ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

13 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 44 – Règlement d’exécution (UE) no 282/2011 – Article 11, paragraphe 1 – Lieu des prestations de services – Notion d’“établissement stable” – Aptitude, en termes de moyens humains et techniques, à recevoir et à utiliser les services pour ses besoins propres – Services de fabrication de revêtements de sièges pour véhicules automobiles accomplis par une société pour le compte d’une autre société, appartenant au même groupe et établie dans un autre État membre »

Dans l’affaire C‑533/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Argeş (tribunal de grande instance d’Argeş, Roumanie), par décision du 10 juin 2021, parvenue à la Cour le 9 août 2022, dans la procédure

SC Adient Ltd & Co. KG

contre

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală,

Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Ploieşti – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Argeş,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, faisant fonction de président de la dixième chambre, MM. I. Jarukaitis (rapporteur) et D. Gratsias, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour SC Adient Ltd & Co. KG, par Mes M. Ezer et F. Nanu, avocaţi,

pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et E. A. Stamate, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 1er février 2024,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 44 et 192 bis de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018 (JO 2018, L 282, p. 5, et rectificatif JO 2018, L 329, p. 53) (ci-après la « directive TVA »), ainsi que des articles 10, 11 et 53 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2011, L 77, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SC Adient Ltd & Co. KG (ci-après « Adient Allemagne ») à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală et à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Ploiești – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Argeş (Agence nationale de l’administration fiscale – direction générale régionale des finances publiques de Ploiești – administration départementale des finances publiques d’Argeș, Roumanie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’une demande d’annulation d’une décision prononçant l’enregistrement fiscal d’office d’Adient Allemagne en Roumanie au motif que cette société dispose d’un établissement stable dans ce pays.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive TVA

3

Le titre V de la directive TVA, intitulé « Lieu des opérations imposables », comporte un chapitre 3, relatif au « [l]ieu des prestations de services », qui contient une section 2, intitulée « Règles générales », au sein de laquelle l’article 44 de cette directive dispose :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où l’assujetti a établi le siège de son activité économique. Néanmoins, si ces services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où il a établi le siège de son activité économique, le lieu des prestations de ces services est l’endroit où cet établissement stable est situé. À défaut d’un tel siège ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui bénéficie de tels services a son domicile ou sa résidence habituelle. »

4

Le titre XI de ladite directive, intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties », comporte un chapitre 1 qui est consacré aux obligations de paiement. La section 1 de ce chapitre, intitulée « Redevables de la taxe envers le Trésor », comprend les articles 192 bis à 205 de la même directive.

5

L’article 192 bis de la directive TVA prévoit :

« Aux fins de la présente section, un assujetti qui dispose d’un établissement stable sur le territoire de l’État membre dans lequel la taxe est due est considéré comme un assujetti qui n’est pas établi sur le territoire de cet État membre lorsque les conditions ci-après sont réunies :

a)

il effectue une livraison de biens ou une prestation de services imposable sur le territoire de cet État membre ;

b)

un établissement que le fournisseur ou le prestataire possède sur le territoire de cet État membre ne participe pas à la livraison de ces biens ou à la prestation de ces services. »

6

Aux termes de l’article 193 de cette directive :

« La [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] est due par l’assujetti effectuant une livraison de biens ou une prestation de services imposable, sauf dans les cas où la taxe est due par une autre personne en application des articles 194 à 199 ter et de l’article 202. »

7

L’article 194 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   Lorsque la livraison de biens ou la prestation de services imposable est effectuée par un assujetti qui n’est pas établi dans l’État membre dans lequel la TVA est due, les États membres peuvent prévoir que le redevable de la taxe est le destinataire de la livraison de biens ou de la prestation de services.

2.   Les États membres déterminent les conditions d’application du paragraphe 1. »

Le règlement d’exécution no 282/2011

8

Le considérant 14 du règlement d’exécution no 282/2011 énonce :

« Afin d’assurer l’application uniforme des règles relatives au lieu des opérations imposables, il convient de préciser certains concepts tels que le siège de l’activité économique, l’établissement stable, le domicile ou la résidence habituelle. Tout en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice [de l’Union européenne], le recours à des critères aussi clairs et objectifs que possible devrait faciliter la mise en pratique de ces concepts. »

9

Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution :

« Pour l’application des articles 44 et 45 de la [directive TVA], le “lieu où l’assujetti a établi le siège de son activité économique” est le lieu où sont exercées les fonctions d’administration centrale de l’entreprise. »

10

L’article 11, paragraphes 1 et 2, dudit règlement d’exécution prévoit :

« 1.   Pour l’application de l’article 44 de la [directive TVA], l’“établissement stable” désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 du présent règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.

2.   Pour l’application des articles suivants, l’“établissement stable” désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 du présent règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de fournir les services dont il assure la prestation :

[...]

d) article 192 bis de la [directive TVA]. »

11

L’article 53 du règlement d’exécution no 282/2011 dispose :

« 1.   Pour l’application de l’article 192 bis de la [directive TVA], est pris en considération un établissement stable dont l’assujetti dispose, seulement lorsqu’il est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée en termes de moyens humains et techniques, lui permettant d’effectuer la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle il participe.

2.   Lorsqu’un assujetti dispose d’un établissement stable sur le territoire de l’État membre dans lequel la TVA est due, cet établissement est considéré comme ne participant pas à la livraison de biens ou la prestation de services au sens de l’article 192 bis, point b), de la [directive TVA], à moins que les moyens techniques et humains de cet établissement stable ne soient utilisés par cet assujetti pour des opérations inhérentes à l’accomplissement de la livraison de ces biens ou de la prestation de ces services imposable effectuée dans cet État membre, avant ou pendant la réalisation de cette livraison ou prestation.

Lorsque les moyens de l’établissement stable sont utilisés uniquement pour des tâches de soutien administratif comme la comptabilité, la facturation et le recouvrement de créances, ils ne sont pas considérés comme étant utilisés aux fins de la livraison de biens ou la prestation de services.

Toutefois, si une facture est émise sous le numéro d’identification TVA attribué par l’État membre de l’établissement stable, cet établissement stable est réputé avoir participé à la livraison de biens ou à la prestation de services effectuée dans cet État membre, sauf preuve du contraire. »

Le droit roumain

12

L’article 266, paragraphe 2, sous b), de la Legea nr. 227/2015 privind Codul fiscal (loi no 227/2015, portant code des impôts), du 8 septembre 2015 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 688, du 10 septembre 2015, ci-après le « code des impôts »), dispose :

« Au sens du présent titre :

[...]

b)

un assujetti qui a le siège de son activité économique hors de Roumanie est réputé établi en Roumanie s’il dispose d’un établissement stable en Roumanie, ou s’il dispose en Roumanie de suffisamment de moyens techniques et humains pour effectuer régulièrement des livraisons de biens ou des prestations de services imposables ».

13

Aux termes de l’article 278, paragraphe 2, du code des impôts :

« Le lieu des prestations de services fournies à un assujetti agissant en tant que tel est l’endroit où ce destinataire des services a établi le siège de son activité économique. Si les services sont fournis à un établissement stable de l’assujetti situé en un lieu autre que l’endroit où cette personne a établi le siège de son activité économique, le lieu de prestation des services est l’endroit où cet établissement stable du destinataire des services est situé. À défaut d’un tel lieu ou d’un tel établissement stable, le lieu des prestations de services est l’endroit où l’assujetti qui est le destinataire de ces services a son domicile ou sa résidence habituelle. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Adient Allemagne et SC Adient Automotive România SRL (ci-après « Adient Roumanie ») appartiennent toutes deux au groupe Adient, qui est un équipementier spécialisé dans la fabrication et la commercialisation de sièges et autres composants pour véhicules automobiles.

15

Le 1er juin 2016, Adient Allemagne a conclu avec Adient Roumanie un contrat de prestation de services, comprenant à la fois des services de transformation de composants de tapisserie pour ces sièges et des services auxiliaires. Les services de transformation consistent, pour Adient Roumanie, à découper et à coudre les matières premières fournies par Adient Allemagne aux fins de la fabrication de housses de sièges. Les services auxiliaires accomplis par Adient Roumanie consistent, notamment, à réceptionner, stocker, contrôler et gérer les matières premières et à stocker les produits finis. Adient Allemagne demeure propriétaire des matières premières, des produits semi-finis et des produits finis pendant tout le processus de fabrication.

16

Adient Allemagne dispose d’un numéro d’identification TVA en Roumanie, qu’elle utilise tant pour ses acquisitions de biens dans cet État membre que pour la livraison à ses clients des produits fabriqués par Adient Roumanie. Pour les services qui lui sont fournis par Adient Roumanie, elle a utilisé son numéro d’identification TVA allemand.

17

Estimant que les prestations de services qu’elle accomplissait en vertu du contrat conclu avec Adient Allemagne étaient réalisées au lieu où cette société, bénéficiaire de ces prestations, était établie, Adient Roumanie a établi des factures hors TVA, lesdites prestations devant, selon elle, être taxées en Allemagne.

18

À la suite d’un contrôle fiscal afférent à la période allant du 18 février 2016 au 31 juillet 2018, l’administration fiscale a, toutefois, estimé que le bénéficiaire des prestations de services effectuées par Adient Roumanie était un établissement stable d’Adient Allemagne situé en Roumanie, qui serait constitué par deux des succursales d’Adient Roumanie, à savoir celles implantées à Pitești et à Ploiești (Roumanie). Elle en a déduit qu’Adient Roumanie avait l’obligation de percevoir la TVA sur ces prestations et a émis un avis d’imposition à l’égard de cette société, qui l’a contesté dans le cadre d’une instance distincte de la procédure en cause au principal.

19

En outre, l’administration fiscale a considéré que, dès lors qu’Adient Allemagne disposait d’un établissement stable en Roumanie, elle ne pouvait pas être identifiée par le numéro d’identification TVA qui lui avait été attribué par les autorités allemandes et qu’elle était tenue de s’enregistrer en tant qu’assujetti établi en Roumanie. Par décision du 4 juin 2020, elle a, en conséquence, prononcé l’enregistrement d’office de cette société.

20

Adient Allemagne a formé contre cette décision une réclamation, qui a été rejetée par une décision du 28 août 2020.

21

Adient Allemagne a formé contre les décisions des 4 juin et 28 août 2020 un recours en annulation devant le Tribunalul Argeș (tribunal de grande instance d’Argeș, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.

22

Celle-ci expose que la solution du litige dont elle est saisie dépend du point de savoir si Adient Allemagne dispose, par l’intermédiaire des succursales d’Adient Roumanie implantées à Pitești et à Ploiești, de moyens humains et techniques pour effectuer régulièrement des opérations imposables sur le territoire de la Roumanie.

23

Elle éprouve des doutes quant à la position de l’administration fiscale consistant à considérer que tel est le cas au regard, en ce qui concerne les moyens humains d’Adient Allemagne, des considérations suivantes.

24

D’une part, cette administration tient compte de la circonstance que, en vertu du contrat de prestation de services conclu entre Adient Allemagne et Adient Roumanie, la première a le droit d’inspecter et d’examiner les documents comptables, registres, rapports et tout autre document appartenant à la seconde, et peut exiger de celle-ci qu’elle participe à des programmes ou à des initiatives de réduction des coûts.

25

D’autre part, ladite administration prend en considération le fait que les employés d’Adient Roumanie sont impliqués dans l’activité de livraison de biens exercée par Adient Allemagne, puisqu’ils reçoivent les commandes passées par les clients de cette société, calculent les besoins en matières premières et en matériaux, assurent le stockage et le transport des matières premières et des produits finis ainsi que la livraison de ces derniers, en étant chargés du contrôle de qualité, qu’ils participent à l’organisation et à la réalisation de l’inventaire annuel des biens de ladite société et qu’ils assurent la communication avec les clients et les fournisseurs de celle-ci, en représentant ainsi la même société à l’égard des tiers.

26

Par ailleurs, la juridiction de renvoi nourrit des doutes en ce qui concerne la prise en compte, par l’administration fiscale, pour retenir l’existence de moyens techniques, de la circonstance que les employés d’Adient Roumanie opèrent en utilisant les systèmes informatique et comptable d’Adient Allemagne, laquelle dispose par ailleurs d’un entrepôt de stockage au sein de la succursale de Pitești, doté des équipements et matériels nécessaires.

27

Dans ces conditions, le Tribunalul Argeş (tribunal de grande instance d’Argeş) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les dispositions de l’article 44 de la [directive TVA] et des articles 10 et 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la pratique de l’administration fiscale nationale consistant à qualifier une personne morale résidente indépendante d’établissement stable d’une entité non-résidente au seul motif que les deux sociétés appartiennent au même groupe ?

2)

Les dispositions de l’article 44 de la [directive TVA] et des articles 10 et 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la pratique de l’administration fiscale nationale consistant à retenir l’existence, sur le territoire d’un État membre, d’un établissement stable d’une entité non-résidente en se fondant uniquement sur les services que la personne morale résidente fournit à l’entité non-résidente ?

3)

Les dispositions de l’article 44 de la [directive TVA] et des articles 10 et 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent‑elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à la législation fiscale et à la pratique de l’administration fiscale nationale consistant à retenir l’existence, sur le territoire d’un État membre, d’un établissement stable d’une entité non-résidente, dès lors que cet [établissement] effectue uniquement des livraisons de biens et non des prestations de services ?

4)

Dans l’hypothèse où une personne non-résidente détient sur le territoire d’un État membre, au niveau d’une personne morale résidente, des moyens humains et techniques par lesquels elle assure la prestation de services de transformation des biens qui doivent être livrés par l’entité non-résidente, les dispositions de l’article 192 bis, sous b), de la [directive TVA] ainsi que de l’article 11 et de l’article 53, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 282/2011 doivent-elles être interprétées en ce sens que les services de transformation en question, fournis par l’intermédiaire des moyens techniques et humains de la personne morale non-résidente sont : i) des services fournis à la personne morale non-résidente par la personne résidente, par l’intermédiaire des moyens humains et techniques en question ou, le cas échéant, ii) des services fournis par la personne morale non-résidente elle‑même, par l’intermédiaire desdits moyens humains et techniques ?

5)

En fonction de la réponse à la quatrième question, comment le lieu de la prestation des services sera-t-il déterminé, au regard des dispositions de l’article 44 de la [directive TVA] et des articles 10 et 11 du règlement d’exécution no 282/2011 ?

6)

Eu égard à l’article 53, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 282/2011, les activités connexes aux services de transformation des biens, telles que la réception, l’inventaire, la passation de commandes auprès des fournisseurs, la fourniture d’espaces de stockage, la gestion des stocks dans le système informatique, le traitement des commandes des clients, l’apposition de l’adresse sur les documents de transport et les factures, le soutien aux audits de qualité, etc., devraient-elles être ignorées aux fins de la détermination de l’existence d’un établissement stable, étant donné que ce sont des activités administratives d’appui, strictement nécessaires à l’activité de transformation des biens ?

7)

Eu égard aux principes relatifs au lieu d’imposition à l’endroit où a lieu la consommation et [à l’endroit] de destination respectivement, le fait que les biens résultant de la transformation sont pour la plupart vendus par le destinataire des services (ont leur destination) hors de Roumanie et que ceux qui sont vendus en Roumanie sont soumis à la TVA et que, par conséquent, le résultat des services de transformation n’est pas “consommé” en Roumanie ou, s’il est “consommé” en Roumanie, est soumis à la TVA est-il pertinent aux fins de la détermination du lieu de prestation des services de transformation ?

8)

Si les moyens techniques et humains de l’établissement stable qui est le destinataire des services sont pratiquement les mêmes que ceux du prestataire grâce auquel les services sont effectivement fournis, existe-t-il encore une prestation de services au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la [directive TVA] ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

28

Le gouvernement roumain estime que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable.

29

En premier lieu, ce gouvernement considère que les première à sixième questions reposent sur des suppositions erronées. Il fait valoir, à cet égard, que, contrairement à ce que laisse entendre la formulation des deux premières questions, l’administration fiscale ne s’est pas fondée sur la seule appartenance d’Adient Allemagne et d’Adient Roumanie à un même groupe de sociétés ou sur la fourniture de services de transformation par la seconde société à la première pour en déduire l’existence, en Roumanie, d’un établissement stable de cette première société, mais a procédé à une analyse globale de toutes les circonstances pertinentes. Quant aux troisième à sixième questions, elles reposeraient sur la prémisse erronée selon laquelle l’administration fiscale se serait fondée sur les moyens humains et techniques utilisés pour la prestation des services de transformation ou pour l’accomplissement d’activités de soutien administratif accessoires à ces prestations, alors qu’auraient été pris en compte les moyens humains et techniques dont dispose Adient Allemagne en Roumanie pour accomplir les opérations de livraison de biens effectuées par cette société à partir du territoire de cet État membre.

30

En deuxième lieu, s’agissant de la septième question préjudicielle, le gouvernement roumain soutient que la juridiction de renvoi n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles elle s’interroge sur l’incidence du lieu où sont vendus les produits issus des services de transformation.

31

En troisième lieu, la huitième question préjudicielle serait irrecevable dans la mesure où il ressortirait de la demande de décision préjudicielle que les moyens techniques et humains de l’établissement stable d’Adient Allemagne en Roumanie sont distincts de ceux utilisés par Adient Roumanie pour la réalisation de la prestation de services.

32

À ce titre, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit que les questions posées par les juridictions nationales bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît que l’interprétation sollicitée de ce droit n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile auxdites questions (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C‑62/14, EU:C:2015:400, points 24 et 25, ainsi que du 18 janvier 2024, Comune di Copertino, C‑218/22, EU:C:2024:51, points 19 et 20 ainsi que jurisprudence citée).

33

De plus, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale [arrêt du 9 février 2023, Finanzamt X (Prestations du propriétaire d’une écurie), C‑713/21, EU:C:2023:80, point 38 et jurisprudence citée].

34

En l’occurrence, il convient de relever que la description du cadre juridique et factuel de l’affaire au principal, contenue dans la demande de décision préjudicielle, fait apparaître que la solution du litige dont est saisie la juridiction de renvoi est subordonnée à l’obtention, par cette dernière, d’une série de précisions concernant les critères permettant de qualifier une entité d’établissement stable. En effet, la juridiction de renvoi fait état, dans cette demande, des allégations de la requérante au principal selon lesquelles l’administration fiscale a retenu l’existence d’un établissement stable en tenant compte de l’appartenance des deux sociétés concernées à un même groupe et du contrat de prestation de services liant ces deux sociétés. Elle relève, en outre, que cette administration a également tenu compte des moyens humains et techniques impliqués en Roumanie dans la livraison des marchandises en aval par cet établissement stable.

35

Il convient d’ajouter qu’aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne permet de considérer que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’aurait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème serait de nature hypothétique.

36

Enfin, il y a lieu de rappeler que, quand bien même les faits présentés par la juridiction de renvoi consisteraient en une reproduction des allégations de la requérante au principal, cette seule circonstance, à la supposer avérée, n’établit pas que, en procédant de la sorte, cette juridiction a manqué à son obligation d’indiquer dans la décision de renvoi, conformément à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, les données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ni les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union visées dans les questions posées ou pour lesquelles elle estime qu’une réponse de la Cour est nécessaire pour trancher le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Wilo Salmson France, C‑80/20, EU:C:2021:870, point 51).

37

Il résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

Sur les deux premières questions

38

Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 44 de la directive TVA et l’article 11, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, doit être regardée comme disposant dans ce dernier État membre d’un établissement stable, en vue de la détermination du lieu de la prestation de ces services, du seul fait que les deux sociétés appartiennent à un même groupe et que ces sociétés sont liées entre elles par un contrat de prestation de services.

39

À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que le point de rattachement le plus utile et, partant, prioritaire afin de déterminer le lieu des prestations de services du point de vue fiscal est celui où l’assujetti a établi le siège de son activité économique, car il offre, en tant que critère objectif, simple et pratique, une grande sécurité juridique. En revanche, le rattachement à l’établissement stable de l’assujetti est un rattachement secondaire qui déroge à la règle générale, pris en compte pourvu que certaines conditions soient remplies (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, points 53 à 56 ; du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 29, et du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 29).

40

Dès lors, ce rattachement secondaire ne doit être pris en compte que dans le cas où le rattachement au siège ne conduit pas à une solution rationnelle ou crée un conflit avec un autre État membre (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 1985, Berkholz, 168/84, EU:C:1985:299, point 17 ; du 7 mai 1998, Lease Plan, C‑390/96, EU:C:1998:206, point 24 et jurisprudence citée, ainsi que du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 30 et jurisprudence citée).

41

Quant à la notion d’« établissement stable », au sens de l’article 44 de la directive TVA, il résulte du libellé même de l’article 11, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 qu’elle désigne tout établissement, autre que le siège de l’activité économique, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.

42

Pour qu’un assujetti soit considéré comme disposant d’un établissement stable dans un État membre dans lequel les services concernés lui sont fournis, il faut donc qu’il y dispose d’une structure suffisamment permanente et apte à lui permettre d’y recevoir les prestations de services concernées et de les utiliser aux fins de son activité économique (arrêt du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 31).

43

Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la qualification d’établissement stable dépend des conditions matérielles énoncées par le règlement d’exécution no 282/2011, notamment à l’article 11 de celui-ci, qui doivent être appréciées à la lumière de la réalité économique et commerciale, de sorte que cette qualification ne saurait dépendre du seul statut juridique de l’entité concernée (arrêt du 7 mai 2020, Dong Yang Electronics, C‑547/18, EU:C:2020:350, points 31 et 32).

44

Il en résulte que, s’il est possible qu’une filiale prestataire de services, établie dans un État membre, constitue l’établissement stable de sa société mère destinataire de ces services, établie dans un autre État membre ou dans un pays tiers, cette qualification ne saurait être déduite du seul fait que cette société y possède une filiale (arrêt du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 40 et jurisprudence citée).

45

Pour les mêmes raisons, la circonstance que deux sociétés, indépendantes juridiquement l’une de l’autre, appartiennent à un même groupe ne saurait davantage caractériser, à elle seule, l’existence d’un établissement stable de la société bénéficiaire des prestations de services fournies par la seconde société.

46

L’existence d’un tel établissement ne saurait non plus être déduite de la seule circonstance que ces deux sociétés sont juridiquement liées entre elles par un contrat qui fixe les conditions dans lesquelles s’effectuent les prestations de services assurées par l’une au profit exclusif de l’autre.

47

En effet, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, étant donné qu’une personne morale, quand bien même elle n’aurait qu’un seul client, est supposée utiliser les moyens humains et techniques dont elle dispose pour ses besoins propres, ce n’est que s’il devait être établi que, en raison des stipulations contractuelles applicables, une société destinataire de services disposait des moyens techniques et humains de son prestataire comme s’ils étaient les siens qu’elle pourrait être regardée comme disposant d’une structure présentant un degré suffisant de permanence et appropriée, en termes de moyens humains et techniques, dans l’État membre dans lequel est établi le prestataire (arrêts du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 48, et du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 37).

48

Or, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 50 de ses conclusions, le prestataire agit en principe en son nom et dans son propre intérêt économique en tant que cocontractant indépendant, et non en tant que composante non autonome de l’autre partie au contrat.

49

Dès lors, le fait que les parties soient liées par un contrat de prestation de services exclusif n’a pas pour effet à lui seul que les moyens du prestataire deviennent ceux de son client, à moins qu’il soit démontré que, en application de ce contrat, ce prestataire ne demeure pas responsable de ses propres moyens et ne fournit pas ses prestations à ses propres risques (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 39).

50

En l’occurrence, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier s’il ressort, notamment, des stipulations du contrat liant les parties que les moyens humains et techniques des succursales de Pitești et de Ploiești d’Adient Roumanie ont été mis, de façon suffisamment permanente, à la disposition d’Adient Allemagne afin qu’elle puisse y recevoir les prestations de services de transformation effectuées par Adient Roumanie et les utiliser pour sa propre activité économique. En effet, dans le cadre de la coopération instituée en vertu de l’article 267 TFUE, il appartient aux seules juridictions nationales de porter toutes appréciations de fait définitives à cet égard (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2011, Bog e.a., C‑497/09, C‑499/09, C‑501/09 et C‑502/09, EU:C:2011:135, point 55, ainsi que du 20 avril 2023, Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej, C‑282/22, EU:C:2023:312 point 31 et jurisprudence citée).

51

Toutefois, la Cour peut fournir à ces juridictions tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elles sont saisies (arrêts du 17 décembre 2020, Franck, C‑801/19, EU:C:2020:1049, point 27 et jurisprudence citée ; du 4 mars 2021, Frenetikexito, C‑581/19, EU:C:2021:167, point 36 et jurisprudence citée, ainsi que du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 46 et jurisprudence citée).

52

À cet égard, dans la mesure où il paraît ressortir de la décision de renvoi que toutes les sociétés du groupe Adient disposent d’un même système informatique et comptable, le fait que les employés des succursales de Pitești et de Ploiești d’Adient Roumanie ont accès par voie électronique au système comptable d’Adient Allemagne afin, notamment, d’enregistrer directement les matières premières fournies par cette dernière et les produits finis, ne signifie pas pour autant qu’Adient Allemagne détiendrait en Roumanie les infrastructures de nature à rendre possible, de manière autonome, la réalisation de ses propres opérations à l’issue du processus de fabrication de ces produits. L’existence de telles infrastructures ne saurait davantage être déduite de la mise à disposition, au profit d’Adient Allemagne, d’un local de stockage desdits produits ainsi que de ces matières premières que cette société fournit à son prestataire, tout en s’en réservant la propriété.

53

S’agissant de la circonstance que les employés des succursales de Pitești et de Ploiești d’Adient Roumanie exercent des fonctions qui excèdent celles qui leur sont normalement dévolues dans le cadre des activités de prestations de services effectuées par celle-ci et qui les font participer directement aux activités de livraison de produits finis aux clients d’Adient Allemagne, il appartient à la juridiction de renvoi de rechercher si, comme l’a soutenu Adient Allemagne devant elle, les activités qu’ils exercent se limitent à des tâches directement liées à la réalisation du service de transformation ou sont de nature purement administrative, et de vérifier si, au regard des conditions d’emploi et de rémunération de ces employés, ceux-ci, bien que contractuellement liés à Adient Roumanie, sont, en réalité, soustraits à la subordination hiérarchique de cette société et placés à la disposition et sous l’autorité d’Adient Allemagne dans l’accomplissement des tâches qui leurs sont confiées.

54

À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que l’article 44 de la directive TVA et l’article 11, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, ne peut être regardée comme disposant dans ce dernier État membre d’un établissement stable, en vue de la détermination du lieu de la prestation de ces services, du seul fait que les deux sociétés appartiennent à un même groupe ou que ces sociétés sont liées entre elles par un contrat de prestation de services.

Sur les troisième et septième questions

55

Par ses troisième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 44 de la directive TVA et l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services de transformation fournis par une société établie dans un autre État membre, peut être regardée comme disposant dans ce dernier État membre d’un établissement stable, en vue de la détermination du lieu de la prestation de services, dès lors, d’une part, qu’elle y dispose d’une structure qui participe à la livraison des produits finis issus de ces services de transformation et, d’autre part, que ces opérations de livraison sont réalisées majoritairement hors dudit dernier État membre et que celles qui y sont réalisées sont soumises à la TVA.

56

En premier lieu, ainsi que la Cour l’a déjà rappelé, la question de savoir s’il existe un établissement stable, au sens de l’article 44 de la directive TVA, doit être examinée en fonction de l’assujetti preneur des prestations de services en cause (arrêts du 16 octobre 2014, Welmory, C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 57, et du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 30), alors que, pour l’application des autres dispositions de cette directive qui se réfèrent à la notion d’établissement stable, elle doit être examinée en fonction de l’assujetti prestataire.

57

Cette distinction ressort du libellé même des paragraphes 1 et 2 de l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011.

58

En effet, il résulte de l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution que, pour l’application de l’article 44 de la directive TVA, relatif au lieu des prestations de services, l’établissement stable est défini comme étant tout établissement, autre que le siège de l’activité économique visé à l’article 10 dudit règlement, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d’utiliser les services qui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement.

59

En revanche, pour l’application, notamment, de l’article 192 bis de la directive TVA, relatif à la détermination du redevable de la taxe, l’établissement stable désigne, selon l’article 11, paragraphe 2, du même règlement, tout établissement, autre que le siège de l’activité économique, qui se caractérise par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de fournir les services dont il assure la prestation.

60

Ainsi, même si tout établissement stable présente la caractéristique commune d’être constitué d’une structure présentant un degré suffisant de permanence et une aptitude à la réalisation autonome de son activité, il y a lieu de distinguer selon que les fonctions dévolues à cette structure consistent à recevoir ou à fournir des services et, s’agissant de savoir s’il existe un établissement stable en vue de la détermination du lieu de la prestation de services, de s’attacher à l’activité de réception de services.

61

En second lieu, dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, il y a lieu, tout d’abord, de distinguer les prestations de services fournies par Adient Roumanie à Adient Allemagne des ventes et livraisons de biens issus de ces services que cette dernière société effectue à partir de la Roumanie, ces prestations de services et ces livraisons de biens constituant des opérations distinctes, soumises à des régimes de TVA différents. Dès lors, il convient, afin d’établir le lieu où Adient Allemagne bénéficie de ces prestations, d’identifier le lieu où sont situés les moyens humains et techniques que cette société utilise à cette fin, et non pas celui où se trouvent les moyens qu’elle utilise pour son activité de livraison de produits finis (voir, par analogie, arrêt du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 40 et jurisprudence citée).

62

Aussi, la circonstance, à la supposer avérée, qu’Adient Allemagne dispose, au sein d’une structure située en Roumanie, de moyens grâce auxquels elle effectue des livraisons de biens issus des services réalisés à son profit par Adient Roumanie n’est pas pertinente pour caractériser l’existence d’un établissement stable en vue de la détermination du lieu de la prestation de ces services. A fortiori, n’est pas davantage pertinente, à cette fin, la circonstance que ces livraisons de biens sont effectuées majoritairement hors de Roumanie ou que celles qui sont réalisées en Roumanie sont soumises à la TVA.

63

Ensuite, dans la mesure où la juridiction de renvoi explique, pour justifier ces questions relatives à la prise en compte de l’activité de livraison de biens exercée par Adient Allemagne, que tant l’article 192 bis de la directive TVA et l’article 53 du règlement d’exécution no 282/2011 que l’article 266, paragraphe 2, sous b), du code des impôts se réfèrent indifféremment à la livraison de biens ou à la fourniture de services, il apparaît nécessaire d’apporter des précisions quant à la portée de ces dispositions du droit de l’Union et de la référence à la notion de « livraison de biens ».

64

Premièrement, il importe de souligner que lesdites dispositions concernent non pas la détermination du lieu de la prestation de services, mais celle du redevable de la taxe due dans un État membre sur les livraisons de biens ou les prestations de services imposables dans cet État membre réalisées par un assujetti établi dans un autre État membre.

65

Or, il convient de constater qu’il ne ressort ni de la décision de renvoi, ni des observations présentées devant la Cour que le litige au principal concerne le régime de TVA applicable aux livraisons de biens réalisées par Adient Allemagne en Roumanie.

66

L’article 192 bis de la directive TVA et l’article 53 du règlement d’exécution no 282/2011, auxquels se réfère la juridiction de renvoi pour justifier ces questions, ne sont donc pas applicables dans une situation telle que celle en cause au principal, qui concerne exclusivement la détermination du lieu des prestations de services fournies à Adient Allemagne par Adient Roumanie.

67

Deuxièmement, et en toute hypothèse, il convient de relever qu’il résulte effectivement de l’article 192 bis de la directive TVA que la participation de l’établissement stable à l’activité de livraison de biens est prise en compte au même titre que la participation de celui-ci à l’activité de prestation de services, afin de déterminer qui, de l’assujetti ou de son établissement stable, est redevable de la TVA au titre de ces opérations.

68

Conformément à cet article, un assujetti qui dispose d’un établissement stable sur le territoire de l’État membre dans lequel la taxe est due est considéré comme un assujetti qui n’est pas établi sur le territoire de cet État membre lorsqu’il effectue une livraison de biens ou une prestation de services imposable sur le territoire dudit État membre et que l’établissement qu’il y possède ne participe pas à la livraison de ces biens ou à la prestation de ces services.

69

Par ailleurs, l’article 53, paragraphe 1, du règlement d’exécution no 282/2011 précise que l’établissement stable dont l’assujetti dispose n’est pris en considération que lorsqu’il est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée en termes de moyens humains et techniques, lui permettant d’effectuer la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle il participe. Selon l’article 53, paragraphe 2, de ce règlement d’exécution, il faut que ces moyens soient utilisés par cet assujetti pour des opérations inhérentes à la livraison de biens ou à la prestation de services et accomplies avant ou pendant cette livraison ou prestation.

70

Il découle de la lecture combinée de ces dispositions que, en vue de la détermination du redevable de la TVA, l’assujetti n’est considéré comme établi sur le territoire de l’État membre dans lequel il effectue une livraison de biens ou une prestation de services que s’il dispose dans cet État membre d’une structure présentant une consistance minimale, par la réunion permanente de moyens humains et techniques, qui participe aux opérations imposables considérées, avant ou pendant leur réalisation.

71

Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, il ressort également de l’article 11, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 282/2011 que, pour l’application de l’article 192 bis de la directive TVA, l’établissement stable à prendre en compte est celui qui fournit les services dont il assure la prestation, et non celui qui utilise les services qui lui sont fournis. L’établissement stable qui participe à une livraison de biens ou à une prestation de services, au sens de l’article 53, paragraphe 1, de ce règlement d’exécution, ne peut donc qu’être un établissement stable prestataire de services.

72

Il en résulte que, lorsque l’assujetti effectuant une livraison de biens dans un État membre ne dispose, dans cet État membre, que d’un établissement stable bénéficiaire des prestations de services, la circonstance que cet établissement participe aux livraisons de biens réalisées par cet assujetti dans ledit État membre ne saurait avoir d’incidence sur la détermination du redevable de la TVA au titre de ces opérations.

73

En l’occurrence, à supposer qu’Adient Allemagne dispose d’un établissement stable qui bénéficie des prestations de services effectuées par Adient Roumanie et que cet établissement participe aux livraisons de biens qu’effectue Adient Allemagne en Roumanie, cette dernière ne pourrait pas pour autant être regardée comme établie sur le territoire de la Roumanie en application de l’article 192 bis de la directive TVA.

74

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et septième questions que l’article 44 de la directive TVA et l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens que ni la circonstance qu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services de transformation fournis par une société établie dans un autre État membre, dispose dans ce dernier État membre d’une structure qui participe à la livraison des produits finis issus de ces services de transformation, ni le fait que ces opérations de livraison sont réalisées majoritairement hors dudit État membre et que celles qui y sont réalisées sont soumises à la TVA ne sont pertinents pour établir, en vue de la détermination du lieu de la prestation de services, que cette société possède dans le même dernier État membre un établissement stable.

Sur les quatrième à sixième et huitième questions

75

Par ses quatrième à sixième et huitième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 44 et 192 bis de la directive TVA ainsi que les articles 11 et 53 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, il peut être tenu compte, pour caractériser l’établissement stable de la première société dans ce dernier État membre, des moyens techniques et humains par lesquels cette seconde société assure les prestations de services ou des moyens qui sont utilisés pour les activités administratives connexes à ces prestations.

76

Il y a lieu de relever qu’il ne ressort pas de la décision de renvoi que, dans l’affaire au principal, l’administration fiscale ait tenu compte, pour caractériser l’existence d’un établissement stable d’Adient Allemagne en Roumanie, des moyens humains et techniques utilisés par Adient Roumanie pour réaliser ses prestations de services de transformation. La juridiction de renvoi explique d’ailleurs, à l’appui de ses quatrième et cinquième questions, que l’administration fiscale a constaté que les moyens humains et techniques impliqués dans la prestation de services de transformation appartenaient à Adient Roumanie, et non à Adient Allemagne, laquelle aurait utilisé les moyens humains et techniques impliqués dans la livraison des marchandises en aval. Il appartient donc à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits, d’effectuer les vérifications nécessaires à cet égard.

77

Sous réserve de ces vérifications, il convient de rappeler que la Cour a jugé que les mêmes moyens ne peuvent pas être utilisés à la fois par un assujetti, établi dans un État membre, pour fournir des services et par un assujetti, établi dans un autre État membre, pour recevoir ces mêmes services au sein d’un supposé établissement stable situé dans le premier État membre (arrêts du 7 avril 2022, Berlin Chemie A. Menarini, C‑333/20, EU:C:2022:291, point 54, et du 29 juin 2023, Cabot Plastics Belgium, C‑232/22, EU:C:2023:530, point 41).

78

L’existence d’un établissement stable du bénéficiaire des services suppose donc qu’il soit possible d’identifier des moyens humains et techniques qui sont distincts de ceux qu’utilise la société prestataire pour l’accomplissement de ses propres prestations de services et qui sont mis à la disposition du bénéficiaire de ces services pour en assurer la réception et l’utilisation conformément à ses propres besoins. À défaut d’une telle constatation, un tel bénéficiaire ne dispose pas d’un établissement stable dans l’État membre de la société prestataire et ne peut donc pas être considéré comme établi dans cet État membre.

79

À supposer que l’établissement stable puisse être à la fois le prestataire et le bénéficiaire des mêmes prestations de services, il y aurait, dans ce cas de figure, identité du prestataire et du bénéficiaire et, par conséquent, absence, en principe, de toute opération imposable, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 35 de ses conclusions.

80

Quant au point de savoir si des prestations accessoires aux services de transformation peuvent être prises en compte, la Cour a déjà dit pour droit que des activités à caractère préparatoire ou auxiliaire nécessaires à l’accomplissement de l’activité de l’entreprise ne sauraient permettre de caractériser un établissement stable (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2007, Planzer Luxembourg, C‑73/06, EU:C:2007:397, point 56). En l’occurrence, sous réserve de l’appréciation de toutes les circonstances pertinentes qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît ressortir des éléments dont dispose la Cour, tels qu’ils ont été présentés dans la demande de décision préjudicielle, que les activités telles que la réception, la gestion ou l’inspection des matières premières et des produits finis, le soutien aux audits de qualité ou la passation de la commande d’expédition des produits finis constituent des activités préparatoires ou auxiliaires par rapport à l’activité de transformation réalisée par Adient Roumanie.

81

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrième à sixième et huitième questions que les articles 44 et 192 bis de la directive TVA ainsi que les articles 11 et 53 du règlement d’exécution no 282/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’une société assujettie à la TVA ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, ne possède pas un établissement stable dans ce dernier État membre si les moyens humains et techniques dont elle dispose dans ledit État membre ne sont pas distincts de ceux par lesquels les services lui sont fournis ou si ces moyens humains et techniques n’assurent que des activités préparatoires ou auxiliaires.

Sur les dépens

82

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 44 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1695 du Conseil, du 6 novembre 2018, et l’article 11, paragraphe 1, du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée,

doivent être interprétés en ce sens que :

une société assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, ne peut être regardée comme disposant dans ce dernier État membre d’un établissement stable, en vue de la détermination du lieu de la prestation de ces services, du seul fait que les deux sociétés appartiennent à un même groupe ou que ces sociétés sont liées entre elles par un contrat de prestation de services.

 

2)

L’article 44 de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695, et l’article 11 du règlement d’exécution no 282/2011

doivent être interprétés en ce sens que :

ni la circonstance qu’une société assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services de transformation fournis par une société établie dans un autre État membre, dispose dans ce dernier État membre d’une structure qui participe à la livraison des produits finis issus de ces services de transformation, ni le fait que ces opérations de livraison sont réalisées majoritairement hors dudit État membre et que celles qui y sont réalisées sont soumises à la TVA ne sont pertinents pour établir, en vue de la détermination du lieu de la prestation de services, que cette société possède dans le même dernier État membre un établissement stable.

 

3)

Les articles 44 et 192 bis de la directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2018/1695, ainsi que les articles 11 et 53 du règlement d’exécution no 282/2011

doivent être interprétés en ce sens que :

une société assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ayant le siège de son activité économique dans un État membre, qui bénéficie de services fournis par une société établie dans un autre État membre, ne possède pas un établissement stable dans ce dernier État membre si les moyens humains et techniques dont elle dispose dans ledit État membre ne sont pas distincts de ceux par lesquels les services lui sont fournis ou si ces moyens humains et techniques n’assurent que des activités préparatoires ou auxiliaires.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le roumain.