Affaire C‑284/21 P

Commission européenne

contre

Anthony Braesch e.a.

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 31 janvier 2023

« Pourvoi – Aides d’État – Articles 107 et 108 TFUE – Aide à la restructuration – Secteur bancaire – Phase préliminaire d’examen – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur – Plan de restructuration – Engagements pris par l’État membre concerné – Mesures de répartition des charges – Conversion de créances subordonnées en fonds propres – Détenteurs d’obligations – Recours en annulation – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir – Personne physique ou morale directement et individuellement concernée – Violation des droits procéduraux des parties intéressées – Défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen – Article 108, paragraphe 2, TFUE – Notion d’“intéressés” – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 1er, sous h) – Notion de “partie intéressée” – Mesures nationales prises en compte par la Commission européenne – Irrecevabilité du recours »

  1. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Décision de la Commission constatant la compatibilité d’une aide étatique avec le marché intérieur sans ouverture de la procédure formelle d’examen – Recours des intéressés au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Recevabilité – Conditions

    [Art. 108, § 2, et 263, 4e al., TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, h)]

    (voir points 50-54)

  2. Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Procédure administrative – Intéressé au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Notion – Entreprise ne se trouvant pas dans une relation de concurrence directe avec le bénéficiaire de l’aide – Nécessité pour cette entreprise de démontrer l’incidence concrète de l’aide sur sa situation

    [Art. 108, § 2, TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, h)]

    (voir points 58-60)

  3. Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Procédure administrative – Intéressé au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Notion – Requérant invoquant une perte économique substantielle résultant d’engagements proposés par l’autorité nationale ayant notifié les mesures d’aide – Engagements n’ayant pas été imposés par la Commission et ne faisant pas partie intégrante des mesures d’aide – Perte économique ne résultant pas de la décision de la Commission constatant la compatibilité des mesures d’aide avec le marché intérieur – Requérant ne relevant pas de la notion de partie intéressée – Possibilité pour ce dernier de saisir une juridiction nationale afin de contester la compatibilité des engagements en cause avec le droit de l’Union

    [Art. 108, § 2 et 3, TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, h)]

    (voir points 68-81, 103-110)

  4. Aides accordées par les États – Aides autorisées par la Commission – Utilisation abusive par le bénéficiaire – Notion

    [Art. 108 TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, g), et 20]

    (voir points 84, 85)

  5. Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Lignes directrices adoptées dans le cadre de l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission – Nature juridique – Règles de conduite indicatives impliquant une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission – Communication concernant le secteur bancaire – Effet contraignant à l’égard des États membres – Absence

    [Art. 107, § 3, b), et 108, § 3, TFUE ; communication de la Commission 2013/C 216/01]

    (voir points 90-95)

  6. Aides accordées par les États – Examen par la Commission – Compatibilité d’une aide avec le marché intérieur – Pouvoir d’appréciation – Respect de la cohérence entre les dispositions régissant les aides d’État et d’autres dispositions du droit de l’Union – Secteur bancaire – Aide devant respecter les conditions découlant de la directive 2014/59 – Obligation limitée aux modalités de l’aide indissociablement liées à son objet – Examen des conditions de recapitalisation d’un établissement de crédit

    (Art. 106, 107 et 108 TFUE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2014/59, art. 32)

    (voir points 96-103)

Résumé

En 2008, la banque italienne Banca Monte dei Paschi di Siena (ci-après « BMPS ») a procédé à une augmentation de capital de 950 millions d’euros, entièrement souscrite par J. P. Morgan Securities Ltd (ci-après « JPM ») en vertu de contrats conclus entre eux (ci-après les « contrats FRESH »). JPM a obtenu les fonds nécessaires pour financer cette opération auprès de Mitsubishi UFJ Investor Services & Banking (Luxembourg) SA (ci-après « MUFJ ») qui a émis, à cette fin, des obligations dénommées FRESH pour un montant d’un milliard d’euros. Les détenteurs de ces obligations perçoivent, quant à eux, des redevances sous forme de coupons qui leur sont transmises par MUFJ.

Fin 2016, BMPS a introduit une demande de soutien financier public exceptionnel sous la forme d’une recapitalisation préventive au titre de la législation italienne. Faisant suite à cette demande, les autorités italiennes ont notifié à la Commission européenne une aide à la recapitalisation de BMPS d’un montant de 5,4 milliards d’euros. Cette aide devait s’ajouter à une aide de trésorerie individuelle de quinze milliards d’euros en faveur de BMPS, que la Commission avait temporairement approuvée par décision du 29 décembre 2016.

Par décision du 4 juillet 2017 ( 1 ), la Commission a approuvé, à l’issue de la phase préliminaire d’examen, tant l’aide de trésorerie de quinze milliards d’euros en faveur de BMPS que l’aide à la recapitalisation préventive de celle-ci à hauteur de 5,4 milliards d’euros (ci-après la « décision litigieuse »). Ces mesures d’aide, qui étaient accompagnées d’un plan de restructuration de BMPS et d’engagements offerts par les autorités italiennes, ont été considérées comme constituant des aides d’État compatibles avec le marché intérieur pour des motifs de stabilité financière ( 2 ).

Le plan de restructuration de BMPS prévoyait, notamment, la possibilité d’annuler les contrats FRESH conclus entre cette dernière et JPM. À la suite de l’annulation desdits contrats, plusieurs détenteurs d’obligations FRESH ont saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Au soutien de leurs recours, ces requérants avançaient, notamment, qu’ils avaient subi une perte économique substantielle du fait de l’annulation des contrats FRESH et que cette annulation découlait du plan de restructuration accompagnant les mesures d’aide notifiées par la République italienne.

Devant le Tribunal, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au motif que les requérants n’ont ni intérêt à agir ni qualité pour agir, au sens de l’article 263 TFUE. Cette exception d’irrecevabilité ayant été rejetée par le Tribunal ( 3 ), la Commission a formé un pourvoi devant la Cour limité à la seule question de la qualité pour agir. En accueillant ce pourvoi, la grande chambre de la Cour précise les contours de la notion d’« intéressé » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, conférant la qualité pour agir en tant que personne directement et individuellement concernée, au sens de l’article 263 TFUE.

Appréciation de la Cour

Par son moyen unique, la Commission reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que, en tant que « intéressés » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589 ( 4 ), les requérants disposent de la qualité pour agir en annulation, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE ( 5 ), contre la décision litigieuse afin d’assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’ils tireraient de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

À cet égard, la Cour rappelle qu’il résulte de sa jurisprudence qu’un « intéressé », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, est recevable à introduire un recours visant à l’annulation d’une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections à l’encontre d’une aide d’État notifiée, adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen, à condition qu’il cherche à sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition. Or, dès lors que la décision litigieuse a été adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen, sans ouverture de la procédure formelle d’examen prévue au paragraphe 2 de l’article 108 TFUE, et que les requérants cherchent à sauvegarder les droits procéduraux qu’ils tireraient de cette disposition, c’était à juste titre que le Tribunal a examiné leur qualité d’« intéressés » afin de déterminer si leur recours est recevable au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

En revanche, le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les requérants disposent de la qualité d’« intéressés » dans le cadre de la procédure de contrôle des aides notifiées, telle que menée par la Commission au titre de l’article 108 TFUE.

Le règlement 2015/1589 définit la notion de « partie intéressée », qui est analogue à celle d’« intéressé » au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, comme visant toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide. Dès lors que cette notion reçoit une interprétation large dans la jurisprudence, elle est susceptible d’englober toute personne en mesure de démontrer que l’octroi d’une aide d’État risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation.

À cet égard, le Tribunal a estimé que les engagements des autorités italiennes visant le plan de restructuration de BMPS, qui accompagnaient les mesures d’aide notifiées et qui auraient entraîné, selon les requérants, une perte économique importante pour les détenteurs des obligations FRESH, font partie intégrante des mesures d’aide notifiées, la Commission ayant, par la décision litigieuse, rendu contraignantes lesdites mesures, si bien que cette décision porte aussi bien sur les mesures d’aide notifiées que sur les engagements des autorités italiennes. Le Tribunal en a déduit que l’octroi des aides notifiées et, partant, l’adoption de la décision litigieuse ont eu une incidence concrète sur la situation des requérants, de telle sorte qu’ils doivent être qualifiés de « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589.

Or, en statuant ainsi, le Tribunal a méconnu les règles du droit de l’Union régissant la portée de la décision litigieuse.

Sur ce point, la Cour précise que lorsqu’une mesure d’aide notifiée intègre, sur proposition de l’État membre concerné, des engagements consentis par celui-ci, il n’en découle pas pour autant que ces engagements doivent être considérés comme étant imposés en tant que tels par la Commission et que leurs éventuels effets nuisibles sur des tiers sont donc attribuables à la décision adoptée par cette institution.

En effet, par une décision adoptée au terme de la phase préliminaire d’examen, la Commission ne peut rien imposer ou interdire à l’État membre concerné, mais est uniquement en droit d’approuver, par une décision de ne pas soulever d’objections, le projet d’aide tel que celui-ci a été notifié par cet État membre, en déclarant cette aide compatible avec le marché intérieur.

Il s’ensuit que, par la décision litigieuse, la Commission s’est bornée à autoriser la République italienne à mettre à exécution les aides d’État notifiées en prenant note du cadre factuel préalablement défini par cet État membre dans le plan de restructuration de BMPS et les engagements que celui-ci a notifiés afin de dissiper tout doute quant à la compatibilité de ces aides avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Il ne saurait, dès lors, être considéré que les engagements proposés par la République italienne dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen ont été imposés par la décision litigieuse elle-même, ces engagements résultant uniquement d’actes adoptés par cet État membre.

Partant, l’annulation des contrats FRESH, lors de la mise en œuvre du plan de restructuration accompagnant les aides notifiées, ne saurait être considérée comme un effet obligatoire de la décision litigieuse, dès lors qu’elle ne résulte pas de la mise en œuvre desdites aides en tant que telles. Elle découle, en revanche, des mesures, certes liées dans les faits, mais juridiquement distinctes, adoptées par l’État membre qui a notifié ces aides à la Commission. La circonstance que ces mesures aient, notamment, été adoptées par cet État membre dans le but d’obtenir de la Commission une décision autorisant lesdites aides et qu’elles fassent l’objet d’engagements pris en compte dans une telle décision de cette institution est sans pertinence à cet égard.

Ainsi, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, les engagements visés par la décision litigieuse n’ont pas été imposés ou rendus contraignants par la Commission dans cette décision, mais constituent des mesures purement nationales notifiées par la République italienne, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, sous sa propre responsabilité, qui ont été prises en compte par la Commission en tant qu’élément factuel afin d’apprécier si les aides en cause pouvaient, en l’absence de tout doute à cet égard, être déclarées compatibles avec le marché intérieur à l’issue de la phase préliminaire d’examen.

En réponse à l’argumentation des requérants tirée de l’obligation incombant à la Commission de vérifier la conformité des mesures d’aide notifiées par la République italienne avec le droit de l’Union dans son ensemble, la Cour rappelle, en outre, que, selon une jurisprudence bien établie, la procédure prévue à l’article 108 TFUE ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. Ainsi, une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur. Ainsi, conformément à cette jurisprudence, la Commission a contrôlé, dans la décision litigieuse, que les aides notifiées étaient conformes à la directive 2014/59 ( 6 ). Dans ce cadre, la Commission a, notamment, vérifié que les mesures de répartition des charges prévues par le plan de restructuration proposé par la République italienne, qui ont entraîné l’annulation des contrats FRESH, étaient adéquates aux fins de limiter le montant de l’aide octroyée au strict minimum nécessaire pour réaliser l’objectif consistant à recapitaliser BMPS.

En revanche, la Commission n’avait pas à vérifier si ces mesures de répartition des charges violaient elles-mêmes les droits que les requérants affirment tirer du droit de l’Union ou du droit national. En effet, une telle violation, à la supposer établie, découlerait non pas de l’aide en tant que telle, de son objet ou de ses modalités indissociables, mais des mesures prises par la République italienne aux fins d’obtenir de la Commission une décision autorisant ladite aide à l’issue de la phase préliminaire d’examen.

Dans ces conditions, le fait que les mesures de répartition des charges s’inscrivent dans le cadre d’un plan de restructuration nécessitant le versement d’aides étatiques, notifiées par la République italienne à la Commission afin de solliciter leur approbation à l’issue de la phase préliminaire d’examen, ne confère pas aux requérants, qui s’estiment affectés par ces mesures, la qualité de « partie intéressée », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, dans le cadre de la procédure menée par cette institution au titre de l’article 108 TFUE. Si les requérants considèrent que, en raison de l’adoption des mesures de répartition des charges prévues par le plan de restructuration de BMPS, la République italienne a méconnu le droit de l’Union, c’est devant le juge national, seul compétent à cet égard, qu’ils doivent contester la légalité de ces mesures, ce juge ayant la faculté, voire l’obligation s’il statue en dernier ressort, de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, au besoin, pour l’interroger quant à l’interprétation ou la validité des dispositions pertinentes du droit de l’Union. Or, tel est précisément la situation en l’occurrence, dès lors que les requérants ne prétendent pas être affectés par les aides en cause, mais allèguent seulement subir l’incidence des mesures de répartition des charges prévues par le plan de restructuration visé par la décision litigieuse.

À la lumière de ces précisions, la Cour accueille le moyen unique soulevé par la Commission dans son pourvoi et annule l’arrêt du Tribunal. Le litige étant en état d’être jugé, la Cour accueille, en outre, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission en première instance et rejette, dès lors, le recours des requérants comme étant irrecevable.


( 1 ) Décision C(2017) 4690 final de la Commission, du 4 juillet 2017, concernant l’aide d’État SA.47677 (2017/N) - Italie, nouvelle aide et plan de restructuration modifié de Banca Monte dei Paschi di Siena.

( 2 ) Au titre de l’article 107, paragraphe 3, point b), TFUE, relatif aux aides destinées à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre.

( 3 ) Arrêt du 24 février 2021, Braesch e.a./Commission (T‑161/18, EU:T:2021:102).

( 4 ) Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9).

( 5 ) L’article 263, quatrième alinéa, TFUE prévoit deux cas de figure dans lesquels la qualité pour agir est reconnue à une personne physique ou morale pour former un recours en annulation contre un acte de l’Union dont elle n’est pas le destinataire. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, si celui ci la concerne directement.

( 6 ) Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).