ÉDITION PROVISOIRE DU 07/02/2023

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 9 février 2023 ( 1 )

Affaires jointes C‑156/22 à C‑158/22

TAP Portugal

contre

flightright GmbH (C‑156/22)

Myflyright GmbH (C‑157/22 et C‑158/22)

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas d’annulation ou de retard important d’un vol – Exonération de l’obligation d’indemnisation – Notion de “circonstances extraordinaires” – Annulation d’un vol – Décès subit et imprévisible d’un copilote – Événement inhérent au déroulement normal des activités d’un transporteur aérien effectif – Événement échappant entièrement à la maîtrise effective d’un transporteur aérien effectif – Événement externe – Maîtrise sur l’événement – Prévisibilité de l’événement »

1.

Walter Alexander Raleigh a dit un jour : « Le moteur est le cœur d’un avion, mais le pilote est son âme ».

2.

Ces deux éléments sont essentiels et il convient de surveiller tout autant l’un que l’autre pour assurer le bon fonctionnement des activités de tout transporteur aérien effectif. S’agissant des pilotes, le droit de l’Union prévoit un grand nombre d’exigences, y compris en ce qui concerne leur santé, afin de garantir la prestation ininterrompue des services de transport aérien.

3.

Lorsque, toutefois, des perturbations viennent à se produire, le règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ), ainsi qu’il ressort de son considérant 1, vise à garantir un niveau élevé de protection des droits des passagers, y compris le droit à être indemnisé en cas d’annulation d’un vol.

4.

Les demandes de décision préjudicielle formées par le Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart, Allemagne) portent sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement. Elles ont été présentées dans le cadre de litiges opposant des sociétés fournissant une assistance juridique aux passagers aériens, flightright GmbH (affaire C‑156/22) et Myflyright GmbH (affaires C‑157/22 et C‑158/22), à TAP Portugal, un transporteur aérien effectif, concernant le refus de ce dernier d’indemniser les passagers en raison de l’annulation de leur vol. Les trois affaires jointes portent sur le même vol.

5.

La Cour est invitée à préciser si le décès subit d’un copilote peu de temps avant le vol régulier peut constituer une circonstance extraordinaire au sens de cette disposition.

I. Le cadre juridique

A.   Le règlement no 261/2004

6.

Les considérants 1, 14 et 15 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)

L’action de [l’Union] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(14)

Tout comme dans le cadre de la convention de Montréal, les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15)

Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire, lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations. »

7.

L’article 5 du règlement no 261/2004 dispose :

« 1.   En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c)

ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :

i)

au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)

de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)

moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

[...]

3.   Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[...] »

8.

L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 prévoit les montants spécifiques d’indemnisation en fonction de la distance du vol.

B.   Le règlement (UE) no 965/2012

9.

L’annexe III du règlement (UE) no 965/2012 ( 3 ) fixe les exigences applicables aux organismes pour les opérations aériennes auxquelles doit satisfaire l’exploitant en ce qui concerne la formation, l’expérience et la qualification de l’équipage de conduite (partie ORO). Le paragraphe ORO.FC.200 (« Composition de l’équipage de conduite »), relevant de la section 2 (« Exigences supplémentaires applicables à l’exploitation d’aéronefs à des fins de transport aérien commercial ») de la sous-partie FC (« Équipage de conduite »), dispose :

« [...]

c)

Exigences propres à l’exploitation des avions selon les règles de vol aux instruments (IFR) ou de nuit.

1)

L’équipage de conduite de vol est constitué d’au moins deux pilotes pour tous les avions à turbopropulseurs dont la configuration maximale approuvée en sièges passagers (MOPSC) est supérieure à neuf, ainsi que pour tous les avions à turboréacteurs.

[...] »

10.

L’annexe IV du règlement no 965/2012 régit les opérations de transport aérien commercial (partie CAT). Le paragraphe CAT.GEN.MPA.100 (« Responsabilités de l’équipage »), sous b) et c), relevant de la section 1 (« Aéronefs motorisés ») de la sous-partie A (« Exigences générales »), dispose :

« b) Le membre d’équipage :

[...]

4)

respecte toutes les limitations des temps de vol et de service (FTL), ainsi que les exigences en matière de repos qui s’appliquent à ses activités ;

5)

lorsqu’il exerce des fonctions pour plusieurs exploitants :

i)

maintient à jour son dossier individuel en ce qui concerne les heures de vol et de service, ainsi que les périodes de repos, comme mentionné dans les exigences FTL applicables ; et

ii)

fournit à chaque exploitant les données nécessaires pour planifier les activités conformément aux exigences FTL applicables.

c) Le membre d’équipage n’exerce pas de fonctions à bord d’un aéronef :

[...]

3)

s’il ne remplit pas les conditions médicales applicables ;

4)

s’il doute d’être en état d’accomplir les tâches qui lui ont été attribuées ; ou

5)

s’il sait ou soupçonne qu’il souffre de fatigue [...] »

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

11.

Le 17 juillet 2019, TAP Portugal était le transporteur aérien effectif du vol TP597, au départ de Stuttgart (Allemagne), à 6 h 05 (heure locale), et à destination de Lisbonne (Portugal) (ci-après le « vol concerné »).

12.

Ce jour-là, à 4 h 15, le copilote qui aurait dû accomplir le vol concerné a été retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel à Stuttgart. L’ensemble de l’équipage a été choqué et s’est déclaré inapte à voler. Aucun personnel de remplacement n’était disponible, le départ du vol concerné devant se faire hors de la « base TAP ». Ce vol a été annulé.

13.

Un équipage de remplacement s’est envolé de Lisbonne à 11 h 25 et est arrivé à Stuttgart à 15 h 20. Les passagers ont été transportés par le vol de remplacement TP593, qui a décollé pour Lisbonne le même jour à 16 h 40.

14.

Dans les trois affaires en cause, les parties requérantes au principal réclament à TAP Portugal une indemnisation, en application de l’article 7 du règlement no 261/2004.

15.

TAP Portugal a été condamnée par l’Amtsgericht Nürtingen (tribunal de district de Nürtingen, Allemagne) à verser l’indemnisation demandée par flightright et Myflyright, au motif que, à l’instar d’une maladie grave et subite, le décès subit et imprévisible d’un membre de l’équipage ne constituait pas un événement externe frappant le transporteur aérien effectif en cause, dans la mesure où cela relevait des risques inhérents aux activités d’un transporteur aérien.

16.

TAP Portugal a interjeté appel de cette décision devant le Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart). Selon cette juridiction, le décès subit du copilote, qui était un père de famille d’âge moyen et qui avait passé les examens médicaux réguliers prescrits sans aucune difficulté, était totalement imprévisible et avait surpris tout le monde.

17.

Dans ces conditions, le Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart) a décidé de surseoir à statuer dans les trois affaires concernées et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5, paragraphe 3, du [règlement no 261/2004] doit-il être interprété en ce sens qu’il existe une circonstance extraordinaire au sens de cette disposition lorsqu’un vol au départ d’un aéroport situé en dehors de la base du transporteur aérien effectif est annulé, parce que, peu avant le départ de ce vol, de manière subite et imprévisible pour le transporteur aérien, un membre de l’équipage affecté audit vol (en l’espèce : le copilote), qui a pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits, décède ou tombe gravement malade au point de ne pas être en mesure d’accomplir le vol ? »

18.

Par ordonnance du président de la Cour du 4 avril 2022, les affaires C‑156/22 à C‑158/22 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

19.

Des observations écrites ont été soumises à la Cour par flightright, TAP Portugal, les gouvernements polonais et portugais ainsi que par la Commission européenne.

III. Appréciation

A.   Observations liminaires

20.

J’observe, d’une part, que la question préjudicielle évoque une situation dans laquelle un membre d’équipage est « gravement malade » au point « de ne pas être en mesure d’accomplir le vol ». À cet égard, je relève que les présentes affaires concernent le décès subit d’un copilote. Dès lors, malgré les conséquences similaires qui découleraient de la maladie grave d’un membre d’équipage pour l’exécution d’un vol, ce cas de figure apparaît hypothétique au regard des faits au principal.

21.

D’autre part, dans la mesure où la présente affaire concerne le décès d’un copilote, je rappelle que le paragraphe ORO.FC.200, sous c), point 1, du règlement no 965/2012 exige la présence d’au moins deux pilotes pour effectuer un vol. En effet, en l’espèce, même dans l’hypothèse où le reste de l’équipage aurait été en mesure d’effectuer le vol concerné, l’exigence imposant la présence de deux pilotes dans l’équipage de conduite n’était pas satisfaite et, pour cette raison, ce vol n’aurait pas pu être effectué. Par ailleurs, la question posée à la Cour vise le décès subit du copilote concerné comme étant la cause de l’annulation du vol concerné.

22.

Par conséquent, je suggère à la Cour de limiter sa réponse à l’annulation du vol en raison du décès subit du copilote concerné sans aborder la question des répercussions de ce décès sur les autres membres de l’équipage. En tout état de cause, étant donné que la cause exacte de l’annulation du vol relève d’une question de fait, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le vol concerné a été annulé uniquement en raison du décès du copilote concerné ou de la combinaison de cet événement avec l’inaptitude de l’équipage à assurer le vol concerné.

23.

Dans ces conditions, afin que la juridiction de renvoi obtienne une réponse utile, je propose à la Cour de reformuler la question pour viser, en substance, à déterminer si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’annulation d’un vol au départ d’un aéroport situé en dehors de la base du transporteur aérien effectif, en raison du décès subit du copilote, qui a pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits, relève de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de cette disposition, au motif que cet événement est survenu peu de temps avant le vol et qu’il était imprévisible pour ce transporteur aérien.

B.   Sur les deux conditions posées par la jurisprudence

24.

À titre liminaire, je rappelle que, en cas d’annulation d’un vol, l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004 prévoit que les passagers concernés ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, à moins qu’ils soient préalablement informés de l’annulation du vol dans les délais prévus à l’article 5, paragraphe 1, sous c), i) à iii), dudit règlement.

25.

L’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, lu à la lumière des considérants 14 et 15 de celui-ci, exonère le transporteur aérien effectif de cette obligation s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des « circonstances extraordinaires » qui n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Compte tenu de l’objectif du règlement no 261/2004, énoncé au considérant 1 de celui-ci, d’assurer un niveau élevé de protection des passagers et du fait que l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement déroge au principe du droit à indemnisation des passagers en cas d’annulation de leur vol, la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition, doit faire l’objet d’une interprétation stricte ( 4 ).

26.

Selon une jurisprudence constante, peuvent être qualifiés de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, des événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif concerné (première condition) et échappent à la maîtrise effective de celui-ci (seconde condition). Bien que la Cour ait récemment rappelé que ces deux conditions étaient cumulatives et que leur respect devait faire l’objet d’une appréciation au cas par cas ( 5 ), j’observe que, dans le cadre de son analyse, elle a examiné chaque condition à tour de rôle, alors même qu’elle a considéré que la première condition n’était pas remplie ( 6 ). Il apparaît donc que ces deux conditions sont en fait complémentaires ; la première porte globalement sur le rapport entre le domaine d’activité affecté et les activités du transporteur aérien effectif ( 7 ) et la seconde porte, plus précisément, sur le point de savoir si l’événement en cause échappe totalement à la maîtrise effective du transporteur aérien effectif. Toutefois, dans la mesure où il est de jurisprudence constante de la Cour que ces deux conditions sont cumulatives, j’examinerai celles-ci en tant que telles.

27.

En outre, il convient de relever que la jurisprudence relative au contenu des première et seconde conditions et à leur rapport n’est pas toujours cohérente. Dès lors, dans la présente affaire, j’examinerai ces conditions telles que rappelées et précisées par la Cour dans le récent arrêt Airhelp, qu’elle a rendu en grande chambre ( 8 ).

28.

Dans ce contexte, il convient de déterminer si le décès subit d’un copilote peut constituer une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.

1. Un événement non inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif

29.

Cette condition requiert de déterminer si les questions relatives au personnel du transporteur aérien effectif sont susceptibles de constituer, par leur nature ou leur origine, un événement qui n’est pas inhérent à l’exercice normal des activités de ce transporteur aérien ( 9 ).

30.

À cet égard, il convient de rappeler que, s’agissant des problèmes techniques de l’aéronef, la Cour a indiqué dans l’arrêt Wallentin‑Hermann ( 10 ) que les circonstances entourant la survenance d’un événement ne sauraient être qualifiées d’« extraordinaires » au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 que si elles se rapportent à un événement qui, à l’instar de ceux énumérés au considérant 14 de ce règlement, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif concerné et échappe à la maîtrise effective de celui-ci du fait de sa nature ou de son origine. La Cour a considéré que, dans la mesure où le fonctionnement des aéronefs soulève inéluctablement des problèmes techniques, les transporteurs aériens font face à de tels problèmes dans l’exercice de leurs activités. En conséquence, des problèmes techniques révélés lors de l’entretien des aéronefs ou en raison du défaut d’un tel entretien ne sauraient constituer, en tant que tels, des « circonstances extraordinaires » visées à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004. À l’inverse, certains événements, tels qu’un vice caché de fabrication affectant la sécurité des vols ou les dommages causés aux aéronefs par des actes de sabotage ou de terrorisme, peuvent ne pas être inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif concerné et échapper à sa maîtrise effective.

31.

La notion de « caractère inhérent » a été précisée ultérieurement par la Cour dans l’arrêt van der Lans ( 11 ), où celle-ci a jugé qu’une panne provoquée par la défaillance prématurée de certaines pièces d’un aéronef constitue un événement inopiné. Toutefois, la Cour a ajouté qu’une telle panne demeure intrinsèquement liée au système de fonctionnement très complexe de l’appareil, celui-ci étant exploité par le transporteur aérien en question dans des conditions, notamment météorologiques, souvent difficiles, voire extrêmes, étant entendu, par ailleurs, qu’aucune pièce d’un aéronef n’est inaltérable. La Cour en a conclu que, dans le cadre de l’activité d’un transporteur aérien effectif, cet événement inopiné est inhérent à l’exercice normal de l’activité de ce transporteur, celui-ci étant confronté, de manière ordinaire, à ce type de problèmes techniques imprévus.

32.

Il ressort de cette jurisprudence que les problèmes techniques de l’aéronef sont inhérents à l’exercice normal des activités du transporteur aérien effectif, dès lors que celui-ci fait face, dans l’exercice normal de ces activités, à des problèmes techniques inattendus. J’examinerai ensuite dans quelle mesure les questions relatives au personnel sont inhérentes à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien effectif.

33.

Dans l’arrêt Airhelp ( 12 ), la Cour était appelée à déterminer si une grève de pilotes organisée dans un cadre légal était inhérente à l’exercice normal de l’activité d’une entreprise de transport aérien. La Cour a considéré qu’une grève dont l’objectif se limite à obtenir d’une entreprise de transport aérien une augmentation du salaire des pilotes, une modification des horaires de travail de l’équipage ainsi qu’une plus grande prévisibilité en matière de temps de travail constitue un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité de cette entreprise, en particulier lorsqu’une telle grève est organisée dans un cadre légal. Plus précisément, la Cour s’est fondée sur le fait que la grève demeure l’une des expressions possibles de la négociation sociale et, partant, qu’elle doit être appréhendée comme un événement inhérent à l’exercice normal de l’activité de l’employeur concerné.

34.

Il importe de noter que la Cour a souligné que les mesures concernant le personnel du transporteur aérien effectif relèvent de la gestion normale des activités de ce transporteur. Il ressort de l’arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226), que, pour déterminer le respect de la première condition, la Cour examine le rapport entre le domaine d’activité affecté, à savoir les questions relatives au personnel, et les activités d’un transporteur aérien effectif.

35.

Cette interprétation doit s’appliquer en l’espèce, dès lors que la planification des équipages et les questions relatives au personnel font partie du quotidien des transporteurs aériens. En ce qui concerne la planification des équipages, les transporteurs doivent respecter la législation aérienne, les conditions contractuelles et les attentes personnelles ( 13 ). La planification de l’équipage implique des opérations complexes, telles que l’appariement de l’équipage, l’affectation, le suivi et la formation, pour ne citer qu’eux, en tenant compte de certains aspects, tels que la gestion du risque de fatigue ( 14 ). Une absence soudaine d’un membre d’équipage, tel qu’un copilote, devrait être prévue, en principe, dans la planification de l’équipage ( 15 ).

36.

À cet égard, je souligne que la cause exacte de l’absence soudaine du copilote ne devrait pas être pertinente aux fins de qualifier cette absence d’événement « intrinsèque ». En effet, dès lors qu’un tel événement est susceptible de se produire ( 16 ), on devrait en tenir compte dans l’organisation et la gestion des systèmes du transporteur aérien effectif. Partant, que l’absence soudaine d’un copilote soit due à des raisons de santé, à son décès ou encore à d’autres causes, sa conséquence est que le transporteur aérien effectif doit soit remplacer la personne absente, soit annuler le vol.

37.

Par conséquent, je suis d’avis que l’absence soudaine d’un copilote constitue un élément ordinaire de l’activité d’un transporteur aérien effectif et qu’un tel événement, quelle que soit sa cause, doit être considéré comme inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien. Étant donné que les deux conditions sont cumulatives ( 17 ), il n’y aura pas lieu d’examiner la seconde condition si la Cour suit mon raisonnement. Dans un souci d’exhaustivité, j’examinerai cependant la seconde condition, à savoir si le décès d’un copilote est un événement qui échappe à la maîtrise du transporteur aérien effectif.

2. Un événement qui échappe totalement à la maîtrise effective du transporteur aérien effectif

38.

Dans l’arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226), la Cour a examiné quatre critères aux fins de déterminer si un événement doit être considéré comme un événement échappant totalement à la maîtrise effective du transporteur aérien effectif concerné. En l’espèce, seuls trois de ces critères sont pertinents, dès lors que le quatrième porte spécifiquement sur les questions juridiques découlant du droit fondamental de faire grève consacré à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), qui était en cause dans cette affaire ( 18 ).

39.

En appliquant ces trois critères, la Cour s’est attachée à examiner plus particulièrement, premièrement, si l’événement était prévisible, deuxièmement, si l’employeur gardait une certaine maîtrise sur celui-ci et, troisièmement, si cet événement était externe au transporteur aérien effectif. Ces trois critères sont cumulatifs et constituent des critères minimaux pour déterminer si un événement échappe totalement à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné. J’examinerai ces critères dans l’ordre inverse de celui qui a été suivi par la Cour dans l’arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226), car, en toute logique, la question de savoir si un événement est externe ou interne au transporteur aérien effectif précède la question de savoir s’il peut être maîtrisé par celui-ci.

a) Un événement externe

40.

Au point 39 de l’arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226), la Cour indique que, aux fins d’appliquer la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, les événements dont l’origine est « interne » doivent être distingués de ceux dont l’origine est « externe » au transporteur aérien effectif.

41.

En premier lieu, en ce qui concerne les événements externes, il peut s’agir, selon la Cour, d’une collision entre un aéronef et un volatile ( 19 ), de l’endommagement d’un pneumatique d’un aéronef par un objet étranger, tel qu’un débris mobile présent sur la piste d’un aéroport ( 20 ), de la présence d’essence sur une piste d’un aéroport ayant entraîné sa fermeture ( 21 ), d’une collision entre le gouvernail de profondeur d’un aéronef en position de stationnement et l’ailerette de l’aéronef d’une autre compagnie aérienne, causée par le déplacement de ce dernier ( 22 ), d’un vice caché de fabrication ou encore d’actes de sabotage ou de terrorisme ( 23 ).

42.

La Cour en déduit que ces événements externes ont en commun qu’ils « ont pour origine un fait naturel ou celui d’un tiers, tel qu’un autre transporteur aérien ou un acteur public ou privé interférant dans l’activité aérienne ou aéroportuaire » ( 24 ). S’agissant des événements qui résultent d’un événement naturel, la Cour a jugé que la fermeture d’une partie de l’espace aérien européen à la suite d’une éruption volcanique, telle que celle du volcan Eyjafjallajökull, constitue une« circonstance extraordinaire » ( 25 ). S’agissant des événements causés par le fait d’un tiers, la Cour a souligné que sont susceptibles de constituer des « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, des mouvements de grève suivis par des contrôleurs aériens ou du personnel d’un aéroport, dans la mesure où de tels mouvements de grève ne relèvent pas de l’exercice de l’activité de ce transporteur et échappent ainsi à sa maîtrise effective ( 26 ).

43.

En second lieu, s’agissant des événements internes, la Cour a indiqué qu’une grève déclenchée et suivie par des membres du propre personnel de l’entreprise de transport aérien concernée constitue un événement « interne » à cette entreprise, y compris s’agissant d’une grève déclenchée à l’appel de syndicats, dès lors que ceux-ci interviennent dans l’intérêt des travailleurs de ladite entreprise ( 27 ). Je relève que la Cour avait déjà jugé par le passé qu’une grève, sans la participation des organisations syndicales ou des représentants du personnel, provoquée par l’annonce de la restructuration de l’entreprise, ne constitue pas une « circonstance extraordinaire » ( 28 ).

44.

En l’espèce, le transporteur pourrait être considéré comme responsable de l’organisation de son personnel de sorte à prévenir toute perturbation due à une maladie ou à d’autres incapacités. Comme je l’ai déjà indiqué, l’organisation de son personnel fait partie de la gestion quotidienne et normale du transporteur aérien ( 29 ). Il s’ensuit que la gestion quotidienne et ordinaire relève de la catégorie des événements « internes ». Dès lors, lorsque le décès d’un copilote résulte de l’action (ou de la négligence) du transporteur aérien effectif, c’est-à-dire lorsqu’il est lié au travail, il s’agit d’un événement purement interne. Il en va différemment lorsque le décès d’un copilote se produit en dehors du travail et n’y est pas lié. Je suis d’avis, à l’instar de la Commission, qu’il devrait être considéré comme un « événement naturel » et, partant, comme un événement « externe ».

b) Maîtrise, dans une certaine mesure, de l’événement concerné

45.

Dans l’arrêt Airhelp, la Cour a expliqué qu’il est question d’un événement totalement maîtrisé par le transporteur aérien concerné lorsque ce transporteur a, en principe, les moyens de s’y préparer et, le cas échéant, d’en atténuer les conséquences, de sorte qu’il conserve, dans une certaine mesure, la maîtrise des événements ( 30 ).

46.

À cet égard, j’observe que, dans le domaine du transport aérien commercial, les transporteurs aériens doivent respecter des procédures techniques et administratives strictes dans l’exercice de leurs activités. Dès lors, un transporteur aérien effectif ne saurait, en principe, prétendre qu’il n’a aucune maîtrise sur son organisation et sa gestion du personnel. En effet, il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir tout problème susceptible d’affecter ses membres d’équipage, notamment tout ce qui pourrait avoir une incidence sur les pilotes.

47.

En particulier, je rappelle qu’un pilote doit être en possession d’un certificat médical pour voler. L’annexe IV du règlement no 1178/2011 prévoit, notamment, que, « [l]ors de l’exercice des privilèges [...] d’une licence de pilote professionnel (CPL), d’une licence de pilote en équipage multiple (MPL) ou d’une licence de pilote de ligne (ATPL), le pilote détient au moins un certificat médical de classe 1 », qui doit être renouvelé par un centre aéromédical ou un examinateur aéromédical ( 31 ). Les certificats médicaux relevant de la classe 1 sont valables pendant une période de douze mois ( 32 ). Je souligne que l’évaluation aéromédicale régulière vise à garantir l’aptitude médicale du pilote ou à minimiser le risque d’inaptitude médicale ( 33 ).

48.

Néanmoins, même la réalisation d’examens médicaux réguliers ne garantit pas l’absence de décès entre-temps. Même lorsque le transporteur aérien a mis en place et effectué toutes les procédures nécessaires, certains événements – tels que le décès subit et inattendu d’un copilote en bonne santé en dehors du centre habituel du transporteur aérien – peuvent constituer un événement pour lequel celui-ci ne peut pas se préparer et dont les conséquences ne peuvent pas être atténuées.

49.

J’estime qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le décès du copilote était dû à un facteur qui relevait de la maîtrise du transporteur aérien effectif. À cet égard, la juridiction de renvoi doit apprécier si les procédures et exigences de sécurité relatives à la santé du copilote concerné ont été respectées par le transporteur aérien effectif, si les examens médicaux prescrits ont été effectués correctement et si rien ne ressortait des contrôles réguliers susceptible d’indiquer que ce copilote n’avait pas une santé suffisamment bonne pour effectuer ses missions. Si ces trois points sont confirmés, on peut, à mon avis, conclure que, en l’espèce, le décès du copilote échappait totalement à la maîtrise du transporteur aérien effectif.

c) Sur la prévisibilité de l’événement concerné

50.

Dans l’arrêt Airhelp, la Cour a indiqué que la grève constitue, pour les travailleurs, un droit garanti par l’article 28 de la Charte et que le fait que ceux-ci s’en prévalent et déclenchent en conséquence un mouvement en ce sens doit être considéré comme relevant de l’ordre du prévisible pour tout employeur, notamment lorsqu’une telle grève est précédée d’un préavis ( 34 ).

51.

Ce faisant, la Cour applique la définition classique du dictionnaire selon laquelle un événement ou une situation prévisibles désignent une chose susceptible d’être connue d’avance ou prédite ( 35 ). Toutefois, le terme « prévisible » peut également être défini comme le caractère de quelque chose « qui est de nature à être raisonnablement anticipé » ( 36 ). Le terme « raisonnable » implique un examen de la probabilité. Partant, la Cour doit déterminer à quel point il était probable qu’un transporteur aérien anticipe les conséquences de l’événement concerné. Il s’agit essentiellement d’une appréciation au cas par cas, qui exige d’établir le contexte de la survenance de l’événement, ce qui nécessite une analyse de données statistiques et abstraites et un examen concret de la personne concernée.

52.

En l’espèce, il convient d’indiquer qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, en tenant compte des données statistiques à sa disposition, si le décès d’un homme venant d’entrer dans la quarantaine constitue un événement probable. À cet égard, force est de rappeler que la fréquence des examens aéromédicaux augmente avec l’âge. Par exemple, la période de validité des certificats médicaux de classe 1 est réduite à six mois pour les titulaires de licence qui ont atteint l’âge de 60 ans. Ces certificats ne peuvent être renouvelés qu’après des examens aéromédicaux supplémentaires ( 37 ). Cette exigence permet de déduire que les risques pour la santé des pilotes augmentent avec l’âge.

53.

En ce qui concerne les données concrètes relatives au copilote concerné, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune précision quant à la cause du décès de celui-ci. Il ressort de la question préjudicielle que le copilote avait pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits. La demande de décision préjudicielle indique également que le décès subit de ce père de famille qui venait d’entrer dans la quarantaine avait profondément choqué l’équipage.

54.

À cet égard, j’observe que, dans les circonstances de l’espèce, les certificats médicaux de classe 1 sont valables pendant douze mois ( 38 ) et que, après leur expiration, leur titulaire doit demander leur renouvellement. Dès lors, si l’on peut présumer que, en l’espèce, le copilote concerné avait passé les examens médicaux prescrits et qu’il était en bonne santé, il appartient à la juridiction de renvoi d’établir ces circonstances.

55.

Par conséquent, il apparaît que, en l’espèce, le décès du copilote constitue un événement dont la probabilité d’occurrence était faible et qui doit donc être considéré, dans les circonstances actuelles, comme imprévisible pour le transporteur aérien.

3. Conclusion intermédiaire

56.

Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’annulation d’un vol au départ d’un aéroport situé en dehors de la base du transporteur aérien effectif concerné, en raison du décès subit du copilote qui a pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits, ne relève pas de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de cette disposition.

57.

Dans l’hypothèse où la Cour considérerait néanmoins que le décès du copilote est une circonstance extraordinaire, elle doit examiner la notion de « mesures raisonnables » à prendre par un transporteur aérien.

C.   Sur la notion de « mesures raisonnables » selon la jurisprudence

58.

Pour s’exonérer de son obligation d’indemnisation, le transporteur aérien doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables qui étaient attendues de lui. Dans l’arrêt Germanwings ( 39 ), la Cour a indiqué que le transporteur aérien effectif est tenu de mettre en œuvre tous les moyens en personnel et en matériel ainsi que les moyens financiers dont il dispose. Dans l’arrêt Wallentin‑Hermann ( 40 ), la Cour a jugé que le fait qu’un transporteur aérien effectif a respecté les règles minimales d’entretien d’un aéronef ne saurait à lui seul suffire pour établir que ce transporteur a pris toutes les mesures raisonnables.

59.

Toutefois, dans l’arrêt Eglītis et Ratnieks ( 41 ), la Cour a considéré que l’on ne saurait imposer au transporteur aérien effectif qu’il planifie, de manière générale et indifférenciée, une réserve de temps minimale applicable indistinctement dans toutes les situations de survenance de circonstances extraordinaires. L’étendue de la réserve de temps requise ne devrait pas aboutir à ce que le transporteur fasse des sacrifices insupportables en ce qui concerne ses capacités commerciales.

60.

Par ailleurs, dans l’arrêt Pešková et Peška ( 42 ), la Cour a précisé que le transporteur aérien effectif n’est pas responsable du non‑respect par d’autres entités, telles que les contrôleurs aériens, de leurs obligations de prendre des mesures préventives relevant de leur compétence. En outre, la Cour a jugé dans l’arrêt Moens ( 43 ) que la présence d’essence sur une des pistes d’un aéroport, entraînant sa fermeture, est une circonstance qui n’aurait pas pu être évitée même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

61.

C’est, enfin, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Transportes Aéreos Portugueses ( 44 ), relative à l’atterrissage et à l’interruption d’un vol en raison du comportement d’un passager perturbateur, que la Cour a fourni la définition la plus claire de l’exception au titre des mesures raisonnables. La Cour a précisé que des mesures raisonnables ne sauraient, en principe, se limiter à offrir aux passagers concernés un réacheminement vers leur destination finale par le vol suivant opéré par lui-même et arrivant à destination le lendemain du jour initialement prévu pour leur arrivée. En effet, la diligence requise de ce transporteur aérien afin de lui permettre de s’exonérer de son obligation d’indemnisation suppose qu’il mette en œuvre tous les moyens à sa disposition pour assurer un réacheminement raisonnable, satisfaisant et dans les meilleurs délais, au nombre desquels figure la recherche d’autres vols directs ou indirects opérés éventuellement par d’autres transporteurs aériens appartenant ou non à la même alliance aérienne et arrivant à un horaire moins tardif que le vol suivant du transporteur aérien concerné. Toutefois, il appartient au juge national d’apprécier si un tel réacheminement aurait pu constituer un sacrifice insupportable pour le transporteur aérien au regard de ses capacités au moment pertinent.

62.

Il faut souligner que le décès d’un copilote, indépendamment des circonstances particulières dans lesquelles il s’inscrirait, conduirait en tout état de cause à l’annulation du vol en l’absence de pilote de remplacement. En effet, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, le règlement no 965/2012 prévoit que, pour le type d’aéronef utilisé pour des vols tels que celui en cause, le transporteur aérien effectif doit mettre à disposition un équipage composé d’au moins deux pilotes. Cela signifie que le commandant de bord n’aurait pas été autorisé à assurer le vol retour seul, sans copilote ( 45 ).

63.

En outre, ainsi que l’explique la Commission ( 46 ), les dispositions relatives à la sécurité aérienne ne permettent pas à tout pilote d’intervenir en tant que pilote de remplacement. Le pilote de remplacement doit être pleinement qualifié et posséder une formation et une expérience suffisantes en ce qui concerne l’avion et la liaison considérés. Cela signifie qu’il ne suffirait pas que les transporteurs aériens effectifs qui utilisent des avions différents tiennent à disposition un équipage supplémentaire à chaque lieu de destination et que des équipages de réserve soient disponibles pour tous les types d’avions utilisés et pour toutes les liaisons desservies. Une telle obligation entraînerait des coûts disproportionnés et ne semblerait pas raisonnable si la Cour conclut que les circonstances sont extraordinaires.

64.

Par conséquent, pour s’exonérer de son obligation d’indemnisation, le transporteur aérien doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures proportionnées et raisonnables qui étaient attendues de lui.

IV. Conclusion

65.

Compte tenu de l’analyse exposée dans les présentes conclusions, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart, Allemagne) :

L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91,

doit être interprété en ce sens que :

l’annulation du vol au départ d’un aéroport situé en dehors de la base du transporteur aérien effectif concerné, en raison du décès subit du copilote, qui a pleinement satisfait aux examens médicaux réguliers prescrits, ne relève pas de la notion de « circonstances extraordinaires » au sens de cette disposition.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

( 3 ) Règlement de la Commission du 5 octobre 2012 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables aux opérations aériennes conformément au règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil (JO 2012, L 296, p. 1), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal.

( 4 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 24 et jurisprudence citée).

( 5 ) Voir arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 23 et jurisprudence citée).

( 6 ) Voir arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226, points 26 et suiv.).

( 7 ) Voir point 34 des présentes conclusions.

( 8 ) Arrêt du 23 mars 2021 (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 40).

( 9 ) Voir, par analogie, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226).

( 10 ) Arrêt du 22 décembre 2008 (C‑549/07, EU:C:2008:771, points 20 et 24 à 26). Je relève que, lorsqu’elle s’attache à décrire ces événements, la Cour n’opère pas de distinction entre les première et seconde conditions.

( 11 ) Arrêt du 17 septembre 2015 (C‑257/14, EU:C:2015:618, points 41 et 42).

( 12 ) Arrêt du 23 mars 2021 (C‑28/20, EU:C:2021:226, points 28 à 30).

( 13 ) Voir, par exemple, règlement (UE) no 1178/2011 de la Commission, du 3 novembre 2011, déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables au personnel navigant de l’aviation civile conformément au règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 311, p. 1), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal.

( 14 ) IATA, ICAO, IFALPA, Fatigue Management Guide for Airline Operators, 2015 (2e éd.) (en ligne). Consultable à l’adresse suivante : https://www.iata.org/en/publications/fatigue-management-guide/. Voir, à cet égard, paragraphe CAT.GEN.MPA.100 (« Responsabilités de l’équipage »), sous b) et c), relevant de la section 1 (« Aéronefs motorisés ») de la sous-partie A (« Exigences générales »), de l’annexe IV du règlement no 965/2012 (partie CAT).

( 15 ) Voir, par exemple, European Union Aviation Safety Agency (EASA), Scenario 1, 2020, consultable à l’adresse suivante : https://www.easa.europa.eu/en/downloads/116532/en. Voir, également, paragraphe CAT.GEN.MPA.100 (« Responsabilités de l’équipage »), sous b) et c), relevant de la section 1 (« Aéronefs motorisés ») de la sous-partie A (« Exigences générales »), de l’annexe IV du règlement no 965/2012 (partie CAT).

( 16 ) Groupe de la Banque mondiale, Taux de mortalité, adultes, hommes (pour 1000 hommes adultes) – Union européenne, 2018, disponible via le lien suivant : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.DYN.AMRT.MA?locations=EU.

( 17 ) Voir point 26 des présentes conclusions.

( 18 ) Le quatrième de ces critères concernait l’exercice de mise en balance entre la liberté fondamentale de faire grève et la liberté fondamentale d’entreprise des transporteurs aériens et leur droit de propriété, qui sont garantis par les articles 16 et 17 de la Charte.

( 19 ) Arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška (C‑315/15, EU:C:2017:342, point 26).

( 20 ) Arrêt du 4 avril 2019, Germanwings (C‑501/17, EU:C:2019:288, point 34).

( 21 ) Arrêt du 26 juin 2019, Moens (C‑159/18, EU:C:2019:535, point 29).

( 22 ) Ordonnance du 14 janvier 2021, Airhelp (C‑264/20, non publiée, EU:C:2021:26, point 26).

( 23 ) Arrêts du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771, point 26), et du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 38).

( 24 ) Arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 41), mise en italique par mes soins.

( 25 ) Arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2012, Finnair (C‑22/11, EU:C:2012:604), cité au point 42 de l’arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226).

( 27 ) Arrêt du 23 mars 2021, Airhelp (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 44).

( 28 ) Arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a. (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258).

( 29 ) Voir points 34 à 36 des présentes conclusions.

( 30 ) Arrêt du 23 mars 2021 (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 35).

( 31 ) Paragraphe MED.A.030 (« Certificats médicaux »), sous c), point 4, et paragraphe MED.A.040 (« Délivrance, prorogation et renouvellement des certificats médicaux »), sous c), point 1, relevant de la section 2 (« Exigences relatives aux certificats médicaux ») de la sous-partie A (« Exigences générales »), de l’annexe IV (partie MED) du règlement no 1178/2011, dans leur version en vigueur à la date des faits au principal.

( 32 ) Paragraphe MED.A.045 (« Validité, prorogation et renouvellement des certificats médicaux »), sous a), points 1 et 2, relevant de la section 2 (« Exigences relatives aux certificats médicaux ») de la sous-partie A (« Exigences générales »), de l’annexe IV (partie MED) du règlement no 1178/2011. Pour les pilotes qui exercent des activités de transport aérien commercial monopilote de passagers et ont atteint l’âge de 40 ans et pour les pilotes âgés de plus de 60 ans, les certificats médicaux de classe 1 sont valables pendant six mois et peuvent être renouvelés après la réalisation d’autres examens ou évaluations à caractère aéromédical.

( 33 ) En ce qui concerne les responsabilités et les exigences en matière de personnel de l’exploitant, voir paragraphe ORO.GEN.110 (« Responsabilités de l’exploitant »), sous e) et g), relevant de la section 1 (« Généralités ») de la sous-partie GEN (« Exigences générales »), et paragraphe ORO.GEN.210 (« Exigences en termes de personnel »), sous c) et e), relevant de la section 2 (« Gestion ») de la sous-partie GEN (« Exigences générales »), de l’annexe III (partie ORO) du règlement no 965/2012.

( 34 ) Arrêt du 23 mars 2021 (C‑28/20, EU:C:2021:226, point 32).

( 35 ) Voir, par exemple, dictionnaire en ligne Cambridge Dictionary ; définition consultable [en langue anglaise] à l’adresse suivante : https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/foreseeable.

( 36 ) Voir dictionnaire en ligne Merriam-Webster Dictionary, https://www.merriam-webster.com/dictionary/foreseeable, mise en italique par mes soins.

( 37 ) Voir note en bas de page 32 des présentes conclusions. De manière analogue, les certificats de classe 1 doivent être renouvelés tous les six mois par les titulaires de licences qui exercent des activités de transport aérien commercial monopilote et ont atteint l’âge de 40 ans.

( 38 ) Voir point 47 des présentes conclusions.

( 39 ) Arrêt du 4 avril 2019 (C‑501/17, EU:C:2019:288).

( 40 ) Arrêt du 22 décembre 2008 (C‑549/07, EU:C:2008:771).

( 41 ) Arrêt du 12 mai 2011 (C‑294/10, EU:C:2011:303, points 31 et 35). Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Moens (C‑159/18, EU:C:2018:1040, point 33).

( 42 ) Arrêt du 4 mai 2017 (C‑315/15, EU:C:2017:342, points 43 et 44).

( 43 ) Arrêt du 26 juin 2019 (C‑159/18, EU:C:2019:535).

( 44 ) Arrêt du 11 juin 2020 (C‑74/19, EU:C:2020:460, points 58, 59 et 61).

( 45 ) Le règlement no 965/2012 contient également des indications sur l’importance d’une bonne condition mentale des autres membres de l’équipage. Il apparaît que, en l’espèce, ces derniers ne se sont pas estimés immédiatement en mesure d’assurer le vol après avoir appris la nouvelle potentiellement traumatisante du décès de leur collègue.

( 46 ) Point 31 des observations de la Commission.