CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 15 décembre 2022 ( 1 )

Affaires jointes C‑615/20 et C‑671/20

Prokuratura Okręgowa w Warszawie

contre

YP e.a. (C‑615/20),

M. M. (C‑671/20)

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Indépendance des juges – Autorisation d’exercer des poursuites pénales à l’égard d’un juge et suspension de ce juge de ses fonctions par l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Interdiction faite aux juridictions nationales d’examiner la légitimité de cours ou tribunaux ou d’apprécier la légalité de la nomination des juges et des pouvoirs juridictionnels découlant d’une telle nomination – Primauté du droit de l’Union – Obligation de coopération loyale – Principes de sécurité juridique et d’autorité de la chose jugée »

Table des matières

 

I. Introduction

 

II. Le cadre juridique – Le droit polonais

 

A. La Constitution

 

B. La loi modifiée sur la Cour suprême

 

C. La loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun

 

D. La loi sur la KRS

 

E. Le code de procédure pénale

 

III. Les faits des procédures au principal et les questions posées à titre préjudiciel

 

A. L’affaire C‑615/20

 

B. L’affaire C‑671/20

 

IV. La procédure devant la Cour

 

V. Analyse

 

A. Sur la recevabilité

 

B. Sur le fond

 

1. Remarques liminaires

 

2. Les première, deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑615/20

 

3. La deuxième question dans l’affaire C‑671/20

 

4. La quatrième question dans l’affaire C‑615/20 et les première, troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑671/20

 

VI. Conclusion

I. Introduction

1.

Les présents renvois préjudiciels soulèvent à nouveau des problèmes de compatibilité avec le droit de l’Union posés par certains aspects de la récente réforme du système judiciaire polonais. Ils concernent des autorisations octroyées par l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) ( 2 ) de poursuivre pénalement un juge et de suspendre celui-ci de ses fonctions, l’empêchant ainsi de statuer sur un certain nombre d’affaires pénales pour lesquelles il avait été désigné. À cette fin, la juridiction de renvoi ( 3 ) demande à la Cour d’interpréter l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 4 ), ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union, de coopération loyale ( 5 ) et de sécurité juridique. Pour le cas où la Cour déciderait que, au regard du droit de l’Union, la chambre disciplinaire ne pouvait pas légitimement octroyer de telles autorisations, la juridiction de renvoi cherche à savoir quelles conséquences une telle conclusion produit quant à la composition de la juridiction saisie des procédures pénales.

II. Le cadre juridique – Le droit polonais

A.   La Constitution

2.

Selon l’article 45, paragraphe 1, de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne) :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sans retard excessif, par un tribunal compétent, indépendant et impartial. »

3.

L’article 144, paragraphes 2 et 3, de la Constitution de la République de Pologne dispose :

« 2.   Pour être valables, les actes officiels du président de la République doivent être contresignés par le président du Conseil des ministres qui engage ainsi sa responsabilité devant [la Diète, chambre basse du Parlement polonais].

3.   Les dispositions du paragraphe 2 ne sont pas applicables dans les cas suivants :

[...]

17) la nomination des juges,

[...] »

4.

L’article 179 de la Constitution de la République de Pologne est ainsi rédigé :

« Les juges sont nommés par le président de la République sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa [Conseil national de la magistrature, Pologne (ci‑après la “KRS”)] pour une durée indéterminée. »

5.

Selon l’article 180, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne, les juges sont inamovibles.

6.

L’article 181 de la Constitution de la République de Pologne dispose :

« Le juge ne peut engager sa responsabilité pénale ou être privé de liberté qu’avec l’autorisation préalable d’un tribunal établi par la loi. Le juge ne peut être détenu ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, si sa détention est indispensable au déroulement régulier de la procédure. Le président de la juridiction compétente est informé sans délai de la détention et il peut ordonner la mise en liberté immédiate du détenu. »

7.

L’article 187 de la Constitution de la République de Pologne prévoit :

« 1.   La [KRS] est composée :

1)

du premier président du Sąd Najwyższy [Cour suprême] du ministre de la Justice, du président du Naczelny Sąd Administracyjny [Cour suprême administrative, Pologne] et d’une personne désignée par le président de la République,

2)

de quinze membres élus parmi les juges du Sąd Najwyższy [Cour suprême], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires,

3)

de quatre membres élus par [la Diète] parmi les députés et de deux membres élus par le Sénat parmi les sénateurs.

[...]

3.   Le mandat des membres élus de [la KRS] est de quatre ans.

4.   Le régime, le domaine d’activité, le mode de travail de [la KRS] ainsi que le mode d’élection de ses membres sont définis par la loi. »

8.

L’article 190, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne énonce :

« Les décisions du Trybunał Konstytucyjny [Cour constitutionnelle, Pologne] sont obligatoires erga omnes et définitives. »

B.   La loi modifiée sur la Cour suprême

9.

L’article 27, paragraphe 1, de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), qui a été modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun, la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 20 décembre 2019 (Dz. U. de 2020, position 190, la « loi modificative ») (ci-après la « loi modifiée sur la Cour suprême »), dispose :

« Relèvent de la compétence de la chambre disciplinaire :

[...]

1a)

les affaires relatives à l’autorisation d’exercer des poursuites pénales contre les juges, les juges auxiliaires, les procureurs et les procureurs auxiliaires, ou de les placer en détention provisoire.

[...] »

C.   La loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun

10.

L’article 41b de l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. de 2001, no 98, position 1070), dispose :

« 1.   L’autorité compétente pour examiner un recours ou une demande concernant l’activité d’une juridiction est le président de cette juridiction.

[...]

3.   L’autorité compétente pour examiner un recours concernant l’activité du président du Sąd Rejonowy [tribunal d’arrondissement], du président du Sąd Okręgowy [tribunal régional], du président du Sąd Apelacyjny [cour d’appel], est, respectivement, le président du Sąd Okręgowy [tribunal régional], le président du Sąd Apelacyjny [cour d’appel], et [la KRS]. »

11.

L’article 42a de cette loi, telle que modifiée (ci-après la « loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun ») est libellé comme suit :

« 1.   Dans le cadre des activités des juridictions ou des organes des juridictions, il n’est pas permis de remettre en cause la légitimité des tribunaux et des cours, des organes constitutionnels de l’État ou des organes de contrôle et de protection du droit.

2.   Une juridiction de droit commun ou un autre organe du pouvoir ne peut pas constater ni apprécier la légalité de la nomination d’un juge ou du pouvoir d’exercer les fonctions juridictionnelles qui en découle. »

12.

Conformément à l’article 47a, paragraphe 1, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun, les affaires sont attribuées aux juges et aux juges auxiliaires de manière aléatoire. Selon l’article 47b, paragraphe 1, de cette loi, une modification de la composition d’une juridiction ne peut avoir lieu qu’en cas d’impossibilité pour celle-ci de traiter l’affaire dans sa composition actuelle ou s’il existe un obstacle durable au traitement de l’affaire dans sa composition actuelle. Dans un tel cas, les dispositions de l’article 47a doivent s’appliquer à la réattribution de l’affaire. L’article 47b, paragraphe 3, de ladite loi prévoit que la décision de modifier la composition d’une juridiction est prise par le président de la juridiction ou par un juge autorisé par lui.

13.

L’article 80 de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun dispose :

« 1.   Les juges ne peuvent être arrêtés ou faire l’objet de poursuites pénales qu’avec l’autorisation de la juridiction disciplinaire compétente. Cette disposition ne concerne pas l’arrestation en cas de flagrant délit, si cette arrestation est indispensable pour garantir le bon déroulement de la procédure. Jusqu’à l’adoption d’une décision autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge, seuls les actes urgents peuvent être accomplis.

[...]

2c.   La juridiction disciplinaire adopte une résolution autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge si les soupçons qui pèsent contre lui sont suffisamment étayés. La décision statue sur l’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre le juge et en expose les motifs.

2d.   La juridiction disciplinaire examine la demande d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre un juge dans un délai de quatorze jours après l’avoir reçue. »

14.

En vertu de l’article 107, paragraphe 1, de cette loi :

« Un juge répond, sur le plan disciplinaire, des manquements professionnels (fautes disciplinaires), y compris en cas :

[...]

3)

d’actes mettant en cause l’existence de la relation de travail d’un juge, l’effectivité de la nomination d’un juge ou la légitimité d’un organe constitutionnel de la République de Pologne ;

[...] »

15.

Comme l’indique l’article 110, paragraphe 2a, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun :

« Le tribunal disciplinaire dans le ressort duquel le juge faisant l’objet de la procédure disciplinaire exerce ses fonctions est compétent territorialement pour connaître des affaires visées à l’article 37, paragraphe 5, et à l’article 75, paragraphe 2, point 3. Les affaires visées à l’article 80 et à l’article 106zd sont tranchées, en première instance, par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), statuant en formation de juge unique de la chambre disciplinaire et, en deuxième instance, par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), statuant en formation de juges de la chambre disciplinaire. »

16.

L’article 129 de cette loi dispose :

« 1.   La juridiction disciplinaire peut suspendre de ses fonctions un juge à l’égard duquel une procédure disciplinaire ou une procédure en interdiction a été engagée, et ce également lorsqu’elle adopte une décision autorisant la mise en cause de la responsabilité pénale du juge concerné.

2.   Si la juridiction disciplinaire adopte une décision autorisant la mise en cause de la responsabilité pénale d’un juge pour une infraction intentionnelle passible de poursuites par le ministère public, elle le suspend automatiquement de ses fonctions.

3.   En suspendant un juge de ses fonctions, la juridiction disciplinaire réduit de 25 à 50 % le montant de sa rémunération, pour la durée de cette même suspension ; cette disposition ne concerne pas les personnes visées dans le cadre d’une procédure en interdiction.

3a.   Si la juridiction disciplinaire adopte une décision autorisant la mise en cause de la responsabilité pénale d’un juge à la retraite pour une infraction intentionnelle passible de poursuites par le ministère public, elle réduit d’office, de 25 à 50 %, le montant de sa pension, pour la durée de la procédure disciplinaire.

4.   Si la procédure disciplinaire a été clôturée ou a pris fin par acquittement, il est procédé à une rectification de toutes les composantes de la rémunération ou des émoluments jusqu’à leur montant complet. »

D.   La loi sur la KRS

17.

Conformément à l’article 9a de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), telle que modifiée par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3) (ci-après la « loi sur la KRS ») :

« 1.   La Diète élit, parmi les juges du Sąd Najwyższy [(Cour suprême)], des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres de [la KRS] pour un mandat commun d’une durée de quatre ans.

2.   En procédant à l’élection visée au paragraphe 1, la chambre basse [du Parlement] tient compte, dans la mesure du possible, de la nécessité d’une représentation au sein de [la KRS] des juges issus des différents types et niveaux de juridictions.

3.   Le mandat commun des nouveaux membres de [la KRS], élus parmi les juges, débute dès le lendemain de leur élection. Les membres sortants de [la KRS] exercent leurs fonctions jusqu’au jour où débute le mandat commun des nouveaux membres de [la KRS]. »

18.

En vertu de la disposition transitoire contenue à l’article 6 de la loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois, entrée en vigueur le 17 janvier 2018 :

« Le mandat des membres de [la KRS] visés à l’article 187, paragraphe 1, point 2, de la [Constitution de la République de Pologne], élus en vertu des dispositions actuelles, courra jusqu’au jour précédant le début du mandat des nouveaux membres de [la KRS] sans aller cependant au‑delà de 90 jours à compter de la date de l’entrée en vigueur de la présente loi, à moins qu’il n’ait pris fin préalablement en raison de son expiration. »

E.   Le code de procédure pénale

19.

L’article 439, paragraphe 1, de l’ustawa – kodeks postępowania karnego (loi portant code de procédure pénale), du 6 juin 1997 (Dz. U. de 1997, position 555) (ci-après le « code de procédure pénale ») dispose :

« Indépendamment des limites du recours et des moyens soulevés, ainsi que de l’incidence du manquement sur la teneur de la décision, la juridiction d’appel annule en séance la décision attaquée si :

1)

une personne qui n’est pas habilitée à statuer ou n’en a pas la capacité ou qui fait l’objet d’une récusation en vertu de l’article 40 a pris part à la décision ;

2)

la composition du tribunal n’était pas appropriée ou l’un de ses membres n’a pas été présent pendant toute la durée de l’audience ;

[...] »

20.

En vertu de l’article 523, paragraphe 1, du code de procédure pénale, un pourvoi en cassation ne peut être introduit que sur le fondement des manquements visés à l’article 439 de ce code, ou d’une autre violation flagrante du droit lorsque celle-ci a pu avoir une incidence significative sur la teneur de la décision.

III. Les faits des procédures au principal et les questions posées à titre préjudiciel

A.   L’affaire C‑615/20

21.

La Prokuratura Okręgowa w Warszawie (Parquet régional de Varsovie, Pologne) (ci-après le « Parquet régional ») a inculpé YP ainsi que treize autres personnes de plusieurs infractions au code pénal ayant causé un préjudice à 229 victimes. Dans cette affaire ( 6 ), onze défendeurs sont poursuivis. Le dossier de l’affaire se compose de 197 volumes et de plusieurs douzaines de volumes d’annexes. Le procès s’est déroulé sur plus de cent dates durant lesquelles les prévenus, les victimes et plus de 150 témoins ont été entendus. Seuls quelques témoins et trois experts restent encore à auditionner. Le juge I.T. a siégé dans cette affaire et a pris part au procès.

22.

Le 14 février 2020, le Wydział Spraw Wewnętrznych Prokuratury Krajowej (Parquet national, division des affaires intérieures, Pologne) (ci-après le « Parquet national ») a demandé à la chambre disciplinaire ( 7 ) l’autorisation de poursuivre pénalement le juge I.T. pour avoir publiquement manqué aux devoirs de sa fonction et outrepassé ses compétences en autorisant des représentants des médias à enregistrer une audience du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) pendant le prononcé de la décision dans cette affaire et l’exposé oral de ses motifs. Le Parquet national a estimé que le juge I.T. avait divulgué à des personnes non autorisées des informations obtenues dans l’exercice de ses fonctions au sujet d’une enquête préliminaire menée par le Parquet régional et qu’il avait, par conséquent, agi au détriment de l’intérêt public.

23.

Le 9 juin 2020, la chambre disciplinaire, statuant en tant qu’organe de première instance, a rejeté la demande du Parquet national visant à obtenir l’autorisation d’exercer des poursuites pénales à l’égard du juge I.T. Le Parquet national a formé un recours contre cette décision. Le 18 novembre 2020, la chambre disciplinaire, statuant cette fois en tant qu’organe de deuxième instance, a levé l’immunité pénale du juge I.T., l’a suspendu de ses fonctions et a réduit de 25 % sa rémunération pour la durée de sa suspension ( 8 ). La suspension durera jusqu’à l’issue des poursuites pénales engagées à son égard.

24.

Puisqu’il est suspendu de ses fonctions, le juge I.T. ne peut traiter aucune des affaires qui lui avaient été attribuées, y compris l’affaire VIII K 105/17. En vertu du principe, consacré par le code de procédure pénale, qui veut que les formations de jugement restent immuables dans leur composition, seule la formation de jugement ( 9 ) ayant conduit l’intégralité de la procédure est compétente pour rendre un jugement. Il s’ensuit que la procédure dans l’affaire VIII K 105/17 doit être reprise depuis le début. En particulier, le juge qui a été nommé à la place du juge I.T. sera tenu d’examiner tous les moyens de preuve fournis dans le cadre du procès jusqu’à ce jour. La juridiction de renvoi estime qu’une telle situation est contraire à l’article 47 de la Charte, en particulier au droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu’au droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi ( 10 ).

25.

La décision de renvoi relève que, par son arrêt du 5 décembre 2019 ( 11 ) et ses ordonnances du 15 janvier 2020 ( 12 ), le Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) (Cour suprême, chambre du travail et des assurances sociales, Pologne) ( 13 ), à savoir la juridiction qui s’est prononcée dans l’affaire qui avait donné lieu à l’arrêt A.K., a considéré que, dans sa composition actuelle, la KRS ne constituait pas un organe indépendant des pouvoirs législatif et exécutif et que la chambre disciplinaire – dont les membres ont été nommés sur proposition de la KRS dans sa composition actuelle – n’était pas un « tribunal » au sens de l’article 47 de la Charte, de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») ou de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne. Dans une résolution commune du 23 janvier 2020, les chambres réunies – civile, pénale et du travail et des assurances sociales – du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ont confirmé la position de la chambre du travail et des assurances sociales, jugeant qu’une formation de la chambre disciplinaire dans laquelle siège une personne nommée sur proposition de la KRS, telle que composée, est une formation irrégulière. Les chambres réunies ont en outre affirmé que, en raison de ses caractéristiques structurelles, la chambre disciplinaire ne constitue pas un « tribunal » au sens des dispositions susmentionnées et que ses décisions n’ont pas la nature de « décisions de justice ». Par décision du 23 septembre 2020 ( 14 ), la chambre disciplinaire a déclaré que l’arrêt A.K. ne pouvait pas être considéré comme étant « contraignant dans l’ordre juridique polonais » dans la mesure où la chambre du travail et des assurances sociales avait siégé en « formations illégales » dans l’affaire au principal qui était à l’origine du renvoi préjudiciel.

26.

La juridiction de renvoi, au sein de laquelle siège le juge I.T., appartient au système judiciaire polonais et statue sur des affaires relevant des « domaines couverts par le droit de l’Union » au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 15 ). La décision de la chambre disciplinaire de lever l’immunité pénale du juge I.T. et de le suspendre de ses fonctions, avec pour conséquence que l’affaire VIII K 105/17 doit être rejugée ab initio par une formation différente, conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur la nature de tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, de la chambre disciplinaire.

27.

La juridiction de renvoi relève que les règles gouvernant le régime disciplinaire ( 16 ) ainsi que la révocation ( 17 ) des juges doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Elle se demande si les règles nationales qui autorisent l’exercice de poursuites pénales à l’égard de juges, ou le placement de ceux-ci en détention, sont, elles aussi, soumises aux exigences d’une protection juridictionnelle effective. Elle est d’avis que l’exercice de poursuites pénales à l’égard d’un juge devrait répondre aux mêmes exigences que l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de celui-ci, et ce pour les raisons suivantes. En premier lieu, l’autorisation d’exercer des poursuites pénales ne peut être octroyée que si l’instance disciplinaire considère qu’il existe des raisons suffisamment légitimes de croire qu’une infraction pénale a été commise. En deuxième lieu, une fois cette autorisation octroyée, l’instance disciplinaire a la faculté ( 18 ) de suspendre le juge concerné de ses fonctions, l’empêchant ainsi de statuer sur les affaires en cours, jusqu’à l’issue des poursuites pénales en question. En troisième lieu, l’instance disciplinaire est tenue de réduire la rémunération du juge de 25 % à 50 % pour la durée de cette suspension. En quatrième lieu, l’autorisation octroyée d’exercer des poursuites pénales à l’égard d’un juge n’impose aucun délai pour la mise en accusation en pareil cas. En conséquence d’une telle autorisation, un juge peut rester indéfiniment suspendu et sa rémunération peut demeurer indéfiniment réduite. Si l’on prend en considération l’ensemble de ces circonstances, il est permis de conclure que la procédure de levée de l’immunité d’un juge en vue de poursuites pénales et d’une condamnation à une peine privative de liberté est, dans ses effets, similaire aux mesures adoptées au titre du régime disciplinaire des juges. Une telle procédure devrait donc satisfaire, elle aussi, aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

28.

Selon la juridiction de renvoi, tous les procureurs en Pologne rendent compte de leur action au ministre de la Justice qui, de plein droit, assure les fonctions de Prokurator Generalny (procureur général). Si un procureur est officiellement indépendant dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu de mettre en œuvre les directives, circulaires ou instructions du procureur dont il relève hiérarchiquement, qui peut être le ministre de la Justice, y compris dans le cadre des procédures devant la chambre disciplinaire.

29.

La demande de renvoi préjudiciel indique que, en vertu de la Constitution de la République de Pologne, le ministre de la Justice est l’un des membres de la KRS. Sur les 25 membres que compte la KRS, la plupart des 15 membres choisis parmi les juges par la Diète avaient des liens forts avec le ministre de la Justice au moment de leur désignation et continuent à présenter aujourd’hui de tels liens. La KRS ainsi composée a, par la suite, pris part à la nomination de la totalité des membres de la chambre disciplinaire, qui incluent d’anciens procureurs et des juristes ayant, les uns et les autres, ouvertement soutenu les actes du ministre de la Justice.

30.

Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« indépendance », qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours ( 19 ). Compte tenu à la fois de la composition de la chambre disciplinaire, de la composition actuelle de la KRS, de l’organisation hiérarchique du Parquet ainsi que des dispositions régissant l’autorisation de poursuivre pénalement un juge ou d’appliquer une mesure privative de liberté à son égard, la juridiction de renvoi doute sérieusement que la chambre disciplinaire possède la qualité de tiers par rapport au Parquet.

31.

En outre, eu égard à l’ordonnance du 8 avril 2020, la juridiction de renvoi est également réservée quant au point de savoir si la chambre disciplinaire doit connaître des demandes d’autorisation de poursuivre pénalement un juge ou d’appliquer une mesure privative de liberté à son égard. Elle estime, en effet, que la notion d’« affaires disciplinaires concernant les juges », visée au point 1, premier tiret, du dispositif de cette ordonnance, inclut également les affaires relatives à l’autorisation de poursuivre ou de placer en détention des juges. En tout état de cause, étant donné que la composition de la chambre disciplinaire demeure inchangée, toutes les affaires pendantes devant cet organe sont examinées par une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance, ainsi qu’il a été jugé au point 1, deuxième tiret, du dispositif de l’ordonnance du 8 avril 2020.

32.

Au vu de ce qui précède, la juridiction de renvoi considère que l’autorisation octroyée par la chambre disciplinaire ne constitue pas une « décision de justice » dès lors que cette chambre ne satisfait pas aux exigences d’une protection juridictionnelle effective au sens du droit de l’Union, pas plus qu’elle ne garantit tant « la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice » ( 20 ). C’est pourquoi elle ne s’estime pas liée par les décisions de la chambre disciplinaire. Puisque la validité de l’autorisation octroyée par la chambre disciplinaire a une incidence directe sur la question de savoir si la juridiction de renvoi répond elle-même à la définition d’un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, celle-ci se tourne vers la Cour. Dans ce contexte, elle souhaite savoir si l’obligation de refuser de reconnaître force contraignante à une décision de la chambre disciplinaire s’applique également à d’autres autorités de l’État ( 21 ) et, partant, si le refus infondé de laisser le juge visé par cette autorisation siéger au sein de la formation de jugement peut constituer une violation du droit de l’Union.

33.

Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions suivantes à titre préjudiciel :

« 1)

Le droit de l’Union, en particulier l’article 47 de [la Charte] et les droits qu’il consacre, à savoir le droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que celui de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux dispositions du droit national exposées en détail aux deuxième et troisième questions ci-dessous, à savoir les articles 80 et 129 de [la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun], ainsi qu’à l’article 110, paragraphe 2a, de [la même loi] et à l’article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi sur la Cour suprême qui permettent à la chambre disciplinaire de la Cour suprême de lever l’immunité d’un juge et de le suspendre de ses fonctions et ainsi de le dessaisir de fait des affaires qui lui ont été attribuées, compte tenu notamment de ce que :

a)

la chambre disciplinaire [...] n’est pas un “tribunal” au sens de l’article 47 de la [Charte], de l’article 6 de la [CEDH] et de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne [arrêt A.K.] ;

b)

les membres de la chambre disciplinaire [...] se caractérisent par des liens particulièrement forts avec les pouvoirs législatif et exécutif [ordonnance du 8 avril 2020] ;

c)

la République de Pologne était tenue de suspendre l’application de certaines dispositions de la loi sur la Cour suprême concernant la chambre dite “disciplinaire” et de s’abstenir de transmettre les affaires pendantes devant cette chambre à une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance [ordonnance du 8 avril 2020] ?

2)

Le droit de l’Union, en particulier l’article 2 TUE, le principe d’État de droit qu’il consacre et les exigences de protection juridictionnelle effective découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, doit-il être interprété en ce sens que les “règles gouvernant le régime disciplinaire de ceux qui ont pour tâche de juger” comprennent également les dispositions relatives aux poursuites pénales ou à l’application d’une mesure privative de liberté (détention) à l’égard d’un juge d’une juridiction nationale, telles que l’article 181 de la Constitution de la République de Pologne, lu en combinaison avec les articles 80 et 129 de la [loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun], en vertu desquels :

a)

les poursuites pénales ou l’application d’une mesure privative de liberté (détention) à l’égard d’un juge d’une juridiction nationale, qui ont lieu en principe à la demande du procureur, requièrent une autorisation de la juridiction disciplinaire compétente ;

b)

la juridiction disciplinaire, lorsqu’elle autorise les poursuites pénales à l’égard d’un juge d’une juridiction nationale ou l’application à son égard d’une mesure privative de liberté (détention), a la faculté (et, dans certains cas, l’obligation) de suspendre ce juge de ses fonctions ;

c)

lorsqu’elle suspend un juge d’une juridiction nationale de ses fonctions, la juridiction disciplinaire est tenue parallèlement de réduire le montant de la rémunération de ce juge, dans les limites fixées dans ces dispositions, pour la durée de la suspension ?

3)

Le droit de l’Union, en particulier les dispositions indiquées dans la deuxième question, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose aux dispositions d’un État membre telles que l’article 110, paragraphe 2a, de la [loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun] et l’article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi sur la Cour suprême, qui prévoient que les affaires concernant l’autorisation de poursuivre pénalement un juge d’une juridiction nationale ou d’appliquer une mesure privative de liberté (détention) à son égard relèvent, aussi bien en première qu’en deuxième instance, de la compétence exclusive d’un organe tel que la chambre disciplinaire, compte tenu en particulier (individuellement ou cumulativement) des circonstances suivantes :

a)

la création de la chambre disciplinaire a coïncidé avec une modification des règles de nomination des membres d’un organe tel que [la KRS] qui participe à la procédure de nomination des juges et sur proposition duquel l’ensemble des membres de la chambre disciplinaire ont été nommés ;

b)

le législateur national a exclu la possibilité d’affecter à la chambre disciplinaire les juges exerçant au sein d’une juridiction nationale de dernière instance [le Sąd Najwyższy (Cour suprême)], qui intègre cette chambre en son sein, de sorte que seuls les nouveaux membres nommés sur proposition de la KRS dans sa composition modifiée peuvent siéger à la chambre disciplinaire ;

c)

la chambre disciplinaire se caractérise par un degré d’autonomie particulièrement élevé au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ;

d)

le Sąd Najwyższy (Cour suprême), dans ses arrêts rendus en exécution de l’[arrêt A.K.], a confirmé que la KRS dans sa composition modifiée n’était pas un organe indépendant à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif et que la chambre disciplinaire n’était pas un “tribunal” au sens de l’article 47 de la [Charte], de l’article 6 de la [CEDH], et de l’article 45, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne ;

e)

la demande d’autorisation de poursuivre pénalement un juge d’une juridiction nationale ou d’appliquer une mesure privative de liberté (détention à son égard) émane, en principe, du procureur, qui a pour supérieur hiérarchique un organe du pouvoir exécutif tel que le ministre de la Justice, qui peut émettre à l’égard des procureurs des instructions contraignantes concernant le contenu d’actes de procédure, et, en parallèle, les membres de la chambre disciplinaire et la KRS dans sa composition modifiée présentent, comme l’a constaté le Sąd Najwyższy (Cour suprême) dans ses arrêts visés au point 2d), des liens particulièrement forts avec les pouvoirs législatif et exécutif, ce pourquoi la chambre disciplinaire ne saurait être considérée comme un tiers à l’égard des parties à la procédure ;

f)

la République de Pologne était tenue de suspendre l’application de certaines dispositions de la loi sur la Cour suprême relatives à la chambre disciplinaire et de s’abstenir de transmettre les affaires pendantes devant cette chambre à une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance, conformément à l’[ordonnance du 8 avril 2020] ?

4)

Lorsque l’autorisation de poursuivre pénalement un juge d’une juridiction nationale est accordée, que ce juge est suspendu de ses fonctions et que sa rémunération est réduite parallèlement pour la durée de cette suspension, le droit de l’Union, en particulier les dispositions indiquées dans la deuxième question et les principes de primauté, de coopération loyale – visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE –, et de sécurité juridique, doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que cette autorisation soit considérée comme contraignante, notamment en ce qui concerne la suspension du juge de ses fonctions, si cette autorisation a été émise par un organe tel que la chambre disciplinaire, de sorte que :

a)

tous les organes de l’État (notamment la juridiction de céans, qui comprend, dans sa formation de jugement, le juge visé par cette autorisation, ainsi que les organes compétents en matière de détermination et de modification de la composition d’une juridiction nationale) sont tenus de faire abstraction de cette autorisation et de permettre au juge de la juridiction nationale visé par l’autorisation, de siéger dans la formation de jugement de cette juridiction ;

b)

la juridiction qui comprend, dans sa formation de jugement, le juge visé par cette autorisation est une juridiction préalablement créée par la loi/une juridiction indépendante et impartiale, et peut ainsi connaître – en tant que “tribunal” – des questions concernant l’application ou l’interprétation du droit de l’Union ? »

B.   L’affaire C‑671/20

34.

Les faits de l’affaire qui est à l’origine de cette demande de renvoi préjudiciel sont similaires à ceux de l’affaire C‑615/20.

35.

Le Parquet régional a inculpé M. M. de sept infractions comprenant notamment le fait d’avoir omis de procéder au dépôt de bilan d’une société, le fait d’avoir empêché le désintéressement des créanciers de celle-ci, la fraude bancaire et l’absence de dépôt des états financiers de cette même société. Par décision du 9 juin 2020, le Parquet régional a ordonné la constitution d’une garantie, réalisée par l’inscription d’une hypothèque forcée sur un immeuble appartenant conjointement à M. M. et à son épouse, aux fins de couvrir l’amende potentielle encourue et les frais de justice. M. M. a formé un recours contre cette décision.

36.

Au vu de la résolution de la chambre disciplinaire, le président du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a ordonné ( 22 ) à la présidente de la chambre dans laquelle siégeait le juge I.T. de modifier la composition de la juridiction pour toutes les affaires ( 23 ) originellement attribuées à ce juge ( 24 ). La présidente de cette chambre a ainsi réattribué les affaires initialement attribuées au juge I.T. À la suite de cette réattribution, la juridiction de renvoi a saisi la Cour d’un certain nombre de questions, à titre préjudiciel.

37.

La juridiction de renvoi observe que, conformément à l’arrêt Simpson ( 25 ), toute juridiction a l’obligation de contrôler si, par sa composition, elle constitue un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Elle formule des doutes quant au point de savoir si elle constitue un « tribunal établi préalablement par la loi » dès lors que la modification de sa composition, intervenue sur ordre du président du Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) consécutivement à la suspension du juge I.T., a été le résultat direct de la résolution de la chambre disciplinaire. Du fait de ses « caractéristiques structurelles », cette chambre n’est pas un « tribunal » au sens du droit national ou du droit de l’Union. La juridiction de renvoi estime que seul un contrôle effectif de la résolution de la chambre disciplinaire lui permettra d’examiner si elle est une juridiction établie préalablement par la loi. Elle considère qu’elle pourrait porter atteinte au droit des parties à un tribunal, exposant sa décision à une annulation ( 26 ) si celle-ci était rendue par une formation de jugement à laquelle a pris part une personne non habilitée, soit parce que la juridiction n’était pas dûment composée ( 27 ), soit en raison d’une violation du droit de l’Union.

38.

La juridiction de renvoi estime que, pour apprécier si elle respecte la condition de l’établissement préalable par la loi, il est nécessaire d’examiner l’effet contraignant de la résolution de la chambre disciplinaire. Or, tant le droit national que la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), en vertu desquels il n’est pas permis aux juridictions nationales d’apprécier la légalité de la nomination d’un juge, et notamment d’examiner si le président de la République de Pologne a agi légalement ( 28 ), de même que la KRS, en prenant part à la procédure de nomination ( 29 ), interdisent de procéder à un tel examen. En outre, procéder à un tel examen est réputé constituer une infraction disciplinaire. La juridiction de renvoi se demande si le droit de l’Union s’oppose à une telle législation nationale, ainsi qu’à la jurisprudence susmentionnée du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle).

39.

La juridiction de renvoi a également des doutes quant au caractère contraignant pour elle de la résolution de la chambre disciplinaire, et s’interroge sur les conséquences possibles sur sa composition, y compris la validité de la suspension du juge I.T. La Cour a itérativement souligné l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. En vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives ne puissent plus être remises en cause. Ainsi, le droit de l’Union n’impose pas au juge national d’écarter l’application des règles de procédure internes conférant l’autorité de la chose jugée à une décision juridictionnelle, même si cela permettrait de remédier à une situation nationale incompatible avec ce droit ( 30 ).

40.

La juridiction de renvoi considère que, eu égard à la nature de la chambre disciplinaire, la résolution du 18 novembre 2020 ne constitue pas une « décision de justice » puisque cette qualité n’appartient qu’aux seules décisions prises par un organe répondant aux exigences d’une protection juridictionnelle effective au sens du droit de l’Union. La possibilité, pour la chambre disciplinaire, de suspendre un juge d’une juridiction nationale de ses fonctions, dans la pratique pour une durée indéterminée, ne garantit nullement la stabilité du droit et des relations juridiques et ne contribue aucunement à la bonne administration de la justice. La juridiction de renvoi cherche, en outre, à déterminer si l’obligation de refuser de reconnaître force contraignante aux décisions de la chambre disciplinaire s’étend également à d’autres autorités de l’État, tels que le président de la juridiction, le ministre de la Justice, le Parquet, les présidents des juridictions et le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle). Elle demande dès lors si le refus infondé de laisser siéger dans une formation de jugement un juge à l’égard duquel des poursuites pénales ont été autorisées constitue une violation du droit de l’Union.

41.

Dans ces conditions, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions suivantes à titre préjudiciel :

« 1)

Le droit de l’Union – en particulier, l’article 2 TUE et la valeur de l’État de droit qu’il consacre, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que les principes de primauté, de coopération loyale et de sécurité juridique – doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre telle que celle prévue par l’article 41b, paragraphes 1 et 3, de [la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun] qui permet au président d’une juridiction de prendre, seul et sans contrôle juridictionnel, des décisions visant à modifier la composition de ladite juridiction en raison du fait qu’un organe tel que la chambre disciplinaire a autorisé l’engagement de la responsabilité pénale d’un juge de la composition initialement désignée de celle-ci [juge du Sąd Okręgowy (tribunal régional) I.T.], laquelle autorisation entraîne obligatoirement la suspension des fonctions de ce juge, ce qui se traduit notamment par l’interdiction pour celui-ci de siéger dans des affaires pour lesquelles il avait été désigné, y compris celles pour lesquelles il avait été désigné avant l’octroi de ladite autorisation ?

2)

Le droit de l’Union – en particulier les dispositions indiquées dans la première question – doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose :

a)

à une réglementation d’un État membre telle que celle prévue par l’article 42a, paragraphes 1 et 2, ainsi que par l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la [loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun], qui interdit aux juridictions nationales d’examiner, en contrôlant le respect par une juridiction des exigences imposant qu’elle ait été établie préalablement par la loi, le caractère contraignant et les éléments de droit de l’autorisation donnée par la chambre disciplinaire, visée à la première question, qui sont la cause directe de la modification de la composition de cette juridiction, tout en prévoyant que la tentative de procéder à un tel examen fonde la responsabilité disciplinaire du juge ?

b)

à la jurisprudence d’une juridiction nationale, comme le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), aux termes de laquelle les actes d’organes nationaux tels que le [président de la République et la KRS] relatifs à la nomination des membres d’un organe tel que la chambre disciplinaire ne sont pas soumis à un contrôle juridictionnel, y compris du point de vue du droit de l’Union, indépendamment de la gravité et du degré de violation, et selon laquelle l’acte de nomination d’une personne à un poste de juge est de nature définitive et inattaquable ?

3)

Le droit de l’Union – en particulier, les dispositions indiquées dans la première question – doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que :

a)

tous les organes de l’État (notamment la juridiction de céans, ainsi que les organes compétents en matière de détermination et de modification de la composition d’une juridiction nationale, en particulier le président de la juridiction) sont tenus de faire abstraction de cette autorisation et de permettre au juge de la juridiction nationale visé par ladite autorisation de siéger dans la formation de jugement de cette juridiction ;

b)

la juridiction où le juge initialement désigné pour examiner l’affaire ne siège pas, du seul fait qu’il est visé par l’autorisation susmentionnée, n’est pas une juridiction préalablement créée par la loi, si bien qu’elle ne saurait connaître, en tant que “tribunal”, des questions concernant l’application ou l’interprétation du droit de l’Union ?

4)

Importe-t-il, pour la réponse aux questions qui précèdent, que la chambre disciplinaire et le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ne garantissent pas une protection juridictionnelle effective, étant donné leur défaut d’indépendance et la violation constatée des dispositions relatives à la nomination de leurs membres ? »

IV. La procédure devant la Cour

42.

Par décision du président de la Cour du 21 janvier 2021, les affaires C‑615/20 et C‑671/20 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

43.

La juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure accélérée dans les affaires préjudicielles C‑615/20 et C‑671/20, en vertu de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Par décisions du 9 décembre 2020 et du 21 janvier 2021 respectivement, le président de la Cour a rejeté ces demandes. Le traitement prioritaire a néanmoins été accordé à ces affaires, conformément à l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

44.

YP, le Parquet régional, les gouvernements polonais, belge, danois, néerlandais, finlandais et suédois, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Le 28 juin 2022 s’est tenue une audience au cours de laquelle toutes les parties susmentionnées, à l’exception de YP, ont présenté des observations orales et ont été entendues en leurs réponses aux questions posées par la Cour.

V. Analyse

A.   Sur la recevabilité

45.

Le Parquet régional et le gouvernement polonais soutiennent que les questions posées à titre préjudiciel sont irrecevables. En l’absence de rapport entre les problématiques en cause dans les affaires dont la juridiction de renvoi est saisie et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée, il ne serait pas nécessaire de répondre à ces questions pour permettre à cette juridiction de trancher les litiges pendants devant elle ( 31 ). Le gouvernement polonais ajoute que, même dans le cas où la Cour autoriserait la juridiction de renvoi à faire abstraction de la résolution de la chambre disciplinaire, aucune disposition du droit polonais ne permet de remplacer un juge affecté à une affaire ni de transférer les affaires en cause à un autre juge.

46.

La Commission et le gouvernement suédois soutiennent que les demandes de renvoi préjudiciel sont recevables dans la mesure où la réponse de la Cour est nécessaire pour permettre à la formation de jugement de la juridiction de renvoi de déterminer in limine litis si elle est compétente pour statuer sur les procédures pénales formant l’objet des affaires au principal.

47.

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national bénéficient d’une présomption de pertinence. La Cour ne peut refuser de statuer sur une question déférée par une juridiction nationale que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 32 ).

48.

Il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel. La justification d’une question préjudicielle n’est pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais est le besoin inhérent à la solution effective d’un litige ( 33 ). La Cour a par ailleurs souligné qu’une réponse à des questions préjudicielles peut être nécessaire pour pouvoir fournir aux juridictions de renvoi une interprétation du droit de l’Union leur permettant de trancher des questions procédurales de droit national avant de pouvoir statuer sur le fond des litiges dont elles se trouvent saisies ( 34 ).

49.

Les questions déférées à la Cour dans les présentes affaires visent à déterminer si, au vu des caractéristiques de la chambre disciplinaire, et en particulier des modalités de désignation de ses membres, le droit de l’Union s’oppose à des dispositions de droit national permettant à cette chambre d’autoriser l’exercice de poursuites pénales à l’égard d’un juge avec pour conséquence la suspension de celui-ci. Si tel est le cas, quelles conséquences en découlent, au regard du droit de l’Union, pour la légalité de la formation de jugement saisie du litige au principal ? Ainsi, la juridiction de renvoi cherche à vérifier si elle respecte la condition de l’établissement préalable par la loi. Étant donné que, conformément à l’arrêt Simpson ( 35 ), une juridiction peut être tenue de vérifier si, telle qu’elle se compose, elle constitue un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, lorsqu’un doute sérieux existe à cet égard, l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi est nécessaire pour résoudre une question procédurale soulevée in limine litis avant qu’elle ne statue sur la procédure pénale dont elle est saisie ( 36 ).

50.

L’argument selon lequel, dans l’hypothèse où la résolution de la chambre disciplinaire serait jugée contraire au droit de l’Union, le droit polonais ne permettrait ni le remplacement d’un juge affecté à une affaire ni le transfert des affaires, a trait à des aspects de fond du renvoi préjudiciel, relatifs à la portée et à l’effet du droit de l’Union, ainsi qu’à sa primauté. Les arguments de fond ne sauraient légitimer une déclaration d’irrecevabilité d’une demande de renvoi préjudiciel ( 37 ).

51.

Lors de l’audience, le gouvernement polonais a invoqué l’arrêt Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) ( 38 ) au soutien de sa thèse, à savoir l’irrecevabilité du renvoi préjudiciel. Dans l’arrêt en question, la Cour a conclu à l’irrecevabilité d’une demande de décision préjudicielle au motif, notamment, que les questions posées quant à l’existence d’une relation de travail entre un juge et la chambre disciplinaire avaient trait à un litige autre que celui au principal, dont était saisie la juridiction de renvoi. La Cour aurait été contrainte, pour apprécier pleinement la portée desdites questions et apporter à celles-ci une réponse idoine, d’avoir égard à des éléments sortant du cadre du litige au principal. La Cour a également jugé que la demande de décision préjudicielle dans cette affaire visait en substance à obtenir une forme d’invalidation erga omnes de la nomination d’un juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) alors même que le droit national n’autorisait pas à contester la nomination de juges au moyen d’une action directe en annulation ou en invalidation d’une telle nomination. Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 49 des présentes conclusions, telle n’est pas la situation en l’espèce.

52.

Je propose donc que la Cour rejette les objections formulées à l’encontre de la recevabilité des questions posées par la juridiction de renvoi.

B.   Sur le fond

1. Remarques liminaires

53.

L’objet du recours en manquement ( 39 ) introduit dans l’affaire C‑204/21, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) ( 40 ), présente des recoupements partiels avec la présente procédure préjudicielle. Bien que les procédures en manquement et les demandes de décision préjudicielle soient des procédures différentes produisant des effets juridiques distincts ( 41 ), je me référerai, lorsqu’il y a lieu, aux conclusions présentées dans le cadre de ce recours en manquement à la même date que les présentes conclusions. En particulier, les points 46 à 60 de mes conclusions dans cette affaire Commission/Pologne (C‑204/21, EU:C:2022:991) exposent ce que je considère comme étant des propositions de droit bien établies, pertinentes pour la solution de ce litige.

2. Les première, deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑615/20

54.

Par ses première, deuxième et troisième questions soulevées dans l’affaire C‑615/20, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que l’article 47 de la Charte s’appliquent dans des affaires relatives à l’autorisation, notamment, d’exercer des poursuites pénales, de placer en détention et de suspendre des juges et des juges auxiliaires, ainsi que de réduire systématiquement leur rémunération. Si tel est le cas, ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à des règles de droit national habilitant la chambre disciplinaire à statuer sur de telles affaires en première et en deuxième instance, étant donné que certaines caractéristiques de cette chambre, y compris les modalités de nomination de ses membres, font naître des doutes quant à sa qualité de « tribunal » au sens de l’article 47 de la Charte ?

55.

L’examen de ces questions suppose que l’on s’interroge d’abord sur la pertinence de l’article 47 de la Charte dans le contexte des affaires C‑615/20 et C‑671/20. Il est de jurisprudence constante que la personne qui invoque le droit à une protection juridictionnelle effective en vertu de l’article 47 de la Charte dans une affaire donnée doit se prévaloir de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union ou faire l’objet de poursuites pénales constituant une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Or, il ne ressort pas des ordonnances de renvoi dans les affaires C‑615/20 et C‑671/20 que YP ou M. M. se prévalent d’un droit que leur confère une disposition de l’ordre juridique de l’Union, ni qu’ils fassent l’objet de poursuites pénales constituant une mise en œuvre du droit de l’Union. Dans ces conditions, l’article 47 de la Charte ne trouve pas à s’appliquer dans les affaires au principal. Cependant, puisque l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose à tous les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ( 42 ), notamment au sens de l’article 47 de la Charte, toute interprétation de la première disposition doit dûment tenir compte de la seconde ( 43 ).

56.

J’examinerai ensuite la pertinence de deux ordonnances de référé rendues par la vice-présidente de la Cour dans le cadre de deux recours en manquement dirigés contre la République de Pologne. Par l’ordonnance du 8 avril 2020, la Cour a ordonné que certaines activités de la chambre disciplinaire soient suspendues. Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi émet des réserves expresses quant à la possibilité pour la chambre disciplinaire, au regard de cette ordonnance de référé, de statuer dans des affaires de demande d’autorisation de poursuivre et de suspendre un juge. Elle a également formulé un certain nombre de questions portant sur l’incidence de la suspension ainsi ordonnée sur la présente affaire ( 44 ).

57.

Dans son dispositif, l’ordonnance du 8 avril 2020 ordonne la suspension de certaines activités de la chambre disciplinaire exercées au titre de certaines dispositions de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 45 ). Ces dispositions fournissaient la base légale fondant la compétence de la chambre disciplinaire pour statuer dans les procédures disciplinaires contre les juges. Elles sont totalement distinctes de la base légale fondant la compétence de la chambre disciplinaire pour autoriser les poursuites pénales, la mise en détention et la suspension de juges, ainsi que la réduction de leur rémunération, c’est-à-dire l’aspect qui forme l’objet de la procédure ayant donné lieu aux présents renvois préjudiciels ( 46 ). Je suis par conséquent d’avis que l’ordonnance du 8 avril 2020 est dépourvue de pertinence pour les questions qui doivent être résolues ici ( 47 ).

58.

En revanche, l’ordonnance du 14 juillet 2021, rendue dans l’affaire C‑204/21 R, Commission/Pologne ( 48 ), paraît pertinente. Son dispositif exige que la République de Pologne suspende, notamment, l’application des dispositions de l’article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi modifiée sur la Cour suprême et des dispositions de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit en vertu desquelles la chambre disciplinaire est compétente pour statuer sur les demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre des juges ou des juges auxiliaires ( 49 ). Cette ordonnance exige par ailleurs que la République de Pologne suspende les effets des décisions déjà adoptées par la chambre disciplinaire sur le fondement des dispositions susmentionnées et s’abstienne de renvoyer les affaires visées devant une juridiction qui n’est pas indépendante ( 50 ).

59.

Le 27 octobre 2021, afin d’assurer l’exécution effective de l’ordonnance du 14 juillet 2021, le vice-président de la Cour a condamné la République de Pologne à payer une astreinte d’un montant de 1000000 euros par jour, à compter de la date de notification de son ordonnance et jusqu’au jour où cet État membre se conformera aux obligations découlant de l’ordonnance de la vice‑présidente de la Cour du 14 juillet 2021, ou, à défaut, jusqu’au jour du prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’instance dans l’affaire C‑204/21, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) ( 51 ).

60.

Lors de l’audience, la Commission a confirmé ( 52 ) que la République de Pologne n’avait pas communiqué les mesures adoptées afin de se conformer à l’ordonnance du 14 juillet 2021. La Commission a ajouté que, à la suite du prononcé de cette ordonnance, le juge I.T. aurait dû être réintégré à partir du 14 juillet 2021 jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire C‑204/21, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges).

61.

Enfin, le gouvernement polonais a soutenu, lors de l’audience, que la chambre disciplinaire avait été supprimée par l’ustawa o zmianie ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi modifiant la loi sur la Cour suprême et certaines autres lois), du 9 juin 2022 (Dz. U. de 2022, position 1259) (ci-après la « loi du 9 juin 2022 »). Désormais, un juge peut intenter un recours contre une résolution définitive de la chambre disciplinaire autorisant l’exercice de poursuites pénales à son égard, devant l’Izba Odpowiedzialności Zawodowej (chambre de responsabilité professionnelle) du Sąd Najwyższy (Cour suprême), nouvellement créée (ci-après la « chambre de responsabilité professionnelle »).

62.

Par son article 8, la loi du 9 juin 2022 a supprimé, à partir de son entrée en vigueur ( 53 ), la chambre disciplinaire, et la chambre de responsabilité professionnelle a été instituée. La chambre de responsabilité professionnelle est appelée à traiter toutes les affaires non closes dont était saisie la chambre disciplinaire à la date du 15 juillet 2022. En vertu de l’article 18 de la loi du 9 juin 2022, un juge peut, dans les six mois de l’entrée en vigueur de la loi, introduire une action devant la chambre de responsabilité professionnelle pour reprendre une procédure concernant une résolution du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ayant autorisé des poursuites pénales à son égard, adoptée par une formation dans laquelle siégeait un membre de la chambre disciplinaire.

63.

Malgré la suppression de la chambre disciplinaire, il semble que le juge I.T. demeure suspendu de ses fonctions en vertu du droit national, bien qu’il puisse ( 54 ) introduire une action devant la chambre de responsabilité professionnelle en vue de contester la résolution de la chambre disciplinaire. Les questions de la juridiction de renvoi demeurent donc pertinentes. Pour apprécier la légalité de la suspension du juge I.T., il est nécessaire d’examiner à la fois la question de savoir si la chambre disciplinaire satisfait aux exigences de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la Charte, et les conséquences que le non‑respect de ces dispositions a pour la composition de la juridiction de renvoi.

64.

Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble résulter de ce qui précède que, bien que la chambre disciplinaire ait adopté sa résolution en seconde instance, en droit polonais, le juge I.T. peut à présent contester la validité de celle-ci. Il semble également que cette résolution de la chambre disciplinaire ne bénéficie pas de l’autorité de la chose jugée.

65.

Abordons à présent les première, deuxième et troisième questions dans l’affaire C‑615/20 : si l’organisation de la justice au sein des États membres, en ce compris le régime des poursuites pénales à l’égard des juges, relève de la compétence des États membres, cette compétence doit s’exercer dans le respect du droit de l’Union. Lorsqu’un État membre prévoit des règles spécifiques régissant les procédures pénales à l’égard des juges ( 55 ), ces règles doivent – conformément à l’exigence d’un accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, et afin d’écarter, dans l’esprit des justiciables, tout doute légitime quant à l’imperméabilité des juges à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif susceptibles d’orienter leurs décisions – être justifiées par des impératifs objectifs et vérifiables tenant à la bonne administration de la justice. De telles règles doivent, tout comme celles régissant la responsabilité disciplinaire des juges, présenter les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation des poursuites pénales en tant que système de contrôle politique sur l’activité des juges, en garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte ( 56 ).

66.

L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE fait obligation aux États membres de veiller à ce que les juridictions qui sont susceptibles de statuer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective ( 57 ). De par leur nature même, les affaires qui sont du ressort de la chambre disciplinaire en vertu de l’article 80, de l’article 110, paragraphe 2a, et de l’article 129 de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun ainsi que de l’article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi modifiée sur la Cour suprême ( 58 ) ont un impact immédiat, direct et profond sur le statut des juges et l’exercice de leurs fonctions ( 59 ). Il s’ensuit que les mesures ayant été adoptées en application de ces dispositions du droit polonais à l’égard de juges de juridictions polonaises susceptibles d’être appelés à se prononcer sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union doivent pouvoir être contrôlées par une instance satisfaisant elle-même aux garanties inhérentes à une protection juridictionnelle effective, conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 60 ). Puisque la chambre disciplinaire avait compétence pour appliquer les dispositions susmentionnées du droit polonais, elle doit présenter toutes garanties requises quant à son indépendance, son impartialité et son établissement préalable par la loi, afin d’éviter tout risque d’utilisation des mesures adoptées dans ce cadre en tant que système de contrôle politique sur le contenu des décisions judiciaires. Se référant longuement aux critères qu’elle avait d’abord définis dans son arrêt A.K. ( 61 ), la Cour a catégoriquement affirmé dans son arrêt Régime disciplinaire des juges, en renvoyant aux considérations exposées aux points 89 à 110 de l’arrêt A.K., que la chambre disciplinaire ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. La Cour s’est appuyée notamment sur le fait que la création ex nihilo de la chambre disciplinaire, dotée de la compétence exclusive pour statuer dans certaines affaires, est intervenue parallèlement à l’adoption de la législation nationale portant atteinte à l’inamovibilité et à l’indépendance des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême). L’arrêt a observé que, en comparaison avec les autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême), la chambre disciplinaire jouissait d’un degré d’autonomie organisationnelle, fonctionnelle et financière particulièrement poussé au sein de cette cour. La rémunération des juges de la chambre disciplinaire dépassait par ailleurs d’environ 40 % celle des juges affectés aux autres chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême), sans aucune justification objective.

67.

Lors de son institution initiale, la chambre disciplinaire devait être composée exclusivement de nouveaux juges nommés par le président de la République, sur proposition de la KRS ( 62 ). Avant ces nominations, la KRS avait fait l’objet d’une réforme en profondeur ( 63 ). La Cour a estimé que de tels changements étaient susceptibles de créer un risque, jusqu’alors inexistant dans la procédure de sélection précédemment mise en œuvre, d’emprise accrue des pouvoirs législatif et exécutif sur la KRS et d’atteinte à l’indépendance de cet organe. La KRS nouvellement composée a été, en outre, mise en place moyennant un raccourcissement du mandat en cours, d’une durée de quatre ans, des membres qui composaient jusqu’alors cet organe. La Cour a également constaté que la réforme législative de la KRS était intervenue concomitamment à l’adoption d’une nouvelle loi sur la Cour suprême ( 64 ), qui a procédé à une vaste réforme de cette juridiction ( 65 ).

68.

Selon la Cour, tous ces éléments ont été de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la chambre disciplinaire à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif polonais, et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent devant elle. Ces éléments étaient susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de la chambre disciplinaire, propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit ( 66 ).

69.

Une appréciation globale de la procédure de nomination des juges de la chambre disciplinaire et des conditions dans lesquelles cette chambre opère n’exclut pas l’existence de doutes légitimes quant à l’éventualité que des pressions extérieures puissent être exercées sur ses membres ( 67 ). À la date de la rédaction des présentes conclusions, les doutes légitimes quant à l’indépendance et à l’impartialité de la chambre disciplinaire, décrits dans l’arrêt Régime disciplinaire des juges et dans l’arrêt A.K., subsistent. Ces doutes affectent non seulement le régime disciplinaire des juges en Pologne mais également les règles autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges ou de juges auxiliaires, ainsi que la réduction systématique de leur rémunération.

70.

La juridiction de renvoi a également décrit les liens existant entre le ministre de la Justice polonais et le Parquet, entre le ministre de la Justice polonais et la KRS, et entre la KRS et la chambre disciplinaire ( 68 ). À cet égard, elle doute que la chambre disciplinaire agisse en qualité de tiers par rapport aux parties, dans les procédures dont elle est saisie ( 69 ).

71.

Il est bien établi que l’exigence d’indépendance des juridictions revêt deux aspects. Le premier, d’ordre externe, requiert que l’instance exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second, d’ordre interne, rejoint la notion d’impartialité. Il vise à garantir une égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs. Cela suppose que les juridictions soient objectives et n’aient aucun intérêt dans la solution des affaires pendantes devant elles autre que la stricte application de la règle de droit ( 70 ).

72.

Les doutes de la juridiction de renvoi ont trait au second aspect de ce qui fait l’indépendance d’une juridiction et tiennent à la perception que, lorsqu’elle statue sur des autorisations de poursuivre pénalement et de suspendre des juges, la chambre disciplinaire n’est ni indépendante ni impartiale. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, les liens directs et indirects entre le ministre de la Justice polonais, le Parquet ( 71 ), la KRS et la chambre disciplinaire, décrits par cette juridiction ainsi que nous l’avons relevé aux points 28 et 29 des présentes conclusions ( 72 ), accroissent le risque, déjà considérable, que la chambre disciplinaire puisse ne pas être perçue comme étant un arbitre entièrement neutre lorsqu’elle statue sur ces questions. Ces liens sont susceptibles de compromettre encore davantage la confiance que la justice doit inspirer dans une société démocratique régie par le principe de l’État de droit.

73.

Je suggère par conséquent à la Cour de déclarer que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’appliquent dans des cas où une juridiction autorise, conformément au droit national, notamment l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges ou de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération qui en résulte. Lesdites dispositions du droit de l’Union s’opposent à une réglementation nationale qui donne compétence pour autoriser des poursuites pénales, la mise en détention ou la suspension à l’égard de juges ou de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération, à une juridiction ne satisfaisant pas aux exigences d’indépendance, d’impartialité ou d’établissement préalable par la loi.

3. La deuxième question dans l’affaire C‑671/20

74.

La juridiction de renvoi cherche à savoir si le droit de l’Union, en particulier l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, s’oppose à des dispositions nationales telles que l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun, qui, d’une part, interdisent aux juridictions nationales, lorsqu’elles vérifient si elles constituent, dans leur composition, un tribunal établi préalablement par la loi, de contrôler la légalité et les effets contraignants de décisions de la chambre disciplinaire autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges et, d’autre part, traitent un tel contrôle comme une infraction disciplinaire. La juridiction de renvoi demande également si ces dispositions du droit de l’Union s’opposent à la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) interdisant le contrôle juridictionnel de l’acte de nomination des juges par le président de la République et des actes que la KRS adopte au cours de cette procédure de nomination.

75.

Le droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, a pour corollaire que tout justiciable doit avoir la possibilité de se prévaloir de ce droit ( 73 ). Lorsque l’existence d’un tribunal indépendant et impartial est contestée pour un motif qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvu de sérieux ( 74 ), toute juridiction ( 75 ) a l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue un tel tribunal. Cette compétence est nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable. Un tel contrôle constitue donc une formalité substantielle dont le respect relève de l’ordre public et doit être vérifié par la juridiction à la demande des parties ou d’office ( 76 ). L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que l’exigence énoncée dans l’arrêt Simpson revêtent un caractère transversal. Ils s’appliquent chaque fois qu’une juridiction peut être amenée à statuer sur des affaires relevant des « domaines couverts par le droit de l’Union » ( 77 ).

76.

Le gouvernement polonais considère que ni l’arrêt A.K. ni aucune jurisprudence nationale concluant que la chambre disciplinaire ne constitue pas un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, n’ont le pouvoir de remettre en question l’acte de nomination des juges de cette chambre par le président de la République.

77.

Le libellé de l’article 42a, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun, reproduit au point 11 des présentes conclusions, ne se limite pas en soi à empêcher qu’une juridiction ait la compétence pour annuler, erga omnes, l’acte de nomination d’un juge par le président de la République. Il empêche au contraire clairement toute juridiction polonaise, que ce soit de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, de soulever ou d’examiner, en toutes circonstances et pour quelque raison que ce soit, si une juridiction est en mesure de respecter le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, ou si un juge a été nommé légalement ou s’il peut exercer des fonctions juridictionnelles, indépendamment de la nature de l’illégalité alléguée, de l’acte ou de la procédure mis en cause ou de la voie de recours ouverte. À mon avis, le texte des dispositions de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun est tellement large qu’il empêche une juridiction nationale d’examiner, ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour ( 78 ), les questions inhérentes à la composition de la juridiction.

78.

Les termes de l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun semblent renforcer les interdictions édictées par l’article 42a, paragraphes 1 et 2, de cette loi. En effet, l’article 107, paragraphe 1, point 3, de ladite loi paraît concerner toutes les tentatives de contester n’importe quel aspect de la procédure menant à la nomination d’un juge ( 79 ), y compris, par exemple, le respect de la condition que le tribunal ait été établi préalablement par la loi. Puisque l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 107, paragraphe 1, point 3, de cette même loi empêchent ces juridictions de vérifier si elles respectent l’article 2 ainsi que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte tel qu’interprété dans l’arrêt Simpson, lesdites dispositions du droit de l’Union s’opposent à de telles dispositions de droit national.

79.

Quant à la jurisprudence du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ( 80 ), si la Cour admet ( 81 ) que le fait que les décisions du président de la République nommant les juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême) ne soient pas passibles, en droit polonais, de contrôle juridictionnel ne pose pas de problème en soi ( 82 ), elle a jugé à plusieurs reprises que le contrôle juridictionnel effectif à l’égard des propositions de la KRS portant nomination de juges – incluant au moins la vérification que le pouvoir n’a pas été exercé ultra vires ou de façon inappropriée, qu’il n’y a pas eu d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation – est nécessaire lorsque naissent dans l’esprit des justiciables des doutes de nature systémique quant à l’indépendance et à l’impartialité des juges nommés dans le cadre de ce processus ( 83 ). En outre, aux points 104 à 107 de l’arrêt Régime disciplinaire des juges, la Cour a décrit un certain nombre d’éléments, dont le rôle important joué par la KRS dans la nomination des membres de la chambre disciplinaire, de nature à faire naître des doutes légitimes dans l’esprit des justiciables en ce qui concerne l’indépendance de cet organisme. Il ressort clairement de cette jurisprudence ( 84 ) que les propositions de la KRS portant nomination de juges doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, à défaut de quoi la chambre disciplinaire ne peut pas être considérée comme étant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, et ne satisfait pas aux exigences énoncées notamment par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 85 ). Cette jurisprudence lie les juridictions polonaises, y compris le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle). Dans son arrêt Grossmania, la Cour a jugé que, si elle constate qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE, cet État membre est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée pour les points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause. En vertu de l’autorité qui s’attache audit arrêt, il incombe au juge national de tenir compte, s’il y a lieu, des éléments juridiques fixés dans celui-ci en vue de déterminer la portée des dispositions du droit de l’Union qu’il a mission d’appliquer. Si les autorités nationales compétentes s’abstiennent d’exécuter un arrêt de la Cour constatant l’existence d’un manquement, la juridiction de renvoi est tenue de prendre toutes les mesures pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union conformément aux enseignements contenus dans l’arrêt en question ( 86 ).

80.

En outre, l’article 267 TFUE implique que l’arrêt que la Cour rendra dans les présentes affaires liera la juridiction de renvoi quant à l’interprétation du droit de l’Union pour la solution du litige dont elle est saisie. La juridiction de renvoi doit dès lors, le cas échéant, écarter les appréciations du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) si elle estime, eu égard à l’interprétation donnée par l’arrêt de la Cour, qu’il y a lieu de laisser inappliquée la règle nationale ( 87 ) l’obligeant à se conformer aux décisions du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ( 88 ).

81.

Je suggère par conséquent que la Cour déclare que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’opposent à des dispositions nationales telles que l’article 42a, paragraphes 1 et 2, et l’article 107, paragraphe 1, point 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun qui, premièrement, interdisent aux juridictions nationales, lorsqu’elles vérifient si elles constituent, dans leur composition, un tribunal établi préalablement par la loi, de contrôler la légalité et les effets contraignants de décisions de la chambre disciplinaire autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges et, deuxièmement, traitent un tel contrôle comme une infraction disciplinaire.

4. La quatrième question dans l’affaire C‑615/20 et les première, troisième et quatrième questions dans l’affaire C‑671/20

82.

La quatrième question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire C‑671/20 indique que le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ne garantit pas une protection juridictionnelle effective, mais sans fournir suffisamment de détails, comme l’exige l’article 94 du règlement de procédure, sur les raisons pour lesquelles elle considère que tel est le cas. Il s’ensuit que la Cour n’est pas en mesure d’aider la juridiction de renvoi en appréciant si le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) respecte, notamment, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Je suggère donc à la Cour de juger que, dans la mesure où la quatrième question dans l’affaire C‑671/20 suppose qu’il soit procédé à une telle appréciation, cette question est irrecevable.

83.

Par sa quatrième question dans l’affaire C‑615/20 et ses première et troisième questions dans l’affaire C‑671/20, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à identifier les conséquences, s’attachant au constat selon lequel la chambre disciplinaire ne respectait pas, notamment, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, sur le pouvoir de celle-ci d’autoriser l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention, la suspension à l’égard de juges et de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération. La juridiction de renvoi demande, en particulier, si l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et les principes de primauté du droit de l’Union, de coopération loyale et sécurité juridique s’opposent à des dispositions nationales telles que l’article 41b, paragraphes 1 et 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun, qui permettent la modification d’une formation de jugement sur la base d’une décision de la chambre disciplinaire autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention ou la suspension à l’égard d’un juge, et la réduction de sa rémunération. Elle demande aussi si l’article 2, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et les principes de primauté du droit de l’Union, de coopération loyale et de sécurité juridique requièrent que les autorités de l’État, dont fait partie la juridiction de renvoi, fassent abstraction des décisions de la chambre disciplinaire, en autorisant un juge suspendu et dont l’immunité a été levée à siéger dans une formation de ladite juridiction ( 89 ). Enfin, elle demande si le juge qui a remplacé le juge de cette juridiction ayant fait l’objet d’une suspension peut statuer sur des questions d’application ou d’interprétation du droit de l’Union ( 90 ).

84.

Les points 66 à 69 des présentes conclusions expliquent les raisons pour lesquelles, au moment où elle a adopté la résolution concernant le juge I.T., la chambre disciplinaire ne constituait pas un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, et ne respectait donc pas l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte ( 91 ). La violation de ces dispositions est particulièrement grave puisqu’une appréciation globale de la procédure de nomination des juges de la chambre disciplinaire et les conditions dans lesquelles cette chambre opère n’excluent pas l’existence de doutes légitimes quant à l’éventualité que des pressions extérieures puissent avoir été exercées sur les juges ainsi nommés. À mon avis, cette incertitude a affecté l’intégrité de cette chambre ainsi que tous les actes qu’elle a adoptés, y compris la résolution concernant le juge I.T.

85.

Le principe de primauté du droit de l’Union, qui établit la prééminence du droit de l’Union sur le droit des États membres, exige que tous les organismes des États membres donnent leur plein effet aux dispositions du droit de l’Union et que le droit des États membres ne puisse pas neutraliser l’effet accordé à ces dispositions sur leurs territoires respectifs. Une juridiction nationale statuant sur une affaire relevant de sa compétence a l’obligation de laisser inappliquée une disposition de droit national contraire à une disposition du droit de l’Union dotée d’effet direct, telle que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 92 ). De plus, en vertu du principe de coopération loyale énoncé par l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union ( 93 ). En application du principe de primauté du droit de l’Union, la résolution de la chambre disciplinaire est nulle et non avenue ( 94 ).

86.

La suppression de la chambre disciplinaire par la loi du 9 juin 2022 n’a pas pour conséquence que ses résolutions sont réputées nulles et non avenues. En droit national, la suspension du juge I.T. ainsi que la réduction de sa rémunération subsistent. Pour corriger cette situation, il lui faut introduire une action devant la chambre de responsabilité professionnelle, nouvellement créée, afin de contester la résolution de la chambre disciplinaire. Il incombe à la République de Pologne ( 95 ) d’assurer que non seulement cette compétence de la chambre disciplinaire soit exercée par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, mais aussi d’effacer les effets des résolutions que cette chambre a adoptées ( 96 ), sans retard ( 97 ). L’application effective et immédiate du droit de l’Union ne peut pas être subordonnée à la nécessité d’introduire une action devant la chambre de responsabilité professionnelle. Sinon, l’efficacité du droit de l’Union serait compromise à double titre. D’une part, elle dépendrait de l’introduction d’une nouvelle procédure devant cette chambre à l’initiative des parties. D’autre part, les résolutions de la chambre disciplinaire resteraient en vigueur jusqu’à l’issue d’une telle procédure.

87.

Comme l’indiquent les points 62 et 64 des présentes conclusions, la résolution de la chambre disciplinaire ne semble pas dotée de l’autorité de la chose jugée en droit polonais. Il s’ensuit que la jurisprudence de la Cour en matière d’autorité de la chose jugée ne s’y applique pas ( 98 ). Il résulte clairement de cette jurisprudence ( 99 ), par ailleurs, que puisque la résolution de la chambre disciplinaire a été adoptée par une instance qui n’est pas un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, aucune considération tirée du principe de sécurité juridique ou liée à une prétendue autorité de la chose jugée ne saurait empêcher le législateur ou une juridiction de tenir pour non avenues les conséquences illicites de cette violation du droit de l’Union ( 100 ).

88.

Je suis donc d’avis que toutes les autorités de l’État, y compris la juridiction de renvoi – qui compte en son sein le juge I.T. ( 101 ) – ainsi que les instances ayant des pouvoirs à l’effet de former et de modifier la composition des juridictions nationales ( 102 ), doivent laisser inappliquée la résolution de la chambre disciplinaire et permettre au juge I.T. de siéger dans la formation de jugement de la juridiction de renvoi ( 103 ).

89.

Ces observations sont soumises à la réserve importante suivante : cela suppose qu’une affaire n’ait pas été réattribuée à une autre formation constituant elle-même un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. S’il est vrai que l’efficacité du droit de l’Union bénéficierait incontestablement de l’élimination de toutes les conséquences illicites de la résolution de la chambre disciplinaire, y compris l’annulation ex nunc de décisions réattribuant à une autre formation des affaires attribuées au juge I.T., une telle solution – qui exigerait que toutes les affaires antérieurement attribuées à ce juge soient à nouveau ouvertes et/ou rejugées – ne tiendrait pas compte des intérêts des justiciables à la sécurité juridique ( 104 ) et à un procès dans un délai raisonnable conformément à l’article 47 de la Charte.

90.

Il s’ensuit que, dans le cas de la demande de décision préjudicielle présentée dans l’affaire C‑615/20, le juge I.T. devrait continuer de siéger dans la formation saisie de la procédure au principal. La résolution de la chambre disciplinaire du 18 novembre 2020 qui entendait le suspendre a été adoptée à la même date que la demande de renvoi préjudiciel présentée dans l’affaire C‑615/20, en conséquence de laquelle la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer dans cette affaire. Il est clair, au vu du dossier dont dispose la Cour, que la procédure qui est à l’origine de l’affaire C‑615/20 n’a pas été réattribuée, malgré la suspension du juge I.T. ( 105 ). En revanche, l’affaire à l’origine du renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑671/20 a été réattribuée à une autre formation de la juridiction de renvoi. Rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de penser que cette formation n’est pas un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Dans ce cas, cette affaire peut rester devant la nouvelle formation ( 106 ).

91.

Je propose donc à la Cour de déclarer que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union, de coopération loyale et de sécurité juridique requièrent que toutes les autorités de l’État, y compris la juridiction de renvoi, éliminent les conséquences illicites de décisions de la chambre disciplinaire telles que sa résolution du 18 novembre 2020 et permettent ainsi à un juge objet d’une suspension de siéger au sein de cette juridiction, sauf dans les affaires ayant été réattribuées à une autre formation de jugement constituant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

VI. Conclusion

92.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose que la Cour réponde en ces termes aux questions posées par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) :

L’article 2 TUE et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :

s’appliquent dans tous les cas où une juridiction autorise, conformément au droit national, notamment l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges ou de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération qui en résulte. Ces dispositions du droit de l’Union s’opposent à des règles nationales donnant compétence pour autoriser l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges ou de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération qui en résulte, à une juridiction ne satisfaisant pas aux exigences d’indépendance, d’impartialité ou d’établissement préalable par la loi ;

s’opposent à des dispositions nationales qui, d’une part, interdisent aux juridictions nationales, lorsqu’elles vérifient si elles constituent, dans leur composition, un tribunal établi préalablement par la loi, de contrôler la légalité et les effets contraignants de décisions de l’Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire) du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges et, d’autre part, traitent un tel contrôle comme une infraction disciplinaire.

L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que les principes de primauté du droit de l’Union, de coopération loyale et de sécurité juridique requièrent que toutes les autorités de l’État, y compris la juridiction de renvoi, effacent les conséquences illicites de décisions de la chambre disciplinaire autorisant l’exercice de poursuites pénales, la mise en détention et la suspension à l’égard de juges et permettent ainsi à un juge objet d’une suspension de siéger au sein de cette juridiction, sauf dans les affaires ayant été réattribuées à une autre formation de jugement constituant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Ci-après la « chambre disciplinaire ».

( 3 ) Qui est identique dans les affaires C‑615/20 et C‑671/20 mais siège en formations de jugement différentes.

( 4 ) Ci-après la « Charte ».

( 5 ) Tel que visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

( 6 ) Affaire VIII K 105/17.

( 7 ) En application de la réglementation alors en vigueur, la chambre disciplinaire était compétente à la fois en première instance et en deuxième instance pour connaître des demandes d’autorisation de poursuivre un juge ou de le placer en détention.

( 8 ) Affaire II DO 74/20. Ci-après la « résolution de la chambre disciplinaire ».

( 9 ) C’est-à-dire les mêmes juges, ou les mêmes juges et jurés.

( 10 ) La juridiction de renvoi cite notamment l’arrêt du 19 novembre 2019, A.K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci-après l’« arrêt A.K. , EU:C:2019:982).

( 11 ) Affaire III PO 7/18.

( 12 ) Affaires III PO 8/18 et III PO 9/18.

( 13 ) Ci-après la « chambre du travail et des assurances sociales ».

( 14 ) II DO 52/20.

( 15 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 35 et jurisprudence citée).

( 16 ) Ordonnance de la Cour du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, ci-après l’« ordonnance du 8 avril 2020 », EU:C:2020:277, points 34 et 35, ainsi que jurisprudence citée).

( 17 ) Arrêt du 5 novembre 2019, Commission/Pologne (Indépendance des juridictions de droit commun) (C‑192/18, EU:C:2019:924, point 114 et jurisprudence citée).

( 18 ) Et en a l’obligation lorsqu’un juge est accusé d’avoir commis une infraction intentionnelle passible de poursuites par le ministère public.

( 19 ) Arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander (C‑274/14, EU:C:2020:17, point 62 et jurisprudence citée).

( 20 ) Voir arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 88 et 89).

( 21 ) Comme le ministre de la Justice, les présidents des juridictions, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) ou les instances disciplinaires.

( 22 ) La base juridique de cette ordonnance, datée du 24 novembre 2020, était l’article 47b, paragraphes 1 et 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun.

( 23 ) Sauf l’affaire VIII K 105/17.

( 24 ) Sauf l’affaire VIII K 105/17, qui a donné lieu au renvoi préjudiciel dans l’affaire C‑615/20.

( 25 ) Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, ci-après l’« arrêt Simpson , EU:C:2020:232, point 57 et jurisprudence citée).

( 26 ) De la part du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

( 27 ) Voir article 439, paragraphe 1, sous 1) et 2), lu en combinaison avec l’article 523, paragraphe 1, du code de procédure pénale.

( 28 ) Ci-après le « président de la République ».

( 29 ) Voir arrêt du 4 mars 2020, TK (affaire P 22/19), et ordonnance du 20 avril 2020, TKz (affaire U 1/20).

( 30 ) Arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 88 et 89, ainsi que jurisprudence citée).

( 31 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48). Selon le gouvernement polonais, les procédures pénales pendantes devant la juridiction de renvoi concernent des questions purement internes, auxquelles l’article 47 de la Charte et l’article 19, paragraphe 1, TUE ne s’appliquent pas.

( 32 ) Arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 20).

( 33 ) Arrêts du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503, point 38), et du 27 février 2014, Pohotovosť (C‑470/12, EU:C:2014:101, points 28 et 29).

( 34 ) Arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 48 et jurisprudence citée).

( 35 ) Voir point 57 de cet arrêt.

( 36 ) Voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 49). Voir aussi arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, points 93 et 94).

( 37 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 54 et jurisprudence citée).

( 38 ) Arrêt du 22 mars 2022 (C‑508/19, EU:C:2022:201, points 60 à 71).

( 39 ) Sur le fondement de l’article 258 TFUE.

( 40 ) JO 2021, C 252, p. 9.

( 41 ) Il convient de ne pas exagérer la différence de portée entre les arrêts rendus sur le fondement des articles 258 et 267 TFUE. Ainsi, dans son arrêt du 10 mars 2022, Grossmania (C‑177/20, EU:C:2022:175), la Cour a récemment décrit les effets combinés que ses arrêts peuvent produire au titre des deux procédures.

( 42 ) Il n’est pas contesté que la juridiction de renvoi relève, en tant que « juridiction », au sens du droit de l’Union, du système polonais de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union », au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte qu’elle doit satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective. Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 106 et jurisprudence citée).

( 43 ) Arrêt du 22 février 2022, RS (Effets des décisions d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 34 à 37 et jurisprudence citée).

( 44 ) Première question, sous c), et troisième question, sous f), dans l’affaire C‑615/20.

( 45 ) Il s’agit du point 5 de l’article 3, de l’article 27 et de l’article 73, paragraphe 1, de cette loi. Conformément à l’ordonnance du 8 avril 2020, la République de Pologne a également été condamnée à s’abstenir de transmettre les affaires pendantes devant la chambre disciplinaire à une formation de jugement qui ne satisfait pas aux exigences d’indépendance définies, notamment, dans l’arrêt A.K.

( 46 ) Voir article 27, paragraphe 1, point 1a, de la loi modifiée sur la Cour suprême et article 80, article 110, paragraphe 2a, ainsi qu’article 129 de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun.

( 47 ) En tout état de cause, la suspension a pris fin avec le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, ci-après l’« arrêt Régime disciplinaire des juges », EU:C:2021:596). Le constat que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE en ne garantissant pas l’indépendance et l’impartialité de la chambre disciplinaire et, en particulier, les critères sur lesquels la Cour s’est appuyée pour parvenir à cette conclusion, revêtent une importance particulière pour les présentes affaires. Voir, aussi, arrêt A.K.

( 48 ) Ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 14 juillet 2021, Commission/Pologne (C‑204/21 R, ci-après l’« ordonnance du 14 juillet 2021 », EU:C:2021:593).

( 49 ) Avec effet immédiat et jusqu’au prononcé de l’arrêt qui mettra fin à l’instance dans l’affaire C‑204/21, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges).

( 50 ) Telle que définie dans l’arrêt A.K.

( 51 ) Ordonnance du vice-président de la Cour du 27 octobre 2021, Commission/Pologne (C‑204/21 R, non publiée, EU:C:2021:878).

( 52 ) Sans être contredite par le gouvernement polonais.

( 53 ) Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, cette loi est entrée en vigueur le 15 juillet 2022.

( 54 ) Afin, par exemple, de voir sa suspension levée.

( 55 ) Comme le gouvernement polonais et la Commission l’ont indiqué dans leurs observations, en l’absence de règles de l’Union à ce sujet, c’est aux États membres qu’il appartient de déterminer si certaines actions d’un juge revêtent la nature d’infraction disciplinaire ou pénale. Ainsi, le droit de l’Union n’exclut pas, en principe, une disposition telle que l’article 181 de la Constitution de la République de Pologne qui envisage la levée de l’immunité d’un juge en vue de poursuites pénales et de sa mise en détention par un tribunal établi préalablement par la loi. Voir deuxième question dans l’affaire C‑615/20.

( 56 ) Arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 210 à 213). Voir deuxième question, sous a), dans l’affaire C‑615/20.

( 57 ) Voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination de juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 112 et jurisprudence citée).

( 58 ) Affaires relatives aux demandes d’autorisation d’ouvrir une procédure pénale contre les juges et les juges auxiliaires ou de les placer en détention provisoire, affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges de la Cour suprême, et affaires relatives à la mise à la retraite de ces juges.

( 59 ) Voir, également, ordonnance du 14 juillet 2021 (point 81).

( 60 ) Voir, par analogie, arrêt Régime disciplinaire des juges (points 80 et 83).

( 61 ) Voir première question, sous a), et troisième question, sous d), dans l’affaire C‑615/20.

( 62 ) Ce qui excluait toute possibilité de transférer à ladite chambre des juges déjà en fonction au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), alors même que de tels transferts étaient autorisés en théorie.

( 63 ) Vingt-trois des 25 membres de la KRS dans sa nouvelle composition ont été nommés par les pouvoirs exécutif et législatif polonais ou en font partie. Auparavant, les juges choisissaient 15 membres de la KRS dans leurs propres rangs.

( 64 ) Ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), dans la version consolidée publiée au Dziennik Ustaw Rzeczypospolitej Polskiej de 2019 (position 825).

( 65 ) Qui comprenait, en particulier, la création au sein de cette juridiction de deux nouvelles chambres, l’une d’elles étant la chambre disciplinaire, ainsi que l’instauration du dispositif prévoyant l’abaissement de l’âge de la mise à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et son application aux juges en exercice de cette juridiction. La résiliation anticipée du mandat de certains membres de la KRS et le remaniement de cet organe sont intervenus dans un contexte où il était attendu que de nombreux postes seraient bientôt à pourvoir au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême), et notamment de la chambre disciplinaire.

( 66 ) La Cour a également jugé qu’une telle évolution constituait une régression de la protection de la valeur de l’État de droit. Arrêt Régime disciplinaire des juges (point 112).

( 67 ) Voir point 212 de mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (C-204/21, EU:C:2022:991).

( 68 ) Voir points 28 et 29 des présentes conclusions. Voir, aussi, troisième question, sous e), dans l’affaire C‑615/20. La Cour a constaté que le rôle de la KRS dans cette procédure de nomination s’avère déterminant et que son indépendance du pouvoir politique est sujette à caution, ce qui est de nature à faire naître des doutes légitimes quant à l’indépendance et à l’impartialité de la chambre disciplinaire. Arrêt Régime disciplinaire des juges (points 101 et 108).

( 69 ) Voir troisième question, sous f), dans l’affaire C‑615/20.

( 70 ) Arrêt A.K. (points 120 à 122).

( 71 ) Voir point 28 des présentes conclusions. Une analogie peut être établie avec l’arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquet de Lübeck et parquet de Zwickau) (C‑508/18, EU:C:2019:456, points 73 à 90), à propos des liens entre le ministre de la Justice allemand et le Parquet, à propos du risque que le premier donne des instructions au second, dans des cas spécifiques.

( 72 ) Associés aux autres éléments invoqués par la Cour dans son arrêt Régime disciplinaire des juges.

( 73 ) Arrêt Simpson (point 55).

( 74 ) Arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 46).

( 75 ) Voir arrêt Simpson (point 57) et arrêt du 24 mars 2022, Wagenknecht/Commission (C‑130/21 P, EU:C:2022:226, point 15), pour ce qui concerne la Cour et le Tribunal. Voir arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, points 126 à 131), pour ce qui concerne les cours et tribunaux des États membres.

( 76 ) Arrêt Simpson (points 55 et 57) et arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 46).

( 77 ) Arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, points 29, 36 et 37).

( 78 ) Arrêt Simpson (point 55).

( 79 ) Voir arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 128 et suiv., ainsi que jurisprudence citée). Il pourrait être soutenu, par exemple, que le fait d’examiner le rôle joué par la KRS dans la procédure de nomination d’un juge constitue une infraction disciplinaire.

( 80 ) Le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), dans son arrêt du 4 mars 2020 (affaire P 22/19) (Dz. U. de 2020, position 413), a jugé que les dispositions de droit national qui admettent une demande visant à exclure un juge d’une affaire, en raison de sa nomination irrégulière par le président de la République agissant sur proposition de la KRS, sont incompatibles avec l’article 179, lu en combinaison avec l’article 144, paragraphe 3, point 17, de la Constitution de la République de Pologne.

( 81 ) Arrêt A.K. (point 145).

( 82 ) Le point 129 de l’arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges de la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153), affirme que « l’absence éventuelle de la possibilité d’exercer un recours juridictionnel dans le contexte d’un processus de nomination à des postes de juge d’une juridiction suprême nationale peut, dans certains cas, ne pas s’avérer problématique au regard des exigences découlant du droit de l’Union, en particulier de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ».

( 83 ) Arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, points 128 à 136, et jurisprudence citée).

( 84 ) Arrêt A.K. Voir, aussi, arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153), et arrêt Régime disciplinaire des juges.

( 85 ) L’arrêt Régime disciplinaire des juges concerne la compétence attribuée à la chambre disciplinaire de statuer dans les affaires disciplinaires concernant les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et des juridictions de droit commun. Comme l’indiquent le point 69 des présentes conclusions et le point 212 de mes conclusions dans l’affaire Commission/Pologne (C-204/21, EU:C:2022:991), le raisonnement tenu dans cet arrêt vaut aussi pour la compétence attribuée à la chambre disciplinaire d’autoriser les poursuites pénales, la détention et la suspension à l’égard de juges et de juges auxiliaires, ainsi que la réduction de leur rémunération.

( 86 ) Arrêt du 10 mars 2022, Grossmania (C‑177/20, EU:C:2022:175, points 35, 36 et 38, ainsi que jurisprudence citée).

( 87 ) Article 190, paragraphe 1, de la Constitution de la République de Pologne.

( 88 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des décisions d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 73 à 75). Voir, aussi, arrêts du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153, point 146), et du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 250).

( 89 ) Voir quatrième question, sous a) et b), dans l’affaire C‑615/20 et troisième question, sous a), dans l’affaire C‑671/20.

( 90 ) Voir troisième question, sous b), dans l’affaire C‑671/20. YP considère qu’une autorisation de poursuivre pénalement un juge ne peut être octroyée que par un tribunal indépendant et impartial, à l’issue d’un examen équitable et transparent de l’affaire. Puisque la chambre disciplinaire n’a respecté aucune de ces conditions, sa résolution est nulle et non avenue. Le gouvernement polonais est d’avis que la suspension du juge I.T. est valide et que la participation de celui-ci au procès pénal constituerait une violation du droit des parties à un tribunal indépendant établi préalablement par la loi.

( 91 ) Quelle que soit la nature de la compétence qu’elle prétendait exercer.

( 92 ) Puisque la jurisprudence existante de la Cour fournit une réponse claire à la question de savoir si la chambre disciplinaire respecte l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – en particulier dans son arrêt Régime disciplinaire des juges –, la juridiction nationale doit faire tout ce qui est nécessaire dans le cadre de sa compétence pour assurer l’application de cette interprétation. Voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Grossmania (C‑177/20, EU:C:2022:175, point 38 et jurisprudence citée).

( 93 ) Arrêt du 10 mars 2022, Grossmania (C‑177/20, EU:C:2022:175, point 63).

( 94 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, points 152 à 155).

( 95 ) Et à toutes les émanations de cet État, y compris la juridiction de renvoi.

( 96 ) Voir arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428, point 36).

( 97 ) Voir, par analogie, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 23), qui énonce, notamment, que toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit de l’Union par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes du droit de l’Union serait incompatible avec les exigences de ce droit. Voir, également, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, points 43 et 44, ainsi que jurisprudence citée).

( 98 ) Voir arrêts du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines (C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 88 et 89), et du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil (C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 52 et jurisprudence citée).

( 99 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 160).

( 100 ) Cela ne signifie pas que les juges qui faisaient l’objet de procédures devant la chambre disciplinaire en vertu, par exemple, de l’article 80 de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun ne peuvent pas faire l’objet de nouvelles procédures en vertu de cette disposition devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. C’est aux autorités compétentes de l’État qu’il appartient de (ré-)engager de telles procédures contre les juges, s’il y a lieu.

( 101 ) S’il était impossible d’instituer les formations de la juridiction de renvoi qui comprenaient le juge I.T., les juridictions seraient dans l’incapacité de vérifier si elles constituent un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, ce qui rendrait inopérant l’arrêt Simpson (points 55 et 57).

( 102 ) En particulier un président de juridiction. Voir article 41b, paragraphes 1 et 3, de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun.

( 103 ) Sans préjudice de la possibilité pour un juge d’introduire une action en réparation. Le droit polonais semble prévoir l’indemnisation des juges suspendus, dans certains cas. Voir article 129 de la loi modifiée relative à l’organisation des juridictions de droit commun.

( 104 ) Étant donné le délai substantiel écoulé depuis la suspension du juge I.T., intervenue le 18 novembre 2020, plusieurs des affaires qui lui avaient été initialement attribuées ont probablement déjà été jugées.

( 105 ) Voir point 4 des observations du Parquet régional.

( 106 ) Je suis conscient de la brièveté du délai écoulé entre la résolution de la chambre disciplinaire, datant du 18 novembre 2020, et la demande de renvoi préjudiciel présentée dans l’affaire C‑671/20, du 9 décembre 2020 – et donc le sursis à statuer dans l’affaire au principal – ainsi que du fait que l’affaire au principal dans cette procédure n’a probablement pas progressé dans l’intervalle. Cette circonstance ne modifie pas ma conclusion. La sécurité juridique ainsi qu’une prise de position claire et de principe sur ce type de questions, qui soit applicable à toutes les affaires, doit se voir accorder la prééminence sur le besoin de célérité caractérisant les affaires individuelles.