CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 19 octobre 2023 ( 1 )

Affaire C‑352/22

A.

en présence de

Generalstaatsanwaltschaft Hamm

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile – Décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre – Réfugié séjournant, après cette décision, dans un autre État membre – Demande d’extradition émanant du pays tiers d’origine du réfugié adressée à l’État membre de résidence – Directive 2011/95/UE – Article 21, paragraphe 1 – Directive 2013/32/UE – Article 9, paragraphes 2 et 3 – Effet de la décision d’octroi du statut de réfugié dans le cadre de la procédure d’extradition – Article 78, paragraphe 2, TFUE – Système européen commun d’asile – Absence d’un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié – Article 18 et article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection du réfugié contre l’extradition – Principe de non-refoulement »

I. Introduction

1.

Il a pu être observé que « [l]e droit des réfugiés et le droit de l’extradition entretiennent des relations anciennes, denses et complexes » ( 2 ). Pour autant, ces deux branches du droit international ne se confondent pas et elles ont chacune acquis progressivement « leur propre autonomie normative » ( 3 ), tout en devant composer avec le droit international des droits de l’homme ( 4 ) qui a profondément ancré le principe de non-refoulement dans le paysage juridique ( 5 ).

2.

En outre, ainsi que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) l’a indiqué ( 6 ), « [l]a protection internationale des réfugiés et l’application du droit pénal ne s’excluent pas mutuellement. La Convention de 1951 relative au statut de réfugié [...] et son Protocole de 1967 ne mettent pas les réfugiés ou les demandeurs d’asile qui ont commis un crime à l’abri de poursuites et le droit international des réfugiés n’interdit pas leur extradition dans toutes les circonstances [...] Toutefois, lorsque la personne visée par la demande d’extradition [...] est un réfugié ou un demandeur d’asile, ses besoins de protection particuliers doivent être pris en considération ».

3.

La présente demande de décision préjudicielle offre à la Cour l’occasion de préciser l’articulation entre les règles du droit de l’Union en matière de protection internationale et la compétence des États membres en matière d’extradition en vue de prendre en compte les besoins de protection particuliers d’une personne qui bénéficie du statut de réfugié dans un État membre autre que celui qui est chargé d’examiner une demande d’extradition la concernant.

4.

Cette demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale ( 7 ), et de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection ( 8 ).

5.

La présente affaire soulève la question délicate de savoir si une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre a un effet obligatoire pour les autres États membres, en ce sens qu’ils sont liés par cette décision et ne peuvent donc s’en écarter. Cette question revêt une importance considérable pour l’ensemble du régime d’asile européen commun. Elle est ici posée dans le contexte d’une demande d’extradition émise par les autorités turques et adressée aux autorités allemandes aux fins de poursuites pénales contre un ressortissant turc qui réside en Allemagne, lequel s’est vu antérieurement octroyer le statut de réfugié par les autorités italiennes en raison d’un risque de persécutions politiques en Turquie.

6.

Ainsi, la Cour est amenée à décider si la décision d’octroi du statut de réfugié prise par un État membre a, en vertu du droit de l’Union, un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre, en ce sens que l’autorité compétente pour conduire cette procédure serait contrainte de refuser l’extradition aussi longtemps que cette décision est en vigueur.

7.

Dans les présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles je considère que, même si une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée dans un État membre n’a pas, en l’état actuel du droit de l’Union, d’effet contraignant pour l’autorité chargée d’examiner une demande d’extradition dans un autre État membre, il n’en reste pas moins que la procédure d’extradition doit être menée dans le respect du droit d’asile consacré à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 9 ) et, plus largement, du principe de non-refoulement qui est garanti, en tant que droit fondamental, à ce même article de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés ( 10 ), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés ( 11 ) (ci‑après la « convention de Genève »), ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ( 12 ).

II. Le cadre juridique

A.   Le droit international

1. La convention de Genève

8.

La convention de Genève dispose, à son article 33, paragraphe 1 :

« Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. »

2. La convention européenne d’extradition

9.

Les relations entre la République fédérale d’Allemagne et la République de Turquie en matière d’extradition sont régies par la convention européenne d’extradition ( 13 ). L’article 3, paragraphes 1 et 2, de cette convention se lit comme suit :

« 1.   L’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction.

2.   La même règle s’appliquera si la Partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons. »

B.   Le droit de l’Union

1. La directive 2011/95

10.

L’article 11 de la directive 2011/95 détermine les cas dans lesquels un ressortissant de pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié. L’article 12 de cette directive porte sur les hypothèses d’exclusion du statut de réfugié.

11.

Conformément à l’article 13 de ladite directive, « [l]es États membres octroient le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III ».

12.

L’article 14 de la même directive porte sur la « [r]évocation, [la] fin du statut de réfugié ou [le] refus de le renouveler ».

13.

L’article 21 de la directive 2011/95, intitulé « Protection contre le refoulement », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. »

2. La directive 2013/32

14.

L’article 9 de la directive 2013/32, intitulé « Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande », est ainsi rédigé :

« 1.   Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour.

2.   Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que si une personne présente une demande ultérieure visée à l’article 41 ou si une personne est, le cas échéant, livrée à ou extradée vers, soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen [...] ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e).

3.   Un État membre ne peut extrader un demandeur vers un pays tiers en vertu du paragraphe 2 que lorsque les autorités compétentes se sont assuré que la décision d’extradition n’entraînera pas de refoulement direct ou indirect en violation des obligations internationales et à l’égard de l’Union incombant à cet État membre. »

C.   Le droit allemand

15.

L’article 6, paragraphe 2, du Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (loi relative à l’entraide judiciaire internationale en matière pénale), du 23 décembre 1982 ( 14 ), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« IRG »), se lit comme suit :

« L’extradition est exclue lorsqu’il y a des raisons sérieuses de croire que, en cas d’extradition, l’individu réclamé sera poursuivi ou puni en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons. »

16.

L’article 6 de l’Asylgesetz (loi relative à l’asile), du 26 juin 1992 ( 15 ), dans sa version publiée le 2 septembre 2008 ( 16 ), modifiée en dernier lieu par la loi du 9 juillet 2021 ( 17 ), énonce :

« La décision relative à la demande d’asile est contraignante dans toutes les affaires dans lesquelles la reconnaissance du bénéfice de l’asile ou l’octroi d’une protection internationale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 2, est pertinent. Cette disposition ne s’applique pas à la procédure d’extradition ni à la procédure prévue à l’article 58a de l’Aufenthaltsgesetz [loi relative au séjour des étrangers ( 18 )]. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

17.

A. est un ressortissant turc d’ethnie kurde. Il a quitté la Turquie au cours de l’année 2010.

18.

Par décision définitive du 19 mai 2010, les autorités italiennes ont reconnu à A. le statut de réfugié au motif qu’il courait un risque de persécutions politiques par les autorités turques en raison de son soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce statut est valable jusqu’au 25 juin 2030.

19.

Depuis le mois de juillet de l’année 2019, A. réside en Allemagne.

20.

Sur la base d’un mandat d’arrêt émis le 3 juin 2020 par une juridiction turque, A. a fait l’objet d’un signalement auprès de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) afin d’être arrêté en vue de son extradition aux fins de poursuites pénales pour homicide volontaire. Il lui est reproché d’avoir, le 9 septembre 2009 à Bingöl (Turquie), après une altercation verbale avec son père et son frère, tiré un coup de fusil, lequel aurait touché sa mère. Celle-ci serait décédée à l’hôpital des suites de ses blessures.

21.

A. a été arrêté en Allemagne le 18 novembre 2020 et a été placé, dès le 23 novembre 2020, sous écrou extraditionnel jusqu’au 14 avril 2022.

22.

Par une ordonnance du 2 novembre 2021, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, a déclaré recevable l’extradition de A. vers la Turquie. Selon cette juridiction, il n’y aurait pas d’obstacle à l’extradition au sens de l’article 6, paragraphe 2, de l’IRG et de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne d’extradition. En effet, ladite juridiction estime, à la lumière des arguments présentés par A. et des documents qu’il a fournis ainsi que des éléments qui lui ont été transmis en ce qui concerne la procédure d’asile en Italie, qu’il n’y a pas de raisons sérieuses de croire que la demande d’extradition, motivée par une infraction non politique, aurait été présentée aux fins de poursuivre ou de punir A. pour des considérations d’opinions politiques ou que la situation de celui-ci risquerait, en cas d’extradition, d’être aggravée pour de telles raisons.

23.

La décision d’octroi du statut de réfugié, prise par les autorités italiennes, ne s’opposerait pas à une extradition de A. vers la Turquie. En effet, il s’agirait de deux procédures distinctes, susceptibles de donner lieu à des décisions divergentes. Cela étant, si une décision d’octroi du statut de réfugié n’a pas, conformément au droit allemand, un effet contraignant à l’égard de la procédure d’extradition, elle pourrait constituer un indice aux fins de l’examen autonome des conditions prévues à l’article 6, paragraphe 2, de l’IRG et à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne d’extradition.

24.

La juridiction de renvoi s’est ainsi livrée à sa propre appréciation du risque de persécutions politiques à l’encontre de A. au regard de la situation en Turquie. Sur la base des éléments en sa possession, elle a considéré comme solide la garantie fournie par les autorités turques selon laquelle, en cas d’extradition de A. vers la Turquie, la procédure menée à l’encontre de celui-ci garantirait son droit à un procès équitable. Par ailleurs, cette juridiction estime que, en cas d’extradition de A. vers la Turquie, celui-ci ne courrait pas de risque sérieux et concret d’y faire l’objet de persécutions politiques, de sorte que le principe de non-refoulement issu de l’article 33 de la convention de Genève ne ferait pas non plus obstacle à cette extradition.

25.

Cette ordonnance a été annulée par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne), à l’occasion d’un recours constitutionnel formé par A. Ainsi qu’il ressort, en substance, de l’ordonnance de cette juridiction en date du 30 mars 2022, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm) aurait omis de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question, pertinente aux fins de la solution du litige au principal et inédite, de savoir si, en vertu du droit de l’Union, l’octroi à A. par les autorités italiennes du statut de réfugié est contraignant à l’égard de la procédure d’extradition menée en Allemagne et s’oppose donc obligatoirement à son extradition vers la Turquie ( 19 ).

26.

À la suite du renvoi de l’affaire devant l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm), celui-ci doit à nouveau statuer sur la demande d’extradition. Cette juridiction souligne que la question visée au point précédent des présentes conclusions, non tranchée par la Cour, est controversée dans la doctrine.

27.

Ainsi, une partie de la doctrine serait favorable à l’effet contraignant d’une décision d’octroi du statut de réfugié dans le cadre d’une procédure d’extradition. Elle déduirait de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32, qui prévoit la possibilité d’extrader un demandeur de protection internationale vers un pays tiers à condition que les autorités compétentes se soient assuré que la décision d’extradition n’entraînerait pas de refoulement direct ou indirect, que, à partir du moment où il existe une décision d’octroi du statut de réfugié par un État membre, l’extradition de la personne bénéficiant de ce statut ne serait plus autorisée par le droit de l’Union. L’article 6, seconde phrase, de la loi relative à l’asile devrait alors faire l’objet d’une interprétation conforme au droit de l’Union. Par ailleurs, cette partie de la doctrine avance que les directives 2011/95 et 2013/32 prévoient des règles spécifiques pour la cessation, l’exclusion ou la révocation du statut de réfugié ( 20 ). Si une décision d’octroi du statut de réfugié n’était pas dotée d’un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition et s’il était donc possible de répondre favorablement à une demande d’extradition d’un réfugié reconnu comme tel par les autorités d’un autre État membre, ces règles seraient contournées.

28.

Selon une autre partie de la doctrine, en revanche, le législateur de l’Union aurait considéré que les procédures d’asile et d’extradition sont indépendantes l’une de l’autre, ce qui implique qu’une décision d’octroi du statut de réfugié ne saurait produire d’effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition. En effet, il pourrait s’être écoulé un long laps de temps entre la décision d’octroi du statut de réfugié et l’ouverture de la procédure d’extradition, de sorte que la situation pourrait avoir fondamentalement changé. Cette procédure pourrait constituer la première occasion d’examiner les causes d’exclusion du statut de réfugié, qui pourraient justifier une révocation de ce statut. Si un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition était reconnu à une décision d’octroi du statut de réfugié, une procédure de révocation devrait préalablement être engagée, ce que la directive 2011/95 n’exigerait pas. Il conviendrait néanmoins de veiller au respect du principe de non-refoulement, conformément à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95.

29.

La juridiction de renvoi rejoint cette dernière interprétation et maintient, par ailleurs, les appréciations déjà effectuées dans son ordonnance du 2 novembre 2021.

30.

Elle souligne que les procédures d’asile et d’extradition sont indépendantes l’une de l’autre. Les directives 2011/95 et 2013/32 ne contiendraient aucune disposition explicite prévoyant un effet contraignant d’une décision octroyant le statut de réfugié dans le cadre d’une procédure d’extradition.

31.

La reconnaissance d’un tel effet impliquerait, de surcroît, que, en cas de découverte, lors de la procédure d’extradition, de nouveaux éléments justifiant une appréciation différente du risque de persécutions politiques encouru par l’individu réclamé, il conviendrait d’attendre que l’autorité de l’État membre dans lequel le statut de réfugié a été octroyé procède, le cas échéant, au retrait de ce statut. Cela allongerait la procédure d’extradition, ce qui serait incompatible avec le principe de célérité, applicable en particulier lorsque l’intéressé est placé sous écrou extraditionnel.

32.

En outre, la juridiction de renvoi souligne qu’il est conforme à l’objectif légitime d’éviter l’impunité, reconnu par la Cour ( 21 ), d’estimer que, malgré l’octroi du statut de réfugié par un État membre, l’extradition de la personne réclamée vers son pays tiers d’origine est possible, dans la mesure où cette extradition n’est pas contraire au droit international ni au droit de l’Union, notamment à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. À cet égard, si le droit allemand permet, en théorie, d’engager des poursuites pénales contre l’individu réclamé à défaut d’extradition, de telles poursuites ne seraient, en pratique, pas possibles au vu de l’absence de preuves disponibles s’agissant de faits ayant eu lieu en Turquie, ce qui pourrait conduire à l’impunité de la personne réclamée.

33.

Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la [directive 2013/32] et de l’article 21, paragraphe 1, de la [directive 2011/95] en ce sens que la reconnaissance définitive à une personne du statut de réfugié au sens de la [convention de Genève] dans un autre État membre [...] est, en vertu de l’obligation d’interprétation conforme du droit national imposée par le droit de l’Union (article 288, troisième alinéa, TFUE et article 4, paragraphe 3, TUE), contraignante à l’égard de la procédure d’extradition menée dans l’État membre requis aux fins de l’extradition d’une telle personne en ce sens que l’extradition de la personne vers le pays tiers ou vers le pays d’origine est obligatoirement exclue jusqu’à ce que la reconnaissance du statut de réfugié ait été révoquée ou ait expiré dans le temps ? »

34.

Des observations écrites ont été déposées par A., les gouvernements allemand et italien, ainsi que la Commission européenne.

35.

Une audience de plaidoiries s’est tenue le 12 juin 2023, en présence de A., des gouvernements allemand et italien, ainsi que de la Commission.

IV. Analyse

36.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser l’articulation entre les règles du droit de l’Union en matière de protection internationale et la compétence des États membres en matière d’extradition. Plus précisément, il s’agit de définir l’effet que produit une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre au profit d’une personne sur une procédure d’extradition qui est conduite dans un autre État membre à l’égard de cette personne, dans l’hypothèse où la demande d’extradition émane du pays tiers que ladite personne a fui. S’agit-il d’un effet contraignant pour l’autorité de l’État membre qui est saisie de la demande d’extradition, de sorte que cette autorité serait liée dans son appréciation par une telle décision, ou bien celle-ci constitue-t-elle seulement un élément qui doit être pris en compte par ladite autorité ? Une réponse favorable à la demande d’extradition implique-t-elle que le statut de réfugié soit préalablement révoqué ? Cette juridiction se réfère, à cet égard, à l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 et à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, auxquels il me paraît pertinent d’ajouter l’article 78, paragraphe 2, TFUE ainsi que l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.

37.

À titre liminaire, je rappelle que, si, en l’absence de convention internationale à ce sujet entre l’Union et l’État tiers concerné, en l’occurrence la Turquie, les règles en matière d’extradition relèvent de la compétence des États membres, ces mêmes États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union ( 22 ).

38.

Par ailleurs, dans la mesure où A. a obtenu le statut de réfugié en Italie conformément aux règles du droit dérivé de l’Union en matière de protection internationale et qu’il a ensuite exercé son droit de circuler et de séjourner dans un État membre autre que celui qui lui a octroyé le statut de réfugié ( 23 ), la situation en cause au principal relève du droit de l’Union. Il s’ensuit que les dispositions de la Charte, en particulier l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, ont vocation à être appliquées dans le cadre de l’examen de la demande d’extradition en cause au principal.

39.

Ainsi qu’il résulte de l’article 6 de la loi relative à l’asile, la décision italienne octroyant à A. le statut de réfugié ne produit pas d’effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée en Allemagne et ne doit donc pas conduire automatiquement à un refus d’extrader. Il en irait d’ailleurs de même s’il s’agissait d’une décision d’octroi du statut de réfugié prise par une autorité allemande.

40.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi invite la Cour à lui indiquer s’il doit en aller différemment en vertu du droit de l’Union. Autrement dit, doit-on considérer que le droit de l’Union impose à un État membre de refuser d’extrader une personne aussi longtemps qu’elle bénéficie du statut de réfugié accordé par un autre État membre ?

41.

Les parties et autres intéressés à la présente procédure s’accordent sur le fait que l’existence d’une décision d’octroi du statut de réfugié dans un État membre doit jouer un rôle important dans le cadre d’une procédure d’extradition conduite dans un autre État membre. Il n’y a de désaccord que sur l’étendue exacte des effets qu’il convient de reconnaître à une telle décision.

42.

Afin de répondre à la question de savoir si une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre a un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre, il est nécessaire de préciser les obligations qui pèsent sur ce dernier État membre dans une situation relevant du droit de l’Union.

43.

Comme je l’ai indiqué précédemment, l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ont vocation à être appliqués dans le cadre de l’examen de la demande d’extradition en cause au principal. Ainsi, il incombe à l’État membre requis de vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits fondamentaux de la personne réclamée, en particulier à ceux qui sont visés à ces dispositions.

44.

Aux termes de l’article 18 de la Charte, « [l]e droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [convention de Genève] et conformément [aux traités] ». Par ailleurs, selon l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, « [n]ul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

45.

Le droit d’asile est garanti sur la base du principe de non-refoulement consacré à l’article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève. En droit de l’Union, ce principe est garanti, en tant que droit fondamental, à l’article 18 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 33 de cette convention, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ( 24 ). Le respect dudit principe s’impose également aux États membres en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95. Comme l’indique le HCR, « [l]e principe de non-refoulement, qui interdit le retour forcé de réfugiés vers un lieu où ils risquent de subir des persécutions, est la pierre angulaire du régime de protection internationale des réfugiés » ( 25 ).

46.

La Cour a jugé de manière constante depuis son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin ( 26 ), que, dans l’hypothèse où l’État membre requis envisage d’extrader une personne relevant du champ d’application du droit de l’Union à la demande d’un pays tiers, cet État membre doit vérifier que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits garantis par la Charte, notamment à son article 19, paragraphe 2 ( 27 ). En effet, les États membres ne sauraient éloigner, expulser ou extrader un étranger lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourra dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, lesquels interdisent en des termes absolus la torture ainsi que les peines et les traitements inhumains ou dégradants, quel que soit le comportement de la personne concernée, de même que l’éloignement vers un État où il existe un risque sérieux qu’une personne soit soumise à de tels traitements ( 28 ). Le droit de l’Union prévoit, à cet égard, une protection internationale des réfugiés plus étendue que celle assurée par la convention de Genève, qui permet, pour sa part, dans les hypothèses visées à son article 33, paragraphe 2, le refoulement d’un réfugié vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée ( 29 ).

47.

Il incombe également à l’État membre requis de garantir la jouissance effective du droit consacré à l’article 18 de la Charte ( 30 ). Tant que la personne réclamée peut se prévaloir de la qualité de réfugié, laquelle doit être distinguée du statut de réfugié selon la Cour ( 31 ), cet article s’oppose à ce qu’elle soit extradée vers un pays où elle risque d’être persécutée.

48.

Ainsi, le principe de non-refoulement s’oppose à ce qu’un État membre procède à l’extradition d’un ressortissant d’un pays tiers qui a obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre vers un pays où il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, en cas d’extradition, ce ressortissant serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 18 ou à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ( 32 ).

49.

Dans le cadre de son examen visant à déterminer si le principe de non-refoulement est respecté, l’État membre requis est-il lié par une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre, de sorte qu’il devrait obligatoirement refuser d’extrader la personne en cause aussi longtemps que celle-ci bénéficie de ce statut ?

50.

Je ne le pense pas, et ce pour deux raisons principales.

51.

En premier lieu, dans la mesure où le droit de l’Union, au stade actuel de son développement, ne prévoit pas de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié, il me paraît exclu qu’une décision de ce type adoptée par un État membre puisse produire un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre (section A).

52.

En second lieu, la procédure d’extradition et la procédure de révocation du statut de réfugié constituent deux procédures distinctes, de sorte qu’une extradition ne saurait être subordonnée à la révocation préalable du statut de réfugié de la personne réclamée, mais est soumise à un examen autonome et actualisé par l’autorité compétente en matière d’extradition du respect du principe de non-refoulement (section B).

53.

Toutefois, la décision d’octroi du statut de réfugié prise par un État membre constitue un élément particulièrement sérieux qui doit être pris en compte dans le cadre de la procédure d’extradition qui est conduite dans un autre État membre (section C). Je considère également que cette procédure doit être menée dans le respect du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE afin d’assurer la cohérence des décisions prises par les États membres au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ci-après l’« ELSJ »), ce qui suppose qu’un échange d’informations ait lieu entre les autorités compétentes en matière d’extradition et d’asile (section D).

A.   Sur l’absence d’un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié

54.

La question de savoir si la décision d’octroi du statut de réfugié prise par un État membre produit un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre est étroitement liée à celle de l’existence ou non d’un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié.

55.

En dehors de la présente affaire, la Cour va devoir se prononcer sur cette question dans le cadre de trois autres affaires actuellement pendantes ( 33 ). Bien que, par rapport à ces trois affaires, la présente affaire s’inscrive dans un contexte différent, qui est celui de l’extradition, toutes les quatre soulèvent la question, sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle, de l’éventuel effet obligatoire dans un État membre d’une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée dans un autre État membre. La Cour est donc invitée dans ces affaires à préciser la marge de manœuvre dont dispose soit une autorité chargée d’examiner une demande de protection internationale, soit une autorité chargée d’examiner une demande d’extradition, en présence d’une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée antérieurement par un autre État membre.

56.

Lors de l’audience, les parties et autres intéressés à la procédure ont été invités par la Cour à prendre position sur cette délicate problématique.

57.

À l’instar du gouvernement allemand et de la Commission, je considère que le droit de l’Union ne prévoit pas, au stade actuel de son développement, de principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié ( 34 ).

58.

Certes, comme l’a soutenu, en substance, le gouvernement italien, qui est favorable à la reconnaissance mutuelle de telles décisions, il pourrait être considéré que l’esprit du régime d’asile européen commun milite en faveur d’une telle reconnaissance, ce qui impliquerait qu’une décision d’octroi du statut de réfugié prise par un État membre devrait s’imposer aux autorités des autres États membres.

59.

En effet, l’article 78, paragraphe 2, sous a), TFUE prévoit l’adoption de mesures relatives à un système européen commun d’asile comportant un statut uniforme d’asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l’Union. Ainsi que le confirme le considérant 3 de la directive 2011/95, ce système, dont font partie tant cette directive que la directive 2013/32, est fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève, et l’assurance que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté ( 35 ).

60.

De plus, le régime d’asile européen commun est fondé sur le principe de confiance mutuelle ( 36 ), qui constitue lui-même le fondement et la condition du principe de reconnaissance mutuelle. Selon la Cour, le principe de confiance mutuelle impose à chacun des États membres de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit ( 37 ).

61.

Par conséquent, dans le cadre du système européen commun d’asile, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque État membre est conforme aux exigences de la Charte, de la convention de Genève ainsi que de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 38 ). Il en va ainsi, notamment, lors de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 ( 39 ), qui constitue, dans le cadre de la procédure d’asile commune établie par cette directive, une expression du principe de confiance mutuelle ( 40 ).

62.

Par ailleurs, conformément aux règles édictées par le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ( 41 ), un seul État membre statue sur une telle demande. En outre, le régime d’asile européen commun prévoit l’application, dans une large mesure, des mêmes règles d’examen des demandes quel que soit l’État membre responsable de cet examen ( 42 ). Il convient également de relever que l’objectif principal de la directive 2011/95, tel qu’il ressort de l’article 1er de cette directive et de son considérant 12, consiste à assurer que tous les États membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin d’une protection internationale et à garantir un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les États membres ( 43 ).

63.

Cette application de règles et de critères communs pourrait impliquer, comme conséquence naturelle, l’existence d’un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié, ce qui signifierait que de telles décisions devraient s’imposer aux autorités de tous ces États. Cela pourrait alors avoir pour effet d’empêcher une autorité compétente en matière de détermination de s’écarter de la conclusion à laquelle est parvenue l’autorité ayant accordé antérieurement à une personne le statut de réfugié dans un autre État membre. Cela pourrait également avoir pour effet d’empêcher une autorité saisie d’une demande d’extradition de répondre favorablement à une telle demande, l’idée sous-jacente étant que, en acceptant l’extradition d’une personne qui s’est vu octroyer le statut de réfugié dans un autre État membre, cette autorité priverait de facto celle-ci de ce statut.

64.

Or, force est de constater que le législateur de l’Union n’a pas encore complètement concrétisé, en prévoyant un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié et en précisant les modalités de mise en œuvre de ce principe, l’objectif vers lequel tend l’article 78, paragraphe 2, sous a), TFUE, à savoir un statut uniforme d’asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l’Union. Le droit primaire de l’Union prévoit ainsi la mise en place progressive du système européen commun d’asile, qui doit s’opérer par étapes pour aboutir, à terme, à un statut uniforme d’asile valable dans toute l’Union ( 44 ). Ainsi que le gouvernement allemand et la Commission l’ont soutenu, le régime d’asile européen commun fait l’objet d’une construction progressive et il revient au seul législateur de l’Union de décider, le cas échéant, d’attribuer un effet contraignant transfrontière aux décisions d’octroi du statut de réfugié.

65.

Il importe, sur ce point, de souligner que, si la confiance mutuelle est le socle nécessaire à la reconnaissance mutuelle des décisions adoptées par les autorités compétentes des États membres dans le cadre de l’ELSJ, cette confiance n’est toutefois pas suffisante si elle n’est pas accompagnée d’une prévision explicite dans le droit primaire ou d’une volonté expresse du législateur de l’Union d’imposer aux États membres une telle reconnaissance. À cet égard, je ne relève dans les directives 2011/95 et 2013/32 aucune mention expresse d’un principe de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi d’une protection internationale. J’observe également que, lorsque ce législateur souhaite poser un tel principe dans un domaine relevant de l’ELSJ, il le fait de façon explicite ( 45 ).

66.

Je note d’ailleurs que la Cour européenne des droits de l’homme retient également le caractère non automatique de la reconnaissance mutuelle des décisions en matière d’asile ( 46 ).

67.

Il découle, selon moi, des éléments qui précèdent qu’une autorité d’un État membre en matière de détermination qui est saisie d’une demande de protection internationale et qui fait le choix de ne pas se prévaloir de la faculté qui lui est offerte par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 de considérer une telle demande comme irrecevable lorsqu’une protection internationale a été accordée par un autre État membre ( 47 ) n’est pas liée par une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre. Cette autorité doit alors examiner cette demande au fond, conformément aux dispositions des directives 2011/95 et 2013/32, et vérifier si le demandeur satisfait aux conditions matérielles d’octroi de cette protection, en se livrant à un examen autonome dont le résultat ne saurait être prédéterminé par la décision d’octroi du statut de réfugié prise antérieurement par un autre État membre. En effet, aucune disposition de la directive 2011/95 ou de la directive 2013/32 n’oblige les États membres à accorder à une personne le statut de réfugié au seul motif qu’un autre État membre a déjà accordé ce statut à cette personne.

68.

La même conclusion s’impose, à mon avis, lorsqu’un État membre se trouve dans l’impossibilité, en application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. ( 48 ), de se prévaloir de la faculté prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 de déclarer une demande de protection internationale comme étant irrecevable ( 49 ). Je relève, à cet égard, que ni cette directive ni la directive 2011/95 ne prévoient de dérogation à l’obligation pour un État membre d’examiner une demande de protection internationale au motif qu’un autre État membre a octroyé à une personne le statut de réfugié, lorsque cette demande ne peut être considérée comme étant irrecevable.

69.

Cette solution est conforme à la règle selon laquelle l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire s’effectue au terme d’un examen individuel, complet et actualisé du besoin de protection internationale. En effet, il découle de l’article 4, paragraphe 1, seconde phrase, de la directive 2011/95 et de l’article 10, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 que, en coopération avec le demandeur, l’État membre procède à un examen approprié de la demande, de manière individuelle, objective et impartiale, sur la base d’informations précises et actualisées. S’il résulte de cet examen que le demandeur satisfait aux normes minimales établies par le droit de l’Union pour bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, dès lors qu’il remplit les conditions prévues respectivement aux chapitres II et III ou aux chapitres II et V de la directive 2011/95, les États membres sont tenus, eu égard aux articles 13 et 18 de cette directive et sous réserve des causes d’exclusion prévues par celle-ci, d’octroyer la protection internationale sollicitée. Ils ne disposent d’aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard ( 50 ). En outre, conformément à ce qui est indiqué au considérant 12 de la directive 2011/95, le statut de réfugié est destiné aux personnes qui ont « réellement besoin de protection internationale ».

70.

Il résulte de ce qui précède que les autorités de l’État membre dans lequel une demande de protection internationale est introduite ne sont pas tenues de reconnaître au demandeur le statut de réfugié sans examiner au fond cette demande afin de vérifier si les conditions matérielles d’octroi de la protection internationale énoncées par la directive 2011/95 sont remplies.

71.

Cette interprétation est corroborée par l’objectif visant à limiter les mouvements secondaires ( 51 ), lesquels seraient susceptibles d’être encouragés si les bénéficiaires d’une protection internationale dans un État membre pouvaient compter sur le fait que la décision qui leur reconnaît cette protection a également un effet contraignant pour les autorités des autres États membres.

72.

J’ajoute que la possibilité, prévue à l’article 3 de la directive 2011/95, pour les États membres d’examiner les demandes de protection internationale et d’octroyer le statut de réfugié dans des conditions plus favorables que celles prévues par cette directive peut paraître incompatible avec l’existence d’une reconnaissance mutuelle des décisions d’octroi de ce statut ( 52 ). Ainsi que le gouvernement allemand l’a relevé lors de l’audience, si l’on admettait qu’une décision positive en matière d’asile doit également être reconnue par les autres États membres, celui qui a adopté cette décision pourrait imposer à ces États membres ses dispositions plus favorables.

73.

L’ensemble de ces éléments me conduisent donc à considérer que le droit de l’Union ne prévoit pas, au stade actuel de son développement, de reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions d’octroi du statut de réfugié. Il s’ensuit qu’une telle décision prise par un État membre ne saurait avoir d’effet contraignant pour les autorités d’un autre État membre qui sont compétentes en matière de détermination.

74.

Or, j’estime que, si une autorité d’un État membre qui est compétente pour examiner une demande de protection internationale à propos d’une personne ayant déjà obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre n’est pas liée par l’évaluation retenue par ce dernier en raison de l’absence d’effet contraignant de la décision d’octroi de ce statut, il ne saurait en aller autrement, en vertu du droit de l’Union, s’agissant d’une autorité qui est compétente pour examiner une demande d’extradition. En l’état actuel du droit de l’Union, il n’existe donc pas non plus d’automatisme qui interdirait à un État membre d’extrader un ressortissant de pays tiers vers son pays d’origine au seul motif que ce ressortissant s’est vu accorder le statut de réfugié dans un autre État membre.

75.

S’agissant, plus particulièrement, de la question de savoir si une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre a un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre, les dispositions du droit dérivé de l’Union qui sont mentionnées par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle ne permettent pas, à mon avis, de retenir une position différente. En effet, aucune de ces dispositions ne consacre ni n’écarte explicitement un tel effet.

76.

Cette juridiction se réfère ainsi à l’article 9 de la directive 2013/32, dont le paragraphe 1 accorde au demandeur de protection internationale un droit de rester dans l’État membre au cours de la procédure d’examen de sa demande. L’article 9, paragraphe 2, de cette directive autorise les États membres à prévoir une exception à ce droit dans les cas qui y sont visés, dont notamment celui d’une extradition du demandeur vers un État tiers. Une telle extradition est alors subordonnée, conformément à l’article 9, paragraphe 3, de ladite directive, à la condition que les autorités de l’État membre concerné s’assurent que la décision d’extradition n’entraînera pas de refoulement direct ou indirect en violation des obligations internationales et à l’égard de l’Union incombant à cet État membre.

77.

Je relève que ces dispositions concernent seulement le cas d’une extradition au cours de la procédure d’examen d’une demande de protection internationale, sans régir le cas d’une extradition après l’octroi de cette protection par un État membre. Il ne saurait donc, selon moi, en être tiré de conclusion en faveur ou bien à l’encontre d’un effet contraignant d’une décision d’octroi du statut de réfugié dans le cadre d’une procédure d’extradition. L’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32 prévoit une exception au droit de rester dans un État membre lors de l’examen d’une demande de protection internationale, à condition que le principe de non-refoulement soit respecté. Cela ne saurait être interprété comme une impossibilité d’extrader une fois que la protection internationale a été accordée. Autrement dit, comme l’indique à juste titre le gouvernement allemand, il ne saurait être déduit de la possibilité explicite de procéder à une extradition pendant la procédure d’asile en cours qu’il serait exclu d’y procéder après l’adoption d’une décision d’octroi d’une protection internationale. De plus, le fait que le législateur de l’Union n’ait pas abordé cette question lors de la refonte de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ( 53 ), qui a été opérée par la directive 2013/32, tend à indiquer qu’il n’avait pas l’intention de réglementer, en ce qui concerne l’extradition, la période postérieure à la clôture de la procédure d’asile.

78.

La lecture combinée des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 de cette directive conduit à considérer que l’extradition vers le pays d’origine d’une personne demandant une protection internationale ne peut avoir lieu sans procédure d’examen au fond préalable ( 54 ). Le seul élément utile dans le cadre de la présente procédure qui peut être tiré de ces dispositions, qui ne font en l’occurrence que préciser une obligation qui peut déjà être déduite de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, est, dès lors, qu’une extradition est avant tout soumise au respect du principe de non-refoulement.

79.

Ce principe est d’ailleurs également énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95, qui est aussi mentionné par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle. Or, il ne découle pas non plus expressément de cette disposition qu’une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre aurait un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition conduite dans un autre État membre.

80.

Par ailleurs, il convient d’observer que les directives 2011/95 et 2013/32 ne contiennent aucun mécanisme de réadmission dans l’État membre ayant octroyé une protection internationale, tel que celui qui est prévu à l’article 12, paragraphes 3 bis et 3 ter, de la directive 2003/109, lorsqu’un ressortissant de pays tiers résident de longue durée dans un État membre autre que celui qui lui a accordé cette protection fait l’objet d’une décision d’éloignement. Ces dispositions, dont le but est, selon le considérant 10 de cette directive, de protéger le bénéficiaire d’une protection internationale ayant acquis le statut de résident de longue durée dans un État membre contre le refoulement lorsque cette personne fait l’objet d’une décision d’éloignement pour un motif prévu par ladite directive, n’ont pas vocation à régir la situation particulière que constitue une demande d’extradition. Elles ne peuvent donc pas être invoquées pour soutenir que l’octroi, par un État membre, du statut de réfugié au ressortissant d’un pays tiers devrait, en principe, s’opposer à ce qu’un autre État membre réponde favorablement à une demande d’extradition de ce ressortissant vers ce pays tiers tant que la personne réclamée dispose de ce statut.

81.

L’absence de caractère contraignant d’une décision d’octroi du statut de réfugié prise par un État membre dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre est corroborée par le constat selon lequel cette procédure et la procédure de révocation du statut de réfugié constituent deux procédures distinctes, de sorte qu’une extradition ne saurait être subordonnée à la révocation préalable du statut de réfugié de la personne réclamée.

B.   La procédure d’extradition et la procédure de révocation du statut de réfugié constituent deux procédures distinctes : l’extradition n’est donc pas subordonnée à la révocation préalable du statut de réfugié

82.

Le gouvernement italien soutient, en substance, que l’extradition par un État membre d’une personne ayant obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre constituerait une révocation de fait de ce statut et un contournement des règles prévues à cet égard par la directive 2011/95. Une telle extradition serait donc subordonnée à la révocation préalable dudit statut.

83.

Les articles 11, 12 et 14 de la directive 2011/95 énoncent des règles relatives à la cessation, à l’exclusion ainsi qu’à la révocation, la fin du statut de réfugié ou le refus de le renouveler par l’État membre qui l’a octroyé. Selon la thèse défendue par ce gouvernement, il pourrait être considéré que l’extradition d’un réfugié implique, de facto, une cessation de la protection inhérente à ce statut. Si l’autorité compétente d’un État membre pouvait autoriser l’extradition d’un réfugié reconnu comme tel dans un autre État membre au motif qu’il ne courrait pas ou plus, dans l’État tiers d’origine, de risque de persécutions, elle se substituerait de fait aux autorités compétentes de cet autre État membre.

84.

Il s’ensuit que l’autorité statuant sur la demande d’extradition ne pourrait pas répondre favorablement à cette demande avant d’avoir obtenu de l’autorité compétente de l’État membre ayant octroyé la protection internationale qu’elle révoque cette protection.

85.

Devant la Cour, le gouvernement allemand comme la Commission ont, quant à eux et à juste titre selon moi, mis l’accent sur la distinction entre la qualité et le statut de réfugié. Ils ont, en particulier, insisté sur le fait que la perte du statut de réfugié n’emporte pas nécessairement celle de la qualité de réfugié.

86.

Il convient, à cet égard, d’indiquer que la reconnaissance du statut de réfugié en application de la directive 2011/95 a, ainsi qu’il ressort du considérant 21 de celle-ci, un caractère déclaratif et non pas constitutif de la qualité de réfugié ( 55 ). Ainsi, dans le système mis en place par la directive 2011/95, un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride remplissant les conditions matérielles figurant au chapitre III de cette directive dispose, de ce seul fait, de la qualité de réfugié, au sens de l’article 2, sous d), de ladite directive et de l’article 1er, section A, de la convention de Genève ( 56 ). La qualité de « réfugié », au sens de ces dispositions, ne dépend donc pas de la reconnaissance formelle de cette qualité par l’octroi du « statut de réfugié », au sens de l’article 2, sous e), de la directive 2011/95, lu en combinaison avec l’article 13 de cette dernière ( 57 ).

87.

Une conséquence de cette distinction entre le statut et la qualité de réfugié est que la circonstance que la personne concernée relève de l’une des hypothèses visées à l’article 14, paragraphes 4 et 5, de la directive 2011/95, dans lesquelles les États membres peuvent procéder à la révocation ou au refus d’octroi du statut de réfugié, ne signifie pas pour autant que celle-ci cesse de répondre aux conditions matérielles dont dépend la qualité de réfugié, relatives à l’existence d’une crainte fondée de persécution dans son pays d’origine ( 58 ). Dès lors, la révocation ou le refus d’octroi du statut de réfugié n’a pas pour effet de priver le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné qui remplit les conditions matérielles de l’article 2, sous d), de cette directive, lu en combinaison avec les dispositions du chapitre III de celle-ci, de la qualité de réfugié, au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, et donc de l’exclure de la protection internationale que l’article 18 de la Charte impose de lui garantir dans le respect de cette convention ( 59 ).

88.

Il convient également de bien distinguer la procédure pouvant conduire un État membre à révoquer le statut de réfugié et celle consistant à évaluer le respect du principe de non-refoulement dans le cadre d’une procédure d’éloignement. Ainsi, conformément au droit de l’Union, l’autorité compétente peut être en droit de révoquer le statut de réfugié octroyé à un ressortissant d’un pays tiers, sans toutefois être nécessairement autorisée à éloigner celui-ci vers son pays d’origine ( 60 ). Il s’ensuit, selon la Cour, que la révocation du statut de réfugié, en application de l’article 14, paragraphe 4, de la directive 2011/95, ne saurait être regardée comme impliquant une prise de position à l’égard de la question distincte de savoir si cette personne peut être éloignée vers son pays d’origine ( 61 ). C’est pourquoi les conséquences, pour le ressortissant concerné d’un pays tiers, d’un éventuel retour de celui-ci dans son pays d’origine ont vocation à être prises en considération non pas lors de l’adoption de la décision de révoquer le statut de réfugié, mais, le cas échéant, lorsque l’autorité compétente envisage d’adopter une décision de retour à l’égard de ce ressortissant d’un pays tiers ( 62 ).

89.

Ce que la Cour a ainsi jugé à propos du cas de révocation du statut de réfugié prévu à l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95 et d’une décision de retour en vertu de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 63 ), peut, à mon avis, être étendu à d’autres cas de révocation de ce statut, tels que celui qui figure à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2011/95, dont le point a) vise spécifiquement l’hypothèse dans laquelle le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 de cette directive, ainsi qu’au domaine de l’extradition.

90.

La distinction qu’il convient ainsi d’effectuer entre la procédure pouvant conduire à la révocation du statut de réfugié, d’une part, et la procédure visant à examiner la compatibilité d’une extradition avec le principe de non-refoulement, d’autre part, implique, selon moi, qu’une réponse favorable à une demande d’extradition ne saurait être subordonnée à la révocation préalable du statut de réfugié dont bénéficie la personne réclamée. On peut y ajouter une exigence de célérité dans le traitement d’une demande d’extradition, laquelle peut paraître incompatible avec l’engagement d’une procédure de révocation préalable du statut de réfugié ( 64 ).

91.

Il s’ensuit que ce n’est pas le statut de réfugié, en tant que tel, qui protège celui qui en bénéficie contre l’extradition, mais le principe de non-refoulement, lequel est consacré sous différentes formes par l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte.

92.

Ainsi, il est possible que l’autorité d’un État membre qui est compétente en matière d’extradition décide d’adopter une décision d’extradition de la personne réclamée, alors même que le statut de réfugié dont bénéficie cette personne dans un autre État membre n’a pas été révoqué par l’autorité qui l’a accordé. Dans la mesure où le principe de non-refoulement est respecté, la conservation d’un tel statut ne saurait avoir pour effet, en l’état actuel du droit de l’Union, d’empêcher une autorité d’extrader la personne en cause, sauf à violer les obligations qui s’imposent à elle en vertu de la convention européenne d’extradition.

93.

Contrairement à ce que le gouvernement italien a soutenu dans le cadre de la présente procédure, lorsqu’elle décide de répondre favorablement à une demande d’extradition concernant une personne ayant obtenu le statut de réfugié dans un autre État membre, dans la mesure notamment où elle estime que l’extradition de cette personne ne va pas à l’encontre du principe de non-refoulement, l’autorité de l’État membre requis ne vient pas se substituer à l’autorité qui est compétente pour révoquer ce statut dans l’autre État membre. En effet, seule cette dernière est habilitée, le cas échéant, à décider de la cessation ou du retrait du statut de réfugié en application des articles 11, 12 et 14 de la directive 2011/95. C’est donc bien à l’État membre qui a octroyé le statut de réfugié de tirer les conséquences sur la conservation ou non de ce statut des éléments révélés par la demande d’extradition et de ceux recueillis dans le cadre de la procédure d’extradition.

94.

Il n’y a, dès lors, pas de risque de contournement des règles prévues à ces articles, car, comme le gouvernement allemand et la Commission l’ont souligné à juste titre, les procédures d’asile et d’extradition sont indépendantes et distinctes l’une de l’autre. Elles poursuivent des objectifs différents et sont conduites au sein des États membres par des autorités différentes. Dans le cadre de la procédure d’extradition, l’autorité compétente ne se prononce pas sur l’octroi ou le retrait du statut de réfugié. Elle apprécie, dans un cadre procédural distinct, s’il existe des obstacles à l’extradition, tels qu’un risque qu’une demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun ait été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations, notamment, d’opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d’être aggravée pour cette raison.

95.

Dans ce cadre procédural distinct, l’autorité compétente en matière d’extradition doit se livrer à un examen autonome et actualisé du respect du principe de non-refoulement. En effet, même si une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre n’a pas d’effet contraignant sur l’autorité chargée d’examiner une demande d’extradition dans un autre État membre, il n’en reste pas moins que la procédure d’extradition doit être menée dans le respect du droit d’asile consacré à l’article 18 et à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte. Les garanties juridiques dont dispose la personne réclamée dans l’affaire au principal en vertu tant de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne d’extradition que de l’article 6, paragraphe 2, de l’IRG présentent, à cet égard, un lien étroit avec le principe de non-refoulement ( 65 ). L’extradition ne peut donc être décidée que si le besoin de protection internationale a disparu. En garantissant une protection de la personne réclamée contre le refoulement, le droit de l’extradition n’est pas seulement un « droit de la répression » ( 66 ), mais également, à l’instar du droit des réfugiés, un « droit de la protection ».

96.

Ainsi, que le statut de réfugié antérieurement octroyé soit encore en vigueur ou non au moment de statuer sur une demande d’extradition ne modifie pas l’obligation qui pèse sur l’autorité qui est chargée de statuer sur cette demande, à savoir vérifier si le principe de non-refoulement s’oppose ou pas à l’extradition de la personne réclamée. En d’autres termes, la vérification du respect de ce principe a un caractère autonome et relève de la compétence de l’autorité chargée de se prononcer sur la demande d’extradition, sans qu’elle puisse l’abandonner, y compris en cas de révocation préalable du statut de réfugié ( 67 ).

97.

J’ajoute que, dans la mesure où l’autorité d’un État membre qui est compétente pour statuer sur une demande d’extradition est tenue de procéder à un examen autonome et actualisé du respect du principe de non-refoulement, cela me paraît incompatible avec un effet obligatoire d’une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par une autorité d’un autre État membre. En effet, un tel effet obligatoire ferait disparaître le pouvoir d’appréciation dont doit disposer l’autorité compétente en matière d’extradition. Par ailleurs, une appréciation actualisée du respect du principe de non-refoulement serait impossible si cette autorité était liée par l’appréciation portée antérieurement, parfois plusieurs années plus tôt, par une autorité compétente en matière d’asile dans un autre État membre. Il convient également de garder à l’esprit qu’une demande d’extradition peut faire apparaître de nouveaux éléments de nature à justifier une appréciation différente du risque de persécutions encouru par la personne réclamée.

98.

Cela étant, il existe incontestablement un lien entre, d’une part, la procédure d’extradition, dans le cadre de laquelle il convient de vérifier si l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ne font pas obstacle à l’extradition de la personne réclamée vers son pays d’origine, et, d’autre part, la procédure ayant conduit à octroyer antérieurement à cette même personne le statut de réfugié. Par conséquent, si, pour les raisons que j’ai exposées, la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre ne lie pas l’autorité d’un autre État membre qui doit statuer sur une demande d’extradition, il n’en reste pas moins qu’une telle décision doit être dûment prise en considération par cette autorité dans le cadre de son examen du respect du principe de non-refoulement.

C.   La décision d’octroi du statut de réfugié constitue un élément particulièrement sérieux qui doit être pris en compte par l’autorité compétente en matière d’extradition

99.

La problématique relative à la prise en compte d’une décision d’octroi du statut de réfugié dans le cadre d’une procédure d’extradition a déjà été abordée par la Cour dans une précédente affaire, qui soulevait une question relative à l’extradition, par un État membre vers la Fédération de Russie, d’un ressortissant russo-islandais qui s’était vu accorder l’asile en Islande avant d’acquérir la nationalité de cet État. Il s’agit de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ruska Federacija.

100.

Dans cet arrêt, la Cour a jugé, notamment, que l’État membre requis devait examiner si l’extradition était compatible avec l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, lu en combinaison avec l’article 4 de celle-ci, dès lors que le ressortissant islandais se prévalait d’un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d’extradition ( 68 ). La Cour a rappelé que, à cette fin, cet État membre, conformément à l’article 4 de la Charte qui interdit les peines ou les traitements inhumains ou dégradants, ne saurait se limiter à prendre en considération les seules déclarations de l’État tiers requérant ou l’acceptation, par ce dernier État, de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux. L’autorité compétente de l’État membre requis doit se fonder, aux fins de cette vérification, sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, éléments pouvant résulter, notamment, de décisions judiciaires internationales, telles que des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, de décisions judiciaires de l’État tiers requérant ainsi que de décisions, de rapports et d’autres documents établis par les organes du Conseil de l’Europe ou relevant du système des Nations unies ( 69 ).

101.

La Cour a également considéré que la circonstance que la personne réclamée s’était vu accorder, par la République d’Islande, l’asile au motif qu’elle courrait un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine constituait un élément particulièrement sérieux dont l’autorité compétente de l’État membre requis devait tenir compte aux fins de la vérification que l’extradition ne porterait pas atteinte aux droits garantis par la Charte, notamment à son article 19, paragraphe 2 ( 70 ).

102.

La Cour a ensuite précisé les conséquences que l’autorité compétente de l’État membre requis devait tirer d’une décision des autorités islandaises ayant accordé l’asile à la personne réclamée.

103.

Ainsi, selon la Cour, en l’absence de circonstances spécifiques, dont, notamment, une évolution importante de la situation dans l’État tiers requérant ou encore des éléments sérieux et fiables tendant à démontrer que la personne dont l’extradition est requise s’était vu accorder l’asile en dissimulant le fait qu’elle faisait l’objet de poursuites pénales dans son pays d’origine, l’existence d’une telle décision doit conduire l’autorité compétente de l’État membre requis à refuser l’extradition, en application de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ( 71 ).

104.

J’observe que la présente affaire s’inscrit dans un contexte factuel et juridique différent, de sorte qu’il y a lieu d’examiner si la même solution, consistant à attribuer, dans le cadre d’une procédure d’extradition, une forte valeur d’indice d’un risque de violation du principe de non-refoulement à la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par l’autorité compétente d’un autre État membre, devrait être retenue.

105.

En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ruska Federacija, l’asile avait été accordé par la République d’Islande. Or, si celle-ci participe au système de « Dublin » en ce qui concerne les critères et mécanismes permettant de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ( 72 ), elle n’applique pas les directives 2011/95 et 2013/32 qui font l’objet de la question posée dans la présente affaire ( 73 ).

106.

Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer l’effet que produit, conformément au droit de l’Union, dans le cadre d’une procédure d’extradition conduite dans un État membre, une décision par laquelle les autorités compétentes d’un autre État membre ont octroyé le statut de réfugié en application des règles et critères communs du droit de l’Union relatif à la protection internationale. À mon avis, la circonstance que cette question se pose entre deux États membres, qui sont tenus de mettre en œuvre le droit dérivé de l’Union en matière de protection internationale et donc de respecter les règles et critères communs prévus par ce droit, doit conduire à considérer que la solution retenue par la Cour dans son arrêt Ruska Federacija est valable à plus forte raison dans un tel contexte. Autrement dit, si la Cour a reconnu l’importance de prendre en compte dans la procédure d’extradition menée par un État membre la décision d’octroi de l’asile prise par la République d’Islande, il doit en aller a fortiori de même en ce qui concerne la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre.

107.

Je relève d’ailleurs que, si, pour les raisons que j’ai exposées précédemment, une autorité d’un État membre qui est compétente pour statuer sur une demande d’extradition ne saurait être liée par une décision d’octroi du statut de réfugié prise par un autre État membre, il serait assurément à contre-courant du processus tendant à l’édification d’un système européen commun d’asile, conformément à ce que prévoit l’article 78, paragraphe 2, TFUE, de considérer qu’un État membre pourrait faire abstraction, dans le cadre d’une procédure d’extradition, d’une décision d’un autre État membre octroyant le statut de réfugié à la personne réclamée. Au contraire, c’est l’esprit de coopération et de confiance mutuelle entre les autorités des États membres qui devrait prévaloir ( 74 ), dans la mesure où l’octroi par un État membre d’une protection internationale à la personne réclamée constitue une indication importante que celle-ci est une personne politiquement persécutée ( 75 ) et où la procédure d’extradition doit être menée dans le respect du droit d’asile consacré à l’article 18 de la Charte.

108.

Il découle de ce qui précède que, afin de vérifier si l’extradition ne porte pas atteinte au principe de non-refoulement, l’autorité compétente de l’État membre requis doit tenir compte de la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre, qui constitue un élément particulièrement sérieux aux fins de cette vérification ( 76 ). Ainsi, bien que cette autorité, dans l’affaire au principal, conserve son pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’examen autonome et actualisé des conditions prévues à l’article 6, paragraphe 2, de l’IRG et à l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la convention européenne d’extradition qu’elle est tenue d’effectuer, elle doit établir les circonstances spécifiques qui l’amèneraient à s’écarter de l’évaluation opérée par l’autorité italienne ayant octroyé antérieurement le statut de réfugié à la personne réclamée.

109.

L’objectif vers lequel doit tendre le système européen commun d’asile, conformément à ce qui est prévu à l’article 78, paragraphe 2, TFUE, milite dès lors en faveur d’une obligation pour l’autorité de l’État membre requis de prendre dûment en considération la décision d’octroi du statut de réfugié prise par un autre État membre et de ne s’écarter de celle-ci qu’en présence de circonstances spécifiques. En effet, lorsque de telles circonstances sont présentes, le principe de non-refoulement n’est pas violé puisque la personne en cause ne peut plus se prévaloir de la qualité de réfugié.

110.

L’interprétation que je suggère à la Cour de retenir, dans la lignée de son arrêt Ruska Federacija, me paraît en adéquation avec la manière dont il convient d’envisager l’effet extraterritorial de la convention de Genève. Il résulte, en effet, de la note d’orientation du HCR que « le statut de réfugié de la personne réclamée [qui a été octroyé dans un pays autre que l’État requis] est un élément important et doit être pris en compte par les instances d’extradition de l’État requis lorsqu’elles cherchent à établir si l’extradition serait compatible avec le principe de non-refoulement » ( 77 ). Le HCR semble appréhender l’effet extraterritorial du statut de réfugié en ce sens que ce statut octroyé par un État partie à cette convention « ne doit être remis en question par un autre État partie que dans des cas exceptionnels s’il apparaît que l’intéressé ne remplit manifestement pas les conditions requises par [ladite convention], par exemple s’il est découvert des faits indiquant que les déclarations initialement faites étaient frauduleuses ou montrant que l’intéressé tombe sous le coup d’une des clauses d’exclusion prévues par la [même convention] » ( 78 ).

111.

Compte tenu de l’importance que l’État membre requis doit, dans le cadre de son examen autonome et actualisé du respect du principe de non-refoulement, accorder à la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre, un échange d’informations doit avoir lieu entre les autorités compétentes de ces deux États membres ( 79 ). Cet échange d’informations, qui est requis en vertu du principe de coopération loyale entre les États membres, est également de nature à assurer la cohérence des décisions au sein de l’ELSJ.

D.   L’examen par l’autorité compétente de l’État membre requis du respect du principe de non-refoulement doit être effectué dans le respect du principe de coopération loyale et de l’exigence de cohérence des décisions au sein de l’ELSJ

112.

L’effet probatoire qu’il convient d’attribuer à une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre autre que celui qui doit examiner une demande d’extradition implique que, même à défaut de caractère juridiquement contraignant d’une telle décision, l’autorité qui est chargée d’apprécier s’il convient de répondre favorablement à une telle demande est tenue de mener toutes les investigations nécessaires afin de déterminer si la personne réclamée encourt un risque de persécutions dans l’État requérant, de sorte qu’elle peut encore se prévaloir de sa qualité de réfugié, et si d’autres droits fondamentaux de cette personne sont menacés ( 80 ). Il s’ensuit que l’autorité compétente en matière d’extradition doit entrer en contact avec l’autorité qui a octroyé à la personne réclamée le statut de réfugié afin d’obtenir de la part de celle-ci les informations nécessaires qui sont en sa possession. En outre, dans la mesure où la phase relative à la procédure d’asile est gérée par du personnel spécialisé et ayant des connaissances détaillées en la matière, il est important que l’autorité compétente en matière d’extradition sollicite l’avis de l’autorité qui a adopté la décision d’octroi du statut de réfugié.

113.

J’ajoute que l’examen relatif au respect du principe de spécialité ne dispense pas l’autorité compétente en matière d’extradition de vérifier, en prenant connaissance du dossier d’asile et en entamant un dialogue avec l’autorité ayant octroyé le statut de réfugié, si la personne réclamée peut encore se prévaloir de la qualité de réfugié. L’autorité compétente en matière d’extradition dans l’affaire au principal doit donc, dans un premier temps, examiner de façon approfondie s’il existe une menace de persécution, conformément à ce que prévoit l’article 6, paragraphe 2, l’IRG, et, dans un second temps, vérifier si le principe de spécialité ou d’éventuelles assurances sont de nature à remédier efficacement à une telle menace ( 81 ). À cette fin, les éléments factuels recueillis dans le cadre de la procédure d’asile doivent être pris en compte par cette autorité dans son examen de la demande d’extradition. Le contenu d’un dossier d’asile peut, à cet égard, fournir une indication du degré de crédibilité des assurances données par l’État requérant, par exemple en révélant des éléments laissant supposer qu’il ne faut pas s’attendre dans des cas individuels au respect des assurances données ( 82 ).

114.

Dans le cadre d’un examen rigoureux des assurances données par l’État requérant, l’État requis doit s’assurer, comme je l’ai indiqué précédemment, que, sous couvert de poursuivre un crime de droit commun, l’État requérant ne vise pas, en réalité, à poursuivre une infraction politique ou à persécuter la personne réclamée pour un motif politique. À cet égard, la circonstance que la demande d’extradition provient de l’État d’origine de la personne réclamée, contre lequel une protection a été jugée nécessaire lors de l’octroi à cette personne du statut de réfugié, appelle une vigilance particulière. Cela suppose que l’État requérant fournisse des assurances rigoureuses et solides de l’absence d’aggravation du risque, au sens de ce qu’exige l’article 3, paragraphe 2, de la convention européenne d’extradition.

115.

La nécessité de garantir la cohérence des décisions adoptées au sein de l’ELSJ requiert également qu’un échange d’informations ait lieu entre l’autorité compétente en matière d’extradition et l’autorité qui a octroyé à la personne réclamée le statut de réfugié, conformément au principe de coopération loyale ( 83 ).

116.

Un tel échange d’informations peut notamment être utile lorsque les éléments révélés par une demande d’extradition sont susceptibles de conduire l’autorité qui a octroyé le statut de réfugié à retirer ce statut à la personne réclamée, par exemple lorsque ces éléments font apparaître l’existence d’un cas d’exclusion de ce statut ( 84 ). La communication à cette autorité par l’autorité chargée d’examiner la demande d’extradition de toutes les informations nécessaires s’avère alors d’autant plus nécessaire que l’article 45, paragraphe 3, de la directive 2013/32 prévoit que la décision de l’autorité compétente visant à retirer la protection internationale indique les arguments de fait et de droit sur lesquels cette décision est fondée. Cette autorité doit dès lors disposer de l’ensemble des informations pertinentes afin de pouvoir procéder, au regard de ces informations, à sa propre évaluation de toutes les circonstances propres au cas en cause, en vue de déterminer le sens de sa décision ainsi que de motiver celle-ci de manière complète ( 85 ).

V. Conclusion

117.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par l’Oberlandesgericht Hamm (tribunal régional supérieur de Hamm, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 78, paragraphe 2, TFUE ainsi que l’article 21, paragraphe 1, de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, et l’article 9, paragraphes 2 et 3, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’un ressortissant de pays tiers ayant obtenu le statut de réfugié dans un État membre fait l’objet, dans un autre État membre dans lequel il réside, d’une demande d’extradition émanant de son pays tiers d’origine, l’État membre requis n’est pas lié, dans le cadre de l’examen de cette demande, par la décision d’octroi de ce statut qui a été adoptée par le premier État membre, de sorte qu’il n’est pas tenu de refuser l’extradition de cette personne aussi longtemps que cette décision est en vigueur.

Toutefois, le principe de non-refoulement, qui est garanti, en tant que droit fondamental, à l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 33 de la convention relative au statut des réfugiés, telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, ainsi qu’à l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, impose à l’État membre requis de refuser l’extradition de la personne réclamée dès lors que, au terme d’un examen autonome et actualisé du respect de ce principe, cet État membre considère qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne encourra dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par ces dispositions de la charte des droits fondamentaux.

Dans le cadre de cet examen, la décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un autre État membre constitue un élément particulièrement sérieux dont l’État membre requis doit tenir compte aux fins de la vérification que l’extradition ne portera pas atteinte aux droits garantis par l’article 18 et l’article 19, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux. À cette fin et en vue d’assurer la cohérence des décisions adoptées au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, un échange d’informations doit avoir lieu entre les autorités compétentes de ces États membres, conformément au principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Voir Chetail, V., « Les relations entre le droit de l’extradition et le droit des réfugiés : étude de l’article 1F(B) de la convention de Genève du 28 juillet 1951 », dans Chetail, V., et Laly-Chevalier, C., Asile et extradition – Théorie et pratique de l’exclusion du statut de réfugié, Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 65 à 91, en particulier p. 65. Cet auteur explique que, « [d]’un point de vue historique, le droit de l’extradition a façonné les catégories juridiques du droit des réfugiés à l’issue d’un long processus normatif qui connaît son apogée au XIXe siècle [...] En fait comme en droit, l’asile fut longtemps conçu dans les rapports interétatiques comme une exception à la règle de l’extradition. Le principe de non-extradition des délinquants politiques constituait alors la manifestation la plus visible de l’asile, le refus d’extrader exprimant la protection conférée au réfugié par son État d’accueil ». Ainsi, « [l]e principe de non-extradition pour crime politique représente à bien des égards la matrice conceptuelle et normative de ce qui deviendra plus tard le droit international des réfugiés. Son apport est double. Il porte sur les deux concepts fondateurs du droit contemporain des réfugiés que sont la définition du réfugié et le principe de non-refoulement ».

( 3 ) Voir Chetail, V., op. cit., p. 66. Lesdites deux branches du droit « disposent désormais de fondements juridiques distincts, de procédures spécifiques et d’un objet qui leur est propre ».

( 4 ) Voir, sur la protection des droits fondamentaux dans le domaine de l’extradition, Costa, M. J., « Human Rights », Extradition Law : Reviewing Grounds for Refusal from the Classic Paradigm to Mutual Recognition and Beyond, Brill Nijhoff, Leiden, 2019, p. 73 à 114.

( 5 ) Voir Chetail, V., op. cit., p. 89.

( 6 ) Voir note d’orientation sur l’extradition et la protection internationale des réfugiés, avril 2008, ci-après la « note d’orientation du HCR » (point 2).

( 7 ) JO 2013, L 180, p. 60.

( 8 ) JO 2011, L 337, p. 9.

( 9 ) Ci-après la « Charte ».

( 10 ) Signée à Genève le 28 juillet 1951 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)] et entrée en vigueur le 22 avril 1954.

( 11 ) Conclu à New York le 31 janvier 1967 et entré en vigueur le 4 octobre 1967.

( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 6 juillet 2023, Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) [C‑663/21, ci-après l’« arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) , EU:C:2023:540, point 49 et jurisprudence citée].

( 13 ) Signée à Paris le 13 décembre 1957 (Série des traités du Conseil de l’Europe, no 24).

( 14 ) BGBl. 1982 I, p. 2071.

( 15 ) BGBl. 1992 I, p. 1126.

( 16 ) BGBl. 2008 I, p. 1798.

( 17 ) BGBl. 2021 I, p. 2467.

( 18 ) BGBl. 2008 I, p. 162.

( 19 ) La juridiction de renvoi précise que, s’il devait être répondu par l’affirmative à cette question, étant donné qu’il conviendrait alors de considérer que A. risque de faire l’objet de persécutions politiques, il existerait un obstacle à l’extradition conformément aux dispositions combinées de l’article 6, paragraphe 2, de l’IRG et de l’article 3, paragraphe 2, de la convention européenne d’extradition. Il y aurait lieu, dès lors, de refuser cette extradition.

( 20 ) La juridiction de renvoi cite, à cet égard, les articles 11, 12 et 14 de la directive 2011/95 ainsi que les articles 44 et 45 de la directive 2013/32.

( 21 ) Cette juridiction se réfère à l’arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija (C‑897/19 PPU, ci-après l’« arrêt Ruska Federacija , EU:C:2020:262, point 60 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir arrêt Ruska Federacija (point 48).

( 23 ) Il semble ressortir des indications fournies par le gouvernement allemand lors de l’audience qu’il s’agit d’un séjour de longue durée au titre de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 (JO 2011, L 132, p. 1) (ci-après la « directive 2003/109 »). Cette dernière directive a étendu le champ d’application de la directive 2003/109 aux bénéficiaires d’une protection internationale.

( 24 ) Voir, notamment, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 49 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir note d’orientation du HCR (point 8).

( 26 ) C‑182/15, EU:C:2016:630.

( 27 ) Voir arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 60) ; du 13 novembre 2018, Raugevicius (C‑247/17, EU:C:2018:898, point 49) ; Ruska Federacija (points 63 et 64) ; du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine) (C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 45), ainsi que du 22 décembre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Demande d’extradition vers la Bosnie-Herzégovine) (C‑237/21, EU:C:2022:1017, point 55).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 36 et jurisprudence citée).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 38 et jurisprudence citée).

( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2023, Commission/Hongrie (Déclaration d’intention préalable à une demande d’asile) (C‑823/21, EU:C:2023:504, point 52).

( 31 ) Voir arrêt du 14 mai 2019, M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, ci-après l’« arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) , EU:C:2019:403). Je reviendrai sur cet aspect dans les développements qui suivent.

( 32 ) Voir, par analogie, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 50 et jurisprudence citée). Dans le cadre d’une procédure d’extradition, la vérification du respect du principe de non-refoulement se justifie par le fait que la personne dont l’extradition est demandée pour un crime de droit commun peut être politiquement persécutée, par exemple si les poursuites pénales ne sont qu’une raison ou un prétexte pour la persécuter en raison de caractéristiques pertinentes pour l’asile.

( 33 ) Il s’agit des affaires Bundesrepublik Deutschland (Effet d’une décision d’octroi du statut de réfugié) (C-753/22) ; El Baheer (C-288/23), et Cassen (C-551/23). Ces trois affaires, ont pour point de départ des demandes de protection internationale émanant de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides, qui se sont vu chacun octroyer le statut de réfugié dans un autre État membre, à savoir la République hellénique. Dans une telle situation, l’État membre saisi de la nouvelle demande pourrait faire usage de la faculté, prévue à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32, de déclarer cette demande irrecevable en raison de l’octroi du statut de réfugié par l’autre État membre. Toutefois, une telle possibilité doit être écartée, conformément à la jurisprudence de la Cour, lorsque l’intéressé court un risque sérieux de faire l’objet, dans cet autre État membre, de traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 4 de la Charte, en raison des conditions de vie prévisibles qu’il y rencontrerait [voir arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 83 à 94), ainsi que ordonnance du 13 novembre 2019, Hamed et Omar (C‑540/17 et C‑541/17, non publiée, EU:C:2019:964, points 34 à 36)]. Ainsi, l’autorité compétente de l’État membre qui est saisi de la nouvelle demande ne saurait se fonder sur l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 pour rejeter celle-ci comme étant irrecevable. Cette autorité doit donc considérer cette demande comme étant recevable et statuer au fond sur celle-ci. Dans chacune de ces affaires, la juridiction de renvoi interroge alors la Cour sur le point de savoir si, en vertu des règles du régime d’asile européen commun, ladite autorité doit procéder à un examen autonome de la nouvelle demande ou bien si elle est obligée de reconnaître au demandeur le statut de réfugié sans vérifier les conditions de fond de cette protection, en raison du seul fait qu’un autre État membre a déjà accordé ce statut à ce demandeur.

( 34 ) Voir, notamment, sur le constat, résolution du Parlement européen, du 12 avril 2016, sur la situation en Méditerranée et sur la nécessité d’une approche globale des migrations de la part de l’Union européenne [2015/2095 (INI)], point 39. Voir, en faveur d’une évolution du droit de l’Union à ce sujet, European Council on Refugees and Exiles, Protected across borders : Mutual recognition of asylum decisions in the EU – ECRE’s assessment of legal provisions and practice on mutual recognition, and its recommendations for reforms to create a status « valid throughout the Union », 2016. Voir, également, Rasche, L., « Un nouveau départ dans la politique d’asile de l’UE », disponible à l’adresse suivante : https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2020/10/7-MIGRATION-Rasche-FR.pdf, p. 5. La reconnaissance mutuelle des décisions d’octroi du statut de réfugié est certainement indissociable d’une harmonisation plus poussée des conditions et des procédures à cet effet : voir, à cet égard, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, présentée le 13 juillet 2016, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu cette protection, et modifiant la directive 2011/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée [COM(2016) 466 final].

( 35 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 80 et jurisprudence citée).

( 36 ) Voir arrêt du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2022:103, point 37).

( 37 ) Voir, notamment, arrêt du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2022:103, point 28 et jurisprudence citée).

( 38 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950.

( 39 ) Je rappelle que, en vertu de cette disposition, un État membre peut considérer une demande de protection internationale comme irrecevable lorsqu’une telle protection a été accordée par un autre État membre.

( 40 ) Voir, notamment, arrêt du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2022:103, point 29 et jurisprudence citée).

( 41 ) JO 2013, L 180, p. 31.

( 42 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2013, Abdullahi (C‑394/12, EU:C:2013:813, points 54 et 55). Comme la Cour l’a jugé dans cet arrêt, « les règles applicables aux demandes d’asile ont été, dans une large mesure, harmonisées au niveau de l’Union, notamment, en dernier lieu, par les directives 2011/95 et 2013/32 » (point 54). Il s’ensuit, selon la Cour, qu’« un demandeur d’asile verra sa demande examinée, dans une large mesure, suivant les mêmes règles, quel que soit l’État membre responsable de l’examen de cette demande » (point 55).

( 43 ) Voir arrêts du 6 juillet 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Crime particulièrement grave) (C‑402/22, EU:C:2023:543, point 36), ainsi que du 6 juillet 2023, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Réfugié ayant commis un crime grave) (C‑8/22, EU:C:2023:542, point 42).

( 44 ) Voir, notamment, considérant 6 du règlement no 604/2013, considérants 7 et 9 à 11 de la directive 2011/95, ainsi que considérants 4 et 12 de la directive 2013/32.

( 45 ) Voir, à titre d’exemple, directive 2001/40/CE du Conseil, du 28 mai 2001, relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers (JO 2001, L 149, p. 34), dont l’objet est, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, « de permettre la reconnaissance d’une décision d’éloignement prise par une autorité compétente d’un État membre [...] à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers qui se trouve sur le territoire d’un autre État membre ». Par ailleurs, dans le domaine pénal, la règle selon laquelle les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle n’est pas seulement déduite du principe de confiance mutuelle, mais fait l’objet d’une mention expresse à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1).

( 46 ) Ainsi, à titre d’exemple, dans son arrêt du 10 décembre 2020, Shiksaitov c. Slovaquie (CE:ECHR:2020:1210JUD005675116, § 68 à 75), cette Cour répond à l’argument du requérant selon lequel sa détention serait illégale dans la mesure où, au vu de son statut de réfugié obtenu en Suède, il n’aurait pas pu faire l’objet d’une mesure d’extradition par les autorités slovaques, que ces autorités n’étaient pas liées par l’octroi de ce statut, qu’elles pouvaient notamment réexaminer au regard de l’éventuelle applicabilité d’une clause d’exclusion.

( 47 ) Lu conjointement avec le considérant 43 de la directive 2013/32, qui énonce que les États membres doivent, en principe, examiner toutes les demandes au fond, l’article 33, paragraphe 1, de cette directive prévoit une exception concrétisée par une liste exhaustive de motifs d’irrecevabilité figurant à l’article 33, paragraphe 2, de ladite directive : voir Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), Analyse juridique : Les procédures d’asile et le principe de non-refoulement, 2018, p. 113. Selon la Cour, la possibilité de déclarer une demande irrecevable conformément à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 s’explique notamment par l’importance du principe de confiance mutuelle, dont cette disposition est une expression : voir arrêts du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2022:103, points 29 et 37), ainsi que du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Enfant de réfugiés, né hors de l’État d’accueil) (C‑720/20, EU:C:2022:603, point 50). Il s’agit d’une dérogation à l’obligation des États membres d’examiner au fond toutes les demandes de protection internationale : voir, à cet égard, arrêt du 22 février 2022, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familial – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2022:103, points 24 et 25), ainsi que conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2021:780, point 63).

( 48 ) C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219, points 83 à 94.

( 49 ) Voir conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Unité familiale – Protection déjà accordée) (C‑483/20, EU:C:2021:780, point 64). J’estime cependant, comme je l’expliquerai dans les développements qui suivent dans le contexte d’une procédure d’extradition, qu’une décision d’octroi du statut de réfugié adoptée par un État membre en application de critères communs constitue un indice particulièrement sérieux d’un risque de persécutions et qu’elle doit donc, pour cette raison et dans un esprit de confiance mutuelle, être prise en compte par l’autorité nouvellement saisie.

( 50 ) Voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 50).

( 51 ) Voir considérant 13 de la directive 2011/95 et considérant 13 de la directive 2013/32. Voir notamment, concernant cet objectif, arrêt du 10 décembre 2020, Minister for Justice and Equality (Demande de protection internationale en Irlande) (C‑616/19, EU:C:2020:1010, points 51 et 52).

( 52 ) À cet égard, aux termes de l’article 3 de la directive 2011/95, « [l]es États membres peuvent adopter ou maintenir des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la présente directive ». De plus, selon l’article 5 de la directive 2013/32, « [l]es États membres peuvent prévoir ou maintenir des normes plus favorables en ce qui concerne les procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale, pour autant que ces normes soient compatibles avec la présente directive ».

( 53 ) JO 2005, L 326, p. 13.

( 54 ) Voir AUEA, Analyse juridique : Les procédures d’asile et le principe de non-refoulement, op. cit., p. 82.

( 55 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 85).

( 56 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 86).

( 57 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 92).

( 58 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 98).

( 59 ) Voir arrêt M e.a. (Révocation du statut de réfugié) (point 100).

( 60 ) Voir, s’agissant de la révocation du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 39).

( 61 ) Voir, notamment, s’agissant de la révocation du statut de réfugié en application de l’article 14, paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/95, arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 41 et jurisprudence citée).

( 62 ) Voir arrêt Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl (Réfugié ayant commis un crime grave) (point 42).

( 63 ) JO 2008, L 348, p. 98.

( 64 ) Voir Forteau, M., et Laly-Chevalier, C., « Les problèmes d’articulation des procédures d’asile, d’extradition et d’entraide judiciaire pénale », dans Chetail, V., et Laly-Chevalier, C., Asile et extradition – Théorie et pratique de l’exclusion du statut de réfugié, op. cit., p. 145 à 203, en particulier p. 162, qui citent, à titre d’exemple, un jugement de la Cour suprême du Canada, Németh c. Canada, 2010 CSC 56, § 30. Ne peut, dès lors, pas être retenue l’interprétation soutenue par le gouvernement italien, selon laquelle, sur le fondement du principe de coopération loyale, l’autorité statuant sur la demande d’extradition devrait informer l’autorité compétente de l’État membre ayant octroyé le statut de réfugié de cette demande et lui laisser un délai raisonnable pour déterminer s’il y a lieu, ou non, de révoquer le statut de réfugié.

( 65 ) Voir note d’orientation du HCR (point 5). Comme le relève le HCR, « [d]ans les affaires d’extradition concernant un réfugié ou un demandeur d’asile, certains principes et dispositions du droit de l’extradition offrent des garanties juridiques à la personne concernée. La personne réclamée peut par exemple bénéficier de l’application du principe de spécialité ; des restrictions à la ré-extradition depuis l’État requérant vers un État tiers ; de la possibilité d’accorder l’extradition à condition que la personne réclamée puisse retourner dans l’État requis à l’issue de la procédure pénale ou après avoir purgé sa peine ; de la règle de non-extradition pour les infractions politiques ; ou d’autres motifs de refus traditionnels, notamment ceux ayant trait à la peine capitale et aux notions de justice et d’équité. Les “clauses de discrimination”, en vertu desquelles l’extradition peut ou doit être refusée si elle est demandée pour des raisons politiques ou dans un but de persécution ou de discrimination, sont une évolution plus récente du droit de l’extradition » (point 5). Voir, également, Forteau, M., et Laly-Chevalier, C., op. cit., note en bas de page 46, qui indiquent que, selon le Tribunal fédéral suisse et la Cour suprême du Canada, l’article 3, paragraphe 2, de la convention européenne d’extradition constitue l’expression concrète du principe de non-refoulement inscrit dans le droit des réfugiés dans le contexte du droit de l’extradition. Voir, dans le même sens, Chetail, V., op. cit., qui relève qu’« [o]n ne peut manquer de constater le parallélisme entre cette disposition et la définition du réfugié contenue à l’article 1A(2) de la [c]onvention de Genève. Cet article diffère cependant de [cette convention] à deux égards. La [c]onvention européenne [d’extradition] n’a pas repris la notion d’“appartenance à un certain groupe social” jugée trop vague. Sous cette réserve, l’article 3(2) est en revanche plus large que la définition du réfugié, dans la mesure où il n’exclut pas les auteurs d’un crime grave de droit commun et il protège l’individu demandé, lorsque la situation de celui-ci risque d’être aggravée pour l’un des motifs précités et pas seulement en cas de risque de persécution » (p. 79).

( 66 ) Pour reprendre les termes utilisés par Chetail, V., op. cit., p. 66.

( 67 ) De manière plus générale, on assiste à une autonomisation de l’examen du respect du principe de non-refoulement. Voir, à cet égard, Chetail, V., op. cit., qui souligne que, lorsqu’il existe un risque réel de torture ou de traitement inhumain ou dégradant dans l’État de destination, « [l]e principe de non-refoulement ne fait [...] pas seulement obstacle à l’extradition en présence d’un tel risque dans l’État requis. Il neutralise également les conséquences de l’exclusion du statut de réfugié qui n’est plus synonyme d’expulsion dans le pays d’origine » (p. 90).

( 68 ) Voir arrêt Ruska Federacija (points 64 et 65).

( 69 ) Voir arrêt Ruska Federacija (point 65 et jurisprudence citée).

( 70 ) Voir arrêt Ruska Federacija (point 66). Selon la Cour, un tel élément est d’autant plus important aux fins de cette vérification lorsque l’octroi de l’asile a précisément été fondé sur les poursuites dont la personne concernée fait l’objet dans son pays d’origine et ayant conduit à l’émission par ce dernier d’une demande d’extradition visant cette personne (point 67).

( 71 ) Voir arrêt Ruska Federacija (point 68).

( 72 ) Voir accord entre la Communauté européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile introduite dans un État membre, en Islande ou en Norvège (JO 2001, L 93, p. 40).

( 73 ) Voir, s’agissant du Royaume de Norvège, arrêt du 20 mai 2021, L.R. (Demande d’asile rejetée par la Norvège) (C‑8/20, EU:C:2021:404, points 39 et 45).

( 74 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 avril 2020, Commission/Pologne, Hongrie et République tchèque (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2020:257, points 164 et 182).

( 75 ) Voir Schierholt, C., et Zimmermann, F., « § 6 Politische Straftaten, politische Verfolgung », dans Schomburg, W., et Lagodny, O., lnternationale Rechtshilfe in Strafsachen, 6e éd., C. H. Beck, Munich, 2020, p. 130.

( 76 ) Voir Forteau, M., et Laly-Chevalier, C., op. cit., qui observent que « les informations révélées dans le contexte de la procédure d’extradition peuvent avoir une incidence sur la détermination de la demande d’asile et notamment sur l’application des clauses d’exclusion, tandis qu’inversement, l’issue de la procédure d’asile constituera un élément essentiel que l’État requis devra prendre en considération lorsqu’il cherchera à établir si la personne réclamée peut ou non être légalement extradée » (p. 162).

( 77 ) Voir note d’orientation du HCR (point 55).

( 78 ) Voir note d’orientation du HCR (point 55). Voir, à cet égard, Forteau, M., et Laly-Chevalier, C., op. cit. Ces auteurs déduisent de ces éléments que « [l]a teneur des exceptions que le HCR admet à l’endroit de [l’effet extraterritorial de la convention de Genève] révèle [...] que l’autorité du for dispose en réalité toujours d’un pouvoir de réexamen du dossier et de contrôle du bien-fondé de l’appréciation de l’autorité étrangère ». Selon eux, « [i]l ne semble donc pas s’agir, à proprement parler, d’un “effet extraterritorial” au sens que celui-ci aurait dans le cadre d’un mécanisme de reconnaissance mutuelle – mécanisme qu’au demeurant la [convention de Genève] n’organise pas. Par “effet extraterritorial”, le HCR semble en définitive viser l’effet probatoire et non l’effet exécutoire de la décision rendue par l’autorité étrangère » (p. 186 et 187).

( 79 ) Il me semble, à ce sujet, pertinent d’établir un parallélisme avec la situation que j’ai évoquée précédemment, dans laquelle, en application de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32, qui constitue une expression du principe de confiance mutuelle, les États membres ont la faculté de déclarer irrecevable une nouvelle demande de protection internationale lorsqu’un autre État membre a déjà accordé une telle protection. En effet, ce principe ainsi que celui de coopération loyale impliquent également, selon moi, que l’autorité compétente d’un État membre en matière de détermination qui décide – ou bien est contrainte, dans l’hypothèse mise en exergue dans l’arrêt du 19 mars 2019, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17, EU:C:2019:219) – de se livrer à son propre examen d’une telle demande ne peut faire abstraction de la décision d’octroi du statut de réfugié prise par un autre État membre. Cette autorité est donc tenue de prendre en compte cette décision après un échange d’informations avec l’autorité qui l’a adoptée, tout en pouvant s’en écarter si elle met au jour des circonstances spécifiques qui sont de nature à motiver l’adoption d’une décision allant dans un sens différent. À cet égard, s’il est vrai que l’existence de critères harmonisés par le législateur de l’Union implique que les appréciations effectuées par les autorités successivement saisies devraient, en principe, converger, il ne peut cependant être exclu que l’autorité nouvellement saisie aboutisse à une conclusion différente de celle à laquelle une autre autorité était parvenue antérieurement. Tel peut être le cas lorsqu’un changement de circonstances est constaté ou bien lorsque apparaît un élément nouveau, qui était inconnu de l’État membre ayant octroyé le statut de réfugié. La nouvelle demande pourrait alors être rejetée.

( 80 ) Voir Schierholt, C., et Zimmermann, F., op. cit., p. 129.

( 81 ) Voir Schierholt, C., et Zimmermann, F., op. cit., p. 129.

( 82 ) Voir Marx, R., AsylG – Kommentar zum Asylgesetz, 10e éd., Luchterhand, Cologne, 2019, p. 275, § 10. Je rappelle, à cet égard, les exigences en matière d’assurances que la Cour a indiquées dans son arrêt Ruska Federacija (point 65).

( 83 ) Voir Forteau, M., et Laly-Chevalier, C., op. cit., qui indiquent que « [l]es procédures d’asile et d’extradition doivent faire l’objet d’une coordination de manière à assurer que les impératifs de chacune soient pris en compte dans le cadre de la mise en œuvre de l’autre », tout en observant qu’« [i]l ne s’agit en aucune façon de faire prévaloir une procédure sur l’autre » (p. 153). La relation entre les deux procédures ne doit dès lors pas être appréhendée sous l’angle du « conflit normatif », mais en recherchant une « application ou une interprétation conforme », de sorte que « les deux branches du droit peuvent tout à fait coexister » (p. 155). Autrement dit, il ne s’agit pas de faire prévaloir le droit de l’extradition sur le droit des réfugiés ou inversement, mais « d’assurer l’application concomitante des deux » (p. 156). Ainsi, « les deux corps de règles obéissent à une dynamique complexe de conciliation ou de coordination et non à un principe simpliste de hiérarchie » (p. 158). En outre, ces auteurs considèrent que « [l]a coopération entre autorités d’asile et d’extradition peut s’avérer tout à fait utile [...] en favorisant une prise de décision à la fois plus rapide et mieux éclairée grâce à un partage d’informations plus fluide » (p. 162).

( 84 ) Je rappelle, à cet égard, que, aux termes de l’article 14, paragraphe 3, sous a), de la directive 2011/95, « [l]es États membres révoquent le statut de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, s’ils établissent, après lui avoir octroyé le statut de réfugié, que [...] le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 [de cette directive] ». Cette dernière disposition prévoit, à son paragraphe 2, sous b), que « [t]out ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser [...] qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié ».

( 85 ) Voir, notamment, arrêt du 6 juillet 2023, Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Réfugié ayant commis un crime grave) (C‑8/22, EU:C:2023:542, point 62 et jurisprudence citée).