ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 juin 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque centrale européenne (BCE) – Conditions d’emploi – Procédure disciplinaire – Autorité compétente – Délégation – Sécurité juridique – Prescription de l’action disciplinaire – Présomption d’innocence – Procédure pénale – Dénaturation – Absence »

Dans l’affaire C‑513/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 août 2021,

DI, représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. von Lindeiner, F. Malfrère et Mme M. Van Hoecke, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, Rechtsanwalt,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz (rapporteur), A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, DI demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 juin 2021, DI/BCE (T‑514/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:332), par lequel celui-ci a rejeté son recours fondé sur l’article 270 TFUE et l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, premièrement, à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 7 mai 2019 le licenciant sans préavis pour motif disciplinaire (ci-après la « décision litigieuse de licenciement ») et de la décision de la BCE du 25 juin 2019 refusant de rouvrir la procédure (ci-après, prise ensemble avec la décision litigieuse de licenciement, les « décisions litigieuses »), deuxièmement, à ce que sa réintégration soit ordonnée à compter du 11 mai 2019 et, troisièmement, à la réparation du préjudice moral qu’il aurait prétendument subi à la suite de ces décisions et en raison de la durée de la procédure disciplinaire.

Le cadre juridique

Les statuts du SEBC

2

L’article 12.3 du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2016, C 202, p. 230), annexé au traité UE et au traité FUE (ci-après les « statuts du SEBC »), dispose :

« Le conseil des gouverneurs adopte un règlement intérieur déterminant l’organisation interne de la BCE et de ses organes de décision. »

3

Aux termes de l’article 36.1 de ces statuts :

« Le conseil des gouverneurs arrête, sur proposition du directoire, le régime applicable au personnel de la BCE. »

Le règlement intérieur

4

Sur le fondement de l’article 12.3 des statuts du SEBC, le conseil des gouverneurs a adopté le règlement intérieur de la Banque centrale européenne, modifié le 22 avril 1999 (JO 1999, L 125, p. 34, et rectificatif JO 2000, L 273, p. 40, ci-après le « règlement intérieur »). Sous le titre « Conditions d’emploi », l’article 21 de ce règlement dispose :

« 21.1.   Les relations de travail entre la BCE et son personnel sont définies par les conditions d’emploi et les règles applicables au personnel.

21.2.   Le conseil des gouverneurs, sur proposition du directoire, approuve et modifie les conditions d’emploi. Le conseil général est consulté conformément à la procédure prévue par le présent règlement intérieur.

21.3.   Les conditions d’emploi trouvent leur application dans les règles applicables au personnel, qui sont adoptées et modifiées par le directoire.

21.4.   Les représentants du personnel sont consultés préalablement à l’adoption de nouvelles conditions d’emploi ou de nouvelles règles applicables au personnel. Leur avis est soumis au conseil des gouverneurs ou au directoire. »

Les conditions d’emploi

5

Sur le fondement de l’article 36.1 des statuts du SEBC, le conseil des gouverneurs a adopté la décision, du 9 juin 1998, relative à l’adoption des conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, modifiée le 31 mars 1999 (JO 1999, L 125, p. 32, ci-après les « conditions d’emploi »).

6

Selon l’article 9, sous a), des conditions d’emploi :

« Les rapports d’emploi entre la BCE et ses agents sont régis par des contrats de travail conclus en conformité avec les présentes conditions d’emploi. Les règles applicables au personnel adoptées par le directoire précisent les modalités de ces conditions d’emploi. »

7

L’article 44 des conditions d’emploi prévoit :

« Les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être prises, selon le cas, à l’égard de membres du personnel ou d’anciens membres du personnel auxquels les présentes conditions d’emploi sont applicables qui, intentionnellement ou par négligence, manquent à leurs obligations professionnelles :

i)

le directeur général ou directeur général adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation (pour les membres du personnel situés aux grades de salaire A à J) ou le membre du directoire auquel la DG Ressources humaines fait rapport (pour les membres du personnel situés aux grades de salaire K à M) peuvent imposer une des sanctions suivantes :

un avertissement écrit,

un blâme écrit ;

ii)

le directoire peut en outre imposer une des sanctions suivantes :

[...]

le licenciement avec ou sans préavis [...] ;

la suppression totale ou partielle, temporaire ou permanente, du droit d’un membre du personnel bénéficiant d’une pension de retraite ou d’une allocation d’invalidité, à bénéficier d’une telle pension ou allocation [...].

[...] »

Les règles applicables au personnel

8

Sur le fondement de l’article 21.3 du règlement intérieur et de l’article 9, sous a), des conditions d’emploi, le directoire de la BCE a adopté les European Central Bank Staff Rules (ci-après les « règles applicables au personnel »), dont l’article 8.3.2 prévoit :

« En se fondant sur un rapport exposant les faits et les circonstances constitutifs du manquement aux obligations professionnelles [...], le directoire ou le secrétaire général des services, agissant pour le compte du directoire, selon le cas, peut décider :

d’ouvrir une procédure disciplinaire pour manquement aux obligations professionnelles par le directoire, pour les membres du personnel au-dessus du grade de salaire L, et par le secrétaire général des services, agissant pour le compte du directoire, pour les membres du personnel au grade de salaire L ou en dessous. Lorsque le secrétaire général des services, agissant pour le compte du directoire, décide d’ouvrir une procédure disciplinaire, le directoire en est immédiatement informé.

[...]

de ne pas imposer de sanction disciplinaire [...]. Si la sanction disciplinaire encourue est un avertissement écrit ou un blâme écrit, le directeur général ou directeur adjoint des ressources humaines, du budget et de l’organisation (pour les membres du personnel situés aux grades de salaire A à J) ou le membre du directoire auquel la direction générale des ressources humaines, du budget et de l’organisation rend compte (pour les membres du personnel situés aux grades de salaire K à L) peut prendre l’une quelconque des décisions susmentionnées. La procédure disciplinaire doit être ouverte au plus tard cinq ans après la survenance des faits et dans l’année de leur découverte, sauf en cas de faute grave susceptible de licenciement, hypothèse dans laquelle les délais sont respectivement de dix ans et d’un an. [...] »

9

L’article 8.3.7 de ces règles dispose que « [l]es membres du comité de discipline doivent agir à titre personnel et exécuter leurs obligations en toute indépendance ».

10

L’article 8.3.17 desdites règles prévoit :

« Le secrétaire général des services, agissant pour le compte du directoire, pour les membres du personnel situés au grade de salaire I ou en dessous, ou le directoire, pour les membres du personnel situés au-dessus du grade de salaire I, décide de la sanction disciplinaire la plus appropriée [...] »

Les antécédents du litige

11

Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 26 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 1

Le requérant, DI, a rejoint le personnel de la [BCE] en 1999. Il exerçait les fonctions d’assistant principal en informatique, classé au grade de salaire D, quand il a fait l’objet d’une procédure disciplinaire portant sur des demandes de remboursement, premièrement, de factures pour des prestations de physiothérapie, deuxièmement, de reçus de frais de pharmacies et, troisièmement, de factures de soutien scolaire.

2

Par plusieurs notes échelonnées du 13 décembre 2013 au 23 novembre 2015, la société gestionnaire du régime d’assurance santé de la BCE (ci-après la “société A”) a informé celle-ci de deux séries de faits. D’une part, le requérant lui aurait irrégulièrement soumis pour remboursement des factures de physiothérapie, alors que celles-ci auraient été fournies par B, une esthéticienne, et, d’autre part, il lui aurait également demandé le remboursement de faux reçus de frais pharmaceutiques.

3

Le 14 mai 2014, la BCE a dénoncé [à la] Staatsanwaltschaft Frankfurt am Main (ministère public de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) (ci-après le “ministère public”) les faits concernant le remboursement des factures de physiothérapie.

4

Par décision du 21 octobre 2014, le directoire de la BCE a décidé de suspendre le requérant de ses fonctions et de retenir, pour une période maximale de quatre mois, 30 % de son salaire de base à compter du mois de novembre 2014. Cette décision était motivée par les informations fournies par la société A et par la nécessité de préserver l’enquête pénale et les suites disciplinaires.

5

Le 23 janvier 2015, la BCE a communiqué au ministère public les informations complémentaires que la société A lui avait fournies en ce qui concernait les demandes de remboursement des reçus pharmaceutiques.

6

Après audition du requérant le 3 février 2016, la direction générale (DG) “Ressources humaines, budget et organisation” de la BCE a établi, le 8 septembre 2016, un “rapport sur un éventuel manquement aux obligations professionnelles” [...], au titre de l’article 8.3.2 des [règles applicables au personnel]. Ce rapport retenait deux séries de faits à la charge du requérant. En premier lieu, du 12 novembre 2009 au 29 septembre 2014, le requérant aurait présenté à la société A 86 factures relatives à des séances de physiothérapie prodiguées par B à son épouse, à leurs enfants, ainsi qu’à lui-même pour un montant de 61490 euros, dont il aurait obtenu un remboursement à concurrence de 56041,09 euros, alors que B ne serait pas physiothérapeute, mais esthéticienne. En second lieu, entre [le mois de] février 2009 et [le mois de] septembre 2013, le requérant aurait également présenté frauduleusement à la société A des reçus de pharmacies manuscrits pour un montant total de 21289,08 euros, dont elle aurait remboursé 19427,86 euros.

7

Le 12 septembre 2016, le ministère public a établi un réquisitoire inculpant formellement le requérant et le renvoyant devant le juge pénal pour le chef d’escroquerie au sens de l’article 263, paragraphe 1, du Strafgesetzbuch (code pénal allemand) et de falsification de documents au titre de l’article 267 du même code pour avoir indument demandé le remboursement de 71 factures de soins de physiothérapie. Dans le même réquisitoire, le ministère public a classé sans suite, conformément à l’article 154 du Strafprozessordnung (code de procédure pénale allemand), le volet de l’affaire relatif aux reçus pharmaceutiques, dans la mesure où les faits reprochés nécessitaient encore des mesures d’instruction d’envergure.

8

Le 18 novembre 2016, le secrétaire général des services de la BCE “agissant au nom du directoire” a ouvert une procédure disciplinaire contre le requérant pour un manquement présumé à ses obligations professionnelles nécessitant la saisine du comité de discipline et a demandé à ce dernier de rendre un avis conformément à l’article 8.3.15 des règles applicables au personnel. Ouverte au vu du [“rapport sur un éventuel manquement aux obligations professionnelles” du 8 septembre 2016], cette procédure portait sur les faits relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus de pharmacie.

9

Le comité de discipline a échangé plusieurs courriers avec le requérant et l’a entendu le 13 février 2017.

10

Le 5 septembre 2017, la DG “Ressources humaines, budget et organisation” de la BCE a établi un second “rapport sur un éventuel manquement aux obligations professionnelles” au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel. Ce rapport concernait des factures de soutien scolaire pour les deux enfants du requérant dont celui-ci avait demandé le remboursement au titre de l’article 3.8.4 des règles applicables au personnel en 2010, 2012 et 2014 et, de nouveau, en janvier 2017. Selon ce rapport, il existait un soupçon raisonnable que les factures émises par la répétitrice C au titre du soutien scolaire ne fussent pas sincères et véritables.

11

Au vu [dudit second rapport] , le secrétaire général des services, “agissant au nom du directoire”, a décidé, le 19 septembre 2017, d’étendre à ces faits le mandat du comité de discipline.

12

Le 12 octobre 2017, la BCE a dénoncé au ministère public le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire.

13

Le comité de discipline a entendu le requérant et son épouse le 17 octobre 2017.

14

Le 18 octobre 2017, une chambre pénale du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) a acquitté le requérant des accusations relatives aux factures de physiothérapie pour des “raisons de fait”, la juridiction ayant acquis la conviction, “à l’issue de l’audience [...], que les faits reprochés dans le réquisitoire n’[“étaient] pas établis”.

15

Le 11 avril 2018, le comité de discipline a rendu son avis. Tout d’abord, il a considéré que l’inauthenticité des factures de physiothérapie n’était pas suffisamment établie, mais que le requérant savait que B n’était pas une physiothérapeute, mais une esthéticienne, ou qu’il aurait à tout le moins dû s’interroger sur sa qualification. Ensuite, le comité de discipline a estimé que les faits à l’origine des reproches concernant la présentation des reçus pharmaceutiques et les factures de soutien scolaire n’étaient pas davantage suffisamment établis et qu’il convenait de clore la procédure à ce propos, sous réserve de rouvrir celle-ci au cas où de nouvelles preuves seraient produites. Au vu de ce qui précède, le comité de discipline a recommandé que soit infligée au requérant une sanction consistant en une réduction de salaire temporaire de 400 euros par mois sur une période de douze mois.

16

Après que le requérant eut présenté ses observations sur l’avis du comité de discipline du 11 avril 2018, le secrétaire général des services lui a notifié une décision du directoire du 10 juillet 2018 d’exercer en l’occurrence lui-même le pouvoir disciplinaire (ci-après la “décision du 10 juillet 2018”).

17

Le secrétaire général des services a par la suite notifié au requérant un projet de décision du directoire tendant à le licencier sans préavis. Il s’en est suivi un échange de courriers.

18

Le 7 mai 2019, le directoire a décidé de licencier le requérant sans préavis [par] la décision [litigieuse de licenciement].

19

Premièrement, le directoire a considéré, d’une part, que, “[p]endant presque cinq ans, [le requérant] a[vait] manifesté une indifférence totale et persistante à l’égard de la question de savoir si [B] possédait les qualifications requises pour fournir des services de physiothérapie, malgré les raisons claires et objectives de s’enquérir de ses qualifications”, et, d’autre part, qu’il avait “activement caché une part d’informations” à la société A et à la BCE.

20

Deuxièmement, en ce qui concerne les reçus pharmaceutiques, au nombre de plus de 500, le directoire a estimé que le requérant ne pouvait pas ne pas s’être rendu compte que leur établissement sous une forme manuscrite était très inhabituel en Allemagne et qu’il y avait des indices objectifs prouvant qu’ils n’étaient pas sincères et véritables.

21

Troisièmement, en ce qui concerne les factures de soutien scolaire, le directoire a notamment constaté que le numéro fiscal figurant sur celles-ci était presque identique à celui mentionné sur les factures de physiothérapie et que l’administration des finances de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) avait confirmé qu’il n’était pas vrai. Le directoire a également observé que l’adresse de C indiquée sur ces factures était elle aussi quasiment identique à celle de B. La BCE a dès lors estimé qu’il était hautement improbable que le requérant n’ait pas relevé ces similitudes. En conséquence, le directoire a considéré que le requérant avait présenté en vue de leur remboursement des factures de soutien scolaire qui n’étaient pas sincères et véritables.

22

Au vu de tout ce qui précède, le directoire a, en substance, fait état de ce que le droit de demander le remboursement de dépenses médicales et de soutien scolaire ne signifiait pas que les membres du personnel pouvaient ne pas tenir compte de circonstances entachant la délivrance de factures ou de reçus qui étaient telles que toute personne raisonnablement prudente se serait posé des questions quant à savoir si ces factures ou reçus constituaient une documentation appropriée ouvrant le droit à leur remboursement. En présence de telles circonstances, le directoire a estimé qu’il incombait aux membres du personnel d’en informer au minimum spontanément l’administration et de coopérer avec celle-ci. Le directoire est dès lors parvenu à la conclusion que le requérant était coupable, premièrement, d’avoir méconnu son devoir de loyauté envers l’institution, deuxièmement, d’avoir manqué à son obligation de respecter les valeurs communes de la BCE et de mener ses vies professionnelle et privée en accord avec le statut de celle-ci, troisièmement, d’avoir manqué, de manière continue, à son devoir de préserver les intérêts financiers de l’institution et, quatrièmement, d’avoir risqué la réputation de la Banque.

23

Entretemps, le 30 avril 2019, le ministère public a informé le requérant que l’enquête relative aux factures de soutien scolaire était close en application de l’article 170, paragraphe 2, du code de procédure pénale, et ce au motif qu’il n’y avait pas de soupçons suffisants pour engager l’action publique.

24

Par courrier du même jour, enregistré par la BCE le 15 mai suivant, le ministère public a également informé la BCE que cette enquête avait été classée. Dans ce courrier, le ministère public ajoutait que des recherches avaient révélé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur ses factures n’avait pas été attribué. Toutefois, le ministère public estimait qu’il ne pouvait être exclu que les factures en question eussent bien été émises et payées par l’accusé et que les faux renseignements qu’elles contenaient pouvaient s’expliquer par “d’autres raisons”.

25

Par lettre du 12 juin 2019, le requérant a informé le secrétaire général des services du résultat de la procédure diligentée par le ministère public à propos des factures de soutien scolaire et a demandé que la BCE revoie sa décision de licenciement.

26

Par lettre du 26 juin 2019, le secrétaire général des services a informé le requérant de la décision du directoire du 25 juin précédent de ne pas rouvrir la procédure disciplinaire [...]. Cette décision repose sur deux motifs. La BCE a, tout d’abord, fait valoir que le ministère public devait rechercher si les faits allégués constituaient une violation du droit pénal allemand au vu des critères de preuve applicables aux procédures pénales, tandis qu’elle devait rechercher si les faits allégués constituaient une violation de ses propres règles en matière d’emploi au vu de critères de preuve différents applicables aux procédures disciplinaires. Elle a, ensuite, exposé que le ministère public avait confirmé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur les factures n’était pas vrai. »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2019, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions litigieuses, à sa réintégration ainsi qu’à la réparation du préjudice moral qu’il aurait prétendument subi en raison de ces décisions et de la durée de la procédure disciplinaire.

13

À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant a invoqué formellement neuf moyens, mais le Tribunal, au vu du contenu de la requête, en a dénombré dix, tirés, le premier, de l’incompétence de l’auteur des décisions litigieuses, le deuxième, de la violation de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel et du principe de sécurité juridique, le troisième, de la violation de l’adage « le pénal tient le disciplinaire en l’état », du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude, le quatrième, de la violation de l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et du principe d’impartialité consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le cinquième, d’une violation des droits de la défense, le sixième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le septième, de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte, le huitième, de la violation du délai raisonnable et du devoir de sollicitude, le neuvième, de la violation de l’obligation de motivation et, le dixième, formulé à titre subsidiaire, de la violation du principe de proportionnalité.

14

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les dix moyens soulevés et, dès lors, les conclusions en annulation, les deuxième et troisième chefs de conclusions ainsi que, par voie de conséquence, le recours dans son ensemble.

Les conclusions des parties

15

Le requérant demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

d’annuler les décisions litigieuses ;

en tout état de cause, de condamner la BCE à indemniser son préjudice moral évalué à 20000 euros ;

de condamner la BCE aux dépens exposés devant le Tribunal et la Cour.

16

La BCE demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi dans son intégralité et

de condamner le requérant aux dépens.

Sur le pourvoi

17

Le requérant soulève cinq moyens au soutien de son pourvoi tirés, le premier, d’une erreur de droit quant à la compétence de l’auteur des décisions litigieuses, le deuxième, qui s’articule en deux branches, d’une erreur de droit concernant l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel et le principe de sécurité juridique, le troisième, de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte, le quatrième, de la violation de l’article 8.3.7 de ces règles et du principe d’impartialité et, le cinquième, d’un manquement à l’obligation de contrôle juridictionnel.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

18

Par son premier moyen, qui vise les points 45 à 53 de l’arrêt attaqué, le requérant soutient que le Tribunal a rejeté, à tort, son premier moyen de première instance tiré de l’incompétence du directoire pour adopter les décisions litigieuses.

19

En premier lieu, le requérant fait valoir que la décision du 10 juillet 2018, bien que pouvant être considérée comme un acte individuel, a modifié, en retirant la délégation conférée au secrétaire général des services, un acte général, à savoir l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel. Or, en raison de la double nature d’une telle décision, le comité du personnel aurait dû être consulté.

20

En deuxième lieu, le requérant avance que l’interprétation du Tribunal selon laquelle le directoire peut modifier à titre individuel la règle établie à cet article en retirant cette délégation implique que la répartition des compétences au sein de la BCE n’est pas clairement définie, contrairement aux exigences de l’arrêt du 9 juillet 2008, Kuchta/BCE (F‑89/07, EU:F:2008:97, point 62). Par conséquent, le principe de sécurité juridique et les règles de bonne administration n’auraient pas été respectés, sans que la circonstance que le requérant ait été informé de la décision du 10 juillet 2018 suffise à remédier à cette situation.

21

En troisième lieu, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu’il n’avait été privé d’aucune garantie étant donné que l’adoption d’une décision par un organe collégial, si elle constitue une garantie d’impartialité, n’apporte pas toutes les garanties légales.

22

La BCE estime que le premier moyen doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

23

À cet égard, le requérant n’identifierait pas avec une précision suffisante les points critiqués de l’arrêt attaqué, se limiterait à répéter le point de vue exposé en première instance et chercherait à contester des constatations factuelles du Tribunal selon lesquelles la décision du 10 juillet 2018 n’a pas abouti à une modification des règles applicables au personnel.

24

Sur le fond, la BCE conteste l’argumentation du requérant en soutenant notamment que, dans la décision du 10 juillet 2018, le directoire n’a pas modifié l’article 8.3.17 de ces règles et s’est contenté d’appliquer ce qui est inhérent à cette disposition.

Appréciation de la Cour

25

À titre liminaire, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 15 décembre 2022, Picard/Commission, C‑366/21 P, EU:C:2022:984, point 52 et jurisprudence citée).

26

En l’occurrence, contrairement à ce que soutient la BCE, le pourvoi indique de façon précise les points critiqués de l’arrêt attaqué dans le cadre du premier moyen ainsi que les motifs pour lesquels ces points seraient, selon le requérant, erronés, permettant à la Cour d’exercer son contrôle de légalité.

27

En outre, pour autant que la BCE reproche au requérant de se borner à répéter les arguments qu’il a exposés devant le Tribunal et de demander, ainsi, un simple réexamen de ces arguments, il y a lieu de relever que, par ce moyen, le requérant conteste l’interprétation et l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal.

28

Or, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 15 juillet 2021, DK/SEAE, C‑851/19 P, EU:C:2021:607, point 33 et jurisprudence citée).

29

Enfin, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 27 de ses conclusions, contrairement à ce que semble suggérer la BCE, la détermination de la nature juridique d’un acte adopté par l’administration sur la base de la réglementation de l’Union applicable et des effets produits par celui-ci constituent des questions de droit soumises au contrôle de la Cour.

30

Il s’ensuit que le premier moyen de pourvoi est recevable.

31

Quant au bien-fondé de ce moyen, en premier lieu, l’argumentation du requérant selon laquelle l’adoption de la décision du 10 juillet 2018 exigeait la consultation préalable du comité du personnel repose sur la prémisse que, en vertu de l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel, le directoire s’est dessaisi du pouvoir que lui confère l’article 44, sous ii), des conditions d’emploi d’imposer lui-même une sanction disciplinaire telle que le licenciement aux membres du personnel de la BCE situés au grade de salaire I ou en dessous. Il convient donc de déterminer si, sous l’empire de ces règles, adoptées par le directoire lui-même et qui, ainsi qu’il ressort de l’article 21.3 du règlement intérieur, mettent en application les conditions d’emploi, le directoire restait compétent pour imposer la sanction du licenciement.

32

À cet égard, d’une part, le libellé de l’article 8.3.17 desdites règles, en particulier les termes « pour le compte du directoire » qui y figurent, met clairement en évidence que les décisions du secrétaire général des services en matière disciplinaire expriment celles du directoire, qui en assume pleinement la responsabilité et auquel elles sont imputables juridiquement, ainsi que l’a jugé à bon droit le Tribunal au point 49 de l’arrêt attaqué et que ne le conteste pas le requérant dans son pourvoi. Ainsi, les décisions prises par le secrétaire général des services en vertu de cette disposition conservent le statut de décisions exprimant celles du directoire.

33

Il ressort donc de l’interprétation littérale de cet article 8.3.17 que, contrairement à la prémisse à la base de l’argumentation du requérant, par l’adoption de ladite disposition, le directoire n’a pas transféré un pouvoir de décision propre au secrétaire général des services qui l’empêcherait de décider lui-même, dans un cas particulier, de la sanction la plus appropriée à appliquer aux membres du personnel.

34

D’autre part, s’agissant de l’interprétation contextuelle et téléologique de l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel, l’article 8.3.2 de ces règles prévoit que le directoire, pour les membres du personnel situés au-dessus du grade de salaire L, ou, « pour le compte du directoire », le secrétaire général des services, pour les membres du personnel situés à ce grade ou en dessous, peut décider d’ouvrir une procédure disciplinaire. Selon cet article 8.3.2, lorsque la procédure est ouverte par le secrétaire général des services, le directoire doit en être immédiatement informé.

35

Comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 60 et 62 de ses conclusions, il en ressort que ladite obligation d’information vise à permettre au directoire, le cas échéant, d’intervenir dans la procédure et de décider lui-même de la sanction disciplinaire. Une telle faculté d’intervention du directoire dans une procédure ouverte par le secrétaire général des services est donc inhérente au système d’habilitation établi à l’article 8.3.17 desdites règles.

36

L’article 44, sous ii), des conditions d’emploi réserve en effet au directoire en tant qu’autorité collégiale le prononcé des sanctions les plus graves, seules deux sanctions moins sévères, à savoir l’avertissement écrit et le blâme écrit, pouvant être prises par une seule personne, à savoir le directeur général des ressources humaines ou un membre du directoire, en fonction du grade des membres du personnel concerné, ce qui résulte également dudit article 8.3.2.

37

Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions, il ne saurait être considéré que, par l’adoption de cet article 8.3.17, le directoire s’est dessaisi de son pouvoir de décision en ce qui concerne les décisions individuelles en matière de sanctions disciplinaires (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2005, Tralli/BCE, C‑301/02 P, EU:C:2005:306, points 60 et 61).

38

À cet égard, ainsi que le Tribunal l’a rappelé à juste titre au point 49 de l’arrêt attaqué, les institutions et les organismes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation sur le plan interne pour s’organiser en fonctions de leurs missions et de leurs besoins. La nécessité d’assurer la capacité de fonctionnement de l’organe de décision correspond également à un principe inhérent à tout système institutionnel (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2005, Tralli/BCE, C‑301/02 P, EU:C:2005:306, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée).

39

Il résulte des considérations qui précèdent que le directoire reste compétent, sous l’empire des règles applicables au personnel, pour exercer lui-même le pouvoir disciplinaire à l’égard des membres du personnel situés au grade de salaire I ou en dessous tels que le requérant, ainsi qu’il en a décidé en ce qui concerne ce dernier, par la décision du 10 juillet 2018.

40

Il en découle que cette décision ne revêt pas de double nature et que son adoption n’exigeait pas de consulter le comité du personnel.

41

En deuxième lieu, s’agissant du point de savoir si, comme le soutient le requérant, une telle interprétation a pour effet que la répartition des compétences en matière disciplinaire au sein de la BCE ne serait pas clairement définie, ce qui entraînerait une violation du principe de sécurité juridique et des règles de bonne administration, il y a lieu de rappeler que ce principe exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose, puisque les justiciables doivent pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd e.a., C‑160/20, EU:C:2022:101, point 41).

42

Ledit principe et la nécessaire transparence des décisions administratives commandent, en principe, que la répartition des compétences et les décisions d’habilitation au sein des institutions soient publiées (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 5/85, EU:C:1986:328, point 39).

43

Or, comme l’a rappelé le Tribunal au point 50 de l’arrêt attaqué, l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel est publié et la BCE a justifié le choix de ne pas rendre publique la décision du 10 juillet 2018 dans l’intérêt du requérant, un tel choix n’étant pas contesté par ce dernier dans son pourvoi.

44

En outre, eu égard à son libellé et à son contexte, tels qu’examinés aux points 31 à 37 du présent arrêt, cet article 8.3.17 est suffisamment clair, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, pour permettre aux membres du personnel de comprendre que les sanctions disciplinaires sont toujours infligées pour le compte du directoire qui en assume la responsabilité et que, le cas échéant, le directoire peut intervenir dans une procédure disciplinaire afin d’imposer une telle sanction.

45

Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant, aux points 45 et 51 de l’arrêt attaqué, que, sous l’empire des règles applicables au personnel, le directoire n’était pas tenu, préalablement à l’adoption de la décision du 10 juillet 2018 et de la décision litigieuse de licenciement qui n’avaient pas modifié ces règles, de consulter le comité du personnel.

46

En troisième lieu, l’argumentation du requérant selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, au point 52 de l’arrêt attaqué, que ce dernier n’avait été privé d’aucune garantie du fait de l’adoption des décisions litigieuses par le directoire doit être écartée comme étant inopérante. En effet, l’appréciation du Tribunal figurant à ce point présente un caractère surabondant.

47

Or, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un pourvoi, des griefs dirigés contre des motifs surabondants d’un arrêt du Tribunal ne sauraient entraîner l’annulation de cet arrêt et doivent dès lors être écartés comme étant inopérants (arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 80 et jurisprudence citée).

48

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

Sur le deuxième moyen

Sur la première branche du deuxième moyen

– Argumentation des parties

49

Par la première branche de son deuxième moyen, le requérant fait valoir que, aux points 93 à 96 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a procédé à une qualification juridique erronée des faits au regard de la notion de « découverte des faits » visée à l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, l’ayant conduit à rejeter, à tort, son deuxième moyen de première instance tiré de la violation de cette disposition et du principe de sécurité juridique. La même erreur de droit entacherait les points 132 et 241 de cet arrêt.

50

À cet égard, le requérant avance que son dossier personnel n’incluait ni « paiements » ni « preuves de paiement », que les faits tels que connus sur la base de ce dossier étaient entièrement disponibles au plus tard au mois d’octobre 2014 et que la BCE était ainsi en mesure de procéder, à cette date, à l’appréciation prima facie requise par la notion de « découverte des faits », ce qu’elle s’est abstenue de faire. Il s’ensuivrait que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé auxdits points, les faits relatifs aux factures de soutien scolaire étaient prescrits à la date d’ouverture, le 19 septembre 2017, du volet de la procédure disciplinaire les concernant. En outre, le requérant conteste l’appréciation du Tribunal selon laquelle le caractère sensible des données de son dossier personnel présentait une incidence à cet égard et soutient qu’il n’existait pas, pour le comité de discipline, de réel motif de procéder à l’examen approfondi de ce dossier.

51

Dans son mémoire en réplique, le requérant ajoute que, en se référant aux factures de soutien scolaire en relation avec l’appréciation de l’affirmation selon laquelle il payait B en espèces, aux fins de la qualification de cette notion de « découverte des faits », le Tribunal a non seulement interprété erronément ledit article 8.3.2 mais également dénaturé le dossier.

52

La BCE soutient que cette branche doit être rejetée comme étant irrecevable et, subsidiairement, non fondée.

– Appréciation de la Cour

53

D’emblée, il convient de rappeler que, dans le cadre du pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis, sous réserve du cas de leur dénaturation (arrêts du 26 mai 2005, Tralli/BCE, C‑301/02 P, EU:C:2005:306, point 78, ainsi que du 30 juin 2022,Camerin/Commission, C‑63/21 P, non publié, EU:C:2022:516, point 32 et jurisprudence citée). Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est également compétente pour exercer un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 93 et jurisprudence citée).

54

En l’occurrence, il importe de relever que, si le requérant invoque une qualification erronée des faits relevant de la notion de « découverte des faits » faisant courir le délai de prescription, il ne conteste pas, en revanche, l’interprétation que le Tribunal a faite de cette notion, au point 64 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « il y a lieu d’admettre [...] que la découverte des faits au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel se situe au moment où les faits connus sont suffisants pour permettre une appréciation prima facie de l’existence d’un manquement à des obligations professionnelles ».

55

En effet, par son argumentation, il vise seulement à établir que les faits suffisants pour permettre une telle appréciation étaient connus au plus tard au mois d’octobre 2014, en prétendant que les factures de soutien scolaire se trouvaient dans son dossier personnel et que ce dossier ne contenait pas de preuves de paiement.

56

Or, par une telle argumentation, le requérant cherche à obtenir un simple réexamen de sa requête, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 15 juillet 2021, DK/SEAE, C‑851/19 P, EU:C:2021:607, point 32 et jurisprudence citée).

57

Par ailleurs, pour autant qu’une telle argumentation vise à contester les faits tels que constatés et appréciés par le Tribunal, une telle argumentation est également irrecevable en vertu de la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt.

58

Enfin, dans la mesure où le requérant soutient, dans son mémoire en réplique, que le Tribunal a « dénaturé le dossier », il suffit de rappeler que, selon l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Or, dès lors que le requérant pouvait invoquer une telle dénaturation dans son pourvoi, un tel argument est irrecevable.

59

Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter la première branche du deuxième moyen.

Sur la seconde branche du deuxième moyen

– Argumentation des parties

60

Par la seconde branche de son deuxième moyen, présentée à titre subsidiaire, le requérant fait valoir que le Tribunal, aux points 98 à 100 et 203 de l’arrêt attaqué, en ce que ce dernier point se réfère au point 99 de cet arrêt, a, en premier lieu, ajouté des éléments à la décision litigieuse de licenciement et excédé sa compétence en considérant que la prescription des premier et deuxième volets de l’affaire ne suffisait pas pour accueillir son deuxième moyen de première instance dans son ensemble et annuler cette décision. En effet, le requérant soutient que rien n’expliquait, dans cette décision, en particulier en ce qui concerne le principe de proportionnalité, la raison pour laquelle chacune des trois séries de faits aurait abîmé irrémédiablement leur relation de confiance et suffi à justifier un licenciement.

61

En second lieu, le Tribunal aurait omis de répondre aux griefs qu’il avait présentés au point 158 de sa requête, dans le cadre de son dixième moyen de première instance, selon lesquels la BCE n’avait pas expliqué pourquoi chacune de ces trois séries de faits avait irrémédiablement abîmé cette relation au regard de ce principe.

62

Dans son mémoire en réplique, le requérant précise que c’est l’absence de prise en compte du principe de proportionnalité dans le processus décisionnel qu’il conteste et que le Tribunal a statué ultra petita en ajoutant une motivation que ne comportait pas la décision litigieuse de licenciement ainsi qu’en qualifiant la perte de confiance de circonstance aggravante aux points 212 à 241 de l’arrêt attaqué.

63

La BCE conclut au rejet de cette branche.

– Appréciation de la Cour

64

D’une part, s’agissant de l’argumentation du requérant tirée d’une omission du Tribunal de répondre aux griefs qu’il avait soulevés au point 158 de sa requête, dans le cadre du dixième moyen de première instance, celle-ci doit être écartée comme étant non fondée. En effet, le Tribunal a bien répondu, aux points 208 à 214 de l’arrêt attaqué, au grief selon lequel la circonstance aggravante relative à la perte du lien de confiance figurant dans la décision litigieuse de licenciement n’était pas distincte des manquements qui lui étaient reprochés en eux-mêmes et était manifestement erronée. Le Tribunal a également examiné, aux points 98 et 99 de cet arrêt, le grief selon lequel la BCE n’avait pas expliqué en quoi chacune des trois séries de faits, prise isolément, avait « irrémédiablement abîmé la relation de confiance », ainsi que l’admet le requérant lui-même au point 38 de son pourvoi. Par ailleurs, le Tribunal a contrôlé la proportionnalité de la décision litigieuse de licenciement, au regard des manquements résultant des faits relatifs aux factures de soutien scolaire dans le cadre de ce dixième moyen, écarté au point 244 de l’arrêt attaqué, et vérifié le caractère suffisant de la motivation de ladite décision, aux points 182 à 193 dudit arrêt, non contestés dans le cadre du présent pourvoi.

65

D’autre part, en ce qui concerne le grief dirigé contre le point 99 de l’arrêt attaqué, force est de constater que le reproche du requérant se fonde sur une lecture isolée de ce point. En effet, au point 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé les motifs retenus par la BCE dans la décision litigieuse de licenciement pour expliquer la raison pour laquelle chacun des trois volets de l’affaire devait être considéré comme ayant affecté de manière irréversible la confiance à la base de sa relation avec son personnel.

66

Pour le reste, l’argumentation du requérant selon laquelle le Tribunal aurait ajouté des éléments à la décision litigieuse de licenciement, excédé sa compétence et statué ultra petita doit être écartée comme étant irrecevable conformément à la jurisprudence citée au point 25 du présent arrêt. En effet, ce dernier n’indique pas avec la précision requise par cette jurisprudence les éléments que le Tribunal aurait, selon lui, ajoutés à cette décision ni les raisons pour lesquelles il aurait excédé sa compétence ou statué ultra petita.

67

Il s’ensuit que la seconde branche du deuxième moyen et, par suite, ce deuxième moyen dans son ensemble doivent être écartés.

Sur le troisième moyen

Argumentation des parties

68

Par son troisième moyen, le requérant avance que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant, aux points 119 à 121, 124, 125 et 132 de l’arrêt attaqué, le septième moyen de première instance, tiré de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte, cette erreur de droit affectant de la même manière les points 163 et 164 de cet arrêt. Si la décision litigieuse de licenciement n’a pas formellement imputé au requérant la responsabilité du fait que les factures de soutien scolaire n’étaient pas sincères et véritables, cette décision les aurait qualifiées de non authentiques et les décisions litigieuses seraient nécessairement fondées sur ce fait, alors que les poursuites pénales dirigées contre lui pour les mêmes faits avaient été classées sans suite en l’absence de soupçons de culpabilité.

69

Ainsi, ce serait par une dénaturation manifeste du dossier et de ces décisions que le Tribunal n’a pas considéré que l’inauthenticité de ces factures était une condition essentielle de son licenciement, qu’il les a qualifiées d’« inappropriées » et qu’il a omis de prendre en compte le fait que la BCE avait été informée qu’il ne pouvait exister aucun soupçon de fraude, de sorte que lesdites factures ne pouvaient être regardées comme non authentiques. Le Tribunal aurait estimé à tort que son droit à la présomption d’innocence n’avait pas été méconnu par l’adoption des décisions litigieuses.

70

Dans son mémoire en réplique, le requérant ajoute que, en décidant de clore l’enquête, le ministère public a nécessairement estimé que les factures de soutien scolaire ne pouvaient être considérées comme falsifiées et que la BCE soutient, à tort, que ce ministère public a confirmé l’absence d’enregistrement de la répétitrice C ainsi que de numéro fiscal.

71

La BCE conclut au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

72

Tout d’abord, par l’argumentation développée au soutien de son troisième moyen, le requérant cherche en réalité à obtenir une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve par la Cour, notamment des décisions litigieuses et des constatations du ministère public, ce qui, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt, ne relève pas de sa compétence dans le cadre du pourvoi, sous réserve du cas de leur dénaturation.

73

Ensuite, s’agissant d’une telle dénaturation, conformément à une jurisprudence constante, le requérant doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal ainsi que démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, l’auraient conduit à cette dénaturation. En outre, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 1er août 2022, Kerstens/Commission, C‑447/21 P, non publié, EU:C:2022:612, point 48 et jurisprudence citée).

74

Il ressort également d’une jurisprudence constante que le contrôle effectué par la Cour pour apprécier un moyen tiré d’une dénaturation d’un élément de preuve se limite à la vérification de ce que le Tribunal, en se fondant sur cet élément, n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable de celui–ci (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2019, LS Cable & System/Commission, C‑596/18 P, non publié, EU:C:2019:1025, point 25, ainsi que du 23 mars 2023, PV/Commission, C‑640/20 P, EU:C:2023:232, point 134 et jurisprudence citée).

75

En l’occurrence, le requérant soutient, en substance, que le Tribunal a dénaturé le dossier et les décisions litigieuses en qualifiant les factures de soutien scolaire, au point 120 de l’arrêt attaqué, d’« inappropriées ». Selon le requérant, le Tribunal aurait dû constater que leur inauthenticité était une condition essentielle de son licenciement et que, à la suite du classement sans suite des poursuites pénales pour escroquerie dirigées contre lui et des constatations du ministère public, la BCE ne pouvait plus considérer ces factures comme étant non authentiques.

76

Aux points 119 et 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré ce qui suit :

« 119

En l’espèce, le requérant faisait l’objet d’une enquête pour escroquerie au sens de l’article 263, paragraphe 1, du code pénal allemand au regard des factures de soutien scolaire. Or, dans sa décision de licenciement, le directoire a retenu à la charge de celui-ci le fait de ne pas avoir relevé les similitudes entre les numéros fiscaux et les adresses figurant sur les factures de physiothérapie de B et sur celles de soutien scolaire de C, alors qu’il pouvait être inféré de ces similitudes que ces dernières n’étaient pas sincères et véritables. [...] Aussi, en présence de circonstances objectives suscitant des doutes quant au droit audit remboursement, le directoire a estimé qu’il incombait au membre du personnel en question d’en informer au minimum l’administration. [...]

120

Par conséquent, [...] la BCE a considéré que les factures présentées par le requérant étaient inappropriées aux fins du remboursement des frais de soutien scolaire, sans lui imputer formellement la responsabilité du fait qu’elles n’étaient pas sincères et véritables. La [BCE], dans sa décision de licenciement, s’est bornée, en substance, à sanctionner une négligence qui lui est apparue particulièrement grave s’agissant d’un agent d’une institution financière. Cette décision ne renferme ainsi aucun constat de culpabilité du requérant au regard du délit d’escroquerie qui faisait l’objet de l’enquête pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 25 août 1987, Englert c. Allemagne, CE:ECHR:1987:0825JUD001028283, point 39) et s’inscrit dans le cadre de l’autonomie de la qualification juridique par l’administration d’un manquement disciplinaire par rapport à la répression pénale visant les mêmes faits. »

77

Or, ces deux points comportant ainsi un résumé fidèle du contenu des points 29 à 32 de la décision litigieuse de licenciement, ils ne font apparaître aucune dénaturation de cette dernière.

78

Par ailleurs, il ressort de ces mêmes points que, contrairement à ce que prétend le requérant, l’inauthenticité des factures de soutien scolaire n’était pas une condition essentielle de son licenciement, dès lors que la BCE a fondé ladite décision, ainsi que l’a relevé le Tribunal audit point 120, non pas sur une telle inauthenticité, mais sur une négligence du requérant jugée particulièrement grave.

79

En outre, si, au point 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le refus du directoire de rouvrir la procédure après avoir pris connaissance du classement sans suite de l’enquête sur les factures de soutien scolaire était en particulier fondé sur le fait que le ministère public avait confirmé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur ses factures n’était pas vrai, aucune dénaturation ne ressort de façon manifeste d’un tel constat tiré, ainsi qu’il ressort du point 24 de ce même arrêt, du courrier du ministère public adressé à la BCE le 30 avril 2019 et enregistré le 15 mai suivant, ni aucune lecture erronée de ce courrier par le Tribunal.

80

Enfin, selon une jurisprudence constante, la présomption d’innocence constitue un principe général du droit de l’Union, qui est énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte. Ce principe se trouve méconnu lorsqu’une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu contient une déclaration claire, faite en l’absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne concernée a commis l’infraction en question. Dans ce contexte, ainsi que l’a rappelé à juste titre le Tribunal au point 118 de l’arrêt attaqué, il convient de souligner l’importance du choix des termes employés par les autorités publiques, ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci ont été formulés et de la nature et du contexte de la procédure en question (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission, C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 62 et jurisprudence citée).

81

Ainsi que l’a également relevé le Tribunal au point 123 de l’arrêt attaqué, la présomption d’innocence a notamment pour but d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un abandon des poursuites soient traités par les autorités publiques comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée (Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, point 314).

82

Au demeurant, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’il n’y a pas automatiquement violation de la présomption d’innocence lorsqu’une personne est déclarée coupable d’une infraction disciplinaire à raison de faits identiques à ceux visés dans une accusation pénale antérieure n’ayant pas abouti à une condamnation. En effet, à condition de ne pas affirmer la responsabilité pénale de cette personne, les organes disciplinaires ont le pouvoir et la capacité d’établir de manière indépendante les faits des causes portées devant eux (Cour EDH, 13 avril 2021, Istrate c. Roumanie, CE:ECHR:2021:0413JUD004454613, § 59).

83

Or, ainsi que le Tribunal l’a constaté aux points 120 et 125 de cet arrêt, aucun constat de culpabilité au regard du délit d’escroquerie qui faisait l’objet de l’enquête pénale ne ressort des décisions litigieuses, de sorte que ce dernier n’a pas commis d’erreur de droit en retenant, aux points 121 et 125 de cet arrêt, que l’adoption des décisions litigieuses n’a pas méconnu le droit à la présomption d’innocence du requérant.

84

Compte tenu de ces éléments, il convient de rejeter le troisième moyen.

Sur le quatrième moyen

Argumentation des parties

85

Par son quatrième moyen, qui vise les points 139 à 146 de l’arrêt attaqué, le requérant fait valoir que le Tribunal a rejeté à tort le quatrième moyen de première instance, tiré de la violation de l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et du principe d’impartialité. Tout d’abord, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que le comité de discipline n’avait pas agi de manière déraisonnable ni effectué une recherche partiale en vérifiant l’affirmation du requérant selon laquelle il avait l’habitude de payer ses factures en espèces, alors que la question juridique que le Tribunal devait examiner était celle de savoir si la procédure prévue autorisait ce comité à procéder à ces vérifications. Or, le Tribunal aurait dû constater que tel n’était pas le cas, puisque le mandat que ledit comité avait reçu ne concernait que les factures de physiothérapie et les reçus de pharmacie.

86

Le requérant ajoute que ledit comité s’est montré partial, que son dossier personnel ne pouvait révéler d’informations et que la jurisprudence citée par le Tribunal n’appuie pas ses considérations. Enfin, le Tribunal aurait dénaturé le dossier dans la mesure où le fait, relevé par celui-ci au point 141 de l’arrêt attaqué, que son précédent conseil avait douté qu’à chaque paiement de B correspondait un retrait ne figurait pas dans les décisions litigieuses, et il se serait substitué au comité de discipline en avançant des raisons qui n’étaient pas celles qui l’ont guidé. Il s’ensuivrait que les factures de soutien scolaire auraient été recueillies en violation des formes substantielles requises et constitué des preuves illégales.

87

La BCE soutient que ce moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

88

Par son quatrième moyen, le requérant fait, en substance, valoir que la procédure suivie par le comité de discipline pour recueillir les factures de soutien scolaire à titre d’éléments de preuve était illégale et que ces factures n’ont pas été obtenues régulièrement, ce qui, conformément à la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt, est recevable dans le cadre d’un pourvoi.

89

Toutefois, pour autant que, par cette argumentation, le requérant reproche au Tribunal de n’avoir apprécié ni cette question juridique ni le moyen soulevé devant lui, ladite argumentation ne saurait prospérer.

90

En effet, il ressort sans équivoque du point 145 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a nécessairement estimé que ce comité était autorisé à consulter son dossier personnel et à procéder à des investigations dans ce dossier, et que la procédure qu’il avait suivie pour recueillir les factures de soutien scolaire était légale.

91

À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que la motivation du Tribunal peut être implicite à condition notamment qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles il n’a pas été fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle, ce qui est le cas en l’espèce (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Ellinikos Chrysos/Commission, C‑100/16 P, EU:C:2017:194, point 32 et jurisprudence citée).

92

D’autre part, contrairement à ce que soutient le requérant, cette motivation n’est pas entachée d’une erreur de droit.

93

En effet, si le mandat du comité de discipline visait, certes, les factures de physiothérapie et les reçus de pharmacie, ainsi que le requérant l’avait soutenu en première instance, le Tribunal a estimé à bon droit, notamment aux points 136 et 145 de l’arrêt attaqué, que ce comité a pour mission, en vertu des règles applicables au personnel, de rechercher et d’établir les faits aussi minutieusement que possible, d’émettre un avis sur leur matérialité, d’apprécier la gravité de ceux-ci ainsi que de proposer une éventuelle sanction. Or, pour satisfaire à cette mission, ledit comité peut avoir besoin d’accéder au dossier personnel de la personne en cause.

94

Par ailleurs, en effectuant de telles constatations, le Tribunal ne s’est nullement substitué au comité de discipline, contrairement à ce que le requérant prétend.

95

Pour le reste, il apparaît que le requérant se limite à répéter des arguments qu’il avait présentés devant le Tribunal sans expliquer précisément en quoi ce dernier aurait commis une erreur de droit en les écartant et qu’il cherche ainsi à obtenir une nouvelle appréciation des faits et des preuves par la Cour, ce qui ne relève pas de sa compétence dans le cadre du pourvoi ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt, hors le cas de leur éventuelle dénaturation.

96

Enfin, pour autant que le requérant soulève un tel grief de dénaturation, il n’indique pas de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal ni a fortiori ne démontre d’éventuelles erreurs d’analyse que ce dernier aurait commises, contrairement aux exigences de la jurisprudence visée au point 73 du présent arrêt.

97

Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté.

Sur le cinquième moyen

Argumentation des parties

98

Par son cinquième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant le sixième moyen de première instance, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation. Outre que les points 163 et 164 de l’arrêt attaqué seraient erronés pour les raisons invoquées à l’appui de son troisième moyen, le Tribunal aurait commis une erreur de droit, aux points 165, 166 et 173 de cet arrêt, dans la mesure où le requérant avait démontré que la BCE n’avait pas pris en compte de nombreux éléments de preuve, notamment les déclarations de son épouse et de ses filles. Le requérant ajoute que, contrairement à ce qui est indiqué au point 160 dudit arrêt, le Tribunal n’a pas assuré l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti à l’article 47 de la Charte, en ce qu’il n’a pas exercé un contrôle entier sur la matérialité des faits et la valeur probante des éléments de preuve, ni vérifié leur exactitude matérielle, leur fiabilité et leur cohérence, ni encore procédé à un examen approfondi desdits éléments.

99

La BCE conclut que ce moyen est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

Appréciation de la Cour

100

Ainsi qu’il ressort des points 158 à 162 de l’arrêt attaqué, non critiqués dans le cadre du présent pourvoi, le Tribunal a requalifié le sixième moyen de première instance comme étant tiré non pas d’erreurs manifestes d’appréciation de la BCE entachant les motifs de la décision litigieuse de licenciement mais d’un examen incomplet des circonstances de la cause par cette dernière, d’erreurs dans l’appréciation d’éléments de preuve et d’une erreur de droit. En effet, le Tribunal a estimé qu’une telle requalification était nécessaire dès lors que, conformément à l’exigence d’effectivité du contrôle juridictionnel garanti à l’article 47 de la Charte, il lui appartenait notamment, ainsi qu’il ressort du point 160 de l’arrêt attaqué, d’exercer un contrôle entier sur la matérialité des faits, de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de procéder à un contrôle entier de l’appréciation de la valeur probante d’un document et à un examen approfondi des éléments de preuve.

101

Dans le cadre de l’examen de ce moyen, le Tribunal a écarté, aux points 163 et 164 de l’arrêt attaqué, le grief du requérant selon lequel la BCE n’avait pas tenu compte du classement sans suite des poursuites pénales relatives aux factures de soutien scolaire, grief qui se confondait avec les troisième et septième moyens de première instance, jugés non fondés. Aux points 165 et 166 de cet arrêt, il a indiqué que, si le requérant prétendait que la BCE avait négligé ses déclarations et celles de sa famille en considérant que les factures de la répétitrice C n’étaient pas sincères et véritables, il se limitait ainsi à reproduire ses déclarations et celles de son épouse faites au cours de la procédure administrative, sans expliquer pourquoi la BCE aurait commis une erreur d’appréciation en ne les jugeant pas convaincantes et en relevant qu’il n’avait pas produit d’élément probant les étayant. Par ailleurs, au point 173 dudit arrêt, le Tribunal a estimé que le requérant soutenait vainement que la BCE avait négligé le fait que l’état d’un de ses enfants ne nécessitait pas de connaître les coordonnées de C pour organiser les leçons.

102

Or, tout d’abord, pour autant que, dans son pourvoi, le requérant renvoie à l’argumentation présentée à l’appui du troisième moyen de pourvoi pour contester les points 163 et 164 de l’arrêt attaqué, cette argumentation doit être rejetée pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 72 à 84 du présent arrêt.

103

En outre, dans la mesure où le requérant critique les points 165, 166 et 173 de l’arrêt attaqué au motif que la BCE n’aurait pas pris en compte de nombreux éléments de preuve tels que ses déclarations et celles de sa famille, il y a lieu de relever que, hormis ces déclarations auxquelles le requérant se réfère de manière générale, ce dernier ne précise pas quels éléments de preuve il aurait prétendument fournis à la BCE ou au Tribunal et qui n’auraient pas été pris en considération par ce dernier. En outre, il apparaît que, par cette argumentation, le requérant se limite à répéter des arguments qu’il avait soumis au Tribunal et cherche en réalité à obtenir de la Cour une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve ainsi que de la valeur qui leur a été attribuée par le Tribunal, laquelle ne relève pas du contrôle de la Cour sous réserve du cas de la dénaturation, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 53 du présent arrêt. Or, le requérant n’invoque pas une telle dénaturation dans le cadre de ce moyen.

104

Enfin, si le requérant soutient que le Tribunal n’a pas effectué le contrôle complet qui lui incombait conformément à la jurisprudence citée au point 160 de l’arrêt attaqué, il se limite, dans son pourvoi, à une affirmation générale sans préciser quels points de cet arrêt seraient visés ni développer d’argumentation juridique à cet égard. Or, conformément à la jurisprudence visée au point 25 du présent arrêt, un pourvoi doit indiquer de façon précise les points critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du moyen concerné. Il s’ensuit qu’une telle affirmation doit être rejetée comme étant irrecevable.

105

Eu égard à ces considérations, il convient d’écarter le cinquième moyen.

106

Aucun des moyens du pourvoi n’ayant été accueilli, il convient de rejeter celui-ci dans son ensemble.

Sur les dépens

107

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, cette dernière statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

108

La BCE ayant conclu à la condamnation du requérant et celui-ci ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la BCE.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

DI est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.