ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

3 juin 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Article 22, paragraphe 6, premier alinéa, lu en combinaison avec l’article 29 – Communication des motifs à la personne concernée avant de prendre une décision susceptible d’avoir des conséquences défavorables à celle-ci – Article 103, paragraphe 1, et article 103, paragraphe 3, sous b) – Prescription de la dette douanière – Délai de notification de la dette douanière – Suspension du délai – Article 124, paragraphe 1, sous a) – Extinction de la dette douanière en cas de prescription – Application dans le temps de la disposition régissant les causes de suspension – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑39/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 24 janvier 2020, parvenue à la Cour le 27 janvier 2020, dans la procédure

Staatssecretaris van Financiën

contre

Jumbocarry Trading GmbH,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), E. Juhász, C. Lycourgos et I. Jarukaitis, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Jumbocarry Trading GmbH, par M. C. H. Bouwmeester et Mme E. M. Van Doornik, belastingadviseurs,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,

pour le Parlement européen, par M. R. van de Westelaken et Mme M. Peternel, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mme A. Sikora-Kalėda et M. S. Emmerechts, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. W. Roels et Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 février 2021,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 103, paragraphe 3, sous b), et de l’article 124, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, et rectificatif JO 2013, L 287, p. 90) (ci-après le « code des douanes de l’Union »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Staatssecretaris van Financiën (secrétaire d’État aux Finances, Pays-Bas) à Jumbocarry Trading GmbH (ci-après « Jumbocarry ») au sujet d’un avis de paiement de droits de douane portant sur un lot de marchandises importées dans l’Union européenne dont il s’est avéré qu’il ne pouvait bénéficier d’un taux de droits de douane préférentiel de 0 %.

Le cadre juridique

Le code des douanes communautaire

3

L’article 221 du règlement (CEE) no 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO 1992, L 302, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (JO 2000, L 311, p. 17) (ci-après le « code des douanes communautaire »), disposait :

« 1.   Le montant des droits doit être communiqué au débiteur selon des modalités appropriées dès qu’il a été pris en compte.

[...]

3.   La communication au débiteur ne peut plus être effectuée après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière. Ce délai est suspendu à partir du moment où est introduit un recours au sens de l’article 243 et pendant la durée de la procédure de recours. »

4

L’article 243, paragraphe 1, premier alinéa, dudit code énonçait :

« Toute personne a le droit d’exercer un recours contre les décisions prises par les autorités douanières qui ont trait à l’application de la réglementation douanière et qui la concernent directement et individuellement. »

Le code des douanes de l’Union

5

Le code des douanes de l’Union, qui est entré en vigueur le 30 octobre 2013 conformément à son article 287, a abrogé le code des douanes communautaire. Cependant, une grande partie de ses dispositions, en particulier ses articles 22, 29, 103, 104 et 124, ne sont devenues applicables, en vertu de son article 288, paragraphe 2, qu’à partir du 1er mai 2016.

6

L’article 22 du code des douanes de l’Union, intitulé « Décisions arrêtées à la suite d’une demande », énonce, à son paragraphe 6, premier alinéa :

« Avant de prendre une décision susceptible d’avoir des conséquences défavorables pour le demandeur, les autorités douanières informent le demandeur des motifs sur lesquels elles comptent fonder leur décision, lequel a la possibilité d’exprimer son point de vue dans un délai déterminé à compter de la date à laquelle il reçoit ou à laquelle il est réputé avoir reçu cette communication desdits motifs. À la suite de l’expiration de ce délai, le demandeur est informé, dans la forme appropriée, de la décision. »

7

L’article 29 de ce code, intitulé « Décisions arrêtées sans demande préalable », prévoit :

« Sauf lorsqu’une autorité douanière agit en qualité d’autorité judiciaire, l’article 22, paragraphes 4, 5, 6 et 7, l’article 23, paragraphe 3, et les articles 26, 27 et 28 s’appliquent également aux décisions arrêtées par les autorités douanières sans demande préalable de la personne concernée. »

8

L’article 103 dudit code, intitulé « Prescription de la dette douanière », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Aucune dette douanière n’est notifiée au débiteur après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de la naissance de la dette douanière.

2.   Lorsque la dette douanière est née par suite d’un acte qui, à l’époque où il a été accompli, était passible de poursuites judiciaires répressives, le délai de trois ans fixé au paragraphe 1 est porté à un minimum de cinq ans et un maximum de dix ans en conformité avec le droit national.

3.   Les délais fixés aux paragraphes 1 et 2 sont suspendus lorsque :

a)

un recours est formé conformément à l’article 44 ; cette suspension s’applique à partir de la date à laquelle le recours a été formé et sa durée correspond à celle de la procédure de recours ; ou

b)

les autorités douanières notifient au débiteur, conformément à l’article 22, paragraphe 6, les raisons pour lesquelles elles ont l’intention de notifier la dette douanière ; cette suspension s’applique à partir de la date de cette notification et jusqu’à la fin du délai imparti au débiteur pour lui permettre d’exprimer son point de vue. »

9

L’article 104 du code des douanes de l’Union, intitulé « Prise en compte », énonce, à son paragraphe 2 :

« Les autorités douanières peuvent ne pas prendre en compte des montants des droits à l’importation ou à l’exportation correspondant à une dette douanière qui ne peut plus être notifiée au débiteur en vertu de l’article 103. »

10

L’article 124 de ce code, intitulé « Extinction », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des dispositions applicables au non-recouvrement du montant des droits à l’importation ou à l’exportation correspondant à une dette douanière en cas d’insolvabilité du débiteur constatée par voie judiciaire, la dette douanière à l’importation ou à l’exportation s’éteint de l’une des manières suivantes :

a)

lorsque le débiteur ne peut plus recevoir de notification de la dette douanière, conformément à l’article 103 ;

[...] »

Le règlement délégué (UE) 2015/2446

11

L’article 8 du règlement délégué (UE) 2015/2446 de la Commission, du 28 juillet 2015, complétant le règlement no 952/2013 au sujet des modalités de certaines dispositions du code des douanes de l’Union (JO 2015, L 343, p. 1), intitulé « Délai applicable au droit d’être entendu », relatif à l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union, prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le demandeur dispose d’un délai de 30 jours pour exprimer son point de vue avant qu’une décision susceptible d’avoir des conséquences défavorables pour l’intéressé ne soit prise. »

12

Conformément à son article 256, ce règlement délégué, entré en vigueur le 18 janvier 2016, est devenu applicable à partir du 1er mai 2016.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

Le 4 juillet 2013, Jumbocarry a présenté une déclaration pour la mise en libre pratique d’un lot de marchandises en porcelaine indiquant le Bangladesh comme pays d’origine. Conformément à la réglementation en vigueur à l’époque, ces marchandises ont été mises en libre pratique avec application d’un taux de droits de douane préférentiel de 0 %.

14

Des contrôles ayant établi que le certificat d’origine était un faux, l’autorité douanière compétente a, par une lettre du 1er juin 2016, conformément à l’article 22, paragraphe 6, premier alinéa, du code des douanes de l’Union, informé Jumbocarry qu’une dette douanière au taux normal de 12 % était née et qu’elle envisageait le recouvrement des droits de douane correspondants. Dans la même lettre, elle précisait que Jumbocarry disposait, en vertu de l’article 8 du règlement délégué 2015/2446, d’un délai de 30 jours pour exprimer son point de vue à ce sujet.

15

Le 18 juillet 2016, la dette douanière, née le 4 juillet 2013, a été notifiée à Jumbocarry au moyen d’un avis de paiement.

16

Estimant que la dette douanière était prescrite à la date où l’avis de paiement lui avait été notifié, Jumbocarry a introduit une réclamation contre l’avis de paiement puis, l’autorité douanière compétente n’ayant accueilli que partiellement sa réclamation, un recours devant le rechtbank Noord-Holland (tribunal de la province de Hollande du Nord, Pays–Bas). Cette juridiction ayant fait droit au recours et sa décision ayant été confirmée par un arrêt du 27 février 2018 du Gerechtshof Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays–Bas), le secrétaire d’État aux Finances s’est pourvu en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

17

La juridiction de renvoi éprouve des doutes concernant les effets dans le temps de l’introduction de l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union, lu en combinaison avec l’article 29 et avec l’article 104, paragraphe 2, de celui-ci, ainsi que de l’article 124, paragraphe 1, sous a), de ce code, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 3, du même code, et elle s’interroge, en particulier, sur le point de savoir si le litige au principal relève de ces dispositions.

18

À cet égard, cette juridiction fait observer que lesdites dispositions, qui prévoient notamment la suspension du délai de prescription en cas de communication des motifs, n’étaient pas en vigueur à la date où est née la dette douanière en cause au principal, et elle ajoute que le régime juridique alors en vigueur, issu du code des douanes communautaire, ne prévoyait pas une telle suspension. Certes, le fait que, à la date d’applicabilité du nouveau régime juridique, à savoir le 1er mai 2016, la dette douanière en cause au principal n’était pas encore prescrite pourrait s’avérer pertinent pour répondre à ces interrogations. Toutefois, l’application de ce nouveau régime dans l’affaire au principal pourrait se heurter aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

19

Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour ne permettrait pas de déduire sans aucun doute raisonnable si une disposition qui, comme l’article 103, paragraphe 3, du code des douanes de l’Union, prévoit la suspension d’un délai de prescription doit être considérée comme étant une règle de fond ou une règle de procédure. Dans le cas où elle constituerait une règle de fond, cette juridiction considère que l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire resterait applicable à une dette douanière née avant le 1er mai 2016, de sorte qu’une telle dette serait prescrite à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de sa naissance.

20

Par ailleurs, il serait possible de soutenir que l’application de l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union aux procédures de recouvrement ouvertes à compter du 1er mai 2016 est indépendante des règles relatives à la prescription de la dette douanière. Bien que les autorités douanières soient tenues, depuis le 1er mai 2016, de respecter l’article 22, paragraphe 6, de ce code dans tous les cas de recouvrement, selon ce point de vue, cela ne devrait pas nécessairement avoir pour conséquence que l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union s’applique dans tous les cas. Il en résulterait, en l’occurrence, que, puisque les autorités douanières devaient respecter l’article 22, paragraphe 6, dudit code et que l’article 103, paragraphe 3, du même code n’était pas applicable, l’autorité douanière compétente ne pouvait plus notifier la dette douanière le 18 juillet 2016.

21

D’un autre côté, la juridiction de renvoi souligne qu’il serait également possible de soutenir que l’objectif de l’introduction de l’article 103, paragraphe 3, du code des douanes de l’Union a été que l’article 22, paragraphe 6, l’article 103, paragraphe 3, sous b), l’article 104, paragraphe 2, et l’article 124, paragraphe 1, sous a), de ce code, compte tenu de leur connexité, deviennent applicables à la même date, soit le 1er mai 2016. Ainsi, à partir de cette date, en vertu de l’article 104, paragraphe 2, dudit code, les autorités douanières qui prennent en compte des montants de droits correspondant à une dette douanière devraient appliquer l’article 103 du même code.

22

Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 103, paragraphe 3, initio et sous b), et l’article 124, paragraphe 1, initio et sous a), du code des douanes de l’Union s’appliquent-ils à une dette douanière qui est née avant le 1er mai 2016 et dont le délai de prescription n’avait pas encore expiré à cette date ?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, le principe de la sécurité juridique ou le principe de la confiance légitime s’oppose-t-il à cette application ? »

Sur les questions préjudicielles

23

Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 103, paragraphe 3, sous b), et l’article 124, paragraphe 1, sous a), du code des douanes de l’Union, lus à la lumière des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent à une dette douanière née avant le 1er mai 2016 et non encore prescrite à cette date.

24

À titre liminaire, il ressort de la décision de renvoi que la dette douanière en cause au principal est née le 4 juillet 2013, date à laquelle Jumbocarry a présenté, aux fins de mise en libre pratique d’un lot de marchandises, un certificat d’origine qui s’est avéré être, par la suite, un faux.

25

Dans ce contexte, l’autorité douanière compétente a, tout d’abord, en vertu des dispositions combinées de l’article 22, paragraphe 6, et de l’article 29 du code des douanes de l’Union, informé Jumbocarry des motifs pour lesquels elle envisageait de lui adresser un avis de paiement et lui a donné la possibilité, dans le délai de 30 jours prévu à l’article 8 du règlement délégué 2015/2446, d’exprimer son point de vue. Cette information est intervenue le 1er juin 2016, soit à une date postérieure à l’abrogation, le 1er mai 2016, du code des douanes communautaire par le code des douanes de l’Union, mais, en tout état de cause, antérieure à l’expiration, le 4 juillet 2016, du délai de prescription de trois ans prévu à l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire.

26

Ensuite, l’autorité douanière compétente a procédé à la notification de la dette douanière le 18 juillet 2016, en se fondant sur la circonstance que, conformément à l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union, l’information visée à l’article 22, paragraphe 6, de ce code avait eu pour effet de suspendre le délai de prescription de trois ans jusqu’à l’expiration du délai imparti à Jumbocarry pour lui permettre d’exprimer son point de vue.

27

La juridiction de renvoi se demande si l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union avait vocation à s’appliquer en l’occurrence et si, dans l’affirmative, la suspension du délai de prescription était conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, dans la mesure où le code des douanes communautaire, qui était en vigueur à l’époque de la naissance de la dette douanière en cause au principal, ne prévoyait pas une telle suspension du délai de prescription.

28

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué (arrêt du 7 novembre 2018, O’Brien, C‑432/17, EU:C:2018:879, point 26 et jurisprudence citée).

29

Il importe d’ajouter qu’une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure et que, si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises antérieurement à cette entrée en vigueur, elle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée des dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps (arrêt du 7 novembre 2018, O’Brien, C‑432/17, EU:C:2018:879, point 27 et jurisprudence citée).

30

En premier lieu, s’agissant de l’obligation d’information préalable prévue désormais à l’article 29 du code des douanes de l’Union, lu en combinaison avec l’article 22, paragraphe 6, de celui-ci, il y a lieu de constater qu’elle constitue une règle de procédure mettant en œuvre le droit de l’intéressé d’être entendu avant l’adoption d’une décision lui faisant grief.

31

En effet, selon une jurisprudence bien établie, le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union dont le droit d’être entendu dans toute procédure fait partie intégrante. En vertu de ce principe, qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte lui faisant grief, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision (arrêt du 20 décembre 2017, Prequ’ Italia, C‑276/16, EU:C:2017:1010, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

32

Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que la détermination des modalités par lesquelles la communication au débiteur du montant des droits est effectuée aux fins de l’interruption du délai de prescription constitue une modalité procédurale (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2019, CEVA Freight Holland, C‑249/18, EU:C:2019:587, point 46).

33

Force est donc de constater que, à compter du 1er mai 2016, date d’entrée en application de l’article 22, paragraphe 6, et de l’article 29 du code des douanes de l’Union, les autorités compétentes des États membres étaient tenues de respecter l’obligation d’information préalable prévue par ces dispositions, ce qui a été le cas dans l’affaire au principal.

34

En second lieu, s’agissant de la suspension du délai de prescription de trois ans prévue à l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union, il convient de rappeler que cette disposition a pour effet, en cas de notification de motifs en application de l’article 22, paragraphe 6, de ce code, d’allonger le délai de prescription d’une durée correspondant au délai imparti au débiteur pour lui permettre d’exposer son point de vue, cette période étant de 30 jours conformément à l’article 8, paragraphe 1, du règlement délégué 2015/2446.

35

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a constaté que l’article 221, paragraphe 3, du code des douanes communautaire, en ce qu’il prévoyait qu’une dette douanière était prescrite à l’expiration du délai de trois ans fixé par cette disposition, édictait une règle de fond (voir, en ce sens, arrêt du 23 février 2006, Molenbergnatie, C‑201/04, EU:C:2006:136, point 41). Or, une telle constatation est transposable à l’article 103, paragraphe 1, du code des douanes de l’Union, dans la mesure où cette dernière disposition a un libellé et une portée en substance identiques à la première disposition. De même, l’article 103, paragraphe 3, sous b), dudit code, qui prévoit l’allongement du délai de prescription de la dette douanière en cas de communication des motifs visée à l’article 22, paragraphe 6, du même code, doit également être regardé comme édictant une règle de fond.

36

Par conséquent, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 28 et 29 du présent arrêt, l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union ne saurait être appliqué aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire du code des douanes communautaire, à moins qu’il ne ressorte clairement des termes, de la finalité ou de l’économie du code des douanes de l’Union qu’il devait s’appliquer immédiatement à de telles situations.

37

En l’occurrence, il ressort du point 25 du présent arrêt que, à la date où l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union est devenu applicable, soit le 1er mai 2016, la dette douanière en cause au principal n’était encore ni prescrite ni éteinte.

38

Dès lors, force est de constater que, à cette date, la situation juridique de Jumbocarry au regard de la prescription de sa dette douanière n’était pas définitivement acquise, nonobstant la circonstance que cette dette était née sous l’empire du code des douanes communautaire.

39

Par conséquent, l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union pouvait s’appliquer aux effets futurs de la situation de Jumbocarry que constituent la prescription et l’extinction de sa dette douanière.

40

Par ailleurs, s’agissant de l’articulation entre l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union, lu en combinaison avec l’article 29 de celui-ci, et l’article 103, paragraphe 3, de ce code, il convient d’ajouter que ces règles de procédure et de fond forment un tout indissociable dont les éléments particuliers ne peuvent être considérés isolément quant à leur effet dans le temps. Il importe, en effet, d’aboutir à une application cohérente et uniforme de la législation de l’Union en matière douanière (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2015, Commission/Moravia Gas Storage, C‑596/13 P, EU:C:2015:203, point 36 et jurisprudence citée).

41

À cet égard, l’intention du législateur de l’Union a été, de manière concomitante, d’instituer, à l’article 22, paragraphe 6, du code des douanes de l’Union, lu en combinaison avec l’article 29 de celui-ci, une obligation d’information préalable et de prévoir, à l’article 103, paragraphe 3, sous b), de ce code, la suspension du délai de prescription entraînée par cette information.

42

En effet, ainsi que le relèvent, en substance, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, l’application simultanée de ces dispositions a visé à mettre en balance deux objectifs, à savoir, d’une part, la protection des intérêts financiers de l’Union et, d’autre part, la protection du débiteur du point de vue de ses droits de la défense.

43

Ainsi, il ressort du rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le code des douanes de l’Union (commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement, document de séance du 26 février 2013, A 7-0006/2013, p. 46, amendement no 62), à l’origine du code des douanes de l’Union, que l’article 103, paragraphe 3, sous b), de ce code a été ajouté à la suite d’un amendement du Parlement qui précisait que « [c]et ajustement [était] nécessaire afin de protéger les intérêts financiers des ressources propres traditionnelles et des ressources nationales lorsque leur recouvrement est en jeu ». Ce document soulignait en particulier qu’une telle « situation peut se présenter lorsque la procédure relative au droit d’être entendu doit être mise en œuvre à une date très proche de l’échéance à laquelle une dette douanière peut être notifiée ».

44

Il apparaît ainsi que le législateur de l’Union a entendu notamment viser, en adoptant la règle de la suspension visée à l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union, les situations telles que celle en cause au principal.

45

En outre, il est constant que cette disposition n’est accompagnée d’aucune disposition particulière qui déterminerait autrement ses conditions d’application dans le temps, au sens de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt.

46

S’agissant, enfin, du principe de sécurité juridique, la Cour a déjà précisé qu’il est, en principe, loisible aux États membres de procéder à un allongement des délais de prescription lorsque les faits en cause n’ont jamais été prescrits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales France, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 73 et jurisprudence citée).

47

Il ne saurait donc être considéré que l’application d’une règle de suspension du délai de prescription d’une dette douanière, telle que celle prévue à l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union, ensemble avec les règles de procédure figurant à l’article 22, paragraphe 6, de ce code, lu en combinaison avec l’article 29 de celui-ci, porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.

48

Certes, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique, qui a pour corollaire le principe de protection de la confiance légitime, exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables. En particulier, ledit principe exige qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence [arrêt du 15 avril 2021, Federazione nazionale delle imprese elettrotecniche ed elettroniche (Anie) e.a., C‑798/18 et C‑799/18, EU:C:2021:280, point 41 ainsi que jurisprudence citée].

49

Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 91 de ses conclusions, l’introduction explicite d’une règle de suspension du délai de prescription, en vertu de l’article 103, paragraphe 3, sous b), du code des douanes de l’Union, n’a, en réalité, pas entraîné de changement par rapport à la situation réglementaire antérieure, mais a plutôt répondu à la nécessité d’assortir de certitude une obligation incombant aux autorités administratives, laquelle existait déjà sous l’empire du code des douanes communautaire, conformément à la jurisprudence de la Cour citée au point 31 du présent arrêt.

50

En tout état de cause, ainsi que l’a relevé également M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, ni le principe de sécurité juridique ni le principe de la confiance légitime, invoqués par la juridiction de renvoi, ne comportent l’obligation de maintenir l’ordre juridique inchangé dans le temps. Les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union (arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, EU:C:2012:385, point 180 et jurisprudence citée).

51

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 103, paragraphe 3, sous b), et l’article 124, paragraphe 1, sous a), du code des douanes de l’Union, lus à la lumière des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent à une dette douanière née avant le 1er mai 2016 et non encore prescrite à cette date.

Sur les dépens

52

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

 

L’article 103, paragraphe 3, sous b), et l’article 124, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union, lus à la lumière des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent à une dette douanière née avant le 1er mai 2016 et non encore prescrite à cette date.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.