ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

1er décembre 2022 (*) 

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Sécurité sociale – Organisation nationale représentative des travailleurs indépendants – Plainte auprès de la Commission européenne – Article 153, paragraphe 4, TFUE – Compétence des États membres – Rejet de la plainte – Article 263 TFUE – Absence d’engagement d’une procédure en manquement – Recours ne tendant pas à l’annulation d’un acte de l’Union – Absence d’acte attaquable – Rejet du recours pour irrecevabilité manifeste – Pourvoi manifestement non fondé  »

Dans l’affaire C‑324/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 9 mai 2022,

Union nationale des indépendants solidaires (UNIS), établie à Lorient (France), représentée par Me F. Ortega, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, l’Union nationale des indépendants solidaires (UNIS) demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 8 mars 2022, UNIS/Commission (T‑431/21, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2022:126), par laquelle celui‑ci a rejeté, comme étant manifestement irrecevable, son recours tendant à faire constater l’illégalité d’une lettre de la Commission européenne, du 18 mai 2021, dans laquelle celle-ci a déclaré qu’elle n’était pas compétente pour examiner les questions soulevées par la requérante dans sa plainte du 7 avril 2021 (ci-après la « lettre litigieuse »).

 Les antécédents du litige

2        Le 7 avril 2021, la requérante a adressé une plainte à la Commission, portant à son attention la circulaire no 2020-40 du 22 décembre 2020 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), un organisme français chargé de l’administration d’un régime légal de sécurité sociale (ci-après la « plainte du 7 avril 2021 »). Dans cette plainte, la requérante soutenait, notamment, que, en adoptant ladite circulaire, l’État français avait violé une jurisprudence constante de la Cour en matière de droit de la concurrence, étant donné que ladite circulaire prévoyait un lien de dépendance entre les cotisations payées par les travailleurs indépendants et la prestation de retraite qui leur sera servie, au lieu de mettre en œuvre le principe de solidarité à l’égard des travailleurs indépendants.

3        Par la lettre litigieuse, la Commission a informé la requérante qu’elle n’était pas compétente pour examiner les questions soulevées dans la plainte du 7 avril 2021, étant donné que la conception et la gestion des systèmes de protection sociale, y compris les systèmes de retraite, demeurent une compétence des États membres, selon l’article 153, paragraphe 4, TFUE.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

4        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juillet 2021, la requérante a introduit un recours contre la lettre litigieuse sur le fondement de l’article 263 TFUE. Dans cette requête, la requérante faisait valoir quatre chefs de conclusions, à savoir, respectivement :

–        constater que la Commission avait fondé sa réponse à la plainte du 7 avril 2021 sur une interprétation personnelle, et par conséquent illégale, de l’article 153, paragraphe 4, TFUE ;

–        constater le manquement de la Commission à ses obligations découlant des traités, notamment celles énoncées à l’article 105, paragraphe 1, TFUE ;

–        juger que la CNAV et ses organismes rattachés enfreignent les règles de concurrence de l’Union européenne, et

–        condamner la Commission aux dépens.

5        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 novembre 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité.

6        Par l’ordonnance attaquée, adoptée sur le fondement de l’article 130, paragraphes 1 et 7, de son règlement de procédure, le Tribunal a rejeté le recours de la requérante comme étant manifestement irrecevable.

7        En premier lieu, le Tribunal a jugé que les chefs de conclusions de la requête étaient irrecevables, au motif que, alors que cette requête avait été introduite au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, elle tendait non pas à l’annulation d’un acte de l’Union, mais à des déclarations en droit, ce pourquoi le Tribunal ne serait pas compétent.

8        Le Tribunal a, en second lieu, jugé que la lettre litigieuse ne constituait, en tout état de cause, pas un acte attaquable. Tout d’abord, la lettre litigieuse n’aurait pas visé à produire des effets juridiques obligatoires pour la requérante, mais était de nature purement informative, la Commission s’étant limitée à exposer qu’elle n’était pas en mesure d’assister la requérante dans cette affaire, dans la mesure où la conception et la gestion des systèmes de protection sociale, y compris les systèmes de retraite, demeurent fondamentalement une compétence des États membres, selon l’article 153, paragraphe 4, TFUE et les articles 34 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

9        Ensuite, pour autant que l’un des chefs de conclusions de la requérante devrait être interprété comme visant l’annulation de la lettre litigieuse en ce qu’elle porterait un prétendu refus de la Commission d’engager une procédure d’infraction contre la République française sur le fondement de l’article 258 TFUE, le Tribunal a rappelé, au point 28 de l’ordonnance attaquée, que les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission à engager une procédure en constatation de manquement contre un État membre. Enfin, si l’un des chefs de conclusions de la requérante devait être compris comme visant l’annulation de la lettre litigieuse en ce que cette dernière constituerait le rejet d’une plainte en matière de concurrence, au sens de l’article 7 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), le Tribunal a rappelé, au point 30 de l’ordonnance attaquée, que les plaintes portant sur une violation alléguée des articles 101 et 102 TFUE sont exclues du champ de la procédure applicable aux plaintes fondées sur l’article 258 TFUE. Par ailleurs, au point 31 de cette ordonnance, le Tribunal a constaté que, à l’instar de ce que la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission avait indiqué à la requérante dans un courrier du 28 octobre 2021, il ne saurait être considéré que la requérante avait saisi cette institution d’une plainte répondant aux exigences procédurales établies à l’article 5 de ce règlement et, partant, que la lettre litigieuse constituait un rejet de celle-ci, au sens de l’article 7 dudit règlement.

10      Le Tribunal a, partant, rejeté ledit recours comme étant manifestement irrecevable.

 Les conclusions de la requérante au pourvoi

11      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée, de statuer définitivement sur le fond du litige ainsi que de condamner la Commission aux dépens des procédures de première instance et de pourvoi.

 Sur le pourvoi

12      En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de le rejeter par voie d’ordonnance motivée sans, le cas échéant, le signifier aux autres parties à la procédure devant le Tribunal.

13      Il y a lieu de faire application de cette disposition en l’espèce.

 Argumentation de la requérante

14      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque un moyen unique se divisant en neuf branches.

15      Par la première branche, la requérante reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ayant jugé, au point 25 de l’ordonnance attaquée, que la lettre litigieuse ne constituait pas un acte attaquable, dans la mesure où il s’agissait d’une lettre purement informative, alors que cette lettre opposait un refus définitif de cette institution en réponse à une plainte régulièrement introduite. Il ne serait pas prévu que la Commission puisse répondre par une lettre purement informative à une plainte. Elle serait tenue, à l’issue d’une instruction faisant suite à une plainte, soit d’ouvrir la procédure d’infraction, soit de classer la plainte sans suite. Le refus d’instruire un cas présumé d’infraction aux règles de l’Union affecterait les intérêts de la requérante et devrait être considéré comme un acte attaquable.

16      Par la deuxième branche, tirée d’une violation de l’article 153, paragraphe 4, TFUE, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au même point 25 de l’ordonnance attaquée, que la Commission n’est pas en mesure d’exiger des autorités nationales de changer un niveau de cotisations ou de prestations sociales. Or, conformément à la jurisprudence de la Cour issue notamment des arrêts du 17 février 1993, Poucet et Pistre (C‑159/91 et C‑160/91, EU:C:1993:63), ainsi que du 11 juin 2020, Commission et République slovaque/Dôvera zdravotná poist’ovňa (C‑262/18 P et C‑271/18 P, EU:C:2020:450), les États membres ne seraient pas libres de faire ce que bon leur semble en matière de sécurité sociale, mais seraient tenus, dans le cadre de l’exercice de leur compétence reconnue à l’article 153, paragraphe 4, TFUE, de respecter le droit de l’Union.

17      Par la troisième branche, la requérante reproche au Tribunal d’avoir envisagé, aux points 26 et 27 de l’ordonnance attaquée, que, par son recours, la requérante visait l’annulation de la lettre litigieuse en ce qu’elle porterait soit un refus de la Commission d’engager un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, soit un rejet de plainte en matière de concurrence. Une telle motivation revêtirait un caractère hypothétique et équivaudrait à un défaut de motivation.

18      Par la quatrième branche du moyen unique, tirée d’une violation de l’article 258 TFUE, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 30 de l’ordonnance attaquée, que les plaintes ayant pour fondement les articles 101 et 102 TFUE sont exclues du champ de la procédure applicable aux plaintes fondées sur l’article 258 TFUE. Conformément à l’article 105 TFUE, la Commission aurait dû instruire d’office le cas d’infraction aux articles 101 et 102 TFUE dénoncé par la requérante dans sa plainte du 7 avril 2021. En l’occurrence, par cette plainte, la requérante faisait état d’une violation à la fois du droit de la concurrence et des dispositions régissant la sécurité sociale, ces domaines étant indissociables l’un de l’autre. Ainsi, cette plainte aurait dû être examinée dans le cadre de la procédure applicable aux plaintes fondées sur l’article 258 TFUE.

19      Par la cinquième branche, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en s’appuyant, au point 31 de l’ordonnance attaquée, sur le courrier du 28 octobre 2021 de la DG « Concurrence » de la Commission. Ce courrier serait postérieur à l’introduction de la requête en première instance, de telle sorte que le Tribunal n’aurait pas pu valablement se fonder sur celui-ci pour justifier le rejet de la requête en première instance comme étant irrecevable.

20      S’agissant des sixième à neuvième branches, la requérante fait, en substance, valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant les chefs de conclusions de la requête en première instance comme étant irrecevables. L’article 263 TFUE sur lequel était fondée la requête en première instance exigerait du juge de l’Union qu’il contrôle la légalité des actes de la Commission. Le recours devant le Tribunal n’aurait visé qu’à faire reconnaître que la lettre litigieuse était entachée d’une erreur d’interprétation, ce qui aurait légitimé de plein droit la contestation de sa validité. En outre, le Tribunal aurait à tort considéré que la requérante ne demandait pas l’annulation d’un acte, alors même que la requête était fondée sur l’article 263 TFUE. Or, l’article 264 TFUE enjoindrait au juge de l’Union de prononcer l’annulation de l’acte contesté si le recours est fondé, de sorte que tout recours fondé sur l’article 263 TFUE ne pourrait que viser à l’annulation de l’acte visé par celui-ci. S’agissant plus spécifiquement des deuxième et troisième chefs de conclusions de sa requête en première instance, la requérante fait valoir que la Commission est tenue, sur le fondement de l’article 105 TFUE, d’instruire d’office les cas d’infraction présumée aux articles 101 et 102 TFUE, de sorte que cette institution aurait manqué à ses obligations en refusant de constater une violation des règles de l’Union en matière de concurrence. En s’abstenant, à son tour, de sanctionner cette violation, par la Commission, des dispositions de l’article 105 TFUE, le Tribunal aurait lui-même violé l’article 263, premier alinéa, TFUE.

 Appréciation de la Cour

21      En premier lieu, il convient de constater que par les sixième à neuvième branches du moyen unique, la requérante tend à contester le rejet, par l’ordonnance attaquée, comme étant manifestement irrecevables, des trois chefs de conclusions de sa requête en première instance. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi que le Tribunal l’a relevé aux points 15 et 18 de l’ordonnance attaquée, ces chefs de conclusions, tels qu’ils étaient formulés dans la requête introductive d’instance, tendaient non pas à l’annulation, totale ou partielle, d’un acte de l’Union, mais à la constatation d’une violation du droit de l’Union par la Commission et par un organisme d’un État membre.

22      Or, ainsi que l’avance la requérante elle-même dans son pourvoi, le recours qu’elle a introduit devant le Tribunal était fondé sur l’article 263 TFUE. Conformément à la jurisprudence de la Cour, dans le cadre d’un recours en annulation au titre de cette disposition, il n’appartient au Tribunal que de contrôler la légalité des actes des institutions de l’Union et, le cas échéant, d’annuler l’acte contesté. Il ne relève, donc, pas de sa compétence de procéder, dans le cadre de ce contrôle de légalité, à des déclarations de droit ou à des constatations d’un manquement au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C‑145/17 P, EU:C:2018:839, point 67, et ordonnance du 3 décembre 2019, WB/Commission, C‑271/19 P, non publiée, EU:C:2019:1037, point 21 ainsi que jurisprudence citée), telles que celles envisagées par la requête en première instance. Il en résulte que le Tribunal n’a clairement pas commis d’erreur de droit en considérant que ces chefs de conclusions étaient manifestement irrecevables.

23      En conséquence, les sixième à neuvième branches du moyen unique doivent être rejetées comme étant manifestement non fondées.

24      En second lieu, pour autant que ces branches du moyen unique du pourvoi devraient être comprises comme visant à reprocher au Tribunal de ne pas avoir considéré que, par lesdits chefs de conclusions, la requérante demandait l’annulation de la lettre litigieuse en ce que, par celle-ci, la Commission aurait refusé d’engager une procédure d’infraction contre la République française, il convient de constater que le Tribunal a pris en compte une telle hypothèse au point 27 de l’ordonnance attaquée et a, sans commettre d’erreur de droit, considéré que, même en ce cas, le recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

25      En effet, ainsi que l’a rappelé le Tribunal aux points 28 et 29 de l’ordonnance attaquée, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le refus de la Commission d’engager une procédure en manquement contre un État membre ne constitue pas un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, dès lors qu’il résulte de l’économie de l’article 258 TFUE que cette institution n’est pas tenue d’engager un recours en manquement, mais qu’elle dispose, à cet égard, d’un pouvoir discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d’exiger de cette institution qu’elle prenne une position dans un sens déterminé (ordonnance du 2 mai 2022, Castillejo Oriol/Commission, C‑1/22 P, non publiée, EU:C:2022:343, points 21 à 23 et jurisprudence citée).

26      Par identité de motifs, la première branche du moyen unique doit également être écartée comme étant manifestement non fondée.

27      Dans la mesure où le motif visé au point 25 de la présente ordonnance suffit pour justifier le dispositif de l’ordonnance attaquée, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments avancés par la requérante dans le cadre des deuxième à cinquième branches du moyen unique.

28      En effet, conformément à une jurisprudence constante, dès lors que l’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de son arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l’arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de sorte que le moyen qui les invoque est inopérant et doit être rejeté (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 68 ; du 29 novembre 2012, Royaume-Uni/Commission, C‑416/11 P, non publié, EU:C:2012:761, point 45, ainsi que ordonnance du 9 juin 2016, CHEMK et KF/Conseil, C‑345/15 P, non publiée, EU:C:2016:433, point 26).

29      Il s’ensuit que le pourvoi est manifestement non fondé.

 Sur les dépens

30      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à la partie défenderesse en première instance et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que la requérante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant manifestement non fondé.

2)      L’Union nationale des indépendants solidaires (UNIS) supporte ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 1er décembre 2022.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

P. G. Xuereb


*      Langue de procédure : le français.