ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
29 février 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune – Soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Article 7 – Mesures et sanctions administratives – Règlement no 1306/2013 – Articles 54 et 56 – Règlement délégué no 640/2014 – Article 35 – Recouvrement des sommes indûment versées auprès des personnes ayant participé à la réalisation de l’irrégularité – Notion de “bénéficiaire” »
Dans l’affaire C‑437/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), par décision du 1er juillet 2022, parvenue à la Cour le 4 juillet 2022, dans la procédure pénale contre
R.M.,
E.M.,
en présence de :
Eesti Vabariik (Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet),
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb (rapporteur), A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. G. Pitruzzella,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
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pour le gouvernement estonien, par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent, |
– |
pour le gouvernement danois, par Mme C. Maertens, en qualité d’agent, assistée de Me P. Biering, advokat, |
– |
pour la Commission européenne, par Mmes F. Blanc, E. Randvere et M. A. Sauka, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 octobre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), de l’article 54, paragraphe 1, et de l’article 56, premier alinéa, du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et (CE) no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13), ainsi que de l’article 35, paragraphe 6, du règlement délégué (UE) no 640/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les conditions relatives au refus ou au retrait des paiements et les sanctions administratives applicables aux paiements directs, au soutien au développement rural et à la conditionnalité (JO 2014, L 181, p. 48, et rectificatif JO 2015, L 209, p. 48). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée en Estonie contre R.M. et E.M., accusés, respectivement, d’être l’auteur de trois fraudes aux subventions au bénéfice de X OÜ (ci-après la « société X »), et la coauteure de deux de ces fraudes. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 2988/95
3 |
Le quatrième considérant du règlement no 2988/95 énonce : « [C]onsidérant que l’efficacité de la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés requiert la mise en place d’un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques communautaires ». |
4 |
L’article 1er de ce règlement prévoit : « 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. 2. Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. » |
5 |
L’article 2 dudit règlement dispose : « 1. Les contrôles et les mesures et sanctions administratives sont institués dans la mesure où ils sont nécessaires pour assurer l’application correcte du droit communautaire. Ils doivent revêtir un caractère effectif, proportionné et dissuasif, afin d’assurer une protection adéquate des intérêts financiers des Communautés. [...] 3. Les dispositions du droit communautaire déterminent la nature et la portée des mesures et sanctions administratives nécessaires à l’application correcte de la réglementation considérée en fonction de la nature et de la gravité de l’irrégularité, du bénéfice accordé ou de l’avantage reçu et du degré de responsabilité. 4. Sous réserve du droit communautaire applicable, les procédures relatives à l’application des contrôles et des mesures et sanctions communautaires sont régies par le droit des États membres. » |
6 |
L’article 4 du même règlement, qui précise la portée de la notion de « mesures administratives », visée à l’article 2 de celui-ci, est libellé comme suit : « 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :
[...] 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions. » |
7 |
L’article 5 du règlement no 2988/95, qui précise la portée de la notion de « sanctions administratives », visée à l’article 2 de celui-ci, dispose, à son paragraphe 1, que les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives prévues à cette disposition, notamment au paiement d’une amende administrative. |
8 |
L’article 7 de ce règlement prévoit : « Les mesures et sanctions administratives communautaires peuvent s’appliquer aux opérateurs économiques visés à l’article 1er, à savoir les personnes physiques ou morales, ainsi que les autres entités auxquelles le droit national reconnaît la capacité juridique, qui ont commis l’irrégularité. Elles peuvent également s’appliquer aux personnes qui ont participé à la réalisation de l’irrégularité, ainsi qu’à celles qui sont tenues de répondre de l’irrégularité ou d’éviter qu’elle soit commise. » |
Le règlement no 1306/2013
9 |
Le considérant 39 du règlement no 1306/2013 énonçait : « Afin de protéger les intérêts financiers du budget de l’Union [européenne], il convient que les États membres arrêtent des mesures afin de s’assurer que les opérations financées par [le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader)] ont effectivement lieu et sont correctement exécutées. Il est également nécessaire que les États membres préviennent, détectent et traitent efficacement toute irrégularité ou tout cas de non-respect de leurs obligations de la part des bénéficiaires. Il importe à cette fin que le [règlement no 2988/95] s’applique. En cas d’infraction à la législation agricole sectorielle, si des actes juridiques de l’Union n’ont pas fixé de règles précises en matière de sanctions administratives, les États membres devraient imposer des sanctions nationales qui doivent être effectives, dissuasives et proportionnées. » |
10 |
L’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement définissait la notion d’« irrégularité », au sens de celui-ci, comme étant une irrégularité au sens de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95. |
11 |
L’article 54 dudit règlement, intitulé « Dispositions communes », prévoyait : « 1. Pour tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire dans un délai de 18 mois suivant l’approbation et, le cas échéant, la réception par l’organisme payeur ou l’organisme chargé du recouvrement, d’un rapport de contrôle ou document similaire, indiquant l’existence d’une irrégularité. Parallèlement à la demande de recouvrement, les montants correspondants sont inscrits au grand livre des débiteurs de l’organisme payeur. [...] 3. Pour des motifs dûment justifiés, les États membres peuvent décider de ne pas poursuivre le recouvrement. Cette décision ne peut être prise que dans les cas suivants : [...]
[...] » |
12 |
L’article 56 du même règlement, intitulé « Dispositions spécifiques au Feader », disposait, à son premier alinéa : « Les États membres effectuent les redressements financiers résultant des irrégularités ou des négligences détectées dans les opérations ou les programmes de développement rural par la suppression totale ou partielle du financement de l’Union concerné. Les États membres prennent en considération la nature et la gravité des irrégularités constatées, ainsi que le niveau de la perte financière pour le Feader. » |
13 |
L’article 58 du règlement no 1306/2013, intitulé « Protection des intérêts financiers de l’Union », prévoyait, à son paragraphe 1 : « Les États membres prennent, dans le cadre de la [politique agricole commune (PAC)], toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives, ainsi que toute autre mesure nécessaire pour assurer une protection efficace des intérêts financiers de l’Union, en particulier pour : [...]
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14 |
L’article 92 de ce règlement, intitulé « Bénéficiaires concernés », énonçait, à son premier alinéa : « L’article 91 s’applique aux bénéficiaires recevant des paiements directs au titre du règlement (UE) no 1307/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608)], des paiements au titre des articles 46 et 47 du règlement (UE) no 1308/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671)] et des primes annuelles en vertu de l’article 21, paragraphe 1, points a) et b), des articles 28 à 31, et des articles 33 et 34, du règlement (UE) no 1305/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487)]. » |
Le règlement délégué no 640/2014
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L’article 2, paragraphe 1, second alinéa, point 1, du règlement délégué no 640/2014 définissait la notion de « bénéficiaire » comme visant « l’agriculteur tel que défini à l’article 4, paragraphe 1, point a), du [règlement no 1307/2013] et visé à l’article 9 dudit règlement, le bénéficiaire soumis à la conditionnalité au sens de l’article 92 du [règlement no 1306/2013] et/ou le bénéficiaire d’un soutien dans le cadre du développement rural tel que visé à l’article 2, paragraphe 10, du [règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320)] ». |
16 |
L’article 35 de ce règlement délégué, intitulé « Non-conformité avec les critères d’admissibilité autres que la taille de la surface ou le nombre d’animaux, les engagements ou d’autres obligations », prévoyait, à son paragraphe 6 : « Lorsqu’il est établi que le bénéficiaire a fourni de faux éléments de preuve aux fins de recevoir l’aide ou a omis de fournir les informations nécessaires par négligence, l’aide est refusée ou est retirée en totalité. En outre, le bénéficiaire est exclu d’une mesure ou d’un type d’opération identiques pendant l’année civile de la constatation et la suivante. » |
Le règlement no 1303/2013
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Aux termes de l’article 2, intitulé « Définitions », du règlement no 1303/13, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018 (JO 2018, L 193, p. 1) : « Aux fins du présent règlement, on entend par : [...]
[...] » |
Le règlement no 1307/13
18 |
L’article 4 du règlement no 1307/13, intitulé « Définitions et dispositions connexes », dispose, à son paragraphe 1 : « Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...] » |
Le droit estonien
19 |
En vertu de l’article 381, paragraphe 2, du kriminaalmenetluse seadustik (code de procédure pénale), une autorité publique peut, dans le cadre d’une procédure pénale, introduire une action en reconnaissance d’une créance de droit public, si le fait générateur de cette créance repose dans une large mesure sur les mêmes éléments matériels que ceux qui sont constitutifs de l’infraction faisant l’objet des poursuites. |
20 |
L’article 111 de l’Euroopa Liidu ühise põllumajanduspoliitika rakendamise seadus (loi relative à la mise en œuvre de la PAC, RT I 2014, 3), intitulé « Récupération de la subvention », prévoit, à son paragraphe 1 : « Si, après le versement de la subvention, il apparaît que la subvention a, en raison d’irrégularités ou de négligences, été versée de manière indue, et notamment si elle n’a pas été utilisée dans le sens prévu, le remboursement partiel ou total de la subvention est, pour les motifs et dans les délais prévus par les [règlements no 1303/2013 et 1306/2013] et par les autres règlements pertinents de l’Union, réclamé au bénéficiaire de la subvention et notamment au bénéficiaire de la subvention qui a été choisi à l’issue d’une procédure de sélection. [...] » |
Le litige au principal et les questions préjudicielles
21 |
La société X a été inscrite au registre du commerce en Estonie le 7 novembre 2005 et en a été radiée le 20 juin 2019, à la suite de sa fusion avec Y OÜ (ci-après la « société Y »). R.M. a été gérant de la société X jusqu’au 18 décembre 2015 et en est ensuite devenu mandataire. E.M., son épouse, a été gérante de ladite société du 18 décembre 2015 jusqu’à la radiation de cette dernière du registre du commerce. |
22 |
Par décision du Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru, Estonie) du 15 mars 2021, R.M. a été déclaré coupable, entre autres, de trois fraudes aux subventions. Selon cette juridiction, R.M. avait, en tant que représentant de la société X, délibérément fourni de fausses informations au Põllumajanduse Registrite ja Informatsiooni Amet (Office d’information et des registres agricoles, Estonie, ci-après le « PRIA ») afin d’obtenir des aides au titre des programmes de développement rural de l’Estonie pour les années 2007 à 2013 et pour les années 2014 à 2020 (ci-après les « aides en cause »). Par conséquent, le PRIA aurait indûment versé à la société X un montant total de 143737,38 euros au titre des aides en cause. À la condamnation de R.M. s’est également ajoutée celle d’E.M., en tant que coauteure de deux de ces fraudes aux subventions. |
23 |
En outre, ladite juridiction a condamné R.M. et E.M., au titre de l’action en reconnaissance d’une créance de droit public introduite par la République d’Estonie, représentée par le PRIA, à verser à cet État membre le montant des aides en cause, indûment perçues par la société X. À cet égard, R.M. a été condamné à payer 87340 euros et E.M., solidairement avec R.M., à payer les 56397,38 euros restants. |
24 |
R.M. et E.M. ont interjeté appel de cette décision, tant en ce qu’elle les a déclarés coupables de fraudes aux subventions qu’en ce qu’elle a fait droit à l’action en reconnaissance d’une créance de droit public. |
25 |
Par décision du 15 septembre 2021, la Tartu Ringkonnakohus (cour d’appel de Tartu, Estonie) a confirmé la décision du Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru). |
26 |
R.M. et E.M. ont formé des pourvois en cassation contre cette décision devant la Riigikohus (Cour suprême, Estonie), la juridiction de renvoi. À l’appui de ces pourvois, ils font notamment valoir que l’action en reconnaissance d’une créance de droit public introduite par la République d’Estonie devait être déclarée irrecevable, au motif que le recouvrement d’une aide indument perçue ne pourrait être valablement opéré qu’à charge du seul bénéficiaire de celle-ci. Or, si la société X a été radiée du registre du commerce, la société Y lui aurait succédé dans ses droits et obligations à la suite de la fusion de ces deux sociétés. La République d’Estonie n’aurait toutefois pas poursuivi le remboursement des aides en cause à charge de la société Y. |
27 |
Le 20 mai 2022, la juridiction de renvoi a rendu un arrêt partiel, par lequel elle a définitivement confirmé la décision de la Tartu Ringkonnakohus (cour d’appel de Tartu) et celle du Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru), notamment dans la mesure où, par ces décisions, R.M. et E.M. avaient été déclarés coupables de fraudes aux subventions. |
28 |
En revanche, s’agissant de la question de savoir s’il est possible d’exiger de R.M. et d’E.M. le remboursement des aides en cause, indûment perçues par la société X, la juridiction de renvoi estime qu’il est nécessaire d’interroger la Cour à deux égards. |
29 |
En premier lieu, la juridiction de renvoi se demande s’il existe une base juridique permettant d’exiger le remboursement de ces aides auprès de R.M. et d’E.M., compte tenu de la situation financière difficile de la société Y qui semble faire obstacle à ce que celle-ci rembourse les aides indûment perçues par la société X. |
30 |
En l’occurrence, selon la juridiction de renvoi, le Feader a contribué au financement des programmes de développement rural de la République d’Estonie pour les années 2007 à 2013 ainsi que pour les années 2014 à 2020, dans le cadre desquels les aides en cause avaient été octroyées. Il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que le règlement no 1306/2013 constitue le fondement sur lequel repose le recouvrement de telles subventions, et ce même si les aides ont été accordées et versées avant l’entrée en vigueur de ce règlement. |
31 |
Plus précisément, le recouvrement des aides en cause, indument perçues par la société X, trouverait son fondement juridique dans l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, lu en combinaison avec l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement et avec l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement no 640/2014. Bien que ces dispositions ne prévoient pas explicitement la possibilité d’exiger le remboursement des aides auprès de personnes autres que le bénéficiaire, une telle possibilité serait prévue à l’article 7 du règlement no 2988/95. |
32 |
Ainsi, la juridiction de renvoi estime que la réponse à la question portant sur la possibilité ou non d’exiger de R.M. et d’E.M. le remboursement des aides en cause dépend du point de savoir si l’article 56, premier alinéa, et l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 ainsi que l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement no 640/2014 peuvent être lus en combinaison avec l’article 7 du règlement no 2988/95, en ce sens que l’obligation de rembourser ces aides pourrait, dans les circonstances de l’espèce, également s’appliquer aux personnes qui, bien que n’étant pas les bénéficiaires desdites aides, ont participé à l’irrégularité ayant entraîné leur paiement indu. La réponse à cette question dépendrait à son tour du point de savoir si l’article 7 du règlement no 2988/95 est, dans cette mesure, doté d’un effet direct. |
33 |
Or, ni le libellé du règlement no 2988/95 ni la jurisprudence de la Cour relative à l’article 7 de ce règlement ne permettraient de tirer des conclusions claires à cet égard. |
34 |
Certes, la Cour aurait, dans son arrêt du 28 octobre 2010, SGS Belgium e.a. (C‑367/09, EU:C:2010:648), dénié tout effet direct au règlement no 2988/95 en ce qui concerne les sanctions administratives prévues à son article 5, eu égard au libellé de cette disposition et de l’article 7 de ce règlement. En outre, il ressortirait des points 44 à 62 de cet arrêt que les sanctions pour atteinte aux intérêts financiers de l’Union ne pourraient être infligées aux personnes visées à l’article 7 dudit règlement que si elles reposent sur une base légale claire et non ambiguë adoptée au niveau de l’Union ou des États membres. Toutefois, l’obligation de rembourser le montant indûment perçu d’une aide constituerait non pas une « sanction administrative », au sens de l’article 5 du règlement no 2988/95, mais une « mesure administrative », au sens de l’article 4 de ce règlement. En effet, cette obligation serait la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union n’ont pas été respectées, ce qui rendrait l’aide indue. La Cour aurait néanmoins jugé, dans son arrêt du 18 décembre 2014, Somvao (C‑599/13, EU:C:2014:2462), que, étant donné que le règlement no 2988/95 se borne à établir des règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union, ce serait sur le fondement d’autres dispositions, à savoir, le cas échéant, des dispositions sectorielles, que devrait intervenir le recouvrement d’une aide indument perçue. |
35 |
Selon la juridiction de renvoi, il existe plusieurs éléments plaidant en faveur de l’interprétation selon laquelle l’article 7 du règlement no 2988/95, lu en combinaison avec la réglementation sectorielle pertinente régissant le recouvrement d’une aide indûment versée, fournit, dans les circonstances de l’espèce, un fondement juridique pertinent pour exiger le remboursement des aides en cause à charge de R.M. et d’E.M. D’une part, la présente affaire porterait sur une situation dans laquelle l’irrégularité ayant conduit à l’attribution de l’aide résulte de ce que les personnes auprès desquelles le recouvrement serait exigé ont délibérément fourni des informations incorrectes aux autorités nationales. D’autre part, il ne serait pas possible de récupérer l’aide auprès du bénéficiaire en raison de sa disparition, la société X ayant été dissoute, tandis que la perspective d’un recouvrement de l’aide auprès du successeur dudit bénéficiaire serait, à première vue, incertaine. La juridiction de renvoi ajoute que, dans les circonstances de l’espèce, R.M. et E.M. peuvent être considérés comme des personnes ayant participé à la réalisation de l’irrégularité commise par la société X, au sens de l’article 7 du règlement no 2988/95. |
36 |
Le législateur de l’Union semblerait lui-même considérer qu’il est possible, dans certains cas, d’exiger le remboursement de l’aide versée à la suite d’irrégularités dans les programmes cofinancés par le Feader également auprès de personnes qui n’en sont pas elles-mêmes les bénéficiaires déclarés, comme cela ressortirait notamment de l’article 54, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1306/2013. |
37 |
La juridiction de renvoi ajoute qu’accepter une situation dans laquelle la dissolution ou l’insolvabilité d’une personne morale bénéficiaire rendrait toujours impossible, en substance, le recouvrement d’une aide indûment versée à la suite d’une irrégularité commise délibérément porterait gravement atteinte aux intérêts financiers de l’Union. |
38 |
En second lieu, la juridiction de renvoi relève que R.M. et E.M. étaient non seulement les représentants de la société X, mais agissaient également à tour de rôle comme unique associé de cette société au moment où les fraudes ont été perpétrées, R.M. ayant été le seul associé et le seul gérant de celle-ci entre le 10 novembre 2005 et le 18 décembre 2015 et E.M. ayant assumé ces deux fonctions à partir de cette dernière date jusqu’à la radiation de la société X du registre de commerce. R.M. aurait néanmoins continué à agir au nom de cette société sur la base d’un mandat confié par E.M., même après avoir cédé ses parts sociales et démissionné de la gérance de ladite société. Il conviendrait également d’avoir égard au fait que R.M. et E.M. formaient un couple marié durant la période au cours de laquelle la société X a obtenu les aides en cause, de telle sorte qu’il devrait être considéré que R.M. et E.M. étaient les bénéficiaires effectifs de cette société, dont ils dirigeaient et contrôlaient l’activité. |
39 |
Se poserait donc la question de savoir si ces éléments peuvent être considérés comme suffisants pour qualifier non seulement la société X, mais également R.M. et E.M. de bénéficiaires des aides en cause. Dans ce cas, il ne serait pas nécessaire de se fonder, à titre complémentaire, sur l’article 7 du règlement no 2988/95 pour récupérer celles-ci. |
40 |
Dans ces conditions, la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
41 |
Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. La circonstance qu’une juridiction nationale a, sur un plan formel, formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à cette juridiction tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (arrêt du 21 septembre 2023, Juan, C‑164/22, EU:C:2023:684, point 24 et jurisprudence citée). |
42 |
À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, toute irrégularité entraîne, en règle générale, et pour le cas où une aide a été indûment perçue, l’obligation de rembourser cette dernière. L’article 7 de ce règlement prévoit qu’une telle mesure administrative peut également s’appliquer aux personnes qui ont participé à la réalisation de l’irrégularité en cause, ainsi qu’à celles qui sont tenues de répondre de l’irrégularité ou d’éviter qu’elle soit commise. |
43 |
Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le règlement no 2988/95 se borne à établir des règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union. Une récupération de fonds mal employés doit s’effectuer sur le fondement d’autres dispositions, à savoir, le cas échéant, sur le fondement de dispositions sectorielles (arrêt du 26 mai 2016, Județul Neamț et Județul Bacău, C‑260/14 et C‑261/14, EU:C:2016:360, point 32 ainsi que jurisprudence citée). |
44 |
Il résulte également de cette jurisprudence que, lorsque le recouvrement des sommes indûment versées dans le cadre d’un programme d’aide, approuvé et cofinancé par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013, intervient après la fin de cette période de programmation, à savoir après le 1er janvier 2014, ce recouvrement doit être fondé sur les dispositions du règlement no 1306/2013 (arrêt du 18 janvier 2024, Askos Properties, C‑656/22, EU:C:2024:56, point 40 et jurisprudence citée). |
45 |
En l’occurrence, étant donné que les aides en cause ont bénéficié d’un financement par le Feader, le recouvrement de telles aides doit être fondé sur l’article 56 de ce règlement, cette disposition prévoyant, ainsi qu’il ressort de son intitulé, des dispositions spécifiques au Feader. |
46 |
Ladite disposition, qui prévoit que, s’agissant du Feader, les États membres effectuent les redressements financiers résultant des irrégularités ou des négligences détectées dans les opérations ou les programmes de développement rural par la suppression totale ou partielle du financement de l’Union concerné, doit être lu en combinaison avec, d’une part, l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement, qui dispose, de manière générale, que, pour tout paiement indu résultant d’irrégularités ou de négligences, les États membres exigent un recouvrement auprès du bénéficiaire, et, d’autre part, l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement délégué no 640/2014, qui précise que l’aide est retirée en totalité lorsqu’il est établi que le bénéficiaire a fourni de faux éléments de preuve afin de recevoir cette aide. |
47 |
Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 28 de ses conclusions, il convient de considérer que, par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, lu, d’une part, en combinaison avec l’article 54 de ce règlement ainsi qu’avec l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement délégué no 640/2014, et, d’autre part, à la lumière de l’article 7 du règlement no 2988/95, doit être interprété en ce sens que le recouvrement d’une aide financée par le Feader et qui a été indûment perçue à la suite de manœuvres frauduleuses peut être poursuivi à charge non seulement du bénéficiaire de cette aide, mais également des personnes qui, sans pouvoir être considérées comme bénéficiaires de ladite aide, ont délibérément fourni de fausses informations en vue de son obtention. |
48 |
Pour répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 13 juillet 2023, G GmbH, C‑134/22, EU:C:2023:567, point 25 et jurisprudence citée). |
49 |
S’agissant, en premier lieu, du libellé des dispositions pertinentes du règlement no 1306/2013 et du règlement délégué no 640/2014, il y a lieu de relever que celui-ci ne permet pas, à lui seul, de déterminer si le remboursement d’une aide indue visé par ces dispositions peut être exigé de personnes autres que les opérateurs économiques qui ont commis l’irrégularité en cause. |
50 |
En effet, si l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 dispose que le recouvrement de tout paiement indu doit être exigé « auprès du bénéficiaire », l’article 56 de ce règlement se borne à indiquer la destination des montants recouvrés par les États membres, sans toutefois préciser les personnes à charge desquelles ce recouvrement doit être effectué. Quant à l’article 35, paragraphe 6, du règlement délégué no 640/2014, tout en faisant référence au « bénéficiaire » de l’aide, celui-ci ne contient pas non plus une telle indication. |
51 |
En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel lesdites dispositions pertinentes s’inscrivent, il y a lieu de rappeler, d’une part, que le considérant 39 du règlement no 1306/2013 souligne la nécessité pour les États membres de prévenir, de détecter et de traiter efficacement toute irrégularité et qu’il convient, à cette fin, que ceux-ci appliquent le règlement no 2988/95. Il s’ensuit, ainsi que le gouvernement danois l’a relevé dans ses observations écrites, qu’il y a lieu d’interpréter les dispositions du règlement no 1306/2013 en conformité avec les règles générales du règlement no 2988/95. |
52 |
D’autre part, dans la mesure où l’article 54, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1306/2013 permet aux États membres de ne pas poursuivre le recouvrement d’une aide indument perçue du fait d’une irrégularité lorsque celui-ci s’avère impossible à cause de l’insolvabilité du débiteur « ou des personnes juridiquement responsables de l’irrégularité », il y a lieu de relever que cette disposition serait privée d’effet utile, s’agissant de ces dernières personnes, s’il n’était pas possible de poursuivre le recouvrement de l’aide concernée également à charge de ces personnes. |
53 |
En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs de la réglementation en cause, il y a lieu de relever que, en prévoyant une obligation des États membres de procéder au recouvrement d’une aide indument perçue du fait d’une irrégularité, sauf s’il existe des motifs légitimes de ne pas poursuivre un tel recouvrement, les articles 54 et 56 du règlement no 1306/2013 ainsi que l’article 35, paragraphe 6, du règlement délégué no 640/2014 poursuivent l’objectif de protéger les intérêts financiers de l’Union, ainsi que le confirme l’article 58, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1306/2013. Or, la possibilité de poursuivre le recouvrement d’une aide indûment perçue à charge non seulement de son bénéficiaire, mais également, conformément à l’article 7 du règlement no 2988/95, des « personnes qui ont participé à la réalisation de l’irrégularité, ainsi [que de] celles qui sont tenues de répondre de l’irrégularité ou d’éviter qu’elle soit commise », est, à l’évidence, susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif, notamment lorsque le bénéficiaire est une personne morale qui n’existe plus ou ne dispose pas de ressources suffisantes pour rembourser cette aide. Cette interprétation se justifie, plus particulièrement, à la lumière de l’objectif d’efficacité de la lutte contre la fraude, visé au quatrième considérant du règlement no 2988/95. |
54 |
Il s’ensuit que l’interprétation de l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, lu en combinaison avec l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement, l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement délégué no 640/2014, et à la lumière de l’article 7 du règlement no 2988/95, ainsi qu’au regard de l’objectif de la règlementation dont il fait partie, conduit à considérer que ledit article permet que le recouvrement d’une aide financée par le Feader et qui a été indûment perçue à la suite de manœuvres frauduleuses peut être poursuivi à charge non seulement du bénéficiaire de cette aide, mais également des personnes qui, sans pouvoir être considérées comme bénéficiaires de ladite aide, ont délibérément fourni de fausses informations en vue de son obtention. |
55 |
Il convient cependant de vérifier si une telle interprétation respecte le principe de sécurité juridique, la Cour ayant jugé que le retrait des montants indûment versés ne peut être effectué que conformément à ce principe, lequel exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Somvao, C‑599/13, EU:C:2014:2462, points 50 et 51 ainsi que jurisprudence citée). |
56 |
À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de la PAC, lorsque le législateur de l’Union fixe des conditions d’éligibilité pour l’octroi d’une aide, l’exclusion qu’entraîne l’inobservation de l’une de ces conditions constitue non pas une sanction, mais la simple conséquence du non-respect desdites conditions prévues par la loi (arrêt du 13 décembre 2012, FranceAgriMer, C‑670/11, EU:C:2012:807, point 64 et jurisprudence citée). |
57 |
Ainsi, l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une pratique irrégulière ne méconnaît pas le principe de légalité. En effet, la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant du droit de l’Union ont été artificiellement créées rend en tout état de cause indu l’avantage perçu et justifie, dès lors, l’obligation de le restituer (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, FranceAgriMer, C‑670/11, EU:C:2012:807, points 63 à 65 et 67 ainsi que jurisprudence citée). |
58 |
À cet égard, l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 2988/95 dispose expressément que les mesures prévues à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, y compris notamment l’obligation de rembourser l’aide indûment perçue, ne sont pas considérées comme des sanctions. |
59 |
Or, en ce qui concerne les personnes autres que le bénéficiaire qui sont visées par l’article 7 du règlement no 2988/95, l’obligation de rembourser l’aide en cause constitue une obligation à part, qui s’ajoute à l’obligation de remboursement qui incombe au bénéficiaire. |
60 |
Dans ce contexte, il y a lieu de constater que la réglementation pertinente en l’occurrence est suffisamment claire en ce qui concerne l’existence d’une obligation de remboursement d’aide pour les personnes qui, sans être les bénéficiaires d’une aide ayant bénéficié d’un financement par le Feader, ont délibérément fourni de fausses informations en vue de l’obtention de celle-ci, notamment dans le cas où le bénéficiaire de l’aide concerné ou son éventuel successeur en droit ne serait pas en mesure de rembourser le montant en cause. |
61 |
En effet, si l’article 56 du règlement no 1306/2013 ne prévoit pas explicitement une telle obligation, celui-ci doit être lu à la lumière du considérant 39 de celui-ci qui indique clairement que les États membres préviennent, détectent et traitent efficacement toute irrégularité de la part des bénéficiaires et qu’à cette fin le règlement no 2988/95 s’applique. En outre, l’article 2, paragraphe 1, sous g), de ce règlement fait explicitement référence au règlement no 2988/95 s’agissant de la définition du terme « irrégularité ». Or, en vertu de l’article 7 du règlement no 2988/95, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt, le remboursement de l’aide peut également être mis à charge des personnes qui ont participé à la réalisation de l’irrégularité en cause. |
62 |
Il en résulte que des personnes, telles que celles en cause au principal, qui, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer à cet égard, ont délibérément fourni de fausses informations pour l’obtention d’une aide financée par le Feader, doivent donc s’attendre à ce que le remboursement de celle-ci puisse leur être demandé. Partant, le fait de demander à ces personnes de rembourser une telle aide indûment perçue ne méconnaît pas le principe de sécurité juridique. |
63 |
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 56, premier alinéa, du règlement no 1306/2013, lu, d’une part, en combinaison avec l’article 54, paragraphe 1, de ce règlement ainsi qu’avec l’article 35, paragraphe 6, première phrase, du règlement délégué no 640/2014, et d’autre part, à la lumière de l’article 7 du règlement no 2988/95, doit être interprété en ce sens que le recouvrement d’une aide financée par le Feader et qui a été indûment perçue à la suite de manœuvres frauduleuses peut être poursuivi à charge non seulement du bénéficiaire de cette aide, mais également des personnes qui, sans pouvoir être considérées comme bénéficiaires de ladite aide, ont délibérément fourni de fausses informations en vue de son obtention. |
Sur la seconde question
64 |
Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 54, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 et l’article 35, paragraphe 6, du règlement délégué no 640/2014 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une personne morale a obtenu une aide agricole à la suite de manœuvres frauduleuses imputables à ses représentants, ceux-ci peuvent, dans la mesure où, dans les faits, ce sont ces représentants qui perçoivent les bénéfices que génère cette personne morale, être considérés comme étant des « bénéficiaires » de cette aide, au sens de ces dispositions. |
65 |
La notion de « bénéficiaire » est définie à l’article 2, paragraphe 1, second alinéa, point 1, du règlement délégué no 640/2014, qui complète le règlement no 1306/2013, comme visant l’agriculteur tel que défini à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1307/2013, le bénéficiaire soumis à la conditionnalité au sens de l’article 92 du règlement no 1306/2013 et/ou le bénéficiaire d’un soutien dans le cadre du développement rural tel que visé à l’article 2, paragraphe 10, du règlement no 1303/2013. |
66 |
Force est de constater, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, que R.M. et E.M., en qualité de représentants de la société X qui a obtenu l’aide en cause, ne relèvent d’aucune de ces trois catégories de personnes. |
67 |
Si, certes, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, le recouvrement d’une aide financée par le Feader et qui a été indûment perçue par une personne morale à la suite de manœuvres frauduleuses imputables aux représentants de celle-ci peut également être poursuivi à charge de ces représentants, il n’en demeure pas moins qu’il ne saurait être déduit de cette réponse que lesdits représentants peuvent être qualifiés de « bénéficiaires », au sens de l’article 2, paragraphe 1, second alinéa, point 1, du règlement délégué no 640/2014, lorsque les conditions prévues, à cet effet, par cette disposition ne sont pas remplies. Au contraire, ainsi qu’il ressort notamment du point 62 du présent arrêt, ces mêmes représentants peuvent être tenus de rembourser une telle aide, même lorsqu’ils ont agi au nom de cette personne morale sans avoir cette qualité de « bénéficiaire ». |
68 |
Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 35, paragraphe 6, du règlement délégué no 640/2014 doit être interprété en ce sens que, dans le cas où une personne morale a obtenu une aide agricole à la suite de manœuvres frauduleuses imputables à ses représentants, ceux-ci ne sauraient pour autant être considérés comme étant des « bénéficiaires » de cette aide, au sens de cette disposition, lue en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, second alinéa, point 1, de ce règlement délégué, s’ils ne relèvent d’aucune des trois catégories de personnes visées par cette dernière disposition, et ce même si, dans les faits, ce sont ces représentants qui perçoivent les bénéfices que génère cette personne morale. |
Sur les dépens
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La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’estonien.