CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 15 décembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑50/21

Prestige and Limousine, S.L.

contre

Área Metropolitana de Barcelona,

Asociación Nacional del Taxi (ANTAXI),

Asociación Profesional Elite Taxi,

Sindicat del Taxi de Catalunya (STAC),

TAPOCA VTC1 SL,

Agrupació Taxi Companys

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Articles 49 et 107 TFUE – Voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) – Limitation du nombre d’autorisations d’exploiter un VTC par rapport au nombre de licences de taxi – Régime d’autorisation impliquant d’obtenir une seconde autorisation d’exploitation »

I. Introduction

1.

Les marchés en transition sont une matière délicate pour les législateurs et quiconque est appelé à interpréter et à appliquer le droit. Les circonstances géopolitiques, la technologie et la société ainsi que, avec elles, les demandes des consommateurs sont en constante évolution. Concomitamment apparaissent de nouveaux acteurs, technologies et fournisseurs. Ils exercent un effet perturbateur sur les circonstances existantes. Ils modifient le statu quo, parfois provisoirement, souvent durablement. Si un marché est soumis à un certain niveau de réglementation, les perspectives pour les nouveaux arrivants, qui utilisent souvent de nouveaux modèles commerciaux, sont généralement difficiles.

2.

Le secteur européen des taxis pourrait alimenter une étude de cas sur un marché en transition. Dans de nombreux endroits de l’Union européenne, les prestataires de services de taxis ont traditionnellement été protégés de la concurrence grâce à la réglementation étatique ( 2 ), tandis que des plateformes en ligne ont commencé à proposer des services de transport local de passagers à la demande offrant un niveau élevé de diligence, de précision et d’efficacité. Cela a non seulement contribué à une plus grande transparence à tous les stades de la fourniture de services de transport local, où l’offre et la demande sont mises en correspondance avec un niveau de précision plus élevé qu’auparavant, mais a également augmenté aussi bien l’offre que la demande. En ce qui concerne les chauffeurs, il est aujourd’hui beaucoup plus facile d’accéder à cette activité et de proposer des services par l’intermédiaire d’une plateforme, tandis que les clients maîtrisent davantage les modalités, la destination et le coût du transport. En outre, le coût du transport privé local est devenu plus abordable et les obstacles économiques à l’accès des consommateurs ont été considérablement réduits. Les personnes qui n’avaient pas les moyens de s’offrir un transport privé auparavant sont désormais, dans de nombreux cas, en mesure de le faire. Tous ces éléments ont conduit à une situation où la distinction entre les services de taxis classiques et les nouveaux acteurs du marché s’est estompée et où leurs services convergent. En outre, il s’en est suivi un certain enrichissement mutuel en ce sens que les opérateurs de taxis classiques utilisent de plus en plus d’applications en ligne pour faire coïncider l’offre et la demande.

3.

Il est bien connu de la Cour que l’aire métropolitaine de Barcelone (ci‑après l’« AMB ») n’échappe pas à cette tendance, et ce n’est pas la première fois qu’elle est confrontée à la question des services de transport local de passagers à la demande à Barcelone. Notamment dans l’arrêt de principe Asociación Profesional Elite Taxi ( 3 ), la Cour a précisé que certaines plateformes en ligne fournissent un service dans le domaine des transports, de sorte que ni les dispositions de la directive 2006/123/CE ( 4 ), ni celles de la directive 2000/31/CE ( 5 ), ni la libre prestation de services prévue à l’article 56 TFUE ne s’appliquent, ce qui implique que les mesures adoptées par les États membres ne peuvent pas être contrôlées au regard de ces dispositions. En particulier, de telles entreprises ne sauraient se soustraire aux obligations qu’elles pourraient avoir en tant que fournisseurs de services de transport en « échappant » à la réglementation de l’État membre au moyen de la directive 2000/31 qui, par définition, implique peu d’obligations pour les fournisseurs d’accès à Internet.

4.

Dans le même temps, il est notoire que la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE s’applique aux services dans le domaine des transports. C’est là le point de départ de la présente affaire. La Cour est invitée à se prononcer sur la question de savoir si l’équilibre établi par l’autorité réglementaire espagnole entre les services de taxis classiques et les services de transport assurés avec des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) ( 6 ) satisfait aux exigences de l’article 49 TFUE.

5.

À Barcelone aussi, le modèle classique des taxis a été contesté. Un système de services de transport local de passagers à la demande s’est développé parallèlement au marché des taxis classiques et les VTC sont entrés en scène. En Espagne, les VTC avaient traditionnellement vocation à couvrir le marché des transports interurbains. Ils se sont toutefois fait une place dans le transport intra‑urbain. S’agissant du transport intra-urbain, il y a lieu de relever que, notamment du point de vue du client, à l’exception du nom, les VTC ont presque tout d’un taxi en ce qu’ils proposent aux clients des services de transport en contrepartie d’un prix. Dans le même temps, dans l’AMB, ils disposent de moins de droits (il leur est, par exemple, interdit d’utiliser des couloirs de bus et de taxis) et ont moins d’obligations (il n’existe pas de tarifs fixes et ils ne sont pas obligés d’accepter un client).

6.

Le modèle VTC étant devenu victime de son succès et de plus en plus de fournisseurs étant apparus, l’autorité réglementaire espagnole est intervenue aux niveaux national et local. Des autorisations spécifiques ont été imposées pour l’AMB, limitées à une autorisation pour trente licences de taxi. En pratique, dès lors que le nombre de licences de taxi est resté inchangé au cours des 35 dernières années, les opérateurs souhaitant accéder au marché des VTC ont été privés d’accès à ces autorisations.

7.

Dans les présentes conclusions, je proposerai que la Cour juge que le système tel qu’il existe actuellement dans l’AMB est, en ce qui concerne le ratio d’une autorisation de VTC pour trente licences de taxi, contraire à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE. Il constitue une restriction disproportionnée à cette liberté fondamentale.

II. Le cadre juridique

8.

En vertu de l’article 43 de la Ley 16/1987 de Ordenación de los Transportes Terrestres (loi 16/1987 relative à la réglementation des transports terrestres), du 30 juillet 1987 (BOE no 182, du 31 juillet 1987), telle que modifiée par le décret-loi royal 3/2018, du 20 avril 2018 (BOE no 97, du 21 avril 2018) (ci‑après la « LOTT »), la délivrance de l’autorisation d’exercer une activité de transport public est subordonnée au fait que l’entreprise demanderesse apporte la preuve que, notamment, elle remplit, le cas échéant, les autres conditions spécifiques réglementairement prévues nécessaires pour fournir de manière appropriée les services, eu égard aux principes de proportionnalité et de non‑discrimination.

9.

L’article 48 de la LOTT énonce :

« 1.   La délivrance des autorisations d’exercer une activité de transport public est réglementée de sorte qu’elle ne peut être refusée que si les conditions requises à cet effet ne sont pas remplies.

2.   Toutefois, et conformément aux règles [de l’Union] et aux autres dispositions éventuellement applicables, lorsque l’offre de transport public de voyageurs au moyen de véhicules de tourisme est soumise à des limitations quantitatives sur le territoire relevant d’une communauté autonome ou d’une localité, des limitations réglementaires peuvent être apportées à la délivrance tant de nouvelles autorisations d’opérer un service de transport interurbain dans cette classe de véhicules que d’autorisations d’exercer l’activité de location des véhicules avec chauffeur.

3.   Sans préjudice du paragraphe précédent, afin de maintenir un juste équilibre entre l’offre des deux modes de transport, il convient de refuser de délivrer de nouvelles autorisations d’exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur lorsque le nombre de celles existant sur le territoire de la communauté autonome dans lequel la domiciliation est envisagée et celui des autorisations d’exercer l’activité de transport de personnes au moyen de voitures de tourisme domiciliées sur ce même territoire dépassent un rapport d’une autorisation de location pour trente autorisations de transport.

Toutefois, les communautés autonomes qui, sur délégation de l’État, ont assumé des compétences en matière d’autorisations concernant la location de véhicules avec chauffeur peuvent modifier la règle de proportionnalité visée à l’alinéa précédent, sous réserve qu’elles appliquent une règle moins contraignante. »

10.

L’article 91 de la LOTT prévoit que les autorisations d’exercer une activité de transport public permettent la prestation des services sur l’ensemble du territoire national, sans restriction tenant à l’origine ou la destination du service, à l’exception, notamment, des autorisations de location de véhicules avec chauffeur, lesquelles doivent respecter les éventuelles conditions réglementairement prévues concernant l’origine, la destination ou l’itinéraire des services.

11.

La LOTT est mise en œuvre par le Reglamento de la Ley de Ordenación de los Transportes Terrestres (règlement de mise en œuvre de la loi relative à la réglementation des transports terrestres, ci-après le « ROTT »), qui a été modifié à plusieurs reprises.

12.

Une partie du ROTT est à son tour mise en œuvre par l’Orden FOM/36/2008 por la que se desarrolla la sección segunda del capítulo IV del título V, en materia de arrendamiento de vehículos con conductor, del Reglamento de la Ley de Ordenación de los Transportes Terrestres (décret FOM/36/2008 portant exécution du titre V, chapitre IV, deuxième section, concernant la location de véhicules avec chauffeur, du [ROTT]), du 9 janvier 2008, lui-même modifié par le décret FOM/2799/2015, du 18 décembre 2015 (ci-après le « décret VTC »). L’article 1er du décret VTC, intitulé « Caractère obligatoire de l’autorisation », précise que, « [p]our exercer l’activité de location de véhicules avec chauffeur, il est nécessaire d’obtenir, pour chaque véhicule affecté à cette activité, une autorisation ».

13.

Le litige au principal porte sur une contestation du Reglamento de ordenación de la actividad de transporte urbano discrecional de viajeros con conductor en vehículos de hasta nueve plazas que circula íntegramente en el ámbito del Área Metropolitana de Barcelona (règlement d’aménagement de l’activité de transport urbain occasionnel de voyageurs avec chauffeur au moyen de véhicules de neuf places au maximum circulant exclusivement sur le territoire de l’[AMB]), approuvé le 26 juin 2018 par le Consejo Metropolitano del Área Metropolitana de Barcelona (conseil métropolitain de l’[AMB]) (BOPB du 9 juillet 2018 et DOGC no 7897, du 14 juin 2019) et entré en vigueur le 25 juillet 2018 (ci-après le « RVTC »).

14.

Après avoir cité les bases juridiques du RVTC en droit national et le droit de la Communauté autonome de Catalogne, le préambule de ce règlement indique que le modèle de transport de passagers en cause fait l’objet d’une réglementation gouvernementale au moyen de différentes techniques, d’une manière tout à fait différente des modèles adoptés dans d’autres lieux où le transport de passagers sous ses différentes formes est « libéralisé » d’une manière qui favorise le transport privé. Le modèle de transport de passagers en cause est justifié au regard de la poursuite de la durabilité environnementale et financière ainsi que de la mise à disposition de nouveaux espaces pour des usages publics autres que la circulation routière. Ce préambule indique que ces objectifs sont incompatibles avec la promotion de l’augmentation des VTC urbains loués pour un usage individuel ou pour la capacité totale du véhicule.

15.

L’article 1er du RVTC dispose que ce règlement a pour objet de réglementer l’activité de transport occasionnel de passagers par véhicules de neuf places au maximum, en tant que transport urbain réalisé exclusivement dans l’AMB. L’article 2 dudit règlement dispose que le champ d’application géographique de ce même règlement est limité à l’AMB. L’article 3 du RVTC définit les services de transport de voyageurs par véhicule avec chauffeur de neuf places au maximum, y compris celle du conducteur, comme le service fourni moyennant paiement d’un prix et qui n’est pas offert sur la base d’itinéraires linéaires ou de réseaux locaux ni d’une périodicité prédéterminée, et pour lequel le paiement est effectué moyennant un contrat avec un seul utilisateur et pour la capacité totale du véhicule. En vertu de l’article 5 de ce règlement, l’exercice des pouvoirs d’intervention administrative en matière de tels services relève des compétences de l’AMB (l’autorité locale), agissant par l’intermédiaire de l’Instituto Metropolitano del Taxi (Institut métropolitain des taxis).

16.

En vertu de l’article 6 du RVTC, il appartient à l’AMB de délivrer, de réviser les conditions de délivrance et, le cas échéant, de déclarer la déchéance des autorisations de fournir de tels services. La supervision de l’activité comprend notamment sa réglementation, la réglementation du régime d’autorisation et celle du régime de sanctions.

17.

L’article 7 du RVTC dispose que la fourniture du service susmentionné à l’intérieur de la zone de gestion unitaire du transport urbain constituée du territoire de l’AMB est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation permettant d’exercer cette activité pour chaque véhicule utilisé à cet effet par son titulaire. En vertu de l’article 7, paragraphes 4 et 5, de ce règlement, seule l’autorisation accordée par l’AMB permet de fournir les services dont l’origine et la destination se situent dans cette zone géographique et cette autorisation s’ajoute aux autres autorisations délivrées par d’autres autorités au titre de leurs compétences.

18.

L’article 10 du RVTC, intitulé « Détermination du nombre d’autorisations », dispose que l’AMB est chargée de fixer, à tout moment, le nombre maximum d’autorisations dans le but de garantir une disponibilité suffisante du service dans des conditions optimales pour les citoyens sans préjudice de la garantie de rentabilité économique pour les opérateurs.

19.

La disposition transitoire du RVTC reconnaît la validité des autorisations précédemment délivrées encore actives lors de l’entrée en vigueur de ce règlement et dispose que ces autorisations sont régies par et soumises à la nouvelle réglementation. En vertu de la première disposition supplémentaire, le nombre total d’autorisations se limite à celles octroyées conformément à la disposition transitoire du RVTC. Cette disposition prévoit également qu’il appartient à l’Institut métropolitain des taxis de proposer l’adoption d’une décision déterminant le nombre maximal d’autorisations, outre celles prévues par la disposition transitoire du RVTC, et que le nombre d’autorisations en vigueur à un moment donné ne peut pas dépasser le ratio d’une licence de VTC pour trente licences de taxi.

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

20.

La société Prestige and Limousine, S.L. (ci-après « P&L ») est titulaire d’autorisations d’exploiter un service de VTC dans l’AMB. Elle conteste et demande l’annulation, devant le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne), du RVTC, qui vise à réglementer les services de VTC dans l’ensemble de l’AMB et qui fait usage de la possibilité offerte par l’article 48, paragraphe 3, de la LOTT de limiter le nombre d’autorisations à une autorisation de VTC pour trente licences de taxi.

21.

Plusieurs litiges de ce type sont pendants devant la juridiction de renvoi. Quatorze sociétés qui fournissaient déjà des services de VTC dans l’AMB, dont P&L et des sociétés liées à des plateformes internationales, estiment que, compte tenu des limitations et des restrictions que leur impose le RVTC, ce règlement a pour seul objet d’entraver leur activité et de protéger les intérêts du secteur des taxis. P&L et ces autres sociétés ont donc demandé à la juridiction de renvoi de prononcer la nullité du RVTC.

22.

Le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) relève que les taxis et les VTC se trouvent en concurrence s’agissant du service de transport urbain de voyageurs. Le service de taxis est soumis à une réglementation et à la limitation du nombre de licences et ses tarifs sont soumis à autorisation administrative préalable. Les taxis peuvent emprunter les couloirs de bus, disposent d’arrêts sur la voie publique et peuvent prendre en charge des clients dans la rue. Bien que leur champ d’action le plus caractéristique soit la zone urbaine, les taxis peuvent néanmoins fournir des services de transport interurbain, dans le respect des exigences de rigueur.

23.

Selon la juridiction de renvoi, les services de VTC sont, en outre, limités par le nombre d’autorisations. À l’époque des faits, les VTC pouvaient fournir des services de transport interurbain et urbain sur l’ensemble du territoire national, à des tarifs soumis non pas à une autorisation préalable, mais à un système de prix conventionné permettant à l’utilisateur de connaître d’avance – et normalement de payer par Internet – le prix total du service. Contrairement aux taxis, les VTC ne pouvaient pas emprunter les couloirs de bus, ne disposaient pas d’arrêts sur la voie publique et ne pouvaient pas prendre en charge des clients dans la rue si la prestation de service n’avait pas été convenue au préalable par l’intermédiaire de l’application informatique y afférente.

24.

La juridiction de renvoi explique que, à la suite de la suppression de la limitation légale du nombre d’autorisations de VTC à 1 pour 30 licences de taxi en 2009, une augmentation significative du nombre de prestataires de ces services dans l’AMB jusqu’en 2015 a pu être observée. C’est ce phénomène que le conseil métropolitain de l’AMB a entendu endiguer en adoptant le RVTC et en limitant le nombre d’autorisations de VTC.

25.

La juridiction de renvoi relève que, en 2018, le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) a jugé que le ratio choisi (1 pour 30) n’avait jamais été justifié par une quelconque considération objective. Elle en conclut que l’article 48, paragraphe 3, de la LOTT, qui a permis au RVTC de limiter les licences de services de VTC, peut être qualifié d’« arbitraire » et, donc, de « contraire à l’article 49 TFUE », en ce qu’il empêcherait en pratique les entreprises offrant des services de VTC dans l’Union européenne de s’établir dans l’AMB, ainsi qu’à l’interdiction prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE d’entraver le commerce au sein de l’Union européenne.

26.

Le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) nourrit les mêmes doutes quant à la compatibilité avec ces dispositions du droit de l’Union du régime de « double autorisation » auquel les VTC ont été soumis dans l’AMB. Dès lors que l’article 91 de la LOTT et l’article 182, paragraphe 2, du ROTT disposaient, à l’époque des faits, que les autorisations d’exercer l’activité de VTC permettaient de fournir des « services urbains et interurbains sur l’ensemble du territoire national », l’ajout par le conseil métropolitain de l’AMB d’une exigence de licence, soumise à des conditions supplémentaires, pour pouvoir fournir des services de VTC urbains dans l’AMB, pourrait être considéré comme une stratégie visant à minimiser la concurrence des services de VTC à l’égard des taxis. Ce soupçon serait corroboré par le fait qu’ultérieurement, sur la base du décret-loi royal 13/2018 du 20 avril 2018 (BOE 97 du 21 avril 2018), modifiant la LOTT, un nouveau règlement de l’AMB aurait limité les services de VTC au transport « interurbain » et aurait prévu la disparition des services urbains ou métropolitains de VTC dans les quatre ans.

27.

Les justifications invoquées par l’AMB en ce qui concerne le RVTC étaient, tout d’abord, que les VTC menaceraient la viabilité économique des taxis, leur feraient une « concurrence déloyale » et entraîneraient un usage intensif des voies de communication. Ensuite, les 10523 licences métropolitaines de taxi accordées seraient suffisantes pour répondre aux besoins de la population tout en assurant la rentabilité de l’activité des taxis. Enfin, l’AMB invoquait la protection de l’environnement.

28.

Cependant, selon la juridiction de renvoi, des considérations économiques relatives à la situation des taxis ne sauraient justifier les mesures établies par le RVTC. En ce qui concerne les considérations relatives à l’utilisation des voies de communication, l’AMB ne les a pas mises en balance avec l’effet que les services de VTC peuvent avoir sur la diminution de l’utilisation des voitures privées. En outre, les VTC seraient tenus de disposer d’un emplacement de stationnement et ne pourraient pas stationner sur la voie publique dans l’attente de clients. De même, les considérations environnementales feraient abstraction des techniques existantes susceptibles de garantir la prestation du service par des véhicules peu ou non polluants. De plus, il serait curieux que, dans ce contexte, la flotte de taxis soit qualifiée de « propre » sans aucune indication des raisons pour lesquelles ce qualificatif ne s’étend pas à la flotte des VTC.

29.

Le RVTC semblerait ainsi chercher à dissimuler le but essentiel de la mesure, à savoir, vraisemblablement, préserver ou protéger les intérêts du secteur des taxis, qui aurait été mobilisé au point d’amener le législateur à se faire l’écho du climat de tension existant lié à une situation de conflit entre les deux secteurs professionnels concernés que sont les taxis et les VTC. En outre, l’appréciation provisoire de la juridiction de première instance a été largement influencée par les rapports critiques sur le RVTC établis par les autorités de concurrence indépendantes, tant espagnoles que catalanes.

30.

C’est dans ce contexte que, par décision du 19 janvier 2021, parvenue à la Cour le 29 janvier 2021, le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 49 et 107, paragraphe 1, TFUE s’opposent-ils à des dispositions nationales – législatives et réglementaires – qui, sans motif valable, prévoient une limitation à raison d’une autorisation d’exercer l’activité de location de [VTC] pour trente licences de taxi, voire moins ?

2)

Les articles 49 et 107, paragraphe 1, TFUE s’opposent-ils à une réglementation nationale qui, sans motif valable, prévoit une deuxième autorisation et des conditions supplémentaires pour les prestataires de services de location de véhicules avec chauffeur qui souhaitent fournir des services urbains ? »

31.

Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, à l’exception du Sindicat del Taxi de Catalunya, par les gouvernements espagnol et tchèque ainsi que par la Commission européenne. Toutes les parties, à l’exception de l’AMB et du gouvernement tchèque, ont participé à l’audience qui s’est tenue le 5 octobre 2022.

IV. Appréciation

32.

Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur l’analyse de la liberté d’établissement au titre de l’article 49 TFUE.

A. Recevabilité

33.

Certaines parties soutiennent que les questions posées ne sont pas recevables. Je vais donc examiner leurs arguments respectifs.

1.   Sur les exigences de forme énoncées à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour

34.

Premièrement, l’AMB affirme que la juridiction de renvoi ne mentionne pas l’ensemble des législations nationale, régionale et locale applicables. Elle soutient que la réglementation servant de fondement à l’adoption du RVTC n’est pas exposée de manière correcte.

35.

Je ne partage pas cette préoccupation, dès lors que les points sur lesquels la juridiction de renvoi demande des éclaircissements me semblent très clairs : le ratio d’une autorisation de VTC pour trente licences de taxi et l’exigence d’une seconde autorisation pour l’exploitation d’un VTC dans l’AMB. À cet égard, la question de savoir quelles dispositions précises du droit national, régional ou local trouvent à s’appliquer est dénuée de pertinence pour la Cour. Ce qui importe est que la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier la nécessité d’une décision préjudicielle ( 7 ), décrive clairement le cadre juridique qu’elle applique, ce qui a été fait.

36.

Deuxièmement, P&L émet des réserves allant dans le même sens : elle fait valoir que, dans la mesure où les questions se réfèrent à la législation nationale au sens de dispositions législatives et réglementaires, ces questions sont dénuées de pertinence dès lors que la présente affaire porte (uniquement) sur la légalité du RVTC.

37.

De nouveau, je ne vois pas d’obstacle à ce que la Cour réponde aux questions dans la présente affaire. Contrairement à ce que soutient P&L, il n’appartient pas à la Cour de déterminer précisément les dispositions de droit national applicables au cas d’espèce. Il s’agit plutôt d’une question de fait qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher.

2.   Sur le champ d’application du droit de l’Union

38.

Troisièmement, l’AMB souligne que, dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, tous les éléments du litige se cantonnent en Espagne et, partant, constituent une situation purement interne, de sorte que la présente affaire serait irrecevable au motif que l’article 49 TFUE ne s’applique pas. S’agissant de cette objection, je crois qu’il est possible de se référer sans réserve à l’arrêt Ullens de Schooten ( 8 ), où la Cour a clairement résumé et systématisé les quatre situations dans lesquelles des affaires découlant de situations purement internes sont néanmoins recevables ( 9 ) pour statuer à titre préjudiciel. Deux de ces situations peuvent trouver à s’appliquer dans la présente affaire : la première est celle où il ne peut pas être exclu que des ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire usage de ces libertés pour exercer des activités sur le territoire de l’État membre ayant édicté la réglementation nationale en cause et, partant, que cette réglementation, indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres États membres, soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet État membre ( 10 ) ; la seconde est celle où, lorsque la juridiction de renvoi saisit la Cour d’une demande de décision préjudicielle dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux, mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que la juridiction nationale adoptera à la suite de l’arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants ( 11 ).

39.

À cet égard, il convient de rappeler que le litige dont est saisie la juridiction de renvoi n’est que l’une des quatorze affaires pendantes devant cette juridiction portant sur la validité du RVTC et que certaines d’entre elles ont été introduites par des sociétés étrangères. C’est la démonstration évidente que, même si les faits de l’espèce peuvent être cantonnés à l’Espagne, l’objet du litige ne l’est certainement pas et que l’arrêt de la Cour aura des répercussions directes sur les opérateurs économiques au sein de l’Union, mais en dehors de l’Espagne. Le cas d’espèce n’a donc rien d’hypothétique en ce qui concerne les opérateurs étrangers et les critères susmentionnés de l’arrêt Ullens de Schooten ( 12 ) sont remplis.

40.

En outre, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, les critères de l’arrêt Fremoluc, selon lesquels la demande de décision préjudicielle doit faire ressortir les éléments concrets, à savoir des indices non pas hypothétiques, mais certains, tels que des plaintes ou des requêtes introduites par des opérateurs situés dans d’autres États membres ou impliquant des ressortissants de ces États, permettant d’établir, de manière positive, l’existence du lien de rattachement exigé ( 13 ), sont également remplis.

41.

C’est ce qu’a fait la juridiction de renvoi.

42.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de considérer les questions posées par la juridiction de renvoi comme étant recevables. Je passe donc, à présent, à ma proposition de réponses aux questions.

B. Sur le fond

1.   Observations liminaires sur le transport local privé de passagers

43.

Le transport local de passagers est une question fondamentale à laquelle sont actuellement confrontés les municipalités, les régions, les États membres et l’Union. Cette question joue un rôle crucial dans la vie quotidienne des citoyens et des résidents. Elle est étroitement liée à des questions – qu’elle influence et définit – de politique économique, environnementale et sociale et joue un rôle dans la manière dont sont réglés des aspects du mode de vie des personnes. Elle a des ramifications en matière d’aménagement du territoire urbain et rural, de logement (ou d’accès à celui-ci) et de pollution de l’air. Dès lors, il est naturel que l’Union, les États membres et d’autres entités au niveau national, y compris les municipalités, s’emparent de ladite question et recherchent des solutions. Plusieurs questions habituelles se posent à cet égard : quel niveau de transport public est assuré ? Comment est-il financé ? Quel est le degré d’intervention de l’État dans le domaine des transports privés ? Quelle est l’intensité de la réglementation ?

44.

Par « services de transport local de passagers à la demande », il y a lieu d’entendre les services de transport au moyen d’une voiture conduite par un chauffeur, fournis à la demande du passager ( 14 ). Ils se présentent en général sous la forme de taxis et de ce qui est connu sous le nom de « VTC ». Alors que la fourniture de services de taxis est, dans l’ensemble, demeurée stable partout dans l’Union, en ce sens que de nouvelles licences sont rarement délivrées sur ce marché fortement réglementé (et souvent protégé), les services de VTC constituent un phénomène plus récent.

45.

Plus précisément, les services de transport local de passagers à la demande, qui sont, par nature, une forme privée de transport, en ce sens que leurs prestataires ne sont pas des entités publiques, ne font actuellement pas l’objet d’une harmonisation au niveau de l’Union. Par conséquent, les États membres sont libres d’intervenir et de réglementer pour autant qu’ils respectent le droit primaire, ce qui implique avant tout le respect de la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE ( 15 ).

46.

La seconde question de la juridiction de renvoi porte sur l’existence d’une autorisation, tandis que la première porte sur le nombre d’autorisations pouvant être accordées. Les deux questions portent sur la compatibilité avec l’article 49 TFUE. Dans ces conditions, je les traiterai de la manière suivante : je les examinerai conjointement en ce que, selon l’examen classique au titre de l’article 49 TFUE, j’aborderai d’abord la question de la restriction, puis sa justification éventuelle. Dans le cadre de l’examen de la restriction et de sa justification, j’aborderai d’abord la question de l’existence, puis celle du nombre d’autorisations, en inversant quelque peu l’ordre des questions préjudicielles. En outre, il convient de légèrement les reformuler et de les comprendre comme suit ( 16 ) : « 1) L’article 49 TFUE s’oppose-t-il à des mesures nationales exigeant des opérateurs économiques qui souhaitent fournir des services de VTC dans les limites d’une zone métropolitaine qu’ils obtiennent une autorisation y afférente si ces opérateurs sont déjà titulaires d’une autorisation nationale leur permettant de fournir des services de VTC “interurbains” et “urbains” sur l’ensemble du territoire national ? » et « 2) L’article 49 TFUE s’oppose-t-il à une limitation du nombre de telles autorisations de VTC à 1 pour 30 licences de taxi, voire moins, dans la même zone métropolitaine ? ».

47.

Bien que ces questions, telles que reformulées, se posent dans le cadre d’un litige mettant en cause le RVTC, à savoir un règlement adopté par l’AMB, certaines parties à la procédure font valoir que la juridiction de renvoi s’interroge également de manière incidente sur la compatibilité avec l’article 49 TFUE de normes de droit national qui, sur le plan interne, c’est-à-dire dans l’ordre juridique espagnol, sont supérieures au RVTC.

48.

Comme je l’ai exposé dans le cadre de l’examen de la recevabilité de la présente affaire, même si c’est sans doute le cas ( 17 ), l’articulation du droit interne espagnol relève non pas de la Cour, mais de la juridiction de renvoi. Par conséquent, je me référerai, dans les présentes conclusions, aux « mesures en cause » pour décrire : a) l’exigence d’autorisation, et b) le ratio d’une autorisation de VTC pour trente licences de taxi dans l’AMB.

2.   Sur la restriction

49.

L’article 49, paragraphe 1, TFUE interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.

50.

Il est de jurisprudence constante que doivent être considérées comme des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement ( 18 ). En particulier, la notion de « restriction » (ou d’« entrave ») va au-delà de la discrimination fondée sur la nationalité et couvre les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les opérateurs économiques d’autres États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire ( 19 ). En outre, conformément à la jurisprudence de la Cour, la liberté d’établissement se distingue de la libre prestation de services d’abord et avant tout par la stabilité et la continuité de l’activité en cause, par opposition à une activité de nature temporaire ( 20 ).

51.

Au regard de ces critères, les mesures en cause restreignent la liberté d’établissement des opérateurs économiques étrangers proposant des services de VTC, dès lors que ces opérateurs sont empêchés d’entrer sur le marché des services de VTC dans l’AMB. Le caractère restrictif de ces mesures ne fait aucun doute et ni la juridiction de renvoi ni les parties intervenantes ne semblent le contester, comme l’atteste le fait que les arguments se concentrent sur l’étape suivante consistant en une éventuelle justification de la restriction en cause en tant que telle.

52.

En effet, lesdites mesures restreignent effectivement l’accès au marché pour tout nouvel arrivant, y compris un opérateur étranger, qui souhaite s’établir dans ou autour de l’AMB et proposer des services de transport local de passagers à des clients potentiels.

53.

Une exigence d’autorisation en tant que telle constitue déjà un cas d’école de restriction ( 21 ). En effet, dans la jurisprudence de la Cour, des exigences en matière de licence et d’autorisation constituent, ipso facto, des restrictions à la liberté d’établissement (ou, à l’inverse, à la libre prestation de services) ( 22 ).

54.

En outre, en gelant l’accès au marché, du fait de la limitation à une autorisation de VTC pour trente licences de taxi, les mesures en cause ont pour effet d’entraver les opérateurs qui souhaitent établir une activité de VTC sur le territoire de l’AMB et, partant, entraveront l’établissement d’opérateurs économiques en provenance d’un autre État membre ( 23 ).

55.

En conclusion, tant l’exigence d’autorisation en tant que telle que le ratio de 1 pour 30 constituent une restriction à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE.

3.   Sur la justification

56.

Une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être justifiée qu’à la condition, en premier lieu, d’être dictée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ( 24 ).

57.

Les raisons impérieuses d’intérêt général suivantes sont invoquées à titre de justification par l’AMB (et le gouvernement espagnol) : la garantie de la qualité, de la sécurité et de l’accessibilité des services de taxis, de tels services étant censés constituer des « services d’intérêt général » ; le maintien d’un juste équilibre entre les prestataires de services de taxis et de VTC ; la gestion du transport et du trafic locaux ainsi que de l’utilisation de l’espace public, et la protection de l’environnement.

a)   Sur l’identification d’une raison impérieuse d’intérêt général

1) La garantie de la qualité, de la sécurité et de l’accessibilité des services de taxis

58.

Toutes les parties à la procédure, originaires d’Espagne, et notamment l’AMB et le gouvernement espagnol, font référence au secteur des taxis comme étant essentiel à la fourniture d’un « service d’intérêt général ». Il n’apparaît pas clairement si cet élément est invoqué en tant que raison impérieuse d’intérêt général. En tout état de cause, les taxis seraient ipso facto dignes de protection dès lors qu’ils fournissent un service d’intérêt général.

59.

Dans la mesure où l’AMB soutient que l’existence d’un système de taxis opérationnel est d’intérêt général, les remarques suivantes s’imposent.

i) L’absence de motifs purement économiques de justification

60.

Un objectif de nature purement économique ne saurait en aucun cas constituer une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE ( 25 ). Ainsi, par exemple, l’objectif de garantir la rentabilité d’une ligne d’autobus concurrente, en tant que motif de nature purement économique, ne peut, conformément à la jurisprudence constante, constituer une telle raison impérieuse d’intérêt général ( 26 ).

61.

Pour l’affaire en cause, cela implique que la viabilité économique des services de taxis ne saurait constituer en soi une raison impérieuse d’intérêt général.

ii) Les services de taxis en tant que « services d’intérêt général »

62.

Par ailleurs, plus généralement, la Cour n’a pas reconnu l’existence d’un « service d’intérêt général » ( 27 ) comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général. En effet, l’expression « service d’intérêt général » n’est pas une expression employée en droit de l’Union. Le recours à une telle expression, sous l’angle du droit de l’Union, pourrait prêter à confusion. Pour autant que les parties se réfèrent à un « service d’intérêt économique général », expression très connue en droit de l’Union, cela ne dispense toujours pas l’AMB de prouver que les mesures en cause sont appropriées. Je reviendrai sur ce point dans le cadre de l’examen de la proportionnalité aux points suivants des présentes conclusions.

iii) Les « services d’intérêt économique général »

63.

La notion de « services d’intérêt économique général », qui découle initialement de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et figure également (en droit primaire) ( 28 ) à l’article 14 TFUE ( 29 ), à l’article 1er du protocole (no 26) sur les services d’intérêt général ( 30 ), ainsi qu’à l’article 36 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a déjà été interprétée par la Cour à plusieurs reprises. Toutefois, l’expression en tant que telle, à savoir ce qui constitue exactement un « service d’intérêt économique général », n’a pas été définie par la Cour de manière abstraite, ce qui s’explique par le fait qu’il appartient essentiellement aux États membres de définir ce qu’ils considèrent comme un service d’intérêt économique général ( 31 ). Néanmoins, même si un État membre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant à cette définition, il doit veiller à ce que chaque service d’intérêt économique général satisfasse certains critères minimaux communs à toutes les missions d’un tel service. Il doit démontrer que ces critères sont satisfaits dans le cas d’espèce ( 32 ). Il s’agit, notamment, de la présence d’un acte de puissance publique investissant les opérateurs en cause d’une mission de service d’intérêt économique général ainsi que du caractère universel et obligatoire de cette mission ( 33 ). De plus, l’État membre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que le service en cause mérite, de par son caractère spécifique, d’être qualifié de « service d’intérêt économique général » et distingué d’autres activités économiques ( 34 ).

64.

S’agissant de la définition d’un « service d’intérêt économique général », nous pouvons nous inspirer de celle proposée par M. l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer : « [le service doit être fourni] de façon ininterrompue (continuité) ; au bénéfice de tous les utilisateurs et sur tout le territoire pertinent (universalité) ; à des tarifs uniformes pour une qualité similaire, sans tenir compte des situations particulières ni du degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle (égalité) » ( 35 ). Et M. l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer d’ajouter la transparence et le caractère économiquement accessible de ce service ( 36 ). La définition de la Commission, à laquelle je peux également souscrire, va dans le même sens : « Les [services d’intérêt économique général] sont des activités économiques remplissant des missions d’intérêt général qui ne seraient pas exécutées (ou qui seraient exécutées à des conditions différentes en [matière] de qualité, de sécurité, d’accessibilité, d’égalité de traitement ou d’accès universel) par le marché en l’absence d’une intervention de l’État. L’obligation de service public est imposée au prestataire par mandat, sur la base d’un critère d’intérêt général garantissant la fourniture du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission » ( 37 ).

65.

En outre, l’article 106, paragraphe 2, TFUE est essentiellement invoqué pour déroger aux règles de concurrence, bien qu’il ait pu arriver que cette disposition joue un rôle pour déroger aux règles relatives à la libre circulation ( 38 ). Cela découle à la fois du fait que ladite disposition figure parmi les règles de concurrence ( 39 ) et qu’elle se réfère « notamment aux règles de concurrence » ( 40 ).

66.

Sur la base de la jurisprudence rappelée aux points précédents des présentes conclusions, il est douteux que les services de taxis puissent être considérés comme un service d’intérêt économique général. En effet, la « définition du marché » appliquée par l’AMB me paraît trop étroite. S’il est possible que le transport local dans son ensemble puisse constituer un service d’intérêt économique général, tel n’est toutefois pas le cas du sous-segment du transport local (traditionnellement) privé sous la forme de services de taxis. S’il existe indéniablement une nécessité pour les particuliers de pouvoir voyager localement avec un moyen de transport, il n’en va pas nécessairement de même s’agissant des déplacements en taxi. Pour illustrer mon propos, prenons l’exemple de la garde d’enfants : à supposer qu’elle puisse être qualifiée par un État membre de « service d’intérêt économique général », assurément une telle activité n’impliquerait pas de pouvoir prétendre à une garde d’enfants particulière sous la forme d’un(e) garde d’enfants personnel(le), mais à une garde collective d’enfants sous la forme d’une crèche (collective). Il en va de même pour le transport local : dans la mesure où il peut être considéré comme un service d’intérêt économique général, il ne s’ensuit pas que les particuliers puissent attendre d’une ville ou d’une région qu’elles mettent en place, pour eux, un réseau de taxis opérationnel. D’autres formes de transport, à caractère collectif, doivent y pourvoir.

67.

En outre, dans les grandes agglomérations telles que Barcelone, il devrait exister différents autres modes de transport à la disposition des citoyens. On pourrait également se demander si l’existence d’un système de taxis opérationnel peut vraiment être comparée à celle d’autres services, plus classiques, d’intérêt économique général, qui soit nécessitent des investissements importants ou une expérience dans le domaine de l’approvisionnement (tels que la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité, de télécommunications et de services postaux), soit constituent des compétences spéciales (comme les soins), soit comportent un élément collectif intrinsèque (tel que la garde d’enfants).

68.

Cela étant dit, le transport local privé peut assurément combler une lacune dans les situations d’urgence, par exemple pour assurer le transport rapide d’une personne vers un hôpital (même si, dans une telle situation, l’ambulance d’un hôpital peut être le moyen de transport le plus approprié). Cependant, dans une telle situation, élargir l’offre de services de transport local contribuerait certainement à mettre en place un système opérationnel. Je ne vois pas pourquoi une telle offre ne devrait pas, par exemple, inclure les VTC.

69.

Pour résumer, je ne remettrai pas pour autant en cause le souhait de l’AMB de mettre en place un système opérationnel de transport local privé destiné à acheminer les clients à tout moment et partout.

70.

En tout état de cause, il serait douteux que les opérateurs de services de taxis exécutent une obligation de service public. On peut s’inspirer à cet égard de la définition figurant par ailleurs dans le droit dérivé, selon laquelle « on entend par [...] “obligation de service public”, l’exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie » ( 41 ). En revanche, une simple exigence d’autorisation en vertu de laquelle les services de taxis sont universels ne constitue pas un acte de mandatement d’une obligation de service public ( 42 ).

71.

En conclusion, l’AMB ne peut entendre garantir la qualité, la sécurité et l’accessibilité des services de taxis que dans la mesure où elle ne poursuit pas, ce faisant, des objectifs économiques. Elle ne saurait soustraire les services de taxis à tout examen plus approfondi au seul motif que ceux-ci pourraient constituer un service d’intérêt économique général.

2) Le maintien d’un juste équilibre entre les prestataires de services de taxis et de VTC

72.

Dans la mesure où les mesures en cause ont vocation à « maintenir un équilibre » entre les deux modes de transport que sont les taxis et les VTC, il suffit de constater qu’il est douteux qu’un tel équilibre doive être maintenu entre deux services qui, ainsi qu’il a été établi aux points précédents des présentes conclusions, convergent au point d’être pour ainsi dire similaires. En outre, on peut se demander si la meilleure manière de maintenir l’équilibre ne serait pas de recourir à un système autre que l’intervention de l’État ( 43 ). Dans la logique du marché intérieur établi par le traité FUE, un équilibre est normalement maintenu par des notions qui ont tendance à être oubliées dans le cadre des discussions relatives aux affaires telles que celle en cause : l’offre et la demande.

73.

Dès lors, le maintien d’un équilibre entre les services de VTC et les services de taxis ne saurait être considéré comme une raison impérieuse d’intérêt général valable. Au contraire, si l’intention réelle est de prévoir un système adéquat de transport privé local, ainsi qu’il a été dit aux points précédents des présentes conclusions, une augmentation de l’offre en admettant davantage de VTC serait assurément plus favorable à la solution du problème.

3) La gestion du transport et du trafic locaux ainsi que de l’utilisation de l’espace public et la protection de l’environnement

74.

Dans la mesure où les motifs invoqués ne consistent pas à soustraire le marché des taxis aux réalités de la vie économique, ils peuvent, en principe, être considérés comme des raisons impérieuses d’intérêt général.

75.

Il convient de souligner que la Cour a déjà admis des raisons impérieuses tenant à la protection de l’environnement urbain ( 44 ) et à la nécessité d’assurer la sécurité routière ( 45 ). Ces raisons ne correspondent pas parfaitement à celles invoquées dans la présente affaire. Je pense néanmoins que les objectifs de gestion du transport et du trafic locaux ainsi que de l’utilisation de l’espace public constituent une raison impérieuse d’intérêt général. Il va presque de soi que les villes et les agglomérations ont un intérêt à assurer un trafic fluide, à éviter les encombrements et, plus généralement, à prévoir des espaces publics garantissant un niveau élevé de qualité de vie.

76.

La protection de l’environnement peut, en principe, également constituer une raison impérieuse d’intérêt général ( 46 ).

b)   Sur le caractère approprié

77.

En outre, les mesures en cause doivent être appropriées pour réaliser la raison impérieuse d’intérêt général invoquée, à savoir que l’exigence d’autorisation et le ratio de 1 pour 30 doivent être appropriés pour contribuer à la garantie de qualité, de sécurité et d’accessibilité des services de taxis, à la gestion du transport et du trafic locaux ainsi que de l’utilisation de l’espace public et à la protection de l’environnement. Ce caractère approprié implique également que l’objectif invoqué soit réalisé de façon cohérente et systématique. Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier ledit caractère approprié de la mesure. Cependant, sur la base des informations communiquées à la Cour et des observations des différentes parties, si je ne vois, sur le principe, aucun problème quant à une exigence d’autorisation, je demeure en revanche quelque peu perplexe et je ne vois aucun argument en faveur du même caractère approprié s’agissant du ratio de 1 pour 30.

1) Sur l’exigence d’une autorisation

78.

Le point de départ est qu’il n’existe aucun obstacle général en droit de l’Union à ce que, dans le cadre de sa compétence, une entité régionale telle que l’AMB exige des candidats opérateurs de services de VTC qu’ils obtiennent une licence répondant aux spécificités de la région concernée. Dans l’hypothèse où l’AMB estimerait que des questions ne sont pas réglées par la (première) autorisation nationale, elle serait, en principe, libre d’exiger des opérateurs de VTC l’obtention d’une seconde autorisation. Il est évident que la situation de chaque ville ou agglomération au sein de l’Union est différente s’agissant de questions locales telles que les encombrements et la pollution. Des éléments n’étant pas couverts par une autorisation nationale ou examinés dans le cadre de l’octroi d’une telle autorisation peuvent donc, en principe, être abordés dans une autorisation locale. Il s’agit là d’un exemple pratique de « subsidiarité » au sens littéral, non technique, du terme.

79.

Cela étant dit, une autorisation locale doit reposer sur des considérations supplémentaires qui ne sont pas abordées dans une autorisation nationale. Ainsi que le rappelle à juste titre le gouvernement tchèque, une mesure instituée par un État membre ne saurait être considérée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché si elle fait double emploi avec des contrôles qui ont déjà été effectués dans le cadre d’autres procédures, soit dans ce même État, soit dans un autre État membre ( 47 ). Il s’ensuit, dans la présente affaire, qu’une seconde autorisation ne saurait en aucun cas exiger des opérateurs économiques souhaitant proposer des services de VTC de subir les mêmes contrôles que ceux nécessaires à l’obtention de la première. À cet égard, j’observe que, à aucun moment, il n’a été soutenu, ni a fortiori démontré, qu’il ne serait pas viable de proposer des services de taxis en l’absence d’un système fermé d’autorisations. Au contraire, on pourrait soutenir que les exemples d’autres villes et zones de l’Union européenne où les services de taxis ne sont que très faiblement réglementés suggèrent clairement une autre conclusion sur ce point ( 48 ).

2) Sur le ratio de 1 pour 30

80.

À cet égard, force est de constater que, outre le fait de mentionner les objectifs poursuivis et de les expliquer de manière abstraite, l’AMB ne fournit à la Cour aucune indication quant à la raison pour laquelle les mesures en cause seraient appropriées pour réaliser la gestion du transport et du trafic locaux ainsi que celle de l’utilisation de l’espace public.

81.

À aucun moment l’AMB n’a prouvé que limiter l’octroi des autorisations à un ratio d’une autorisation de VTC pour trente licences de taxi serait approprié pour garantir la gestion du transport et du trafic locaux, celle de l’utilisation de l’espace public ainsi que la protection de l’environnement. Absolument rien n’indique que l’objectif soit poursuivi de façon cohérente et systématique. Une telle motivation insuffisante soulève plus de questions qu’elle n’en résout. Je ne vois toujours pas clairement comment l’AMB entend réformer et réglementer le transport local de façon cohérente : pourquoi les services de taxis et les services de VTC sont-ils soumis à des régimes juridiques différents s’ils répondent à une seule et même demande (le transport local particulier privé) et s’ils sont, comme le constate la juridiction de renvoi, en concurrence entre eux ? Pourquoi le régime applicable aux taxis n’est-il pas abordé, tandis que l’accès au marché des VTC est, en revanche, limité au point d’être rendu impossible ? Le nombre de licences de taxi est resté stable au cours des dernières décennies. Même si, comme je l’ai exposé dans l’introduction des présentes conclusions, les marchés et les temps changent, le régime des taxis est, au sens figuré, gravé dans le marbre et les nouveaux opérateurs sont contraints de s’y adapter. Cette situation peut avoir sa logique sous le seul angle du droit espagnol. En revanche, il n’est pas satisfait au critère du caractère approprié au regard de l’article 49 TFUE. Il appartient à l’AMB de répondre à ces questions. Elle ne l’a pas fait dans la présente procédure.

82.

Il est apparu lors de l’audience que le nombre de licences de taxi est inchangé depuis la fin des années 1980. Aucune nouvelle licence n’a été délivrée. Cependant, une fois que le titulaire cesse d’exercer son activité, la licence peut être vendue sur le marché secondaire. Alors que les licences dites « initiales », directement obtenues auprès de l’État à l’époque, coûtaient moins de 100 euros, les licences s’échangent désormais sur le marché secondaire à plus de 100000 euros. Si l’AMB avait l’intention de réglementer de façon régulière et cohérente le marché des taxis et des VTC, supprimer ce marché secondaire pourrait constituer un point de départ approprié. Accessoirement, cet état de fait démontre bien que les tarifs fixes des taxis entraînent une subvention croisée du coût susmentionné des licences obtenues sur le marché secondaire. En d’autres termes, si l’AMB entendait sérieusement réformer le système, elle l’attaquerait à la racine. Entreprendre des réformes au détriment des VTC revient à effectuer des retouches. On peut comprendre que réformer et libéraliser véritablement l’ensemble du système des services de taxis et de VTC désavantage considérablement les personnes ayant payé un prix élevé pour une licence et qui cherchent à rentrer dans leurs frais au moyen de tarifs de taxi fixes (élevés). Cependant, il existe d’autres possibilités d’écarter le risque que ces personnes soient laissées pour compte sans que cela soit au détriment des VTC et de la liberté d’établissement.

3) Conclusion

83.

Sur la base des informations communiquées par la juridiction de renvoi et les parties au cours de la procédure, les mesures en cause, dans la mesure où elles portent sur le ratio d’une autorisation de VTC pour trente licences de taxi, ne sont pas appropriées pour atteindre l’objectif de gestion du transport et du trafic locaux ainsi que de l’utilisation de l’espace public ou de la protection de l’environnement et constituent, dès lors, une restriction disproportionnée à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 TFUE.

V. Conclusion

84.

Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne) de la manière suivante :

1)

L’article 49 TFUE

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à des mesures nationales exigeant des opérateurs économiques qui souhaitent fournir des services de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) dans les limites d’une zone métropolitaine qu’ils obtiennent une autorisation y afférente si ces opérateurs sont déjà titulaires d’une autorisation nationale leur permettant de fournir des services de VTC « interurbains » et « urbains » sur l’ensemble du territoire national et si cette autorisation n’exige pas une duplication de contrôles déjà effectués.

2)

L’article 49 TFUE

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une limitation du nombre de telles autorisations de VTC à une autorisation pour trente licences de taxi, voire moins, dans la même zone métropolitaine.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Pour une vue d’ensemble, voir « Study on passenger transport by taxi, hire car with driver and ridesharing in the EU. Final Report », Bruxelles, 2016, p. 8, 31 et 32, disponible à l’adresse Internet suivante : https://transport.ec.europa.eu/system/files/2017-05/2016-09-26-pax-transport-taxi-hirecar-w-driver-ridesharing-final-report.pdf.

( 3 ) Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 48). Tel est le cas, notamment, parce qu’Uber exerce un contrôle sur tous les aspects pertinents d’un service de transport urbain : sur le prix, bien évidemment, mais également sur les conditions minimales de sécurité par des exigences préalables concernant les chauffeurs et les véhicules, sur l’accessibilité de l’offre de transport par l’incitation des chauffeurs à exercer aux moments et aux endroits de grande demande, sur le comportement des chauffeurs au moyen du système d’évaluation et sur la possibilité d’éviction de la plateforme. Voir mes conclusions dans l’affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:364, point 51).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JO 2000, L 178, p. 1).

( 6 ) Souvent également désignés par l’acronyme « VLC » pour « voitures de location avec chauffeur ». Dans les présentes conclusions, par souci de commodité, j’utiliserai le terme « VTC ».

( 7 ) Voir, notamment, arrêt du 20 octobre 2022, Centre public d’action sociale de Liège (Retrait ou suspension d’une décision de retour) (C‑825/21, EU:C:2022:810, point 34).

( 8 ) Arrêt du 15 novembre 2016 (C‑268/15, EU:C:2016:874, points 50 à 53). Pour un résumé complet de la jurisprudence de la Cour sur cette question, voir conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Venturini e.a. (C‑159/12 à C‑161/12, EU:C:2013:529). Voir également mes conclusions dans l’affaire BONVER WIN (C‑311/19, EU:C:2020:640, points 33 et suiv.).

( 9 ) Voir également, à cet égard, mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, point 115).

( 10 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 50).

( 11 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 51).

( 12 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016 (C‑268/15, EU:C:2016:874, points 50 à 53).

( 13 ) Plus particulièrement, la juridiction de renvoi ne peut se contenter de soumettre à la Cour des éléments qui pourraient permettre de ne pas exclure l’existence d’un tel lien ou qui, considérés de manière abstraite, pourraient constituer des indices en ce sens, mais doit, au contraire, fournir des éléments objectifs et concordants permettant à la Cour de vérifier l’existence de ce lien. Voir arrêt du 20 septembre 2018, Fremoluc (C‑343/17, EU:C:2018:754, point 29).

( 14 ) Voir communication de la Commission relative à un service local de transport de passagers à la demande (taxis et VTC) performant et durable (JO 2022, C 62, p. 1).

( 15 ) En vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, l’article 56 TFUE n’est pas applicable aux services dans le domaine des transports, ceux-ci étant régis par le chapitre relatif aux transports du traité FUE, de sorte qu’une harmonisation doit d’abord être réalisée. Il en va de même pour l’application de la directive 2006/123, dont l’article 2, paragraphe 2, sous d), contient une disposition calquée sur celle de l’article 58, paragraphe 1, TFUE. Voir arrêts du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:641, point 49), et du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:981, point 36).

( 16 ) Ce qui devrait également répondre à l’argument de plusieurs parties à la procédure selon lequel les questions de la juridiction de renvoi sont formulées de manière biaisée, préjugeant déjà en quelque sorte de la solution.

( 17 ) Cependant, je voudrais mentionner en passant que, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. La répartition interne des compétences qu’opère un État membre en son sein, notamment entre les autorités centrales, régionales ou locales, ne saurait, entre autres, dispenser cet État membre de satisfaire à ces obligations. Voir arrêts du 13 septembre 2001, Commission/Espagne (C‑417/99, EU:C:2001:445, point 37), et du 8 septembre 2010, Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505, point 69).

( 18 ) Voir, notamment, arrêts du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Éducation supérieure) (C‑66/18, EU:C:2020:792, point 40), et du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a. (C‑391/20, EU:C:2022:638, point 61).

( 19 ) Cette jurisprudence est constante depuis l’arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37). Voir, en outre, parmi une jurisprudence abondante, arrêt du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188, point 46). Voir également arrêt du 5 octobre 2004, CaixaBank France (C‑442/02, EU:C:2004:586, point 12).

( 20 ) Voir seulement arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, points 25 et suiv.). Sur la distinction entre libre prestation de services et droit d’établissement, voir également conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Yellow Cab Verkehrsbetriebs GmbH (C‑338/09, EU:C:2010:568, points 15 à 18).

( 21 ) Voir, notamment, Müller-Graff, P.-Chr., Commentaire de l’article 49 TFUE, points 67 et suiv., dans Streinz, R. (dir.), EUV/AEUV Kommentar, C.H. Beck, Munich, 3e édition, 2018 ; Forsthoff, U., Commentaire de l’article 49 TFUE, point 104, dans Grabitz, E., Hilf, M., et Nettesheim, M. (dir.), Das Recht der Europäischen Union, 76. EL., mis à jour en mai 2022, C.H. Beck, Munich. Voir également Kainer, F., Commentaire de l‘article 49 TFUE, point 63, dans Pechstein, M., Nowak, C., Häde, U. (dir.), Frankfurter Kommentar zu EUV, GRC und AEUV, Band II, Mohr Siebeck, Tübingen, 2017 ; Wendland, H. M., « Die binnenmarktrechtliche Niederlassungsfreiheit der Selbständigen », dans Müller-Graff, P.-Chr. (dir.), Europäisches Wirtschaftsordnungsrecht (Enzyklopädie Europarecht, Band 4), Nomos, Baden-Baden, 2e édition 2021, p. 177 à 234, point 4.

( 22 ) Voir arrêts du 25 juillet 1991, Säger (C‑76/90, EU:C:1991:331, point 14) ; du 9 août 1994, Vander Elst (C‑43/93, EU:C:1994:310, point 15) ; du 20 février 2001, Analir e.a. (C‑205/99, EU:C:2001:107, point 22) ; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, point 29), et du 10 mars 2009, Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141, point 34).

( 23 ) Voir, en ce sens, concernant l’établissement de pharmacies, conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans les affaires jointes Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2009:587, point 11).

( 24 ) Voir, en ce sens, arrêts du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 166) ; du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Éducation supérieure) (C‑66/18, EU:C:2020:792, point 178), et du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a. (C‑391/20, EU:C:2022:638, point 65). Il s’agit, en substance, d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37).

( 25 ) Voir, notamment, arrêts du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a. (352/85, EU:C:1988:196, point 34) ; du 11 mars 2010, Attanasio Group (C‑384/08, EU:C:2010:133, point 55), et du 24 mars 2011, Commission/Espagne (C‑400/08, EU:C:2011:172, point 74).

( 26 ) Voir arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb (C‑338/09, EU:C:2010:814, point 51). Voir également arrêt du 11 mars 2010, Attanasio Group (C‑384/08, EU:C:2010:133, point 55).

( 27 ) « Un servicio de interés público » en langue espagnole.

( 28 ) En droit dérivé, cette expression figure à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2006/123. Voir mes conclusions dans l’affaire Hiebler (C‑293/14, EU:C:2015:472, points 56 et suiv.).

( 29 ) Depuis le traité d’Amsterdam, tel que complété et modifié par le traité de Lisbonne. Sur la genèse de cette disposition, voir Krajewski, M., « Dienste von allgemeinem wirtschaftlichen Interesse » dans Pechstein, M., Nowak, C., Häde, U. (dir.), Frankfurter Kommentar zu EUV, GRC und AEUV, Band II, Mohr Siebeck, Tübingen, 2017.

( 30 ) Sur la genèse (moins claire) du protocole, annexé au traité de Lisbonne, voir Damjanovic, D., de Witte, B., « Welfare integration through EU law : the overall picture in the light of the Lisbon Treaty » dans Neergaard, U., Nielsen, R., Roseberry, L. (dir.), Integrating welfare functions into EU law – From Rome to Lisbon, DJØF Publishing, Copenhague, 2009, p. 88 et 89.

( 31 ) Voir, à cet égard, arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, points 166 et 167). Voir également arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205, point 29) : « [L]es États membres sont en droit, dans le respect du droit de l’Union, de définir l’étendue et l’organisation de leurs services d’intérêt économique général. »

( 32 ) Voir arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, point 172).

( 33 ) Arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, point 172).

( 34 ) Arrêt du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, EU:T:2008:29, point 172). Voir également arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova (C‑179/90, EU:C:1991:464, point 27).

( 35 ) Voir conclusions dans l’affaire Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2009:640, point 54).

( 36 ) Voir conclusions dans l’affaire Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2009:640, point 55).

( 37 ) Voir communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 20 décembre 2011, « Un cadre de qualité pour les services d’intérêt général en Europe » [COM(2011) 900 final, p. 3].

( 38 ) Voir Martucci, F., Droit du marché intérieur de l’Union européenne, Presses universitaires de France, Paris, 2021, points 129 et 253.

( 39 ) Troisième partie, titre VII, chapitre 1, section 1 (intitulée « Les règles applicables aux entreprises »), TFUE.

( 40 ) Mise en italique par mes soins.

( 41 ) Voir article 2, sous e), du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1).

( 42 ) Voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2013, Femarbel (C‑57/12, EU:C:2013:517, point 49).

( 43 ) Je tiens à souligner que cette question est indépendante de celle de savoir si et dans quelle mesure de nouvelles entreprises de transport, au moyen des nouveaux modèles commerciaux qu’elles proposent, non seulement mettent en correspondance l’offre et la demande, mais également créent l’offre elle-même. Les activités des plateformes telles qu’Uber sont un bon exemple à cet égard. Voir mes conclusions dans l’affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C‑434/15, EU:C:2017:364, point 43).

( 44 ) Voir arrêt du 29 novembre 2001, De Coster (C‑17/00, EU:C:2001:651, point 38). Voir également article 4, point 8, de la directive 2006/123. Pareille protection comprend la préservation de la viabilité du centre-ville d’une municipalité et l’évitement de locaux inoccupés en zone urbaine dans l’intérêt d’un bon aménagement du territoire. Voir arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 134).

( 45 ) Voir arrêt du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:685, point 74 et jurisprudence citée).

( 46 ) Voir arrêt du 24 mars 2011, Commission/Espagne (C‑400/08, EU:C:2011:172, point 74).

( 47 ) Voir arrêts du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital (C‑390/99, EU:C:2002:34, point 36), et du 10 novembre 2005, Commission/Portugal (C‑432/03, EU:C:2005:669, point 45).

( 48 ) En effet, une étude réalisée pour la Commission par un cabinet d’avocats et l’université Bocconi montre qu’un certain nombre d’États membres et de grandes villes n’ont pas introduit la moindre restriction quantitative. Voir « Study on passenger transport by taxi, hire car with driver and ridesharing in the EU. Final Report », citée à la note en bas de page 2 des présentes conclusions, p. 8, 31 et 32, disponible à l’adresse Internet suivante : https://transport.ec.europa.eu/system/files/2017-05/2016-09-26-pax-transport-taxi-hirecar-w-driver-ridesharing-final-report.pdf.