Affaire C‑247/20

VI

contre

The Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Social Security Appeal Tribunal)

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 mars 2022

« Renvoi préjudiciel – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Article 21 TFUE – Directive 2004/38/CE – Article 7, paragraphe 1, sous b), et article 16 – Enfant ressortissant d’un État membre séjournant dans un autre État membre – Droit de séjour dérivé du parent assurant effectivement la garde de cet enfant – Exigence d’une assurance maladie complète – Enfant disposant d’un droit de séjour permanent pour une partie des périodes concernées »

  1. Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Directive 2004/38 – Conditions du droit de séjour au titre du droit de l’Union – Citoyen de l’Union mineur disposant d’un droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil – Parent dudit mineur, ressortissant d’un État tiers, séjournant dans cet État membre en vertu de l’article 21 TFUE et assurant effectivement sa garde – Absence d’obligation pour chacun d’eux de disposer d’une assurance maladie complète afin de conserver leur droit de séjour

    [Art. 21 TFUE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38, art. 7, § 1, b), et 16, § 1 et 2]

    (voir points 54, 56, 58-60, disp. 1)

  2. Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Directive 2004/38 – Bénéficiaires – Membre de la famille – Notion – Ascendant n’étant pas à la charge d’un citoyen de l’Union – Exclusion

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38, art. 2, point 2)

    (voir point 57)

  3. Citoyenneté de l’Union – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Directive 2004/38 – Conditions du droit de séjour au titre du droit de l’Union – Citoyen de l’Union mineur disposant d’un droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil – Parent dudit mineur, ressortissant d’un État tiers, séjournant dans cet État membre en vertu de l’article 21 TFUE et assurant effectivement sa garde – Obligation pour chacun d’eux de disposer d’une assurance maladie complète pour les périodes antérieures à l’acquisition du droit de séjour permanent – Obligation remplie par leur affiliation, à titre gratuit, au système public d’assurance maladie de l’État membre d’accueil

    [Art. 21 TFUE ; directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38, art. 7, § 1, b)]

    (voir points 63, 65, 67, 69, 70, 72, disp. 2)

Résumé

VI et son mari sont des ressortissants pakistanais qui résident en Irlande du Nord (Royaume-Uni) avec leurs enfants. Leur fils, né en 2004, de nationalité irlandaise, a acquis un droit de séjour permanent au Royaume-Uni en raison de son séjour légal pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Si VI, qui s’est occupée dans un premier temps de leurs enfants, travaille et n’est assujettie à l’impôt que depuis avril 2016, son mari a, pour sa part, travaillé et été assujetti à l’impôt pendant toutes les périodes en cause au principal, les deux époux disposant des ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de leur famille.

Les Commissioners for Her Majesty’s Revenue & Customs (administration fiscale et douanière, Royaume-Uni) ont considéré que, de mai à août 2006 et d’août 2014 à septembre 2016, VI n’était pas couverte par une assurance maladie complète et, par conséquent, ne disposait pas du droit de séjour au Royaume-Uni, de sorte qu’elle ne pouvait bénéficier, pour ces deux périodes, ni du crédit d’impôt pour enfant à charge ni d’allocations familiales.

Saisi de deux recours visant ces droits, le Social Security Appeal Tribunal (Northern Ireland) (tribunal d’appel en matière de sécurité sociale, Irlande du Nord, Royaume-Uni) interroge la Cour sur le point de savoir dans quelle mesure l’exigence de disposer d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 ( 1 ), était applicable à VI et à son fils pendant les périodes concernées et, le cas échéant, si l’affiliation, à titre gratuit, au système public d’assurance maladie de l’État d’accueil, dont ils disposaient, était suffisante pour satisfaire à cette exigence.

La Cour dit pour droit que l’article 21 TFUE, qui consacre la liberté de circulation et de séjour des citoyens de l’Union, et l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui vise l’acquisition du droit de séjour permanent, doivent être interprétés en ce sens que ni l’enfant, citoyen de l’Union, qui a acquis un droit de séjour permanent, ni le parent assurant effectivement sa garde ne sont tenus de disposer d’une assurance maladie complète, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive, afin de conserver leur droit de séjour dans l’État d’accueil. En revanche, s’agissant des périodes antérieures à l’acquisition par un enfant, citoyen de l’Union, d’un droit de séjour permanent dans l’État d’accueil, tant cet enfant, lorsqu’un droit de séjour est réclamé pour lui sur le fondement de cet article 7, paragraphe 1, sous b), que le parent assurant effectivement sa garde doivent disposer d’une assurance maladie complète, au sens de ladite directive.

Appréciation de la Cour

S’agissant, d’une part, des périodes situées après qu’un enfant, citoyen de l’Union ait acquis un droit de séjour permanent après avoir séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil, la Cour souligne que ce droit n’est plus soumis ( 2 ) aux conditions de disposer, pour soi et sa famille, de ressources suffisantes ainsi que d’une assurance maladie complète, applicables avant l’acquisition d’un tel droit de séjour permanent ( 3 ).

En ce qui concerne le parent, ressortissant d’un État tiers qui assure effectivement la garde de cet enfant, la Cour constate que celui-ci n’est pas un « membre de la famille », au sens de la directive 2004/38, et ne saurait donc tirer de celle-ci ( 4 ), un droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil lorsque ledit enfant est à la charge de son parent. En effet, la notion de « membre de la famille », au sens de cette directive, est limitée ( 5 ), pour ce qui concerne les ascendants d’un citoyen de l’Union, aux ascendants directs « à charge » de ce citoyen.

Cela étant, le droit de séjour permanent dans l’État membre d’accueil, conféré par le droit de l’Union au ressortissant mineur d’un autre État membre, doit, aux fins d’assurer l’effet utile de ce droit de séjour, être considéré comme impliquant nécessairement, en vertu de l’article 21 TFUE, un droit pour le parent qui assure effectivement la garde de ce citoyen de l’Union mineur de séjourner avec lui dans l’État membre d’accueil, et ce indépendamment de la nationalité de ce parent. Il s’ensuit que l’inapplicabilité des conditions énoncées, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, à la suite de l’acquisition, par ledit mineur, d’un droit de séjour permanent en vertu de l’article 16, paragraphe 1, de cette directive, s’étend, en vertu de l’article 21 TFUE, à ce parent.

D’autre part, quant aux périodes situées avant qu’un enfant, citoyen de l’Union, ait acquis un droit de séjour permanent dans l’État d’accueil, il résulte du libellé de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 ainsi que de l’économie générale et de la finalité de cette directive que non seulement le citoyen de l’Union, mais également les membres de sa famille qui résident avec celui-ci dans l’État d’accueil, ainsi que le parent qui assure effectivement la garde d’un tel enfant, doivent être couverts par une assurance maladie complète.

À cet égard, il découle de cet article, lu en combinaison avec le considérant 10 et avec l’article 14, paragraphe 2, de la même directive, que, pendant toute la durée du séjour sur le territoire de l’État membre d’accueil supérieure à trois mois et inférieure à cinq ans, le citoyen de l’Union économiquement inactif doit, notamment, disposer, pour lui-même et pour les membres de sa famille, d’une assurance maladie complète afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour les finances publiques de cet État membre. Dans le cas d’un enfant, citoyen de l’Union, qui réside dans l’État d’accueil avec un parent assurant effectivement sa garde, cette exigence est satisfaite tant lorsque cet enfant dispose d’une assurance maladie complète qui couvre son parent, que dans l’hypothèse inverse où ce parent dispose d’une telle assurance couvrant l’enfant.

Or, dans le cas d’un citoyen de l’Union mineur dont l’un des parents, ressortissant d’un État tiers, a travaillé et a été assujetti à l’impôt dans l’État d’accueil pendant la période concernée, il serait disproportionné de refuser à cet enfant et au parent assurant effectivement sa garde un droit de séjour au seul motif que, pendant cette période, ils ont été affiliés gratuitement au système public d’assurance maladie de l’État d’accueil. En effet, il ne saurait être considéré que cette affiliation gratuite constitue, dans les conditions qui caractérisent l’affaire au principal, une charge déraisonnable pour les finances publiques dudit État.


( 1 ) Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 35). L’article 7, paragraphe 1, sous b), de cette directive dispose que tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil.

( 2 ) En vertu de l’article 16, paragraphe 1, dernière phrase, de la directive 2004/38.

( 3 ) Prévues à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.

( 4 ) L’article 16, paragraphe 2, de la directive 2004/38, dispose que le paragraphe 1 de cet article s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil.

( 5 ) Aux termes de l’article 2, point 2, de la directive 2004/38.