CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 21 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑582/22

Die Länderbahn GmbH DLB,

Prignitzer Eisenbahn GmbH,

Ostdeutsche Eisenbahn,

Ostseeland Verkehrs GmbH

contre

Bundesrepublik Deutschland

en présence de

DB Netz AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Transport ferroviaire – Directive 2012/34/UE – Article 56 – Organisme de contrôle – Compétence pour contrôler des redevances afférentes à des horaires de service n’étant plus en vigueur – Possibilité d’adopter des décisions avec effet rétroactif – Limites temporelles à l’exercice d’actions – Effectivité des décisions de l’organisme de contrôle – Compétence pour ordonner au gestionnaire de l’infrastructure le remboursement de redevances indûment perçues »

1.

Le présent renvoi préjudiciel trouve son origine dans un litige relatif aux pouvoirs de contrôle de l’organisme de régulation allemand ( 2 ) en ce qui concerne les décisions du gestionnaire de l’infrastructure s’agissant des redevances à acquitter par les entreprises de transport ferroviaire. Certaines de celles-ci ont demandé, sans succès, à cet organisme de contrôle d’ordonner au gestionnaire de l’infrastructure la restitution de redevances qu’elles estimaient indûment versées.

2.

La juridiction appelée à trancher le litige invite la Cour à interpréter plusieurs dispositions de la directive 2012/34/UE ( 3 ) relatives à la compétence des organismes de contrôle nationaux dans le secteur ferroviaire.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union : la directive 2012/34

3.

Conformément à l’article 3 (« Définitions ») de la directive 2012/34 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)

“entreprise ferroviaire”, toute entreprise à statut privé ou public et titulaire d’une licence conformément à la présente directive, dont l’activité principale est la fourniture de prestations de transport de marchandises et/ou de voyageurs par chemin de fer, la traction devant obligatoirement être assurée par cette entreprise ; ce terme recouvre aussi les entreprises qui assurent uniquement la traction ;

2)

“gestionnaire de l’infrastructure”, toute entité ou entreprise chargée de l’exploitation, de l’entretien et du renouvellement de l’infrastructure ferroviaire sur un réseau et responsable de la participation à son développement, conformément aux règles établies par l’État membre dans le cadre de sa politique générale en matière de développement et de financement de l’infrastructure ;

[...]

19)

“candidat”, toute entreprise ferroviaire, tout regroupement international d’entreprises ferroviaires ou d’autres personnes physiques ou morales ou entités, par exemple les autorités compétentes visées dans le règlement (CE) no 1370/2007 et les chargeurs, les transitaires et les opérateurs de transports combinés ayant des raisons commerciales ou de service public d’acquérir des capacités de l’infrastructure ;

[...]

25)

“réseau”, l’ensemble de l’infrastructure ferroviaire gérée par un gestionnaire de l’infrastructure ;

26)

“document de référence du réseau”, le document précisant, de manière détaillée, les règles générales, les délais, les procédures et les critères relatifs aux systèmes de tarification et de répartition des capacités, y compris toutes les autres informations nécessaires pour permettre l’introduction de demandes de capacités de l’infrastructure ;

[...]

28)

“horaire de service”, les données définissant tous les mouvements programmés des trains et du matériel roulant, sur l’infrastructure concernée, pendant la période de validité de cet horaire ;

[...] »

4.

L’article 55 (« Organisme de contrôle ») de la directive 2012/34 dispose :

« 1.   Chaque État membre institue un organisme de contrôle national unique du secteur ferroviaire. [...]

[...] »

5.

L’article 56 (« Fonctions de l’organisme de contrôle ») de la directive 2012/34 prévoit :

« 1.   Sans préjudice de l’article 46, paragraphe 6, un candidat peut saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou, le cas échéant, par l’entreprise ferroviaire ou l’exploitant d’une installation de service en ce qui concerne :

[...]

d)

le système de tarification ;

e)

le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ;

[...]

2.   Sans préjudice des compétences des autorités nationales de concurrence pour assurer la concurrence sur le marché des services ferroviaires, l’organisme de contrôle est habilité à assurer le suivi de la situation de la concurrence sur les marchés des services ferroviaires, y compris notamment dans le marché des services de transport de voyageurs à grande vitesse, ainsi que les activités des gestionnaires de l’infrastructure visées au paragraphe 1, points a) à j). En particulier, l’organisme de contrôle vérifie le respect du paragraphe 1, points a) à j), de sa propre initiative en vue de prévenir toute discrimination à l’égard des candidats. Il vérifie notamment si le document de référence du réseau contient des clauses discriminatoires ou octroie au gestionnaire de l’infrastructure des pouvoirs discrétionnaires pouvant être utilisés à des fins de discrimination à l’égard des candidats.

[...]

6.   L’organisme de contrôle veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre IV, section 2, et non discriminatoires. Les négociations entre les candidats et un gestionnaire de l’infrastructure concernant le niveau des redevances d’utilisation de l’infrastructure ne sont autorisées que si elles ont lieu sous l’égide de l’organisme de contrôle. L’organisme de contrôle intervient immédiatement si les négociations sont susceptibles de contrevenir aux dispositions du présent chapitre.

[...]

9.   L’organisme de contrôle examine chaque plainte et, le cas échéant, sollicite des informations utiles et engage des consultations avec toutes les parties concernées dans un délai d’un mois à compter de la réception de la plainte. Il se prononce sur toutes les plaintes, adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation et communique sa décision motivée aux parties concernées dans un délai prédéterminé et raisonnable et, en tout état de cause, dans les six semaines suivant la réception de toutes les informations utiles. Sans préjudice des compétences des autorités nationales de concurrence pour assurer la concurrence sur le marché des services ferroviaires, l’organisme de régulation prend, le cas échéant, de sa propre initiative les mesures appropriées pour corriger toute discrimination à l’égard des candidats, toute distorsion du marché et toute autre évolution indésirable sur ces marchés, notamment eu égard au paragraphe 1, points a) à j).

Les décisions prises par l’organisme de contrôle sont contraignantes pour toutes les parties concernées et ne sont soumises au contrôle d’aucune autre instance administrative. L’organisme de contrôle est en mesure d’assortir ses décisions de sanctions appropriées, y compris d’amendes.

[...] »

6.

Il est indiqué à l’annexe VII (« Calendrier du processus de répartition ») de la directive 2012/34 :

« 1.

L’horaire de service est établi une fois par année civile.

2.

Les modifications de l’horaire de service interviennent à minuit le deuxième samedi de décembre. [...] Les gestionnaires de l’infrastructure peuvent convenir de dates différentes, auquel cas ils informent la Commission si le trafic international risque d’être perturbé.

[...] »

B.   Le droit allemand : la loi sur la régulation des chemins de fer

7.

L’article 66 (« L’autorité de contrôle et ses missions ») de l’Eisenbahnregulierungsgesetz (loi sur la régulation des chemins de fer) ( 4 ) est libellé comme suit :

« (1)   Si un titulaire d’une autorisation d’accès estime avoir fait l’objet d’une discrimination ou avoir été lésé d’une autre manière dans ses droits par les décisions d’une entreprise d’infrastructure ferroviaire, il a le droit de saisir l’autorité de contrôle [...]

[...]

(3)   Si un accord sur l’accès ou sur un contrat-cadre n’est pas conclu, les décisions de l’entreprise d’infrastructure ferroviaire peuvent être contrôlées par l’autorité de contrôle, à la demande du titulaire d’une autorisation d’accès ou d’office. La demande doit être introduite dans le délai dans lequel l’offre de conclure des accords [...] peut être acceptée.

(4)   Peuvent notamment faire l’objet d’un contrôle, sur demande ou d’office :

[...]

5.

le système de tarification ;

6.

le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure que le titulaire d’une autorisation d’accès est ou pourrait être tenu d’acquitter ;

7.

le niveau et la structure des autres redevances que le titulaire d’une autorisation d’accès est ou pourrait être tenu d’acquitter ;

[...] »

8.

Aux termes de l’article 67 (« Pouvoirs de l’autorité de contrôle, surveillance du marché des transports, dispositions d’exécution ») de l’ERegG :

« (1)   L’autorité de contrôle peut prendre, à l’égard des chemins de fer et des autres personnes tenues par la présente loi, les mesures nécessaires pour éliminer ou prévenir les infractions à la présente loi ou aux actes de l’Union européenne directement applicables dans le domaine d’application de la présente loi. [...]

[...] »

9.

L’article 68 (« Décisions de l’autorité de contrôle ») de l’ERegG énonce :

« (1)   L’autorité de contrôle examine chaque plainte dans un délai d’un mois à compter de la réception de la plainte. À cette fin, elle demande aux parties concernées de fournir les informations nécessaires à la prise de décision et engage des consultations avec toutes les parties concernées. Elle se prononce sur toutes les plaintes, adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation et communique sa décision, qui doit être motivée, aux parties concernées dans un délai prédéterminé et raisonnable et, en tout état de cause, dans les six semaines suivant la réception de toutes les informations nécessaires. Sans préjudice des compétences des autorités de la concurrence, elle prend d’office les mesures appropriées pour prévenir toute discrimination et distorsion du marché.

(2)   Si, dans le cas de figure visé à l’article 66, paragraphes 1 et 3, la décision d’une entreprise d’infrastructure ferroviaire affecte le droit du titulaire d’un droit d’accès d’accéder à l’infrastructure ferroviaire,

1.

l’autorité de contrôle enjoint à l’entreprise d’infrastructure ferroviaire de modifier la décision ou

2.

l’autorité de contrôle décide de la validité du contrat ou de la redevance, déclare les contrats contraires sans effet et fixe les conditions contractuelles ou les redevances.

La décision visée à la première phrase peut également concerner le document de référence du réseau ferré ou les conditions d’utilisation des installations de service.

(3)   L’autorité de contrôle peut, avec effet pour l’avenir, obliger l’entreprise d’infrastructure ferroviaire à modifier les mesures visées à l’article 66, paragraphe 4, ou déclarer ces mesures caduques, dans la mesure où elles ne sont pas conformes aux dispositions de la présente loi ou aux actes de l’Union européenne directement applicables dans le domaine d’application de la présente loi. »

II. Les faits, le litige et les questions préjudicielles

10.

Entre 2002 et 2011, DB Netz AG ( 5 ), gestionnaire d’une partie de l’infrastructure ferroviaire allemande, a fixé les redevances d’accès à l’infrastructure afférentes à chaque période de validité de l’horaire de service.

11.

Die Länderbahn GmbH DLB, Prignitzer Eisenbahn GmbH, Ostdeutsche Eisenbahn et Ostseeland Verkehrs GmbH (ci-après les « requérantes ») sont des entreprises de transport ferroviaire qui utilisent l’infrastructure gérée par DB Netz.

12.

Les requérantes ont contesté le bien-fondé de l’application d’un « facteur régional » faisant partie des éléments de tarification pour l’utilisation de l’infrastructure de DB Netz. Elles estimaient que les redevances fixées par DB Netz étaient, en partie, illégales, le « facteur régional » étant discriminatoire à l’égard des entreprises exploitant des lignes régionales ( 6 ). Elles ont donc soit payé les redevances réclamées sous réserve, soit refusé de payer.

13.

Le 5 mars 2010, la Bundesnetzagentur a, lors du contrôle des redevances approuvées par DB Netz, rendu une décision ( 7 ) dans laquelle :

elle a jugé le document de référence du réseau invalide pour l’horaire de service de l’année 2011, dans la mesure où il prévoyait l’application du « facteur régional » ;

elle a indiqué qu’il appartenait aux juridictions civiles de statuer en équité sur le remboursement des montants excédentaires de redevances éventuellement perçus ( 8 ).

14.

Le 9 novembre 2017, la Cour a rendu l’arrêt CTL Logistics ( 9 ), dans lequel, après avoir examiné la législation allemande ( 10 ), elle a déclaré que les dispositions de la directive 2001/14/CE ( 11 ), qui a précédé la directive 2012/34, « s’opposent à l’application d’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, prévoyant un contrôle du caractère équitable des redevances pour l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, au cas par cas, par les juridictions ordinaires, et la possibilité, le cas échéant, de modifier le montant de ces redevances, indépendamment de la surveillance exercée par l’organisme de contrôle ».

15.

S’appuyant sur l’arrêt CTL Logistics, les requérantes ont demandé à la Bundesnetzagentur de déclarer invalides les redevances approuvées pour les horaires de service de 2003 à 2011 et de condamner DB Netz à rembourser les montants excédentaires payés.

16.

Par décisions substantiellement identiques des 11 octobre 2019, 3 juillet et 11 décembre 2020, la Bundesnetzagentur a rejeté les demandes des requérantes. Elle a considéré que la demande de contrôle ex post était dépourvue de fondement juridique, les entreprises ferroviaires n’ayant la possibilité de contester les redevances que pendant la période de vigueur de celles‑ci.

17.

Par des recours introduits les 6 et 9 novembre 2019, les requérantes ont demandé au Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne) de constater que la Bundesnetzagentur était tenue de procéder à un contrôle ex post lui permettant de déclarer l’invalidité des redevances litigieuses avec effet ex tunc et de contraindre DB Netz à les rembourser.

18.

Avant de statuer sur la demande des requérantes, cette juridiction doit savoir, en substance :

si l’article 56 de la directive 2012/34 implique que les entreprises ferroviaires peuvent exiger de l’organisme le contrôle ex post, avec effet rétroactif, de redevances d’infrastructure afférentes à des horaires de service n’étant plus en vigueur ;

si tel est le cas, comment rendre effectif le remboursement des redevances invalides, afin de rétablir les entreprises ferroviaires dans la plénitude de leurs droits.

19.

Dans ce contexte, le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne) pose cinq questions préjudicielles ; conformément à l’indication de la Cour, je suggérerai de répondre aux quatre premières, qui sont libellées comme suit :

« 1)

L’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34[...] doit‑il être interprété en ce sens qu’une tarification peut également faire l’objet d’une plainte lorsque la période d’application de celle-ci a déjà expiré (plainte contre une “ancienne tarification”[)] ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question : l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34[...] doit-il être interprété en ce sens que, lors d’un contrôle ex post d’une ancienne tarification, l’autorité de contrôle peut déclarer cette tarification invalide ex tunc ?

3)

En cas de réponses affirmatives aux deux premières questions : l’interprétation de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34[...] permet-elle une réglementation nationale qui exclut la possibilité d’un contrôle ex post, produisant un effet ex tunc, d’une ancienne tarification ?

4)

En cas de réponses affirmatives aux deux premières questions : l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34[...] doit-il être interprété en ce sens que les mesures correctives de l’autorité de contrôle compétent[e] qui y sont prévues ouvrent également, sur le plan des conséquences juridiques, la possibilité d’ordonner le remboursement par le gestionnaire de l’infrastructure des redevances perçues illégalement, bien que, entre l’entreprise ferroviaire et le gestionnaire de l’infrastructure, il soit possible de faire valoir des demandes de remboursement par la voie d’une action civile ? »

III. La procédure devant la Cour

20.

La demande de décision préjudicielle a été enregistrée à la Cour le 2 septembre 2022.

21.

Des observations écrites ont été déposées par Prignitzer Eisenbahn, Ostdeutsche Eisenbahn et Ostseeland Verkehrs (conjointement), DB Netz, les gouvernements allemand, lituanien, polonais et norvégien ainsi que la Commission.

22.

Ont comparu à l’audience du 15 juin 2023 Prignitzer Eisenbahn (représentant, en outre, Ostdeutsche Eisenbahn et Ostseeland Verkehrs), DB Netz, les gouvernements allemand, autrichien et polonais ainsi que la Commission.

IV. Appréciation

A.   Observation liminaire

23.

La juridiction de renvoi part de la prémisse de l’applicabilité de la directive 2012/34 et demande donc l’interprétation de son article 56, paragraphes 1, 6 et 9.

24.

Toutefois, les redevances en cause dans le litige, afférentes à la période 2003‑2011, ont été fixées et perçues sous l’empire de la directive l’ayant précédée, la directive 2001/14, de sorte qu’il pourrait être soutenu que c’est celle-ci qui doit s’appliquer ratione temporis ( 12 ).

25.

En tout état de cause, l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 correspond aux dispositions moins détaillées de l’article 30, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 2001/14 ( 13 ). Partant, comme l’ont confirmé toutes les parties lors de l’audience, il n’y a pas d’inconvénient à se concentrer sur l’article 56 de la directive 2012/34, ainsi que le demande la juridiction de renvoi.

B.   La jurisprudence de la Cour

26.

La décision de renvoi cite l’arrêt CTL Logistics, auquel elle se réfère à plusieurs reprises, et l’arrêt du 8 juillet 2021, Koleje Mazowieckie ( 14 ). Au moment de l’introduction de la demande de décision préjudicielle, la Cour n’avait pas encore rendu l’arrêt DB Station.

27.

Certaines parties et certains intervenants dans la procédure ont constamment fait référence à ce dernier arrêt, rendu le 27 octobre 2022, considérant qu’il répondait à plusieurs des questions préjudicielles soulevées en l’espèce ( 15 ).

C.   Sur la première question préjudicielle

28.

La juridiction de renvoi souhaite savoir si la tarification peut être contestée « lorsque la période d’application de celle-ci a déjà expiré ».

29.

Il ressort de la décision de renvoi que, lorsque la Bundesnetzagentur a rejeté la plainte des entreprises requérantes, elle a subordonné le droit de contester en justice l’approbation des redevances à la condition que cela soit fait au cours de la période de vigueur de celles-ci ( 16 ). Il ne serait donc pas possible de contester les « anciennes tarifications » ( 17 ).

30.

Cette position semble refléter la solution adoptée à l’époque par la législation ( 18 ) et la jurisprudence ( 19 ) allemandes, conformément à laquelle la Bundesnetzagentur pourrait uniquement contrôler les redevances étant en vigueur et prendre des décisions avec effet pour l’avenir ( 20 ).

31.

Toutefois, la solution découlant du droit de l’Union ne consent pas à une telle restriction temporelle, comme le gouvernement allemand le reconnaît lui‑même dans ses observations écrites ( 21 ) en renvoyant à l’arrêt DB Station.

32.

L’article 56, paragraphe 1, sous e), de la directive 2012/34 autorise les candidats à « saisir l’organisme de contrôle [...] en ce qui concerne [...] le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ». Littéralement, cette formulation pourrait laisser penser que les recours ne concernent que les redevances étant en vigueur ou celles prévues pour l’avenir, mais telle n’a pas été l’interprétation de la Cour.

33.

En effet, dans l’arrêt DB Station, la Cour a jugé que, « saisi sur la base de l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2001/14, [un] organisme [de contrôle] ne saurait valablement dénier sa compétence pour statuer sur la légalité des redevances d’infrastructure perçues dans le passé » ( 22 ). Tel est le cas même lorsqu’une « disposition du droit national [...] ne lui permet[...] pas de statuer sur la légalité des redevances d’infrastructure déjà perçues » ( 23 ).

34.

L’organisme de contrôle est donc compétent pour examiner la légalité des redevances appliquées et perçues au titre d’horaires de service n’étant plus en vigueur et, le cas échéant, les déclarer nulles.

35.

Cela étant dit, il est légitime de se demander si le droit des entreprises de transport ferroviaire de demander le contrôle d’« anciennes tarifications » n’est soumis à aucun délai ( 24 ) ou, au contraire, peut être soumis à des limites temporelles inspirées du principe de sécurité juridique. Ce problème a été au cœur d’une bonne partie des arguments avancés lors de l’audience, même si la juridiction de renvoi ne s’y réfère pas expressément. Je l’aborderai donc par souci d’exhaustivité.

36.

En l’absence de disposition explicite dans la directive 2012/34, il appartient aux États membres, conformément au principe de l’autonomie procédurale, de fixer les limites temporelles des actions par lesquelles les particuliers demandent, devant les organes nationaux, le remboursement de sommes indûment versées en violation du droit de l’Union. Les États membres doivent, en tout état de cause, respecter les principes d’effectivité et d’équivalence ( 25 ).

37.

Toutefois, selon les informations fournies lors de l’audience, le droit allemand ne semble pas prévoir de telles limites temporelles spécifiquement pour les redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire ( 26 ).

38.

Dans ce contexte, il appartiendra à la juridiction de renvoi de déterminer si, en effet, les règles allemandes laissent le délai de recours indéfiniment ouvert ou, au contraire, prévoient des limites temporelles à l’exercice de ces recours, fondées sur la prescription des droits ou sur la forclusion des actions.

39.

Dans le cadre de cette appréciation du droit national que, j’insiste, seule la juridiction de renvoi est en mesure de faire, il pourrait être pertinent d’examiner si le principe de sécurité juridique doit prévaloir sur celui de légalité (étant donné que le facteur régional utilisé a été déclaré illicite, puis supprimé) et si un quelconque élément suggère qu’il y avait une confiance légitime en ce que les « anciennes tarifications » n’allaient plus faire l’objet d’un recours.

40.

Si l’on admettait la possibilité d’appliquer, directement ou par analogie, les délais de prescription généraux, qu’ils soient de droit civil ou de droit administratif, ou les délais de forclusion, la juridiction de renvoi devrait identifier à quel moment ils commencent à courir, question qui dépend également, en principe, du droit national ( 27 ).

41.

Lors de l’audience, deux éventuels dies a quo à cette fin ont été envisagés :

Prignitzer Eisenbahn a soutenu que l’arrêt CTL Logistics avait marqué un tournant et qu’il avait été l’élément déclencheur de l’introduction de sa demande d’annulation et de remboursement auprès de la Bundesnetzagentur en 2018 ;

DB Netz a au contraire fait valoir que, lorsqu’elle a signé le contrat de droit public avec la Bundesnetzagentur en 2010, la situation en ce qui concerne le « facteur régional » était suffisamment définie et qu’il n’y avait pas de raison de ne pas avoir intenté d’action dès ce moment.

42.

En somme, j’estime que l’arrêt DB Station contient les clés pour répondre à la première question préjudicielle en ce sens que l’organisme de régulation peut contrôler la légalité des redevances n’étant plus en vigueur. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, conformément aux règles nationales, l’exercice du droit de contester ces redevances est soumis à des délais et si ceux-ci ont été respectés dans les litiges au principal.

D.   Sur la deuxième question préjudicielle

43.

En cas de réponse affirmative à sa première question (comme je le préconise), la juridiction de renvoi souhaite savoir si, conformément à l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34, « lors d’un contrôle ex post d’une ancienne tarification, l’autorité de contrôle peut déclarer cette tarification invalide ex tunc ».

44.

En définissant les fonctions de l’organisme de contrôle, l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 lui confère de larges pouvoirs d’intervention, en vertu desquels il peut prendre les mesures appropriées pour « corriger [...] toute [...] évolution indésirable sur ces marchés [ferroviaires], notamment eu égard au paragraphe 1, points a) à j) ».

45.

La compétence de contrôle de l’organisme de régulation, étendue aux « anciennes tarifications » dans les termes que j’ai précédemment exposés, lui permet de constater l’invalidité des décisions attaquées, qui seront privées de fondement juridique. Je crois que c’est ce qui découle de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34, qui, comme je viens de l’indiquer, autorise l’organisme de contrôle, après réception et traitement d’une plainte ( 28 ), à adopter les « mesures nécessaires afin de remédier à la situation » au moyen de décisions contraignantes pour toutes les parties concernées.

46.

Le fait que le droit national ne prévoie pas de solution analogue ne constituerait pas un obstacle : la Cour a souligné que « les dispositions de l’article [56, paragraphe 9, de la directive 2012/34] sont inconditionnelles et suffisamment précises et qu’elles sont, partant, dotées d’un effet direct [...]. Dès lors, ces dispositions s’imposent à toutes les autorités des États membres, à savoir non seulement les juridictions nationales, mais également tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, et ces autorités sont tenues d’en faire application » ( 29 ).

47.

L’invalidité ainsi constatée remonte en arrière (ex tunc), jusqu’au moment même où elle s’est produite. C’est la logique de tout système de recours permettant à un organe administratif ou juridictionnel d’annuler les actes soumis à son contrôle.

48.

Suivant cette logique, si les décisions du gestionnaire de l’infrastructure sont entachées d’illégalité et invalidées par l’organisme de contrôle en raison des vices qu’elles contiennent, la constatation d’illégalité de ce dernier implique que l’acte attaqué est nul, en tout ou en partie, ab initio.

49.

Si la déclaration de nullité avec effet ex tunc ne semble pas avoir été la solution retenue par le législateur allemand à l’article 68, paragraphe 3, de l’ERegG, elle s’impose en vertu du droit de l’Union pour les raisons indiquées précédemment ( 30 ).

E.   Sur la troisième question préjudicielle

50.

En cas de réponses affirmatives aux deux questions précédentes, la troisième vise à savoir si l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 « permet [...] une réglementation nationale qui exclut la possibilité d’un contrôle ex post, produisant un effet ex tunc, d’une ancienne tarification ».

51.

En réalité, la réponse à cette interrogation découle de celle donnée à la deuxième question (il pourrait de fait y être répondu conjointement), sur la base des prémisses suivantes :

les entreprises ferroviaires ont le droit de contester devant l’organisme de contrôle le montant des redevances individuelles fixées par le gestionnaire de l’infrastructure ;

à ce droit correspond l’obligation inconditionnelle de l’organisme de contrôle de se prononcer sur la légalité des redevances d’utilisation d’infrastructures, le cas échéant déjà perçues.

52.

Par conséquent, l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 s’oppose à ce que le droit national empêche les organismes de contrôle du secteur ferroviaire de contrôler la légalité des redevances afférentes à des exercices déjà écoulés, dans les limites temporelles admissibles. Cet article ne permet pas au droit national d’interdire la rétroaction de la constatation de la nullité d’une redevance (ex tunc) au moment où celle-ci est entrée en vigueur.

F.   Sur la quatrième question préjudicielle

53.

La juridiction de renvoi souhaite savoir si les « mesures correctives de l’autorité de contrôle compétent[e] [...] ouvrent également [...] la possibilité d’ordonner le remboursement par le gestionnaire de l’infrastructure des redevances perçues illégalement, bien que, entre l’entreprise ferroviaire et le gestionnaire de l’infrastructure, il soit possible de faire valoir des demandes de remboursement par la voie d’une action civile ».

54.

La question part du principe que, en Allemagne, les entreprises ferroviaires peuvent en tout état de cause saisir les juridictions civiles pour exiger du gestionnaire de l’infrastructure le remboursement des redevances perçues illicitement.

55.

Par conséquent, j’estime que le doute se limite au point de savoir si, conformément à la directive 2012/34, ces entreprises ferroviaires pourraient également saisir l’organisme de contrôle pour obtenir ce remboursement. Il n’en irait ainsi que si cet organisme avait le pouvoir d’imposer le remboursement au gestionnaire de l’infrastructure.

56.

Il ressort du point 97 de l’arrêt CTL Logistics que l’intervention de l’organisme de contrôle est déterminante aux fins de constater l’illégalité des redevances, en tant que préalable indispensable pour que, ensuite, les juridictions civiles puissent ordonner leur remboursement. Cela est confirmé, dans des termes analogues et pour les actions relatives à une action en responsabilité, par l’arrêt Koleje Mazowieckie ( 31 ).

57.

La question qui se pose maintenant est celle de savoir si l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 confère à l’organisme de contrôle du secteur ferroviaire le pouvoir d’ordonner lui‑même le remboursement de la redevance perçue illicitement, en évitant des procédures parallèles ou successives.

58.

La solution à ce problème est liée au point de savoir si les organismes de contrôle nationaux peuvent s’immiscer dans les relations entre opérateurs économiques relevant, en principe, du droit privé ( 32 ), et ce sur le volet tant déclaratif (déclaration de nullité d’un contrat ( 33 )) qu’exécutoire (ordres de remboursement, injonctions d’indemnisation d’une partie par l’autre). Une fois de plus, il appartient à chaque État membre de choisir l’une ou l’autre solution, si celle-ci n’est pas prédéterminée par le droit de l’Union.

59.

Du point de vue du droit de l’Union, il suffit de dire que, en ce qui concerne la phase déclarative, l’arrêt CTL Logistics a levé les doutes quant aux pouvoirs des organismes de contrôle pour le secteur ferroviaire, dans le sens indiqué ci-dessus, ce dont le législateur allemand a pris acte ( 34 ).

60.

En revanche, s’agissant de la phase d’exécution, le droit de l’Union ne contient pas toujours de dispositions explicites sur le pouvoir des organismes de régulation d’obliger les entreprises soumises à leur contrôle à rembourser les montants illégalement perçus. En l’absence de telles dispositions, les États membres disposent d’une marge de manœuvre à cet effet.

61.

Dans une affaire concernant le marché intérieur de l’électricité ( 35 ), la Cour a jugé que la directive 2009/72/CE ( 36 ) ne s’opposait pas à ce qu’un État membre confère à l’autorité de régulation nationale le pouvoir d’enjoindre aux entreprises d’électricité de rembourser à leurs clients la somme correspondant à des montants perçus sur le fondement de clauses que cette autorité avait déclarées illégales ( 37 ).

62.

Le raisonnement suivi dans l’arrêt Green Network peut être utile en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour :

a souligné que, parmi les tâches de l’organisme de contrôle, il n’est pas fait mention [à l’article 37, paragraphe 4, sous d), de la directive 2009/72] de celle « d’exiger de ces entreprises qu’elles remboursent toute somme perçue en contrepartie d’une clause contractuelle considérée comme illégale » ( 38 ) ;

a confirmé que, malgré l’absence d’une telle mention, « l’utilisation, à l’article 37, paragraphe 4, de la directive 2009/72, de l’expression “l’autorité de régulation se voit confier au moins les compétences suivantes” indique que des compétences autres que celles expressément mentionnées à cet article 37, paragraphe 4, peuvent être attribuées à une telle autorité afin de lui permettre de s’acquitter des missions » imposées par cette directive ( 39 ) ;

a déclaré qu’« un État membre peut octroyer à une telle autorité le pouvoir d’imposer à ces opérateurs la restitution des sommes perçues par eux en violation des exigences » pertinentes ( 40 ) ;

a fait observer que, « si la directive 2009/72 n’exige pas des États membres qu’ils prévoient que l’autorité de régulation nationale a le pouvoir d’ordonner le remboursement, par une entreprise d’électricité, des sommes indument perçues auprès de ses clients, cette directive ne s’oppose pas à ce qu’un État membre octroie un tel pouvoir à cette autorité » ( 41 ).

63.

En somme, la Cour a jugé que, eu égard aux termes ouverts des dispositions de la directive 2009/72, même si celle-ci n’impose pas d’obligation que l’autorité de régulation soit compétente pour ordonner le remboursement, chaque État membre peut en décider ainsi dans son droit interne.

64.

En ce qui concerne la directive 2012/34, « il [...] incombe [à l’organisme de contrôle] d’“assurer le suivi de la situation de la concurrence sur les marchés des services ferroviaires” et de contrôler, dans ce cadre, les décisions prises par les acteurs du secteur ferroviaire, notamment au regard des différents éléments énumérés à l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34 » ( 42 ).

65.

En particulier, l’article 56, paragraphe 1, sous d) et e), de la directive 2012/34 permet à un candidat de « saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure [...] en ce qui concerne : [...] le système de tarification [et] le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ».

66.

Cette faculté trouve son pendant dans le pouvoir de l’organisme de contrôle de constater la validité ou non des décisions du gestionnaire de l’infrastructure en matière de redevances. L’organisme de contrôle doit veiller, conformément à l’article 56, paragraphe 6, de la directive 2012/34, à ce que « les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre IV, section 2, et non discriminatoires » ( 43 ).

67.

À ce stade, rien n’indique que les décisions de l’organisme de contrôle du secteur ferroviaire soient plus que simplement déclaratives. Il ne ressort pas de la directive 2012/34 que les États membres seraient tenus de doter l’organisme de contrôle de compétences d’exécution. Le même critère que celui établi dans l’arrêt Green Network serait donc applicable (la directive ni n’exige ni ne s’oppose).

68.

On pourrait néanmoins faire valoir que, en vertu de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34, les fonctions de l’organisme de contrôle ferroviaire vont au-delà de compétences déclaratives, puisque ce dernier est autorisé à adopter « les mesures appropriées pour corriger toute discrimination à l’égard des candidats, toute distorsion du marché et toute autre évolution indésirable sur ces marchés, notamment eu égard au paragraphe 1, points a) à j) ».

69.

Selon cette argumentation, la capacité de réaction que la directive 2012/34 confère à l’organisme de contrôle ferroviaire serait plus élevée que celle prévue par la directive 2009/72. Les pouvoirs de ce dernier (pour « remédier » et « corriger ») excéderaient des compétences purement déclaratives et incluraient des pouvoirs d’exécution, tels que celui d’ordonner le remboursement par le gestionnaire de l’infrastructure des redevances perçues illégalement.

70.

Je ne pense toutefois pas que les différences entre les deux directives soient si importantes. Si l’on observe la directive 2009/72, l’effet contraignant des décisions de l’organisme de contrôle dans le secteur de l’électricité était également lié à la capacité d’imposer leur respect. Par exemple, l’article 37, paragraphe 10, de cette directive habilitait cet organisme « à demander que les gestionnaires de réseau de transport et de distribution modifient au besoin les conditions, y compris les tarifs ». Dans certains cas, il pouvait « arrêter des mesures compensatoires appropriées ».

71.

À mon sens, seul le législateur de l’Union peut prendre, au moyen d’une directive, une décision aussi importante que celle visant à attribuer à un organisme de contrôle la compétence pour ordonner le remboursement de sommes établies dans le cadre d’une relation contractuelle. En cas de silence d’une directive sur cette compétence, la solution Green Network s’impose.

72.

Rien n’empêcherait le législateur de l’Union de décider que, en cas de perception de redevances illégales par le gestionnaire de l’infrastructure, l’organisme de contrôle peut lui-même obliger celui-ci à les rembourser, afin de rétablir l’ordre juridique violé ( 44 ). Toutefois, je le répète, la directive 2012/34 ne contient pas une telle prévision.

73.

En d’autres termes, je ne pense pas que la directive 2012/34 impose aux États membres que l’organisme de contrôle soit en tout état de cause investi du pouvoir d’ordonner le remboursement et, encore moins, qu’il soit le seul habilité à le faire. A priori, d’autres systèmes, comprenant des mécanismes de coordination entre autorités de différente nature (juridictionnelle et administrative), sont admissibles ( 45 ).

74.

En ce qui concerne spécifiquement les redevances prévues par la directive 2012/34, l’arrêt CTL Logistics admet que leur remboursement puisse se faire, dans les conditions qu’il fixe, « en application de dispositions de droit civil » ( 46 ).

75.

Il s’agit donc d’une matière relevant de l’autonomie procédurale des États membres. Ce sont eux qui doivent choisir a) de conférer une compétence d’exécution aux organismes de contrôle aux fins d’ordonner le remboursement des redevances, pouvoir qui peut coexister avec celui des juridictions civiles, ou b) de réserver l’introduction de l’action en remboursement devant la seule juridiction civile, sous réserve du respect des conditions de l’arrêt CTL Logistics et de la conformité des procédures aux principes d’équivalence et d’effectivité.

76.

Il appartient logiquement à la juridiction de renvoi d’interpréter le droit national afin de déterminer le système d’attribution de compétence qui y est applicable. Sans vouloir la remplacer dans sa tâche, j’estime que certains éléments apparus dans les observations des parties et lors de l’audience pourraient montrer que le droit allemand admet le pouvoir de la Bundesnetzagentur d’imposer le remboursement des redevances illégales.

77.

En effet, le gouvernement allemand a soutenu que, selon son interprétation de l’ERegG, l’organisme de contrôle est habilité à ordonner le remboursement lorsqu’il se prononce dans le cadre d’une procédure d’office, mais non si la procédure a été engagée à la demande (à la suite d’une plainte) d’une entreprise ferroviaire ( 47 ).

78.

Bien qu’il me soit difficile de comprendre comment l’organisme de contrôle ne pourrait pas faire, à la demande d’une partie, ce qu’il pourrait faire d’office ( 48 ), dans la mesure où la directive 2012/34 place cette dualité d’actions sur le même plan ( 49 ), je répète qu’il s’agit là d’un point que seules les juridictions allemandes pourront trancher dans le cadre de l’interprétation de leur droit interne.

79.

J’ajouterai que, si le législateur national décide d’attribuer à l’organisme de contrôle la compétence pour imposer au gestionnaire de l’infrastructure le remboursement des redevances perçues illégalement, je ne vois pas de raison pour qu’il y ait un traitement distinct selon qu’il est intervenu à la demande d’une partie ou d’office.

V. Conclusion

80.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre au Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne) dans les termes suivants :

L’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen,

doit être interprété en ce sens que :

il autorise l’organisme de régulation pour le secteur ferroviaire à contrôler la légalité des redevances que le gestionnaire de l’infrastructure a fixées, y compris lorsque la période de vigueur de celles-ci a expiré ;

l’organisme de régulation peut, lors du contrôle des redevances qui ne sont plus en vigueur, déclarer leur invalidité avec effet ex tunc, sans qu’une réglementation nationale puisse le priver de ce pouvoir ;

il appartient à chaque État membre de décider si l’organisme de contrôle pour le secteur ferroviaire est habilité à ordonner au gestionnaire de l’infrastructure le remboursement des redevances dont il a constaté l’invalidité, choix que l’article 56 de la directive 2012/34 ni n’exige ni n’interdit.


( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) La Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen (agence fédérale de régulation de l’électricité, du gaz, de la télécommunication, de la poste et des chemins de fer, ci-après la « Bundesnetzagentur »).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32).

( 4 ) Loi du 29 août 2016 (BGBl. I, p. 2082), telle que modifiée par la loi du 9 juin 2021 (BGBl. I, p. 1737), ci-après l’« ERegG ».

( 5 ) DB Netz est une entreprise publique faisant partie du groupe Deutsche Bahn AG. Elle exploite le plus grand réseau ferroviaire de la République fédérale d’Allemagne et perçoit, à ce titre, des redevances d’utilisation de l’infrastructure. Les redevances sont déterminées pour chaque entreprise de transport ferroviaire individuellement sur la base des tarifs fixés par DB Netz dans le document de référence du réseau. Les tarifs sont valables pour chaque période de validité de l’horaire de service (normalement un an à compter de minuit le deuxième samedi de décembre, conformément à l’annexe VII de la directive 2012/34).

( 6 ) Selon la Commission européenne, le « facteur régional » entraînait une majoration allant jusqu’à 191 % du montant des redevances (point 11 de ses observations écrites).

( 7 ) La juridiction de renvoi indique, au point 8 de la décision de renvoi, que, le 30 juillet 2010, après que DB Netz a formé opposition contre cette décision, la Bundesnetzagentur et DB Netz ont signé un « contrat de droit public par lequel la décision précédente [du 5 mars 2010] était annulée et il était en outre convenu que [DB Netz] ne percevrait plus les facteurs régionaux à partir du 11 décembre 2011 et percevrait des facteurs régionaux sélectionnés seulement à un niveau réduit à partir du 12 décembre 2010 ».

( 8 ) Dans un arrêt du 18 octobre 2011 (KZR ZR 18/10), le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a validé le fait que les juridictions civiles statuent sur les demandes de remboursement en évaluant le caractère équitable des redevances au cas par cas.

( 9 ) C‑489/15, ci-après l’« arrêt CTL Logistics », EU:C:2017:834.

( 10 ) Il s’agissait alors de l’Allgemeines Eisenbahngesetz (loi générale sur les chemins de fer), du 27 décembre 1993 (BGBl. 1993 I, p. 2378) et de l’Eisenbahninfrastruktur‑Benutzungsverordnung (règlement relatif à l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire), du 3 juin 2005 (BGBl. 2005 I, p. 1566), dans leur version en vigueur à la date des faits de ce litige.

( 11 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO 2001, L 75, p. 29).

( 12 ) Il serait donc indifférent que les recours des requérantes aient été introduits après l’expiration du délai de transposition de la directive 2012/34.

( 13 ) Voir, dans le même sens, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service (C‑721/20, ci-après l’« arrêt DB Station », EU:C:2022:832, point 64).

( 14 ) C‑120/20, ci-après l’« arrêt Koleje Mazowieckie », EU:C:2021:553.

( 15 ) Le gouvernement allemand estime que l’arrêt DB Station « constitue une base suffisante pour répondre à la première question préjudicielle », que « les constatations formulées par la Cour [dans cet arrêt] répondent à la deuxième question préjudicielle » et que, concernant la troisième question préjudicielle, ces mêmes constatations « indiquent clairement que la Bundesnetzagentur ne saurait valablement dénier sa compétence pour statuer sur la légalité des redevances déjà perçues ». En revanche, les considérations de la Cour dans l’arrêt DB Station ne « permettent pas de répondre directement à la quatrième question préjudicielle ». Pour Prignitzer Eisenbahn e.a., « la Cour a déjà répondu aux trois premières questions préjudicielles » dans l’arrêt DB Station et « [i]l est également possible de déduire de cet arrêt la réponse à la quatrième question préjudicielle ». À l’inverse, DB Netz affirme que, dans ledit arrêt, « la Cour n’a pas encore donné de réponse suffisante aux [première à troisième] questions ».

( 16 ) Décision de renvoi, point 12.

( 17 ) Lors de l’audience, il y a eu un débat sur la durée des périodes d’application des redevances, selon qu’elles sont liées à l’horaire de service ou au document de référence du réseau. À mon avis, en ce qui concerne les entreprises requérantes, la solution à ce problème n’est pas décisive : pour chacune de ces entreprises, les redevances ont été en vigueur de 2003 à 2011, cet élément étant, de fait, l’élément temporel à prendre en considération.

( 18 ) Article 66, paragraphe 4, point 6, et article 68, paragraphe 3, de l’ERegG.

( 19 ) Dans l’arrêt DB Station (point 34), la Cour reproduit les considérations de la juridiction de renvoi dans ladite affaire : « [P]ar arrêt du 1er septembre 2020 [...], le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) aurait jugé que l’article 30, paragraphe 3, de la directive 2001/14 ne permet pas à l’organisme de contrôle de se prononcer sur les redevances déjà payées et encore moins d’en ordonner le remboursement. »

( 20 ) Dans ses conclusions dans l’affaire CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2016:901, points 11 à 17), l’avocat général Mengozzi a examiné en détail l’évolution de la jurisprudence et de la législation allemandes jusqu’en 2016.

( 21 ) Points 23 et 25.

( 22 ) Arrêt DB Station (point 87, mise en italique par mes soins). L’article 30, paragraphe 2, de la directive 2001/14 faisait référence au « niveau ou [à] la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter », libellé identique à celui de l’article 56, paragraphe 1, sous e), de la directive 2012/34.

( 23 ) Arrêt DB Station, point 74.

( 24 ) Selon DB Netz, « il n’y a pas de droit de plainte perpétuel » (section 4 de ses observations écrites, consacrée à la première question préjudicielle).

( 25 ) Arrêt du 28 novembre 2000, Roquette Frères (C‑88/99, EU:C:2000:652, point 20 et jurisprudence citée). Bien que cette jurisprudence porte sur la restitution d’impositions nationales indûment perçues et que les redevances n’aient pas, au sens strict, une nature fiscale, je ne crois pas qu’il y ait d’inconvénient à étendre cette jurisprudence à ces dernières.

( 26 ) Prignitzer Eisenbahn, la Bundesnetzagentur et DB Netz étaient d’accord sur ce point. La Bundesnetzagentur a souligné qu’il existait des délais généraux de prescription, mais qu’ils ne s’appliquaient pas à cette matière.

( 27 ) Elle pourrait, le cas échéant, examiner s’il existe un motif de suspension ou d’interruption de la prescription.

( 28 ) Note sans pertinence dans la version en langue française des présentes conclusions.

( 29 ) Arrêt Koleje Mazowieckie, point 58. Cet arrêt concernait, entre autres, l’article 30, paragraphe 5, de la directive 2001/14, dont le contenu était similaire à celui de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 : « L’organisme de contrôle est obligé de se prononcer sur toute plainte et adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation [...] »

( 30 )

( 31 ) Arrêt Koleje Mazowieckie, point 55 : « [...] une juridiction de droit commun ne saurait statuer sur les demandes afférentes à une action en responsabilité [...] sans que l’organisme de contrôle ou la juridiction compétente pour connaître des recours contre ses décisions se soit prononcé au préalable sur la légalité des décisions du gestionnaire de réseau [...] »

( 32 ) Je rappelle que, en vertu de la directive 2012/34, un gestionnaire de l’infrastructure peut être une entreprise non nécessairement publique à laquelle sont confiés l’exploitation, l’entretien et le renouvellement de l’infrastructure ferroviaire sur un réseau, caractère que présentent habituellement les entreprises de transport ferroviaire.

( 33 ) Ou, dans le cas du transport ferroviaire, des clauses du contrat relatives aux redevances. DB Netz met son infrastructure ferroviaire à la disposition des entreprises de transport sur la base de contrats d’utilisation individuels devant être conclus pour l’utilisation de chaque ligne.

( 34 ) En vertu de l’article 68, paragraphe 2, de l’ERegG, l’autorité de contrôle « décide de la validité du contrat ou de la redevance, déclare les contrats contraires sans effet et fixe les conditions contractuelles ou les redevances ». La juridiction de renvoi indique toutefois, au point 44 de la décision de renvoi que « [l]a relation entre les entreprises de transport ferroviaire et les gestionnaires d’infrastructure est, à la base, de nature contractuelle et donc de droit civil. Le droit de la régulation, en tant que partie du droit public, n’intervient de manière contraignante dans cette relation contractuelle que pour mettre en œuvre les objectifs de la régulation et fixer un cadre à une concurrence monopolisée ».

( 35 ) Arrêt du 30 mars 2023, Green Network (Injonction de remboursement de frais) (C‑5/22, ci-après l’« arrêt Green Network », EU:C:2023:273, point 30).

( 36 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).

( 37 ) Arrêt Green Network, point 30 : « [...] l’article 37, paragraphe 1, sous i) et n), et paragraphe 4, sous d), de la directive 2009/72 ainsi que l’annexe I de celle-ci doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre confère à l’autorité de régulation nationale le pouvoir d’enjoindre aux entreprises d’électricité de rembourser à leurs clients finals la somme correspondant à la contrepartie versée par ceux-ci en tant que “frais de gestion administrative” en application d’une clause contractuelle considérée comme illégale par cette autorité, et ce également dans les cas où cette injonction de remboursement n’est pas fondée sur des raisons de qualité du service concerné rendu par ces entreprises, mais sur la violation d’obligations de transparence tarifaire. »

( 38 ) Arrêt Green Network, point 23.

( 39 ) Arrêt Green Network, point 24, mise en italique par mes soins.

( 40 ) Arrêt Green Network, point 25. Dans ladite affaire, il s’agissait des « exigences relatives à la protection des consommateurs, notamment, celles concernant l’obligation de transparence et l’exactitude de la facturation ».

( 41 ) Arrêt Green Network, point 28, mise en italique par mes soins.

( 42 ) Arrêt du 3 mai 2022, CityRail (C‑453/20, EU:C:2022:341, point 56).

( 43 ) L’organisme de régulation doit exercer cette fonction de contrôle tant lorsqu’il intervient en raison du recours formé par un candidat contre une décision prise par le gestionnaire de l’infrastructure (article 56, paragraphe 1) que lorsqu’il agit d’office (article 56, paragraphe 2, de la directive 2012/34).

( 44 ) Ainsi que l’affirme le gouvernement norvégien (point 29 de ses observations écrites), la déclaration de l’invalidité des redevances et l’ordre de remboursement constituent des mesures qui vont de pair. Selon lui, il semble inutile d’exiger des entreprises ferroviaires qu’elles introduisent des demandes par voie d’actions civiles longues et coûteuses afin d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées.

( 45 ) La Cour en a jugé ainsi à propos de la directive 2009/72 : l’action coordonnée de l’autorité de régulation avec d’autres autorités nationales n’implique pas que seule l’une d’entre elles « peut ordonner la restitution des sommes indument perçues auprès des clients finals par les entreprises d’électricité » (arrêt Green Network, point 26).

( 46 ) Arrêt CTL Logistics, point 97. Ladite affaire ne portait pas sur le point de savoir si la compétence de l’organisme de contrôle allait au-delà de pouvoirs purement déclaratifs, car il suffisait, comme préalable à l’action de la juridiction civile, que cet organisme ait constaté le caractère illicite de la redevance.

( 47 ) Aux points 43 et 44 de ses observations écrites, le gouvernement allemand associe les différents pouvoirs d’action de l’organisme de contrôle, selon qu’il agit d’office ou à la demande d’une partie, au contenu, respectivement, des articles 67 et 68 de l’ERegG. Lors de l’audience, en réponse à la demande d’éclaircissement quant aux raisons qui justifieraient cette distinction, il a tenté de s’appuyer sur la marge d’appréciation du législateur national.

( 48 ) Dans le contexte de l’article 56, paragraphes 1 et 2, de la directive 2012/34, je ne trouve pas d’éléments pour soutenir que le contrôle de l’organisme de contrôle aurait une portée différente selon qu’il agit à la demande d’une partie ou d’office. En outre, le cumul de fonctions de l’organisme de contrôle « implique que, lorsqu’[il] est saisi d’un recours, cette circonstance est sans préjudice de la compétence de ce même organisme pour prendre, au besoin d’office, des mesures appropriées afin de remédier à toute violation de la réglementation applicable » (arrêt du 3 mai 2022, CityRail, C‑453/20, EU:C:2022:341, point 61, mise en italique par mes soins).

( 49 ) La Cour a jugé, au point 65 de l’arrêt DB Station, que « l’organisme de contrôle est chargé, à la fois, d’agir comme organe de recours et de surveiller, de sa propre initiative, l’application qui est faite par les acteurs du secteur ferroviaire des règles prévues par [la directive 2001/14]. Conformément à l’article 30, paragraphe 5, de celle-ci [équivalent à l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34], il est compétent pour prendre toute mesure nécessaire afin de remédier aux violations de ladite directive, le cas échéant d’office ». La prétendue différenciation entre « remédier » et « corriger » à laquelle se réfère le gouvernement allemand s’estompe dès lors que la Cour utilise le verbe « remédier » relativement à une action qui peut intervenir d’office.