ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

24 mars 2022 (*)

« Recours en manquement – Coopération judiciaire en matière pénale – Reconnaissance mutuelle des décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire – Décision-cadre 2009/829/JAI – Défaut d’adoption des mesures nécessaires pour se conformer à la décision-cadre – Défaut de communication à la Commission européenne »

Dans l’affaire C‑126/21,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 26 février 2021,

Commission européenne, représentée par M. J. Tomkin et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Irlande, représentée par Mmes M. Browne, M. Lane et J. Quaney, en qualité d’agents, assistées de Mme M. Gray, SC,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de la troisième chambre, et M. M. Safjan, juge,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil, du 23 octobre 2009, concernant l’application, entre les États membres de l’Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire (JO 2009, L 294, p. 20), ou, en tout état de cause, en n’ayant pas communiqué ces dispositions à la Commission, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27 de cette décision-cadre.

 Le cadre juridique

2        Sous l’intitulé « Objet », l’article 1er de la décision-cadre 2009/829 prévoit que celle-ci « définit les règles selon lesquelles un État membre reconnaît une décision relative à des mesures de contrôle rendue dans un autre État membre à titre d’alternative à la détention provisoire, assure le suivi des mesures de contrôle prononcées à l’encontre d’une personne physique et remet la personne concernée à l’État d’émission en cas de non-respect de ces mesures ».

3        L’article 27 de cette décision-cadre, intitulé « Mise en œuvre », dispose :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de la présente décision-cadre au plus tard le 1er décembre 2012.

2.      Les États membres communiquent, au plus tard à la même date, au Conseil et à la Commission, le texte des dispositions transposant dans leur droit national les obligations découlant de la présente décision‑cadre. »

4        En vertu de l’article 10, paragraphes 1 et 3, du protocole (n° 36) sur les dispositions transitoires, les attributions de la Commission en vertu de l’article 258 TFUE ne sont devenues applicables, en ce qui concerne les actes de l’Union européenne dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qu’à dater de l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la date d’entrée en vigueur dudit traité.

 La procédure précontentieuse

5        Le 17 décembre 2014, les services de la Commission ont adressé une lettre à tous les États membres pour les informer des règles applicables après l’expiration de la période transitoire de cinq ans prévue à l’article 10, paragraphe 3, du protocole (nº 36) sur les dispositions transitoires et les inviter à notifier, au plus tard le 15 mars 2015, toutes les mesures nationales transposant les actes de l’Union dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui avaient été adoptés avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et qui leur étaient applicables. Le délai de notification a ensuite été prorogé jusqu’au 15 mai 2015.

6        N’ayant reçu aucune notification de l’Irlande concernant l’adoption des dispositions nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829, la Commission lui a adressé une lettre de mise en demeure le 25 janvier 2019.

7        Par lettre du 21 mars 2019, l’Irlande a répondu à la Commission que les mesures de transposition de la décision-cadre 2009/829 étaient en cours d’élaboration.

8        En l’absence de toute autre notification concernant la transposition de la décision-cadre 2009/829, la Commission a adressé à l’Irlande, le 26 juillet 2019, un avis motivé l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences de cette décision-cadre dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis motivé.

9        Par lettre du 24 septembre 2019, l’Irlande a répondu à la Commission qu’elle mettait tout en œuvre pour adopter les mesures législatives nécessaires à la transposition complète de la décision-cadre 2009/829. En particulier, l’Irlande soulignait qu’un projet de loi avait été publié en ce sens au Seanad Éireann (Sénat de l’Irlande).

10      Considérant que l’Irlande n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour transposer la décision-cadre 2009/829 ou, en tout état de cause, pas notifié ces mesures, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

11      La Commission soutient que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’Irlande n’avait pas adopté les dispositions nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829.

12      En défense, l’Irlande fait valoir qu’il est, certes, vrai qu’elle n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour transposer la décision-cadre 2009/829 à l’expiration du délai fixé par l’avis motivé. Elle soutient, toutefois, que la loi transposant les dispositions de la décision-cadre 2009/829, à savoir le Criminal Justice (Mutual Recognition of Decisions on Supervision Measures) Act 2020 (Number 21 of 2020) [loi de 2020 sur la justice pénale (reconnaissance mutuelle des décisions relatives à des mesures de contrôle) (Numéro 21 de 2020)] (ci-après la « loi de 2020 »), a été adoptée le 26 novembre 2020 et que l’ordonnance fixant son entrée en vigueur, à savoir le Criminal Justice (Mutual Recognition of Decisions on Supervision Measures) Act 2020 (Commencement) Order 2021 [ordonnance d’entrée en vigueur de 2021 de la loi de 2020 sur la justice pénale (reconnaissance mutuelle des décisions relatives à des mesures de contrôle)] (ci-après l’« ordonnance de 2021 »), a été signée par le ministre de la Justice le 21 janvier 2021. L’Irlande ajoute que la Commission a été informée de l’adoption de la loi de 2020 dès le 30 novembre 2020 et que, tant celle-ci que l’ordonnance de 2021, ont été notifiées à la Commission le 5 février 2021.

13      Le présent recours ayant été introduit le 26 février 2021 sur la base d’une procédure précontentieuse visant un défaut de transposition, l’Irlande en déduit qu’il lui est impossible de savoir si la transposition intervenue dans l’intervalle pose un problème de fond quant au contenu des mesures de transposition adoptées.

14      Dans ces circonstances, l’Irlande soutient qu’elle a été entravée dans la présentation effective de sa défense dès lors, d’une part, que les mesures de transposition adoptées n’ont pas été prises en compte par la Commission et, d’autre part, qu’elle n’a pu produire des éléments de défense alors que la Commission est restée en défaut de fournir des indications sur la nature des griefs qu’elle pouvait avoir à l’égard des mesures notifiées.

15      Ainsi, selon l’Irlande, la poursuite de la procédure ne repose sur aucun fondement en ce qu’elle vise la non-communication des dispositions de transposition de la décision-cadre 2009/829 et est dépourvue d’objet compte tenu des mesures prises par l’Irlande avant l’introduction du présent recours.

16      La Commission admet que l’Irlande lui a notifié, le 5 février 2021, la loi de 2020, l’ordonnance de 2021 et un tableau de correspondance, mais elle indique que, en raison d’une erreur administrative, cette notification n’est pas parvenue à son service juridique avant l’introduction du présent recours, intervenue le 26 février 2021. Toutefois, elle rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé par l’avis motivé.

17      En outre, la Commission conteste l’affirmation de l’Irlande selon laquelle celle-ci aurait été entravée dans sa défense dès lors qu’il ressort clairement de la requête que le présent recours en manquement cherche à faire constater la transposition tardive de la décision-cadre 2009/829 et ne soulève aucune question relative à la qualité ou à la conformité des mesures notifiées.

 Appréciation de la Cour

18      Aux termes de l’article 27, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre 2009/829, les États membres avaient jusqu’au 1er décembre 2012 pour prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de cette décision-cadre et pour communiquer le texte des dispositions transposant dans leur droit national les obligations découlant de ladite décision-cadre au Conseil et à la Commission.

19      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, l’Irlande considère néanmoins que le recours de la Commission est sans objet dès lors que la loi de 2020, qui transpose la décision-cadre 2009/829, et l’ordonnance de 2021 ont été adoptées et notifiées à la Commission avant l’introduction du présent recours. L’Irlande soutient, pour des motifs similaires, que ses droits de la défense ont été violés.

20      Premièrement, il y a lieu de souligner qu’un recours visant un manquement qui, à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, n’existait plus est, selon la jurisprudence, irrecevable pour défaut d’objet (arrêt du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑508/03, EU:C:2006:287, point 73  et jurisprudence citée).

21      En effet, l’objet du recours introduit en vertu de l’article 258 TFUE est de faire constater que l’État concerné a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et qu’il n’a pas mis fin à ce manquement dans le délai fixé à cet effet par l’avis motivé de la Commission (arrêt du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑508/03, EU:C:2006:287, point 74).

22      En l’espèce, il n’est pas contesté par l’Irlande qu’elle n’avait pas adopté, au moment de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, de dispositions visant à transposer la décision-cadre 2009/829 ni, a fortiori, communiqué de telles dispositions.

23      En outre, c’est à la Commission qu’il appartient de choisir le moment auquel est introduite l’action en manquement, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l’action (arrêt du 21 janvier 2010, Commission/Allemagne, C‑546/07, EU:C:2010:25, point 21 et jurisprudence citée).

24      Deuxièmement, l’Irlande ne peut davantage être suivie lorsqu’elle invoque une violation de ses droits de la défense. En effet, le rejet d’un recours en manquement en raison du comportement de la Commission dans le cadre de la procédure précontentieuse ne s’impose que dans le cas où ledit comportement a empêché l’État membre concerné de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission et a violé, ainsi, les droits de la défense [voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 52].

25      À cet égard, la Commission a confirmé, dans son mémoire en réplique, qu’elle n’entendait pas formuler contre l’Irlande d’autres reproches que la non-transposition de la décision-cadre 2009/829 et l’absence de notification des mesures de transposition dans le délai fixé dans l’avis motivé. Dans ces circonstances, il apparaît que ni le laps de temps écoulé entre l’expiration de ce délai et l’introduction effective du recours ni l’absence de prise en considération de la transposition intervenue dans l’intervalle ne sont susceptibles d’accroître, pour l’Irlande, la difficulté de réfuter les arguments de la Commission et de violer ainsi ses droits de la défense (voir, par analogie, arrêt du 28 octobre 2010, Commission/Lituanie, C‑350/08, EU:C:2010:642, point 34).

26      Partant, il convient de déclarer recevable le recours introduit par la Commission.

27      Sur le fond, l’Irlande réitère l’argument selon lequel le recours ne serait pas fondé dès lors que les mesures nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829 ont été adoptées et notifiées à la Commission et produisent leurs effets depuis le 5 février 2021.

28      À cet égard, il ressort des termes de l’article 27, paragraphe 1, de la décision-cadre 2009/829 que les États membres devaient prendre les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de cette décision-cadre avant le 1er décembre 2012. En outre, selon l’article 27, paragraphe 2, de ladite décision-cadre, ils devaient communiquer le texte des dispositions transposant dans leur droit national les obligations découlant de la même décision-cadre au Conseil et à la Commission au plus tard à la même date.

29      Enfin, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un recours au titre de l’article 258 TFUE, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant être pris en compte par la Cour [voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C‑200/88, EU:C:1990:422, point 13, ainsi que du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux), C‑550/18, EU:C:2020:564, point 30 et jurisprudence citée].

30      En l’espèce, dans la mesure où l’Irlande indique dans son mémoire en défense que la loi transposant la décision-cadre 2009/829 a été adoptée le 26 novembre 2020 et qu’elle a procédé à la notification de la loi de 2020, de l’ordonnance de 2021 et du tableau de correspondance à des dates ultérieures, il est incontestable qu’elle n’avait pas encore accompli, à l’expiration de l’échéance fixée dans l’avis motivé, toutes les démarches requises à l’article 27 de la décision-cadre 2009/829.

31      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829 et en n’ayant pas communiqué à la Commission le texte de ces dispositions, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27 de cette décision-cadre.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de l’Irlande et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      En n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil, du 23 octobre 2009, concernant l’application, entre les États membres de l’Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu’alternative à la détention provisoire, et en n’ayant pas communiqué à la Commission européenne le texte de ces dispositions, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 27 de cette décisioncadre.

2)      L’Irlande est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.