ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

28 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/65/UE – Marchés d’instruments financiers – Règlement délégué (UE) 2017/565 – Entreprises d’investissement – Article 56 – Évaluation du caractère approprié et obligations en matière d’enregistrement connexes – Article 72 – Conservation des enregistrements – Modalités de conservation – Informations concernant la catégorisation des clients – Informations sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement »

Dans l’affaire C‑95/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Varna (tribunal administratif de Varna, Bulgarie), par décision du 11 février 2020, parvenue à la Cour le 25 février 2020, dans la procédure

« Varchev Finans » EOOD

contre

Komisia za finansov nadzor,

en présence de :

Okrazhna prokuratura – Varna,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour « Varchev Finans » EOOD, par Me M. Valchanova, advokat,

pour Komisia za finansov nadzor, par Mmes B. Gercheva, L. Valchovska et M. Vasileva,

pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, initialement par Mme Y. Marinova ainsi que par MM. J. Rius et T. Scharf, puis par Mme Y. Marinova et M. T. Scharf, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56, paragraphe 2, et de l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2017/565 de la Commission, du 25 avril 2016, complétant la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive (JO 2017, L 87, p. 1), lus en combinaison avec l’annexe I de ce règlement délégué.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Varchev Finans » EOOD à la Komisia za finansov nadzor (commission de surveillance financière, Bulgarie) (ci-après la « KFN ») au sujet des sanctions pécuniaires infligées à cette société pour violation de l’obligation de tenir des registres relatifs à la catégorisation des clients et à l’information fournie à ceux-ci sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2014/65/UE

3

L’article 16 de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/92/CE et la directive 2011/61/UE (JO 2014, L 173, p. 349), intitulé « Exigences organisationnelles », dispose, à son paragraphe 6 :

« Toute entreprise d’investissement veille à conserver un enregistrement de tout service fourni, de toute activité exercée et de toute transaction effectuée par elle-même permettant à l’autorité compétente d’exercer ses missions de surveillance et ses activités de contrôle conformément à la présente directive, au règlement (UE) no 600/2014 [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 84)], à la directive 2014/57/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché (directive relative aux abus de marché) (JO 2014, L 173, p. 179)] et au règlement (UE) no 596/2014 [du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission (JO 2014, L 173, p. 1)], et en particulier de contrôler le respect de toutes les obligations qui incombent à l’entreprise, y compris à l’égard de ses clients ou clients potentiels et concernant l’intégrité du marché. »

4

L’article 25 de la directive 2014/65, intitulé « Évaluation de l’adéquation et du caractère approprié et information des clients », prévoit, à ses paragraphes 2, 3, 5 et 8 :

« 2.   Lorsqu’elle fournit des conseils en investissement ou des services de gestion de portefeuille, l’entreprise d’investissement se procure les informations nécessaires concernant les connaissances et l’expérience du client ou du client potentiel en matière d’investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service, sa situation financière, y compris sa capacité à subir des pertes, et ses objectifs d’investissement, y compris sa tolérance au risque, de manière à pouvoir lui recommander les services d’investissement et les instruments financiers qui lui conviennent et, en particulier, sont adaptés à sa tolérance au risque et à sa capacité à subir des pertes.

Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une entreprise d’investissement fournit des conseils en investissement recommandant une offre groupée de services ou de produits conformément à l’article 24, paragraphe 11, l’offre groupée dans son ensemble convienne.

3.   Lorsque les entreprises d’investissement fournissent des services d’investissement autres que ceux visés au paragraphe 2, les États membres veillent à ce qu’elles demandent au client ou au client potentiel de donner des informations sur ses connaissances et sur son expérience en matière d’investissement en rapport avec le type spécifique de produit ou de service proposé ou demandé pour être en mesure de déterminer si le service ou le produit d’investissement envisagé convient au client. Lorsqu’une offre groupée de services ou de produits est envisagée conformément à l’article 24, paragraphe 11, l’évaluation porte sur le caractère approprié de l’offre groupée dans son ensemble.

Si l’entreprise d’investissement estime, sur la base des informations reçues en vertu du premier alinéa, que le produit ou le service ne convient pas au client ou au client potentiel, elle l’en avertit. Cet avertissement peut être transmis sous une forme normalisée.

Si le client ou le client potentiel ne fournit pas les informations visées au premier alinéa, ou si les informations fournies sur ses connaissances et son expérience sont insuffisantes, l’entreprise d’investissement l’avertit qu’elle n’est pas en mesure de déterminer si le service ou le produit envisagé lui convient. Cet avertissement peut être transmis sous une forme normalisée.

[...]

5.   L’entreprise d’investissement constitue un dossier incluant le ou les documents conclus par l’entreprise d’investissement et le client, où sont énoncés les droits et les obligations des parties ainsi que les autres conditions auxquelles la première fournit des services au second. Les droits et les obligations des parties au contrat peuvent être incorporés par référence à d’autres documents ou textes juridiques.

[...]

8.   La Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 89 pour garantir que les entreprises d’investissement se conforment aux principes énoncés aux paragraphes 2 à 6 du présent article lors de la fourniture de services d’investissement ou de services auxiliaires à leurs clients, y compris en ce qui concerne les informations à obtenir lors de l’évaluation du caractère adéquat ou approprié des services et des instruments financiers pour leurs clients [...] »

Le règlement délégué 2017/565

5

Le règlement délégué 2017/565 a été adopté sur le fondement, notamment, de l’article 25, paragraphe 8, de la directive 2014/65.

6

Le considérant 92 de ce règlement délégué énonce :

« Les enregistrements qu’une entreprise d’investissement est tenue de conserver doivent être adaptés en fonction de son type d’activité et de l’éventail des services et des activités d’investissement qu’elle fournit, sous réserve du respect de ses obligations en matière d’enregistrement définies dans la directive [2014/65], dans le règlement [no 600/2014], dans le règlement [no 596/2014], dans la directive [2014/57] et dans le présent règlement et sous réserve que les autorités compétentes soient en mesure d’exercer leurs missions de surveillance et leurs activités de contrôle afin de garantir la protection de l’investisseur et l’intégrité du marché. »

7

L’article 50 du règlement délégué 2017/565, intitulé « Informations sur les coûts et les frais liés », dispose, à son paragraphe 2 :

« En ce qui concerne la divulgation ex-ante et ex-post aux clients d’informations relatives aux coûts et frais, les entreprises d’investissement agrègent les sommes suivantes :

a)

l’ensemble des coûts et frais liés facturés par l’entreprise d’investissement ou d’autres parties lorsque le client a été adressé à ces autres parties, pour le ou les services d’investissement et/ou des services auxiliaires fournis au client ; et

b)

l’ensemble des coûts et frais liés associés à la production et à la gestion des instruments financiers.

[...] »

8

L’article 56 de ce règlement délégué, intitulé « Évaluation du caractère approprié et obligations en matière d’enregistrement connexes », dispose :

« 1.   Les entreprises d’investissement déterminent si leur client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents au produit ou au service d’investissement proposé ou demandé lorsqu’elles évaluent le caractère approprié pour un client d’un service d’investissement conformément à l’article 25, paragraphe 3, de la directive [2014/65].

Une entreprise d’investissement est autorisée à présumer qu’un client professionnel possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à ces services d’investissement ou transactions particuliers, ou aux types de transactions ou de produits pour lesquels le client est classé en tant que client professionnel.

2.   Les entreprises d’investissement conservent les enregistrements des évaluations du caractère approprié effectuées, qui comprennent :

a)

le résultat de l’évaluation du caractère approprié ;

b)

tout avertissement donné au client lorsque l’achat de produit ou de service d’investissement a été évalué comme potentiellement inapproprié pour le client, le fait que le client ait demandé ou non d’effectuer la transaction malgré l’avertissement et, le cas échéant, le fait que l’entreprise ait accepté ou non de procéder à la transaction à la demande du client ;

c)

tout avertissement donné au client lorsque le client n’a pas fourni suffisamment d’informations pour permettre à l’entreprise d’effectuer une évaluation de l’adéquation, le fait que le client ait demandé ou non d’effectuer la transaction malgré l’avertissement et, le cas échéant, le fait que l’entreprise ait accepté ou non de procéder à la transaction à la demande du client. »

9

L’article 72 dudit règlement délégué, intitulé « Conservation des enregistrements », prévoit :

« 1.   Les enregistrements sont conservés sur un support qui permet le stockage d’informations de telle façon qu’elles puissent être consultées ultérieurement par l’autorité compétente, et sous une forme et d’une manière qui satisfont aux conditions suivantes :

a)

l’autorité compétente peut y accéder facilement et reconstituer chaque étape essentielle du traitement de chaque transaction ;

b)

il est possible de vérifier aisément toute correction ou autre modification, ainsi que le contenu des enregistrements avant ces corrections ou modifications ;

c)

il n’est pas possible de manipuler ou d’altérer les enregistrements de quelque autre façon que ce soit ;

d)

une exploitation informatique ou toute autre exploitation efficace est possible lorsque l’analyse des données ne peut pas être facilement effectuée en raison du volume et de la nature des données ; et

e)

les dispositions de l’entreprise respectent les obligations d’enregistrement indépendamment de la technologie utilisée.

2.   Les entreprises d’investissement conservent au moins les enregistrements identifiés à l’annexe I du présent règlement, en fonction de la nature de leurs activités.

La liste d’enregistrements figurant à l’annexe I du présent règlement s’entend sans préjudice de toute autre obligation en matière d’enregistrement découlant d’un autre texte législatif.

3.   Les entreprises d’investissement conservent également des enregistrements écrits de toutes les politiques et procédures qu’elles sont tenues d’appliquer conformément à la directive [2014/65], au règlement [no 600/2014], à la directive [2014/57] et au règlement [no 596/2014] et à leurs mesures d’exécution respectives.

Les autorités compétentes peuvent exiger des entreprises d’investissement qu’elles conservent des enregistrements supplémentaires en plus de ceux figurant dans la liste de l’annexe I du présent règlement. »

10

L’annexe I du règlement délégué 2017/565, intitulée « Enregistrements », contient une liste minimale des enregistrements que doivent conserver les entreprises d’investissement en fonction de la nature de leurs activités. Selon cette liste, les informations devant être enregistrées comprennent, notamment, au titre de l’« Évaluation du client », des informations liées à l’« Évaluation de l’adéquation et du caractère approprié du service à fournir » et, au titre de la « Communication avec les clients », l’« Information sur les coûts et frais liés ».

Le droit bulgare

11

Conformément à l’article 71, paragraphe 2, point 4, du Zakon za pazarite na finansovi instrumenti (loi sur les marchés d’instruments financiers) (DV no 15, du 16 février 2018), dans sa version applicable au litige au principal, les entreprises d’investissement communiquent à leurs clients ou aux clients potentiels, en temps opportun, de manière adéquate et dans le respect des exigences relatives à la communication d’une information véridique, claire et non trompeuse, des informations relatives aux différents coûts et frais à la charge du client et le montant de ceux-ci.

12

En vertu du paragraphe 9, point 16, première hypothèse, de l’article 290 de cette loi, lu en combinaison avec le paragraphe 1, point 16, de cet article, en cas de violation des exigences prévues par un règlement de l’Union européenne, les personnes morales et les commerçants personnes physiques se voient infliger, sauf disposition contraire, une sanction pécuniaire de 5000 à 1000000 leva bulgares (BGN) (environ 2500 à 510000 euros) et, en cas de récidive, une sanction pécuniaire de 10000 à 2000000 BGN (environ 5000 à 1020000 euros).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

Varchev Finans est une entreprise d’investissement disposant d’une licence, délivrée par la KFN, l’autorisant à fournir des services d’investissement et à exercer des activités d’investissement.

14

En application d’une ordonnance du vice-président de la KFN du 20 août 2018, Varchev Finans a fait l’objet d’un contrôle, dans le cadre duquel il lui a été ordonné de donner accès à tous les registres qu’elle tenait conformément aux exigences réglementaires. Il a été constaté que Varchev Finans ne conservait ni de registre consignant des données relatives aux évaluations du caractère approprié des produits et des services d’investissement effectuées pour ses clients, ni de registre conservant l’information communiquée aux clients sur les coûts et les frais des services d’investissement.

15

En conséquence, par une décision du 20 mai 2019, Varchev Finans s’est vu infliger deux sanctions pécuniaires pour infraction, premièrement, à l’article 56, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, lu en combinaison avec l’article 72, paragraphe 2, et l’annexe I de ce règlement délégué et, deuxièmement, à l’article 72, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’annexe I dudit règlement délégué.

16

Varchev Finans a introduit un recours contre cette décision devant le Rayonen sad Varna (tribunal d’arrondissement de Varna, Bulgarie), qui a rejeté ce recours et confirmé que Varchev Finans ne tenait pas de registres, en violation des exigences découlant du règlement délégué 2017/565.

17

Varchev Finans s’est pourvue en cassation devant l’Administrativen sad Varna (tribunal administratif de Varna, Bulgarie), la juridiction de renvoi, contre le jugement du Rayonen sad Varna (tribunal d’arrondissement de Varna), en faisant valoir, notamment, que le règlement délégué 2017/565 avait été interprété et appliqué d’une manière erronée par la KFN. À la lecture des versions en langues allemande, anglaise et française de ce règlement délégué, Varchev Finans ne serait pas dans l’obligation de tenir des registres au sens formel, mais uniquement de conserver les « enregistrements », ces derniers étant – conformément à ce qui aurait été établi par la KFN – disponibles dans l’entreprise.

18

La KFN soutient, en revanche, qu’il ressort de la version en langue bulgare des dispositions de ce règlement délégué qu’il y aurait lieu pour la requérante au principal de tenir des registres au sens formel.

19

La juridiction de renvoi estime, au vu de ces arguments et ayant comparé les versions en langues bulgare, allemande, anglaise et française des termes pertinents figurant à l’article 56, paragraphe 2, et à l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, qu’une décision préjudicielle est nécessaire en vue de déterminer si, en vertu de ces dispositions, il suffit que les informations visées dans celles-ci soient consignées dans les dossiers des clients de l’entreprise d’investissement ou s’il convient qu’elles soient consignées de manière systématique dans des registres séparés.

20

Dans ces conditions, l’Administrativen sad Varna (tribunal administratif de Varna) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 56, paragraphe 2, [du règlement délégué 2017/565,] combiné à l’article 72, paragraphe 2, [et] à l’annexe I [de ce règlement délégué], exige-t-il que :

les entreprises d’investissement tiennent (gardent à jour) un registre indépendant unique (en tant que base de données informatique) avec des enregistrements relatifs aux évaluations de l’adéquation et du caractère approprié effectuées pour chaque client, ayant le contenu prévu à l’article 25, paragraphes 2 et 3, de la directive [2014/65] et à l’article 50 du [règlement délégué 2017/565] ?

[o]u suffit-il que l’entreprise d’investissement dispose des données précitées et que celles–ci soient jointes au dossier du client concerné conformément à l’article 25, paragraphe 5, de la directive [2014/65] et stockées de telle façon qu’elles puissent être consultées ultérieurement par l’autorité compétente, et sous une forme et d’une manière qui satisfont aux conditions de l’article 72, paragraphe 1, [dudit] règlement délégué ?

2)

L’article 72, paragraphe 2, [du règlement délégué 2017/565,] combiné à l’annexe I [de ce règlement délégué], exige-t-il que :

les entreprises d’investissement tiennent (gardent à jour) un registre indépendant unique (en tant que base de données informatique) avec des enregistrements relatifs aux informations communiquées à chaque client sur les coûts et les frais liés, ayant le contenu prévu à l’article 45 du règlement délégué [2017/565] pour tous les clients ?

[o]u suffit-il que l’entreprise d’investissement dispose des données précitées et que celles–ci soient jointes au dossier du client concerné conformément à l’article 25, paragraphe 5, de la directive [2014/65] et stockées de telle façon qu’elles puissent être consultées ultérieurement par l’autorité compétente, et sous une forme et d’une manière qui satisfont aux conditions de l’article 72, paragraphe 1, [dudit] règlement délégué ? »

Sur les questions préjudicielles

21

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56, paragraphe 2, et l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, lus en combinaison avec l’annexe I de ce règlement délégué, doivent être interprétés en ce sens que les entreprises d’investissement sont tenues de conserver les enregistrements relatifs aux évaluations de l’adéquation et du caractère approprié des produits ou des services d’investissement effectuées pour chaque client ainsi qu’aux informations communiquées à chaque client sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement dans des registres indépendants uniques, notamment sous la forme d’une base de données informatique.

22

Il convient de relever, tout d’abord, que, à supposer même que, ainsi que le souligne la KFN, dans la version en langue bulgare de ces dispositions, en ce qu’il y est employé le terme « registri », celles-ci s’entendent comme se référant à une obligation de tenir des registres au sens formel, il existe, comme il a été relevé tant par la juridiction de renvoi que par l’ensemble des parties au principal, des divergences entre les différentes versions linguistiques desdites dispositions.

23

En effet, tandis que certaines versions linguistiques de l’article 56, paragraphe 2, et de l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, ainsi que de son annexe I, se réfèrent, à l’instar de la version en langue bulgare, au « registre », telles que les versions en langues espagnole (« registros »), anglaise (« records »), italienne (« registrazioni ») ou portugaise (« registos »), d’autres versions linguistiques se réfèrent plutôt à de simples « enregistrements », telles que les versions en langues allemande (« Aufzeichnungen ») ou française (« enregistrements ») de ces dispositions, si bien qu’il ne saurait en être déduit sans équivoque qu’il convient de comprendre ces termes comme visant des registres au sens formel plutôt que de simples « enregistrements ».

24

À cet égard, il y a lieu, dès lors, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans l’une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent en effet être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union et, en cas de divergence entre ces diverses versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 25 juillet 2018, Teglgaard et Fløjstrupgård, C‑239/17, EU:C:2018:597, points 37 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

25

À cet effet, il importe de relever que les obligations en matière d’enregistrement que le règlement délégué 2017/565 impose aux entreprises d’investissement sont énoncées non seulement de manière ponctuelle à certaines dispositions de ce règlement délégué comme, en ce qui concerne les évaluations du caractère approprié des produits et des services d’investissement effectuées, à l’article 56, paragraphe 2, dudit règlement délégué, mais également de manière générale dans la section 8 du chapitre III du même règlement délégué, relative aux « Enregistrements ».

26

À cette section figure l’article 72 du règlement délégué 2017/565, qui porte sur la « Conservation des enregistrements ». Celui-ci dispose, d’une part, à son paragraphe 1, que celle-ci doit s’effectuer sous une forme et d’une manière qui satisfont aux conditions énoncées aux points a) à e) de ce paragraphe, notamment à celle selon laquelle l’autorité compétente doit pouvoir accéder facilement aux enregistrements concernés.

27

D’autre part, à son paragraphe 2, l’article 72 de ce règlement délégué prévoit l’obligation de conserver au moins les enregistrements figurant sur la liste de l’annexe I dudit règlement délégué, dont ceux en cause au principal, relatifs aux évaluations de l’adéquation et du caractère approprié des produits et des services d’investissement effectuées pour chaque client et aux informations communiquées à chaque client sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement.

28

Ainsi qu’il ressort du considérant 92 du même règlement délégué, ces exigences relatives à la conservation des enregistrements visent à assurer que les autorités compétentes soient en mesure d’exercer leurs missions de surveillance et leurs activités de contrôle afin de garantir la protection de l’investisseur ainsi que l’intégrité du marché.

29

Il découle ainsi de l’économie générale et de la finalité des dispositions du règlement délégué 2017/565 en matière d’obligations d’enregistrement que celui-ci vise à prescrire les informations que les entreprises d’investissement sont, au minimum, tenues de conserver, tout en se limitant, en ce qui concerne la forme et la manière de la conservation de ces informations, à imposer certaines exigences auxquelles cette conservation doit répondre, notamment une accessibilité aisée pour les autorités de contrôle compétentes.

30

Il s’ensuit que, en ce qu’elles se référent, dans leurs différentes versions linguistiques, à des « registres », ces dispositions ne sauraient être interprétées de façon à imposer aux entreprises d’investissement une forme spécifique de conservation des informations concernées, comme la mise en place d’un registre indépendant unique sous la forme d’une base de données informatique.

31

Une telle interprétation priverait de sa raison d’être la définition des exigences auxquelles la conservation des enregistrements doit répondre, figurant à l’article 72, paragraphe 1, sous a) à e), du règlement délégué 2017/565.

32

En particulier, il ressort de l’article 72, paragraphe 1, sous e), de ce règlement délégué que les dispositions de l’entreprise d’investissement doivent respecter les obligations d’enregistrement « indépendamment de la technologie utilisée ». Il s’ensuit que ledit règlement délégué repose sur une certaine « neutralité technologique », en ce sens qu’il laisse le choix du mode de conservation des enregistrements aux entreprises d’investissement, à condition que le mode choisi réponde à l’ensemble des exigences prévues à l’article 72, paragraphe 1, du règlement délégué 2017/565.

33

Une interprétation des dispositions de l’article 56, paragraphe 2, et de l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, ainsi que de son annexe I, en ce sens que les formulations qui y sont utilisées visent des registres au sens formel plutôt que de simples « enregistrements », ne ressort pas davantage de la directive 2014/65 sur le fondement de laquelle ce règlement délégué a été adopté.

34

En effet, ni l’article 16, paragraphe 6, de la directive 2014/65 – qui impose aux États membres de veiller à ce que toute entreprise d’investissement conserve un enregistrement de tout service fourni, de toute activité exercée et de toute transaction effectuée par elle-même, permettant à l’autorité compétente d’exercer ses missions de surveillance et ses activités de contrôle – ni l’article 25, paragraphe 5, de cette directive en vertu duquel l’entreprise d’investissement doit constituer un dossier incluant le ou les documents conclus entre elle et le client, où sont énoncés les droits et les obligations des parties ainsi que les autres conditions auxquelles elle fournit des services au client –, ne prescrivent la forme technique sous laquelle les enregistrements des entreprises d’investissement doivent être conservés.

35

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 56, paragraphe 2, et l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué 2017/565, lus en combinaison avec l’annexe I de ce règlement délégué, doivent être interprétés en ce sens que les entreprises d’investissement ne sont pas tenues de conserver les enregistrements relatifs aux évaluations de l’adéquation et du caractère approprié des produits et des services d’investissement effectuées pour chaque client ainsi qu’aux informations communiquées à chaque client sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement dans des registres indépendants uniques, notamment sous la forme d’une base de données informatique, le mode de conservation de ces enregistrements pouvant être librement choisi à condition, toutefois, qu’il satisfasse à l’ensemble des exigences prévues à l’article 72, paragraphe 1, dudit règlement délégué.

Sur les dépens

36

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

 

L’article 56, paragraphe 2, et l’article 72, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2017/565 de la Commission, du 25 avril 2016, complétant la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables aux entreprises d’investissement et la définition de certains termes aux fins de ladite directive, lus en combinaison avec l’annexe I de ce règlement délégué, doivent être interprétés en ce sens que les entreprises d’investissement ne sont pas tenues de conserver les enregistrements relatifs aux évaluations de l’adéquation et du caractère approprié des produits et des services d’investissement effectuées pour chaque client ainsi qu’aux informations communiquées à chaque client sur les coûts et les frais liés aux services d’investissement dans des registres indépendants uniques, notamment sous la forme d’une base de données informatique, le mode de conservation de ces enregistrements pouvant être librement choisi à condition, toutefois, qu’il satisfasse à l’ensemble des exigences prévues à l’article 72, paragraphe 1, dudit règlement délégué.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.