Affaire C‑91/20

LW

contre

Bundesrepublik Deutschland

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesverwaltungsgericht)

Arrêt de la Cour(grande chambre) du 9 novembre 2021

« Renvoi préjudiciel – Politique commune en matière d’asile et de protection subsidiaire – Normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale – Directive 2011/95/UE – Articles 3 et 23 – Normes plus favorables pouvant être maintenues ou adoptées par les États membres aux fins d’étendre le bénéfice du droit d’asile ou de la protection subsidiaire aux membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale – Octroi, à titre dérivé, du statut de réfugié d’un parent à son enfant mineur – Maintien de l’unité familiale – Intérêt supérieur de l’enfant »

  1. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95 – Qualité de réfugié – Notion – Conditions cumulatives – Risque de subir une persécution et défaut de protection du ressortissant d’un pays tiers par le pays de sa nationalité

    [Directive du Parlement européen et du Conseil 2011/95, art. 2, d)]

    (voir points 29, 30)

  2. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95 – Procédure d’examen d’une demande de protection internationale – Évaluation des faits et des circonstances – Prise en compte des menaces de persécution et d’atteintes graves pesant sur un membre de la famille du demandeur

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2011/95, considérant 36)

    (voir point 35)

  3. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95 – Normes plus favorables – Réglementation nationale permettant d’étendre le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire aux membres de la famille d’une personne bénéficiant d’un tel statut – Admissibilité – Conditions – Exigence d’un lien entre cette extension du statut de réfugié et la logique de protection internationale – Limites – Personne relevant d’une clause d’exclusion prévue par la directive ou personne ayant droit, en fonction de sa nationalité ou de son statut juridique personnel, à un meilleur traitement dans l’État membre que celui résultant de l’extension du statut de réfugié

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2011/95, considérant 14 et art. 3 et 23, § 1 et 2)

    (voir points 38-41, 43-46, 48, 49, 54)

  4. Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’asile – Statut de réfugié ou statut conféré par la protection subsidiaire – Directive 2011/95 – Respect des droits fondamentaux – Droit au respect de la vie familiale – Obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant

    (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 7 et 24, § 2 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2011/95, considérant 16 et art. 23, § 2)

    (voir point 55)

Résumé

Le régime d’asile européen commun ne s’oppose, en principe, pas à ce qu’un État membre étende automatiquement, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur d’un parent auquel a été octroyé ce statut

La requérante au principal, LW, de nationalité tunisienne, est née en Allemagne en 2017 d’une mère tunisienne, dont la demande d’asile n’a pas abouti, et d’un père syrien, auquel a été octroyé en 2015 le statut de réfugié. La demande d’asile introduite au nom de LW a été rejetée par décision du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral des migrations et des réfugiés, Allemagne).

N’ayant pas obtenu gain de cause devant le tribunal saisi d’un recours contre cette décision, LW a formé un pourvoi en Revision contre le jugement de ce tribunal devant la juridiction de renvoi, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne).

La juridiction de renvoi relève que LW ne peut prétendre à l’octroi du statut de réfugié au titre d’un droit qui lui est propre. En effet, elle pourrait bénéficier d’une protection effective en Tunisie, un pays dont elle a la nationalité. Toutefois, LW remplirait les conditions, prévues par la législation nationale ( 1 ), pour se voir reconnaître, à titre dérivé et aux fins de la protection de la famille dans le cadre de l’asile, le statut de réfugié en tant qu’enfant mineur d’un parent auquel a été octroyé ce statut. En vertu de cette législation, il conviendrait d’octroyer le statut de réfugié également à un enfant qui est né en Allemagne et possède, par son autre parent, la nationalité d’un pays tiers sur le territoire duquel il ne serait pas persécuté.

Se demandant si une telle interprétation du droit allemand est compatible avec la directive 2011/95 ( 2 ), la juridiction de renvoi a sursis à statuer pour interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 3 ( 3 ) et de l’article 23, paragraphe 2 ( 4 ), de ladite directive. Par son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, répond que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, en vertu de dispositions nationales plus favorables, accorde, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à l’enfant mineur célibataire d’un ressortissant de pays tiers auquel ce statut a été reconnu, y compris lorsque cet enfant est né sur le territoire de cet État membre et possède, par son autre parent, la nationalité d’un autre pays tiers dans lequel il ne risquerait pas de persécution. La compatibilité avec la directive 2011/95 de telles dispositions nationales suppose, toutefois, que l’enfant ne relève pas d’une cause d’exclusion visée par cette directive et qu’il n’ait pas, par sa nationalité ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement dans ledit État membre que celui résultant de l’octroi du statut de réfugié.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour constate qu’un enfant se trouvant dans une situation telle que celle au principal ne satisfait pas aux conditions pour se voir octroyer, à titre individuel, le statut de réfugié en application du régime instauré par la directive 2011/95.

En effet, il résulte de ladite directive que la qualité de réfugié requiert la réunion de deux conditions, relatives, d’une part, à la crainte d’être persécuté et, d’autre part, au défaut de protection contre des actes de persécution par le pays tiers dont l’intéressé a la nationalité. Or, LW pourrait bénéficier d’une protection effective en Tunisie. La Cour rappelle, dans ce contexte, que, en application du régime instauré par la directive 2011/95, une demande de protection internationale ne saurait être accueillie, à titre individuel, au seul motif qu’un membre de la famille du demandeur nourrit une crainte fondée de persécution ou court un risque réel d’atteintes graves, lorsqu’il est établi que, malgré son lien avec ce membre de la famille et la vulnérabilité particulière qui en découle, le demandeur n’est pas lui-même exposé à des menaces de persécution ou d’atteintes graves ( 5 ).

En deuxième lieu, la Cour relève que la directive 2011/95 ne prévoit pas l’extension, à titre dérivé, du statut de réfugié aux membres de la famille d’un réfugié qui, individuellement, ne remplissent pas les conditions d’octroi de ce statut. En effet, l’article 23 de cette directive se limite à imposer aux États membres d’aménager leur droit national afin que de tels membres de la famille puissent prétendre, dans la mesure où cela est compatible avec leur statut juridique personnel, à certains avantages, parmi lesquels la délivrance d’un titre de séjour ou l’accès à l’emploi, qui ont pour objet de maintenir l’unité familiale. Par ailleurs, l’obligation pour les États membres de prévoir l’accès à ces avantages ne s’étend pas aux enfants d’un bénéficiaire d’une protection internationale qui sont nés dans l’État membre d’accueil d’une famille qui a été fondée dans celui-ci.

En troisième lieu, afin de déterminer si un État membre peut néanmoins octroyer, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, le statut de réfugié à un enfant dans une situation telle que celle de LW, la Cour rappelle que l’article 3 de la directive 2011/95 permet aux États membres d’adopter des normes plus favorables pour décider qui remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec cette directive.

De telles normes sont notamment incompatibles avec la directive si elles tendent à reconnaître le statut de réfugié à des ressortissants de pays tiers placés dans des situations dénuées de tout lien avec la logique de protection internationale ( 6 ). Or, l’extension automatique, à titre dérivé, du statut de réfugié à l’enfant mineur d’une personne à laquelle ce statut a été octroyé, indépendamment du fait que cet enfant satisfasse ou non individuellement aux conditions d’octroi dudit statut et y compris lorsque ledit enfant est né dans l’État membre d’accueil, qui est prévue par la législation en cause au principal aux fins du maintien de l’unité familiale des réfugiés, présente un lien avec la logique de protection internationale.

La Cour relève, cependant, qu’il peut y avoir des situations dans lesquelles l’extension automatique, à titre dérivé et aux fins du maintien de l’unité familiale, du statut de réfugié à l’enfant mineur d’un réfugié serait, malgré l’existence de ce lien, incompatible avec la directive 2011/95.

Ainsi, d’une part, la réserve figurant à l’article 3 de cette directive s’oppose à ce qu’un État membre adopte des dispositions octroyant le statut de réfugié à une personne qui en est exclue en vertu de l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive. Or, la législation nationale en cause au principal exclut de telles personnes du bénéfice de l’extension du statut de réfugié.

D’autre part, la réserve énoncée à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 exclut que des avantages accordés au bénéficiaire d’une protection internationale soient étendus à un membre de sa famille lorsque cela serait incompatible avec le statut juridique personnel dudit membre. La Cour précise la portée de cette réserve, qui doit être respectée également lorsqu’un État membre applique des normes plus favorables, adoptées conformément à l’article 3 de cette directive, en vertu desquelles le statut accordé au bénéficiaire d’une protection internationale est automatiquement étendu aux membres de sa famille, indépendamment de la satisfaction des conditions d’octroi de ce statut.

À cet égard, il serait incompatible avec le statut juridique personnel de l’enfant du bénéficiaire d’une protection internationale qui, individuellement, ne satisfait pas aux conditions pour obtenir cette protection, de lui étendre les avantages visés à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 ou le statut octroyé à ce bénéficiaire, lorsque cet enfant a la nationalité de l’État membre d’accueil ou une autre nationalité qui lui donne, compte tenu de tous les éléments caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement dans cet État membre que celui résultant d’une telle extension. Cette interprétation de la réserve figurant à l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2011/95 tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, à la lumière duquel cette disposition doit être interprétée et appliquée.

En l’occurrence, il n’apparaît pas que LW aurait, par sa nationalité tunisienne ou un autre élément caractérisant son statut juridique personnel, droit à un meilleur traitement en Allemagne que celui résultant de l’extension, à titre dérivé, du statut de réfugié accordé à son père.

Enfin, la Cour précise que la compatibilité avec la directive 2011/95 de l’application de dispositions nationales plus favorables, telles que celles en cause, à une situation telle que celle de LW, ne dépend pas du point de savoir s’il est possible, pour celle-ci et ses parents, de s’installer en Tunisie. L’article 23 de cette directive visant à permettre au réfugié de jouir des droits conférés par ce statut tout en maintenant l’unité de sa famille dans l’État membre d’accueil, l’existence d’une possibilité pour la famille de LW de s’installer en Tunisie ne saurait justifier que la réserve figurant au paragraphe 2 de cette disposition soit comprise comme excluant l’octroi à cette dernière du statut de réfugié, puisqu’une telle interprétation impliquerait que son père renonce au droit d’asile qui lui est conféré en Allemagne.


( 1 ) En l’occurrence, l’article 26, paragraphes 2 et 5, de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile), dans sa version applicable au litige au principal. Ces dispositions combinées prévoient la reconnaissance, à sa demande, de l’enfant mineur célibataire d’un réfugié comme étant bénéficiaire d’une protection internationale lorsque le statut acquis par son parent a un caractère définitif.

( 2 ) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9).

( 3 ) Cette disposition prévoit la possibilité, pour les États membres, d’adopter des normes plus favorables pour décider quelles sont les personnes qui remplissent les conditions d’octroi du statut de réfugié, et pour déterminer le contenu de la protection internationale, dans la mesure où ces normes sont compatibles avec la directive.

( 4 ) Cette disposition, qui a pour objet de garantir le maintien de l’unité familiale du bénéficiaire d’une protection internationale lorsque les membres de sa famille ne remplissent pas, individuellement, les conditions nécessaires pour bénéficier d’une telle protection, prévoit l’extension auxdits membres de certains des avantages octroyés au bénéficiaire.

( 5 ) Voir arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C 652/16, EU:C:2018:801, point 50).

( 6 ) Voir arrêt du 4 octobre 2018, Ahmedbekova (C 652/16, EU:C:2018:801, point 71).