ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

29 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Directive 2004/83/CE – Normes minimales relatives aux conditions d’octroi du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire – Article 4, paragraphe 1, seconde phrase – Coopération de l’État membre avec le demandeur pour évaluer les éléments pertinents de sa demande – Portée – Crédibilité générale d’un demandeur – Article 4, paragraphe 5, sous e) – Critères d’évaluation – Procédures communes pour l’octroi de la protection internationale – Directive 2005/85/CE – Examen approprié – Article 8, paragraphes 2 et 3 – Contrôle juridictionnel – Article 39 – Portée – Autonomie procédurale des États membres – Principe d’effectivité – Délai raisonnable pour la prise d’une décision – Article 23, paragraphe 2, et article 39, paragraphe 4 – Conséquences d’une méconnaissance éventuelle »

Dans l’affaire C‑756/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 23 novembre 2021, parvenue à la Cour le 9 décembre 2021, dans la procédure

X

contre

International Protection Appeals Tribunal,

Minister for Justice and Equality,

Ireland,

Attorney General,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 novembre 2022,

considérant les observations présentées :

pour X, par M. B. Burns, solicitor, M. H. Hofmann, Rechtsanwalt, et M. P. O’Shea, BL,

pour International Protection Appeals Tribunal, Minister for Justice and Equality, Ireland et The Attorney General, par Mme M. Browne, MM. C. Aherne et A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de Mme C. Donnelly, SC, et de Mmes E. Doyle et A. McMahon, BL,

pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma et L. Grønfeldt, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, et paragraphe 5, sous e), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12, et rectificatif JO 2005, L 204, p. 24), ainsi que de l’article 8, paragraphes 2 et 3, de l’article 23, paragraphe 2, et de l’article 39, paragraphe 4, de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X, premièrement, à l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale, Irlande) (ci-après l’« IPAT »), deuxièmement, au Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande), troisièmement, à l’Irlande et, quatrièmement, à l’Attorney General (Procureur général, Irlande) (ci‑après, ensemble, « IPAT e.a. »), au sujet du rejet par l’IPAT de ses recours contre les rejets de ses demandes d’asile et de protection subsidiaire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2004/83

3

La directive 2004/83 a été remplacée et abrogée par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9). Toutefois, l’Irlande n’ayant pas participé à l’adoption de cette dernière directive et n’étant pas liée par celle-ci, la directive 2004/83 continue à s’appliquer à cet État membre.

4

L’article 2, sous a), d), e), f), g) et k), de la directive 2004/83 contient les définitions suivantes :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire définis aux points d) et f) ;

[...]

d)

“statut de réfugié”, la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ;

e)

“personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

f)

“statut conféré par la protection subsidiaire”, la reconnaissance, par un État membre, d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ;

g)

“demande de protection internationale”, la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la présente directive et pouvant faire l’objet d’une demande séparée ;

[...]

k)

“pays d’origine”, le pays ou les pays dont le demandeur a la nationalité ou, s’il est apatride, le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle. »

5

Aux termes de l’article 4 de cette directive :

« 1.   Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

2.   Les éléments visés au paragraphe 1 correspondent aux informations du demandeur et à tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris celui des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalité(s), le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses pièces d’identité et ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale.

3.   Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)

tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b)

les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves ;

c)

le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposée pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

[...]

4.   Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

5.   Lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a)

le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande ;

b)

tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ;

c)

les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ;

d)

le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il ne puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait, et

e)

la crédibilité générale du demandeur a pu être établie. »

6

L’article 15, sous c), de ladite directive est ainsi libellé :

« Les atteintes graves sont :

[...]

c)

des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. »

La directive 2005/85

7

La directive 2005/85 a été remplacée et abrogée par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60). Toutefois, l’Irlande n’ayant pas participé à l’adoption de cette dernière directive et n’étant pas liée par celle-ci, la directive 2005/85 continue à s’appliquer à cet État membre.

8

Le considérant 11 de la directive 2005/85 énonce :

« Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’asile que les demandes d’asile fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible. L’organisation du traitement des demandes d’asile devrait être laissée à l’appréciation des États membres, de sorte qu’ils peuvent, en fonction de leurs besoins nationaux, donner la priorité à des demandes déterminées ou en accélérer le traitement, dans le respect des normes prévues par la présente directive. »

9

L’article 2, sous b) à e), de cette directive contient les définitions suivantes :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)

“demande” ou “demande d’asile”, la demande introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et pouvant être considérée comme une demande de protection internationale de la part d’un État membre en vertu de la [convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 [1954]), telle que complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, conclu à New York le 31 janvier 1967]. Toute demande de protection internationale est présumée être une demande d’asile, à moins que la personne concernée ne sollicite explicitement un autre type de protection pouvant faire l’objet d’une demande séparée ;

c)

“demandeur” ou “demandeur d’asile”, le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande d’asile sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise ;

d)

“décision finale”, toute décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE, et qui n’est plus susceptible d’un recours formé dans le cadre du chapitre V de la présente directive, que ce recours ait ou n’ait pas pour effet de permettre à un demandeur de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné en attendant son aboutissement, sous réserve de l’annexe III de la présente directive ;

e)

“autorité responsable de la détermination”, tout organe quasi juridictionnel ou administratif d’un État membre, responsable de l’examen des demandes d’asile et compétent pour se prononcer en premier ressort sur ces demandes, sous réserve de l’annexe I ».

10

L’article 8, paragraphes 2 et 3, de ladite directive prévoit :

« 2.   Les États membres font en sorte que les décisions sur les demandes d’asile soient prises par l’autorité responsable de la détermination à l’issue d’un examen approprié. À cet effet, ils veillent à ce que :

a)

les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ;

b)

des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs d’asile ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ;

c)

le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait une connaissance appropriée des normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés.

3.   Les autorités visées au chapitre V ont accès, par le biais de l’autorité responsable de la détermination, du demandeur ou autrement, aux informations générales visées au paragraphe 2, point b), nécessaires à l’accomplissement de leur mission. »

11

L’article 23, paragraphes 1 et 2, de la même directive dispose :

« 1.   Les États membres traitent les demandes d’asile dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II.

2.   Les États membres veillent à ce qu’une telle procédure soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d’un examen approprié et exhaustif.

Lorsqu’une décision ne peut pas être prise dans un délai de six mois, les États membres veillent à ce que le demandeur concerné :

a)

soit informé du retard, ou

b)

reçoive, lorsqu’il en fait la demande, des informations concernant le délai dans lequel sa demande est susceptible de faire l’objet d’une décision. Ces informations n’entraînent pour l’État membre aucune obligation, envers le demandeur, de statuer dans le délai indiqué. »

12

L’article 28, paragraphe 1, de la directive 2005/85 précise :

« Sans préjudice des articles 19 et 20, les États membres ne peuvent considérer une demande d’asile comme infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE. »

13

Aux termes de l’article 39, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 4, de la directive 2005/85 :

« 1.   Les États membres font en sorte que les demandeurs d’asile disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a)

une décision concernant leur demande d’asile [...]

[...]

4.   Les États membres peuvent fixer des délais pour l’examen par la juridiction visée au paragraphe 1 de la décision prise par l’autorité responsable de la détermination. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

X est un ressortissant pakistanais, entré en Irlande le 1er juillet 2015, après avoir séjourné, au cours de la période allant de l’année 2011 à l’année 2015, au Royaume-Uni où il n’a pas déposé de demande de protection internationale.

15

Le 2 juillet 2015, X a déposé en Irlande une demande d’octroi du statut de réfugié. Cette demande, initialement fondée sur un élément mensonger que X a rétracté lors de son premier entretien, s’appuyait sur le fait qu’il s’était trouvé à proximité immédiate de l’explosion d’une bombe dans un incident terroriste qui a eu lieu lors de funérailles au Pakistan et qui a tué une quarantaine de personnes, dont deux personnes qu’il connaissait. Il affirme avoir été profondément affecté par cet événement, de sorte qu’il a peur de vivre au Pakistan et craint de subir des atteintes graves s’il y est renvoyé. Il affirme souffrir d’anxiété, de dépression et de troubles du sommeil. Ladite demande a été rejetée par le Refugee Applications Commissioner (commissaire chargé des demandes des réfugiés, Irlande) par décision du 14 novembre 2016.

16

Le 2 décembre 2016, X a introduit un recours contre cette décision devant le Refugee Appeals Tribunal (tribunal d’appel des réfugiés, Irlande). La procédure relative à ce recours a été suspendue en raison de modifications législatives intervenues le 31 décembre 2016, par l’entrée en vigueur de l’International Protection Act 2015 (loi de 2015 sur la protection internationale) qui a unifié les différentes procédures de protection internationale prévues antérieurement et a créé, notamment, l’International Protection Office (ci-après l’« IPO ») et l’IPAT.

17

Le 13 mars 2017, X a déposé une demande de protection subsidiaire. Le rejet de cette demande par l’IPO a également fait l’objet d’un recours devant l’IPAT.

18

Par décision du 7 février 2019, l’IPAT a rejeté les deux recours.

19

Le 7 avril 2019, X a formé un pourvoi devant la High Court (Haute Cour, Irlande), demandant l’annulation de cette décision de l’IPAT.

20

À l’appui de ce recours, il fait valoir, premièrement, que l’IPAT a consulté des informations sur le pays d’origine incomplètes et dépassées, datant des années 2015 à 2017, de sorte qu’il n’a pas tenu compte de la situation prévalant au Pakistan à la date de l’adoption de la décision du 7 février 2019. En outre, l’IPAT n’aurait pas examiné de manière appropriée les informations dont il disposait.

21

Deuxièmement, le délai pour statuer sur la demande du 2 juillet 2015 serait manifestement déraisonnable et porterait atteinte au principe d’effectivité, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et aux normes procédurales minimales établies par la directive 2005/85.

22

Troisièmement, l’IPAT aurait été informé de l’état de santé mentale de X, mais n’aurait rien fait pour s’assurer qu’il disposait de tous les éléments de preuve nécessaires pour pouvoir statuer correctement sur les demandes. En particulier, l’IPAT aurait dû demander une expertise médicolégale utilisée généralement au soutien de la demande d’asile d’une personne ayant subi des actes de torture, voire une autre expertise sur son état de santé mentale.

23

Quatrièmement, en ce qui concerne d’autres éléments pertinents pour sa demande, X ne se serait pas vu accorder le bénéfice du doute, alors même que son état de santé mentale n’aurait pas été dûment constaté et pris en considération. Ainsi, des éléments pertinents de son argumentation n’auraient pas été vérifiés ou auraient été méconnus et il n’y aurait eu aucune coopération entre lui et les autorités compétentes, et notamment pas en ce qui concerne ladite expertise médicolégale.

24

Cinquièmement, dans les circonstances de l’affaire, caractérisées par le fait que le demandeur a admis qu’une version antérieure des événements allégués était fausse, et qu’il existerait au moins une possibilité que le demandeur souffre de problèmes de santé mentale, il serait déraisonnable de conclure que X n’est pas crédible en ce qui concerne des aspects essentiels de son argumentation.

25

À cet égard, la High Court (Haute Cour) fait observer, tout d’abord, que l’IPAT ne s’est pas procuré les informations actualisées sur le pays d’origine ni d’expertise médicolégale. Toutefois, elle se demande si l’IPAT était tenu, en vertu du droit de l’Union, de se procurer une telle expertise et s’il est compatible avec le droit de l’Union d’exiger, conformément au droit national, que X établisse, afin d’obtenir l’annulation de la décision de l’IPAT, en outre l’existence d’un préjudice découlant de ce manquement.

26

Ensuite, la juridiction de renvoi se demande quelles conséquences elle doit tirer du fait que plus de trois ans et six mois se sont écoulés entre le dépôt de la demande du 2 juillet 2015 et l’adoption de la décision de l’IPAT le 7 février 2019, délai de décision qu’elle pourrait considérer comme étant déraisonnable.

27

Enfin, cette juridiction émet des doutes sur le fait qu’une seule déclaration mensongère, qui a fait l’objet d’une explication de la part de X avant que celui-ci ne se rétracte dès que l’occasion s’est présentée, puisse suffire à justifier la mise en cause de la crédibilité générale de X.

28

Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Dans le cas où, dans le cadre d’une demande de protection subsidiaire d’un demandeur, il y a eu une violation totale du devoir de coopération décrit au point 66 de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744), l’examen de cette demande a-t-il été privé “de tout effet utile”, au sens pris en compte dans l’arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683) ?

2)

Si la première question appelle une réponse affirmative, la violation susmentionnée du devoir de coopération ouvre-t-elle à elle seule, en faveur de ce demandeur, un droit à l’annulation de la décision ?

3)

Si la deuxième question appelle une réponse négative, qui supporte, le cas échéant, la charge d’établir que la décision de rejet aurait pu être différente s’il y avait eu une coopération adéquate de la part du décideur ?

4)

Le fait de ne pas adopter de décision sur la demande de protection internationale d’un demandeur dans un délai raisonnable ouvre-t-il en faveur de celui-ci un droit à l’annulation d’une décision lorsqu’elle est rendue ?

5)

Le temps pris pour opérer des modifications au cadre applicable à la protection des demandeurs d’asile dans un État membre a-t-il pour effet de dispenser cet État membre d’appliquer un système de protection internationale qui aurait assuré qu’une décision soit adoptée sur une telle demande de protection dans un délai raisonnable ?

6)

Lorsqu’un décideur en matière de protection internationale ne dispose pas de preuves suffisantes quant à l’état de santé mentale d’un demandeur, mais qu’il est en présence de certains éléments établissant la possibilité que le demandeur souffre de problèmes de cet ordre, ce décideur a-t-il, conformément au devoir de coopération mentionné dans l’arrêt du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, point 66), ou à un autre titre, le devoir de procéder à des investigations complémentaires, ou tout autre devoir, avant de parvenir à une décision finale ?

7)

Lorsqu’un État membre s’acquitte du devoir d’évaluer les éléments pertinents d’une demande, qui lui incombe en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive [2004/83], est-il permis de déclarer que la crédibilité générale du demandeur n’a pas été établie, et ce du fait d’un seul mensonge, expliqué et rétracté par la suite à la première occasion raisonnablement à sa disposition, sans autre élément à cet égard ? »

Sur la procédure devant la Cour

29

La juridiction de renvoi a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

30

Le 17 décembre 2021, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande, étant donné que cette juridiction n’avait fourni aucun élément permettant de constater qu’il aurait été urgent de statuer sur la présente affaire. En particulier, ladite juridiction n’avait pas fait état d’une situation de détention de X ni a fortiori exposé les motifs pour lesquels les réponses de la Cour auraient pu être déterminantes pour une éventuelle libération de celui-ci.

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

31

En premier lieu, IPAT e.a. relèvent que, contrairement à ce que laisse entendre le libellé de la première question, la juridiction de renvoi n’a ni constaté une violation totale du devoir de coopération incombant aux autorités compétentes ni pu effectuer une telle constatation sur la base des faits de l’affaire pendante devant elle. Cette question serait, dès lors, hypothétique et inviterait la Cour, par ailleurs, à rendre une décision déterminante sur les faits de l’affaire au principal, ce qui ne serait pas de son ressort. Or, de telles considérations affecteraient tout autant les deuxième et troisième questions, en raison de leur lien étroit avec la première question.

32

En deuxième lieu, les quatrième et cinquième questions seraient également hypothétiques, étant donné que la High Court (Haute Cour) n’aurait pas effectué de constatation de manquement à l’obligation de rendre une décision dans un délai raisonnable.

33

En troisième lieu, une réponse à la sixième question ne serait pas nécessaire, l’IPAT ayant tenu compte des preuves médicales fournies par X, sans les mettre en cause.

34

En quatrième lieu, la septième question serait hypothétique, étant donné que X aurait précisé ne pas contester les conclusions de l’IPAT relatives à sa crédibilité et que le mensonge admis n’aurait pas été, contrairement à ce qu’insinuerait cette question, le seul élément ayant conduit l’IPAT à considérer que la crédibilité de X n’était pas établie. En effet, X n’aurait mentionné que très tardivement des éléments clés relatifs aux événements passés et n’aurait pas sollicité la protection internationale dans sa demande initiale.

35

Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C-339/20 et C‑397/20, EU:C:2022:703, point 56).

36

Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C-339/20 et C-397/20, EU:C:2022:703, point 57).

37

Par ailleurs, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union européenne et nationales, il incombe à la Cour de prendre en compte le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi [arrêt du 20 octobre 2022, Centre public d’action sociale de Liège (Retrait ou suspension d’une décision de retour), C-825/21, EU:C:2022:810, point 35].

38

Partant, dès lors que la juridiction de renvoi a défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose, il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C-349/17, EU:C:2019:172, point 50).

39

En l’occurrence, en premier lieu, il ressort des première à troisième questions que la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si les éléments de fait relatés constituent une violation de l’obligation de coopération et quelles conséquences elle doit, le cas échéant, tirer d’une telle constatation, eu égard aux limites que le droit national impose aux compétences de cette juridiction. Contrairement à ce que prétendent IPAT e.a., ces questions n’ont rien d’hypothétique, dès lors qu’elles sont au cœur du litige au principal. En outre, la Cour est invitée à répondre à ces questions en interprétant le droit de l’Union et, partant, peut y procéder sans rendre de décision déterminante sur les faits au principal.

40

En deuxième lieu, dès lors qu’il ressort sans équivoque de la décision de renvoi que la High Court (Haute Cour) envisage de constater un manquement à l’obligation de rendre une décision dans un délai raisonnable, les quatrième et cinquième questions ne sauraient être hypothétiques en raison du seul fait que cette juridiction n’a pas encore opéré une telle constatation.

41

En troisième lieu, le fait que l’IPAT a tenu compte des preuves médicales fournies par X, sans les mettre en cause, n’infirme aucunement la pertinence de la sixième question, qui porte sur l’obligation éventuelle de diligenter une expertise médicolégale complémentaire.

42

En quatrième lieu, par leurs objections à la recevabilité de la septième question, IPAT e.a. contestent les constatations factuelles effectuées par la juridiction de renvoi ainsi que l’appréciation de cette dernière s’agissant de la pertinence de cette question pour la résolution du litige au principal. Or, il n’appartient pas à la Cour de se substituer à la juridiction de renvoi ni en ce qui concerne la constatation des faits ni à l’égard d’une telle appréciation.

43

Il découle des considérations qui précèdent que les objections formulées par IPAT e.a. à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle doivent être écartées comme étant non fondées.

Sur les première et sixième questions, relatives au devoir de coopération

44

Par ses première et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens que l’obligation de coopération prévue à cette disposition impose à l’autorité responsable de la détermination de se procurer, d’une part, des informations actualisées portant sur tous les faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile et de protection internationale ainsi que, d’autre part, une expertise médicolégale sur la santé mentale de celui-ci, lorsqu’il existe des indices de problèmes de santé mentale pouvant résulter d’un événement traumatisant survenu dans ce pays d’origine.

45

D’emblée, il convient de relever que l’article 4 de la directive 2004/83 est, ainsi qu’il ressort de son intitulé, relatif à l’« évaluation des faits et circonstances ».

46

Aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, d’une part, les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. D’autre part, il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

47

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’évaluation des faits et des circonstances se déroule en deux étapes distinctes. La première étape concerne l’établissement des circonstances factuelles susceptibles de constituer les éléments de preuve au soutien de la demande, alors que la seconde étape est relative à l’appréciation juridique de ces éléments, consistant à décider si, eu égard aux faits caractérisant un cas d’espèce, les conditions de fond prévues aux articles 9 et 10 ou 15 de la directive 2004/83 pour l’octroi d’une protection internationale sont remplies (arrêt du 22 novembre 2012, M., C-277/11, EU:C:2012:744, point 64).

48

Or, si, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83, il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, la Cour a déjà clarifié que les autorités des États membres doivent, le cas échéant, coopérer activement avec celui-ci afin de déterminer et de compléter les éléments pertinents de la demande, ces autorités étant d’ailleurs souvent mieux placées que le demandeur pour avoir accès à certains types de documents (arrêt du 22 novembre 2012, M., C-277/11, EU:C:2012:744, points 65 et 66).

49

S’agissant de l’étendue de cette coopération, il résulte du contexte dans lequel s’inscrit cette disposition, et notamment, d’une part, de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2005/85, que l’autorité responsable de la détermination est chargée de procéder à un examen approprié des demandes à l’issue duquel elle rendra sa décision à leur sujet (arrêt du 25 janvier 2018, F, C‑473/16, EU:C:2018:36, point 40).

50

En particulier, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, l’appréciation qui porte sur la question de savoir si les circonstances établies constituent ou non une menace telle que la personne concernée peut avec raison craindre, au regard de sa situation individuelle, d’être effectivement l’objet d’actes de persécution doit, dans tous les cas, être effectuée avec vigilance et prudence, dès lors que sont en cause des questions d’intégrité de la personne humaine et de libertés individuelles, questions qui relèvent des valeurs fondamentales de l’Union (arrêt du 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e.a., C-175/08, C‑176/08, C-178/08 et C-179/08, EU:C:2010:105, points 89 et 90).

51

Il ressort, d’autre part, de l’article 4, paragraphe 3, sous a) à c), et paragraphe 5, de la directive 2004/83 que l’examen de la demande de protection internationale doit comprendre une évaluation individuelle de cette demande en tenant compte, notamment, de tous les faits pertinents concernant le pays d’origine de l’intéressé au moment de statuer sur la demande, des informations et des documents pertinents présentés par celui-ci ainsi que du statut individuel et de la situation personnelle de ce dernier. Le cas échéant, l’autorité compétente doit également prendre en considération les explications fournies concernant l’absence d’éléments probants et la crédibilité générale du demandeur (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2018, F, C-473/16, EU:C:2018:36, point 41).

52

Il convient également de rappeler que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions, aux termes de l’article 28, paragraphe 1, de la directive 2005/85, les États membres ne peuvent considérer une demande d’asile comme étant infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83.

53

Partant, lorsqu’une personne remplit les conditions de fond prévues aux articles 9 et 10 ou 15 de la directive 2004/83 pour bénéficier de l’octroi d’une protection internationale, les États membres sont tenus, sous réserve des causes d’exclusion prévues par cette directive, d’octroyer la protection internationale sollicitée, ces États ne disposant pas d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C-556/17, EU:C:2019:626, point 50 et jurisprudence citée).

54

Il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 48 à 53 du présent arrêt que l’obligation de coopération prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 implique que l’autorité responsable de la détermination, en l’occurrence l’IPO, ne peut procéder à un examen approprié des demandes ni, partant, déclarer une demande non fondée sans prendre en considération, au moment de statuer sur la demande, d’une part, tous les faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine ainsi que, d’autre part, l’ensemble des éléments pertinents liés au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur.

55

S’agissant des faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine, il découle d’une lecture conjointe de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 et de l’article 8, paragraphe 2, sous b), de la directive 2005/85 que les États membres doivent veiller à ce que des informations précises et actualisées soient obtenues sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et, le cas échéant, dans les pays par lesquels ils ont transité (arrêt du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 67).

56

En ce qui concerne les éléments pertinents liés au statut individuel et à la situation personnelle du demandeur, il importe de rappeler que les dispositions de la directive 2005/85 ne limitent pas les moyens dont peuvent disposer les autorités compétentes et, en particulier, n’excluent pas le recours aux expertises dans le cadre du processus d’évaluation des faits et des circonstances afin de déterminer avec davantage de précision les besoins de protection internationale réels du demandeur, à condition que les modalités d’un éventuel recours, dans ce cadre, à une expertise soient conformes aux autres dispositions de droit de l’Union pertinentes, notamment aux droits fondamentaux garantis par la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2018, F, C-473/16, EU:C:2018:36, points 34 et 35).

57

L’évaluation individuelle ainsi requise peut donc notamment inclure le recours à une expertise médicolégale, si une telle expertise s’avère nécessaire ou pertinente pour apprécier, avec la vigilance et la prudence requises, les besoins de protection internationale réels du demandeur, à condition que les modalités d’un tel recours soient conformes, notamment, aux droits fondamentaux garantis par la Charte.

58

Il en découle que l’autorité responsable de la détermination dispose d’une marge d’appréciation relative à la nécessité et à la pertinence d’une telle expertise et que, lorsqu’elle constate une telle nécessité ou une telle pertinence, il lui incombe de coopérer avec le demandeur pour se la procurer, dans les limites évoquées au point précédent.

59

Enfin, dans la mesure où il ressort de la décision de renvoi que la High Court (Haute Cour) s’interroge, plus particulièrement, sur le point de savoir si les constatations effectuées aux points 54 à 58 du présent arrêt s’appliquent également à l’IPAT, il convient de relever que cette juridiction a précisé, en réponse à une question posée par la Cour, qu’il résulte de la législation irlandaise applicable que l’IPAT est appelé à effectuer un contrôle complet et ex nunc des décisions de l’IPO, qu’il a, en particulier, le pouvoir d’exiger du ministre de la Justice et de l’Égalité qu’il réalise des enquêtes ou lui fournisse des informations et que l’IPAT peut, notamment en fonction de tels éléments, confirmer les décisions de l’IPO ou les annuler et recommander, de manière contraignante, que le statut de réfugié ou de protection subsidiaire soit accordé.

60

Dans de telles conditions, force est de constater que lesdites constatations s’appliquent également à l’IPAT. En effet, un tel contrôle du bien-fondé des motifs de la décision de l’IPO implique l’obtention et l’examen des informations précises et actualisées sur la situation existant dans le pays d’origine du demandeur se trouvant, notamment, à la base de cette décision, ainsi que la possibilité d’ordonner des mesures d’instruction, afin de pouvoir statuer ex nunc. L’IPAT peut donc être tenu d’obtenir et d’examiner de telles informations précises et actualisées, y compris une expertise médicolégale jugée pertinente ou nécessaire.

61

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et sixième questions que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens que l’obligation de coopération prévue à cette disposition impose à l’autorité responsable de la détermination de se procurer, d’une part, des informations précises et actualisées portant sur tous les faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile et de protection internationale ainsi que, d’autre part, une expertise médicolégale sur la santé mentale de celui-ci, lorsqu’il existe des indices de problèmes de santé mentale pouvant résulter d’un événement traumatisant survenu dans ce pays d’origine et que le recours à une telle expertise s’avère nécessaire ou pertinent pour apprécier les besoins de protection internationale réels dudit demandeur, à condition que les modalités d’un recours à une telle expertise soient conformes, notamment, aux droits fondamentaux garantis par la Charte.

Sur les deuxième et troisième questions, relatives aux conséquences procédurales découlant d’une violation du devoir de coopération

62

Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens que la constatation, dans le cadre de l’exercice d’un second degré de contrôle juridictionnel prévu par le droit national, d’une violation de l’obligation de coopération prévue à cette disposition doit emporter, à elle seule, l’annulation de la décision rejetant le recours exercé contre une décision rejetant une demande de protection internationale, ou s’il peut être imposé au demandeur de la protection internationale de démontrer que la décision rejetant le recours aurait pu être différente en l’absence d’une telle violation.

63

À titre liminaire, il convient de relever que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle ainsi que dans sa réponse à la question posée par la Cour, l’IPAT doit être considéré comme étant un tribunal de première instance auquel ont été confiées les tâches de contrôle juridictionnel prévues à l’article 39 de la directive 2005/85. C’est à ce titre qu’il est appelé à effectuer le contrôle complet évoqué au point 59 du présent arrêt, qui implique qu’il est compétent pour rendre une décision ex nunc en fonction des éléments produits devant lui, le cas échéant à sa demande, et qu’il est habilité à confirmer ou à annuler, en fonction de ces éléments, une décision de l’IPO et, le cas échéant, à recommander, de manière contraignante, que le statut de réfugié ou de protection subsidiaire soit accordé. Il convient d’ajouter qu’il n’a pas été allégué devant la Cour et qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier dont dispose la Cour que le contrôle juridictionnel que l’IPAT est ainsi appelé à exercer sur les décisions de l’IPO rejetant une demande de protection internationale ne satisferait pas aux exigences de cet article 39.

64

Il découle de cette demande et de cette réponse que la juridiction de renvoi doit, quant à elle, être considérée comme étant une juridiction de second degré chargée, ainsi qu’elle l’a précisé, d’un contrôle des décisions de l’IPAT limité, d’une part, à l’excès de pouvoir, aux erreurs de droit ou substantielles de fait, au caractère irrationnel ou disproportionné d’une telle décision et à la violation des principes d’équité des procédures ou de protection de la confiance légitime ainsi que, d’autre part, en cas de constat d’une telle illégalité, à l’annulation de ces décisions et au renvoi des affaires devant ce dernier.

65

Ainsi que l’a également précisé cette juridiction, celle-ci doit, cependant, s’abstenir de prononcer une telle annulation et un tel renvoi s’il apparaît que, même en l’absence d’une illégalité constatée, la décision de l’IPAT n’aurait pas pu être différente. En effet, le droit irlandais imposerait à la partie demandant l’annulation de cette décision la charge de démontrer que ladite décision aurait pu être différente en l’absence de cette illégalité.

66

Or, dès lors que la directive 2005/85 ne contient aucune règle relative à la possibilité d’interjeter appel de la décision statuant sur le recours exercé contre une décision rejetant une demande de protection internationale ou régissant explicitement le régime d’un éventuel recours en appel, il y a lieu de considérer que la protection conférée par ledit article 39, lu à la lumière des articles 18 et 47 de la Charte, se limite à l’existence d’une voie de recours juridictionnelle et n’exige pas l’instauration de plusieurs degrés de juridiction [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, point 33].

67

En l’absence d’une réglementation de l’Union en la matière, il appartient donc, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de décider de l’instauration éventuelle d’un deuxième degré de juridiction contre un jugement statuant sur un recours visant une décision rejetant une demande de protection internationale et de régler, le cas échéant, les modalités procédurales de ce deuxième degré de juridiction, à condition, toutefois, que ces modalités ne soient pas, dans les situations relevant du droit de l’Union, moins favorables que dans des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) [voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, points 34 et 35, ainsi que du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 42].

68

S’agissant du principe d’équivalence, il ressort de la réponse de la juridiction de renvoi à la question qui lui a été posée par la Cour que les modalités procédurales évoquées aux points 64 et 65 du présent arrêt s’appliquent toujours au contrôle de second degré que cette juridiction exerce, aussi bien lorsque la situation relève du droit de l’Union que lorsqu’elle relève du droit interne.

69

En ce qui concerne le principe d’effectivité, il n’apparaît pas que la charge de démontrer que, en l’absence d’une violation constatée de l’obligation de coopération, la décision de l’IPO et/ou celle de l’IPAT auraient pu être différentes rendrait impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

70

En effet, d’une part, une telle charge apparaît impliquer non pas qu’un demandeur de protection internationale doive démontrer que la décision aurait été différente en l’absence de cette violation, mais seulement qu’il ne saurait être exclu que la décision aurait pu être différente.

71

D’autre part, s’il s’avérait d’emblée ou si l’autorité compétente parvient à démontrer devant la juridiction de renvoi, le cas échéant en réponse aux allégations du demandeur de la protection internationale, que, même en l’absence de ladite violation, la décision n’aurait en aucun cas pu être différente, il n’apparaît pas qu’il y ait des droits conférés par le droit de l’Union dont l’exercice serait rendu impossible en pratique ou excessivement difficile. En effet, la juridiction de renvoi se présente ainsi comme exerçant elle-même un contrôle sur le bien-fondé de ladite décision, de sorte que, dans un tel cas, une annulation et un renvoi de l’affaire devant l’IPAT risqueraient de se borner à dédoubler ce contrôle et à prolonger inutilement la procédure.

72

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens que la constatation, dans le cadre de l’exercice d’un second degré de contrôle juridictionnel prévu par le droit national, d’une violation de l’obligation de coopération prévue à cette disposition ne doit pas nécessairement emporter, à elle seule, l’annulation de la décision rejetant le recours exercé contre une décision rejetant une demande de protection internationale, dès lors qu’il peut être imposé au demandeur de la protection internationale de démontrer que la décision rejetant le recours aurait pu être différente en l’absence d’une telle violation.

Sur les quatrième et cinquième questions, relatives au délai raisonnable

73

Par ses quatrième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, dont en particulier l’article 23, paragraphe 2, et l’article 39, paragraphe 4, de la directive 2005/85, doit être interprété en ce sens que les délais qui se sont écoulés entre, d’une part, le dépôt de la demande d’asile et, d’autre part, l’adoption des décisions de l’autorité responsable de la détermination et de la juridiction de première instance compétente peuvent être justifiés par des modifications législatives intervenues dans l’État membre au cours de ces délais et, si tel n’était pas le cas, si le caractère le cas échéant déraisonnable de l’un ou de l’autre de ces délais peut emporter, à lui seul, l’annulation de la décision de la juridiction de première instance compétente.

74

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 89 à 93 de ses conclusions, il ressort de la structure, de l’économie et des objectifs de la directive 2005/85, tout d’abord, que les délais prévus, respectivement, à l’article 23, paragraphe 2, et à l’article 39, paragraphe 4, de celle-ci doivent être distingués, le premier s’appliquant à la procédure administrative, tandis que le second vise la procédure juridictionnelle.

75

Ensuite, ainsi qu’il ressort également du libellé de ces dispositions, lesdits délais ne présentent pas de caractère contraignant pour la prise d’une décision.

76

Enfin, étant donné que la première de ces dispositions prévoit que les États membres veillent à ce que la procédure administrative soit menée à terme dans les meilleurs délais, que la seconde de celles-ci permet expressément aux États membres de fixer des délais pour l’examen par la juridiction compétente de la décision prise par l’autorité responsable de la détermination et que le considérant 11 de la directive 2005/85 indique qu’il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs que les demandes fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, cette directive appelle à la célérité dans l’examen tant des demandes de protection internationale que des recours introduits contre, notamment, les décisions rejetant de telles demandes.

77

En effet, l’effectivité de l’accès au statut conféré par la protection internationale nécessite que l’examen de la demande intervienne au terme d’un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, N., C-604/12, EU:C:2014:302, point 45). En outre, il découle des termes mêmes de l’article 47 de la Charte que la protection juridictionnelle effective exige que la cause d’une personne soit entendue, notamment, dans un délai raisonnable par un tribunal.

78

Il incombera donc à la juridiction de renvoi d’examiner si les décisions prises, respectivement, au terme de la phase administrative par l’IPO et au terme de la procédure juridictionnelle de première instance par l’IPAT l’ont été dans un délai raisonnable, au regard des circonstances de l’espèce.

79

S’agissant de ces circonstances, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la durée de la procédure n’est pas fixée par une disposition du droit de l’Union, le caractère « raisonnable » du délai pris pour adopter l’acte en cause doit être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 122 et jurisprudence citée).

80

Or, ne figurent pas parmi ces circonstances propres à chaque affaire des modifications législatives intervenues dans un État membre au cours des phases administrative ou juridictionnelles du traitement d’une affaire. En effet, il résulte des éléments relevés aux points 76 et 77 du présent arrêt que les États membres sont tenus de veiller à ce que ces procédures soient menées à terme dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans un délai raisonnable. Ils ne sauraient, dès lors, invoquer des circonstances qui sont de leur ressort, telles que des modifications législatives, pour justifier des méconnaissances éventuelles de cette exigence.

81

Cela étant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 103 à 105 de ses conclusions, la méconnaissance éventuelle de l’exigence de traitement des affaires dans un délai raisonnable en matière de protection internationale, lors de la phase tant administrative que juridictionnelle, ne saurait avoir pour conséquence, à elle seule, l’annulation d’une décision rejetant un recours tendant à l’annulation d’une décision qui n’a pas accueilli une demande de protection internationale, à moins que le dépassement du délai raisonnable n’ait eu pour conséquence une violation des droits de la défense.

82

En effet, les décisions portant sur le caractère fondé ou non des demandes de protection internationale devant être prises en considération des critères matériels d’octroi d’une telle protection, prévus par la directive 2004/83, le non-respect d’un délai raisonnable ne saurait conduire, en l’absence de tout indice selon lequel la durée excessive d’une procédure administrative ou juridictionnelle aurait eu une incidence sur la solution du litige, à l’annulation de la décision administrative ou de la décision juridictionnelle attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission, C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, point 84).

83

En revanche, lorsqu’il existe des indices selon lesquels la durée excessive d’une procédure administrative ou juridictionnelle a pu avoir une incidence sur la solution du litige, le non-respect d’un délai raisonnable peut conduire à l’annulation de la décision administrative ou de la décision juridictionnelle attaquée, notamment lorsque ce non-respect a pour conséquence qu’il est porté atteinte aux droits de la défense qui sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (voir, par analogie, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑110/10 P, EU:C:2011:687, points 47 à 52).

84

Partant, si le dossier présenté à la Cour ne contient aucun élément tendant à établir que le caractère le cas échéant déraisonnable de l’un ou de l’autre des deux délais en cause au principal a eu pour conséquence qu’il est porté atteinte aux droits de la défense de X, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier cette circonstance.

85

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux quatrième et cinquième questions que le droit de l’Union, dont en particulier l’article 23, paragraphe 2, et l’article 39, paragraphe 4, de la directive 2005/85, doit être interprété en ce sens que :

les délais qui se sont écoulés entre, d’une part, le dépôt de la demande d’asile et, d’autre part, l’adoption des décisions de l’autorité responsable de la détermination et de la juridiction de première instance compétente ne peuvent pas être justifiés par des modifications législatives nationales intervenues au cours de ces délais, et

le caractère déraisonnable de l’un ou de l’autre desdits délais ne peut pas justifier, à lui seul et en l’absence de tout indice selon lequel la durée excessive de la procédure administrative ou juridictionnelle aurait eu une incidence sur la solution du litige, l’annulation de la décision de la juridiction de première instance compétente.

Sur la septième question, relative à la crédibilité générale d’un demandeur

86

Par sa septième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 5, sous e), de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens qu’une déclaration mensongère, figurant dans la demande initiale de protection internationale, qui a fait l’objet d’une explication et d’une rétractation de la part du demandeur d’asile dès que l’occasion s’est présentée, est de nature à empêcher, à elle seule, l’établissement de la crédibilité générale de celui-ci, au sens de cette disposition.

87

Conformément à l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2004/83, lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions énumérées aux points a) à e) de cette disposition sont remplies.

88

Ces conditions cumulatives tiennent au fait que le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, qu’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a présenté tous les éléments pertinents à sa disposition, qu’il a fourni une explication satisfaisante quant à l’absence d’autres éléments probants, que les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles, qu’elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande et que la crédibilité générale du demandeur a pu être établie.

89

Partant, il résulte de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2004/83 que, lorsque les conditions énumérées aux points a) à e) de cette disposition ne sont pas remplies de manière cumulative, les déclarations des demandeurs d’asile qui ne sont pas étayées par des preuves peuvent nécessiter confirmation (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 2014, A e.a., C‑148/13 à C‑150/13, EU:C:2014:2406, point 51).

90

Il en découle que la crédibilité générale du demandeur d’asile est un élément, parmi d’autres, à prendre en compte pour vérifier, lors de la première étape d’évaluation, prévue à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83, qui concerne l’établissement des circonstances factuelles susceptibles de constituer les éléments de preuve au soutien de la demande, si les déclarations des demandeurs d’asile nécessitent confirmation.

91

Or, il convient de considérer que les constatations effectuées, dans un cas particulier, relatives aux conditions énoncées à l’article 4, paragraphe 5, sous a) à d), de la directive 2004/83 sont susceptibles d’influer sur l’appréciation de la crédibilité générale du demandeur visée au point e) de cette disposition.

92

Cela étant, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 109 de ses conclusions, l’appréciation de la crédibilité générale du demandeur d’asile ne saurait se limiter à la prise en compte desdites conditions énoncées à l’article 4, paragraphe 5, sous a) à d), de la directive 2004/83, mais doit être effectuée, comme l’a relevé le gouvernement allemand, en prenant en compte, dans le cadre d’une appréciation globale et individuelle, tout autre élément pertinent de l’espèce.

93

Dans le cadre d’une telle analyse, certes, une déclaration mensongère figurant dans la demande initiale de protection internationale constitue un élément pertinent à prendre en compte. Toutefois, celui-ci ne saurait, à lui seul, empêcher que la crédibilité générale du demandeur soit établie. En effet, sont tout aussi pertinents le fait que cette déclaration mensongère a fait l’objet d’une explication et d’une rétractation de la part du demandeur d’asile dès que l’occasion s’est présentée, les prétentions qui ont remplacées cette déclaration mensongère et le comportement ultérieur du demandeur d’asile.

94

Enfin, si l’appréciation de l’ensemble des éléments pertinents de l’affaire au principal devait aboutir à ce que la crédibilité générale du demandeur d’asile ne peut pas être établie, les déclarations de celui-ci qui ne sont pas étayées par des preuves peuvent donc nécessiter confirmation, auquel cas il peut incomber à l’État membre concerné de coopérer avec ce demandeur, ainsi qu’il a été rappelé, notamment, aux points 47 et 48 du présent arrêt, pour permettre la réunion de l’ensemble des éléments de nature à étayer la demande d’asile.

95

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la septième question que l’article 4, paragraphe 5, sous e), de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens qu’une déclaration mensongère, figurant dans la demande initiale de protection internationale, qui a fait l’objet d’une explication et d’une rétractation de la part du demandeur d’asile dès que l’occasion s’est présentée, n’est pas de nature à empêcher, à elle seule, l’établissement de la crédibilité générale de celui-ci, au sens de cette disposition.

Sur les dépens

96

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts,

doit être interprété en ce sens que :

l’obligation de coopération prévue à cette disposition impose à l’autorité responsable de la détermination de se procurer, d’une part, des informations précises et actualisées portant sur tous les faits pertinents concernant la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile et de protection internationale ainsi que, d’autre part, une expertise médicolégale sur la santé mentale de celui-ci, lorsqu’il existe des indices de problèmes de santé mentale pouvant résulter d’un événement traumatisant survenu dans ce pays d’origine et que le recours à une telle expertise s’avère nécessaire ou pertinent pour apprécier les besoins de protection internationale réels dudit demandeur, à condition que les modalités d’un recours à une telle expertise soient conformes, notamment, aux droits fondamentaux garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

la constatation, dans le cadre de l’exercice d’un second degré de contrôle juridictionnel prévu par le droit national, d’une violation de l’obligation de coopération prévue à cette disposition ne doit pas nécessairement emporter, à elle seule, l’annulation de la décision rejetant le recours exercé contre une décision rejetant une demande de protection internationale, dès lors qu’il peut être imposé au demandeur de la protection internationale de démontrer que la décision rejetant le recours aurait pu être différente en l’absence d’une telle violation.

 

2)

Le droit de l’Union, dont en particulier l’article 23, paragraphe 2, et l’article 39, paragraphe 4, de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, doit être interprété en ce sens que :

les délais qui se sont écoulés entre, d’une part, le dépôt de la demande d’asile et, d’autre part, l’adoption des décisions de l’autorité responsable de la détermination et de la juridiction de première instance compétente ne peuvent pas être justifiés par des modifications législatives nationales intervenues au cours de ces délais, et

le caractère déraisonnable de l’un ou de l’autre desdits délais ne peut pas justifier, à lui seul et en l’absence de tout indice selon lequel la durée excessive de la procédure administrative ou juridictionnelle aurait eu une incidence sur la solution du litige, l’annulation de la décision de la juridiction de première instance compétente.

 

3)

L’article 4, paragraphe 5, sous e), de la directive 2004/83

doit être interprété en ce sens que :

une déclaration mensongère, figurant dans la demande initiale de protection internationale, qui a fait l’objet d’une explication et d’une rétractation de la part du demandeur d’asile dès que l’occasion s’est présentée, n’est pas de nature à empêcher, à elle seule, l’établissement de la crédibilité générale de celui-ci, au sens de cette disposition.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.