ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sociétés – Scissions des sociétés anonymes – Sixième directive 82/891/CEE – Article 3, paragraphe 3, sous b) – Scission par constitution de nouvelles sociétés – Notion d’“élément du patrimoine passif [non] attribué dans le projet de scission” – Responsabilité solidaire de ces nouvelles sociétés pour le passif résultant de comportements de la société scindée antérieurs à cette scission »

Dans l’affaire C‑713/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 3 novembre 2022, parvenue à la Cour le 21 novembre 2022, dans la procédure

LivaNova plc

contre

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare,

Presidenza del Consiglio dei ministri,

en présence de :

SNIA SpA, placée sous le régime de l’administration extraordinaire,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. E. Regan, T. von Danwitz, Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.‑C. Bonichot, P. G. Xuereb (rapporteur), I. Jarukaitis, A. Kumin, Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour LivaNova plc, par Mes A. Auricchio, B. Nascimbene, G. C. Rizza, R. Sacchi, C. Santoro, M. Siragusa, D. Vecchi et R. Zaccà, avvocati,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. G. Di Leo, P. Gentili et F. Vignoli, avvocati dello Stato,

pour le gouvernement hellénique, par MM. V. Baroutas et K. Boskovits, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mmes J. Schmoll et E. Samoilova, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. G. Braun, L. Malferrari et P. A. Messina, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891/CEE du Conseil, du 17 décembre 1982, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité [CEE] et concernant les scissions des sociétés anonymes (JO 1982, L 378, p. 47).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LivaNova plc au ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie), au ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare (ministère de l’Environnement et de la Protection du Territoire et de la Mer, Italie) (ci-après le « ministère de l’Environnement ») et à la Presidenza del Consiglio dei ministri (présidence du Conseil des ministres, Italie) au sujet de la constatation de la responsabilité solidaire de LivaNova pour les dettes découlant des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux causés par SNIA SpA, résultant de comportements antérieurs et postérieurs à la scission de cette dernière société, dont Sorin SpA, devenue LivaNova, est issue.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La troisième directive 78/855/CEE

3

La troisième directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g) du traité [CEE] et concernant les fusions des sociétés anonymes (JO 1978, L 295, p. 36), a été abrogée par la directive 2011/35/UE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, concernant les fusions des sociétés anonymes (JO 2011, L 110, p. 1), à compter du 1er juillet 2011.

4

L’article 1er de la troisième directive 78/855, intitulé « Champ d’application », prévoyait, à son paragraphe 1 :

« Les mesures de coordination prescrites par la présente directive s’appliquent aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux formes de sociétés suivantes :

[...]

pour l’Italie :

la società per azioni,

[...] »

La sixième directive 82/891/CEE

5

La sixième directive 82/891 a été abrogée par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46), à compter du 20 juillet 2017. Les faits du litige au principal sont antérieurs à cette dernière date.

6

Le cinquième considérant de la sixième directive 82/891 prévoyait :

« [...] la protection des intérêts des associés et des tiers commande de coordonner les législations des États membres concernant les scissions des sociétés anonymes lorsque les États membres permettent cette opération ».

7

Les huitième à onzième considérants de cette sixième directive étaient libellés comme suit :

« [...] les créanciers, obligataires ou non, et les porteurs d’autres titres des sociétés participant à la scission doivent être protégés afin que la réalisation de la scission ne leur porte pas préjudice ;

[...] la publicité prévue par la [première directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO 1968, L 65, p. 8),] doit être étendue aux opérations relatives à la scission afin que les tiers en soient suffisamment informés ;

[...] il est nécessaire d’étendre les garanties assurées aux associés et aux tiers, dans le cadre de la procédure de scission, à certaines opérations juridiques ayant, sur des points essentiels, des caractéristiques analogues à celles de la scission afin que cette protection ne puisse être éludée ;

[...] pour assurer la sécurité juridique dans les rapports tant entre les sociétés participant à la scission qu’entre celles-ci et les tiers ainsi qu’entre les actionnaires, il y a lieu de limiter les cas de nullité et d’établir, d’une part, le principe de la régularisation chaque fois qu’elle est possible et, d’autre part, un délai bref pour invoquer la nullité ».

8

L’article 1er de la sixième directive 82/891 disposait :

« 1.   Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés relevant de leur législation et visées à l’article 1er paragraphe 1 de la [troisième directive 78/855], l’opération de scission par absorption définie à l’article 2 de la présente directive, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre Ier de cette dernière directive.

2.   Lorsque les États membres permettent, pour les sociétés indiquées au paragraphe 1, l’opération de scission par constitution des nouvelles sociétés, définie à l’article 21, ils soumettent cette opération aux dispositions du chapitre II.

[...] »

9

Les articles 2 à 20 de la sixième directive 82/891 figuraient au chapitre I de celle-ci, intitulé « Scission par absorption ».

10

L’article 2, paragraphe 1, de cette sixième directive prévoyait :

« Au sens de la présente directive, est considérée comme scission par absorption l’opération par laquelle, par suite de sa dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, moyennant l’attribution aux actionnaires de la société scindée d’actions des sociétés bénéficiaires des apports résultant de la scission, ci-après dénommées “sociétés bénéficiaires”, et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair comptable. »

11

L’article 3 de ladite sixième directive énonçait :

« 1.   Les organes d’administration ou de direction des sociétés participant à la scission établissent par écrit un projet de scission.

2.   Le projet de scission mentionne au moins :

[...]

h)

la description et la répartition précises des éléments du patrimoine actif et passif à transférer à chacune des sociétés bénéficiaires ;

i)

la répartition aux actionnaires de la société scindée des actions des sociétés bénéficiaires, ainsi que le critère sur lequel cette répartition est fondée.

3.   

a)

Lorsqu’un élément du patrimoine actif n’est pas attribué dans le projet de scission et que l’interprétation de celui-ci ne permet pas de décider de sa répartition, cet élément ou sa contre-valeur est réparti entre toutes les sociétés bénéficiaires de manière proportionnelle à l’actif attribué à chacune de celles-ci dans le projet de scission.

b)

Lorsqu’un élément du patrimoine passif n’est pas attribué dans le projet de scission et que l’interprétation de celui-ci ne permet pas de décider de sa répartition, chacune des sociétés bénéficiaires en est solidairement responsable. Les États membres peuvent prévoir que cette responsabilité solidaire est limitée à l’actif net attribué à chaque bénéficiaire. »

12

L’article 12 de la même sixième directive était libellé de la manière suivante :

« 1.   Les législations des États membres doivent prévoir un système de protection adéquat des intérêts des créanciers des sociétés participant à la scission pour les créances nées antérieurement à la publication du projet de scission et non encore échues au moment de cette publication.

2.   À cet effet, les législations des États membres prévoient au moins que ces créanciers ont le droit d’obtenir des garanties adéquates lorsque la situation financière de la société scindée ainsi que celle de la société à laquelle l’obligation sera transférée conformément au projet de scission rend cette protection nécessaire et que ces créanciers ne disposent pas déjà de telles garanties.

3.   Dans la mesure où un créancier de la société à laquelle l’obligation a été transférée conformément au projet de scission n’a pas eu satisfaction, les sociétés bénéficiaires sont tenues solidairement pour cette obligation. Les États membres peuvent limiter cette responsabilité à l’actif net attribué à chacune de ces sociétés autres que celle à laquelle l’obligation a été transférée. Ils peuvent ne pas appliquer le présent paragraphe lorsque l’opération de scission est soumise au contrôle d’une autorité judiciaire conformément à l’article 23 et qu’une majorité des créanciers, représentant les trois quarts du montant des créances, ou une majorité d’une catégorie de créanciers de la société scindée, représentant les trois quarts du montant des créances de cette catégorie, a renoncé à faire valoir cette responsabilité solidaire lors d’une assemblée tenue conformément à l’article 23 paragraphe 1 point c).

[...] »

13

Aux termes de l’article 13 de la sixième directive 82/891 :

« Les porteurs de titres, autres que des actions, auxquels sont attachés des droits spéciaux doivent jouir, au sein des sociétés bénéficiaires contre lesquelles ces titres peuvent être invoqués conformément au projet de scission, de droits au moins équivalents à ceux dont ils jouissaient dans la société scindée, sauf si la modification de ces droits a été approuvée par une assemblée des porteurs de ces titres, lorsque la loi nationale prévoit un telle assemblée, ou par les porteurs de ces titres individuellement, ou encore si ces porteurs ont le droit d’obtenir le rachat de leurs titres. »

14

L’article 17, paragraphe 1, de cette sixième directive prévoyait :

« La scission entraîne ipso jure et simultanément les effets suivants :

a)

la transmission, tant entre la société scindée et les sociétés bénéficiaires qu’à l’égard des tiers, de l’ensemble du patrimoine actif et passif de la société scindée aux sociétés bénéficiaires ; cette transmission s’effectue par parties conformément à la répartition prévue au projet de scission ou à l’article 3 paragraphe 3 ;

b)

les actionnaires de la société scindée deviennent actionnaires d’une ou des sociétés bénéficiaires, conformément à la répartition prévue au projet de scission ;

c)

la société scindée cesse d’exister. »

15

Au chapitre II de ladite sixième directive, intitulé « Scission par constitution de nouvelles sociétés », l’article 21, paragraphe 1, de celle‑ci prévoyait :

« Au sens de la présente directive, est considérée comme scission par constitution de nouvelles sociétés l’opération par laquelle, par suite de dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés nouvellement constituées l’ensemble de son patrimoine, activement et passivement, moyennant l’attribution aux actionnaires de la société scindée d’actions des sociétés bénéficiaires et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale des actions attribuées ou, à défaut de valeur nominale, de leur pair comptable. »

16

Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, de la même sixième directive, figurant également au chapitre II de celle-ci :

« Les articles 3, 4, 5 et 7, l’article 8 paragraphes 1 et 2 et les articles 9 à 19 sont applicables, sans préjudice des articles 11 et 12 de la directive 68/151/CEE, à la scission par constitution de nouvelles sociétés. Pour cette application, l’expression “sociétés participant à la scission” désigne la société scindée, l’expression “société bénéficiaire des apports résultant de la scission” désigne chacune des nouvelles sociétés. »

17

L’article 25 de la sixième directive 82/891, figurant au chapitre IV de celle-ci, intitulé « Autres opérations assimilées à la scission », disposait :

« Lorsque la législation d’un État membre permet une des opérations visées à l’article 1er sans que la société scindée cesse d’exister, les chapitres Ier, II et III sont applicables, à l’exception de l’article 17 paragraphe 1 point c). »

Le droit italien

18

L’article 2506 du Codice civile (code civil), intitulé « Formes de scission », dispose :

« Dans le cadre de la scission, une société attribue l’ensemble de son patrimoine à plusieurs sociétés, préexistantes ou nouvellement constituées, ou une partie de son patrimoine, dans ce dernier cas de figure éventuellement à une seule société, et les actions ou parts correspondantes à ses actionnaires ou associés.

[...]

La société scindée peut, dans le cadre de la scission, soit procéder à sa propre dissolution sans liquidation, soit poursuivre son activité.

[...] »

19

L’article 2506 bis de ce code, intitulé « Projet de scission », prévoit :

« L’organe d’administration des sociétés participant à la scission établit un projet qui doit comporter les données indiquées à l’article 2501 ter, premier alinéa, ainsi que la description exacte des éléments du patrimoine à répartir entre chacune des sociétés bénéficiaires et de l’éventuelle soulte en espèce.

Si l’attribution d’un élément de l’actif ne peut pas être déduite du projet, cet élément, dans le cas où la totalité du patrimoine de la société scindée est réparti, est ventilé entre les sociétés bénéficiaires proportionnellement à la part de patrimoine net attribuée à chacune d’elles, telle qu’évaluée aux fins de la détermination du rapport d’échange ; si la répartition du patrimoine de la société n’est que partielle, cet élément reste dans le patrimoine de la société scindée.

Pour les éléments du passif dont l’attribution ne peut pas être déduite du projet, les sociétés bénéficiaires, dans le premier cas, et la société scindée et les sociétés bénéficiaires, dans le second cas, sont solidairement responsables. La responsabilité solidaire se limite à la valeur réelle du patrimoine net attribué à chaque société bénéficiaire.

Le projet de scission doit indiquer les critères de répartition des actions ou parts des sociétés bénéficiaires. Lorsque le projet de scission prévoit une attribution des participations aux associés qui n’est pas proportionnelle à leur part de participation initiale, il doit prévoir le droit, pour les associés qui n’approuvent pas la scission, de faire acquérir leurs participations pour une contrepartie déterminée, selon les critères prévus pour le retrait, et indiquer ceux auxquels s’impose l’obligation d’acquisition. »

20

L’article 2506 quater dudit code, intitulé « Effets de la scission », dispose, à son dernier alinéa :

« Dans les limites de l’actif net qui lui a été attribué ou qu’elle conserve, chaque société est solidairement responsable des dettes de la société scindée auxquelles la société à laquelle elles ont été transférées n’a pas satisfait. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

21

Le 13 mai 2003, SNIA a réalisé une opération de scission, conformément au droit italien, avec effet au 2 janvier 2004, par laquelle elle a transféré une partie de son patrimoine, à savoir toutes les participations qu’elle détenait dans le secteur biomédical, à une société nouvellement constituée, Sorin.

22

Le ministère de l’Environnement a introduit des demandes de dommages-intérêts, à l’égard de SNIA, pour les dommages environnementaux que cette dernière aurait causés, dans le cadre de ses activités dans le secteur des produits chimiques, menées par l’intermédiaire de ses filiales, Caffaro et Caffaro Chimica, sur trois sites industriels situés, respectivement, à Brescia (Italie), à Torviscosa (Italie) et à Colleferro (Italie).

23

SNIA, laquelle a été placée sous administration extraordinaire en 2010, a assigné Sorin, ainsi que le ministère de l’Économie et des Finances, le ministère de l’Environnement et la présidence du Conseil des ministres, devant le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), en vue de faire déclarer Sorin solidairement responsable, y compris à l’égard de ces administrations publiques, de toutes les dettes découlant des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux, dont la responsabilité serait imputable à SNIA avant la scission.

24

Les administrations publiques défenderesses ont, à leur tour, demandé la condamnation de Sorin, solidairement avec SNIA.

25

En 2015, Sorin est devenue LivaNova.

26

Le 1er avril 2016, le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) a rejeté l’ensemble des demandes présentées par les administrations publiques défenderesses. Ces administrations ont interjeté appel du jugement de ce tribunal.

27

Par un arrêt non définitif du 5 mars 2019, la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan, Italie) a reconnu l’existence d’un lien de causalité entre les activités exercées par SNIA et ses filiales, d’une part, et la pollution des terrains concernés, d’autre part. Elle a ensuite constaté que, en tant que propriétaire de ces terrains et des installations correspondantes, gestionnaire directe et société mère des entreprises qui opéraient dans lesdits terrains, SNIA était responsable d’une intense activité d’exploitation de l’environnement qui s’est poursuivie, sur les trois sites industriels concernés, pendant près d’un siècle, avec des conséquences extrêmement graves en matière de pollution. Ainsi qu’il ressort de l’arrêt de cette juridiction, SNIA a admis sa responsabilité pour ces faits.

28

Les faits donnant lieu à la responsabilité de SNIA étaient chronologiquement antérieurs au 13 mai 2003, date à laquelle l’opération de scission en cause au principal a été réalisée. La Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) a dès lors reconnu la responsabilité solidaire de LivaNova, limitée aux actifs transférés, conformément à l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, au motif que les dettes découlant des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux constituaient des éléments du passif de SNIA, connus mais dont l’attribution ne pouvait être déduite du projet de scission concerné.

29

La Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) a, en outre, ordonné la poursuite de la procédure afin de déterminer, au moyen d’une expertise, l’étendue exacte de la pollution sur les trois sites industriels concernés, les mesures de réhabilitation de l’environnement nécessaires et le montant exact des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux correspondants.

30

Par un arrêt définitif du 12 novembre 2021, la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) a, en application de l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, condamné LivaNova, dans la limite des actifs transférés, à rembourser les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux causés par les activités des filiales de SNIA sur les trois sites industriels concernés, les chiffrant à 453587327,48 euros au total.

31

LivaNova s’est pourvue en cassation contre cet arrêt définitif devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), qui est la juridiction de renvoi.

32

Par son second moyen de cassation, dont l’examen par la juridiction de renvoi est à l’origine de la question préjudicielle posée, LivaNova reproche à la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan) de ne pas avoir tenu compte de la différence entre la notion d’« éléments du passif », au sens de l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, et celle de « dettes », au sens de l’article 2506 quater du code civil, lequel viserait à transposer l’article 12, paragraphe 3, de la sixième directive 82/891. Selon LivaNova, la distinction entre ces notions aurait dû conduire cette juridiction à n’inclure dans la notion de « dettes » que les passifs de nature et d’existence certaines, à échéance et montant déterminés, et non les « provisions » pour risques et les « engagements », étant donné que ces derniers, constituant des « éléments du passif », n’auraient été pertinents qu’aux fins de l’application de l’article 2506 bis du code civil. LivaNova ajoute que ladite juridiction lui a imputé, à tort, des dommages causés par des comportements, par action ou par omission, postérieurs à la scission en cause au principal, en violation de la limite temporelle fixée par la législation en ce qui concerne les « éléments de passif » ou les « dettes » qui existaient déjà au moment de la scission concernée.

33

Afin de statuer sur ce moyen, la juridiction de renvoi estime qu’il conviendrait de vérifier la compatibilité, avec le droit de l’Union, de l’interprétation de la notion d’« éléments du passif dont l’attribution ne peut être déduite du projet [de scission] », visée à l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, effectuée par la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan).

34

La juridiction de renvoi indique que cette responsabilité porte sur les conséquences dommageables d’une « faute délictuelle permanente », susceptible de s’aggraver dans le temps et qui, de par sa nature même, échappe « aux lignes de démarcation strictes qui suivraient le résultat d’une opération de droit des sociétés ». Elle précise que, après la scission en cause au principal, les niveaux de pollution des sites industriels de Torviscosa et de Colleferro n’ont pas progressé, mais que ceux du site industriel de Brescia ont augmenté et que cette augmentation présente un lien de causalité avec le comportement de SNIA, antérieur à cette scission.

35

Au regard du droit national, l’élément déterminant, en l’occurrence, serait que le juge du fond, la Corte d’appello di Milano (cour d’appel de Milan), ait constaté la responsabilité de SNIA en raison de l’antériorité du fait générateur des dommages environnementaux concernés. Cette antériorité permettrait de constater l’existence préalable d’une dette aux fins de l’engagement de la responsabilité solidaire pour la « faute délictuelle permanente » correspondante.

36

La juridiction de renvoi ajoute que, à son avis, l’expression « éléments du passif », visée à l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, n’implique aucune caractéristique qualitative prédéterminée. Ces éléments pourraient donc consister en des dettes et même en des dettes indépendantes des actifs qui sont scindés. Cette interprétation serait confortée par l’objectif de la sixième directive 82/891 qui est la protection des créanciers, ainsi que cela ressortirait de l’arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I. (C‑394/18, EU:C:2020:56, points 44 et 51).

37

La juridiction de renvoi considère qu’il est, toutefois, nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour, car l’interprétation de la notion d’« éléments du passif dont l’attribution ne peut être déduite du projet [de scission] », qui figure à l’article 2506 bis du code civil, doit être compatible avec celle de la notion correspondante d’« élément du patrimoine passif [non] attribué dans le projet de scission », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891.

38

C’est dans ce contexte que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« L’article 3, [paragraphe 3, sous b),] de la [sixième directive 82/891], qui, en vertu de l’article 22 de celle-ci, est également applicable à la scission par constitution de nouvelles sociétés, en ce qu’il prévoit que a) “[l]orsqu’un élément du patrimoine passif n’est pas attribué dans le projet de scission et que l’interprétation de celui-ci ne permet pas de décider de sa répartition, chacune des sociétés bénéficiaires en est solidairement responsable” et que b) “[l]es États membres peuvent prévoir que cette responsabilité solidaire est limitée à l’actif net attribué à chaque bénéficiaire”, s’oppose-t-il à une interprétation de la règle du droit national figurant à l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, selon laquelle la responsabilité solidaire de la société bénéficiaire porte, en tant qu’“éléments du passif” non attribués par le projet [de scission], non seulement sur les passifs de nature déjà déterminée, mais également i) sur ceux que constituent les conséquences dommageables, s’étant produites après la scission, de comportements (par action ou par omission) antérieurs à ladite scission ou ii) [sur ceux que constituent les conséquences dommageables] de comportements ultérieurs qui en sont le développement, ayant la nature d’une faute délictuelle permanente, générateurs de dommages environnementaux dont les effets, au moment de la scission, ne sont pas encore entièrement déterminables ? »

Sur la compétence de la Cour

39

En vertu de l’article 21 de la sixième directive 82/891, est considérée comme scission par constitution de nouvelles sociétés l’opération par laquelle, par suite de dissolution sans liquidation, une société transfère à plusieurs sociétés nouvellement constituées l’ensemble de son patrimoine. Cependant, SNIA a transféré non pas l’ensemble de son patrimoine à plusieurs sociétés, mais seulement une partie de son patrimoine à une société nouvellement constituée, Sorin, devenue LivaNova.

40

Par conséquent, l’opération de scission en cause au principal ne relève pas directement du champ d’application de la sixième directive 82/891.

41

Conformément à l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l’interprétation des traités ainsi que des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, instituée par cet article, il appartient au seul juge national d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

42

En application de cette jurisprudence, la Cour s’est à maintes reprises déclarée compétente pour statuer sur les demandes préjudicielles portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application directe du droit de l’Union, mais dans lesquelles ces dispositions avaient été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. Dans ces cas, même si les faits au principal ne relevaient pas directement du champ d’application du droit de l’Union, les dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 45 et jurisprudence citée).

43

En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme pour les solutions qu’elle apporte à des situations purement internes à celles retenues par le droit de l’Union, afin, par exemple, d’éviter l’apparition de discriminations à l’encontre des ressortissants nationaux ou d’éventuelles distorsions de concurrence, ou encore d’assurer une procédure unique dans des situations comparables, il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer. Ainsi, une interprétation, par la Cour, des dispositions du droit de l’Union dans des situations purement internes se justifie au motif que celles-ci ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 46 et jurisprudence citée).

44

Lorsque la Cour est saisie par une juridiction nationale dans le contexte d’une situation ne relevant pas directement du champ d’application du droit de l’Union, elle ne saurait, sans indication de la juridiction de renvoi autre que le fait que la réglementation nationale en cause au principal est indistinctement applicable aux situations régies par les dispositions du droit de l’Union concernées et aux situations purement internes, considérer que la demande d’interprétation préjudicielle portant sur les dispositions de ce droit lui est nécessaire à la solution du litige pendant devant elle (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 47 et jurisprudence citée).

45

Les éléments concrets permettant d’établir que les dispositions du droit de l’Union ont été rendues applicables par le droit national de manière directe et inconditionnelle, afin d’assurer un traitement identique aux situations internes et aux situations régies par le droit de l’Union, doivent ressortir de la décision de renvoi (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 48 et jurisprudence citée).

46

À cette fin, il incombe à la juridiction de renvoi d’indiquer, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige. Ces exigences sont, par ailleurs, reflétées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relative à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 49 et jurisprudence citée).

47

En l’occurrence, la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national dans le cadre du système de coopération judiciaire établi à l’article 267 TFUE, a précisé que l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil, dont l’application constitue l’objet du litige au principal, transpose, dans le droit national, l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891.

48

Dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi met également en exergue l’équivalence, en substance, du libellé de ces deux dispositions.

49

En transposant la sixième directive 82/891 de cette manière, le législateur italien a donc décidé d’appliquer l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive de manière directe et inconditionnelle également aux opérations par lesquelles une société par actions attribue une partie seulement de son patrimoine à une autre société.

50

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la Cour est compétente pour répondre à la question déférée par la juridiction de renvoi.

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

51

Le gouvernement autrichien nourrit des doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que les éléments de fait et de droit nécessaires pour que la Cour réponde de façon utile à la question qui lui est posée ne ressortiraient pas sans ambiguïté de la décision de renvoi. En effet, la juridiction de renvoi n’aurait ni clairement exposé les faits ni reproduit le cadre juridique national pertinent, notamment l’article 2506 bis du code civil. Elle ne préciserait pas non plus les raisons pour lesquelles elle estime qu’une interprétation de la sixième directive 82/891 est nécessaire.

52

Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 27 avril 2023, Castorama Polska et Knor, C‑628/21, EU:C:2023:342, point 25 ainsi que jurisprudence citée).

53

Il importe de rappeler, à cet égard, que, dans le cadre de cette procédure, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. Par conséquent, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est ainsi possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 27 avril 2023, Castorama Polska et Knor, C‑628/21, EU:C:2023:342, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

54

Il résulte également d’une jurisprudence constante, laquelle est désormais reflétée à l’article 94 du règlement de procédure, que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. La décision de renvoi doit, en outre, indiquer les raisons précises qui ont conduit le juge national à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2023, Castorama Polska et Knor, C‑628/21, EU:C:2023:342, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

55

En l’occurrence, contrairement à ce que soutient le gouvernement autrichien, la demande de décision préjudicielle contient un exposé de l’objet du litige au principal et des faits pertinents ainsi que la teneur des dispositions nationales pertinentes, dont celle de l’article 2506 bis du code civil.

56

En outre, la décision de renvoi indique les raisons précises qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891 et à estimer nécessaire de poser une question préjudicielle à cet égard à la Cour. En effet, il ressort de cette décision que la juridiction de renvoi estime nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour au motif que la notion d’« éléments du passif dont l’attribution ne peut être déduite du projet », qui figure à l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil et qui doit être interprétée pour déterminer si LivaNova peut être considérée comme étant solidairement responsable des coûts d’assainissement et des dommages environnementaux causés par SNIA, doit être interprétée de la même façon que la notion correspondante d’« élément du patrimoine passif [non] attribué dans le projet de scission », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891, que l’article 2506 bis, troisième alinéa, du code civil transpose.

57

Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

58

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891 doit être interprété en ce sens que la règle de responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires énoncée à cette disposition s’applique non seulement aux éléments de nature déterminée du patrimoine passif non attribués dans un projet de scission, mais également à ceux de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux qui ont été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, qui résultent de comportements de la société scindée antérieurs à l’opération de scission ou de comportements ultérieurs à cette opération qui sont eux-mêmes le développement de comportements antérieurs de cette société scindée.

59

Il ressort de l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de cette sixième directive, lequel est applicable à une scission par constitution de nouvelles sociétés en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de ladite sixième directive, que, lorsqu’un élément du patrimoine passif n’est pas attribué dans le projet de scission concerné et que l’interprétation de celui-ci ne permet pas de décider de sa répartition, chacune des sociétés bénéficiaires en est solidairement responsable. Il ressort de la seconde phrase de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la même sixième directive que les États membres peuvent prévoir que cette responsabilité solidaire est limitée à l’actif net attribué à chaque bénéficiaire.

60

La notion d’« élément du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, n’est pas définie par cette sixième directive. En outre, cette disposition ne contient aucun renvoi au droit des États membres en ce qui concerne une telle définition.

61

Selon une jurisprudence constante, les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 7 septembre 2023, KRI, C‑323/22, EU:C:2023:641, point 46 et jurisprudence citée).

62

En premier lieu, dans son sens habituel, le terme « passif » désigne l’ensemble des dettes qui pèsent sur une personne morale ou physique. Ainsi, la notion d’« élément du patrimoine passif », figurant à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, vise, au sens large, à couvrir toute dette de la société scindée, qu’elle soit certaine ou incertaine, déterminée ou indéterminée, quelles qu’en soient l’origine et la nature.

63

En deuxième lieu, s’agissant du contexte de l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, il convient de relever, que, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, sous h), de cette sixième directive, un projet de scission doit mentionner, notamment, la description et la répartition précises des éléments du patrimoine actif et passif à transférer à chacune des sociétés bénéficiaires.

64

Il en découle que la notion d’« éléments du patrimoine passif », au sens de l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, exige que les dettes concernées soient acquises dans leur principe. En effet, dès lors qu’un projet de scission doit mentionner la description et la répartition précises des éléments du patrimoine passif à transférer, ces éléments doivent avoir pris naissance antérieurement à la scission concernée. Dans le cas de coûts d’assainissement et des dommages environnementaux, cette exigence implique donc que l’infraction ou le fait générateur de ces dommages soient survenus antérieurement à la scission, mais non que, à cette date, lesdits dommages aient été constatés, évalués ou même qu’ils aient été consolidés.

65

En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs de la sixième directive 82/891, il importe de rappeler que le cinquième considérant de cette sixième directive mentionne, parmi ces objectifs, la protection des intérêts des associés et des tiers. Il ressort, en outre, du huitième considérant de ladite sixième directive que celle-ci vise également la protection des créanciers et des porteurs d’autres titres et précise que ceux-ci doivent être protégés afin que la réalisation de la scission concernée ne leur porte pas préjudice. Il découle, enfin, du onzième considérant de la même sixième directive que celle-ci vise à assurer la sécurité juridique dans les rapports tant entre les sociétés participant à cette scission qu’entre celles-ci et les tiers ainsi qu’entre les actionnaires de ces sociétés.

66

Or, la notion de « tiers » employée notamment aux cinquième et onzième considérants de la sixième directive 82/891 est plus large que celle, employée au huitième considérant de cette sixième directive, de « créanciers, obligataires ou non, et les porteurs d’autres titres des sociétés participant à la scission », ces créanciers et ces porteurs d’autres titres faisant l’objet de certaines mesures de protection spécifiques prévues, notamment, aux articles 12 et 13 de ladite sixième directive (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados, C‑343/13, EU:C:2015:146, point 31).

67

Il convient donc de considérer que figurent parmi les tiers, dont la sixième directive 82/891 vise la protection des intérêts, des personnes qui, à la date de la scission concernée, ne sont pas encore à qualifier de créanciers ou de porteurs d’autres titres, mais qui peuvent être ainsi qualifiées après cette scission en raison de situations nées avant celle-ci, telles que la commission d’infractions au droit de l’environnement qui ne sont constatées par voie de décision qu’après ladite scission (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados, C‑343/13, EU:C:2015:146, point 32).

68

Cette interprétation de la notion de « tiers », au sens de la sixième directive 82/891, conforte celle de la notion d’« éléments du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de cette sixième directive, en ce sens qu’elle recouvre également les passifs de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux qui ont été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, mais qui résultent de comportements antérieurs à cette scission.

69

Si une telle interprétation de la notion d’« éléments du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, n’était pas retenue, une scission pourrait constituer un moyen pour une entreprise d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle aurait commises, au détriment de l’État membre concerné ou d’autres intéressés éventuels (voir, par analogie, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados, C‑343/13, EU:C:2015:146, point 33). En effet, à cette fin, il suffirait que cette entreprise procède à une opération de scission avant que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux résultant de comportements antérieurs à cette scission aient été évalués. Or, il ressort également des considérants mentionnés au point 65 du présent arrêt que la sixième directive 82/891 vise précisément à éviter qu’une entreprise échappe à ses obligations à l’égard de ses parties prenantes, tels que ses associés, ses actionnaires, ses créanciers ou encore les tiers concernés du fait de la scission d’une société anonyme relevant de son contrôle.

70

Il convient, par ailleurs, de relever que cette interprétation ne confère pas aux tiers une protection excessive au détriment des sociétés nouvellement constituées dès lors que la seconde phrase de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891 permet aux États membres de limiter la responsabilité solidaire de ces dernières au montant de l’actif qui leur a été attribué dans le projet de scission concerné.

71

Au demeurant, il convient de noter que cette interprétation de la notion d’« éléments du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891 est conforme à l’article 11 TFUE, dès lors qu’elle vise à éviter que l’entreprise, qui est à l’origine de l’activité polluante, puisse échapper à ses obligations à l’égard de ses parties prenantes du fait de la scission d’une société anonyme relevant de son contrôle.

72

Il résulte de ce qui précède que la notion d’« éléments du patrimoine passif », visée à l’article 3, paragraphe 3, sous b), première phrase, de la sixième directive 82/891, recouvre non seulement les passifs de nature déterminée, mais également ceux de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux ayant été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, qui résultent de comportements antérieurs à cette scission.

73

En revanche, s’agissant des comportements ultérieurs à l’opération de scission qui sont le développement de comportements de la société scindée antérieurs à cette opération, il résulte du point 64 du présent arrêt que la notion d’« élément du patrimoine passif », au sens de l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891, ne couvre que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux résultant de comportements de la société scindée déjà occasionnés à la date de cette scission.

74

La sixième directive 82/891 ne prévoit qu’un système minimal de protection des intérêts des tiers, mentionnés au point 67 du présent arrêt, pour les éléments du patrimoine passif qui résultent de comportements antérieurs à la scission concernée (voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, points 67 et 74). La question de savoir si des comportements ultérieurs à cette scission, mais qui sont le développement de comportements antérieurs de la société scindée, peuvent être imputés à cette société, avec pour conséquence que l’obligation de réparer les dommages ainsi occasionnés, en tant qu’éléments du patrimoine passif, sera transférée aux sociétés bénéficiaires selon les modalités définies par la sixième directive 82/891, doit donc être déterminée sur le fondement du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2017, Túrkevei Tejtermelő Kft., C‑129/16, EU:C:2017:547, point 45 et jurisprudence citée).

75

Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891 doit être interprété en ce sens que la règle de la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires énoncée à cette disposition s’applique non seulement aux éléments de nature déterminée du patrimoine passif non attribués dans un projet de scission, mais également à ceux de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux qui ont été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, pour autant qu’ils résultent de comportements de la société scindée antérieurs à l’opération de scission.

Sur les dépens

76

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

L’article 3, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 82/891/CEE du Conseil, du 17 décembre 1982, fondée sur l’article 54 paragraphe 3 point g) du traité [CEE] et concernant les scissions des sociétés anonymes,

 

doit être interprété en ce sens que :

 

la règle de la responsabilité solidaire des sociétés bénéficiaires énoncée à cette disposition s’applique non seulement aux éléments de nature déterminée du patrimoine passif non attribués dans un projet de scission, mais également à ceux de nature indéterminée, tels que les coûts d’assainissement et des dommages environnementaux qui ont été constatés, évalués ou consolidés après la scission concernée, pour autant qu’ils résultent de comportements de la société scindée antérieurs à l’opération de scission.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.