ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)
22 juin 2021 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 8, paragraphe 1, sous c) – Mandat d’arrêt européen émis par le parquet d’un État membre aux fins de poursuites pénales sur la base d’une mesure privative de liberté émise par la même autorité – Absence du contrôle juridictionnel avant la remise de la personne recherchée – Conséquences – Protection juridictionnelle effective – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 »
Dans l’affaire C‑206/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni], par décision du 17 février 2020, parvenue à la Cour le 15 mai 2020, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre
VA,
en présence de :
Prosecutor of the regional prosecutor’s office in Ruse, Bulgaria
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteure) et M. N. Jääskinen, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour VA, par Mme H. Malcolm, QC, et M. B. Seifert, barrister, mandatés par M. R. Katz, solicitor,
– pour le Prosecutor of the regional prosecutor’s office in Ruse, Bulgaria, par Mme R. Milcheva,
– pour le gouvernement bulgare, par Mmes L. Zaharieva et T. Tsingileva, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution au Royaume-Uni d’un mandat d’arrêt européen émis par le prosecutor of the regional prosecutor’s office in Ruse, Bulgaria (procureur du parquet régional de Ruse, Bulgarie), aux fins de poursuites pénales engagées contre VA.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 5, 6, 10 et 12 de la décision-cadre 2002/584 sont ainsi libellés :
« (5) L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
(6) Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.
[...]
(10) Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. La mise en œuvre de celui-ci ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 6, paragraphe 1, [TUE], constatée par le Conseil en application de l’article 7, paragraphe 1, [TUE] avec les conséquences prévues au paragraphe 2 du même article.
[...]
(12) La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la Charte [...], notamment son chapitre VI. [...] »
4 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :
« 1. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.
2. Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.
3. La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »
5 L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Champ d’application du mandat d’arrêt européen », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois. »
6 Aux termes de l’article 6 de la même décision-cadre, intitulé « Détermination des autorités judiciaires compétentes » :
« 1. L’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.
2. L’autorité judiciaire d’exécution est l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution qui est compétente pour exécuter le mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État.
3. Chaque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne. »
7 L’article 8 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Contenu et forme du mandat d’arrêt européen », énonce, à son paragraphe 1 :
« Le mandat d’arrêt européen contient les informations suivantes, présentées conformément au formulaire figurant en annexe :
[...]
c) l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 ;
[...] »
Le droit du Royaume-Uni
8 La procédure d’exécution d’un mandat d’arrêt européen est régie par l’Extradition Act 2003 (loi sur l’extradition de 2003). La première partie de cette loi définit les territoires vers lesquels il peut être procédé à une extradition par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. La République de Bulgarie en fait partie. Aux termes de l’article 2(7) de ladite loi, l’autorité centrale désignée émet un certificat si elle considère que le mandat d’arrêt a été émis par une autorité d’émission émanant de l’un desdits territoires.
Le droit bulgare
La Constitution
9 En vertu de l’article 117, paragraphe 2, de la Constitution de la République de Bulgarie :
« Le pouvoir judiciaire est indépendant. Les juges, les jurés, les procureurs ainsi que les juges d’instruction ne sont soumis qu’à la loi dans l’exercice de leurs fonctions. »
Le ZEEZA
10 Le Zakon za ekstraditsiata i evropeiskata zapoved za arest (loi relative à l’extradition et au mandat d’arrêt européen, DV no 46, du 3 juin 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZEEZA »), transpose dans le droit bulgare la décision-cadre 2002/584. L’article 37 du ZEEZA énonce les dispositions relatives à la délivrance d’un mandat d’arrêt européen dans des termes presque identiques à ceux de l’article 8 de cette décision-cadre.
11 En vertu de l’article 56, paragraphe 1, point 1, du ZEEZA, le procureur est compétent, dans la phase préliminaire de la procédure pénale, pour émettre un mandat d’arrêt européen contre la personne poursuivie.
Le NPK
12 Conformément à l’article 14, paragraphe 1, du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale, DV no 86, du 28 octobre 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « NPK »), le procureur prend ses décisions selon son intime conviction, sur la base d’un examen objectif, impartial et complet de toutes les circonstances de l’affaire, dans le respect de la loi.
13 Dans le cadre du procès pénal, le procureur est l’autorité compétente qui, conformément à l’article 46 du NPK, exerce l’action publique, mène l’instruction et exerce un contrôle de la légalité de celle-ci et de son bon déroulement.
14 Le placement en détention provisoire d’une personne faisant l’objet de poursuites pénales est régi, lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, par l’article 64 du NPK.
15 Aux termes de l’article 64, paragraphe 1, du NPK, « [l]a mesure de placement en détention provisoire est adoptée pendant la procédure préliminaire par le tribunal de première instance compétent à la demande du procureur ».
16 Conformément à l’article 64, paragraphe 2, du NPK, le procureur peut adopter une mesure ordonnant le placement en détention de la personne poursuivie pour une durée maximale de 72 heures en vue d’assurer la comparution de cette personne devant la juridiction compétente pour adopter, le cas échéant, une mesure de placement en détention provisoire.
17 L’article 64, paragraphe 3, du NPK prévoit, quant à lui, que « le tribunal, statuant à juge unique, examine immédiatement l’affaire, en audience publique, avec la participation du procureur, de la personne poursuivie et de son conseil ».
18 En outre, conformément à l’article 64, paragraphe 4, du NPK, le tribunal est l’autorité compétente pour examiner la demande de mise en détention provisoire et apprécier, s’il y a lieu, d’imposer cette mesure, de choisir d’imposer une mesure plus légère ou de refuser de manière générale d’imposer une mesure procédurale contraignante à l’égard de la personne poursuivie.
Le litige au principal et la question préjudicielle
19 Le 6 mars 2018, le procureur du parquet régional de Ruse a émis un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales engagées contre VA (ci-après le « mandat d’arrêt européen en cause »).
20 Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, VA est soupçonné d’avoir commis, dans la ville de Ruse, le 4 juillet 2011, un vol avec effraction, consistant en la soustraction d’un montant estimé à 13 749,85 leva bulgares (BGN) (environ 7 030 euros), puni d’une peine d’emprisonnement d’un à dix ans.
21 Le mandat d’arrêt européen en cause se greffe sur une décision du procureur, émise le 11 janvier 2018, ordonnant le placement en détention de VA pour une durée maximale de 72 heures.
22 VA a été arrêté au Royaume-Uni, le 16 mars 2019, sur la base du mandat d’arrêt européen en cause et a été ultérieurement placé en liberté provisoire, moyennant un certain nombre de restrictions qui lui ont été imposées.
23 Le 10 mai 2019, le District Judge (juge de district, Royaume-Uni) a ordonné la remise de VA à la République de Bulgarie.
24 VA a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi et a contesté la validité du mandat d’arrêt européen en cause en soutenant que le système judiciaire bulgare ne répond pas aux exigences de la décision-cadre 2002/584, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où ni le mandat d’arrêt européen ni la mesure privative de liberté sur laquelle celui-ci est fondé ne sont soumis à un contrôle judiciaire avant la remise de la personne recherchée à l’État membre d’émission.
25 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, selon le procureur du parquet régional de Ruse, la personne recherchée au moyen d’un mandat d’arrêt européen est, en droit bulgare, représentée par un avocat, de sorte que ses intérêts sont pleinement protégés. Dans la mesure où la décision d’émettre un tel mandat repose sur une décision ordonnant le placement en détention qui impose que, après la remise de la personne recherchée, celle-ci soit présentée devant une juridiction qui statue sur sa privation de liberté, le système procédural bulgare serait conforme à la décision-cadre 2002/584, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour.
26 Selon la juridiction de renvoi, en droit bulgare, ni la décision du procureur ordonnant le placement en détention de la personne recherchée ni le mandat d’arrêt européen émis par la même autorité dans le prolongement de cette décision ne sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel avant la remise de la personne recherchée. Cette situation s’avérerait dès lors distincte des systèmes procéduraux connus dans d’autres États membres et ayant donné lieu à la jurisprudence de la Cour en la matière.
27 La juridiction de renvoi a annexé à sa demande de décision préjudicielle le certificat émis par la National Crime Agency (agence nationale de lutte contre la criminalité, Royaume-Uni), en conformité avec l’article 2(7) de la loi sur l’extradition de 2003, attestant que le mandat d’arrêt européen en cause a été émis par une autorité judiciaire compétente.
28 Cette juridiction se demande, néanmoins, si le double niveau de protection des droits dont doit bénéficier la personne recherchée, tel qu’exigé par la jurisprudence de la Cour, notamment au point 56 de l’arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi (C‑241/15, EU:C:2016:385), est assuré dans le contexte de l’affaire dont elle est saisie, dans la mesure où tant le mandat d’arrêt européen en cause que le mandat d’arrêt national ou la décision judiciaire ayant la même force que ce dernier ont été émis par le procureur du parquet régional de Ruse, sans l’intervention d’une juridiction bulgare avant la remise de VA par le Royaume-Uni.
29 Dans ces conditions, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division du Queen’s Bench (chambre administrative), Royaume-Uni] a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Dès lors que la remise d’une personne recherchée est demandée afin de la poursuivre en justice et que la décision d’émettre un mandat d’arrêt national sous-jacent ainsi que celle d’émettre un mandat d’arrêt européen sont toutes deux prises par un procureur, sans la moindre intervention d’une juridiction avant la remise, la personne recherchée bénéficie-t-elle du double niveau de protection visé par la Cour dans l’arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi (C‑241/15, EU:C:2016:385), si :
a) l’effet du mandat d’arrêt national est limité à la détention de la personne [recherchée] pour une durée maximale de 72 heures aux fins de la faire comparaître devant une juridiction, et
b) que, à la suite de la remise, c’est uniquement à la juridiction qu’il appartient d’ordonner la libération ou la prolongation de la détention eu égard à toutes les circonstances de l’affaire ? »
Sur la procédure devant la Cour
30 La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée au titre de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.
31 À l’appui de sa demande, cette juridiction a précisé que VA a été arrêté au titre du mandat d’arrêt européen en cause et que, depuis lors, il a été placé en liberté provisoire sous certaines restrictions qui lui ont été imposées. Elle a fait également valoir la nécessité de respecter les délais de remise prévus à l’article 18 de la décision-cadre 2002/584 et a invoqué la circonstance que la réponse de la Cour à la question préjudicielle aura des répercussions sur d’autres affaires portant sur des procédures similaires impliquant des mandats d’arrêt européens émis par les procureurs bulgares aux fins de poursuites pénales.
32 En ce qui concerne, d’abord, la circonstance que la personne recherchée, actuellement libérée, est soumise à certaines restrictions, il ressort de la jurisprudence que cette circonstance ne saurait être considérée comme constituant une circonstance exceptionnelle justifiant de traiter la présente affaire dans de brefs délais, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, et, partant, de la soumettre à la procédure accélérée, en application de cette même disposition (ordonnance du président de la Cour du 20 septembre 2018, Minister for Justice and Equality, C‑508/18 et C‑509/18, non publiée, EU:C:2018:766, point 12 ainsi que jurisprudence citée).
33 Pour ce qui est, ensuite, de l’argument de la juridiction de renvoi tiré des délais stricts prescrits pour la remise d’une personne recherchée dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, la Cour a déjà jugé que la circonstance qu’une demande de décision préjudicielle porte sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen et, de ce fait, exigerait une réponse donnée avec célérité ne saurait suffire par elle-même à justifier qu’une affaire soit soumise à la procédure accélérée visée à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, étant donné que cette dernière constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (ordonnance du président de la Cour du 20 septembre 2018, Minister for Justice and Equality, C‑508/18 et C‑509/18, non publiée, EU:C:2018:766, point 11 ainsi que jurisprudence citée).
34 S’agissant, enfin, du motif tiré des conséquences potentielles pour d’autres demandes d’exécution de mandats d’arrêt européens en provenance de Bulgarie, il convient de rappeler que le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision qu’une juridiction de renvoi doit rendre après avoir saisi la Cour à titre préjudiciel n’est pas susceptible, en tant que tel, de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée (ordonnance du président de la Cour du 24 octobre 2017, Popławski, C‑573/17, non publiée, EU:C:2017:827, point 8 et jurisprudence citée).
35 Eu égard aux considérations qui précèdent, la demande de la juridiction de renvoi tendant à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée au titre de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure a été rejetée par décision du président de la Cour du 16 juillet 2020.
Sur la question préjudicielle
36 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
37 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.
38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte et de la jurisprudence de la Cour, doit être interprété en ce sens que les exigences inhérentes à la protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales sont remplies lorsque tant le mandat d’arrêt européen que la décision judiciaire sur laquelle celui-ci se greffe sont émis par un procureur, pouvant être qualifié d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision-cadre, mais qu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel dans l’État membre d’émission avant la remise de la personne recherchée par l’État membre d’exécution.
39 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que tant le principe de confiance mutuelle entre les États membres que le principe de reconnaissance mutuelle, qui repose lui-même sur la confiance réciproque entre ces derniers, ont, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’ils permettent la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit [arrêt du 12 décembre 2019, Openbaar Ministerie (Parquet Suède), C‑625/19 PPU, EU:C:2019:1078, point 33 et jurisprudence citée].
40 L’efficacité et le bon fonctionnement du système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, établi par la décision-cadre 2002/584, reposent sur le respect de certaines exigences fixées par cette décision-cadre dont la portée a été précisée par la jurisprudence de la Cour.
41 À cet égard, en ce qui concerne, en premier lieu, la qualité d’« autorité judiciaire d’émission » des procureurs en Bulgarie, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584, la Cour a déjà constaté que ceux-ci participent à l’administration de la justice pénale et qu’ils sont indépendants dans l’exercice des fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen, ces deux conditions permettant qu’ils soient ainsi qualifiés (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2021, PI, C‑648/20 PPU, EU:C:2021:187, point 37 et jurisprudence citée).
42 En deuxième lieu, il convient également de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé au point 39 de l’arrêt du 10 mars 2021, PI (C‑648/20 PPU, EU:C:2021:187), la décision du procureur ordonnant le placement en détention de la personne recherchée pour une durée maximale de 72 heures, sur laquelle se greffe le mandat d’arrêt européen, doit être qualifiée de « décision judiciaire exécutoire ayant la même force » qu’un mandat d’arrêt national, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584.
43 Ces circonstances ne suffisent toutefois pas pour considérer que le système de procédure pénale bulgare, en vertu duquel tant le mandat d’arrêt européen que la décision sur laquelle il se greffe sont émis par le parquet, un contrôle juridictionnel à cet égard ne pouvant intervenir qu’après la remise de la personne recherchée, satisfait aux exigences de la décision-cadre 2002/584, à savoir au respect du double niveau de protection des droits dont doit bénéficier cette personne, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour.
44 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, au point 56 de l’arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi (C‑241/15, EU:C:2016:385), la Cour a dit pour droit que le système du mandat d’arrêt européen comporte, en vertu de l’exigence prescrite à l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584, une protection à deux niveaux des droits en matière de procédure et des droits fondamentaux dont doit bénéficier la personne recherchée, dès lors que, à la protection judiciaire prévue au premier niveau, lors de l’adoption d’une décision judiciaire nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, s’ajoute celle devant être assurée au second niveau, lors de l’émission du mandat d’arrêt européen, laquelle peut intervenir, le cas échéant, dans des délais brefs, après l’adoption de ladite décision judiciaire nationale.
45 Cette protection implique qu’une décision satisfaisant aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective soit adoptée, à tout le moins, à l’un des deux niveaux de ladite protection [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 68].
46 Il s’ensuit que, lorsque le droit de l’État membre d’émission attribue la compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen à une autorité qui, tout en participant à l’administration de la justice de cet État membre, n’est pas un juge ou une juridiction, la décision judiciaire nationale, telle qu’un mandat d’arrêt national, sur laquelle se greffe le mandat d’arrêt européen, doit, pour sa part, satisfaire à de telles exigences [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 69].
47 La satisfaction de ces exigences permet ainsi de garantir à l’autorité judiciaire d’exécution que la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales est fondée sur une procédure nationale soumise à un contrôle juridictionnel et que la personne qui a fait l’objet de ce mandat d’arrêt national a bénéficié de toutes les garanties propres à l’adoption de ce type de décisions, notamment de celles résultant des droits fondamentaux et des principes juridiques fondamentaux visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584 [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 70].
48 En outre, lorsque le droit de l’État membre d’émission attribue la compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen à une autorité qui, tout en participant à l’administration de la justice de cet État membre, n’est pas elle-même une juridiction, la décision d’émettre un tel mandat d’arrêt et, notamment, le caractère proportionné d’une telle décision doivent pouvoir être soumis, dans ledit État membre, à un recours juridictionnel qui satisfait pleinement aux exigences inhérentes à une protection juridictionnelle effective [arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau), C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, point 75].
49 Ainsi qu’il découle des points 47 et 48 de l’arrêt du 10 mars 2021, PI (C‑648/20 PPU, EU:C:2021:187), la Cour a constaté qu’il ressort de cette jurisprudence que la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales doit pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective avant sa remise à l’État membre d’émission, et ce à tout le moins à l’un des deux niveaux de protection requis par ladite jurisprudence. Une telle protection suppose, dès lors, qu’un contrôle juridictionnel puisse être exercé, soit à l’égard du mandat d’arrêt européen, soit à l’égard de la décision judiciaire sur laquelle se greffe ce mandat, avant qu’il ne soit procédé à l’exécution de ce dernier.
50 Cette exigence permet, dans le système instauré par la décision‑cadre 2002/584, fondé, ainsi qu’il a été rappelé au point 39 de la présente ordonnance, sur la confiance mutuelle entre les États membres, de garantir à l’autorité judiciaire d’exécution que le mandat d’arrêt européen dont l’exécution lui est demandée a été émis à l’issue d’une procédure nationale soumise à un contrôle juridictionnel, dans le cadre de laquelle la personne recherchée a pu bénéficier de toutes les garanties propres à l’adoption de ce type de décisions, notamment de celles résultant des droits fondamentaux et des principes juridiques fondamentaux visés à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre 2002/584.
51 Par conséquent, l’existence d’un contrôle juridictionnel de la décision d’un procureur de délivrer un mandat d’arrêt européen qui n’intervient qu’après la remise de la personne recherchée ne satisfait pas à l’obligation incombant à l’État membre d’émission de mettre en œuvre des règles procédurales permettant à une juridiction compétente d’opérer, avant cette remise, un contrôle de la légalité du mandat d’arrêt national ou de la décision judiciaire ayant la même force, adoptés également par un procureur, ou encore du mandat d’arrêt européen (arrêt du 10 mars 2021, PI, C‑648/20 PPU, EU:C:2021:187, point 57).
52 Certes, dans la mise en œuvre de la décision-cadre 2002/584, les États membres conservent, conformément à leur autonomie procédurale, la faculté d’adopter des règles qui peuvent s’avérer différentes d’un État membre à un autre. Toutefois, ceux-ci doivent veiller à ce que ces règles ne fassent pas échec aux exigences découlant de cette décision-cadre, en particulier quant à la protection juridictionnelle, garantie à l’article 47 de la Charte, qui la sous-tend.
53 Il en résulte que l’objectif de la décision-cadre 2002/584 qui, par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, tend à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire entre les autorités judiciaires de l’État membre d’émission et celles de l’État membre d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ne saurait être réalisé que moyennant le respect des droits et des principes juridiques fondamentaux, tels qu’ils sont consacrés à l’article 6 TUE et reflétés dans la Charte, obligation qui, en outre, concerne tous les États membres et, notamment, tant l’État membre d’émission que celui d’exécution (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2019, TC, C‑492/18 PPU, EU:C:2019:108, points 41 et 54 ainsi que jurisprudence citée).
54 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la question posée que l’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte et de la jurisprudence de la Cour, doit être interprété en ce sens que les exigences inhérentes à la protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales ne sont pas remplies lorsque tant le mandat d’arrêt européen que la décision judiciaire sur laquelle celui-ci se greffe sont émis par un procureur, pouvant être qualifié d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision-cadre, sans que ledit mandat d’arrêt européen ou ladite décision judiciaire puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel dans l’État membre d’émission avant la remise de la personne recherchée par l’État membre d’exécution.
Sur les dépens
55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
L’article 8, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour, doit être interprété en ce sens que les exigences inhérentes à la protection juridictionnelle effective dont doit bénéficier une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites pénales ne sont pas remplies lorsque tant le mandat d’arrêt européen que la décision judiciaire sur laquelle celui-ci se greffe sont émis par un procureur, pouvant être qualifié d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision-cadre, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, sans que ledit mandat d’arrêt européen ou ladite décision judiciaire puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel dans l’État membre d’émission avant la remise de la personne recherchée par l’État membre d’exécution.
Signatures
* Langue de procédure : l’anglais.