CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 6 octobre 2021 ( 1 )

Affaires jointes C‑368/20 et C‑369/20

NW

contre

Landespolizeidirektion Steiermark (C‑368/20)

et

NW

contre

Bezirkshauptmannschaft Leibnitz (C‑369/20)

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Code frontières Schengen – Règlement (UE) 2016/399 – Article 25 – Réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures – Réglementation nationale prévoyant plusieurs périodes successives de contrôle – Proportionnalité – Article 72 TFUE – Libre circulation des personnes – Article 4, paragraphe 2, TUE »

I. Introduction

1.

L’article 3, paragraphe 2, TUE dispose que l’Union « offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ». Dans les présentes affaires, la Cour est, en substance, amenée à se prononcer sur l’équilibre délicat, que fait ressortir cette disposition, entre la liberté des citoyens de l’Union de circuler dans un espace sans frontières intérieures et le maintien de la sécurité de cet espace.

2.

Les présentes affaires portent plus particulièrement sur l’interprétation, notamment, de l’article 25 du code frontières Schengen ( 2 ). Cette disposition constitue une exception au principe général de ce code selon lequel les frontières intérieures peuvent être franchies sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité ( 3 ). À cet égard, le paragraphe 1 de cet article autorise les États membres, dans des circonstances exceptionnelles où ils sont confrontés à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, à réintroduire temporairement le contrôle aux frontières intérieures, dans les conditions y prévues. Le paragraphe 4, première phrase, dudit article prévoit à cet égard une durée maximale de six mois pour la réintroduction du contrôle.

3.

Dans les présentes affaires, la Cour est, pour l’essentiel, amenée à dire si l’article 25 du code frontières Schengen s’oppose à une nouvelle application de son paragraphe 1 dans le cas où un État membre, à l’expiration de la durée de six mois prévue au paragraphe 4 de cet article, est toujours confronté à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.

4.

Cette question a été soulevée dans le contexte de la réintroduction par la République d’Autriche du contrôle à la frontière entre cet État membre et la République de Slovénie sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1 du code frontières Schengen. Estimant, en substance, être confrontée à des menaces graves persistantes, la République d’Autriche avait plusieurs fois d’affilée réintroduit le contrôle en vertu de cette disposition, à chaque fois pour une durée de six mois. Je note toutefois que la question posée s’inscrit dans un contexte plus large. En effet, plusieurs autres État membres ont réintroduit pendant des années le contrôle à leurs frontières intérieures en faisant des applications successives de cette même disposition pour des raisons similaires ( 4 ).

5.

À l’issue de mon exposé, j’expliquerai pourquoi, à mes yeux, l’article 25 du code frontières Schengen ne s’oppose pas, en principe, à une nouvelle application de son paragraphe 1 lorsqu’un État membre, à l’expiration de la durée de six mois prévue au paragraphe 4 de cet article, est toujours confronté à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Pour autant, lorsqu’il s’agit, en substance, d’une continuation de la menace grave précédente, j’estime que, aux fins d’une telle nouvelle application, le principe de proportionnalité implique le respect de critères particulièrement stricts que je présenterai.

II. Le cadre juridique

A.   Le code frontières Schengen

6.

L’article 25 du code frontières Schengen, intitulé « Cadre général pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », prévoit :

« 1.   En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, cet État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques de ses frontières intérieures pendant une période limitée d’une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. La portée et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave.

2.   Le contrôle aux frontières intérieures n’est réintroduit qu’en dernier recours et conformément aux articles 27, 28 et 29. Les critères visés, respectivement aux articles 26 et 30, sont pris en considération chaque fois qu’une décision de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures est envisagée en vertu de l’article 27, 28 ou 29, respectivement.

3.   Lorsque la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans l’État membre concerné persiste au-delà de la durée prévue au paragraphe 1 du présent article, ledit État membre peut prolonger le contrôle à ses frontières intérieures, en tenant compte des critères visés à l’article 26 et conformément à l’article 27, pour les mêmes raisons que celles visées au paragraphe 1 du présent article et, en tenant compte d’éventuels éléments nouveaux, pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours.

4.   La durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures, y compris toute prolongation prévue au titre du paragraphe 3 du présent article, ne peut excéder six mois. Dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 29, cette durée totale peut être étendue à une durée maximale de deux ans conformément au paragraphe 1 dudit article. »

7.

L’article 26 de ce code, intitulé « Critères pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », prévoit :

« Lorsqu’un État membre décide, en dernier recours, la réintroduction temporaire du contrôle à une ou plusieurs de ses frontières intérieures ou sur des tronçons de celles-ci ou décide de prolonger ladite réintroduction, conformément à l’article 25 ou à l’article 28, paragraphe 1, il évalue la mesure dans laquelle cette réintroduction est susceptible de remédier correctement à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure et évalue la proportionnalité de la mesure par rapport à cette menace. Lors de cette évaluation, l’État membre tient compte, en particulier, de ce qui suit :

a)

l’incidence probable de toute menace pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, y compris du fait d’incidents ou de menaces terroristes, dont celles que représente la criminalité organisée ;

b)

l’incidence probable d’une telle mesure sur la libre circulation des personnes au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures. »

8.

L’article 27 dudit code, intitulé « Procédure de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 », énonce :

« 1.   Lorsqu’un État membre prévoit de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25, il notifie son intention aux autres États membres et à la Commission au plus tard quatre semaines avant la réintroduction prévue, ou dans un délai plus court lorsque les circonstances étant à l’origine de la nécessité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures sont connues moins de quatre semaines avant la date de réintroduction prévue. À cette fin, l’État membre fournit les informations suivantes :

a)

les motifs de la réintroduction envisagée, y compris toutes les données pertinentes détaillant les événements qui constituent une menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure ;

b)

la portée de la réintroduction envisagée, en précisant le ou les tronçon(s) des frontières intérieures où le contrôle doit être réintroduit ;

c)

le nom des points de passage autorisés ;

d)

la date et la durée de la réintroduction prévue ;

e)

le cas échéant, les mesures que les autres États membres doivent prendre.

Une notification au titre du premier alinéa peut également être présentée conjointement par deux ou plusieurs États membres.

Si nécessaire, la Commission peut demander des informations complémentaires à l’État membre ou aux États membres concernés.

2.   Les informations visées au paragraphe 1 sont présentées au Parlement européen et au Conseil et notifiées au même moment aux États membres et à la Commission en vertu dudit paragraphe.

[...]

4.   À la suite de la notification par un État membre au titre du paragraphe 1, et en vue de la consultation prévue au paragraphe 5, la Commission ou tout autre État membre peut, sans préjudice de l’article 72 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, émettre un avis.

Si, sur la base des informations figurant dans la notification ou de toute information complémentaire qu’elle a reçue, la Commission a des doutes quant à la nécessité ou la proportionnalité de la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures, ou si elle estime qu’une consultation sur certains aspects de la notification serait appropriée, elle émet un avis en ce sens.

5.   Les informations visées au paragraphe 1, ainsi que tout avis éventuel émis par la Commission ou un État membre au titre du paragraphe 4, font l’objet d’une consultation, y compris, le cas échéant, de réunions conjointes entre l’État membre prévoyant de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, les autres États membres, en particulier ceux directement concernés par de telles mesures, et la Commission, afin d’organiser, le cas échéant, une coopération mutuelle entre les États membres et d’examiner la proportionnalité des mesures par rapport aux événements qui sont à l’origine de la réintroduction du contrôle aux frontières ainsi qu’à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure.

6.   La consultation visée au paragraphe 5 a lieu au moins dix jours avant la date prévue pour la réintroduction du contrôle aux frontières. »

B.   Le droit autrichien

1. Le PassG

9.

Le Bundesgesetz betreffend das Passwesen für österreichische Staatsbürger (Passgesetz 1992) [loi fédérale concernant la délivrance de passeports aux ressortissants autrichiens (loi de 1992 sur les passeports, ci-après le « PassG »)] prévoit à son article 2, paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire d’une convention internationale ou coutume internationale contraire, les ressortissants autrichiens (ressortissants) doivent être munis d’un document de voyage en cours de validité (passeport ou équivalent du passeport) pour entrer sur le territoire de la République d’Autriche et en sortir. »

10.

L’article 24, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Toute personne qui

1)

entre irrégulièrement sur le territoire national ou en sort irrégulièrement (article 2),

[...]

commet, à moins que l’acte ne constitue une infraction pénale, une infraction administrative passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 2180 euros ou d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à six semaines. En cas de récidive, amende et peine privative de liberté sont infligées cumulativement s’il existe des circonstances aggravantes. »

2. Le GrekoG

11.

Le Bundesgesetz über die Durchführung von Personenkontrollen aus Anlaß des Grenzübertritts (Grenzkontrollgesetz – GrekoG) [loi fédérale sur la réalisation de contrôles sur les personnes à l’occasion du franchissement de la frontière (loi relative au contrôle aux frontières, ci‑après le « GrekoG »)] prévoit à son article 10, intitulé « Franchissement de la frontière » :

« 1.   Sauf disposition contraire d’une convention internationale ou coutume internationale contraire, la frontière extérieure ne peut être franchie qu’aux points de passage frontaliers.

2.   La frontière intérieure peut être franchie en tout lieu. Lorsqu’il apparaît que le maintien de la tranquillité, de l’ordre et de la sécurité publiques le requiert, le ministre fédéral de l’Intérieur est néanmoins habilité, dans les limites des conventions internationales, à prendre un arrêté disposant que, pendant une période donnée, certaines portions de la frontière intérieure ne pourront être franchies qu’à des points de passage frontaliers.

[...] »

12.

L’article 11 de cette loi, intitulé « Obligation de contrôle aux frontières », dispose :

« 1.   Le franchissement de la frontière à des points de passage frontaliers [...] emport[e] pour l’intéressé l’obligation de se soumettre au contrôle (obligation de contrôle aux frontières).

2.   Le franchissement de la frontière à la frontière intérieure n’emporte, à l’exception des cas visés à l’article 10, paragraphes 2 et 3, pas obligation de contrôle aux frontières.

[...] »

13.

L’article 12 de ladite loi, intitulé « Mise en œuvre du contrôle aux frontières », prévoit à son paragraphe 1 :

« Le contrôle aux frontières incombe à l’autorité. Lorsque sa mise en œuvre implique l’exercice d’un pouvoir direct d’injonction et de contrainte par l’autorité administrative, il est réservé aux organes des forces de l’ordre et à la direction générale de la police (article 12b). [...] »

14.

L’article 12a de cette même loi, intitulé « Pouvoirs des organes des forces de l’ordre », dispose à son paragraphe 1 :

« Les organes des forces de l’ordre sont habilités à procéder au contrôle aux frontières d’une personne s’il existe des raisons de penser que cette personne est tenue de l’obligation de contrôle aux frontières [...] »

3. L’arrêté no 114/2019

15.

Le Verordnung des Bundesministers für Inneres über die vorübergehende Wiedereinführung von Grenzkontrollen an den Binnengrenzen (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures), du 9 mai 2019 (BGBl. II, 114/2019, ci-après l’« arrêté no 114/2019 ») est libellé comme suit :

« Sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, de la loi relative au contrôle aux frontières (GrekoG), nous ordonnons :

Article 1er. Afin de préserver la tranquillité, l’ordre et la sécurité publiques, les frontières intérieures avec la République de Slovénie et la Hongrie ne peuvent, entre le 13 mai 2019, 00.00 heure, et le 13 novembre 2019, 24.00 heures, être franchies par voie terrestre qu’à des points de passage frontaliers.

Article 2. Le présent arrêté cessera d’être en vigueur le 13 novembre 2019 à minuit. »

III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A.   L’affaire C-369/20

16.

Le 29 août 2019, NW a voulu entrer sur le territoire autrichien au point de passage transfrontalier de Spielfeld en provenance de la Slovénie.

17.

Invité par l’inspecteur CO à présenter son passeport, NW a demandé s’il s’agissait d’une vérification aux frontières ou d’un contrôle d’identité. L’inspecteur CO ayant répondu qu’il s’agissait d’une vérification aux frontières, le requérant s’est identifié au moyen de son permis de conduire, car il considérait que le contrôle aux frontières était, à cette date, contraire au droit de l’Union. Même après que l’inspecteur CO eut réitéré à plusieurs reprises l’invitation à présenter son passeport et informé le requérant qu’il contrevenait au PassG, le requérant n’a pas présenté de passeport. L’inspecteur CO a dès lors mis fin à l’opération administrative et informé le requérant qu’une plainte suivrait.

18.

Par décision administrative à caractère pénal du 7 novembre 2019, NW a été déclaré coupable d’avoir franchi la frontière autrichienne lors de son entrée sur le territoire de la République d’Autriche sans être muni d’un document de voyage en cours de validité. De ce fait, le requérant avait contrevenu à l’article 2, paragraphe 1, du PassG et il a été condamné au paiement d’une amende d’un montant de 36 euros en application de l’article 24, paragraphe 1, de cette loi. Les faits reprochés au requérant avaient été portés à la connaissance des autorités par une plainte des agents de police de la Landespolizeidirektion Steiermark (direction générale de la police de Styrie, Autriche) le 6 septembre 2019. Par avis de contravention du 9 septembre 2019, le requérant avait ensuite été déclaré coupable d’une contravention à l’article 2, paragraphe 1, de ladite loi. Dans la réclamation qu’il avait formée le 23 septembre 2019 contre l’avis de contravention, le requérant avait fait valoir que l’illégalité de la vérification aux frontières effectuée – le titre III du code frontières Schengen ne fournissant aucune base juridique à l’opération administrative en cause – ainsi que l’opération administrative et l’avis de contravention portaient atteinte au droit de libre circulation que lui reconnaissaient les dispositions combinées de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 22 du code frontières Schengen.

19.

La juridiction de renvoi expose que la République d’Autriche a réintroduit un contrôle à la frontière avec la République de Slovénie à partir du mois de septembre 2015. Du 16 septembre 2015 au 10 mai 2016, ce contrôle était fondé, en droit de l’Union, d’abord sur l’article 29 du premier code frontières Schengen (règlement (CE) no 562/2006) ( 5 ), puis sur l’article 25, paragraphe 2, de celui-ci ( 6 ). Ensuite, entre le 11 mai 2016 et le 11 novembre 2017, la prolongation du contrôle aux frontières était basée sur trois décisions d’exécution du Conseil prises sur le fondement de l’article 29 du code frontières Schengen.

20.

La Commission européenne n’ayant pas, après le 11 novembre 2017, soumis au Conseil de nouvelle proposition de prolonger le contrôle aux frontières sur le fondement de l’article 29 du code frontières Schengen, une prolongation du contrôle aux frontières en Autriche au‑delà de cette date ne pouvait plus, selon la juridiction de renvoi, être fondée que sur l’article 25, paragraphe 1, de ce code.

21.

Le 12 octobre 2017, la République d’Autriche a notifié à la Commission une prolongation de la mise en œuvre d’un contrôle aux frontières pour six mois, du 11 novembre 2017 au 11 mai 2018 ( 7 ). Le contrôle aux frontières a ensuite été prolongé pour six mois encore, du 11 mai 2018 au11 novembre 2018 ( 8 ), puis du 12 novembre 2018 au 12 mai 2019 ( 9 ), et enfin du 13 mai 2019 au 13 novembre 2019. Cette dernière période de prolongation, durant laquelle NW a été soumis au contrôle, était fondée sur l’arrêté no 114/2019.

22.

Selon la juridiction de renvoi, la façon dont a procédé la République d’Autriche, en faisant se succéder des textes réglementaires de droit national, conduit à un cumul de périodes dont la durée totale excède la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen. La juridiction de renvoi considère que cet enchaînement sans interruption d’arrêtés ministériels constitue un cumul de périodes de six mois. Or, l’article 25, paragraphe 4, de ce code ferait obstacle à un tel cumul et, à supposer même qu’il soit possible, ce cumul contournerait, en l’occurrence, le délai de deux ans prévu à cette disposition.

23.

Dans ces circonstances, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union fait-il obstacle à des dispositions de droit interne qui, par une succession de textes réglementaires nationaux, conduisent à un cumul de périodes de prolongation et permettent ainsi une réintroduction du contrôle aux frontières pour une durée qui excède la limite de deux ans fixée aux articles 25 et 29 [du code frontières Schengen], et sans que le Conseil de l’Union européenne n’ait pris de décision d’exécution en ce sens au titre de l’article 29 [de ce code] ?

2)

Le droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la charte des droit fondamentaux de l’Union européenne ( 10 ), doit‑il être interprété, notamment à la lumière du principe de l’absence de vérifications sur les personnes aux frontières intérieures énoncé à l’article 22 [dudit code], en ce sens qu’il comprend le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures, sous réserve des conditions et exceptions prévues par les traités et notamment le [même code] ?

3)

En cas de réponse positive à la deuxième question :

L’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 45, paragraphe 1, de la [Charte] doivent-ils être interprétés, à la lumière de l’effet utile du droit de libre circulation, en ce sens qu’ils font obstacle à l’application d’une disposition de droit national obligeant une personne, sous peine de sanction administrative, à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire national par une frontière intérieure, alors même que la vérification aux frontières intérieures concrètement opérée est contraire au droit de l’Union ? »

B.   L’affaire C-368/20

24.

Le 16 novembre 2019, NW a été soumis à une vérification aux frontières sur le fondement de l’article 12a, paragraphe 1, du GrekoG, alors que, en provenance de la Slovénie, il s’apprêtait à entrer en voiture sur le territoire autrichien au point de passage transfrontalier sur l’autoroute de Spielfeld. L’organe de contrôle aux frontières a invité NW à s’identifier au moyen d’un passeport ou d’une carte d’identité.

25.

Le 19 décembre 2019, NW a contesté en justice la légalité de ce contrôle.

26.

Au vu, notamment, des considérations exposées aux points 19 à 22 des présentes conclusions, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Le droit de l’Union fait-il obstacle à des dispositions de droit interne qui, par une succession de textes réglementaires nationaux, conduisent à un cumul de périodes de prolongation et permettent ainsi une réintroduction du contrôle aux frontières pour une durée qui excède la limite de deux ans fixée aux articles 25 et 29 [du code frontières Schengen], et sans que le [Conseil] n’ait pris de décision d’exécution en ce sens au titre de l’article 29 [de ce code] ?

2)

En cas de réponse négative à la première question :

Le droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la [Charte] doit-il être interprété, notamment à la lumière du principe de l’absence de vérifications sur les personnes aux frontières intérieures énoncé à l’article 22 [dudit code], en ce sens qu’il comprend le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures, sous réserve des conditions et exceptions prévues par les traités et notamment le [même code] ? »

C.   La procédure devant la Cour

27.

Les demandes de décision préjudicielle dans les affaires C‑368/20 et C-369/20, en date du 23 juillet 2020, ont été enregistrées au greffe de la Cour le 5 août 2020. NW, les gouvernements autrichien, danois, allemand, français et suédois ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Ces mêmes parties et intéressés, sauf le gouvernement suédois, ont participé à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 15 juin 2021.

IV. Analyse

A.   Sur l’interprétation de l’article 25 du code frontières Schengen (premières questions dans les affaires C-368/20 et C‑369/20)

28.

Par ses premières questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union fait obstacle à ce qu’un État membre, par une succession de textes réglementaires nationaux, réintroduise le contrôle aux frontières pour une durée qui excède la limite fixée aux articles 25 et 29 du code frontières Schengen.

29.

Par ces questions, la juridiction de renvoi cherche concrètement à savoir si les deux contrôles litigieux dans les affaires au principal, effectués à la frontière entre l’Autriche et la Slovénie au cours de l’année 2019, étaient conformes au droit de l’Union au vu du délai maximal prévu par le code frontières Schengen pour la réintroduction d’un tel contrôle ( 11 ). À cette fin, elle demande, en substance, à la Cour de clarifier, d’une part, la limite maximale pertinente pour la réintroduction d’un tel contrôle et, d’autre part, le point de savoir si le droit de l’Union s’oppose à la réintroduction d’un contrôle dépassant cette limite ( 12 ). J’aborderai tour à tour ces problématiques dans les deux sections qui suivent.

1. La durée maximale pertinente en l’espèce pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures

30.

En substance, le code frontières Schengen contient trois exceptions à la règle générale de suppression des contrôles énoncée à son article 22. Pour chacune de ces trois exceptions, ce code prévoit une durée maximale différente.

31.

La première exception, mentionnée à l’article 25, paragraphe 1, dudit code suppose l’existence d’une menace grave prévisible ( 13 ) pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans un (ou plusieurs) État(s) membre(s), alors que la deuxième exception, prévue à l’article 28 du même code, concerne la situation dans laquelle se présente une menace grave imprévisible ( 14 ) pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dans un (ou plusieurs) État(s) membre(s), exigeant une action immédiate. La troisième exception est prévue à l’article 29 du code frontières Schengen et ne peut s’appliquer qu’en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures. L’application de cette dernière exception exige une procédure assortie d’une recommandation du Conseil sur proposition de la Commission, laquelle n’est pas exigée pour l’application des autres exceptions.

32.

L’exception pertinente en l’occurrence est la première, dès lors que les deux vérifications litigieuses en cause au principal ont été effectuées sur le fondement de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen ( 15 ).

33.

S’agissant de la période pendant laquelle cette exception peut être mise en œuvre, l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen fixe une durée de trente jours, sauf si la durée prévisible de la menace grave est supérieure à trente jours. L’article 25, paragraphe 3, de ce code autorise néanmoins des prolongations d’une durée n’excédant pas trente jours. Enfin, l’article 25, paragraphe 4, dudit code prévoit une durée totale maximale ou, plus exactement, deux durées totales maximales. D’une part, il prévoit, à sa première phrase, une durée de six mois. D’autre part, il prévoit une durée de deux ans dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 29 de ce même code.

34.

L’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen prévoit donc deux durées totales distinctes pour la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures. À cet égard, j’estime, à l’instar de la juridiction de renvoi, que c’est la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, dudit code qui est la durée maximale pertinente en l’occurrence, et non celle de deux ans mentionnée à la seconde phrase de cet article.

35.

En effet, l’article 25, paragraphe 4, seconde phrase, du code frontières Schengen renvoie à la troisième exception, prévue à l’article 29, paragraphe 1, de ce code et relative aux circonstances exceptionnelles citées au point 31 des présentes conclusions. Ce dernier article requiert l’application d’une procédure comprenant l’adoption d’une recommandation du Conseil sur proposition de la Commission. À cet égard, je considère que l’article 25, paragraphe 4, seconde phrase, dudit code et le renvoi à l’article 29, paragraphe 1, du même code impliquent que, en l’absence d’une telle recommandation adoptée par le Conseil en vertu de l’article 29 du code frontières Schengen, il n’existe pas de circonstances exceptionnelles au sens de cette disposition qui pourraient justifier une durée maximale de réintroduction du contrôle allant jusqu’à deux ans par un « cumul » des périodes de contrôles de six mois fondées sur l’article 25, paragraphe 4, de ce code ( 16 ).

36.

Dès lors que, en l’occurrence, le contrôle ayant justifié les vérifications litigieuses a été réintroduit en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen, et non d’une recommandation du Conseil adoptée sur le fondement de l’article 29 de ce code, c’est la durée maximale de six mois, prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, dudit code, qui est la durée pertinente pour apprécier la légalité du contrôle ayant justifié les vérifications litigieuses.

37.

Au vu du fait que, comme je l’ai indiqué dans l’introduction des présentes conclusions, la République d’Autriche avait déjà, au moment des vérifications litigieuses, réintroduit plusieurs fois d’affilée le contrôle en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen, à chaque fois pour une durée de six mois ( 17 ), la question pertinente qui se pose en l’espèce est de savoir si le droit de l’Union s’oppose à la réintroduction du contrôle pour une durée dépassant la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, de ce code ( 18 ).

2. Le droit de l’Union s’oppose-t-il à la réintroduction du contrôle pour une durée dépassant la durée de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, du code frontières Schengen ?

38.

Afin de répondre à la question précitée, il convient, en premier lieu, d’interpréter le code frontières Schengen et, plus particulièrement, son article 25, pour voir s’il s’oppose à une réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dépassant la durée de six mois.

a) Considérations liminaires

39.

Il est certes constant que le délai maximal de six mois prévu à l’article 25, paragraphe 4, est, en lui-même, énoncé clairement. Il ne peut toutefois en être déduit, à mon sens, contrairement à ce que soutient NW dans ses observations écrites, que cette disposition s’oppose à toute réintroduction du contrôle dépassant ce délai.

40.

En effet, à l’instar de toutes les autres parties intéressées, j’estime qu’il découle clairement de la lecture combinée des paragraphes 1 à 4 de l’article 25 du code frontières Schengen que cet article permet, au moins dans une certaine mesure, une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, de ce code et, partant, un nouveau calcul du délai maximal de six mois fixé au paragraphe 4 du même article, ce qui conduit, en pratique, à une durée dépassant ce délai.

41.

Cela découle plus particulièrement du fait que la durée de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen s’applique à une réintroduction justifiée par une seule et même menace grave précisément définie, ce qui se déduit, d’une part, de l’emploi de l’article défini « la » et de l’article démonstratif « cette » utilisés, respectivement, à l’article 25, paragraphe 1, et à l’article 26, premier alinéa, du code frontières Schengen, pour désigner la menace concrète justifiant la réintroduction temporaire initiale du contrôle aux frontières intérieures ( 19 ) et pour l’éventuelle prolongation de ce contrôle ( 20 ). D’autre part, tant les conditions exigées pour la réintroduction temporaire du contrôle que les procédures prévues pour une telle réintroduction supposent que la menace concernée soit précisément définie. Ainsi, lorsque les États membres prévoient de réintroduire ou de prolonger le contrôle aux frontières intérieures, ils sont tenus de le notifier et de fournir aux autres États membres et à la Commission les motifs exacts de la réintroduction, ce qui comprend toutes les données pertinentes détaillant les événements qui constituent une menace grave pour leur ordre public ou leur sécurité intérieure ( 21 ), et ce afin que la Commission et les autres États Membres soient en mesure d’émettre un avis sur la légalité du contrôle.

42.

À mon sens, il en découle que, si un État membre ayant réintroduit le contrôle aux frontières intérieures en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen est confronté, à la fin de la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, de ce code, à une autre menace grave, ce que l’on pourrait appeler une nouvelle menace grave, cet État membre est donc autorisé, pour autant que les conditions et les procédures exigées soient remplies, à appliquer à nouveau cette disposition pour réintroduire le contrôle aux frontières intérieures afin de faire face à cette nouvelle menace grave.

43.

Dans ce contexte, il me semble utile de faire la distinction entre deux situations différentes. D’une part, il y a celle où, à l’expiration du délai de six mois pendant lequel le contrôle aux frontières a été réintroduit afin de répondre à une menace grave, l’État membre concerné est confronté à une menace grave nouvelle par sa nature. Il pourrait s’agir, à titre d’exemple, d’abord d’une menace terroriste et, ensuite, d’une menace migratoire ou d’une crise sanitaire. Dans ce cas, il ne fait, à mon sens, aucun doute, au vu des points 40 à 42 des présentes conclusions, que l’article 25 du code frontières Schengen permet une nouvelle application de son paragraphe 1, ce qu’estiment d’ailleurs également toutes les parties intéressées, sauf NW.

44.

D’autre part, il y a la situation où, à l’expiration du délai de six mois pendant lequel le contrôle aux frontières a été réintroduit afin de répondre à une menace grave, cette menace persiste, constituant alors ce que l’on pourrait appeler une menace renouvelée ( 22 ).

45.

En l’espèce, les faits des litiges au principal me semblent relever de cette seconde situation. Il semble ainsi ressortir du dossier dont la Cour dispose que la période de réintroduction du contrôle qui a constitué le fondement des deux vérifications litigieuses était motivée par des menaces persistantes ( 23 ). La question essentielle qui se pose en l’espèce est donc de savoir si l’article 25 du code frontières Schengen s’oppose, dans un tel cas de figure, à plusieurs nouvelles applications d’affilée de son paragraphe 1.

46.

S’agissant de la situation d’une menace renouvelée, la Commission et NW font valoir, en substance, que l’article 25 du code frontières Schengen s’oppose de manière claire à une nouvelle application de son paragraphe 1, ce qui ressortirait, notamment de son libellé et de sa genèse.

47.

S’agissant, tout d’abord, de son libellé, dès lors que l’article 25, paragraphe 4, première phrase, du code frontières Schengen prévoit une durée maximale de six mois pour la réintroduction de contrôles pour une seule et même menace grave ( 24 ), il faudrait en déduire que cette durée maximale est absolue, de sorte que cette menace ne pourrait justifier, après que ladite durée a expiré, une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1 de ce code, quand bien même elle persisterait à l’issue de cette période. Dans le cas contraire, la durée maximale prévue à l’article 25, paragraphe 4, première phrase, dudit code semblerait superflue ( 25 ).

48.

Ensuite, la genèse des règles relatives aux durées maximales devrait être lue dans le même sens. En effet, le premier code frontières Schengen, à savoir le règlement no 562/2006, ne prévoyait pas de durées maximales pour la réintroduction du contrôle ( 26 ), celles-ci ayant été introduites plus tard par une modification de ce règlement ( 27 ). En introduisant de telles durées, le législateur aurait donc envisagé de fixer des limites absolues ( 28 ).

49.

Si je reconnais, en vertu de ce qui précède, que des arguments peuvent être avancés au soutien de l’approche de la Commission et de NW, j’estime toutefois, à l’instar des gouvernements autrichien, danois, allemand et français, que l’interprétation citée au point 46 des présentes conclusions risquerait de conduire à des résultats inacceptables, voire absurdes.

b) Sur la nécessité de respecter les compétences des États membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure

50.

Il est communément admis (la Commission l’a d’ailleurs elle-même reconnu ( 29 )), que des menaces graves pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ne sont pas nécessairement limitées dans le temps. Il ne peut donc être exclu qu’une seule et même menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure dure au-delà de la durée de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen.

51.

Compte tenu de cela, l’interprétation proposée par la Commission et NW peut conduire au résultat inacceptable que les États membres seraient forcés de supprimer le contrôle à leurs frontières à l’expiration du délai de six mois, alors même qu’ils seraient, à ce moment-là, toujours confrontés à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, pour laquelle le contrôle aux frontières serait strictement nécessaire ( 30 ).

52.

Une telle interprétation entraînerait d’ailleurs des résultats absurdes. En effet, les États membres pourraient, selon moi, en tout état de cause, réintroduire à nouveau le contrôle aux frontières en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen afin de faire face à la menace grave concernée un certain temps après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 25, paragraphe 4, de ce code. Je souligne que rien dans ledit code ne permet de penser que son article 25, paragraphe 1, ne pourrait être utilisé qu’une seule fois pour un seul type de menace au cours de la période durant laquelle ce même code est en vigueur. Or, si l’on admet ainsi que le code frontières Schengen n’empêche pas les États membres d’appliquer son article 25, paragraphe 1, plusieurs fois, il serait dépourvu de toute logique de forcer les États membres, lorsqu’ils sont confrontés à une menace grave pour laquelle le contrôle aux frontières serait strictement nécessaire, à supprimer le contrôle pendant un certain temps (un jour, trois semaines, six mois, voire une autre durée, celle-ci n’étant pas définie), à la seule fin de pouvoir réintroduire à nouveau le contrôle par la suite.

53.

En outre, et surtout, comme les gouvernements autrichien, danois, français et allemand, j’estime que l’interprétation proposée par la Commission et NW risque de porter atteinte aux compétences de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure réservées aux États Membres par l’article 72 TFUE et l’article 4, paragraphe 2, TUE.

54.

Le code frontières Schengen a été adopté, notamment, sur le fondement de l’article 77, paragraphe 1, sous a), TFUE, qui prévoit que l’Union doit développer une politique visant à assurer, entre autres, l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures. C’est dans ce contexte que la règle générale de ce code prévoit la suppression du contrôle aux frontières intérieures. Or, l’article 77, paragraphe 1, sous a), TFUE, s’insère dans le titre V de la troisième partie du traité FUE, intitulé « L’espace de liberté, de sécurité et de justice », comprenant également l’article 72 qui dispose que le titre V ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. À l’article 72 TFUE s’ajoute l’article 4, paragraphe 2, TUE, qui prévoit que l’Union respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la « sécurité nationale ».

55.

En reconnaissant clairement les pouvoirs et les responsabilités qui incombent aux États membres en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure et de la sécurité nationale, l’article 72 TFUE et l’article 4, paragraphe 2, TUE servent avant tout à rappeler au législateur de l’Union la nécessité de prévoir dans toute mesure de droit dérivé, notamment adoptée sur la base du titre V du traité FUE, des dispositions permettant aux États membres d’assumer ces responsabilités ( 31 ).

56.

Or, si un État membre était forcé de supprimer un contrôle strictement nécessaire à ses frontières à l’expiration du délai de six mois, cet État membre serait empêché d’assumer les pouvoirs et les responsabilités qui lui incombent en vertu de l’article 72 TFUE. Une telle situation irait même, dans certains cas, à l’encontre de l’article 4, paragraphe 2, TUE, dans la mesure ou l’État ne pourrait ainsi plus lutter contre une menace pour sa sécurité nationale. Il en ressort que les pouvoirs et responsabilités des États membres dans ces domaines ne sauraient être encadrés par des délais absolus ( 32 ).

57.

À mon sens, il n’est pas concevable que le législateur, en adoptant l’article 25 du code frontières Schengen, ait eu pour intention de parvenir à un tel résultat et, partant, d’exclure la possibilité d’une nouvelle application du paragraphe 1 de cet article en cas de menace renouvelée, ce qui ne ressort par ailleurs nullement des considérants de ce code ( 33 ). En effet, l’article 25 dudit code vise à tenir compte de la dérogation expresse prévue à l’article 72 TFUE et donc à permettre aux États membres d’assumer les responsabilités qui leur incombent en vertu de cette disposition ( 34 ).

58.

Du surcroît, l’interprétation proposée par la Commission et par NW risque aussi de porter atteinte à l’un des objectifs du même code, consistant à préserver l’ordre public. En effet, s’il est vrai que le code frontières Schengen vise, certes, à assurer l’absence de tout contrôle des personnes lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures, ce code vise aussi, comme la Cour l’a déjà reconnu, la préservation de l’ordre public et la lutte contre l’ensemble des menaces pour l’ordre public ( 35 ). À cet égard, dans une situation telle que celle mentionnée au point 51 des présentes conclusions, l’interprétation proposée par la Commission et par NW ne répond pas à la nécessité, établie par une jurisprudence constante de la Cour, de concilier les différents intérêts en cause ( 36 ), dès lors qu’elle reviendrait à privilégier la liberté de circulation des personnes au détriment de la préservation de l’ordre public.

c) Sur la possibilité d’interpréter l’article 25 du code frontières Schengen conformément à l’article 72 TFUE et à l’article 4, paragraphe 2, TUE

59.

Au vu de ce qui précède et compte tenu, notamment, du principe général d’interprétation selon lequel un acte de droit dérivé doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remet pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire ( 37 ), la question essentielle qui se pose est de savoir s’il est possible d’interpréter l’article 25 du code frontières Schengen d’une manière qui ne remette pas en cause sa conformité avec l’article 72 TFUE et l’article 4, paragraphe 2, TUE, ou si l’article 25 de ce code devrait être considéré comme étant parfaitement clair et comme s’opposant à une telle interprétation, en ne laissant aucune marge d’appréciation sur ce point ( 38 ).

60.

Je considère qu’il s’agit du premier cas. En effet, j’estime que, à plusieurs égards, la disposition contenue à l’article 25 du code frontières Schengen n’est pas tout à fait claire et qu’elle laisse une marge d’appréciation qui permet d’arriver à une interprétation qui assure sa conformité avec le droit primaire.

61.

En effet, d’une part, s’il paraît clair que l’existence d’une nouvelle menace grave peut justifier une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen, il convient toutefois de constater que la question importante de savoir ce qui fait qu’une menace grave est nouvelle par rapport à la menace précédente et, partant, sous quelles conditions une nouvelle application est autorisée, n’est nullement dépourvue d’ambiguïté. Cela résulte notamment du fait que ce code ne contient pas de définition de « la menace » au sens de son article 25 et, partant, ne définit pas non plus les limites de celle-ci. Au vu de la nature dynamique d’une menace et de la myriade de situations potentielles dans lesquelles des menaces pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre pourraient exister et évoluer, la distinction entre les deux cas de figures n’est pas nette et s’avère très difficile à appliquer en pratique, comme le gouvernement allemand, notamment, l’a souligné à juste titre lors de l’audience.

62.

Prenons, à titre d’exemple, une menace terroriste contre un État membre provenant d’un groupe djihadiste. Si, par la suite, l’État membre concerné est toujours confronté à une menace terroriste, mais cette fois provenant d’un autre groupe, s’agit-il encore de la même menace, au sens de l’article 25 du code frontières Schengen, du simple fait que les deux menaces relèvent de la catégorie des « menaces terroristes », et ce alors même que les deux groupes utilisent des moyens différents, qui exigent des réponses différentes ? ( 39 ) Ainsi qu’il ressort de ces exemples, même des menaces persistantes peuvent se transformer d’une manière telle qu’elles deviennent des menaces différentes ( 40 ).

63.

Je présume d’ailleurs que c’est en raison de ce manque de clarté de l’article 25 du code frontières Schengen que le Conseil d’État, afin d’en assurer une interprétation conforme à l’article 72 TFUE et à l’article 4, paragraphe 2, TUE, a, dans deux arrêts, interprété cette disposition en ce sens qu’elle permet une nouvelle application de son paragraphe 1, tant en cas de« nouvelle menace », qu’en cas de « menace renouvelée » ( 41 ). Le Conseil d’État a ainsi, en ce qui concerne la possibilité de faire une nouvelle application de l’article 25, assimilé une « menace renouvelée » à une « menace nouvelle », ce qui me semble raisonnable au vu des raisons précitées.

64.

D’autre part, l’article 25 du code frontières Schengen manque aussi de clarté sur un autre point essentiel qui, selon moi, indique que l’interprétation de la Commission et de NW ne s’impose pas avec évidence. En effet, si l’on accepte la prémisse mentionnée au point 52 des présentes conclusions, selon laquelle les États membres peuvent réintroduire à nouveau le contrôle aux frontières un certain temps après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 25, paragraphe 4 de ce code, se pose alors la question essentielle de savoir quelle est la durée de cette période. Cette durée n’étant pas définie – ni même mentionnée – par ledit code, l’interprétation proposée par la Commission et NW conduirait, à mon sens, à un vide et une insécurité juridiques considérables, ce qui renforce l’argument tendant à assimiler une menace renouvelée à une menace nouvelle par sa nature aux fins de l’interprétation de l’article 25 du même code.

65.

Si j’estime qu’il convient d’interpréter l’article 25 du code frontières Schengen en ce sens qu’il permet, en principe, une nouvelle application de son paragraphe 1 en cas de menace renouvelée, je considère toutefois que, lorsque la menace grave concernée est, en substance, semblable à la menace grave précédente, l’exigence de proportionnalité prévue à l’article 25, paragraphe 1, de ce code implique des limitations considérables à cet égard, en ce qu’elle pose des conditions particulièrement strictes aux fins d’une telle nouvelle application.

d) Sur la nécessité d’encadrer une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen par des critères particulièrement stricts

66.

Je rappelle que tous les critères matériels prévus par le code frontières Schengen doivent être remplis pour appliquer et, partant, également pour appliquer à nouveau, son article 25, paragraphe 1. Cela implique qu’il s’agisse d’une situation exceptionnelle liée à l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société, que la portée et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave et que le contrôle ne soit réintroduit qu’en dernier recours ( 42 ). En vertu de l’article 26 de ce code, l’État membre concerné est tenu d’évaluer la mesure dans laquelle la réintroduction est susceptible de remédier correctement à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure et d’évaluer la proportionnalité de la mesure par rapport à cette menace en tenant compte, en particulier, de l’incidence probable de la menace pour son ordre public ou sa sécurité intérieure ainsi que de l’incidence probable d’une telle mesure sur la libre circulation des personnes au sein de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures.

67.

À cet égard, j’estime, à l’instar du gouvernement français, que la condition de proportionnalité susmentionnée implique que, lorsqu’une mesure de renouvellement du contrôle aux frontières intérieures est envisagée en raison de la persistance d’une menace, l’expérience acquise impose que l’État membre concerné évalue encore plus finement la stricte proportionnalité de la mesure afin de prouver la stricte nécessité de la continuation du contrôle. En d’autres termes, compte tenu de la période durant laquelle le contrôle a déjà été appliqué, un État membre qui envisage une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen doit notamment expliquer, sur le fondement d’analyses concrètes, objectives et circonstanciées en la matière, d’une part, pourquoi le renouvellement du contrôle serait approprié, en évaluant quel a été le degré d’efficacité de la mesure initiale de réintroduction du contrôle. D’autre part, il doit préciser pourquoi celui-ci reste un moyen nécessaire, en expliquant les raisons pour lesquelles aucune autre mesure moins coercitive ne serait suffisante, telle que, à titre d’exemple, l’utilisation du contrôle policier ( 43 ), des renseignements, de la coopération policière au niveau de l’Union ainsi que de la coopération policière internationale ( 44 ).

68.

J’invite la Cour, dans l’arrêt à venir, à préciser cette condition de proportionnalité renforcée ( 45 ).

69.

L’interprétation que je propose implique que, pour apprécier la légalité d’une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen en cas de menace renouvelée, il convient de vérifier si cette condition de proportionnalité renforcée est respectée ( 46 ). Lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’une nouvelle application effectuée plusieurs fois d’affilée, la condition de proportionnalité renforcée devient donc encore plus stricte à chaque nouvelle application.

70.

Au-delà des critères matériels mentionnés ci-dessus, je rappelle, en outre, que l’article 25 du code frontières Schengen est aussi encadré par des dispositions de procédure visant, notamment, à assurer – sous la forme d’un contrôle exercé par la Commission – que les critères matériels soient remplis chaque fois qu’un État membre envisage de réintroduire (ou de prolonger ou de renouveler) le contrôle à ses frontières ( 47 ).

71.

Ainsi, en vertu de l’article 27 de ce code, avant de décider de prendre une telle mesure, l’État membre doit notifier à la Commission (et aux autres États membres) les motifs de sa décision. À la suite d’une telle notification, la Commission (ou tout autre État membre) « peut » émettre un avis. Or, si la Commission a des doutes quant à la nécessité ou à la proportionnalité de la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures, elle doit émettre un avis en ce sens. Contrairement à ce qu’a soutenu la Commission lors de l’audience, j’estime qu’il en découle pour cette institution une obligation, et non seulement une faculté, d’émettre un avis dans une telle situation. À mes yeux, cela découle du libellé même de l’article 27, paragraphe 4, du code frontières Schengen, en vertu duquel la Commission « peut » toujours émettre un avis sur les notifications des États membres, alors que le deuxième alinéa de ce paragraphe prévoit que la Commission « émet » un avis en ce sens si elle a des doutes quant à la nécessité ou à la proportionnalité de la réintroduction prévue du contrôle aux frontières intérieures. Le présent de l’indicatif du seul verbe émettre est ici employé afin d’exprimer le caractère obligatoire de la disposition ( 48 ), ce qui ressort également, en substance, du considérant 23 de ce code, selon lequel la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures par un État membre devrait être contrôlée au niveau de l’Union.

72.

Ensuite, en vertu de l’article 27 du code frontières Schengen, tout avis émis par la Commission (ou par un État membre) doit faire l’objet d’une consultation afin d’organiser, le cas échéant, une coopération mutuelle entre les États membres et un examen de la proportionnalité des mesures par rapport aux événements qui sont à l’origine de la réintroduction du contrôle aux frontières ainsi qu’à la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Si, par la suite, la Commission nourrit toujours des doutes quant à la légalité du contrôle, elle peut introduire un recours en manquement en vertu de l’article 258 TFUE.

73.

Pour résumer, la Commission joue un rôle important pour assurer que l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen soit appliqué, et appliqué à nouveau, d’une manière conforme à tous les critères prévus à cette disposition. Sur ce point, je constate que, dans les présentes affaires, la Commission a contesté la légalité des contrôles introduits par la République d’Autriche. Or, lors de l’audience, elle a confirmé qu’elle n’avait toutefois pas émis d’avis sur les notifications que lui avait envoyées cet État membre. Dans la mesure où la Commission considérait les notifications en cause comme non fondées, je trouve regrettable qu’elle n’ait pas joué le rôle que lui confère ce code ( 49 ).

74.

Au vu de tout de ce qui précède, si l’interprétation que je propose implique certes qu’un contrôle puisse, dans certaines circonstances, dépasser le délai de six mois, ce point est toutefois contrebalancé, d’une part, par l’application du principe de proportionnalité renforcée et, d’autre part, par le contrôle exercé par la Commission, qui doit vérifier de manière minutieuse si cette condition est remplie à chaque fois qu’une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen, est envisagée

e) Conclusion

75.

En vertu de tout de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que l’article 25, paragraphes 1 et 4, du code frontières Schengen doit être interprété en ce sens que, dans le cas où, à l’expiration de la durée de six mois prévue au paragraphe 4 de cet article, un État membre est toujours confronté à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, ces dispositions ne s’opposent pas, quel que soit le degré de similarité de la menace grave avec la menace grave précédente, à une nouvelle application successive de l’article 25, paragraphe 1, de ce code, pour autant que tous les critères prévus par ledit code soient remplis, en particulier celui de la proportionnalité. À cet égard, le principe de proportionnalité implique que, lorsque la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure est, en substance, semblable à la menace grave précédente, l’État membre concerné doit évaluer, encore plus finement, en fonction de la période durant laquelle le contrôle a déjà été appliqué, la stricte proportionnalité de la mesure afin de prouver la nécessité de la continuation du contrôle.

B.   Sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45 de la Charte (deuxièmes questions dans les affaires C-368/20 et C-369/20 et troisième question dans l’affaire C‑369/20)

76.

Par ses deuxièmes questions, la juridiction de renvoi demande si le droit de libre circulation des citoyens de l’Union, inscrit à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il comprend le droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures, sous réserve des conditions et exceptions prévues par les traités et notamment par le code frontières Schengen.

77.

Concrètement, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans l’hypothèse où les dispositions de ce code ne s’opposeraient pas à la réintroduction temporaire d’un contrôle aux frontières pour une période dépassant la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, dudit code, cette réintroduction pourrait néanmoins conduire à une violation des dispositions susmentionnées. J’estime que tel n’est pas le cas ( 50 ).

78.

En effet, l’article 21, paragraphe 1, TFUE, dispose que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application. La réserve dont cette disposition assortit l’exercice du droit de circuler limite également, compte tenu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, le droit à la libre circulation inscrit à l’article 45, paragraphe 1, de celle-ci.

79.

Ainsi, même à supposer que la liberté de circulation inscrite à l’article 21, paragraphe 1, TFUE et à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte comprenne un droit de ne pas faire l’objet d’une vérification sur la personne aux frontières intérieures et qu’une telle vérification constitue, partant, une entrave à cette liberté, ce droit ne saurait être considéré comme étant inconditionnel.

80.

Toute entrave à la libre circulation prévue à ces dispositions doit cependant être justifiée et proportionnée. Or, je rappelle que, en vertu de l’article 25 du code frontières Schengen, la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doit intervenir qu’en dernier recours et dans des circonstances exceptionnelles. En outre, elle doit être limitée au strict minimum nécessaire pour répondre à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ( 51 ).

81.

Au vu de ces éléments, je considère que, dans la mesure où la réintroduction d’un contrôle aux frontières est conforme au code frontières Schengen, l’éventuelle entrave au droit à la libre circulation prévu à l’article 21, paragraphe 1, TFUE et à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte qui résulterait d’un tel contrôle doit être regardée comme étant justifiée et proportionnée, et donc comme n’étant pas contraire à ces dernières dispositions.

82.

Je propose, par conséquent, de répondre aux deuxièmes questions préjudicielles en ce sens que, lorsque qu’un État membre soumet des citoyens de l’Union à une vérification sur la personne aux frontières intérieures, conformément aux exigences du code frontières Schengen, cette vérification est également conforme à l’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi qu’à l’article 45, paragraphe 1, de la Charte.

83.

Il en résulte, par ailleurs, s’agissant de la troisième question relative à l’imposition éventuelle d’une sanction pour violation de l’obligation de présenter un passeport ou une carte d’identité, que celle‑ci n’est pas, dans de telles circonstances, contraire au droit de l’Union ( 52 ).

V. Conclusion

84.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) :

1)

L’article 25, paragraphes 1 et 4, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où, à l’expiration de la durée de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, de ce règlement, un État membre est toujours confronté à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, ces dispositions ne s’opposent pas, quel que soit le degré de similarité de la menace grave avec la menace grave précédente, à une nouvelle application successive de l’article 25, paragraphe 1, dudit règlement, pour autant que tous les critères prévus par ce même règlement soient remplis, en particulier celui de la proportionnalité. À cet égard, le principe de proportionnalité implique que, lorsque la menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure est, en substance, semblable à la menace grave précédente, l’État membre concerné doit évaluer, encore plus finement, en fonction de la période durant laquelle le contrôle a déjà été appliqué, la stricte proportionnalité de la mesure afin de prouver la nécessité de la continuation du contrôle.

2)

L’article 21, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 45, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens que, lorsque qu’un État membre soumet des citoyens de l’Union à une vérification sur la personne aux frontières intérieures, conformément aux exigences du règlement 2016/399, tel que modifié par le règlement 2016/1624, cette vérification est également conforme à ces dispositions et peut, le cas échéant, être assortie d’une sanction.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016 (JO 2016, L 251, p. 1) (ci-après le « code frontières Schengen »).

( 3 ) Article 22 du code frontières Schengen.

( 4 ) Tel que je l’ai compris, il s’agit au moins de la République fédérale d’Allemagne, du Royaume de Danemark, du Royaume de Suède et de la République française, qui sont aussi des parties intéressées dans les présentes affaires (voir aussi, à cet égard, la liste des notifications disponible à l’adresse https://ec.europa.eu/home-affairs/policies/schengen-borders-and-visa/schengen-area/temporary-reintroduction-border-control_en ).

( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1), tel que modifié, en dernier lieu, par le règlement (UE) no 1051/2013, du 22 octobre 2013 (JO 2013, L 295, p. 1). Ce règlement a précédé le code frontières Schengen. Je note toutefois que, selon les informations fournies par le gouvernement autrichien ainsi que par la Commission, il ne s’agit pas de l’article 29 du règlement no 562/2006, mais de l’article 25 de ce règlement, qui correspond à l’article 28 du code frontières Schengen.

( 6 ) Je note toutefois que, selon les informations fournies par le gouvernement autrichien ainsi que par la Commission, il ne s’agit pas de l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 562/2006, mais de l’article 23 de ce règlement qui correspond à l’article 25 du code frontières Schengen.

( 7 ) Verordnung des Bundesministers für Inneres über die vorübergehende Wiedereinführung von Grenzkontrollen an den Binnengrenzen (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, BGBl. II, 98/2018).

( 8 ) Verordnung des Bundesministers für Inneres über die vorübergehende Wiedereinführung von Grenzkontrollen an den Binnengrenzen (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, BGBl. II, 274/2018).

( 9 ) Verordnung des Bundesministers für Inneres über die vorübergehende Wiedereinführung von Grenzkontrollen an den Binnengrenzen (arrêté du ministre fédéral de l’Intérieur concernant la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures, BGBl. II, 114/2019).

( 10 ) Ci-après la « Charte ».

( 11 ) La juridiction de renvoi mentionne, comme base juridique en droit autrichien du contrôle aux frontières pour la période concernée, l’arrêté no 114/2019 (voir points 21 et 26 des présentes conclusions). Selon les informations fournies par cette juridiction, cet arrêté n’était en vigueur que jusqu’au 13 novembre 2019, ce qui implique que la deuxième vérification litigieuse, effectuée le 16 novembre 2019, a eu lieu après cette date. Il n’est pas indiqué dans les demandes de décisions préjudicielles si la période d’application de cet arrêté a été prolongée, mais, au vu des questions préjudicielles posées au sujet de la deuxième vérification, je présume que tel est le cas.

( 12 ) Voir, à cet égard, l’explication de la juridiction de renvoi, citée au point 22 des présentes conclusions.

( 13 ) Selon la Commission, une menace grave est prévisible lorsque l’événement nécessitant la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures est prévisible, tel que de grands événements sportifs, des manifestations de nature politique et des réunions politiques de haut niveau (voir sa Communication au Parlement, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, Gouvernance de Schengen – Renforcer l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, du 16 septembre 2011 [COM(2011) 561 final]). Or, il n’est pas contesté que l’article 25 du code frontières Schengen peut également être invoqué afin de lutter contre d’autres types de menaces prévisibles, y compris certains mouvements migratoires et des menaces terroristes.

( 14 ) Une menace grave est imprévisible lorsque les événements nécessitant la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures sont, par nature, imprévisibles. Il pourrait s’agir, par exemple, d’attentats terroristes ou d’autres actes criminels de grande ampleur, de tels événements nécessitant de prendre toutes les mesures possibles pour garantir l’arrestation rapide des auteurs des actes en cause (voir Communication de la Commission au Parlement, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, Gouvernance de Schengen – Renforcer l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, du 16 septembre 2011 [COM(2011) 561 final]).

( 15 ) Voir, à cet égard, points 20, 21 et 26 des présentes conclusions.

( 16 ) Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand, de deux durées distinctes de deux ans prévues, respectivement, à l’article 25, paragraphe 4, seconde phrase et à l’article 29, paragraphe 1, du code frontières Schengen, mais d’une seule et même durée maximale de deux ans applicable seulement en cas de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 29 de ce code. En effet, comme je l’ai expliqué au point 31 des présentes conclusions, la réintroduction d’un contrôle sur la base de l’article 29 dudit code exige une procédure spécifique, qui comprend une recommandation du Conseil sur proposition de la Commission, car cette disposition suppose des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures. Si l’on considérait que, par le biais de l’article 25, paragraphe 4, seconde phrase, du même code, un État membre pouvait lui-même déclencher une durée maximale de deux ans, cela constituerait alors un contournement de la procédure spécifique prévue à l’article 29 du code frontières Schengen, relative aux circonstances exceptionnelles.

( 17 ) Plus précisément, il ressort des faits des litiges au principal que, avant la réintroduction du contrôle qui a constitué le fondement de la première vérification litigieuse, la République d’Autriche avait déjà, trois fois d’affilée, réintroduit un contrôle pour une période de six mois en se fondant sur ce même article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen. En ce qui concerne le contrôle qui a constitué le fondement de la deuxième vérification litigieuse, c’était donc la cinquième fois d’affilée que cette disposition constituait la base légale du contrôle (voir, à cet égard, points 20, 21 et 26 des présentes conclusions).

( 18 ) Au-delà de cette question, plusieurs des parties intéressées dans les présentes affaires se sont aussi prononcées sur le point de savoir si le code frontières Schengen permet à un État membre de cumuler les différentes durées maximales prévues par les différentes exceptions énoncées aux articles 25 à 30 de ce code. Il ressort ainsi des faits au principal que la République d’Autriche, au moment des vérifications litigieuses, avait réintroduit des contrôles à sa frontière avec la République de Slovénie depuis presque quatre ans en se fondant sur diverses dispositions dudit code, à savoir, dans l’ordre chronologique, en substance, ses articles 28, 25, 29 et enfin, de nouveau, 25. Au vu de l’interprétation que je propose de l’article 25, paragraphe 1, du même code, je n’estime pas nécessaire de me prononcer sur ce point pour répondre de façon utile aux questions préjudicielles.

( 19 ) Voir article 25, paragraphe 1 du code frontières Schengen (« [...] la durée prévisible de la menace grave [...] pour répondre à la menace grave ») et article 26, premier alinéa, de ce code (« évalue la proportionnalité de la mesure par rapport à cette menace ») (mise en évidence par mes soins).

( 20 ) Voir article 25, paragraphe 3 du code frontières Schengen (« lorsque la menace grave [...] persiste ») (mise en évidence par mes soins).

( 21 ) Voir, en ce sens, article 27, paragraphe 1, sous a), et article 28, paragraphe 1.

( 22 ) Comme je l’expliquerai au point 63 des présentes conclusions, le Conseil d’État (France) s’est prononcé sur une question semblable aux questions préjudicielles soulevées dans les présentes affaires. À cet égard, je note qu’en interprétant l’article 25 du code frontières Schengen, il a établi une distinction similaire entre « une nouvelle menace » et « une menace renouvelée », ce qui correspond, en substance, ainsi que je comprends ces termes, à la distinction employée dans les présentes conclusions entre une menace nouvelle par sa nature et une menace renouvelée.

( 23 ) Je note que le contenu des notifications de la République d’Autriche à la Commission, envoyées en vertu de l’article 27 du code frontières Schengen et justifiant le contrôle, n’est pas décrit dans les demandes de décisions préjudicielles. Ces notifications ont cependant été présentées par la Commission. À cet égard, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la justification de toute la période au cours de laquelle la République d’Autriche a réintroduit le contrôle aux frontières, il suffit de constater que, pour ce qui est de la justification du contrôle qui a constitué le fondement des vérifications litigieuses, il ressort de la notification du 8 avril 2019 relative au contrôle durant la période de six mois allant du 13 mai 2019 au 12 novembre 2019, période au cours de laquelle a été effectué le premier contrôle litigieux, que ce contrôle était motivé, notamment, par des mouvements migratoires vers l’Europe et les mouvements secondaires, la menace latente du terrorisme dans toute l’Union, ainsi que les récentes évolutions dans les Balkans occidentaux. Or, ces mêmes raisons avaient été invoquées dans la notification du 10 octobre 2018 concernant la période de contrôle de six mois qui a précédé. De même, il ressort de la notification du 10 octobre 2019 relative à la période de contrôle allant du 13 novembre 2019 au 12 mai 2020, période au cours de laquelle a été effectué le deuxième contrôle litigieux, que ce contrôle était, quant à lui, motivé par des raisons similaires (des mouvements migratoires vers l’Europe et les mouvements secondaires).

( 24 ) Voir point 41 des présentes conclusions.

( 25 ) Cette lecture serait d’ailleurs renforcée par le fait que le code frontières Schengen, lorsqu’il prévoit, à son article 25, paragraphe 3, la possibilité de prolonger le contrôle qui a été réintroduit, exige en effet que les État membres « [tiennent] compte d’éventuels éléments nouveaux ». Ce code prend ainsi en considération le fait que la menace grave spécifique qui, dans un premier temps, a justifié la réintroduction du contrôle, peut se développer au fil du temps et, de ce fait, peut aussi persister dans le temps. Or, nonobstant cela, l’article 25, paragraphe 4, première phrase, dudit code prévoit une durée maximale, ce qui renforcerait l’idée que cette durée serait absolue et ne pourrait être appliquée plusieurs fois d’affilée.

( 26 ) Voir article 23, paragraphes 1 et 2, de ce règlement.

( 27 ) Règlement (UE) no 1051/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le règlement no 562/2006 afin d’établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (JO 2013, L 295, p. 1).

( 28 ) Je note que les travaux préparatoires concernant ces limites pourraient être lus dans le même sens. Ainsi, lors de la négociation ayant conduit à l’adoption de ces délais, la question des menaces persistantes a été soulevée par certaines délégations au sein du Conseil, et il a été proposé de supprimer les délais proposés par la Commission, lesquels correspondent aux délais adoptés, en faisant valoir que le contrôle devrait être maintenu tant que la menace constatée persiste (voir https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15780-2011-INIT/en/pdf et https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15853-2011-INIT/en/pdf). Or, cette proposition de modification n’a pas été suivie. Cela étant, je note toutefois que la raison pour laquelle la modification proposée n’a pas été suivie ne ressort pas, à ma connaissance, des travaux préparatoires.

( 29 ) Voir la recommandation de la Commission (UE) 2017/1804 du 3 octobre 2017 sur la mise en œuvre des dispositions du code frontières Schengen relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen, d’où il ressort que, aux termes du considérant 4, « [a]lors que, dans la grande majorité des cas, les délais actuellement en vigueur se sont révélés suffisants, il a été constaté récemment que certaines menaces graves pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, telles que les menaces terroristes ou d’importants mouvements secondaires incontrôlés au sein de l’Union, pouvaient persister bien au-delà des durées [de ces délais] ».

( 30 ) Cela étant dit, je souligne que, par cette considération, je n’ai pas examiné si la situation en cause au principal correspondait à une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure pour laquelle le contrôle aux frontières serait strictement nécessaire. Cette appréciation incombe à la juridiction de renvoi.

( 31 ) Voir également conclusions de l’avocate générale Sharpston dans les affaires Commission/Pologne, Hongrie et République tchèque (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2019:917, point 202).

( 32 ) Voir aussi, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a. (C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, points 134 à 138), dans lequel la Cour a jugé, au vu de l’article 4, paragraphe 2, TUE, que l’objectif de sauvegarde de la sécurité nationale est susceptible de justifier des mesures comportant des ingérences dans les droits fondamentaux plus graves que celles que pourraient justifier des objectifs de lutte contre la criminalité ainsi que de sauvegarde de la sécurité publique. Ainsi, la Cour a souligné que, si la durée de chaque injonction constituant une ingérence ne saurait dépasser un laps de temps prévisible, il ne peut être exclu qu’une ingérence puisse, en raison de la persistance d’une menace grave pour la sécurité nationale, être renouvelée.

( 33 ) Il ressort des considérants 1 et 2 du règlement no 1051/2013, qui a introduit les durées maximales, que le législateur, avec lesdites modifications, a souhaité garantir le caractère exceptionnel du contrôle et le respect du principe de proportionnalité, au vu de l’incidence que la réintroduction du contrôle peut avoir sur toutes les personnes qui ont le droit de circuler dans l’espace Schengen sans contrôle aux frontières intérieures. Dans ce contexte général, les délais maximaux ont été fixés, car « [l]a durée de toute réintroduction temporaire de telles mesures devrait être limitée au strict minimum nécessaire pour répondre à une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure ».

( 34 ) À toutes fins utiles, j’ajoute que la Commission a proposé, en 2017, d’augmenter les délais fixés dans le code frontières Schengen (voir [COM(2017) 571 final]). Notamment, elle a proposé de prolonger le délai de six mois prévu à l’article 25, paragraphe 4, de ce code à un an et, en cas de circonstances exceptionnelles, jusqu’à deux ans.

( 35 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2019, E.P. (Menace pour l’ordre public) (C‑380/18, EU:C:2019:1071, points 44 et 45).

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, Neptune Distribution (C‑157/14, EU:C:2015:823, point 75 et jurisprudence citée).

( 37 ) Arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 48 et jurisprudence citée).

( 38 ) Je souligne que, dans la mesure où la Cour estimerait que l’article 25 du code frontières Schengen serait clair sur ce point, la question se poserait alors de savoir si cet article tient suffisamment compte des responsabilités incombant aux États membres en vertu de l’article 72 TFUE et/ou de l’article 4, paragraphe 2, TUE et, partant, si cet article 25 est valide ou, au contraire, devrait être laissé inappliqué. Voir, à cet égard, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale) (C‑808/18, EU:C:2020:1029, points 212 à 216 et jurisprudence citée).

( 39 ) Ou prenons l’exemple d’une crise migratoire, retenu par le gouvernement allemand lors de l’audience. Peut-on parler de nouvelle menace, par exemple lorsque seul le nombre de migrants franchissant la frontière de manière illégale a augmenté ? Ce nombre doit-il devenir considérablement plus élevé, mais à quel moment franchit-on le seuil de ce qui est considérablement plus élevé ? Est-ce à 20 %, ou bien un nombre plus élevé n’est-il pas suffisant, et le danger doit-il provenir de tout autre chose ? Qu’en est-il si le nombre diminue, mais qu’une nouvelle source de danger apparaît, par exemple si les services de renseignement informent de la présence d’un nombre toujours plus important de personnes soupçonnées d’être des terroristes parmi les migrants ?

( 40 ) Sur ce point, la Commission a, en substance, précisé lors de l’audience que, selon elle, l’élément décisif pour la qualification d’une menace comme nouvelle est de savoir si elle est nouvelle par sa nature. Je note que, si l’article 25 du code frontières Schengen permet certainement une nouvelle application de son paragraphe 1 dans le cas d’une telle menace nouvelle par sa nature (voir à cet égard point 43 des présentes conclusions), le code frontières Schengen ne contient aucun élément permettant de supposer que c’est ce critère (lequel m’apparaît d’ailleurs arbitraire et excessivement restrictif au vu des points 61 et 62 des présentes conclusions) qui sera décisif pour faire une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontière Schengen.

( 41 ) Voir décision no 415291 du 28 décembre 2017, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) et autres, points 7 et 8, ainsi que décision no 425936 du 16 octobre 2019, ANAFE et Groupe d’information et de soutien aux émigrés (GISTI), points 6 et 7, à propos des décisions des autorités françaises de rétablir des contrôles aux frontières intérieures terrestres avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Confédération suisse, l’Italie et l’Espagne ainsi qu’aux frontières aériennes et maritimes, du 1er novembre 2017 au 30 avril 2018 et du 1er novembre 2018 au 30 avril 2019.

( 42 ) Vor article 25, paragraphes 1 et 2, ainsi que considérants 22, 23 et 27 du code frontières Schengen.

( 43 ) À cet égard, je rappelle, d’une part, que, en vertu de l’article 23, sous a), du code frontières Schengen, l’absence de contrôle aux frontières intérieures prévue à l’article 22 de ce code ne porte pas atteinte à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, et cela s’applique également dans les zones frontalières. D’autre part, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 177), les États membres restent compétents pour vérifier que les citoyens de l’Union qui séjournent sur leur territoire sont munis d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.

( 44 ) Je souligne, à cet égard, que le sentiment de sécurité de la population ne suffit certainement pas pour justifier une (nouvelle) application de l’article 25, paragraphe 1, du code frontières Schengen. Je souligne également que, de manière générale, des menaces pèseront toujours sur les États membres et que l’existence d’une menace ne suffit donc pas non plus pour appliquer (à nouveau) l’article 25, paragraphe 1, de ce code. Ainsi qu’il ressort du point 66 des présentes conclusions, la (nouvelle) application de cette disposition exige une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre, et il s’agit donc d’hypothèses exceptionnelles bien délimitées [voir également, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale) (C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 214 et jurisprudence citée, relative à l’article 72 TFUE)].

( 45 ) Cette condition de proportionnalité renforcée permet de distinguer une prolongation du contrôle au sens de l’article 25, paragraphes 3 et 4, du code frontières Schengen, qui est permise dans le délai de six mois prévu à ce dernier paragraphe, d’une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1 de ce code. Sur ce point, je ne suis donc pas sûr de souscrire à l’interprétation retenue par les gouvernements autrichien et danois. Selon ce dernier gouvernement, dès lors qu’une menace serait un phénomène dynamique et en constante évolution, une nouvelle évaluation de la menace, effectuée plusieurs mois après la précédente et qui conclurait à la persistance d’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité publique intérieure représenterait une nouvelle menace qui justifierait une nouvelle application de l’article 25, paragraphe 1, ne serait-ce que parce qu’elle est opérée à un autre moment. Le gouvernement autrichien a avancé des arguments similaires. À mon sens, cette interprétation semble porter atteinte à l’effet utile de la durée maximale de six mois prévue à l’article 25, paragraphe 4, du code frontières Schengen et, partant, au principe de proportionnalité, dans la mesure où elle ne semble pas prendre suffisamment en considération l’efficacité de la mesure initiale (voir point 67 des présentes conclusions).

( 46 ) Je précise que, dans l’application de cette condition de proportionnalité renforcée, il ne peut être exclu que l’expérience déjà acquise au moyen du contrôle ne soit pas pertinente, ou que son importance soit relativement mineure. Cela sera le cas lorsque la menace renouvelée diffère de la menace précédente d’une manière telle que l’expérience déjà acquise n’a, en pratique, pas une pertinence essentielle pour combattre cette menace.

( 47 ) Voir, en ce sens, considérant 23 du code frontières Schengen.

( 48 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, X (Mandat d’arrêt européen – Double incrimination) (C‑717/18, EU:C:2020:142, point 20).

( 49 ) Cela étant, j’ajoute que la circonstance que la Commission ait émis ou non un avis n’a pas d’incidence sur la légalité du contrôle, de sorte que l’absence d’avis ne rendrait pas automatiquement le contrôle légal.

( 50 ) Il n’est pas précisé dans les demandes de décision préjudicielle si NW est citoyen de l’Union, mais vu que les questions posées portent sur des dispositions applicables aux citoyens de l’Union, je présume que tel est le cas.

( 51 ) Voir considérants 21 à 23 du code frontières Schengen, ainsi que mon analyse dans la partie A des présentes conclusions.

( 52 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Touring Tours und Travel et Sociedad de transportes (C‑412/17 et C‑474/17, EU:C:2018:1005, point 72).