises par les associés minoritaires, ne détenant qu’un maximum de 25 % des droits de vote, influent, bien que de manière indirecte, sur les décisions des organes de la société » (49).

95.      Le BRAO autorise les associés qui ne sont pas des avocats à détenir, d’une part, jusqu’à 49 % du capital d’une société d’avocats et, d’autre part, le même pourcentage de droits de vote dans cette société. Ainsi, les associés qui ne sont pas des avocats peuvent exercer une influence déterminante sur les décisions de la société, car ils ont seulement besoin de la contribution de 2 % des avocats qui détiennent 2 % du capital pour former la volonté de la société (50). Ce risque est plus élevé lorsque le capital est très dispersé parmi les associés avocats (51).

96.      La règle établie par le législateur allemand en ce qui concerne la majorité des votes n’empêche pas les associés qui ne sont pas des avocats d’influencer les décisions de la société dont ils font partie, ce qui pose un risque pour l’indépendance des avocats (52). Dans cette même mesure, elle affectera la perception qu’ont les justiciables de l’indépendance des avocats, qui doivent être protégés des pressions extérieures.

97.      Afin de remédier à cet inconvénient, la Commission suggère de dissocier les exigences de propriété du capital et de droit de vote (53). Je pense plutôt que la cohérence du système impliquerait de renforcer les précautions empêchant ex ante les attaques, directes ou indirectes, contre l’indépendance des avocats, quel que soit le pourcentage des votes des professionnels autres que les avocats eux-mêmes.

98.      Il est vrai que des formules pourraient être élaborées pour équilibrer le rapport entre le poids du capital et le poids du vote, sans dénaturer à l’extrême la logique de la corrélation entre la détention du capital et la formation de la volonté de la société (qui se manifeste par les votes normalement inhérents à la participation de chaque associé).

99.      En tout état de cause, j’estime qu’il doit exister des dispositions visant à éviter que des investisseurs étrangers à la profession puissent influencer, directement ou indirectement, les décisions de la société d’avocats lorsque l’indépendance de ces derniers et la protection due aux intérêts de leurs clients sont en jeu. Les précautions qui, en ce sens, ont été mentionnées par l’un des intervenants au litige (54) ne me semblent pas suffisantes pour anéantir ce risque.

100. Il appartient au législateur national de concevoir la solution normative pertinente, sans qu’il n’incombe à la Cour, dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, d’aller au-delà du constat que des règles telles que celles en cause manquent de la cohérence indispensable pour que la restriction soit justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

101. Ces réflexions sont formulées à la lumière du cadre général établi par le BRAO, et non de la situation particulière des deux sociétés impliquées dans le litige. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier si les statuts modifiés de Halmer UG, tels qu’elle les présente (55), atténuent le risque que SIVE exerce une influence sur les décisions de la société d’avocats.

D.      Résumé

102. Les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour réglementer la profession d’avocat, notamment en ce qui concerne l’exercice de celle-ci par l’intermédiaire de sociétés de capitaux.

103. Dans le cadre de cette marge d’appréciation, si les États membres acceptent que l’exercice de la profession d’avocat s’effectue par l’intermédiaire de sociétés de capitaux, ils sont en droit de soumettre cet exercice à certaines restrictions. Ces restrictions doivent être cohérentes entre elles et avec les raisons d’intérêt général qui les justifient.

104. Les restrictions imposées par le BRAO à la participation dans les sociétés d’avocats sur lesquelles portent les questions de la juridiction de renvoi sont dépourvues de la cohérence nécessaire pour être conformes aux dispositions de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123, dans la mesure où :

–        elles excluent de la qualité d’associés les membres d’autres professions, distinctes de celles qui sont expressément mentionnées dans le BRAO, qui pourraient satisfaire aux critères sur la base desquels l’inclusion des professions mentionnées est admise ;

–        elles exigent, de manière générique et sans autres précisions, que les avocats et les autres professionnels autorisés à s’associer exercent une activité professionnelle au sein de la société, et

–        elles admettent que les professionnels autres que les avocats détiennent un pourcentage du capital et des votes qui soit suffisant pour leur conférer une influence, directe ou indirecte, substantielle aux fins de la détermination de la volonté de la société, qui est susceptible de mettre en péril l’indépendance des avocats dans la défense de leurs clients.

V.      Conclusion

105. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre au Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil disciplinaire des avocats de Bavière, Allemagne) de la manière suivante :

« L’article 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale dont les dispositions

1)      permettent aux membres de certaines professions de participer en tant qu’associés à une société d’avocats, à l’exclusion d’autres professions qui, objectivement, pourraient satisfaire aux mêmes critères que ceux sur la base desquels l’inclusion des membres de certaines professions est admise ;

2)      exigent, de manière générique et sans autres précisions, que les avocats et les autres professionnels autorisés à s’associer exercent une activité professionnelle au sein de la société, et

3)      admettent que les professionnels autres que les avocats détiennent un pourcentage du capital et des votes qui soit suffisant pour leur conférer une influence, directe ou indirecte, substantielle aux fins de la détermination de la volonté de la société, qui est susceptible de mettre en péril l’indépendance des avocats dans la défense de leurs clients ».


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Le Bundesrechtsanwaltsordnung (règlement fédéral sur le statut des avocats), dans sa version en vigueur jusqu’au 31 juillet 2022 (ci-après le « BRAO »). Selon la décision de renvoi (point 3), cette version est celle qui est applicable au litige, raison pour laquelle, dans le cadre des présentes conclusions, je me référerai, en principe, à celle-ci, à moins qu’il ne soit intéressant de faire part de certains détails du BRAO dans sa version en vigueur depuis 2022.


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 6).


4      Le libellé du BRAO auquel je me réfère est, comme je l’ai déjà précisé, celui antérieur à la réforme de 2022.


5      Bien qu’aucune des parties n’ait mis en doute la nature juridictionnelle de cet organe, il convient de relever que le Bayerischer Anwaltsgerichtshof (conseil disciplinaire des avocats de Bavière) réunit les conditions pour être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE. Il a été créé en vertu d’une disposition légale (l’article 100, paragraphe 1, BRAO) pour trancher, en fonctionnant de manière permanente, les litiges qui lui sont attribués (article 112a, paragraphe 1, BRAO). Sa compétence est obligatoire (article 112a BRAO), est exercée selon une procédure contradictoire régie, en substance, par les dispositions procédurales de droit commun (article 112c BRAO) et se manifeste par des décisions susceptibles d’appel (article 112e BRAO). Enfin, il s’agit d’un organe indépendant, intégré dans la structure juridictionnelle allemande et composé, de manière paritaire, de magistrats professionnels et d’avocats investis de la qualité de juges honoraires dans l’exercice de leurs fonctions (article 101, article 103, paragraphe 2, et article 104 BRAO), qui sont nommés pour une durée de cinq ans et sont inamovibles (article 103, paragraphes 1 et 2, BRAO).


6      Arrêt du 16 février 2023, Gallaher (C‑707/20, EU:C:2023:101, point 56).


7      Arrêt du 24 février 2022, Viva Telecom Bulgaria (C‑257/20, EU:C:2022:125, point 79).


8      La juridiction de renvoi souligne que les statuts modifiés réservent la gestion des affaires sociales aux seuls avocats ; que les gérants ne peuvent être révoqués que par décision unanime ; qu’il est interdit aux associés d’exercer une influence sur la direction au moyen d’instructions ou de menaces ; que, en particulier, les associés ne peuvent exercer d’influence sur l’acceptation, le refus ou la gestion d’un mandat. En définitive, elle estime que les statuts sont conformes à la réglementation nationale et la complètent, étant donné que, comme le requiert l’article 59f BRAO, ils garantissent l’indépendance dans l’exercice de leur profession des avocats agissant en tant que gérants ou au nom de la société (point 40 de la décision de renvoi).


9      Arrêt du 17 septembre 2009, Glaxo Wellcome (C‑182/08, EU:C:2009:559, point 40).


10      C’est le cas, certes, lorsqu’il s’agit d’une participation équivalente à 100 % du capital [arrêt du 13 juillet 2023, Xella Magyarország (C‑106/22, EU:C:2023:568, point 43)].


11      Arrêt du 21 octobre 2010, Idryma Typou (C‑81/09, EU:C:2010:622), point 51 : « Selon la manière dont le reste du capital social est réparti, notamment s’il est dispersé parmi un grand nombre d’actionnaires, une participation de 25 % peut être suffisante pour détenir le contrôle d’une société ou à tout le moins exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et en déterminer les activités », de sorte que la réglementation nationale « est [...] susceptible de relever de l’article 49 TFUE ». Voir dans le même sens points 94 et suivants des présentes conclusions.


12      Voir note en bas de page 8 des présentes conclusions.


13      Il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre des libertés de circulation, il y a lieu de prendre en considération l’objet de la réglementation concernée. Voir arrêt du 11 juin 2020, KOB (C‑206/19, EU:C:2020:463, point 23 et jurisprudence citée).


14      Cela est indiqué au point 53 de la décision de renvoi.


15      Le présupposé implicite dans le BRAO est qu’un investissement en capital dans une société d’avocats implique, quel que soit le pourcentage des parts acquises, une influence qui, par définition et aussi minime soit-elle, pourrait perturber l’exercice indépendant de la profession d’avocat.


16      Arrêt du 26 juin 2019, Commission/Grèce (C‑729/17, EU:C:2019:534, point 54 et jurisprudence citée).


17      Arrêt du 13 janvier 2022, Minister Sprawiedliwości (C‑55/20, EU:C:2022:6, point 88).


18      Directive du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (JO 1977, L 78, p. 17).


19      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise (JO 1998, L 77, p. 36).


20      Considérant 7 de la directive 98/5.


21      Arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98), point 99 citant les arrêts du 12 juillet 1984, Klopp (107/83, EU:C:1984:270, point 17), et du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede (C‑3/95, EU:C:1996:487, point 37).


22      Rien n’empêcherait, selon moi, un État membre de limiter l’exercice en groupe de la profession d’avocat à des sociétés de personnes, et non de capitaux. Lorsqu’il se prononce dans un sens ou dans un autre, chaque État membre évalue le poids de facteurs tels que la présence, sur un marché des services juridiques de plus en plus globalisé, de concurrents opérant par l’intermédiaire de sociétés de capitaux. Il peut également apprécier l’opportunité de doter ces sociétés de ressources financières externes (sous forme de capital et non seulement de prêts) pour faire face aux défis technologiques que la numérisation ou l’intelligence artificielle implique pour les cabinets d’avocats. Tant qu’il n’existe pas de réglementation harmonisée concernant cette question au niveau de l’Union, chaque État membre est libre d’accepter ou de refuser, en fonction de ses propres convenances, la présence de sociétés de capitaux au sein de la profession d’avocat telle qu’elle existe dans son ordre juridique.


23      Dans l’arrêt du 19 mai 2009, Commission/Italie (C‑531/06, EU:C:2009:315), la Cour a jugé compatible avec la liberté d’établissement et la libre circulation des capitaux une législation nationale en vertu de laquelle seuls les pharmaciens pouvaient être associés des sociétés d’exploitation de pharmacies.


24      Voir, à cet égard, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur les recommandations de réformes en matière de réglementation des services professionnels [COM(2016) 820 final]. Au point II.4 d’une autre communication ultérieure [COM (2021) 385 final], sur le bilan et la mise à jour des recommandations de réformes de 2017 en matière de réglementation des services professionnels, la Commission affirme que « [l]a possibilité de créer un cabinet juridique sous une forme juridique spécifique est étroitement liée aux exigences relatives à la détention du capital et aux droits de vote. La grande majorité des États membres exigent que toutes les parts soient détenues par des avocats ». Mise en italique par mes soins.


25      Dans tous ces cas, les professionnels d’autres États qui sont autorisés à exercer la profession en Allemagne sont également inclus.


26      L’inclusion des médecins et des pharmaciens relève d’une extension du contenu de l’article 59a BRAO motivée par un arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) du 12 janvier 2016 (BVerfGE 141, 82).


27      Selon la Cour, l’article 15, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/123 est applicable à la composition des détenteurs du capital des sociétés. Voir ainsi, notamment, arrêt du 29 juillet 2019, Commission/Autriche (Ingénieurs civils, agents de brevets et vétérinaires) [C‑209/18, EU:C:2019:632, ci-après l’« arrêt Commission/Autriche (Ingénieurs civils) »], point 84. La limitation de l’exercice des droits de vote constitue une restriction à la liberté d’établissement [arrêt du 8 novembre 2012, Commission/Grèce (C‑244/11, EU:C:2012:694, point 29)], relevant également du champ d’application de l’article 15 paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/123.


28      Points 43 et 53 de la décision de renvoi.


29      Points 61 et 62 de la décision de renvoi.


30      Observations écrites de la Commission, point 32. Pour la Commission, l’objectif de la protection des justiciables coïncide avec celui de la protection des destinataires des services, qui est mentionné à l’article 4, point 8, de la directive 2006/123 parmi les raisons impérieuses d’intérêt général. En ce qui concerne l’indépendance professionnelle des avocats, elle serait couverte par la protection de la bonne administration de la justice, qui est mentionnée au considérant 40 de la directive 2006/123.


31      Arrêt du 17 décembre 2020, Onofrei (C‑218/19, EU:C:2020:1034), point 34 : « la protection des consommateurs, notamment des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, et, d’autre part, la bonne administration de la justice sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier des restrictions tant à la libre prestation des services […] qu[’] […] à [...] la liberté d’établissement ».


32      La contribution à une bonne administration de la justice et la protection du secret professionnel peuvent également être appréciés en tant que motifs justificatifs, mais il ne me semble pas nécessaire de m’attarder sur leur analyse, qui corroborerait ce qui ressort déjà des deux autres objectifs.


33      On peut appliquer à l’avocat, par analogie et malgré les différences existantes, ce que la Cour a jugé en ce qui concerne l’exploitant d’officine de pharmacie : « il ne saurait être nié qu’il poursuit, à l’instar d’autres personnes, l’objectif de la recherche de bénéfices. Cependant, en tant qu[’avocat] de profession, il est censé exploiter l[e cabinet] non pas dans un objectif purement économique, mais également dans une optique professionnelle. Son intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices se trouve ainsi tempéré par sa formation, par son expérience professionnelle et par la responsabilité qui lui incombe, étant donné qu’une éventuelle violation des règles légales ou déontologiques fragilise non seulement la valeur de son investissement, mais également sa propre existence professionnelle ». Arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes e.a (C‑171/07 et C‑172/07, EU:C:2009:316, point 37).


34      Arrêt du 8 décembre 2022 Orde van Vlaamse Balies e.a. (C‑694/20, EU:C:2022:963), point 28 (mise en italique par mes soins), citant notamment l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 décembre 2012, Michaud c. France (CE:ECHR:2012:1206JUD001232311, §§ 118 et 119).


35      Arrêt du 2 décembre 2010, Jakubowska (C‑225/09, EU:C:2010:729, point 61) ; caractères italiques ajoutés afin de souligner que l’indépendance doit être garantie non seulement à l’égard de la puissance publique, mais également à l’égard d’opérateurs économiques privés.


36      Arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a. (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 42).


37      Arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a. (C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 42).


38      Point 42 des observations écrites de la Commission.      


39      Le BRAO exige que la majorité des parts sociales dans les sociétés d’avocats soient détenues par ces derniers (article 59e, paragraphe 2).


40      Voir, dans un sens analogue, arrêt Commission/Autriche (Ingénieurs civils), point 104, citant l’arrêt du 1er mars 2018, CMVRO (C‑297/16, EU:C:2018:141, point 86).


41      Voir, notamment, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth (C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 85).


42      Des professionnels tels que les ingénieurs, les architectes, les économistes ou les psychologues, qui sont également soumis à la discipline d’un ordre professionnel et à des devoirs déontologiques, sont, par exemple, omis. Cela est souligné par la Commission (point 44 de ses observations écrites).


43      Arrêt Commission/Autriche (Ingénieurs civils), point 94.


44      Comme le prévoyait l’article 59e, paragraphe 1, BRAO.


45      Cela ressort des explications du gouvernement allemand lors de l’audience.


46      L’ordre a expliqué en quoi il n’est pas possible pour lui de s’immiscer dans la vie interne des cabinets d’avocats au point de savoir quelle activité est concrètement exercée par chacun de leurs associés.


47      Le libellé de l’article 59e, paragraphe 2, BRAO n’est pas simple à comprendre. Si, selon la première partie de cette disposition, « [l]a majorité des parts sociales et des droits de vote doivent être détenus par des avocats », la seconde indique que, « [d]ans la mesure où les associés ne sont pas autorisés à exercer l’une des professions [assimilées à celle d’avocat], ils n’ont pas de droit de vote ». Cette seconde affirmation est quelque peu déconcertante, car les personnes qui ne sont pas autorisées à exercer une profession assimilée ne peuvent tout simplement pas faire partie de la société. Lors de l’audience, le gouvernement allemand a expliqué que cette disposition concernait uniquement certains cas exceptionnels dans lesquels, à titre transitoire, une personne qui n’est pas avocate (ni un professionnel assimilé) peut avoir la qualité d’associé. Le libellé de cette règle a toutefois une portée plus générale.


48      Une réglementation nationale qui limitait à 25 % la participation des associés n’exerçant pas la profession de biologiste dans des sociétés d’exploitation de laboratoires d’analyses de biologie médicale.


49      Arrêt du 16 décembre 2010, Commission/France (C‑89/09, EU:C:2010:772), point 86, renvoyant aux conclusions de M. l’avocat général Mengozzi dans cette affaire (EU:C:2010:305). Au point 86 de l’arrêt du 1er mars 2018, CMVRO (C‑297/16, EU:C:2018:141), la Cour évoque également la possibilité que des détenteurs non pas de la totalité, mais d’une partie limitée du capital social, exercent un contrôle sur la société.


50      Si la Cour a considéré comme valable la formule examinée dans l’arrêt du 16 décembre 2010, Commission/France (C‑89/09, EU:C:2010:772), c’est en raison du fait que, dans cette affaire, les décisions les plus importantes nécessitaient le vote d’une majorité qualifiée d’associés, représentant au moins les trois quarts des parts sociales.


51      Le gouvernement allemand le reconnaît (au point 56 de ses observations écrites) en affirmant que, lorsque le capital social est très fragmenté, même des participations minoritaires peuvent conférer une influence considérable. Il ajoute que cette structure (dispersée) du capital caractérise souvent les sociétés d’avocats en Allemagne.


52      Comme ceci a été indiqué lors de l’audience, l’influence de facto d’un investisseur minoritaire sur les décisions de la société peut se diffuser par d’autres moyens que sa simple participation à l’assemblée des associés. Les droits des associés (y compris des associés minoritaires) aux informations sur la vie de l’entreprise, par exemple, leur confèrent une connaissance adéquate pour exercer des pressions ou demander des explications sur les décisions correspondantes, en vue de maximiser le profit économique pouvant être attendu de leur apport en capital.


53      Point 64 de ses observations écrites.


54      Parmi elles, on trouve l’application de règles déontologiques ; le droit de tout avocat de s’opposer, au sein de la société professionnelle, aux atteintes à la garantie de son indépendance ; la répression par l’ordre, a posteriori, des attaques contre cette même indépendance ; les règles de prévention des conflits d’intérêts et les obligations imposées aux administrateurs de la société.


55      Voir point 33 et note en bas de page 8 des présentes conclusions.