ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
16 juin 2022 ( *1 )
« Pourvois – Environnement – Règlement (CE) no 1272/2008 – Classification, étiquetage et emballage des substances et des mélanges – Règlement (UE) no 944/2013 – Classification du brai de goudron de houille à haute température parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) – Annulation – Recours en indemnité »
Dans les affaires jointes C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P,
ayant pour objet quatre pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 2 février 2021,
SGL Carbon SE, établie à Wiesbaden (Allemagne) (C‑65/21 P),
Química del Nalón SA, anciennement Industrial Química del Nalón SA, établie à Oviedo (Espagne) (C‑73/21 P),
Deza a.s., établie à Valašské Meziříčí (République tchèque) (C‑74/21 P),
Bilbaína de Alquitranes SA, établie à Lutxana-Baracaldo (Espagne) (C‑75/21 P),
représentées par Mes M. Grunchard, P. Sellar et K. Van Maldegem, avocats,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. A. Dawes, R. Lindenthal et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Royaume d’Espagne, représenté par M. L. Aguilera Ruiz et Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,
Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mme M. Heikkilä et M. S. Mahoney, en qualité d’agents,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin, J.‑C. Bonichot (rapporteur), Mmes L. S. Rossi et O. Spineanu–Matei, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 février 2022,
rend le présent
Arrêt
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Par leurs pourvois, SGL Carbon SE, Química del Nalón SA, anciennement Industrial Química del Nalón SA, Deza a.s. et Bilbaína de Alquitranes SA demandent l’annulation des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, respectivement SGL Carbon/Commission (T‑639/18, non publié, ci-après le « premier arrêt attaqué », EU:T:2020:628), Industrial Química del Nalón/Commission (T‑635/18, ci-après le « deuxième arrêt attaqué », EU:T:2020:624), Deza/Commission (T‑638/18, non publié, ci-après le « troisième arrêt attaqué », EU:T:2020:627), et Bilbaína de Alquitranes/Commission (T‑645/18, non publié, ci-après le « quatrième arrêt attaqué », EU:T:2020:629) (ci-après, ensemble, les « arrêts attaqués »), par lesquels celui-ci a rejeté leurs recours tendant à obtenir réparation du préjudice qu’elles auraient subi en raison de l’adoption du règlement (UE) no 944/2013 de la Commission, du 2 octobre 2013, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges (JO 2013, L 261, p. 5, ci-après le « règlement litigieux »), qui a classé le brai de goudron de houille à haute température parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410). |
Le cadre juridique
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Les considérants 5 à 8 du règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 286/2011 de la Commission, du 10 mars 2011 (JO 2011, L 83, p. 1) (ci-après le « règlement no 1272/2008 »), sont rédigés comme suit :
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L’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1272/2008 est ainsi libellé : « Le présent règlement a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi que la libre circulation des substances [et] des mélanges [...] en :
[...] » |
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L’article 3, premier alinéa, de ce règlement dispose : « Une substance ou un mélange qui répond aux critères relatifs aux dangers physiques, aux dangers pour la santé ou aux dangers pour l’environnement, tels qu’ils sont énoncés à l’annexe I, parties 2 à 5, est dangereux et est classé dans une des classes de danger prévues à l’annexe I. » |
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L’article 37 dudit règlement porte sur la « [p]rocédure d’harmonisation de la classification et de l’étiquetage des substances ». Cet article prévoit, à son paragraphe 1 : « Une autorité compétente peut soumettre à l’Agence une proposition de classification et d’étiquetage harmonisés de substances et, le cas échéant, des limites de concentration spécifiques ou des [facteurs de multiplication (ci-après les “facteurs M”)], ou une proposition en vue de leur révision. » |
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Conformément à l’article 37, paragraphe 4, du même règlement, le comité d’évaluation des risques de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) (ci-après le « CER »), institué à l’article 76, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), adopte un avis sur toute proposition « soumise conformément aux paragraphes 1 et 2 dans un délai de dix-huit mois à compter de la réception de la proposition, en donnant aux parties concernées l’occasion de formuler des observations » et l’ECHA « transmet cet avis et toutes les observations à la Commission ». |
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La procédure d’adoption des classifications proposées est prévue à l’article 37, paragraphe 5, du règlement no 1272/2008 dans les termes suivants : « Lorsque la Commission estime que l’harmonisation de la classification et de l’étiquetage de la substance concernée est appropriée, elle soumet à bref délai un projet de décision concernant l’inclusion de cette substance et des éléments de classification et d’étiquetage pertinents dans l’annexe VI, partie 3, tableau 3.1, et, le cas échéant, des limites de concentration spécifiques ou des facteurs M. [...] » |
8 |
L’annexe I de ce règlement est intitulée « Prescriptions relatives à la classification et à l’étiquetage des substances et mélanges dangereux ». La partie introductive de cette annexe précise notamment que celle-ci présente les critères de classification des substances et des mélanges dans les classes de danger. |
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L’annexe I, point 4.1.1.1, dudit règlement est libellée en ces termes :
[...]
[...] » |
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Cette annexe prévoit, à son point 4.1.3, intitulé « Critères de classification des mélanges » :
La démarche par étapes comprend :
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Ladite annexe dispose, à son point 4.1.3.5.5, intitulé « Méthode de la somme des composants » : « [...]
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La même annexe est, à son point 4.1.3.5.5.3, intitulé « Classification dans la catégorie de toxicité aiguë 1 », libellée comme suit :
[...] » |
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L’annexe I du règlement no 1272/2008 prévoit, à son point 4.1.3.5.5.4, intitulé « Classification dans les catégories de toxicité chronique 1, 2, 3 et 4 » :
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Cette annexe dispose, à son point 4.1.3.5.5.5, intitulé « Mélanges de composants hautement toxiques » :
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Les antécédents du litige et les arrêts attaqués
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SGL Carbon (affaire C‑65/21 P) est la société mère d’un groupe de sociétés fabricant des produits en carbone et graphite dont le brai de goudron de houille à haute température (ci-après le « BGHHT ») est l’une des matières premières. Química del Nalón (affaire C‑73/21 P), Deza (affaire C‑74/21 P) et Bilbaína de Alquitranes (affaire C‑75/21 P) sont des producteurs de cette substance. |
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Les antécédents du litige ont été exposés aux points 16 à 23 des arrêts attaqués dans les termes suivants :
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Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 décembre 2015, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767). |
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Par arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), la Cour a rejeté le pourvoi de la Commission. |
La procédure devant le Tribunal et les arrêts attaqués
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Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 23 octobre 2018, les requérantes et deux autres sociétés ont chacune introduit un recours en indemnité tendant à obtenir réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi du fait de la classification illégale, par le règlement litigieux, du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410). |
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Elles soutenaient, d’une part, que le caractère illégal de cette classification, telle que constaté par l’arrêt du Tribunal du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), confirmé par l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15°P, EU:C:2017:882), constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Elles alléguaient, d’autre part, que cette illégalité leur avait causé un préjudice financier d’un montant total de 1022172 euros et additionnant plusieurs coûts : premièrement, les coûts engendrés par l’adaptation de l’emballage ainsi que par les modalités de transport telles qu’elles résulteraient des règlements types des Nations unies pour le transport des marchandises dangereuses, à savoir notamment l’accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route, le règlement concernant le transport international ferroviaire des marchandises dangereuses et le code maritime international des marchandises dangereuses ; deuxièmement, les coûts additionnels, engendrés par la classification prévue par le règlement litigieux, en vue de mettre à jour des fiches de données de sécurité conformément au règlement no 1907/2006 ; troisièmement, les coûts engendrés par la mise en conformité avec la directive 2012/18/UE du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, modifiant puis abrogeant la directive 96/82/CE du Conseil (JO 2012, L 197, p. 1), que la classification illégale du BGHHT aurait rendue applicable à leur égard. |
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Par six arrêts rendus le 16 décembre 2020, dont les arrêts attaqués, le Tribunal a rejeté en termes identiques ces recours indemnitaires, au motif que la première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, n’était pas satisfaite. |
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
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Par décision du 19 octobre 2021, les affaires C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt. |
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Par leurs pourvois respectifs, présentés en termes identiques, les requérantes demandent à la Cour :
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La Commission, le Royaume d’Espagne et l’ECHA demandent à la Cour :
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Sur le pourvoi
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À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent six moyens. |
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
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Les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 71 du premier arrêt attaqué, au point 72 du deuxième arrêt attaqué, au point 69 du troisième arrêt attaqué et au point 72 du quatrième arrêt attaqué, en rejetant comme irrecevable le moyen tiré de la violation par la Commission de son devoir de diligence au motif que ce moyen n’avait pas été soulevé de manière spécifique et autonome dans les requêtes introductives d’instance. Le Tribunal aurait estimé à tort que ce moyen devait être distingué du moyen selon lequel la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en omettant de prendre en considération un élément pertinent aux fins de la classification du BGHHT. Ayant soulevé dans leurs requêtes l’erreur manifeste d’appréciation de la Commission, les requérantes n’auraient pas eu besoin de soulever en outre le moyen tiré d’une violation par la Commission de son devoir de diligence. |
27 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol contestent cette argumentation et considèrent que le premier moyen doit être écarté. |
Appréciation de la Cour
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Aux points des arrêts attaqués visés au point 26 du présent arrêt, le Tribunal a déclaré irrecevable le moyen tiré de la violation par la Commission de son devoir de diligence au motif que les requérantes n’avaient pas allégué cette violation de manière spécifique et autonome dans leurs requêtes introductives d’instance, mais seulement dans leurs répliques, et que ce moyen ne pouvait pas non plus être considéré comme l’ampliation d’un moyen déjà contenu dans ces requêtes. |
29 |
Les requérantes soutiennent, en substance, que le moyen tiré de la violation du devoir de diligence n’est pas distinct de celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation qu’elles avaient soulevé dans leurs requêtes et dont il ne constituait qu’une ampliation. |
30 |
L’obligation de diligence, qui est inhérente au principe de bonne administration et s’applique, de manière générale, à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public, impose à cette administration d’agir avec soin et prudence [arrêts du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726, points 92 et 93, et du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 34]. |
31 |
Elle pèse sur les institutions de l’Union dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. Ainsi, lorsqu’une partie invoque l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise l’institution compétente, le juge de l’Union doit contrôler si cette institution a examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 77, et du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a., C‑691/15 P, EU:C:2017:882, point 35). |
32 |
Il résulte de cette jurisprudence de la Cour que le moyen tiré de la violation de l’obligation de diligence coïncide fréquemment avec celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation. Certes, la prise en compte avec soin et impartialité de tous les éléments pertinents du cas d’espèce ne suffit pas, à elle seule, à prémunir l’institution concernée de commettre une erreur manifeste d’appréciation. Néanmoins, une violation, par cette institution, de son obligation de diligence en est la cause la plus ordinaire. |
33 |
Tel est, en particulier, le cas de l’erreur manifeste d’appréciation commise en l’espèce par la Commission en classifiant le BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410) sur la base de ses constituants, constatée par le Tribunal au point 30 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), au motif que la Commission avait « manqué à son obligation de prendre en considération tous les éléments et circonstances pertinents ». Au point 55 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882, point 55), la Cour a confirmé ce constat du Tribunal. |
34 |
Or, il ressort des points 55, 46, 46 et 45 des requêtes introductives d’instance, respectivement, de SGL Carbon, de Química del Nalón, de Deza et de Bilbaína de Alquitranes que ces dernières faisaient grief à la Commission d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation. Cette erreur constitue d’ailleurs le fondement même de leurs demandes indemnitaires, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 61 du premier arrêt attaqué, au point 62 du deuxième arrêt attaqué, au point 59 du troisième arrêt attaqué et au point 62 du quatrième arrêt attaqué. |
35 |
Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant comme irrecevable le moyen tiré de la violation de l’obligation de diligence au motif qu’il constituait non pas l’ampliation d’un moyen déjà contenu dans les requêtes introductives d’instance, mais un moyen autonome soulevé tardivement. |
36 |
Toutefois, le fait que le moyen tiré de la violation de l’obligation de diligence a été considéré à tort comme autonome et rejeté en conséquence comme tardif n’a pas eu d’incidence sur l’examen du recours en première instance, dès lors que cet argument se confond, ainsi qu’il ressort des points 32 et 33 du présent arrêt, avec celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, qui a été soulevé dans les requêtes introductives d’instance, ainsi qu’il résulte du point 34 du présent arrêt, et qui a été examiné et écarté par le Tribunal. En outre et en tout état de cause, à la dernière phrase du point 114 du premier arrêt attaqué, du point 115 du deuxième arrêt attaqué, du point 112 du troisième arrêt attaqué et du point 115 du quatrième arrêt attaqué, le Tribunal a répondu au fond au moyen tiré de la violation du devoir de diligence, même si c’est à titre surabondant, en considérant que cette violation n’était pas suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité de l’Union. |
37 |
Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme inopérant. |
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
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Par le quatrième moyen de leurs pourvois respectifs, qu’il y a lieu d’examiner à la suite du premier moyen, dès lors qu’il soulève, comme ce dernier, une prétendue violation de l’obligation de diligence, les requérantes soutiennent que le Tribunal a fait une application erronée du critère de prudence et de diligence. À l’appui de ce moyen, elles citent les points 104 et 105 du premier arrêt attaqué, les points 105 et 106 du deuxième arrêt attaqué, les points 102 et 103 du troisième arrêt attaqué et les points 105 et 106 du quatrième arrêt attaqué. |
39 |
Par la première branche de ce moyen, elles reprochent au Tribunal d’avoir recherché, en se fondant sur l’avis du CER, si la solubilité était expressément mentionnée dans le règlement no 1272/2008 comme l’un des éléments pertinents, au lieu d’examiner si la Commission avait respecté le principe de droit constant qui veut que l’ensemble des éléments pertinents soit pris en considération. L’argumentation du Tribunal serait, par conséquent, dépourvue de pertinence au regard des termes de leurs requêtes. |
40 |
Par la seconde branche de ce moyen, les requérantes estiment que le Tribunal n’aurait pas dû tenir compte uniquement de l’avis du CER pour apprécier si la Commission avait agi avec prudence et diligence, alors que ce comité n’est pas lui-même tenu à une obligation de prudence et de diligence. |
41 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol contestent le bien-fondé de ce moyen. |
Appréciation de la Cour
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Par la première branche du quatrième moyen, les requérantes soutiennent, en substance, que le Tribunal s’est mépris en considérant que l’illégalité commise par la Commission avait consisté dans une violation du règlement no 1272/2008, alors que cette illégalité consiste, comme elles l’avaient exposé dans leurs requêtes introductives d’instance, dans un défaut de prise en compte de tous les éléments pertinents, c’est-à-dire dans une violation de l’obligation de diligence. |
43 |
Ainsi que le Tribunal l’a rappelé dans les arrêts attaqués, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée). |
44 |
En ce qui concerne la première de ces conditions, le Tribunal a considéré, respectivement au point 61 du premier arrêt attaqué, au point 62 du deuxième arrêt attaqué, au point 59 du troisième arrêt attaqué et au point 62 du quatrième arrêt attaqué, « que la règle violée, ainsi que le Tribunal puis la Cour l’ont constaté dans leurs arrêts respectifs, se trouve au point 4.1.3.5.5 de l’annexe I dudit règlement, et qu’il s’agit de la méthode de la somme ». |
45 |
Il y a lieu de relever que cette méthode de classification des mélanges dangereux pour le milieu aquatique consiste à calculer la somme des concentrations des constituants relevant des catégories de toxicité aiguë ou chronique, pondérées, chacune, du facteur M correspondant à leur profil de toxicité. Ainsi que l’a relevé la Cour au point 51 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), ladite méthode repose sur l’hypothèse selon laquelle les constituants pris en considération sont 100 % solubles. Or, les constituants du BGHHT ne peuvent être extraits du BGHHT que dans une mesure limitée et cette substance présente une grande stabilité, ainsi que l’a considéré à juste titre le Tribunal au point 32 de l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767). |
46 |
De ce constat, le Tribunal a déduit, au point 30 de ce dernier arrêt, non pas que la Commission avait violé la méthode de la somme, mais que celle-ci avait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de l’application de cette méthode pour calculer la toxicité aquatique du BGHHT. Aux points 49 à 55 de l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), la Cour a considéré que cette appréciation du Tribunal n’était entachée d’aucune erreur de droit. |
47 |
À cet égard, il convient de rappeler que la responsabilité non contractuelle de l’Union peut être engagée sans qu’une règle de droit déterminée ait été violée. Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante de la Cour que cette responsabilité peut également être engagée, lorsqu’une institution de l’Union fait application d’une règle de droit déterminée ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, par la méconnaissance manifeste et grave par cette institution des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 55 ; du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 43, ainsi que du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30). |
48 |
En l’espèce, le constat opéré par le Tribunal aux points des arrêts attaqués cités au point 44 du présent arrêt, selon lequel la Commission a violé la méthode de la somme, semble méconnaître la portée tant de l’arrêt du Tribunal du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), que de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882). |
49 |
Toutefois, il ressort de la lecture des arrêts attaqués dans leur ensemble que la caractérisation de l’illégalité commise par la Commission comme une violation de la règle de la méthode de la somme ne correspond pas à la position finale adoptée par le Tribunal dans lesdits arrêts. |
50 |
À cet égard, il convient d’observer que le Tribunal a déclaré, au point 89 du premier arrêt attaqué, au point 90 du deuxième arrêt attaqué, au point 87 du troisième arrêt attaqué et au point 90 du quatrième arrêt attaqué, vouloir examiner si le « manquement de la Commission » était suffisamment caractérisé à la lumière des considérations qui avaient amené le Tribunal, dans l’arrêt du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), puis la Cour, dans l’arrêt du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), à constater que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation lors de la classification du BGHHT. Par ailleurs, dans le cadre de cet examen, le Tribunal a rappelé, au point 100 du premier arrêt attaqué, au point 101 du deuxième arrêt attaqué, au point 98 du troisième arrêt attaqué et au point 101 du quatrième arrêt attaqué que, aux termes des arrêts d’annulation, la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation « lors de l’application de la méthode de la somme ». |
51 |
Dans ces conditions, bien qu’ayant mentionné dans certains points des arrêts attaqués la violation de la règle de la méthode de la somme, le Tribunal a, en réalité, entendu se référer à la mauvaise application de celle-ci par la Commission. |
52 |
Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé au point 62 de ses conclusions, le Tribunal n’a pas remis en cause les constatations faites dans les arrêts d’annulation selon lesquelles l’illégalité de l’acte litigieux était due à l’erreur manifeste d’appréciation de la Commission consistant en l’absence de prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents dans la classification du BGHHT. |
53 |
À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes dans le cadre de la première branche du quatrième moyen, l’examen, aux points contestés des arrêts attaqués, de la question de savoir si la solubilité était expressément mentionnée dans le règlement no 1272/2008 s’avère pertinente aux fins d’apprécier si l’erreur commise par la Commission, qui a été constatée par le Tribunal puis par la Cour, revêtait un caractère intentionnel ou inexcusable. |
54 |
La première branche du quatrième moyen doit, dès lors, être rejetée. |
55 |
Par la seconde branche du même moyen, dirigée contre les points 104 et 105 du premier arrêt attaqué, les points 105 et 106 du deuxième arrêt attaqué, les points 102 et 103 du troisième arrêt attaqué ainsi que les points 105 et 106 du quatrième arrêt attaqué, les requérantes reprochent au Tribunal de s’être uniquement référé à l’avis du CER pour conclure que la Commission avait agi comme l’aurait fait une administration normalement prudente et diligente, en méconnaissant que ce comité n’était pas tenu à une obligation de prudence et de diligence. |
56 |
Il y a lieu d’abord de relever, d’une part, que, pour apprécier la gravité de l’erreur d’appréciation commise par la Commission lors de la classification du BGHHT, le Tribunal a analysé, aux points 88 à 108 du premier arrêt attaqué, aux points 89 à 109 du deuxième arrêt attaqué, aux points 86 à 106 du troisième arrêt attaqué et aux points 89 à 109 du quatrième arrêt attaqué, d’autres éléments que le rapport du CER, spécifiquement abordé aux points des arrêts attaqués visés au point précédent. Par conséquent, il ne peut être soutenu que le Tribunal s’est exclusivement fondé sur l’avis du CER pour conclure que la Commission a agi comme l’aurait fait une administration normalement prudente et diligente. |
57 |
D’autre part, force est de constater que le Tribunal n’a pas énoncé, aux points des arrêts attaqués visés au point 56 du présent arrêt, qu’une obligation de prudence et de diligence incombait au CER. Par conséquent, si les requérantes ont entendu reprocher au Tribunal d’avoir considéré que la Commission pouvait s’en remettre à l’avis du CER et se décharger sur celui-ci de son obligation de prudence et de diligence, cette allégation ne trouve aucun appui dans ces points. |
58 |
Il résulte de ce qui précède que la seconde branche du quatrième moyen doit être rejetée comme non fondée. |
59 |
Il s’ensuit que le quatrième moyen des pourvois doit être rejeté dans son ensemble. |
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
60 |
Les requérantes soutiennent que, au point 98 du premier arrêt attaqué, au point 99 du deuxième arrêt attaqué, au point 96 du troisième arrêt attaqué et au point 99 du quatrième arrêt attaqué, le Tribunal aurait conclu que l’annexe I, point 4.1.3.5.5, du règlement no 1272/2008 ne pouvait pas être considérée, à la date de l’adoption du règlement litigieux, comme une règle claire quant à la marge d’appréciation dont jouit la Commission dans l’application de la méthode de la somme. Or, selon ces parties, cette conclusion est fondée sur une compréhension erronée de leur argumentation. Elles auraient soutenu, dans leurs requêtes introductives d’instance, que la Commission avait omis de prendre en considération un élément pertinent, à savoir la solubilité du BGHHT, alors que, selon une jurisprudence bien établie, la Commission aurait dû prendre en compte tous les éléments pertinents, tels que la solubilité. Ainsi, en répondant à la question de savoir si la disposition en cause était une règle claire, le Tribunal se serait concentré sur un argument que les requérantes n’avaient pas soulevé. |
61 |
Le Tribunal aurait ensuite constaté que ladite disposition ne mentionnait pas expressément que la solubilité d’une substance spécifique devait être prise en considération. Selon les requérantes, l’absence d’une mention expresse d’un point dans le libellé d’un acte de l’Union ne saurait exonérer la Commission de l’obligation de prendre en compte tous les éléments pertinents. Le Tribunal aurait ignoré le principe général du droit selon lequel, indépendamment de la lettre du texte, tous les éléments pertinents doivent être pris en considération. |
62 |
En outre, selon les requérantes, les difficultés factuelles et scientifiques soulevées par la classification des substances, telles que décrites par le Tribunal, ne sont pas pertinentes dans la mesure où, s’agissant en l’espèce d’évaluer la « toxicité aquatique » du BGHHT, il était évident que la solubilité de cette substance devait être prise en compte. Dès lors, les observations du Tribunal figurant aux points 96 et 97 du premier arrêt attaqué, aux points 97 et 98 du deuxième arrêt attaqué, aux points 94 et 95 du troisième arrêt attaqué et aux points 97 et 98 du quatrième arrêt attaqué, ne seraient pas pertinentes compte tenu de la jurisprudence claire et bien établie, rappelée au point 35 de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), qui impose à la Commission de prendre en compte, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, tous les éléments pertinents lors de la classification d’une substance. |
63 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol contestent cette argumentation. |
Appréciation de la Cour
64 |
Ainsi qu’il a été rappelé au point 43 du présent arrêt, l’illégalité commise par une institution de l’Union n’est susceptible d’engager la responsabilité de cette dernière qu’à la condition d’être suffisamment caractérisée. |
65 |
Parmi les éléments que le juge de l’Union peut être amené à prendre en considération pour apprécier si cette condition est remplie figurent notamment, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le degré de clarté et de précision de la règle violée ou mal appliquée, l’étendue de la marge d’appréciation que cette règle laisse à l’autorité de l’Union ainsi que le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit ou d’appréciation (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, points 55 et 56 ; du 25 janvier 2007, Robins e.a., C‑278/05, EU:C:2007:56, point 70, ainsi que du 19 juin 2014, Specht e.a., C‑501/12 à C‑506/12, C‑540/12 et C‑541/12, EU:C:2014:2005, point 102). |
66 |
Par conséquent, il relève de l’office du juge de l’Union, lorsqu’il doit apprécier si une illégalité commise par une institution est susceptible d’engager la responsabilité de l’Union, d’examiner tous les éléments pertinents à cet égard, tels que les éléments susmentionnés, même s’ils ne sont pas évoqués par les parties. |
67 |
Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient faire grief au Tribunal de s’être prononcé, aux points des arrêts attaqués visés au point 60 du présent arrêt, sur le degré de clarté de la méthode de la somme, au motif qu’elles n’avaient pas elles-mêmes fait état de cet élément dans leurs écritures. |
68 |
À supposer que les requérantes aient entendu, en outre, critiquer au fond l’appréciation du Tribunal contenue aux mêmes points des arrêts attaqués, selon laquelle la règle figurant à l’annexe I, point 4.1.3.5.5, du règlement no 1272/2008 manque de clarté, elles n’ont cependant pas présenté d’arguments de nature à remettre en cause cette appréciation, fondée sur le constat que le libellé de cette règle ne mentionne pas que son applicabilité est susceptible de varier selon la solubilité du mélange. |
69 |
Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen des pourvois doit être rejeté. |
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
70 |
Les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir jugé, aux points 105 et 107 du premier arrêt attaqué, aux points 106 et 108 du deuxième arrêt attaqué, aux points 103 et 105 du troisième arrêt attaqué ainsi qu’aux points 106 et 108 du quatrième arrêt attaqué, que le cadre juridique afférent au cas d’espèce était complexe et que cette complexité pouvait excuser le fait que la Commission n’avait pas tenu compte de la solubilité du BGHHT dans le cadre de l’application de la méthode de la somme. |
71 |
En effet, en vue de limiter l’octroi de dépens, le Tribunal aurait lui-même jugé, au point 22 de l’ordonnance du 25 septembre 2019, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13 DEP, non publiée, EU:T:2019:698), que la même règle de droit était claire. Dès lors, selon les requérantes, en ne fournissant aucun motif justifiant une telle divergence, le Tribunal aurait insuffisamment motivé sa décision, en violation de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. |
72 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol considèrent que ce moyen doit être rejeté. |
Appréciation de la Cour
73 |
Il convient d’emblée de relever qu’il n’existe pas de contradiction entre, d’une part, le constat, dans les arrêts attaqués, de la complexité du cadre juridique relatif à la classification du BGHHT et, d’autre part, l’argumentation figurant au point 22 de l’ordonnance du 25 septembre 2019, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13 DEP, non publiée, EU:T:2019:698), selon laquelle les questions soulevées par la classification du BGHHT dans le cadre du recours dirigé contre cette classification n’étaient pas atypiques et complexes au point de justifier le renvoi de l’examen de ce recours à une formation de jugement élargie. |
74 |
En outre, les requérantes n’exposent pas en quoi la divergence qu’ elles allèguent entre les arrêts attaqués et cette ordonnance sur le degré de clarté de la méthode de la somme serait par elle-même, à la supposer établie, de nature à entacher lesdits arrêts d’illégalité. |
75 |
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante que l’obligation pour le Tribunal de motiver ses arrêts ne saurait en principe s’étendre jusqu’à imposer qu’il justifie la solution retenue dans une affaire par rapport à celle retenue dans une autre affaire dont il a été saisi, quand bien même elle concernerait la même décision (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013,Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 66 et jurisprudence citée, ainsi que du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 90 et jurisprudence citée). |
76 |
Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen des pourvois doit être rejeté. |
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
77 |
Par leur cinquième moyen, les requérantes critiquent l’insuffisance de motivation des points 101 et 112 du premier arrêt attaqué, des points 102 et 113 du deuxième arrêt attaqué, des points 99 et 110 du troisième arrêt attaqué ainsi que des points 102 et 113 du quatrième arrêt attaqué. |
78 |
Par la première branche de ce moyen, elles estiment que le Tribunal ne pouvait, comme il l’a fait au point 101 du premier arrêt attaqué, au point 102 du deuxième arrêt attaqué, au point 99 du troisième arrêt attaqué et au point 102 du quatrième arrêt attaqué, qualifier de « rigoureuse » et de « prudente » l’approche de la Commission, alors que celle-ci était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. |
79 |
Par la seconde branche du moyen, les requérantes font valoir que la motivation du point 112 du premier arrêt attaqué, du point 113 du deuxième arrêt attaqué, du point 110 du troisième arrêt attaqué et du point 113 du quatrième arrêt attaqué est entachée d’une contradiction, en ce que le Tribunal aurait constaté, d’une part, que les raisons pour lesquelles le BGHHT n’avait pas fait l’objet d’une nouvelle classification depuis que celle-ci avait été censurée n’étaient pas connues et, d’autre part, que l’absence d’une nouvelle qualification montrait les difficultés de l’application correcte de la méthode de la somme et s’opposait ainsi à ce que l’erreur commise par la Commission puisse être qualifiée d’« inexcusable ». |
80 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol considèrent que ce moyen ne saurait prospérer. |
Appréciation de la Cour
81 |
Par la première branche du moyen, les requérantes font grief au Tribunal d’avoir considéré, aux points des arrêts attaqués visés au point 78 du présent arrêt, que la Commission avait adopté, en l’espèce, une approche rigoureuse et prudente, au motif qu’elle « a[vait] appliqué la méthode de la somme en suivant rigoureusement le libellé [de l’annexe I, point 4.1.3.5.5, du règlement no 1272/2008] », qu’elle « entendait agir dans les limites de ses compétences, ce qui en règle générale peut être considéré comme étant une approche prudente » et, se référant au point 75 des conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:646), que « le principe d’une telle approche ne peut qu’être loué ». |
82 |
Il convient de relever que cette argumentation repose sur une lecture erronée des arrêts attaqués. |
83 |
D’une part, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal n’a pas qualifié de « prudente » l’approche de la Commission en l’espèce, mais seulement le fait, pour une institution, de manière générale, d’agir dans les limites de ses compétences. Le Tribunal a surtout souligné que la Commission avait entendu agir dans le respect de ses compétences et que, par conséquent, son erreur d’appréciation était dépourvue de caractère intentionnel ou inexcusable. |
84 |
D’autre part, le Tribunal n’a pas omis de rappeler, à la fin du point 101 du premier arrêt attaqué, du point 102 du deuxième arrêt attaqué, du point 99 du troisième arrêt attaqué et du point 102 du quatrième arrêt attaqué, ainsi qu’au début des points suivants de ces arrêts, que, en l’espèce, l’approche de la Commission s’était révélée erronée et qu’elle avait été jugée comme entachée d’une erreur manifeste d’appréciation par le Tribunal et la Cour. |
85 |
Par conséquent, le grief formulé par les requérantes dans la première branche du cinquième moyen n’est pas fondé. |
86 |
La seconde branche du même moyen vise la motivation supposée contradictoire des points des arrêts attaqués mentionnés au point 79 du présent arrêt, dans lesquels le Tribunal a tiré les conséquences de la circonstance, mentionnée au point 111 du premier arrêt attaqué, au point 112 du deuxième arrêt attaqué, au point 109 du troisième arrêt attaqué et au point 112 du quatrième arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’avait pas procédé, à la date des arrêts attaqués et à la suite de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), qui a confirmé l’annulation partielle du règlement litigieux, à une nouvelle classification du BGHHT. |
87 |
Force est de constater que, comme le font valoir les requérantes, la motivation de ces points est entachée de contradiction. Ainsi, tandis que le Tribunal concède, dans la première phrase, qu’il ne peut tirer aucune conclusion de l’absence d’une nouvelle classification du BGHHT depuis que la précédente a été censurée, faute d’en connaître les raisons, il affirme, dans les phrases suivantes, que cette circonstance « peut illustrer les difficultés liées à l’application correcte de la méthode de la somme » et que le « caractère difficilement corrigeable de l’erreur commise par la Commission, tel que potentiellement mis en évidence en l’occurrence, s’oppose [...] à ce que cette erreur puisse être qualifiée d’inexcusable ». |
88 |
Toutefois, cette contradiction n’est pas susceptible de justifier l’annulation des arrêts attaqués. |
89 |
En effet, il convient de relever que le Tribunal a conclu au caractère excusable de l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission au terme d’une démonstration qui s’étend des points 99 à 113 du premier arrêt attaqué, des points 100 à 114 du deuxième arrêt attaqué, des points 97 à 111 du troisième arrêt attaqué et des points 100 à 114 du quatrième arrêt attaqué. |
90 |
Par conséquent, les points des arrêts attaqués visés au point 79 du présent arrêt, critiqués dans le cadre de la seconde branche du cinquième moyen, ne concernent qu’un aspect accessoire de la motivation développée par le Tribunal à l’appui du dispositif des arrêts attaqués, laquelle justifie principalement le caractère excusable de l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission par la complexité de l’opération de classification d’une substance et la difficulté d’interpréter la règle de la méthode de la somme. Or, les pourvois ne comportent aucune argumentation tendant à établir l’insuffisance de cette motivation dans son ensemble. Il s’ensuit que la seconde branche du cinquième moyen est insusceptible de justifier l’annulation des arrêts attaqués et doit, dès lors, être rejetée. |
Sur le sixième moyen
Argumentation des parties
91 |
Les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit aux points 106 et 108 du premier arrêt attaqué, aux points 107 et 109 du deuxième arrêt attaqué, aux points 104 et 106 du troisième arrêt attaqué et aux points 107 et 109 du quatrième arrêt attaqué, en considérant que l’approche de la Commission pouvait être excusée sur le fondement du principe de précaution. |
92 |
Selon les requérantes, l’application du principe de précaution présuppose que des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes et que des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. |
93 |
Ce principe n’aurait pas vocation à s’appliquer dans le cadre de la classification d’une substance, ainsi qu’il ressortirait de l’absence de mention de ce principe dans le règlement no 1272/2008. En effet, ledit principe ne pourrait être invoqué qu’après une évaluation des risques, ainsi que la Cour l’aurait jugé dans l’arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800). C’est seulement après une évaluation des risques que les autorités compétentes pourraient invoquer le principe de précaution afin de justifier des restrictions. En revanche, le principe de précaution ne saurait être invoqué à une étape antérieure. |
94 |
La Commission, soutenue par l’ECHA, et le gouvernement espagnol contestent cette argumentation. |
Appréciation de la Cour
95 |
Il importe de relever, à titre liminaire, que, si l’article 191, paragraphe 2, TFUE prévoit que la politique de l’environnement est fondée, notamment, sur le principe de précaution, ce principe a également vocation à s’appliquer dans le cadre d’autres politiques de l’Union, en particulier de la politique de protection de la santé publique ainsi que lorsque les institutions de l’Union adoptent, au titre de la politique agricole commune ou de la politique du marché intérieur, des mesures de protection de la santé humaine (arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 41 et jurisprudence citée). |
96 |
Le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a., C‑616/17, EU:C:2019:800, point 43 et jurisprudence citée). |
97 |
Par conséquent, ce principe trouve notamment à s’appliquer dans le cadre de la classification d’une substance sur le fondement du règlement no 1272/2008, lorsque l’évaluation des risques que comporte cette substance pour l’environnement et la santé des personnes laisse subsister des incertitudes. |
98 |
Ainsi, c’est à bon droit que, aux points des arrêts attaqués visés au point 91 du présent arrêt, le Tribunal a considéré que « le principe de précaution [...] ne peut être ignoré lors de la classification de substances et de mélanges chimiques », que le même principe « habilite en cas d’incertitude les autorités compétentes à prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées » et que la classification des substances et des mélanges poursuit « l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement dans le plein respect du principe de précaution ». |
99 |
Par ces motifs, le Tribunal considère, à tout le moins implicitement, que le principe de précaution est applicable au cas d’espèce et pourrait avoir justifié la classification du BGHHT parmi les substances de toxicité aquatique aiguë de catégorie 1 (H400) et de toxicité aquatique chronique de catégorie 1 (H410). Cette interprétation des arrêts attaqués, avancée par les requérantes, est corroborée, au point 105 du premier arrêt attaqué, au point 106 du deuxième arrêt attaqué, au point 103 du troisième arrêt attaqué et au point 106 du quatrième arrêt attaqué, par la mention d’une « situation d’incertitude quant à la composition exacte du BGHHT ». |
100 |
Or, il ne ressort ni de l’arrêt du Tribunal du 7 octobre 2015, Bilbaína de Alquitranes e.a./Commission (T‑689/13, non publié, EU:T:2015:767), qui a constaté l’erreur manifeste d’appréciation dont la Commission a entaché la classification du BGHHT, ni de l’arrêt de la Cour du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a. (C‑691/15 P, EU:C:2017:882), qui a rejeté le pourvoi contre ce premier arrêt, qu’il existait une incertitude sur les risques de toxicité aquatique du BGHHT, de telle sorte que la Commission était fondée à se prévaloir du principe de précaution. Dès lors que le Tribunal et la Cour ont jugé que la Commission avait entaché son évaluation des risques d’une telle erreur, il ne peut être affirmé que cette évaluation erronée laissait subsister des incertitudes sur l’étendue de ces risques. |
101 |
Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le principe de précaution avait vocation à s’appliquer dans le cadre de la classification du BGHHT, de telle sorte que l’erreur commise dans ce contexte par la Commission n’était pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. |
102 |
Toutefois, il ressort des arrêts attaqués, plus particulièrement du point 106 du premier arrêt attaqué, du point 107 du deuxième arrêt attaqué, du point 104 du troisième arrêt attaqué et du point 107 du quatrième arrêt attaqué, que ce n’est qu’à titre surabondant que le Tribunal a jugé que le principe de précaution était également susceptible de justifier une telle classification. En effet, ainsi qu’il ressort notamment du point 114 du premier arrêt attaqué, du point 115 du deuxième arrêt attaqué, du point 112 du troisième arrêt attaqué et du point 115 du quatrième arrêt attaqué, le Tribunal a retenu que l’erreur commise par la Commission n’était pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union principalement au regard de la complexité de l’opération de classification d’une substance et de la difficulté d’interpréter la règle de la méthode de la somme. |
103 |
Partant, le sixième moyen des pourvois est inopérant et doit être rejeté. |
104 |
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précédent que les pourvois doivent être rejetés. |
Sur les dépens
105 |
En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. |
106 |
L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. |
107 |
L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure prévoit que, lorsqu’une partie intervenante en première instance participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens. |
108 |
La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission. |
109 |
Le Royaume d’Espagne et l’ECHA, parties intervenantes en première instance, supporteront leurs propres dépens. |
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.