Affaire C‑228/20

I GmbH

contre

Finanzamt H

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Niedersächsisches Finanzgericht)

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 7 avril 2022

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 132, paragraphe 1, sous b) – Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général – Exonération de l’hospitalisation et des soins médicaux – Établissement hospitalier privé – Établissement dûment reconnu – Conditions sociales comparables »

  1. Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations – Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général – Exonération pour l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que pour les opérations leur étant étroitement liées – Établissements dûment reconnus – Notion – Établissements hospitaliers privés – Inclusion

    [Directive du Conseil 2006/112, art. 132, § 1, b), et 133]

    (voir points 48-52, 55-60)

  2. Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations – Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général – Exonération pour l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que pour les opérations leur étant étroitement liées – Établissements dûment reconnus – Éléments à prendre en considération aux fins de la reconnaissance des établissements – Pouvoir d’appréciation des États membres – Limite – Respect du principe de neutralité fiscale

    [Directive du Conseil 2006/112, art. 132, § 1, b)]

    (voir points 61-63)

  3. Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations – Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général – Exonération pour l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que pour les opérations leur étant étroitement liées – Prestations de soins fournies par des établissements hospitaliers privés – Fourniture de prestations similaires dans des conditions sociales comparables à celles valant pour les organismes de droit public – Législation nationale conduisant à un traitement différent à l’égard de l’exonération – Inadmissibilité

    [Directive du Conseil 2006/112, art. 132, § 1, b)]

    (voir point 70, disp. 1)

  4. Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Exonérations – Exonérations en faveur de certaines activités d’intérêt général – Exonération pour l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que pour les opérations leur étant étroitement liées – Prestations de soins fournies par des établissements hospitaliers privés – Fourniture de prestations similaires dans des conditions sociales comparables à celles valant pour les organismes de droit public – Vérification du caractère comparable des conditions sociales – Éléments à prendre en considération

    [Directive du Conseil 2006/112, art. 132, § 1, b)]

    (voir points 75-83, disp. 2)

Résumé

I GmbH est une société de droit privé allemand ayant pour objet, notamment, l’exploitation d’un établissement hospitalier dans le domaine de la neurologie. Elle fournit, avec l’autorisation de l’État, des prestations hospitalières, au sens du droit allemand, à des patients relevant, pour la prise en charge de leurs frais médicaux, de différents systèmes, parmi lesquels des régimes d’assurance maladie privés ou légaux. Ces patients sont traités au cas par cas, après confirmation de la prise en charge de leurs frais par les services de la « Beihilfe » (aide versée aux fonctionnaires en cas de maladie), des caisses d’assurance maladie, des caisses de substitution ou des assurances privées.

Dans ses déclarations fiscales, au titre des exercices 2009 à 2012, I a traité les prestations hospitalières facturées sur la base des forfaits de soin, ainsi que les redevances facturées aux médecins disposant de lits dans un service hospitalier, comme des opérations exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « TVA »).

En vertu du droit de l’Union ( 1 ), sont exonérées de TVA les prestations hospitalières assurées par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers et d’autres établissements de même nature dûment reconnus ( 2 ). La loi allemande transposant la directive TVA prévoit que les prestations hospitalières fournies par des organismes de droit public sont exonérées de TVA et qu’un établissement hospitalier autre qu’un organisme de droit public peut également bénéficier de cette exonération, pour les mêmes prestations, s’il dispose d’un agrément au sens du droit national, en raison, soit de son intégration dans le plan hospitalier d’un Land, soit de la conclusion de conventions de prestation de soins avec les caisses d’assurance maladie ou de substitution légales.

En l’occurrence, avant le 1er juillet 2012, I n’était pas considérée comme un établissement hospitalier agréé au sens du droit allemand. En revanche, ayant conclu avec une caisse d’assurance accident une convention-cadre entrée en vigueur à cette date, I pouvait se prévaloir de l’exonération pour les prestations hospitalières effectuées après cette date.

I a contesté devant la juridiction de renvoi la décision de l’administration fiscale, considérant que la plupart des prestations effectuées avant le 1er juillet 2012 ne devaient pas être exonérées de la TVA. Selon I, ces prestations le sont en vertu de la directive TVA.

Cette juridiction estime que le régime applicable, en Allemagne, aux prestations fournies par les établissements hospitaliers autres que des organismes de droit public peut conduire à traiter de manière différente des prestations comparables. Dans ces conditions, elle demande à la Cour s’il est compatible avec la directive TVA de soumettre l’exonération des prestations de soins fournies par un établissement hospitalier privé à l’agrément de cet établissement conformément aux dispositions nationales relatives au régime général d’assurance maladie et, dans la négative, quels sont les éléments permettant de déterminer que les prestations assurées par de tels établissements hospitaliers privés sont réalisées « dans des conditions sociales comparables », au sens de la directive TVA, à celles qui valent pour des organismes de droit public.

Par son arrêt, la Cour dit pour droit que la directive TVA s’oppose à une législation nationale qui conduit à ce que des établissements hospitaliers privés fournissant des prestations similaires dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour les organismes de droit public soient traités de manière différente à l’égard de l’exonération prévue par ladite directive. Dans ce cadre, la Cour précise les conditions que les autorités compétentes d’un État membre peuvent prendre en considération pour déterminer si les prestations assurées par des établissements hospitaliers de droit privé sont réalisées « dans des conditions sociales comparables » à celles qui valent pour les organismes de droit public, au sens de la directive TVA, parmi lesquelles les conditions visant à réduire les coûts des soins de santé et à rendre ces soins plus accessibles aux particuliers, ainsi que les indicateurs de performance de l’hôpital.

Appréciation par la Cour

L’une des deux conditions cumulatives requises par la directive TVA pour que les prestations d’hospitalisation, offertes par une entité autre qu’un organisme de droit public, puissent être exonérées de la TVA, se rapporte à la qualité de l’établissement effectuant ces prestations et exige que l’opérateur soit un établissement hospitalier, un centre de soins médicaux et de diagnostic ou un autre établissement de même nature dûment reconnu. À cet égard, la Cour relève, tout d’abord, que l’exigence d’être « dûment reconnu » se rapporte à toutes les entités visées à l’article 132, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA et ne se limite pas aux « autres établissements de même nature ». Par conséquent, un État membre peut, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, soumettre un établissement hospitalier privé à la condition d’être « dûment reconnu » afin que les prestations de soins fournies par celui-ci dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour les organismes de droit public puissent être exonérées conformément à la directive TVA.

Ensuite, la Cour examine les éléments à prendre en compte aux fins de la reconnaissance des établissements pouvant bénéficier de l’exonération en cause. Pour la mise en œuvre de cette exonération, le respect de la neutralité fiscale exige que l’ensemble des organismes autres que ceux de droit public soient mis sur un pied d’égalité aux fins de leur reconnaissance pour la fourniture de prestations similaires. Or, l’exercice d’un pouvoir d’appréciation concernant la conclusion d’une convention avec un établissement hospitalier et l’absence d’obligation, pour les pouvoirs publics, d’intégrer dans leur plan hospitalier les établissements de droit privé réalisant des opérations dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour les organismes de droit public peuvent avoir pour conséquence, en méconnaissance du principe de neutralité fiscale, que des établissements hospitaliers privés comparables soient traités de manière différente à l’égard de l’exonération.

Enfin, concernant l’autre condition requise par la directive TVA pour l’exonération des prestations d’hospitalisation offertes par une entité autre qu’un organisme de droit public, qui se rapporte aux prestations fournies et exige que celles-ci soient assurées dans des « conditions sociales comparables » à celles qui valent pour les organismes de droit public, la Cour indique que, pour apprécier si les prestations d’un établissement hospitalier privé sont assurées dans ces conditions, il convient de prendre en considération, d’une part, les conditions réglementaires applicables aux prestations fournies par les établissements hospitaliers de droit public, dans l’objectif de réduire les coûts des soins de santé et de rendre des soins de bonne qualité plus accessibles aux particuliers, ainsi que, d’autre part, les coûts des prestations fournies par l’établissement hospitalier privé qui restent à la charge des patients ( 3 ). La performance de l’établissement hospitalier privé, en matière de personnel, de locaux et d’équipement, ainsi que l’efficacité économique de sa gestion peuvent également être prises en considération, dès lors que les établissements hospitaliers de droit public sont soumis à des indicateurs de gestion comparables et que ces derniers contribuent à atteindre l’objectif de réduire les coûts des soins de santé et à rendre des soins de bonne qualité plus accessibles aux particuliers.


( 1 ) Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

( 2 ) L’article 132, paragraphe 1, sous b) de ladite directive prévoit que les États membres exonèrent l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d’autres établissements de même nature dûment reconnus.

( 3 ) La Cour précise, à cet égard, qu’il peut être pertinent d’apprécier si les forfaits journaliers sont calculés de manière comparable dans un établissement hospitalier privé et dans un établissement hospitalier de droit public et qu’il revient à la juridiction de renvoi d’examiner si les prestations fournies par l’établissement hospitalier privé sont prises en charge par le régime de sécurité sociale ou au titre de conventions conclues avec les autorités publiques nationales, de sorte que le coût supporté par le patient se rapproche de celui supporté, pour des prestations similaires, par le patient d’un établissement de droit public.