ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 5, quatrième tiret – Taux d’accise différenciés en fonction de l’utilisation professionnelle, ou non, de ces produits – Exonérations et réductions fiscales facultatives – Présentation d’une demande de réduction fiscale facultative après l’expiration du délai prévu à cette fin mais avant l’expiration du délai de liquidation de la taxe concernée – Principe de sécurité juridique – Principe d’effectivité – Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑553/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 8 juin 2021, parvenue à la Cour le 8 septembre 2021, dans la procédure

Hauptzollamt Hamburg

contre

Shell Deutschland Oil GmbH,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le Hauptzollamt Hamburg, par M. C. Schaade, en qualité d’agent,

pour Shell Deutschland Oil GmbH, par Mes J. Dengler, L. Freiherr von Rummel et R. Stein, Rechtsanwälte,

pour la Commission européenne, par Mme A. Armenia et M. R. Pethke, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, lu en combinaison avec l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Hauptzollamt Hamburg (bureau principal des douanes de Hambourg, Allemagne) (ci-après le « bureau des douanes ») à Shell Deutschland Oil GmbH (ci-après « Shell ») au sujet du refus du bureau des douanes d’exonérer cette société de la taxe sur l’énergie frappant les produits énergétiques utilisés par celle-ci comme combustible à des fins professionnelles.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 3, 17 et 21 de la directive 2003/96 énoncent :

« (3)

Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.

[...]

(17)

Il y a lieu de fixer des niveaux minima communautaires de taxation différents selon l’usage des produits énergétiques et de l’électricité.

[...]

(21)

La consommation de produits énergétiques et d’électricité par les entreprises peut être taxée différemment de la consommation non professionnelle. »

4

L’article 5 de cette directive est ainsi libellé :

« À condition qu’ils respectent les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive et soient conformes au droit communautaire, des taux de taxation différenciés peuvent être appliqués sous contrôle fiscal par les États membres dans les cas suivants :

[...]

entre la consommation professionnelle et non professionnelle des produits énergétiques et de l’électricité visés aux articles 9 [combustibles] et 10 [électricité]. »

5

Aux termes de l’article 6 de ladite directive :

« Les États membres ont la faculté d’accorder les exonérations ou les réductions du niveau de taxation prévues dans la présente directive :

[...]

c)

sous la forme d’un remboursement total ou partiel du montant de la taxe. »

Le droit allemand

6

L’article 54, paragraphe 1, de l’Energiesteuergesetz (loi relative à la taxe sur l’énergie), du 15 juillet 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1534), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« EnergieStG »), prévoit :

« Une exonération fiscale est accordée sur demande pour les produits énergétiques dont il est attesté qu’ils ont été taxés conformément à l’article 2, paragraphe 3, première phrase, points 1 et 3 à 5, et qui ont été utilisés comme combustible à des fins professionnelles ou utilisés dans des installations bénéficiant d’un régime préférentiel, au sens de l’article 3, par une entreprise du secteur productif, au sens de l’article 2, point 3, du Stromsteuergesetz [(loi relative à la taxe sur l’électricité), du 24 mars 1999 (BGBl. 1999 I, p. 378)] [...]. Toutefois, une exonération fiscale pour des produits énergétiques qui ont été utilisés pour produire de la chaleur n’est accordée que dans la mesure où il est attesté que la chaleur produite a été utilisée par une entreprise du secteur productif [...] »

7

L’article 100 de la Verordnung zur Durchführung des Energiesteuergesetzes (règlement d’application de la loi relative à la taxe sur l’énergie), du 31 juillet 2006 (BGBl. 2006 I, p. 1753, ci-après l’« EnergieStV »), intitulé « Exonération fiscale pour entreprises », dispose, à son paragraphe 1 :

« L’exonération fiscale prévue à l’article 54 de l’EnergieStG doit être demandée au [bureau des douanes] dont dépend le demandeur, avec le formulaire officiel requis, pour tous les produits énergétiques utilisés pendant la période concernée. Le demandeur doit fournir dans sa demande toutes les indications nécessaires aux fins de l’exonération et calculer lui-même le montant de l’exonération. L’exonération n’est accordée que si la demande est déposée au [bureau des douanes] au plus tard jusqu’au 31 décembre de l’année suivant l’année civile au cours de laquelle les produits énergétiques ont été utilisés. »

8

L’article 169 de l’Abgabenordnung (code des impôts), intitulé « Délai de liquidation », est ainsi libellé :

« (1)   Une liquidation de la taxe, ainsi qu’une annulation ou une modification de celle-ci ne sont plus possibles après l’expiration du délai de liquidation. [...]

(2)   Le délai de liquidation est :

1.

d’un an pour les droits d’accises et les remboursements de droits d’accises,

[...] »

9

Aux termes de l’article 170 de ce code, le délai de liquidation court à partir de la fin de l’année civile au cours de laquelle est né l’impôt.

10

L’article 171 dudit code, intitulé « Prorogation du délai », dispose, à son paragraphe 4, que, si un contrôle fiscal a commencé avant l’expiration du délai de liquidation des impôts sur lesquels porte ce contrôle fiscal, un tel délai n’expire pas avant que les avis d’imposition émis à la suite dudit contrôle fiscal ne soient devenus définitifs, sans préjudice d’une prorogation du même délai en vertu d’autres dispositions.

Le litige au principal et la question préjudicielle

11

Shell a présenté, auprès du bureau des douanes, moyennant le formulaire officiel prévu à cet effet, une demande d’exonération fiscale au titre de l’article 54, paragraphe 1, de l’EnergieStG, pour les produits énergétiques qu’elle a utilisés à des fins professionnelles au cours de la période allant du mois d’août au mois de novembre 2010, sous la forme d’un remboursement partiel du montant de la taxe, ainsi que le prévoit l’article 6, sous c), de la directive 2003/96.

12

Il est constant que, pour cette période, toutes les conditions pour que Shell puisse bénéficier d’une telle réduction fiscale, au titre de l’article 54, paragraphe 1, de l’EnergieStG, étaient remplies, à l’exception du dépôt, dans le délai fixé à l’article 100 de l’EnergieStV, d’une demande à cette fin, laquelle est parvenue au bureau des douanes au mois de mai 2012. Il est également constant que, au cours de l’année 2011, cette société a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur l’année 2010.

13

Le bureau des douanes a rejeté la demande présentée par Shell ainsi que la réclamation introduite contre cette décision de rejet, respectivement le 13 août 2012 et le 27 février 2015, au motif que cette société n’avait pas introduit sa demande de réduction fiscale dans le délai fixé à l’article 100, paragraphe 1, de l’EnergieStV.

14

Par un arrêt du 1er février 2019, le Finanzgericht Hamburg (tribunal des finances de Hambourg, Allemagne) a fait droit au recours introduit par Shell, en jugeant que cette dernière disposition avait été respectée, eu égard aux circonstances du cas d’espèce et que, en tout état de cause, au regard du droit de l’Union, en particulier du principe de proportionnalité, le bureau de douanes aurait dû faire droit à la demande de Shell.

15

Le bureau des douanes a, par suite, formé un pourvoi en Revision contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), la juridiction de renvoi.

16

Cette juridiction indique que la solution du litige au principal dépend du point de savoir si, lorsqu’une demande de réduction fiscale introduite au titre de l’article 54, paragraphe 1, de l’EnergieStG – disposition fondée sur l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96 – parvient au bureau des douanes après l’expiration du délai pour la présentation d’une telle demande, mais en respectant le délai de liquidation de la taxe, prorogé en raison d’un contrôle fiscal entamé auprès du demandeur, conformément à l’article 171, paragraphe 4, du code des impôts, le droit du demandeur à cette réduction fiscale est exclu, en vertu de l’article 100, paragraphe 1, de l’EnergieStV, ou si le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, s’oppose à ce que les autorités nationales compétentes refusent un tel droit du seul fait du non-respect du premier délai.

17

Ladite juridiction relève que, au moment où la demande de réduction fiscale est parvenue au bureau des douanes, au mois de mai 2012, le délai de liquidation n’avait pas encore expiré en conséquence du contrôle fiscal dont Shell avait fait l’objet au cours de l’année 2011. Elle rappelle qu’il s’agit d’un délai de forclusion qui sert la sécurité juridique et la paix juridique, ainsi que la Cour l’a déjà jugé.

18

Par ailleurs, la juridiction de renvoi fait observer, d’une part, que, selon la jurisprudence de la Cour issue des arrêts du 2 juin 2016, Polihim-SS (C‑355/14, EU:C:2016:403), et du 7 novembre 2019, Petrotel-Lukoil (C‑68/18, EU:C:2019:933), il est contraire au droit de l’Union et, notamment, au principe de proportionnalité de sanctionner la violation d’exigences formelles prévues par le droit national par un refus d’accorder un avantage fiscal prévu par la directive 2003/96 et, d’autre part, que, selon sa propre jurisprudence, la demande d’exonération de la taxe sur l’énergie est « non pas une condition de fond mais seulement une condition de forme du droit à l’exonération fiscale ». Cela pourrait plaider, selon cette juridiction, en ce sens qu’une demande hors délai ne s’opposerait pas à la taxation d’un produit énergétique selon son utilisation réelle, en l’occurrence comme combustible à des fins professionnelles. Dans un tel cas, ladite juridiction tend à considérer que, tant que le délai de liquidation prévu à l’article 169 du code des impôts n’a pas expiré, le droit à l’exonération ou à la réduction de la taxe sur l’énergie ne peut pas être refusé par l’autorité compétente, si les conditions de fond prévues à cette fin sont remplies.

19

La juridiction de renvoi se demande, toutefois, si la jurisprudence citée, qui porte sur des exonérations fiscales obligatoires prévues par la directive 2003/96, trouve également à s’appliquer aux exonérations fiscales facultatives prévues par cette directive, qui font l’objet de l’affaire au principal.

20

Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le principe de proportionnalité[, en tant que principe général] du droit de l’Union, s’applique-t-il aussi à la réduction d’impôt facultative au sens de l’article 5[, quatrième tiret,] de la directive [2003/96], avec pour conséquence que l’État membre ne peut pas refuser la réduction d’impôt après l’expiration du délai prévu par son droit national pour en faire la demande, lorsque, à la date à laquelle la demande est parvenue à l’autorité compétente, la liquidation de l’impôt n’est pas encore prescrite ? »

Sur la question préjudicielle

21

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’effectivité et le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la mise en œuvre d’une disposition comme celle de l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96, qui permet aux États membres d’appliquer, sous certaines conditions, des taux de taxation différenciés entre la consommation professionnelle et non professionnelle des produits énergétiques et de l’électricité visés par cette directive, ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de rejeter, automatiquement et sans exception, une demande d’exonération fiscale déposée dans le délai de liquidation de la taxe en cause, prévu par le droit national, au seul motif que le demandeur n’a pas respecté le délai fixé par ce droit pour l’introduction d’une telle demande.

22

S’agissant, en premier lieu, des conditions matérielles d’exonération des droits d’accises pour les produits énergétiques et de l’électricité visés par la directive 2003/96, il convient de rappeler que cette directive, ainsi qu’il ressort de son considérant 3, a pour objet de fixer des niveaux minima de taxation pour la plupart des produits énergétiques et de l’électricité au niveau de l’Union européenne. En vertu des dispositions combinées des articles 5 et 6 de ladite directive, lues à la lumière des considérants 17 et 21 de celle-ci, les États membres peuvent introduire des taux de taxation différenciés, des exonérations de taxation ou des réductions fiscales des droits d’accises, qui font partie intégrante du régime de taxation harmonisé établi par la même directive [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Hauptzollamt B (Réduction fiscale facultative), C‑100/20, EU:C:2021:716, point 30].

23

L’article 5 de la directive 2003/96 ouvre ainsi la faculté aux États membres d’appliquer, dans le respect des niveaux minima de taxation prévus par cette directive ainsi que dans le respect du droit de l’Union, des taux de taxation différenciés dans certains cas énumérés à cet article, dont celui prévu à son quatrième tiret, portant sur l’utilisation professionnelle, ou non, des produits énergétiques et de l’électricité visés aux articles 9 et 10 de ladite directive. Cette faculté fait partie intégrante du régime de taxation harmonisé établi par la même directive [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Hauptzollamt B (Réduction fiscale facultative), C‑100/20, EU:C:2021:716, point 30].

24

Il s’ensuit que les opérateurs économiques soumis à un taux réduit de la taxe concernée en application d’une disposition du droit national mettant en œuvre ladite faculté, lorsqu’ils se trouvent dans une situation comparable à celle des opérateurs économiques soumis au taux normal de cette taxe en application d’une disposition obligatoire de la directive 2003/96, ne doivent pas, conformément au principe d’égalité de traitement, être traités de manière différente de ces derniers, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié [voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Hauptzollamt B (Réduction fiscale facultative), C‑100/20, EU:C:2021:716, points 31 et 32].

25

En second lieu, les conditions de forme et de procédure relatives à l’introduction d’une demande d’exonération de la taxe frappant les produits énergétiques ou l’électricité, fondée sur une réglementation nationale qui met en œuvre la faculté prévue à l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96, n’étant précisées ni par cette directive, ni par un autre acte du droit de l’Union, il revient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler ces conditions, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, sous réserve toutefois que celles-ci ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations comparables de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, GE Auto Service Leasing, C‑294/20, EU:C:2021:723, point 59).

26

Il en va de même pour ce qui est, en particulier, de la fixation de délais pour l’exercice de ces droits, notamment des délais de prescription et de forclusion. En effet, il est de jurisprudence constante que la fixation de délais raisonnables à peine de forclusion constitue une application du principe fondamental de sécurité juridique, qui vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques et exige, notamment, que la situation d’un assujetti, eu égard à ses droits et à ses obligations à l’égard de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause [voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, Elsacom, C‑294/11, EU:C:2012:382, point 29, ainsi que du 14 octobre 2021, Finanzamt N et Finanzamt G (Communication de l’affectation), C‑45/20 et C‑46/20, EU:C:2021:852, point 59 ainsi que jurisprudence citée].

27

Cependant, de tels délais doivent s’appliquer de la même manière aux droits en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux, analogues, fondés sur le droit de l’Union, outre qu’ils ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit concerné (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2020, CTT – Correios de Portugal, C‑661/18, EU:C:2020:335, point 59 et jurisprudence citée).

28

Le respect des exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité s’agissant spécifiquement des délais de prescription et de forclusion doit être examiné en tenant compte de la place des règles nationales qui fixent ces délais dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de cette procédure et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2020, Valoris, C‑677/19, EU:C:2020:825, point 22 et jurisprudence citée).

29

Dans ces conditions, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée (arrêt du 21 octobre 2021, Wilo Salmson France, C‑80/20, EU:C:2021:870, point 95 et jurisprudence citée).

30

En l’occurrence, la réglementation en cause au principal prévoit, d’une part, un délai d’un an pour la liquidation de la taxe sur l’énergie, calculé à partir de la fin de l’année civile au cours de laquelle est né l’impôt. En cas de contrôle fiscal, ce délai n’expire pas jusqu’à la date à laquelle les avis d’imposition émis à la suite de ce contrôle deviennent définitifs. D’autre part, cette réglementation prévoit un délai d’introduction d’une demande d’exonération fiscale auprès des autorités nationales compétentes, de la même durée et, de prime abord, avec le même point de départ que le délai de liquidation. L’expiration du délai d’introduction de cette demande entraîne automatiquement et sans exception le refus de ladite demande, alors même que le délai de liquidation de la taxe n’est pas encore écoulé, en raison d’une suspension, d’une interruption ou d’une prorogation dont il est susceptible de faire l’objet.

31

Or, le principe d’effectivité s’oppose à la réglementation nationale en cause au principal, si celle-ci doit être interprétée en ce sens que le non‑respect du délai d’introduction d’une demande d’exonération fiscale entraîne automatiquement et sans exception le refus de cette demande, y compris lorsque le délai de liquidation de la taxe concernée – qui a la même durée et le même point de départ que le délai de présentation de la demande et qui peut être interrompu, suspendu ou prorogé – n’a pas encore expiré en raison notamment d’un contrôle fiscal dont fait l’objet le demandeur. En effet, dans cette hypothèse, une telle réglementation est susceptible de priver, indépendamment des circonstances de l’affaire en cause, un assujetti de son droit à l’exonération, alors que l’État membre concerné a choisi de garantir ce droit aux opérateurs économiques sur son territoire.

32

Ces considérations sont corroborées par le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation et que les dispositions nationales qui mettent en œuvre le droit de l’Union doivent également respecter [voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, point 45 ; du 9 septembre 2021, Hauptzollamt B (Réduction fiscale facultative), C‑100/20, EU:C:2021:716, point 31, et du 30 juin 2022, ARVI ir ko, C‑56/21, EU:C:2022:509, point 34]. Ce principe impose aux États membres de recourir à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement l’objectif visé par la réglementation nationale, portent atteinte le moins possible aux principes posés par la législation de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2021, Finanzamt N et Finanzamt G (Communication de l’affectation), C‑45/20 et C‑46/20, EU:C:2021:852, point 62 et jurisprudence citée].

33

La Cour a déjà jugé qu’une réglementation nationale qui, dans le délai général de prescription de cinq ans, empêche un assujetti qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, de rectifier ses déclarations de TVA pour les périodes qui ont déjà fait l’objet d’un contrôle fiscal, en lui faisant perdre le droit à déduction, apparaît, compte tenu de la place prépondérante qu’occupe le droit à déduction dans le système de TVA, disproportionnée par rapport à l’objectif visé par la réglementation nationale, au cas où aucune fraude ni atteinte au budget de l’État ne seraient établies (arrêt du 26 avril 2018, Zabrus Siret, C‑81/17, EU:C:2018:283, point 51). Cette appréciation vaut, mutatis mutandis, pour une réglementation telle que celle en cause au principal.

34

Dès lors qu’il n’apparaît pas que, dans des circonstances telles que celles visées au point 30 du présent arrêt, l’admission d’une demande d’exonération ou de réduction fiscale, déposée après l’expiration du délai d’introduction d’une telle demande, mais dans le respect du délai de liquidation de la taxe en cause, serait incompatible avec le principe de sécurité juridique, et compte tenu de l’économie générale et de la finalité de la directive 2003/96 qui reposent sur le principe selon lequel les produits énergétiques sont taxés en fonction de leur utilisation réelle (arrêt du 2 juin 2016, ROZ-ŚWIT, C‑418/14, EU:C:2016:400, point 33), il y a lieu de considérer que le principe de proportionnalité s’oppose également à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, lorsque l’utilisation réelle des produits énergétiques ne fait pas de doute.

35

Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que le principe d’effectivité et le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la mise en œuvre d’une disposition comme celle de l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96, qui permet aux États membres d’appliquer, sous certaines conditions, des taux de taxation différenciés entre la consommation professionnelle et non professionnelle des produits énergétiques et de l’électricité visés par cette directive, ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de rejeter, automatiquement et sans exception, une demande d’exonération fiscale déposée dans le délai de liquidation de la taxe en cause, prévu par le droit national, au seul motif que le demandeur n’a pas respecté le délai fixé par ce droit pour l’introduction d’une telle demande.

Sur les dépens

36

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

Le principe d’effectivité et le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de la mise en œuvre d’une disposition comme celle de l’article 5, quatrième tiret, de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, qui permet aux États membres d’appliquer, sous certaines conditions, des taux de taxation différenciés entre la consommation professionnelle et non professionnelle des produits énergétiques et de l’électricité visés par cette directive, ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de rejeter, automatiquement et sans exception, une demande d’exonération fiscale déposée dans le délai de liquidation de la taxe en cause, prévu par le droit national, au seul motif que le demandeur n’a pas respecté le délai fixé par ce droit pour l’introduction d’une telle demande.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.