CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 2 mars 2023 ( 1 )

Affaire C‑718/21

L.G.

contre

Krajowa Rada Sądownictwa

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction” – Compétence de la Cour – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges – Possibilité de continuer à exercer les fonctions de juge au-delà de l’âge du départ à la retraite – Effets de la déclaration de volonté de continuer à exercer les fonctions de juge au-delà de cet âge subordonnée à l’autorisation d’une autre autorité – Effets du dépassement du délai de dépôt d’une telle déclaration »

I. Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle a été introduite par l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques, ci-après la « chambre de contrôle extraordinaire ») du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) dans le cadre d’un recours introduit par L.G. (ci-après le « requérant »), juge au Sąd Okręgowy w K. (tribunal régional de K., Pologne), contre la résolution de la Krajowa Rada Sądownictwa (conseil national de la magistrature, Pologne, ci-après la « KRS ») de ne pas donner suite à son égard à la procédure d’autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge après avoir atteint l’âge de mise à la retraite, en raison d’un dépassement du délai pour la déclaration de volonté à cet effet.

2.

Cette demande de décision préjudicielle soulève, au préalable, la délicate question de savoir si la chambre de contrôle extraordinaire revêt le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE. Sur le fond, ladite demande de décision préjudicielle concerne, pour l’essentiel, l’interprétation du principe d’inamovibilité et d’indépendance des juges, en tant que corollaire du principe de « protection juridictionnelle effective » consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, à l’égard d’une réglementation nationale qui, d’une part, subordonne à l’autorisation de la KRS l’effet de la déclaration de volonté d’un juge de continuer à exercer ses fonctions après avoir atteint l’âge du départ à la retraite et, d’autre part, prévoit, pour cette déclaration, un délai de forclusion absolu.

3.

La présente affaire s’inscrit dans le cadre des réformes récentes du système judiciaire polonais ( 2 ) et de la jurisprudence abondante de la Cour qui s’y rattache, notamment à la suite des recours en manquement introduits par la Commission européenne ( 3 ) ou de renvois préjudiciels introduits par des juridictions polonaises ( 4 ).

II. Le cadre juridique : le droit polonais

A.   La loi sur la Cour suprême

4.

L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 ( 5 ), qui a, notamment, institué la chambre de contrôle extraordinaire, dispose, à son article 26, paragraphe 1 :

« Relèvent de la compétence de la [chambre de contrôle extraordinaire] les recours extraordinaires, les litiges en matière électorale et les contestations de la validité d’un référendum national ou d’un référendum constitutionnel, la constatation de la validité des élections et des référendums, les autres affaires de droit public, y compris le contentieux de la protection de la concurrence, de la régulation de l’énergie, des télécommunications et du transport ferroviaire, ainsi que les recours dirigés contre les décisions du Przewodniczy Krajowej Rady Radiofonii i Telewizji [(président du Conseil national de la radiotélévision, Pologne)] ou mettant en cause la durée excessive des procédures devant les juridictions ordinaires et militaires de même que devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. »

B.   La loi sur l’organisation des juridictions de droit commun

5.

L’article 69, paragraphes 1 et 1b, de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001, telle que modifiée ( 6 ) prévoit :

« 1.   Les juges partent à la retraite le jour de leur 65e anniversaire, sauf s’ils adressent à la [KRS], au plus tard six mois et au plus tôt douze mois avant d’atteindre l’âge précité, une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leurs fonctions et présentent un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que leur état de santé leur permet de siéger.

[...]

1b.   La [KRS] peut autoriser un juge à continuer d’exercer ses fonctions, si le maintien dans ses fonctions répond à un intérêt légitime de l’administration de la justice ou à un intérêt social important, compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions. La résolution de la [KRS] est définitive. Lorsqu’un juge atteint l’âge visé au paragraphe 1 avant la fin de la procédure de prolongation de son mandat, il demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure.

[...] »

C.   La loi sur la KRS

6.

Aux termes de l’article 42 de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur la KRS), du 12 mai 2011, telle que modifiée ( 7 ) :

« 1.   Les résolutions rendues par le Conseil dans des cas individuels sont motivées.

2.   La motivation de la résolution est établie dans un délai d’un mois à compter de l’adoption de celle-ci.

3.   Les résolutions rendues dans des cas individuels sont signifiées aux participants à la procédure, accompagnées de leur motivation et d’instructions quant aux modalités de les contester devant la Cour suprême. »

7.

L’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la KRS énonce :

« Un participant à la procédure peut former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en se prévalant de l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des règles particulières n’en disposent autrement. [...] »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

8.

Par lettre du 30 décembre 2020, le requérant a communiqué à la KRS sa déclaration de volonté de continuer à exercer ses fonctions de juge après l’âge du départ à la retraite fixé à 65 ans, qu’il atteindrait le 12 juin 2021, conformément à l’article 69 de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun ( 8 ). Par lettre du 31 décembre 2020, le requérant a également introduit, auprès de la KRS, une demande de relevé de forclusion pour avoir dépassé le délai de six mois avant l’âge du départ à la retraite pour le dépôt de cette déclaration, prévu par cette disposition ( 9 ).

9.

Par une résolution du 18 février 2022, la KRS a déclaré ladite déclaration irrecevable au motif qu’elle avait été présentée au-delà du délai de six mois avant l’âge du départ à la retraite prévu par ladite disposition et a adopté une résolution de non-lieu, clôturant ainsi la procédure relative à l’octroi d’une autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge ( 10 ).

10.

Saisie par le requérant d’un recours contre cette résolution ( 11 ), le Sąd Najwyższy (Cour suprême), réuni en tant que chambre de contrôle extraordinaire, laquelle constitue la juridiction de renvoi, se demande si l’article 69 de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun porte atteinte au principe d’inamovibilité et d’indépendance des juges, consacré à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dans la mesure où, d’une part, cette disposition soumet l’exercice des fonctions de juge après l’âge du départ à la retraite à une autorisation de la part d’une autre autorité, ce qui pourrait influencer le contenu des jugements rendus par le juge en question, et où, d’autre part, ladite disposition prévoit la forclusion de la demande d’exercer les fonctions de juge après l’âge du départ à la retraite en cas de dépassement du délai pour sa présentation, indépendamment des effets de la mise à la retraite dans les circonstances concrètes, en particulier en ce qui concerne les intérêts de l’administration de la justice ou l’éventuelle existence d’un intérêt social important.

11.

C’est dans ces conditions que la chambre de contrôle extraordinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, [TUE] s’oppose-t-il à une disposition de droit national, telle que celle prévue à l’article 69, paragraphe 1b, première phrase, de [la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun], qui subordonne à l’autorisation d’une autre autorité l’efficacité de la déclaration de volonté d’un juge de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge du départ à la retraite ?

2)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, [TUE] s’oppose-t-il à ce qu’une disposition nationale soit interprétée en ce sens que la déclaration tardive par un juge de sa volonté de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge du départ à la retraite ne produit aucun effet, indépendamment des circonstances de l’inobservation du délai et de l’importance que revêt cette inobservation pour la procédure relative à la délivrance d’une autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge ? »

12.

Des observations écrites ont été déposées par la KRS, les gouvernements polonais, danois et néerlandais, ainsi que par la Commission. La KRS, les gouvernements polonais, belge et néerlandais, ainsi que la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 8 novembre 2022. Le requérant, la KRS, les gouvernements belge et néerlandais, ainsi que la Commission ont également présenté des observations écrites sur l’ordonnance de la juridiction de renvoi du 3 novembre 2022, par laquelle celle-ci a soumis à la Cour des observations complémentaires à sa demande de décision préjudicielle, concernant particulièrement sa qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.

IV. Analyse

A.   Sur la compétence de la Cour

1. Sur les doutes soulevés quant à la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, de la juridiction de renvoi

13.

La Commission ainsi que les gouvernements belge et néerlandais soulèvent des doutes quant à la qualification de la juridiction de renvoi en tant que « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE.

14.

En effet, les membres de la chambre de contrôle extraordinaire, créée par la loi sur la Cour suprême, ont été nommés au poste de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême), sur proposition de la KRS, par la résolution no 331/2018 du 28 août 2018 (ci-après la « résolution no 331/2018 »), dans les circonstances suivantes :

cette résolution a été adoptée par la KRS dans une composition dont l’indépendance a été remise en cause dans plusieurs arrêts de la Cour ( 12 ) ;

ladite résolution a fait l’objet d’un recours devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) et ce dernier a adopté, le 27 septembre 2018, une ordonnance conservatoire suspendant l’exécution de celle-ci ;

la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») a établi, en substance, que deux formations de jugement de la chambre de contrôle extraordinaire composées de trois juges nommés sur la base de la même résolution ne constituaient pas des « tribunaux établis par la loi » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») ( 13 ) ;

après la nomination des juges sur la base de la résolution no 331/2018, celle-ci a été finalement annulée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) le 21 septembre 2021 ( 14 ).

15.

Dans ces circonstances, il me semble opportun, avant de répondre aux questions préjudicielles, de vérifier si la chambre de contrôle extraordinaire, siégeant en formation de trois juges, constitue une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE et, partant, si la Cour est compétente pour répondre à ses questions préjudicielles.

2. Sur les principes relatifs à la notion d’« indépendance » de la juridiction de renvoi au sens de l’article 267 TFUE

16.

Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si l’organisme de renvoi en cause revêt le caractère de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que, entre autres, l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organisme en cause, des règles de droit ainsi que son indépendance ( 15 ). En l’espèce, c’est uniquement ce dernier élément, c’est-à-dire l’indépendance de la chambre de contrôle extraordinaire, qui est mis en cause, étant considéré comme prima facie évident – et en tout état de cause non contesté – que cet organe remplit les autres critères précités.

17.

Selon une jurisprudence également constante de la Cour, l’exigence d’indépendance des juridictions, dont les États membres doivent, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 16 ), assurer le respect, en ce qui concerne les juridictions nationales qui sont appelées à statuer sur des questions liées à l’interprétation et à l’application du droit de l’Union, comporte deux aspects, le premier, d’ordre externe, concernant l’autonomie de l’instance ( 17 ) et, le second, d’ordre interne, concernant son impartialité ( 18 ). Ces garanties d’autonomie et d’impartialité, qui constituent les deux volets de la notion d’« indépendance », postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ( 19 ).

18.

En ce qui concerne, plus particulièrement, l’exigence d’indépendance inhérente à la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, dans son arrêt Getin Noble Bank, la Cour a établi, en substance, une présomption selon laquelle une juridiction nationale telle que, notamment, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) satisfait aux exigences auxquelles doit répondre un organe pour être qualifié de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, indépendamment de sa composition concrète ( 20 ), en précisant que, dans le cadre de la procédure préjudicielle visée à l’article 267 TFUE, il ne lui appartient pas de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires ( 21 ). Dans le même temps, la Cour a précisé que cette présomption peut être renversée, d’une part, lorsqu’une décision judiciaire définitive rendue par une juridiction nationale ou internationale conduirait à considérer que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47 de la Charte ( 22 ), ou, d’autre part, lorsque d’autres éléments, indépendants de la situation personnelle des juges qui présentent formellement une demande au titre de l’article 267 TFUE, pourraient avoir des répercussions sur le fonctionnement de la juridiction de renvoi dont ces juges relèvent et concourir ainsi à porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de ladite juridiction ( 23 ).

19.

Cela étant précisé, il me paraît important de souligner que, à mon avis, l’interprétation du principe d’indépendance dans le contexte de l’article 267 TFUE appelle un examen différent de celui requis, respectivement, dans le contexte de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte, eu égard aux différents objectifs et fonctions de ces normes. Cette approche, qui a été développée, pour l’essentiel, par certains avocats généraux ( 24 ), n’a pas été, à ma connaissance, entièrement confirmée par la Cour, qui, dans ses arrêts concernant l’exigence d’indépendance inhérente à la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, continue de se référer à la nécessité que la juridiction en question présente les caractéristiques d’un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi, « au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, interprété à l’aune de l’article 47 de la Charte » ( 25 ).

20.

Pour l’essentiel, ladite approche distingue les conditions d’applications des trois dispositions en question comme suit :

l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE vise à assurer que le système de voies de recoursétabli par tout État membre garantisse la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ( 26 ). Il requiert donc un examen de nature « systémique » des caractéristiques d’un système juridictionnel ;

l’article 47 de la Charte consacre le droit à une protection juridictionnelle effective de tout justiciable qui se prévaut, dans une espèce donnée, d’un droit qu’il tire du droit de l’Union ( 27 ). Il requiert donc un examen de nature « pratique » (au cas par cas) pour apprécier l’existence d’un recours effectif dans le cas d’espèce ( 28 ) ;

l’article 267 TFUE vise une notion de « juridiction » à caractère « fonctionnel », en ce qu’elle permet d’identifier les organismes nationaux qui peuvent devenir les interlocuteurs de la Cour dans le cadre d’une procédure préjudicielle ( 29 ). Selon ce concept d’« indépendance fonctionnelle », qui renvoie principalement à l’absence de soumission hiérarchique à l’administration, c’est la fonction (et donc l’organisme) qui doit être indépendante, indépendamment du fait que les juges (en tant que personnes) puissent être liés au pouvoir exécutif, notamment par des liens de reconnaissance (lorsqu’ils ont été nommés de façon « privilégiée ») ou d’allégeance (lorsqu’ils espèrent avoir des avantages au cours de leur carrière, tels que des promotions, des prorogations, etc.) ( 30 ). Ce concept nécessite donc un examen de nature « formelle », effectué au niveau de l’organisme qui a présenté la question, et non au niveau des personnes qui y siègent ( 31 ).

21.

En outre, il n’est pas sans pertinence de préciser que l’appréciation de la notion, très spécifique, d’« indépendance » dans le cadre de l’article 267 TFUE constitue le dernier de toute une série d’éléments qui ne sont pas stricto sensu cumulatifs mais font partie d’un examen global et qui, dans leur ensemble, amènent à conclure à l’existence d’une « juridiction » au sens de cette disposition ( 32 ). L’examen du caractère indépendant de la juridiction s’effectue ainsi à l’aune des autres éléments, de sorte que, à mon avis, son appréciation est d’autant plus stricte lorsque la présence de certains autres éléments est douteuse, et inversement ( 33 ). Par ailleurs, il me semble que la Cour a tendance à effectuer un tel « examen d’indépendance » le plus souvent à l’égard des organes qui opèrent en dehors du système judiciaire national classique ou qui ne sont pas considérés comme une « juridiction » selon le droit national ( 34 ), tandis qu’elle ne s’est pas toujours montrée encline à remettre en cause le caractère indépendant d’un organe qui est formellement intégré dans le système juridictionnel de l’État membre en question ( 35 ), comme d’ailleurs le confirme la présomption établie dans l’arrêt Getin Noble Bank ( 36 ).

22.

Cette interprétation « minimaliste » de la notion d’« indépendance » dans le cadre de l’article 267 TFUE bénéficie, à mon avis, de l’avantage que, d’une part, elle n’empiète pas excessivement sur le principe de coopération entre les juridictions nationales et la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, au vu de l’importance de ce mécanisme pour garantir l’interprétation uniforme et cohérente du droit de l’Union ( 37 ) et, d’autre part, elle permet de maintenir le rôle crucial des demandes de décisions préjudicielles à l’égard de la protection des droits des justiciables. En effet, seule la compétence de la Cour à titre préjudiciel en vertu de l’article 267 TFUE permet à ces derniers, dans certaines situations, de se prévaloir de la protection juridictionnelle effective garantie par le droit de l’Union ( 38 ). Et cela d’autant plus dans les circonstances de l’espèce, au vu des nombreuses initiatives mises en œuvre par le législateur polonais visant, notamment, à empêcher les renvois préjudiciels présentés à la Cour portant sur la question de l’indépendance des juridictions en Pologne ( 39 ).

23.

Il s’ensuit que, compte tenu de sa fonction spécifique, l’interprétation de la notion d’indépendance d’une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE ne préjuge pas de l’interprétation de cette notion dans le cadre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ou de l’article 47 de la Charte. En d’autres termes, il ne saurait être exclu qu’un organe puisse constituer, en principe, une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, indépendamment du fait que des éléments de l’espèce, de nature systémique ou ponctuelle, pourraient amener à conclure que cette juridiction ne constitue pas un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ou de l’article 47 de la Charte ( 40 ).

24.

Certes, je suis bien conscient que, en principe, le système fondamental d’administration de la justice ne connaît pas de « gradations », tandis que l’approche susvisée, qui repose sur la présomption établie par l’arrêt Getin Noble Bank, en précisant l’application, vise, par une interprétation plus souple de la notion d’« indépendance » dans le cadre de l’article 267 TFUE, à permettre à une juridiction nationale, même en présence de doutes quant à son indépendance, d’assumer ses fonctions essentielles, en lui garantissant la possibilité, d’une part, d’examiner, avec l’aide de la Cour, sa propre indépendance et, d’autre part, d’assurer aux citoyens de l’Union le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective lorsqu’il est porté atteinte aux droits garantis par le droit de l’Union.

25.

Or, ne serait-il, au contraire, pas plus opportun d’adopter une approche différente, qui, en l’espèce, imposerait des limites aux prévarications des pouvoirs législatif et exécutif sur le pouvoir judiciaire en Pologne, jusque-là tolérées, et qui soutiendrait ainsi les juges polonais désignés sous l’ancien système dans leur démarche tendant, au nom du principe de l’indépendance de la magistrature, à écarter de l’enceinte judiciaire de l’Union les « nouveaux juges » nommés à l’issue des récentes reformes au mépris de ce principe ? La réponse n’est pas aisée. En tout état de cause, cette approche plus stricte n’est pas sans conséquences : ainsi qu’il ressort de l’audience, environ un juge sur quatre des juridictions ordinaire et administrative affectés en Pologne est désormais désigné par le nouveau système. Ladite approche fermerait considérablement l’accès au mécanisme du renvoi préjudiciel à la plupart des juridictions polonaises, en le laissant ouvert seulement à celles composées exclusivement de juges désignés sous l’ancien système. Cela impliquerait que la justice polonaise soit, de facto, soustraite au système juridictionnel de l’Union, un résultat qui, à mon avis, risquerait même d’empiéter sur la procédure prévue à l’article 7 TUE ( 41 ).

26.

En conclusion, si, en règle générale, selon le célèbre adage, « l’habit ne fait pas le moine », je suis d’avis que, avec un certain degré d’approximation, dans le contexte formel et circonscrit de l’appréciation de la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, « la toge fait le juge ( 42 )».

3. Sur l’incidence des règles en matière de nomination des juges sur la qualité de « juridiction indépendante »

27.

Après avoir évoqué et précisé le contexte jurisprudentiel relatif à l’interprétation de la notion de « juridiction indépendante » dans le cadre de l’article 267 TFUE, il convient de rappeler que, en l’espèce, les doutes quant au caractère indépendant de la juridiction de renvoi relèvent des règles concernant la nomination des juges la composant. Il convient donc d’appliquer les principes énoncés à la section précédente dans le contexte spécifique des règles relatives à la nomination des juges et, plus particulièrement, des règles concernant l’implication d’organes tiers à la magistrature dans le contexte de cette nomination, en l’occurrence la KRS.

28.

À cet égard, la Cour a précisé que la circonstance que les États membres, dans l’exercice de leur compétence concernant l’organisation de la justice, investissent un organe tiers à la magistrature, tel qu’un organe administratif, dans des décisions relatives, notamment, à la nomination ou au maintien en fonction de juges n’est pas suffisante, à elle seule, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges ainsi nommés ( 43 ). En effet, selon la Cour, le seul fait que les pouvoirs législatif ou exécutif interviennent dans le processus de nomination d’un juge n’est pas de nature à créer une dépendance de ce dernier à leur égard ni à engendrer des doutes quant à l’impartialité de celui-ci, si, une fois nommé, l’intéressé n’est soumis à aucune pression et ne reçoit pas d’instructions dans l’exercice de ses fonctions ( 44 ).

29.

Il s’ensuit, à mon avis, que d’éventuelles irrégularités liées à la nomination des membres d’une formation de jugement ne sauraient priver un organe de la qualité de « juridiction indépendante » au sens de l’article 267 TFUE que si elles compromettent l’aptitude même d’un tel organe à juger de manière indépendante ( 45 ). Partant, si les membres d’une formation de jugement, une fois nommés, possèdent les compétences requises pour la fonction et sont censés (selon les règles applicables) prendre leurs décisions en toute indépendance, cela devrait suffire à ce que la qualité de « juridiction indépendante » au sens de l’article 267 TFUE soit remplie.

4. Sur la qualité de « juridiction indépendante » de la juridiction de renvoi au sens de l’article 267 TFUE dans les circonstances de l’espèce

30.

La chambre de contrôle extraordinaire est une formation de jugement particulière au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Si la Cour a jugé que ce dernier satisfait, en principe, aux exigences de l’article 267 TFUE ( 46 ), sa formation en tant que chambre de contrôle extraordinaire a été créée dans le cadre des réformes récentes du système judiciaire polonais et les juges appartenant à celle-ci ont été nommés au poste de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) dans les conditions très controversées rappelées au point 14 des présentes conclusions.

31.

En substance, les doutes quant à la condition d’indépendance de la juridiction de renvoi sont liés à l’implication indirecte du pouvoir exécutif dans la nomination des juges la composant, qui se réaliserait à travers l’intervention de la KRS, laquelle, à la suite des réformes récentes du système judiciaire polonais, serait devenue une « institution captive », contrôlée par le pouvoir exécutif.

32.

Loin de vouloir justifier une telle évolution législative, qui s’insère dans le contexte d’une regrettable régression du système judiciaire polonais, je rappelle que, selon la jurisprudence constante de la Cour citée au point 28 des présentes conclusions, l’implication d’un organe tiers à la magistrature dans la nomination des juges n’est pas suffisante, à elle seule, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges. En outre, il ne ressort d’aucun élément du dossier de l’affaire qu’il y aurait lieu de considérer que les juges nommés au sein de la juridiction de renvoi à la suite de la réforme ne sont pas aptes à exercer leur fonction, ni que le cadre juridique applicable ou leur statut les empêchent d’exercer leurs fonctions de manière indépendante ( 47 ).

33.

Il convient également de relever que, selon les critères d’appréciation introduits par la Cour dans l’arrêt Getin Noble Bank, le Sąd Najwyższy (Cour suprême) jouit d’une « présomption d’indépendance », qui pourrait être renversée soit par une décision judiciaire définitive constatant que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, soit par d’autres éléments portant atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de ladite juridiction ( 48 ).

34.

Or, sans qu’il soit nécessaire de revenir sur ma proposition de nuancer ce principe ( 49 ), il me semble que, en l’espèce, nous sommes en dehors d’un de ce cas de figure.

35.

Certes, par son arrêt du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( 50 ), évoqué à plusieurs reprises au cours de l’instance, la Cour EDH a jugé qu’une formation de jugement composée de juges de la même chambre de contrôle extraordinaire ( 51 ) ne satisfaisait pas à l’exigence d’un tribunal préalablement établi par la loi au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Cela étant, je doute qu’il puisse s’agir d’une décision judiciaire définitive qui atteste que la juridiction de renvoi n’a pas, en substance, la qualité de tribunal indépendant au sens de l’article 267 TFUE, au regard de l’arrêt Getin Noble Bank ( 52 ). Il me semble que cette décision concerne plutôt l’examen du respect du droit à une protection juridictionnelle effective qui relève de l’application de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et qui, par conséquent, pourrait jouer un rôle dans l’application de l’article 47 de la Charte, mais non nécessairement dans celle de l’article 267 TFUE ( 53 ).

36.

Partant, j’estime que, sur la base des informations disponibles dans le dossier, la juridiction de renvoi peut être qualifiée de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, dans la mesure où, indépendamment des controverses relatives à la nomination de ses membres, elle est, en principe, appelée à trancher l’affaire au principal en toute autonomie du pouvoir exécutif, impliqué (indirectement) dans cette nomination ( 54 ), et en toute impartialité à l’égard des intérêts des parties.

37.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je suis d’avis que, aux fins de la présente procédure, le Sąd Najwyższy (Cour suprême), siégeant en formation de trois juges composant la chambre de contrôle extraordinaire, peut être considéré comme une « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE et que, par conséquent, la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles posées par cette juridiction.

B.   Sur la première question préjudicielle

38.

Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose à une réglementation nationale, telle que l’article 69 de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, qui subordonne à l’autorisation d’une autre autorité, en l’espèce la KRS, la possibilité, pour un juge en exercice, de continuer à exercer ses fonctions après avoir atteint l’âge du départ à la retraite.

39.

Je rappelle, à titre liminaire, que la Cour s’est prononcée à diverses reprises sur l’applicabilité et la portée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE à l’égard de réglementations nationales (notamment polonaises) régissant le système judiciaire, y compris de règles concernant la continuation de l’exercice des fonctions des magistrats au-delà de l’âge du départ à la retraite ( 55 ).

40.

Dans les points suivants, j’examinerai, pour ce qui est pertinent en l’espèce, la portée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (1) et les précédents jurisprudentiels concernant le maintien en fonction des juges au-delà de l’âge du départ à la retraite (2), avant de proposer une réponse à la première question préjudicielle (3).

1. Sur la portée de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE

a) Sur le principe de « protection juridictionnelle effective » dans les domaines couverts par le droit de l’Union

41.

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dispose que les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union et, par conséquent, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans lesdits domaines ( 56 ). En outre, dans la mesure où cette disposition renvoie à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective, elle doit être interprétée à l’aune de l’article 47 de la Charte, indépendamment de la question de savoir si cette dernière disposition est en elle-même applicable en l’espèce ( 57 ).

42.

Étant donné que cette disposition confère aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit ( 58 ), il s’ensuit qu’elle vise « les domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ( 59 ).

43.

En l’occurrence, il est indéniable que les juridictions de droit commun polonaises peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union et qu’elles relèvent ainsi du système polonais de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ces juridictions doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective ( 60 ).

b) Sur le principe d’indépendance des juridictions nationales en tant que corollaire du principe de protection juridictionnelle effective

44.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour garantir une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la préservation de l’indépendance de l’instance est primordiale, ainsi que le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif ( 61 ).

45.

Ainsi que cela a été rappelé aux points 17 et 18 des présentes conclusions, la Cour a dit pour droit que l’exigence d’indépendance des juridictions nationales comporte un premier aspect d’ordre externe, concernant l’autonomie de l’instance, et un second aspect d’ordre interne, concernant son impartialité, et que de telles garanties d’autonomie et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité et à la neutralité de ladite instance ( 62 ).

c) Sur l’exigence d’inamovibilité des juges comme inhérente au principe d’indépendance des juridictions

46.

En ce qui concerne plus particulièrement l’indépendance « externe » (l’autonomie) des juridictions, la Cour a précisé que la liberté des juges à l’égard de toutes interventions ou pressions extérieures exige certaines garanties propres à protéger la personne de ceux qui ont pour tâche de juger, telles que l’inamovibilité ( 63 ).

47.

Le principe d’inamovibilité exige, notamment, que les juges puissent demeurer en fonction tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire du départ à la retraite ou jusqu’à l’expiration de leur mandat lorsque celui-ci revêt une durée déterminée. Sans revêtir un caractère totalement absolu, ce principe ne peut souffrir d’exceptions qu’à condition que des motifs légitimes et impérieux le justifient, dans le respect du principe de proportionnalité. Ainsi, il est communément admis que les juges puissent être révoqués s’ils sont inaptes à poursuivre leurs fonctions en raison d’une incapacité ou d’un manquement grave, moyennant le respect de procédures appropriées ( 64 ).

48.

Il en va de même, à mon avis, en ce qui concerne les règles relatives à la possibilité du maintien des juges en fonction au-delà de l’âge du départ à la retraite, qui sont donc soumises aux exigences imposées par le principe d’inamovibilité des juges.

2. Sur les précédents jurisprudentiels concernant le maintien en fonction des juges au-delà de l’âge du départ à la retraite

49.

À titre liminaire, je rappelle que des dispositions législatives polonaises concernant le maintien en fonction de juges au-delà de l’âge du départ à la retraite ont fait l’objet de deux arrêts récents de la Cour :

l’arrêt Indépendance de la Cour suprême, concernant une disposition ( 65 ) qui accordait au président de la République le pouvoir d’autoriser le maintien en fonction des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) au-delà de l’âge du départ à la retraite ( 66 ) ;

l’arrêt Indépendance des juridictions de droit commun, relatif à une version précédente de l’article 69, paragraphe 1, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun ( 67 ), qui prévoyait que le ministre de la Justice pouvait décider d’autoriser le maintien en fonction des juges des juridictions de droit commun au-delà de l’âge du départ à la retraite ( 68 ) et qui apparaît particulièrement pertinent en l’espèce.

50.

Dans ces arrêts, la Cour a précisé qu’il appartient aux seuls États membres de décider s’ils autorisent ou non une prolongation de l’exercice des fonctions judiciaires au-delà de l’âge normal du départ à la retraite et que la circonstance que des organes tels que le président de la République [dans le cas de la prolongation du mandat des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême)] et le ministre de la Justice (dans le cas de la prolongation du mandat des juges des juridictions de droit commun) sont investis du pouvoir de décider ou non d’accorder une telle prolongation éventuelle n’est pas suffisante, à elle seule, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges ( 69 ). Toutefois, la Cour a jugé que, lorsque les États membres optent pour de tels mécanismes, ils sont tenus de veiller à ce que les conditions de fond et les modalités procédurales auxquelles se trouve soumise une telle prolongation ne soient pas de nature à porter atteinte au principe d’indépendance des juges ( 70 ).

51.

S’agissant, plus particulièrement, de ces conditions de fond et de ces modalités procédurales, la Cour a jugé que le pouvoir dont se trouvaient respectivement investis le président de la République et le ministre de la Justice aux fins d’autoriser ou non la continuation de l’exercice des fonctions de juge était de nature à engendrer des doutes légitimes, notamment dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts susceptibles de s’affronter devant eux ( 71 ).

52.

La Cour a fondé cette conclusion, en substance, sur la circonstance que les décisions d’autoriser ou non la continuation éventuelle de l’exercice des fonctions de juge se fondaient sur des critères trop vagues et non vérifiables, qu’elles n’étaient au demeurant pas motivées et pas davantage susceptibles de faire l’objet d’un recours juridictionnel ( 72 ), et, concernant le pouvoir de décision du ministre de la Justice, sans que ce celui-ci soit sujet à aucun délai pour l’adoption de sa décision sur la demande de prolongation ( 73 ). La Cour a également jugé que le pouvoir dont était investi le ministre de la Justice aux fins d’autoriser ou non la continuation de l’exercice des fonctions de juge des juridictions de droit commun méconnaissait, en particulier, le principe d’inamovibilité, ayant été conféré dans le contexte plus général d’une réforme ayant conduit à abaisser l’âge normal du départ à la retraite des juges en question ( 74 ).

53.

Une appréciation presque identique à celle de l’arrêt Indépendance des juridictions de droit commun s’impose en l’espèce, tout en tenant compte de ce que, à la suite de cet arrêt, la République de Pologne a modifié sa législation concernant le maintien en fonction des juges des juridictions de droit commun au-delà de l’âge du départ à la retraite, notamment en rétablissant l’âge précédemment en vigueur pour les juges et en conférant à la KRS, et non plus au ministère de la Justice, le pouvoir d’autoriser, sous certaines conditions, le maintien en fonction d’un juge au-delà de cet âge.

3. Sur l’appréciation des circonstances de l’espèce

54.

En l’occurrence, je rappelle que l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun prévoit, pour ce qui est pertinent en l’espèce, que la KRS peut autoriser un juge qui le souhaite à continuer à exercer ses fonctions au-delà de l’âge du départ à la retraite, si le maintien dans ses fonctions répond à un intérêt légitime de l’administration de la justice ou à un intérêt social important, compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions ( 75 ).

55.

Dans les points suivants, compte tenu de la jurisprudence citée au point 50 des présentes conclusions, je fournirai des indications quant à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dans les circonstances de l’espèce, compte tenu, d’une part, de la nature de la KRS (a) et, d’autre part, des conditions de fond et des modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de celle-ci concernant le maintien en fonction des juges (b).

a) Sur la nature de la KRS

56.

S’agissant de la nature de la KRS, je rappelle, à titre liminaire, que la jurisprudence récente de la Cour a établi, à plusieurs reprises, que, à la suite des réformes récentes du système judiciaire polonais, cet organe n’est pas indépendant des pouvoirs législatif et exécutif ( 76 ).

57.

Cette conclusion a été également confirmée par la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. En effet, dans son arrêt du 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne ( 77 ), la Cour EDH a conclu que la chambre de contrôle extraordinaire ne constituait pas un « tribunal établi par la loi » et que la République de Pologne avait donc agi en violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, au motif que les membres de cette chambre étaient nommés sur proposition de la KRS, laquelle n’était pas indépendante des pouvoirs législatif et exécutif ( 78 ).

58.

Ladite conclusion, par ailleurs, a été partagée, à diverses reprises, par les plus hautes juridictions polonaises. En effet, d’une part, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), par des arrêts des 6 et 13 mai 2021, a constaté que la KRS n’offrait pas de garanties suffisantes d’indépendance et que son niveau de dépendance à l’égard des autorités législatives et exécutives était si élevé qu’il ne saurait être sans pertinence dans l’appréciation de la question de savoir si les juges qu’elle sélectionne répondaient aux exigences objectives d’indépendance et d’impartialité de l’article 47 de la Charte. D’autre part, le Sąd Najwyższy (Cour suprême), dans sa résolution du 23 janvier 2020, a aussi relevé que la KRS n’était pas un organe indépendant, étant directement soumis aux autorités politiques ( 79 ).

59.

Cela étant précisé, il me semble que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la circonstance, aussi regrettable soit-elle, qu’un organe tel que la KRS soit investi du pouvoir de décider d’accorder ou non une prolongation éventuelle de l’exercice des fonctions juridictionnelles au-delà de l’âge normal du départ à la retraite n’est pas suffisante, à elle seule, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges ( 80 ). En effet, la Cour, reconnaissant la compétence de principe des États membres en ce qui concerne l’organisation de la justice, accepte que ces derniers, dans l’exercice de cette compétence, investissent un organe tiers à la magistrature (soit indépendant, soit relevant du pouvoir législatif ou exécutif) dans des décisions relatives, notamment, à la nomination ou au maintien en fonction de juges ( 81 ).

60.

Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour, il y a lieu de s’assurer que les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption de telles décisions soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges concernés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ( 82 ), ce que j’examinerai ci-après.

b) Sur les conditions de fond et les modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions de maintien en fonction des juges

61.

S’agissant des conditions de fond et des modalités procédurales présidant à l’adoption des décisions relatives au maintien en fonction des juges au-delà de l’âge du départ à la retraite, je rappelle que, selon la version de l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun qui a fait l’objet de l’arrêt Indépendance des juridictions de droit commun ( 83 ), le ministre de la Justice pouvait autoriser un juge à continuer d’exercer ses fonctions, « compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions ». La Cour a, d’une part, jugé ces critères trop vagues et non vérifiables, reprochant également l’absence d’obligation de motivation et de recours juridictionnel contre une telle décision, et a, d’autre part, reproché l’absence de délai imparti au ministre de la Justice pour prendre sa décision ( 84 ).

62.

En premier lieu, sur les conditions de fond, je relève que la version de l’article 69, paragraphe 1b, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, qui fait l’objet de l’affaire au principal, prévoit que la KRS peut autoriser un juge à continuer d’exercer ses fonctions, « si le maintien dans ses fonctions répond à un intérêt légitime de l’administration de la justice ou à un intérêt social important, compte tenu des impératifs d’utilisation rationnelle des membres du personnel des juridictions de droit commun et des besoins résultant de la charge de travail des différentes juridictions ». Par rapport à sa version précédente, la disposition en question ajoute donc la condition selon laquelle le maintien dans les fonctions de juge doit « répond[re] à un intérêt légitime de l’administration de la justice ou à un intérêt social important ».

63.

Or, je doute que cette nouvelle précision apporte aux critères sur lesquels s’appuie la résolution de la KRS des précisions de nature à limiter la marge d’appréciation qui a été censurée par la Cour ( 85 ).

64.

En second lieu, s’agissant des modalités procédurales, il me semble tout d’abord que, à l’instar de la réglementation précédente, censurée par la Cour, la nouvelle réglementation ne prévoit pas de délai dans lequel la KRS est tenue d’adopter sa résolution, le gouvernement polonais se limitant à préciser, dans ses observations écrites et lors de l’audience, que, au sens de l’article 69, paragraphe 1b, dernière phrase, de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, lorsqu’un juge atteint l’âge du départ à la retraite avant la fin de la procédure de prolongation de son mandat, il demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure.

65.

Ensuite, il me semble que, dans la mesure où l’article 42, paragraphes 1 et 2 de la loi sur la KRS s’applique à de telles résolutions, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, celles-ci sont motivées dans un délai d’un mois à compter de leur adoption, ce qui devrait permettre, en principe, de répondre aux critiques exprimées à cet égard par la Cour sous l’empire de la réglementation précédente.

66.

Enfin, ainsi que le démontre l’affaire au principal, la résolution de la KRS, contrairement à la réglementation précédente, peut faire l’objet d’un recours devant la chambre de contrôle extraordinaire ( 86 ), dont l’indépendance a néanmoins fait l’objet de nombreuses critiques ( 87 ).

67.

En conclusion, sans préjudice des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer sur la base des indications qui précèdent, je doute que le mécanisme d’autorisation par la KRS du maintien en fonction des juges au-delà de l’âge du départ à la retraite offre des garanties suffisantes d’indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif, en tenant compte de l’ensemble des éléments pertinents tant factuels que juridiques ayant trait à la fois aux conditions dans lesquelles les membres de cet organe ont été désignés et à la manière dont celui-ci remplit concrètement son rôle.

68.

Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’efficacité de la déclaration de volonté d’un juge de continuer à exercer ses fonctions de juge au-delà de l’âge du départ à la retraite à l’autorisation d’une autorité dont l’absence d’indépendance à l’égard des pouvoirs législatif ou exécutif a été démontrée et qui r rend ses décisions sur la base de critères vagues et difficilement vérifiables.

C.   Sur la seconde question préjudicielle

69.

Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE s’oppose à une réglementation nationale, telle que l’article 69 de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, interprétée en ce sens qu’elle prévoit la forclusion d’une déclaration tardive de la volonté de continuer à exercer des fonctions de juge après l’âge du départ à la retraite, indépendamment des circonstances et des effets de l’inobservation du délai en question.

70.

Je rappelle que la réglementation nationale en question, en ce qu’elle a une incidence sur la durée du mandat des juges des juridictions de droit commun, entre dans le champ d’application du principe d’inamovibilité des juges, qui est inhérent au principe de l’indépendance de la juridiction au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 88 ).

71.

En outre, en l’absence de règles détaillées au niveau de l’Union, la compatibilité de ladite disposition avec le principe d’indépendance doit être examinée à la lumière des principes d’autonomie procédurale et d’effectivité ( 89 ).

72.

En l’occurrence, je relève, à titre liminaire, qu’une disposition analogue à celle en question n’a pas fait l’objet de critiques de la part de la Commission dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts Indépendance de la Cour suprême ( 90 ) et Indépendance des juridictions de droit commun ( 91 ).

73.

Or, ainsi que le relève la Commission dans ses observations écrites, des délais clairs et prévisibles pour la déclaration par le juge concerné de sa volonté de continuer à occuper son poste au-delà de l’âge du départ à la retraite constituent des exigences procédurales objectives susceptibles de contribuer à la sécurité juridique et à l’objectivité de l’ensemble de la procédure d’autorisation de la poursuite de l’exercice des fonctions juridictionnelles. En l’espèce, je relève que le délai en question, qui commence à courir à partir du moment où le juge atteint l’âge de 64 ans et expire six mois avant qu’il n’atteigne l’âge de 65 ans, d’une part, est fixé en rapport avec un événement parfaitement connu du juge concerné, à savoir la date de son 65e anniversaire et, d’autre part, est suffisamment long pour donner à ce juge la possibilité de prendre une décision raisonnée quant à l’opportunité de manifester sa volonté de poursuivre ses fonctions.

74.

Partant, d’une part, j’estime que l’effet de forclusion de ce délai est une exigence procédurale claire susceptible de contribuer à l’objectivité de la procédure et à la sécurité juridique, au bénéfice de la bonne organisation du système judiciaire.

75.

D’autre part, s’agissant de l’impossibilité de prononcer un relevé de forclusion de ce délai, qui entraîne l’irrecevabilité de toute déclaration effectuée après son expiration, je relève que, en principe, celle-ci ne soumet les juges à aucune pression ou influence extérieure et prive, par ailleurs, la KRS de la possibilité d’exercer un pouvoir discrétionnaire.

76.

Le seul doute qui, à mon avis, pourrait éventuellement être formulé à l’égard de l’article 69 de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun concerne le caractère proportionné d’un délai de forclusion absolu qui ne tient pas compte, notamment, des principes de nécessité ou de la force majeure, pourvu que cela soit confirmé par la juridiction de renvoi.

77.

Toutefois, il me semble, d’une part, que, dans les circonstances de l’espèce, cette situation demeure hypothétique, la décision de renvoi ne faisant état d’aucun cas de force majeure ni d’un quelconque élément extraordinaire susceptible d’empêcher le juge concerné d’introduire sa déclaration en temps utile ( 92 ), et, d’autre part, que l’éventuelle occurrence d’une situation indépendante de la volonté du juge en question qui l’empêcherait de respecter le délai de forclusion devrait, en tout état de cause, être mise en balance avec les exigences de l’organisation de la justice ( 93 ).

78.

Partant, sous réserve des vérifications précédemment mentionnées qui incombent à la juridiction de renvoi, il ne me semble pas que, dans les circonstances de l’espèce, la disposition nationale en cause porte atteinte au principe d’indépendance des juges.

79.

En conclusion, je propose de répondre à la seconde question préjudicielle que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale interprétée en ce sens que la déclaration tardive par un juge de sa volonté de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge du départ à la retraite ne produit aucun effet, indépendamment des circonstances de l’inobservation du délai et de l’importance que revêt cette inobservation pour la procédure relative à la délivrance d’une autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge, pour autant que cette réglementation soit conforme au principe de proportionnalité.

V. Conclusion

80.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) de la manière suivante :

1)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui subordonne l’efficacité de la déclaration de volonté d’un juge de continuer à exercer ses fonctions de juge au-delà de l’âge du départ à la retraite à l’autorisation d’une autorité dont l’absence d’indépendance à l’égard des pouvoirs législatif ou exécutif a été démontrée et qui rend ses décisions sur la base de critères vagues et difficilement vérifiables.

2)

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale interprétée en ce sens que la déclaration tardive par un juge de sa volonté de continuer à exercer ses fonctions de juge après avoir atteint l’âge du départ à la retraite ne produit aucun effet, indépendamment des circonstances de l’inobservation du délai et de l’importance que revêt cette inobservation pour la procédure relative à la délivrance d’une autorisation de continuer à exercer les fonctions de juge, pour autant que cette réglementation soit conforme au principe de proportionnalité.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Notamment, les réformes récentes du Sąd Najwyższy (Cour suprême), en ce qui concerne la chambre de contrôle extraordinaire, et de la KRS.

( 3 ) Voir arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, ci-après l’« arrêt Indépendance de la Cour suprême », EU:C:2019:531), du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, ci-après l’« arrêt Indépendance des juridictions de droit commun », EU:C:2019:924), et du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, ci-après l’« arrêt Régime disciplinaire des juges », EU:C:2021:596). Un quatrième recours en manquement est actuellement pendant (Commission/Pologne, C‑204/21) et a fait l’objet des conclusions de l’avocat général Collins du 15 décembre 2022 (EU:C:2022:991).

( 4 ) Voir arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci-après l’« arrêt A.K. », EU:C:2019:982), du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, ci-après l’« arrêt A.B. », EU:C:2021:153), du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, ci-après l’« arrêt W.Ż. », EU:C:2021:798), du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931), du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) (C‑508/19, EU:C:2022:201), ainsi que du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, ci-après l’« arrêt Getin Noble Bank », EU:C:2022:235). Ces réformes font également l’objet de nombreuses affaires en cours, parmi lesquelles les affaires jointes YP e.a. (Levée d’immunité et suspension d’un juge) (C‑615/20 et C‑671/20) ainsi que G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne) (C‑181/21 et C‑269/21), qui ont fait l’objet des conclusions de l’avocat général Collins (respectivement EU:C:2022:986 et EU:C:2022:990).

( 5 ) Dz. U. de 2018, position 5.

( 6 ) Texte codifié, Dz. U. de 2020, position 2072.

( 7 ) Texte codifié, Dz. U. de 2021, position 269.

( 8 ) La déclaration en question, transmise par le président du Sąd Okręgowy w K. (tribunal régional de K.), était accompagnée des certificats médicaux, psychologiques et d’aptitudes, ainsi que de compétences psychologiques, requis par la réglementation pertinente.

( 9 ) Il fait valoir, à cet égard, que le non-respect de ce délai se justifiait par le niveau d’accaparement généré par ses activités judiciaires en cours.

( 10 ) Cette résolution a été adoptée à la suite d’une proposition de non-lieu à statuer prise par une équipe désignée de manière ad hoc par le président de la KRS, en l’absence d’un avis du ministre de la Justice, informé de cette désignation.

( 11 ) Le requérant a également introduit une demande de suspension des effets de la résolution litigieuse, qui a été accueillie par une ordonnance du Sąd Najwyższy (Cour suprême) du 29 avril 2021.

( 12 ) Voir, notamment, arrêts A.K. (points 136 à 145), A.B. (points 130 et 131) et Régime disciplinaire des juges (points 100 à 108). Il s’agissait de la composition résultant de la loi sur la KRS, telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3).

( 13 ) Cour EDH, 8 novembre 2021, Dolińska-Ficek et Ozimek c. Pologne (CE:ECHR:2021:1108JUD004986819). L’appréciation de la résolution no 331/2018 de la part de la Cour EDH a également fait l’objet de l’arrêt W.Ż. (points 134 à 154).

( 14 ) Ces circonstances sont très controversées dès lors que la juridiction de renvoi, dans ses observations complémentaires, a formulé, comme la KRS et le gouvernement polonais, plusieurs critiques, notamment quant à l’interprétation de l’ordonnance conservatoire et de l’arrêt du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) par la jurisprudence de l’Union et de la Cour EDH.

( 15 ) Voir, notamment, arrêt Getin Noble Bank (point 66 et jurisprudence citée).

( 16 ) La Cour a précisé, à plusieurs reprises, que cette disposition constitue un principe général qui concrétise la valeur de l’État de droit, affirmée à l’article 2 TUE, et interprète régulièrement ladite disposition à l’aune de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») qui, à son tour, affirme ce principe général, tel qu’il découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH (voir, notamment, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 32 et 35, ainsi que jurisprudence citée).

( 17 ) Cet aspect requiert, en substance, que l’instance concernée exerce ses fonctions sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions (voir arrêt Indépendance des juridictions de droit commun, point 109 et jurisprudence citée). Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirectes susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit (voir arrêt W.Ż., point 110 et jurisprudence citée).

( 18 ) Cet aspect vise, en substance, l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci et exige le respect de l’objectivité ainsi que l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit (voir arrêt Indépendance des juridictions de droit commun, point 110 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir arrêts Indépendance des juridictions de droit commun (point 111 et jurisprudence citée), et W.Ż. (point 109 et jurisprudence citée). Selon la Cour, qui s’appuie à cet égard sur la jurisprudence de la Cour EDH, ces deux exigences d’autonomie et d’impartialité doivent garantir la confiance que tout tribunal doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique, en se fondant (surtout en ce qui concerne l’impartialité) sur la « théorie de l’apparence d’indépendance » [voir, en ce sens, arrêt A.K. (points 127 à 129), ainsi que, en doctrine, Krajewski, M., Ziółkowski, M., « EU judicial independence decentralized : A.K. », Common market law review, 2020, vol. 57, no 4, p. 1123, et Pappalardo, F., Renoud, E., « La théorie des apparences, les juges et l’État de droit en Pologne », Revue des affaires européennes, 2021, no 3, p. 667.

( 20 ) Arrêt Getin Noble Bank (point 69). Il s’agissait également, en l’occurrence, du Sąd Najwyższy (Cour suprême), bien que dans une formation à juge unique. En l’occurrence, l’acte de nomination de ce juge, du 10 octobre 2018, avait été adopté dans des circonstances identiques à celles qui ont fait l’objet de l’arrêt W.Ż. Cet acte était fondé sur la résolution no 331/2018, dont l’exécution avait été suspendue par ordonnance du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) (voir point 14 des présentes conclusions, ainsi que arrêt W.Ż., points 32 à 34)].

( 21 ) Voir arrêt Getin Noble Bank (point 70 et jurisprudence citée).

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt Getin Noble Bank (points 68 à 72 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt Getin Noble Bank (point 75). En l’occurrence, la Cour s’est contentée de relever que, dès lors qu’elle n’avait pas connaissance du fait que le juge constituant la juridiction de renvoi aurait fait l’objet d’une telle décision judiciaire définitive, les éventuels vices ayant pu entacher la procédure nationale de nomination de celui-ci n’étaient pas susceptibles d’entraîner l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle (point 73 de cet arrêt). Dans son arrêt du 12 mai 2022, W. J. (Changement de résidence habituelle du créancier d’aliments) (C‑644/20, EU:C:2022:371, point 52), la Cour a précisé, en substance, que les éléments de preuve susceptibles de renverser la présomption en question doivent être concrets et précis.

( 24 ) Selon l’avocat général Bobek, s’il n’existe qu’un seul principe d’indépendance de la justice en droit de l’Union, néanmoins, dans la mesure où ces trois dispositions diffèrent quant à leur fonction et à leur objectif, le type d’examen à effectuer pour vérifier le respect de ce principe d’indépendance de la justice peut différer, en particulier quant à l’intensité du contrôle du respect dudit principe par la Cour et au seuil permettant de détecter une atteinte portée à celui-ci (voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2021:557, point 36). Antérieurement, l’avocat général Wahl avait, en substance, plaidé pour une interprétation moins rigide de la qualité d’organe indépendant dans le cadre de la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE que dans celle de l’article 6 de la CEDH et de l’article 47 de la Charte (conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Torresi, C‑58/13 et C‑59/13, EU:C:2014:265, points 48 à 51).

( 25 ) Voir, notamment, arrêt Getin Noble Bank (point 72). En l’occurrence, la Cour a toutefois précisé que la présomption selon laquelle la juridiction nationale dont émane une demande de décision préjudicielle remplit, notamment, l’exigence d’indépendance (voir point 18 des présentes conclusions) s’impose « aux seules fins de l’appréciation de la recevabilité des demandes des décisions préjudicielles introduites au titre de l’article 267 TFUE » et qu’« [i]l ne saurait en être inféré que les conditions de nomination des juges composant la juridiction de renvoi permettent nécessairement de satisfaire aux garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ou de l’article 47 de la Charte » (arrêt Getin Noble Bank, point 74 ; voir, également, arrêt du 13 octobre 2022, Perfumesco.pl, C‑355/21, EU:C:2022:791, point 33).

( 26 ) Voir arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 52).

( 27 ) Voir arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 52). La Cour a également précisé, à cet égard, qu’au droit à un recours effectif devant un tribunal consacré à l’article 47 de la Charte correspond l’obligation faite aux États membres à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (voir arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 44). En doctrine, voir, notamment, Wildemeersch, J., « L’avènement de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE : un droit renouvelé à la protection juridictionnelle effective », Cahiers de droit européen, 2021, no 3, p. 867.

( 28 ) Toutefois, cela n’empêche pas la Cour d’utiliser l’article 47 de la Charte comme un paramètre pour apprécier l’indépendance des juridictions au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (voir, notamment, arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 35 et jurisprudence citée, ainsi que Indépendance de la Cour suprême, point 54).

( 29 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2021:557, points 48, 50 à 52 et 65). Cet avocat général a précisé que l’appréciation de l’indépendance, au titre de l’article 267 TFUE, exige que la notion de « juridiction » soit examinée aux niveaux structurel et institutionnel et qu’elle repose sur une analyse de l’organe juridictionnel de renvoi en tant que tel, compte tenu également de la fonction que cet organe est appelé à exercer dans les circonstances spécifiques d’un cas d’espèce (voir, en ce sens, ses conclusions dans les affaires jointes Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403, points 52, 56 et 166, et dans l’affaire Ministerstwo Sprawiedliwości, C‑55/20, EU:C:2021:500, point 56).

( 30 ) En d’autres termes, l’analyse de la Cour à cet égard n’aura pas pour objectif de vérifier si les personnes qui appartiennent à la juridiction et siègent dans la formation ayant présenté la demande de décision préjudicielle remplissent chacune les critères en question mais s’appuie sur l’organisme de renvoi (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2021:557, point 52 et jurisprudence citée).

( 31 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2021:557, point 47). Ce dont la Cour doit tenir compte pour vérifier si l’organisme de renvoi est structurellement indépendant des parties au litige (indépendance « interne ») et ne reçoit pas de directives externes d’autres pouvoirs publics (indépendance « externe ») est donc le cadre juridique (formel) (point 63).

( 32 ) Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C‑54/96, EU:C:1997:413, point 23 et jurisprudence citée).

( 33 ) En doctrine, il a été constaté que la réunion de ces éléments n’est pas toujours considérée comme indispensable (voir Pertek, J., « Notion de juridiction : le droit au renvoi préjudiciel des organes ordinaux des professions libérales », Revue des affaires européennes, 2022, no 1, p. 127).

( 34 ) Voir, notamment, arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a. (C‑110/98 à C‑147/98, EU:C:2000:145, point 40), concernant des organes compétents pour connaître de réclamations économico-administratives, dont les membres étaient nommés parmi des fonctionnaires des administrations et révoqués par décision du ministre de l’Économie et des Finances ; du 29 novembre 2001, De Coster (C‑17/00, EU:C:2001:651, point 18), relatif à un organe investi en matière de contentieux fiscal local en Belgique, dont les membres étaient nommés par le conseil de la Région de Bruxelles-Capitale ; du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie (C‑385/09, EU:C:2010:627, points 34 à 40), portant sur un organe chargé d’examiner des recours des contribuables en matière fiscale, lié à la structure organisationnelle du ministère des Finances, auquel il était tenu de faire des rapports annuels et avec lequel il avait l’obligation de coopérer ; du 22 novembre 2012, Westbahn Management (C‑136/11, EU:C:2012:740, point 28), concernant un organe compétent pour trancher les litiges relatifs aux marchés ferroviaires en Autriche, dont la plupart des membres étaient nommés par le gouvernement, ainsi que du 13 décembre 2012, Forposta et ABC Direct Contact (C‑465/11, EU:C:2012:801, point 18), relatif à un organe compétent pour connaître en première instance des litiges entre opérateurs économiques et pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des marchés publics. En doctrine, voir Krajewski, M., et Ziółkowski, M., « EU judicial independence decentralized: A.K. », Common market law review, 2020, vol. 57, no 4, p. 1118.

( 35 ) En ce qui concerne, par exemple, le Sąd Najwyższy (Cour suprême), voir arrêts du 20 mai 2021, FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑879/19, EU:C:2021:409), du 8 juillet 2021, Koleje Mazowieckie (C‑120/20, EU:C:2021:553), W.Ż. (concernant la chambre civile), du 21 octobre 2021, Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie (C‑866/19, EU:C:2021:865), et du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) (C‑508/19, EU:C:2022:201) (chambre du travail et des assurances sociales), dans lesquels la Cour a répondu à la juridiction de renvoi sans s’interroger sur sa qualité d’organe indépendant.

( 36 ) Par ailleurs, si les garanties d’indépendance et d’impartialité requises aux fins de l’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la nomination, qui permettent d’écarter tout doute légitime quant à l’imperméabilité et à la neutralité de cette instance, la Cour a, de longue date, estimé qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre de l’examen de la qualité de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE, de supposer que ces règles seraient appliquées de manière contraire aux principes consacrés par l’ordre juridique national ou ceux d’un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 1999, Köllensperger et Atzwanger, C‑103/97, EU:C:1999:52, point 24, ainsi que conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2021:557, point 62).

( 37 ) Par ailleurs, une telle interprétation permet à la juridiction de renvoi de satisfaire à l’obligation qui incombe à toute juridiction de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi lorsque surgit sur ce point un doute sérieux (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, point 57 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 14 juillet 2021, Commission/Pologne, C‑204/21 R, EU:C:2021:593, point 164).

( 38 ) En effet, ainsi que l’a relevé l’avocat général Wahl, une application excessivement stricte des critères définis dans la jurisprudence de la Cour sur la recevabilité des renvois au titre de l’article 267 TFUE risquerait d’avoir un effet contraire à celui de renforcer la protection des individus et d’assurer un haut niveau de protection des droits fondamentaux conformément à l’article 6 de la CEDH et à l’article 47 de la Charte, en ce que des individus seraient privés de la possibilité que leur « juge naturel » (la Cour) entende leurs recours fondés sur le droit de l’Union et, partant, l’effectivité des droits de l’Union dans l’Union européenne serait affaiblie (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Torresi, C‑58/13 et C‑59/13, EU:C:2014:265, point 49). Ainsi qu’il a été observé en doctrine, dans le contexte de l’article 267 TFUE, la préoccupation essentielle de la Cour a été d’appliquer non pas les critères de fond concernant l’indépendance, mais plutôt le critère fonctionnel consistant à élargir l’accès à la procédure préjudicielle, afin de garantir l’application uniforme des droits de l’Union et leur protection effective [voir Tridimas, Τ., « Knocking on Heaven’s Door : Fragmentation, Efficiency and Defiance in the Preliminary Reference Procedure », Common market law review, 2003, vol. 40, no 1, p. 28, ainsi que Bonelli, M., Monica, C., « Judicial serendipity: how portuguese judges came to the rescue of the Polish judiciary », European constitutional law review, 2018, vol. 14, no 3, p. 622].

( 39 ) Cette constatation a notamment été effectuée par la Cour dans son arrêt A.B. (point 100).

( 40 ) À la lumière de cette constatation, j’estime qu’il convient de nuancer l’expression utilisée par la Cour dans l’arrêt Getin Noble Bank (point 72), dans la formulation de la première hypothèse dans laquelle la présomption de « juridiction » peut être renversée. En effet, si la Cour se réfère à une « décision judiciaire définitive [...] [qui] conduirait à considérer que le juge constituant la juridiction de renvoi n’a pas la qualité de tribunal indépendant, impartial et établi préalablement par la loi, au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à l’aune de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte » (italique ajouté par mes soins), il conviendrait de tenir compte de ce que l’examen du principe d’indépendance dans le cadre de l’article 267 TFUE ne coïncide pas nécessairement avec le même examen que celui opéré dans le cadre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ou de l’article 47 de la Charte.

( 41 ) Je remarque, par ailleurs, que, même dans le cadre de la procédure particulière visée à l’article 7 TUE, lorsque le Conseil décide de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné, il tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

( 42 ) Le terme « toge » devant, dans ce cas précis, être compris comme la fonction.

( 43 ) Voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2020, Land Hessen (C‑272/19, EU:C:2020:535, points 55 et 56), concernant l’implication du conseil national de la magistrature, composé de manière prépondérante de membres choisis par le pouvoir législatif, dans le processus de désignation des juges, ainsi que arrêts Indépendance de la Cour suprême (point 111) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 119), relatifs aux pouvoirs respectifs du président de la République de décider du maintien en fonction des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et du ministre de la Justice de décider du maintien en fonction des juges des juridictions de droit commun. J’examinerai cet aspect plus en détail en ce qui concerne l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (voir, notamment, points 56 à 60 des présentes conclusions).

( 44 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Land Hessen (C‑272/19, EU:C:2020:535, point 54 et jurisprudence citée).

( 45 ) De manière similaire à ce que j’ai proposé dans mes conclusions dans les affaires jointes Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2021:1019, points 46 et 47), il me semble opportun de distinguer les règles substantielles relatives à la capacité et aux compétences des juges à exercer leur fonction de celles relatives à des aspects purement formels de cette nomination (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX‑II et C‑543/18, RX‑II, EU:C:2020:232, point 79).

( 46 ) Voir point 18 des présentes conclusions.

( 47 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 48 ) Voir point 18 des présentes conclusions.

( 49 ) Voir note en bas de page 40 des présentes conclusions.

( 50 ) CE:ECHR:2021:1108JUD004986819.

( 51 ) La KRS a précisé, lors de l’audience, qu’un des trois juges composant la juridiction de renvoi siégeait dans la formation de jugement qui avait fait l’objet de cet arrêt.

( 52 ) Voir point 72 de cet arrêt.

( 53 ) Voir points 19 à 23 des présentes conclusions.

( 54 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, points 66 à 69). Dans l’affaire au principal, l’implication du pouvoir exécutif se vérifierait par le fait que, à la suite des réformes récentes du système judiciaire polonais, les membres de la KRS qui ont adopté la résolution no 331/2018 sont, pour la plupart, proches aux pouvoirs exécutif et législatif polonais.

( 55 ) Voir, en particulier, arrêts Indépendance de la Cour suprême, concernant le maintien en fonction des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), et Indépendance des juridictions de droit commun, relatif au maintien en fonction des juges des juridictions de droit commun.

( 56 ) Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 34 et jurisprudence citée). La Cour, en substance, part de la prémisse selon laquelle, afin de garantir la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union, y compris à travers le mécanisme fondamental du renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, et compte tenu du droit des justiciables de contester en justice la légalité de tout acte national relatif à l’application à leur égard d’un acte de l’Union, l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justifiables tirent de ce droit (voir, notamment, en ce sens, arrêt Indépendance de la Cour suprême, points 42 à 47).

( 57 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 34 à 37 et jurisprudence citée).

( 58 ) Voir arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 49 et jurisprudence citée). En effet, en vertu de la disposition en question, tout État membre doit notamment assurer que les instances relevant, en tant que « juridictions », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union et qui sont, partant, susceptibles de statuer, en cette qualité, sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective (voir arrêt W.Ż., point 104 et jurisprudence citée).

( 59 ) Voir, notamment, arrêt W.Ż. (point 103 et jurisprudence citée). Partant, si, ainsi que le fait valoir le gouvernement polonais dans ses observations écrites, l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt Indépendance des juridictions de droit commun, point 102 et jurisprudence citée). Il peut en aller de la sorte, notamment, s’agissant de règles nationales relatives à l’adoption des décisions de nomination des juges (voir arrêt W.Ż., point 75 et jurisprudence citée).

( 60 ) Voir, en ce sens, arrêts Indépendance des juridictions de droit commun (point 104) et W.Ż. (point 106 et jurisprudence citée).

( 61 ) Voir arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 41) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 105 et jurisprudence citée). Pour résumer, l’exigence d’indépendance des juridictions nationales, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lesquels revêtent une importance cardinale en tant que garants de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (voir, en ce sens, arrêts Indépendance de la Cour suprême, point 58 et jurisprudence citée, ainsi que W.Ż., point 108 et jurisprudence citée).

( 62 ) Selon la théorie dite de l’« apparence d’indépendance » (voir point 17 des présentes conclusions).

( 63 ) Voir arrêt Indépendance des juridictions de droit commun (point 112 et jurisprudence citée).

( 64 ) Voir arrêt Indépendance des juridictions de droit commun (point 113 et jurisprudence citée).

( 65 ) Il s’agissait de l’article 37 de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5).

( 66 ) À savoir, pour une durée de trois ans, renouvelable une fois, à partir de l’âge de 65 ans. La réglementation nationale faisant l’objet de cette affaire prévoyait également une disposition consistant à abaisser l’âge de la retraite (de 70 à 65 ans), qui a fait l’objet d’un grief séparé de la Commission ainsi que de la censure de la Cour sous l’angle de la violation du principe d’inamovibilité des juges (voir arrêt Indépendance de la Cour suprême, point 96).

( 67 ) Il s’agissait, selon l’arrêt en question, de la version de cette disposition en vigueur à la suite des modifications effectuées par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 12 juillet 2017 (Dz. U. de 2017, position 1452).

( 68 ) À savoir, de l’âge de 60 à 70 ans pour les femmes, et de l’âge de 65 à 70 ans pour les hommes. La réglementation nationale faisant l’objet de cette affaire prévoyait également une disposition consistant à abaisser l’âge de la retraite (de 67 à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes), qui, toutefois, n’a pas fait l’objet d’un grief séparé de la Commission.

( 69 ) Voir, en ce sens, arrêts Indépendance de la Cour suprême (point 111) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 119).

( 70 ) Voir, en ce sens, arrêts Indépendance de la Cour suprême (points 110 et 111) et Indépendance des juridictions de droit commun (points 118 et 119).

( 71 ) Voir, en ce sens, arrêts Indépendance de la Cour suprême (point 118) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 124).

( 72 ) Voir, en ce sens, arrêts Indépendance de la Cour suprême (point 114) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 122). En outre, dans la première affaire, la Cour a jugé que si la participation de la KRS à la procédure, en ce qu’elle est appelée à rendre un avis au président de la République avant que celui-ci n’adopte sa décision, pouvait, en principe, s’avérer de nature à contribuer à une objectivation du processus, cela n’était pas le cas dans les circonstances de l’espèce, la KRS se contentant, en général, de rendre des avis dépourvus de toute motivation ou s’accompagnant d’une motivation purement formelle (voir arrêt Indépendance de la Cour suprême, points 115 à 117).

( 73 ) Voir, en ce sens, arrêt Indépendance des juridictions de droit commun (point 123). S’agissant, en particulier, de l’absence d’un délai au cours duquel le ministre de la Justice devait prendre sa décision, la Cour a observé que la disposition en question, conjuguée à celle qui prévoyait que, lorsqu’un juge atteint l’âge normal du départ à la retraite avant la fin de la procédure visant à une prolongation de l’exercice de ses fonctions, l’intéressé demeure en fonction jusqu’à la clôture de ladite procédure, était de nature à faire perdurer la période d’incertitude dans laquelle se trouve le juge concerné et a conclu que la durée de la période pendant laquelle les juges sont ainsi susceptibles de demeurer dans l’attente de la décision du ministre de la Justice une fois sollicitée la prolongation de l’exercice de leurs fonctions relevait, elle aussi, de la discrétion de ce dernier.

( 74 ) Voir, en ce sens, arrêt Indépendance des juridictions de droit commun (points 125 à 130). Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, c’était la combinaison de la mesure d’abaissement de l’âge normal du départ à la retraite et du pouvoir discrétionnaire dont se trouve en l’occurrence investi le ministre de la Justice aux fins d’autoriser ou de refuser la continuation de l’exercice des fonctions de juge de juridictions de droit commun qui, selon la Cour, méconnaissait le principe d’inamovibilité.

( 75 ) Selon l’article 69, paragraphe 1, de cette loi, le maintien du juge dans ses fonctions est également soumis à la production d’un certificat, établi dans les conditions applicables aux candidats à la magistrature du siège, attestant que son état de santé lui permet de siéger, condition qui, pourtant, ne soulève pas, en principe, de soucis au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, pour autant que celle-ci ne vise qu’à assurer que l’état physique et psychologique du juge lui permet de continuer d’exercer ses fonctions.

( 76 ) Voir arrêts A.K. (points 141 à 152), A.B. (points 130 à 135), Régime disciplinaire des juges (points 104 à 110), et W.Ż. (points 149 et 150). La Cour a notamment relevé que la quasi-totalité des membres composant la KRS dans sa nouvelle composition ont été désignés par les pouvoirs exécutif et législatif ou sont membres de ces pouvoirs, ce qui entraîne un risque d’emprise accrue desdits pouvoirs législatif et exécutif sur la KRS, et d’atteinte à l’indépendance de cet organe (voir arrêt Régime disciplinaire des juges, point 104).

( 77 ) CE:ECHR:2021:1108JUD004986819 (§§ 290, 320 et 353 à 355). Dans le même sens, voir Cour EDH, 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne (CE:ECHR:2021:0722JUD004344719, §§ 274 et 276).

( 78 ) Par ailleurs, dans son arrêt du 15 mars 2022, Grzęda c. Pologne (CE:ECHR:2022:0315JUD004357218, § 348), la Cour EDH a jugé que la République de Pologne avait également violé l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH en mettant fin prématurément au mandat d’un membre juge de la KRS sans que celui-ci ait accès à un contrôle juridictionnel de la mesure. Dans ce contexte, la Cour EDH a constaté que les réformes polonaises du système judiciaire, en particulier la réorganisation de la KRS, visaient à affaiblir l’indépendance du pouvoir judiciaire et que, ainsi, le pouvoir judiciaire s’est trouvé exposé à l’ingérence des pouvoirs exécutif et législatif et, par conséquent, a été considérablement affaibli.

( 79 ) Affaire BSA I-4110-1/20. Par cette résolution, adoptée à l’initiative du premier président du Sąd Najwyższy (Cour suprême) à la suite de l’arrêt A.K., les chambres réunies du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ont conclu que, à l’issue de sa réforme intervenue au cours de l’année 2017, la KRS n’était pas indépendante et qu’une formation de jugement qui incluait une personne nommée comme juge sur recommandation de celle-ci était contraire à la loi. Ladite résolution a également été amplement prise en compte dans l’arrêt de la Cour EDH du 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne (CE:ECHR:2021:0722JUD004344719, §§ 89 à 106).

( 80 ) La Cour a déjà jugé que la circonstance qu’un organe, tel qu’un conseil national de la magistrature, impliqué dans le processus de désignation des juges soit, de manière prépondérante, composé de membres choisis par le pouvoir législatif ne saurait, à elle seule, conduire à douter de l’indépendance des juges nommés au terme dudit processus (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2020, Land Hessen, C‑272/19, EU:C:2020:535, points 55 et 56). Cette conclusion est d’ailleurs cohérente avec la jurisprudence de la Cour qui a établi que même les pouvoirs du président de la République, d’une part, de décider de la prolongation du mandat des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et du ministre de la Justice, d’autre part, de décider de celle du mandat des juges des juridictions de droit commun (sous l’empire de la réglementation précédente) n’étaient pas suffisants, à eux-seuls, pour conclure à l’existence d’une atteinte au principe d’indépendance des juges (voir arrêts Indépendance de la Cour suprême, points 108 et 110, et Indépendance des juridictions de droit commun, point 119).

( 81 ) La jurisprudence de la Cour à cet égard est conforme à celle de la Cour EDH, selon laquelle, en substance, la nomination des juges par des autorités relevant du pouvoir exécutif ne soulève pas de doutes raisonnables quant à l’indépendance de ces derniers, pour autant que ceux-ci, une fois nommés, soient à l’abri d’influences ou de pressions lorsqu’ils exercent leur rôle décisionnel (voir, notamment, Cour EDH, 30 novembre 2010, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, CE:ECHR:2010:1130JUD002361408, § 49).

( 82 ) Voir, par analogie, arrêts Indépendance de la Cour suprême (points 108 et 110) et Indépendance des juridictions de droit commun (point 119).

( 83 ) Voir, également, note en bas de page 66 des présentes conclusions.

( 84 ) Voir arrêt Indépendance des juridictions de droit commun (points 122 et 123).

( 85 ) Il convient, bien entendu, d’apprécier la portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales compte tenu de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C‑490/04, EU:C:2007:430, point 49 et jurisprudence citée), appréciation qui incombe à la juridiction de renvoi, en tenant également compte de l’éventuelle existence d’une ligne jurisprudentielle de la chambre de contrôle extraordinaire, évoquée par le gouvernement polonais, qui expliciterait l’application des critères mentionnés.

( 86 ) Ainsi qu’il a été précisé par le gouvernement polonais lors de l’audience et sans préjudice des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, cela ressort de l’article 44, paragraphe 1, de la loi sur la KRS, selon lequel, en substance, un participant à la procédure peut former un recours devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême) contre la résolution de la KRS, et de l’article 26 de la loi sur la Cour suprême, qui donne compétence à la chambre de contrôle extraordinaire pour connaître de ce type de recours. Il conviendra toutefois de tenir compte des modifications apportées à cette dernière disposition par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (Dz. U. de 2020, position 190), entrée en vigueur le 14 février 2020. Ladite disposition, telle que modifiée, fait l’objet d’un recours en manquement de la Commission (affaire C‑204/01), actuellement pendant (voir ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 14 juillet 2021, Commission/Pologne, C‑204/21 R, EU:C:2021:593, et conclusions de l’avocat général Collins dans l’affaire Commission/Pologne, C‑204/21, EU:C:2022:991).

( 87 ) Je renvoie aux critiques relatives au défaut d’indépendance de la chambre de contrôle extraordinaire soulevées par certains intervenants dans le cadre de la discussion sur sa qualification en tant que « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE (voir, notamment, points 30 à 37 des présentes conclusions), tout en rappelant que l’appréciation de l’indépendance d’une juridiction dans le contexte de l’article 267 TFUE appelle un examen différent de celui requis au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la Charte (voir points 19 à 23 des présentes conclusions).

( 88 ) Voir points 44 à 48des présentes conclusions.

( 89 ) Voir arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia (C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 58 et jurisprudence citée). D’ailleurs, la Cour a précisé qu’il appartient aux seuls États membres de décider s’ils autorisent ou non une prolongation de l’exercice des fonctions judiciaires au-delà de l’âge normal du départ à la retraite, bien qu’ils soient tenus de veiller à ce que les conditions et les modalités auxquelles se trouve soumise une telle prolongation ne soient pas de nature à porter atteinte au principe d’indépendance des juges (voir point 50 des présentes conclusions).

( 90 ) Voir point 15 de cet arrêt.

( 91 ) Voir point 9 de cet arrêt. Il convient de noter que la législation en vigueur à cette époque prévoyait que la déclaration de volonté du juge de continuer à exercer ses fonctions juridictionnelles devait être envoyée au plus tard six mois avant qu’il n’atteigne l’âge du départ à la retraite.

( 92 ) Ainsi que cela a été relevé au point 8 des présentes conclusions, le requérant fait valoir que le non-respect du délai de forclusion se justifiait, en substance, par l’importance de sa charge de travail.

( 93 ) Je rappelle, notamment, que la Cour a jugé, d’une part, qu’il ne peut être dérogé à l’application des réglementations de l’Union concernant les délais de procédure que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, étant donné que l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 1985, Cockerill-Sambre/Commission, 42/85, EU:C:1985:471, point 10), et, d’autre part, que les notions de force majeure ou de cas fortuit comportent un élément objectif, relatif aux circonstances anormales et étrangères à la partie requérante, et un élément subjectif tenant à l’obligation, pour celle-ci, de se prémunir contre les conséquences de l’événement anormal en prenant des mesures appropriées sans consentir à des sacrifices excessifs. En particulier, la partie requérante doit surveiller soigneusement le déroulement de la procédure entamée et, notamment, faire preuve de diligence afin de respecter les délais prévus (voir arrêt du 15 décembre 1994, Bayer/Commission, C‑195/91 P, EU:C:1994:412, point 32). Par exemple, il me semble évident que, à partir d’un certain moment, il ne sera plus possible pour les organismes en charge de la gestion du personnel des juridictions de droit commun de faire face efficacement soit à un maintien en fonction du juge, soit à son remplacement, et que, partant, même le principe de force majeure, dont il n’est par ailleurs pas question en l’espèce, ne saurait justifier l’extension du délai d’introduction de la demande de maintien en fonction jusqu’à une date trop proche du jour où l’intéressé atteint l’âge de la retraite.