Affaire T‑561/21
HSBC Holdings plc e.a.
contre
Commission européenne
Arrêt du Tribunal (septième chambre) du 27 novembre 2024
« Concurrence – Ententes – Secteur des produits dérivés de taux d’intérêts libellés en euros – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Violation de l’obligation de motivation – Annulation partielle de la décision par un arrêt du Tribunal – Décision modificative – Amendes – Prescription – Montant de base – Valeur des ventes – Article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) no 1/2003 – Égalité de traitement – Proportionnalité – Compétence de pleine juridiction »
Concurrence – Procédure administrative – Prescription en matière de poursuites – Suspension – Effet suspensif attaché aux procédures judiciaires pendantes – Condition – Existence d’une incertitude quant à la légalité de la décision de la Commission faisant l’objet de la procédure pendante – Objectif poursuivi par l’introduction de cette procédure – Absence de pertinence – Conclusions de la décision juridictionnelle mettant fin à la procédure pendante – Absence de pertinence
(Règlement du Conseil no 1/2003, art. 25, § 5 et 6)
(voir points 39-50)
Pourvoi – Intérêt à agir – Annulation partielle par le Tribunal d’une décision imposant une amende pour infraction au droit de la concurrence – Pourvoi formé par la Commission – Actes préparatoires entamés par la Commission en vue de l’adoption d’une décision modifiant la décision partiellement annulée – Absence d’impact sur l’intérêt à agir de la Commission
(Statut de la Cour de justice, art. 56)
(voir points 51,52)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Détermination de la valeur des ventes – Application de la méthodologie prévue par les lignes directrices – Valeur de remplacement établie sur le fondement des recettes en numéraire actualisées par l’application d’un facteur de réduction – Absence d’erreur de droit ou d’appréciation commise par la Commission
(Art. 101, § 1, TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, points 13, 15, 16)
(voir points 61-68, 77-95)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Détermination de la valeur des ventes – Application de la méthodologie prévue par les lignes directrices – Choix d’une valeur de remplacement pour la valeur des ventes – Valeur de remplacement établie sur le fondement des recettes en numéraire actualisées par l’application d’un facteur de réduction – Violation de l’obligation de motivation – Absence
(Art. 101, § 1, et 296, 2e al., TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, point 13)
(voir points 69, 73-76)
Pourvoi – Moyens – Insuffisance de motivation – Moyen distinct de celui portant sur la légalité au fond
(Art. 296 TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 58, 1er al.)
(voir points 70-72)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Détermination de la valeur des ventes – Application de la méthodologie prévue par les lignes directrices – Valeur de remplacement établie sur le fondement des recettes en numéraire actualisées par l’application d’un facteur de réduction – Détermination du facteur de réduction – Absence de violation de l’obligation de motivation – Absence d’erreurs d’appréciation – Absence de violation des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines – Absence de violation du principe d’égalité de traitement
(Art. 101, § 1, et 296, 2e al., TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 20 et 21 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, point 13)
(voir points 99-110, 121-124, 131-146, 152-169, 173-187)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Gravité de l’infraction – Critères d’appréciation – Nature et étendue géographique de l’infraction – Respect des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement
(Art. 101 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, points 19 à 23)
(voir points 193-209)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Fixation du montant de base – Gravité de l’infraction – Droit d’entrée – Facteurs à prendre en considération
(Art. 101, § 1, TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, point 25)
(voir points 211-224)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Ajustement du montant de base – Circonstances atténuantes – Intensité moindre de la participation à l’infraction par rapport à celle des acteurs principaux – Réduction de 15 pour cent du montant de base – Violation des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement ou d’individualisation des sanctions – Absence
(Règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3 ; communication de la Commission 2006/C‑210/02, point 29)
(voir points 228-234, 238-240)
Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée – Détermination du montant de l’amende infligée – Critères d’appréciation – Gravité et durée de l’infraction – Respect des principes de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des peines et d’égalité de traitement
(Art. 101, § 1, et 261 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 3, et 31)
(voir points 243-250)
Résumé
Le Tribunal rejette le recours en annulation introduit par les entités HSBC Holdings plc, HSBC Bank plc et HSBC Continental Europe (ci-après, prises ensemble, « HSBC »), contre la décision de la Commission modifiant sa décision d’infliger une amende de 33606000 euros à HSBC pour infraction au droit de la concurrence de l’Union ( 1 ). Étant donné que, au moment de l’adoption de la décision modificative, la décision initiale de la Commission faisait encore l’objet d’une procédure en pourvoi devant la Cour, le Tribunal apporte, dans son arrêt, des précisions sur l’effet suspensif de cette procédure pendante sur le délai de prescription à respecter par la Commission pour imposer une amende à HSBC.
En 2016, la Commission a constaté que HSBC avait enfreint l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en prenant part, du 12 février au 27 mars 2007, à une infraction unique et continue ayant eu pour objet l’altération du cours normal de fixation des prix sur le marché des produits dérivés de taux d’intérêt en euro. Ainsi, la Commission a infligé aux trois entités susmentionnées de manière solidaire une amende d’un montant de 33606000 euros ( 2 ).
Par arrêt du 24 septembre 2019 le Tribunal a relevé des erreurs commises par la Commission quant à l’étendue de l’infraction imputée à HSBC dans la décision de 2016 tout en relevant que ces erreurs étaient sans incidence sur la légalité de l’article 1er, sous b), de la décision de 2016, dès lors que la conclusion qui y figurait demeurait justifiée par d’autres éléments figurant dans la décision de 2016, mais qu’il convenait, éventuellement, d’en tenir compte au titre de l’appréciation du caractère proportionné de l’amende ( 3 ).
En outre, en estimant que cette décision de 2016 était entachée d’une erreur de motivation, le Tribunal l’a annulée pour autant qu’elle imposait une amende de 33606000 euros à HSBC. Tant la Commission que HSBC ont saisi la Cour d’un pourvoi contre cet arrêt.
Néanmoins, par lettre du 8 mai 2020, le membre de la Commission chargé de la concurrence a notifié à HSBC son intention de proposer au collège des commissaires l’adoption d’une nouvelle décision afin de remédier à la situation résultant de l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2019.
Par décision modificative adoptée en 2021, la Commission a, ainsi, réduit à 31739000 euros l’amende imposée à HSBC par la décision de 2016 et complété la motivation figurant dans cette décision, jugée insuffisante par le Tribunal. Environ un mois après l’adoption de cette décision modificative, la Commission s’est désistée de son pourvoi contre l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2019.
HSBC a saisi le Tribunal d’un recours en annulation de la décision modificative de 2021 et donc de l’amende imposée par la décision de 2016, telle que modifiée. À titre subsidiaire, elle demande au Tribunal d’exercer son pouvoir de pleine juridiction pour réduire substantiellement l’amende infligée dans la décision modificative de 2021.
Appréciation du Tribunal
À l’appui de son recours en annulation, HSBC reproche notamment à la Commission d’avoir adopté la décision modificative de 2021 en dehors du délai maximal de prescription de dix ans prévu à l’article 25, paragraphe 5, du règlement no 1/2003 ( 4 ) pour l’imposition d’une amende au titre de l’infraction constatée dans la décision de 2016.
Sur ce point, HSBC soutient, en substance, que le pourvoi introduit par la Commission contre l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2019 n’a pas eu pour effet de suspendre cette prescription décennale, dès lors que, déjà lors de l’introduction dudit pourvoi, la Commission aurait eu l’intention d’adopter la décision modificative de 2021 sans attendre l’issue de cette procédure en pourvoi. En outre, selon les requérantes, même à supposer que le pourvoi introduit par la Commission ait suspendu le délai de prescription, cette suspension a, en tout état de cause, pris fin lorsque le membre de la Commission chargé de la concurrence a notifié à HSBC son intention de proposer au collège des commissaires l’adoption d’une nouvelle décision à adresser à HSBC et ce en raison de la perte d’intérêt de la Commission à l’issue du pourvoi.
Après avoir précisé que, à la date de l’introduction du pourvoi par la Commission, le délai de prescription pour infliger une amende à HSBC au titre de l’infraction constatée dans la décision de 2016 n’avait pas encore expiré, le Tribunal rappelle que, conformément à l’article 25, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, la prescription en matière d’imposition d’amendes est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission constatant l’infraction et imposant une amende fait l’objet d’une procédure pendante devant l’une des juridictions de l’Union. En vertu du paragraphe 5 du même article, le délai maximal de prescription de dix ans est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue conformément à son paragraphe 6.
Or, contrairement à ce qu’estime HSBC, l’article 25, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ne soumet l’effet suspensif des procédures juridictionnelles pendantes à aucune condition subjective, telle qu’un « objectif » poursuivi par l’introduction du recours ou l’« intention » de la partie qui l’a intenté.
En effet, cette disposition protège la Commission contre l’effet de la prescription dans des situations dans lesquelles elle est « empêchée » d’agir en ce qu’elle doit attendre la décision du juge de l’Union, dans le cadre de procédures dont elle ne maîtrise pas le déroulement, avant de savoir si l’acte attaqué est ou non entaché d’illégalité. La notion d’« empêchement » se rapporte, dès lors, à une circonstance objective portant sur l’existence même d’une procédure juridictionnelle pendante en raison de laquelle il persiste une incertitude quant à la légalité de la décision de la Commission.
À la lumière de ces précisions, le Tribunal constate que, aussi longtemps que la procédure relative au pourvoi de la Commission était pendante, il existait une incertitude quant à la légalité de la décision de 2016, pour autant qu’elle imposait une amende de 33606000 euros à HSBC. Il s’ensuit que le délai de prescription pour infliger une nouvelle amende à HSBC au titre de l’infraction constatée dans la décision de 2016 était suspendu jusqu’à l’adoption par la Cour d’une décision mettant fin à cette procédure en pourvoi, et ce indépendamment des démarches que la Commission a entamées en vue de l’adoption de la décision de 2021.
Dans ce cadre, le Tribunal rejette également l’argument de HSBC tiré de l’absence d’intérêt de la Commission à introduire ou à maintenir son pourvoi contre l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2019.
À cet égard, le Tribunal précise que, si l’absence d’un intérêt à agir au moment de l’introduction d’un pourvoi, à la supposer établie, pourrait conduire au rejet du pourvoi comme étant irrecevable et si la disparition d’un intérêt à agir en cours d’instance pourrait conduire le juge de l’Union à prononcer un non-lieu à statuer, c’est le fait même qu’un recours soit pendant devant le Tribunal ou la Cour qui justifie la suspension du délai de prescription, et non les conclusions auxquelles parviennent ces juridictions dans leur décision mettant fin à l’instance.
En tout état de cause, le seul fait que la Commission ait entamé des démarches visant à adopter une nouvelle décision à la suite du prononcé de l’arrêt du Tribunal du 24 septembre 2019 ne démontre pas qu’elle aurait perdu tout intérêt à faire constater la légalité de la décision de 2016, cet intérêt perdurant jusqu’à l’adoption de la décision de la Cour mettant fin à l’instance ou, à tout le moins, jusqu’à l’adoption de cette nouvelle décision. Le fait que, après l’adoption de la décision modificative de 2021, la Commission se soit désistée de son pourvoi ne modifie aucunement cette conclusion.
Au regard de l’ensemble de ce qui précède, le Tribunal conclut que l’exercice, par la Commission, de son pouvoir de sanction au titre de l’infraction constatée dans la décision de 2016 n’était pas prescrit au jour de l’adoption de la décision modificative de 2021. Le Tribunal écarte ensuite l’ensemble des autres moyens invoqués par HSBC à l’appui de sa demande en annulation de la décision modificative de 2021, ainsi que les conclusions de HSBC visant la réduction de l’amende infligée dans cette décision, et, par conséquent, rejette le recours dans son ensemble.
( 1 ) Décision C(2021) 4600 final de la Commission, du 28 juin 2021, modifiant la décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 - Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision modificative de 2021 »).
( 2 ) Décision C(2016) 8530 final de la Commission, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 - Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)] (ci-après la « décision de 2016 »).
( 3 ) Arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675).
( 4 ) Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).